******************************************************** DC.Title = HURLUBRELU OU TOUT DE TRAVERS, COMÉDIE DC.Author = ARCHAMBAULT, Louis-François DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:16:05. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/ARCHAMBAULT_HURLUBRELU.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k108762c/f1.image DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** HURLUBRELU OU TOUT DE TRAVERS COMÉDIE EN UN ACTE ET EN PROSE L'an second, de l'Ère Républicaine. PAR DORVIGNY Représenté pour la première fois à PARIS, le Théâtre de l'Ambigu-Comique. PERSONNAGES. GERMAIN. MADAME GERMAIN. JOSEPH, leur fils. MADEMOISELLE GERMAIN. JAVOTTE, leur servante. HURLUBRELU. DE CRAQUIGNAC. UN HUISSIER. UN NOTAIRE. UN PERRUQUIER. UN PORTE-FAIX. UN SOLDAT. UN CABARETIER. La Scène est dans la rue. Le Théâtre représente la rue. A droite, en bas, la maison du Citoyen Germain, une fenêtre attenant du même côté ; au rez-de-chaussée, une autre au dessus de la porte : à gauche une maison de Notain, avec cette inscription, Notaire public ; au haut du théâtre, du même côté, un Cabaret, et en face à droite, une Boutique de Perruquier. SCÈNE PREMIÈRE. GERMAIN, sortant de sa maison. Il est déjà onze heures, et cet imbécile d'Hurlubrelu ne revient pas ; il m'aura fait encore quelque étourderie mais moi, bien imbécile aussi, de me servir d'un ahuri comme celui : je lui ai donné deux commissions ce matin, c'en est assez pour qu'il m'ait fait tout de travers. Je ne voudrais pourtant pas sortie avant qu'il m'ait rapporté la quittance de cet homme à qui je l'ai envoyé payer un billet de douze cens livres: il n'aurait qu'à la perdre, cela ne m'avancerait pas... Mais Monsieur Calandre, mon fabriquant, est un honnête homme, je ne risque rien avec lui. C'est égal, en attendant que Hurlubrelu revienne, je vais causer un moment avec mon Notaire ; aussi bien j'ai quelque chose à lui communiquer. Il entre chez le Notaire. SCÈNE II. HURLUBRELU, revient du haut du théâtre, [seul]. Il a une veste verte par-dessus un gilet noir, boutonné de travers ; il a une culotte jaune et des bas bleus, un bonnet de coton blanc, un chapeau par-dessus ; une boucle à un soulier, des cordons à l'autre, point d'attaches à ses jarretières de culotte : il porte à la main un panier de provisions du marché. On y voit des légumes, etc. Ah ! Me v'là t'a la fin cheux nous. Comme ce Paris s'allonge pourtant ! Faut avoir des fières jambes, dà, pour en faire les quatre coins comme moi !... Et une fière tête encor qui faut dans ces grandes maisons de ces gros marchands comme je suis là... Dame, je peux ben dire que je ne m'endors pas avec tout ce monde, qui sont là-dedans des familles et des parenTs, que ça n'en finit pas. Y a toujours queuque chose à leus y répondre ou à leus y faire : et vas-t-en à la cave, et monte au guernier, et frotte la cuisine, et échaude l'appartement... Oh ! L'esprit m'en retourne et les oreilles m'en cornent !... Si je sors dehors, allons, attrape ben vite vingt commissions à la fois: ce matin le père m'a t'envoyé porter de l'argent et pis une lettre, v'là tout de suite Madame et pis sa fille, qui m'ont chargé aussi de leus affaires : n'y a pas jusqu'à la servante qui m'a prié aussi de l'y apporter des carottes, et pi la grand-mère, du mou pour son chat. Oh ! Si ces gens là ne m'avaient pas, y leus en fiudroit quatre autes des domestiques ? Encor, j'dis, hus faudrait pas des imbéciles, dà ! Ils se cachent tous les uns des autres, n'y a que moi que je sais tous leus secrets. Si j'avais pas une bonne tête pourtant, où ce quis en seraient. Voyons toujours si j'ai bien là tout ce qu'il faut. - Oui, v'là d'abord le sac où ce qui n'y a pus d'argent dedans. Ça on ne dira pas que je l'ai gardé. V'là du chocolat pour la mère qu'il ne faut pas que le mari le voye : - V'là ben le mou pour la vieille, et pis v'là les carottes pour la servante. - Oh ! Celle là, je ne l'oublie jamais, parce que c'est une bonne fille, et pis je devons nous marier ensemble d'un moment à l'autre ; j'attends pus que d'avoir l'âge. Oh ! Oui, je compte ben dessus elle, et je l'ai dans ma poche même, sa promesse de se marier nous deux ; et pis mon onque qui est mort, qui nous a laissé de l'argent à hériter exprès pour ça : oh ! Pardine je regarde ben ce mariage là comme sait, moi, i n'y manque pus que la façon, v'la tout. Entrons toujours, et allons rendre nos comptes. Il ramasse son panier et va à la maison de son maître : il prend le heurtoir pour frapper. SCÈNE III. Germain, sortant de chez le Notaire ; Hurluberlu, à la porte de sa maison. GERMAIN. Eh ! Hurlubrelu ? HURLUBRELU. De quoi que c'est ?... Ah ! Vous v'là, Monsieur : par où donc que vous avez passe? GERMAIN. Voyez ce nigaud ! Par où j'ai passé... par la porte, apparemment. HURLUBRELU. Par la porte ! Ah ! Ça ne se peut pas ptêtre, pisque je la tiens. GERMAIN. Tu la tiens ! Mais tu ne l'as pas toujours tenue. HURLUBRELU. Ah, dame : je ne réponds que pour le quart d'heure, moi. Si c'est d'avance, ça ne me regarde pas. GERMAIN. Eh ! Que ça te regarde ou non, laissons cela. Te voilà donc revenu à la fin ? Y a-t-il assez longtemps que tu es parti? HURLUBRELU. Dame, Monsieur, n'y en a pas trop. J'ai tant d'affaires pour toute votre maison, que v'là dans ce pagnier-là, tenez ; pour pas se tromper, faut ben mettre le temps. GERMAIN. Oh ! Tu ne l'épargnes pas, toi, le temps... Eh bien, as-tu donné mon argent ? HURLUBRELU. Oui, Monsieur, et on l'a ben pris aussi, témoin de çà, même qu'en v'là le sac où vous en pouvez remettre d'autre à présent. GERMAIN. Bon. Où est la quittance ? HURLUBRELU. La quittance ? GERMAIN. Oui, la quittance ; ne t'ai-je pas dit de m'en rapporter une, ou bien mon billet ? HURLUBRELU. I n'a pas voulu, le Monsieur; i m'a dit que c'était pas la peine. GERMAIN. Comment ! Pas la peine... Est ce qu'on fait des affaires comme ça, donc? HURLUBRELU. Ma fine, je ne sais pas, Monsieur, mais il était ben content toujours : sarpédié comme i retournait st'argent ! I sembe qui n'en avait jamais tant vu à la fois, i baisait tous les écus l'un après l'aute ; i m'a baisé aussi moi, Monsieur.... Oh ! I m'a dit de vous ben remercier, et pis qu'il viendrait encor par après quoique ça. GERMAIN. Il est bien bon ; il n'y a pas là de quoi tant me remercier : je lui paye une dette, il ne m'a pas d'obligation. --- Mais, dis-moi un peu; cet autre à qui je t'ai envoyé porter une lettre toute seule, il n'a pas été aussi content lui, n'est ce pas ? HURLUBRELU. Lui ! Oh ! Diable ; c'est ben différent, ça: i m'a reçu tout au contre-pied : i m'a dit que c'était indigne à vous, et qu'il ne l'aurait pas jamais cru. GERMAIN. Effectivement, c'était bien difficile à croire ! Refuser de prêter de l'argent à un Gascon ! À un homme qui m'en a déjà emprunté vingt fois, et qui ne me l'a jamais rendu. HURLUBRELU. Ma fine, i s'est toujours ben fâché ; i m'a dit que vous étiez un mal honnête homme. GERMAIN, riant. Ah ! Parbleu oui, mal honnête !... J'aime mieux l'être comme ça que d'être dupe.... HURLUBRELU. Qui n'y avait que des fripons qui payaient comme ça leus dettes... GERMAIN, devenant plus sérieux. Hein ? Qu'est-ce que tu parles de fripon... Est-ce que je lui dois quelque chose, moi ? HURLUBRELU. Mais qu'il avait vote papier, et qu'il allait vous faire danser. GERMAIN. Qu'est-ce que tu m'embrouilles-là de papier et de danse ? HURLUBRELU. Dame, oui, et ce maître de danse là, c'est un huissier qu'il a envoyé chercher tout de suite.... À cheval encor ; ainsi ça ira vite ça. GERMAIN. Le diable m'emporte si je conçois rien à ce que tu me dis : il y a là quelque quiproquo de ta façon. HURLUBRELU. N'y en a pas, Monsieur, tout ça est ben clair. GERMAIN. Expliquons nous : tu dis que Craquignac a dit qu'il allait m'envoyer un huissier ? HURLUBRELU. Le Gascon ! Non pas, c'est l'aute, c'est le Normand. GERMAIN. Le Normand !... Ah, misérable ! Je vois ce que c'est. HURLUBRELU. Dame, c'est ben visible comme ça. GERMAIN. Ah, le malheureux ! Voilà encor douze cent livres de jetés dans la rivière. HURLUBRELU. Non, pardine pas, Monsieur dans la rivière.... Je les ai ben donnés en main propre... Et, tenez, la preuve... Ah ! Jerni, i vient ben à propos... Je m'en vas t'être lavé de ça. SCÈNE IV. Germain, Craquignac, Hurluberlu. CRAQUIGNAC, se jetant au cou de Germain. Eh ! Sandis, mon cher ami ! Qué bous êtes un brave homme! GERMAIN, le repoussant. Eh, Monsieur, de grâce !... Vous m'étouffez ; laissez moi. HURLUBRELU, à Craquignac. Non, non, caressez-le bien pour le lui prouver. I ne veut pas le croire. CRAQUIGNAC, reprenant Germain. Il né veut pas croire à ma reconnaissance ! Eh, sandis ! C'est la bertu faborite du pays.... Benez, mon cher Germain, qué jé bous mange, qué jé bous débore de mes caresses... GERMAIN, le repoussant. Le diable l'emporte ; il me ruine et me tue tout-à-la-fois. CRAQUIGNAC. D'honnur, je ne comptais pas cette fois dessus votre argent. GERMAIN, à part. C'est bien malgré moi aussi que tu l'as. Hurlubrelu se sauve contre Craquignac. CRAQUIGNAC. Je bous ai manqué tant de fois à rendre, qué jé bous avais jeté cette demande au hasard... Mais botre complaisance inépursable, botte caractère obligeant bous engage à surprendre les gens dé la manière du monde la plus délicate... D'honnur, cette fois, j'y comptais si peu, qu'en boyant votre argent, je me suis regardé comme attrape. GERMAIN, à part. Quelle diable t'attrape, va !**** C'est comme je le serais si tu me le rendais, toi. CRAQUIGNAC, le caressant. Il faut qué je bous aye surpris dans un moment bien favotable. Sandis ! Bous beniez sans doute de faire quelques gros profits, compère ; bous abiez passé de bos draps à quelque provincial. GERMAIN. Oui, j'ai fait là une belle journée ! CRAQUIGNAC. Cadédis ! Il lé faut bien, pisqué je n'avais osé bous demander dans ma lettre que fix cent livres pour mon besoin attuel mais bous, sandis, en douvlant la somme, bous abez prébenu jusques à mon vesoin futur, bous m'abez enboyé donze cent livres. Capédébious : boilà dé la novlesse dé procédé, ou de Craquignac né s'y connaît pas. GERMAIN. À propos, vous avez raison. À part.Ah, morbleu ! Si j'en pouvais du moins rattraper la moitié. Haut.Oui, je me rappelle très bien, vous ne m'aviez demandé que six cent livres... C'est une erreur très forte. CRAQUIGNAC. Oui, mais je suis galant homme, et jé mé pique aussi de novlesse jusques dans les moindres vagatelles... CRAQUIGNAC. Voyons, mon cher ; montrez-moi la petite lettre que je bous ai enboyée. Il sort de sa poche un crayon. GERMAIN. Comment la lettre ! Pourquoi faire ? CRAQUIGNAC. C'est qué tandis que nous en abons la mémoire fraîche, au lieu de six cent livres, dont jé bous disais avoir nécessité, jé douvlerais la somme dans la démande comme bous mé l'abez douvlé dans la réponse. GERMAIN. Eh bien, après ? CRAQUIGNAC. Eh donc : alors tout serait en règle : la somme demandée faisant la valance dé la somme reçue, ma lettre qui bous restera bous serbira dé titre. HURLUBRELU. Pardine, c'est clair. J'entends ben ça, moi. GERMAIN. Eh, quel diable de compte : il est bien plus simple de me rendre mes vingt-cinq louis. CRAQUIGNAC. [Note : Agioteur : Celui qui fait l'agiotage. C'est à dire Trafic sur les effets publics, jeu sur la hausse ou la baisse, manoeuvre pour faire hausser ou baisser les fonds publics, ou faire varier le prix de certaines marchandises en vue d'un profit. [L]]Ah, rendre !... C'est un grand mot.... et c'est effectivement un grand plaisir pour moi ! Mais jé suis comme bous. Je traite les affaires grandement. Avec un galant homme qui m'a ovligé si genéreusement, je croirais me deshonorer, et lui manque- á lui-même, si je lui rendais ainsi son argent chiquette à chiquette. Tout ou rien, voilà ma débise. Bous m'avez prêté cinquante louis, cinquante louis je bous remettrai en bloc ; point de démembrement ; sachez que Chevalier de Craquignac né travaille pas comme un agiotur. HURLUBRELU. Ah, dame, mon maître peut dire que v'là de l'argent ben placé. GERMAIN, va pour le battre. Viens, misérable ! Je vais toujours t'en payer l'intérêt à toi... HURLUBRELU, se sauvent. Mais, est-ce que vous êtes fou, donc, Monsieur, est-ce que c'est pas une bonne affaire pour vous ça ? SCÈNE V. Les Susdits ; Un Huissier, Normand. L'HUISSIER, arrêtant Germain. Messieurs, n'est-ce pas par ici que demeure Monsieur Germain, un marchand de draps ? GERMAIN. C'est moi-même, Monsieur. Qu'y a t-il pour votre service ? L'HUISSIER. Très peu de chose : c'est moi qui suis au vôtre : voici un petit papier de la part de Monsieur Roch Barbarin. GERMAIN. Qu'est-ce que c'est que Monsieur Roch Barbarin ? L'HUISSIER. Un très honnête homme, Monsieur ; c'est le Procureur de Monsieur Jérôme Calandre, marchand fabriquant, à qui vous avez passé un effet de douze cent livres tournois, payable dans toute la journée d'hier, et à qui vous avez envoyé ce matin une lettre en refus de paiement, et dont voici le protest en forme de réponse à la vôtre. GERMAIN, à Hurlubrelu qu'il saisit au collet, et qui reste immobile. Malheureux étourdi ! Vois-tu à présent le fruit de ta sottise, et du misérable quiproquo que tu viens de me faire ? HURLUBRELU, pleurant. Dame, Monsieur !... On ne peut pas deviner tout ça aussi. CRAQUIGNAC, se retirant en tapinois. Monsu Germain... je m'aperçois que bous êtes en affaires : entre amis, il ne faut jamais se gêner ; ainsi je bous laisse. Sans adieu. GERMAIN. Eh non, vous n'êtes pas de trop, Monsieur Craquignac, vous pouvez entendre cela : vous y êtes pour quelque chose même. CRAQUIGNAC. Pardonnez moi, mon cher ; bous né mé connaissez pas. Nomvre dé gens ils ont l'indiscrétion dé bouloir mettre le nez dans les affaires de tout le monde ; moi, jamais je ne m'ingère dans ce qui ne me regarde pas. Motus dessus tout : et de Craquignac il né brille pas plus par la délicatesse de la provité qué par la retenue de sa langue et de ses oreilles... Il se rapproche de lui, et lui dit en demi confidence.J'attends incessamment des fonds considéravles qui me rebiennent du pays, et dans peu je vous ferai remettre le bloc comme il est convenu. Adioufias. Il s'en va. SCÈNE VI. Germain, L'Huissier, Hurluberlu. L'HUISSIER, Normand. Ce Monsieur là me paraît bien raisonnable et bien honnête. HURLUBRELU. Dame ! On ne peut pas mieux prendre la chose que lui. GERMAIN, à l'Huissier. Oui, il est très raisonnable et très honnête ; car c'est à lui que j'ai l'obligation de votre visite. L'HUISSIER. Comment donc cela, Monsieur ? GERMAIN. Par la faute de cet animal là qui lui a porté douze cent livres que j'envoyais à Monsieur de la Calandre ; de sorte qu'à présent vous m'apportez un protest en bref, et lui il m'emporte mon argent en bloc. L'HUISSIER. Ah !... Je commence à comprendre... C'est un quiproquo, n'est-ce pas, Monsieur ? GERMAIN. Oui, c'en est un, et un fier même comme vous voyez. L'HUISSIER. Eh bien, Monsieur, il n'y a pas tant de mal. Vous avez obligé un galant homme ; vous payerez une seconde fois les douze cent livres, et pour le surplus de la visite de votre serviteur : il ne vous en coûtera que les frais de ce petit papier. J'ai l'honneur d'être votre valet bien humblement : Isaac Rebecca dit la Griffe, Huissier aux Consuls, parlant à votre personne, comme il est énoncé au présent que je vous ai laissé en main. Adieu, Monsieur, que le ciel vous conserve. Il s'en va. SCÈNE VII. Germains, Hurlubrelu. GERMAIN, le menaçant de sa canne. Eh bien, Monsieur Hurlubrelu, nous voilà bien avancé, n'est-ce pas ? HURLUBRELU. C'est vrai, Monsieur, ça ressemble comme si y avait un sort là-dessous. GERMAIN. Oui, je t'en réponds, drôle, qu'il y en aura un sort. Heureusement pour toi, je n'ai pas le temps de te payer à présent, mais tu ne la porteras pas loin. À part.Ce diable de M. Barbarin m'a l'air d'aller vite en besogne : il faut que j'aille le prier de m'accorder quelques jours pour lui remettre ces douze cent livres là, et de m'épargner les frais... Haut.Attends-moi là, toi, et à mon retour nous compterons ensemble. Il s'en va par en haut. HURLUBRELU, allant à sa maison. Eh ben, Monsieur, c'est bon; le compte sera bentôt fait. GERMAIN, se retourne et le voit aller. Où vas-tu par-là ? HURLUBRELU. Pardine, je m'en vas cheus nous. GERMAIN. Je ne veux pas que tu y remettes le pied, drôle... pour y faire encor quelque sottise ?... HURLUBRELU. Mais, Monsieur, faut ben que j'y entre. GERMAIN. Nous y entrerons ensemble quand j'y reviendrai. Il continue sa marche. HURLUBRELU. Oui ! I sera ben temps : v'là bentôt midi, et Madame m'attend pour prendre son chocolat, que ---- la, même. GERMAIN, recourant sur ses pas. Hein ?... Tu portes du chocolat à Madame ? HURLUBRELU, à part. Ah, jarni ! V'là que je viens de nous vendre. GERMAIN. [Note : Le chocolat est excessivement cher au XVIIIème siècle.]Ah ! Madame prend donc toujours du chocolat malgré que je lui aie défendu... Outre que toutes ces folles dépenses là me ruinent, le chocolat lui fait du mal ; elle le sait bien. Le Médecin le lui a défendu aussi, et elle m'avait promis de n'en plus prendre. HURLUBRELU. Bah ! Monsieur le Médecin ne le saura pas, lui ! Pas si bête que de ly dire! GERMAIN. Non dà !... Mais je le sais, moi, et cela suffit. Donne le moi ce chocolat, que j'en voie la qualité. HURLUBRELU. Oh ! Il est bon, Monsieur. Je l'ai goûté en chemin. Celui là ne lui fera pas de mal, allez. GERMAIN, le prenant. Non. Je ne le crois pas. Il le met dans sa poche.Pour toi, mon ami, voilà pour payer ta complaisance pour Madame. Il lui donne des coups de canne. HURLUBRELU. Ah ! Ah ! Ah ! Monsieur, starticle là ne vous regarde pas, vous. GERMAIN. C'est égal. Voilà toujours un petit à compte sur tes commissions: dans un moment nous acquitterons le reste. Il s'en va. SCÈNE VIII. HURLUBRELU, seul. Pardine ! Oui. Si c'est comme ça qu'il les paye, j'aime encor mieux les y faire gratis. SCÈNE IX. Hurluberlu, Madame Germain, sortant de chez elle. MADAME GERMAIN. Eh bien, mais, j'avais cru entendre mon mari. HURLUBRELU. J'ai cru mieux que ça, moi, j'ai cru le sentir. MADAME GERMAIN. Il criait, ce me semble, qu'est-ce qu'il faisait donc ? HURLUBRELU. Ah ! Il me payait un acompte. MADAME GERMAIN. Un acompte ! Et sur quoi? HURLUBRELU. Sur votre maudit chocolat qu'il m'a pris. MADAME GERMAIN. Il t'a pris mon chocolat ! Comment imbécile ! Elle lui donne un soufflet.Pourquoi lui as-tu dit que tu m'en portais ? HURLUBRELU. Quiens ! Encor un acompte ! On ne me devra bentôt pus rien. MADAME GERMAIN. Voyez un peu st'animal ! Je lui recommande bien de cacher cela, et c'est le première chose qu'il va dire ! HURLUBRELU. Dame, Madame, c'est pas ma faute. C'est l'embrouillamini des douze cent livres. Vote mari m'a pris là en suspens, et ça m'a coupé, moi. MADAME GERMAIN. Oui, ça t'a coupé, animal ! Si cela t'avait coupé la langue encor, ce ne serait que demi mal. HURLUBRELU. Oui la langue ! I sembe toujours qu'on la trop longue avec vous. Si je ne l'avais ben tenu pourtant, je pouvais ben dire à vote mari que le marchand demandait son argent, et qu'il vous envoyait le mémoire du chocolat ; et dame, quand il aurait vu ça, je crois ben que ça aurait été vote tour aussi d'être grondée à vous. MADAME GERMAIN. Ah ! Voilà donc une fois que tu as eu un peu de réflexion ! HURLUBRELU. Pardine, j'en ai toujours, excepté quand j'oublie, et pis quand on m'ahurit comme ça. MADAME GERMAIN. Oui. Oh ! Tu as une bonne tête !... Eh bien, voyons le donc ce mémoire, où est il ? HURLUBRELU, tirant une lettre de sa poche. Le v'là, Madame. MADAME GERMAIN. Bon : cela suffit; je n'ai pas de monnaie pour te payer le port de cette lettre là, et je te le devrai ; mais pour mon déjeûner que tu m'as fait perdre, voilà ce que je dois en bonne conscience. Elle lui donne trois ou quatre soufflets, et rentre chez elle. HURLUBRELU. Eh, laissez donc, Madame ; vote mari me la payé celui-là... Et j'ai de la conscience aussi, moi ; je ne veux pas recevoir double. SCÈNE X. HURLUBRELU, seul. Dame aussi, si c'est qu'ils s'entendent pour me payer tous avec la même monnaie, y beuvent ben faire les commissions eux-mêmes. SCÈNE XI. Mademoiselle Germain, à la fenêtre : Hurlubrelu, en bas. MADEMOISELLE GERMAIN, l'appelle à demi voix. Hurluberlu ? HURLUBRELU. Eh ben, qu'est-ce qui y a encore ? MADEMOISELLE GERMAIN, à la fenêtre. C'est moi : as-tu passé ce matin dans la rue de... HURLUBRELU, allant à elle. Ah ! Dans la rue de chose... Oui, et j'ai vu Monsieur. Monsieur Chose, vous savez ben... qui m'a dit... Oh ! Il m'a dit tout plein de choses. MADEMOISELLE GERMAIN, à la fenêtre. Se porte-t-il bien ? HURLUBRELU. Oh ! Je vous en réponds, allez: quand y m'a vu même, il a été tout de suite... Oh ! Il a été tout chose aussi, et pis y m'a donné quéque chose pour vous. MADEMOISELLE GERMAIN, à la fenêtre. Qu'est ce que c'est ? HURLUBRELU. Ah ! Dame, c'est une lettre. MADEMOISELLE GERMAIN, à la fenêtre. Eh bien, apporte la-moi donc. HURLUBRELU. Oh ! Je n'ose pas : vote père m'a défendu d'entrer ; et pis vote mère qui n'a pas déjeuné, qu'a son chocolat sur le coeur !... Mais venez la chercher. MADEMOISELLE GERMAIN, fermant la fenêtre. Eh bien, je descends. HURLUBRELU. Du moins celle là va me dédommager des autres On ne tombe pas toujours sur des ingrats aussi. MADEMOISELLE GERMAIN, sortant de sa maison. Voyons, mon ami, donne-moi la lettre. HURLUBRELU, lui donne un papier qu'il tire de sa poche. Tenez, Mamselle, la v'là... Lisez-la tout de suite ici, parce que si y a t'une réponse, vous me la direz. MADEMOISELLE GERMAIN. Tu as raison. Elle lit.Madame, je vous envoie le compte du chocolat que je vous ai fourni... HURLUBRELU. Hem ? Queque vous dites donc, vous ? MADEMOISELLE GERMAIN. Je lis ce que tu m'as donné : qu'est-ce que cela veut dire ? HURLUBRELU. Comment ! Y a du chocolat là dedans ? MADEMOISELLE GERMAIN. Certainement. Elle lit.Et je vous prie de vouloir me faire passer le montant du présent mémoire. HURLUBRELU. Ah ! Ventrebille ! On s'est trompé. C'est pas pour vous ; c'est pour vote mère. MADEMOISELLE GERMAIN. Eh bien, porte lui, et donne-moi l'autre. HURLUBRELU. Oui ! Au diable qui l'y portera ! MADEMOISELLE GERMAIN. Dame, arrange-toi ; mais donne-moi toujours ma lettre. HURLUBRELU. Ah, ben, en v'là encor une bonne à présent : vote chienne de lettre ! là: c'est y pas un fair expres çà ? SCÈNE XII. Les Susdits, Madame Germain, sort de chez elle la lettre à la main. MADAME GERMAIN. Ah ! Ah ! Monsieur le misérable ! Voilà donc le chocolat que vous portez à ma fille ! HURLUBRELU, se sauvant d'elle. Eh non, Madame ; vous voyez ben que c'est un quiproquo... Mais vous n'avez qu'à retroquer de papiers, c'est la même chose. MADAME GERMAIN. Et vous, Mademoiselle, vous recevez des lettres à l'insu de votre père et de votre mère ? MADEMOISELLE GERMAIN. Ma chere mère, excusez ; je vous l'aurais fait voir... C'est un jeune homme bien honnête. HURLUBRELU. Oh mon dien oui, Madame, et qui est ben genti encor, allez. MADAME GERMAIN. C'est fort bien. Mademoiselle : rentrez, s'il vous plaît: quand votre père reviendra, nous verrons ce qu'il dira de cela. La fille rentre.[Note : Coquin : terme injurieux qu'on dit à toutes sortes de petites gens qui mènent une vie libertine, friponne, fainéante qui n'ont aucun sentiment d'honnêteté. [F]]Pour toi, coquin, si je te vois seulement approcher de la porte de ma maison, je te ferai renfermer pour le reste de tes jours. Elle rentre chez elle. SCÈNE XIII. HURLUBRELU, seul. Diante ! C'est ben honnête !... Comme les gens sont injustes pourtant !... V'là que j'étais dans le train de faire trouver un mariage à sa fille, et v'là qu'elle dérange tout, elle !... Et tout ça pour pas me payer !... Ah ! V'là le fils qui revient de son bureau. J'ai pourtant queque chose de bon à lui dire aussi à lui. Faut voir si y sera aussi ingrat comme les autes. SCÈNE XIV. Hurlubrelu, Joseph, Germain, passe pour entrer à sa maison. HURLUBRELU, l'appelle. Écoutez donc, Monsieur Joseph. JOSEPH, venant à lui. Ah, te voilà, Hurlubrelu ! Eh bien, as-tu été ce matin souhaiter le bonjour à Madame Dugange ? HURLUBRELU. Oui-dà, Monsieur, alle est ben attentife à toutes vos politesses ; elle vous attend pour goûter demain avec elle, au sortir de vote bureau de l'après-midi, et pis elle m'a chargé de vous remettre une belle paire de bas de soie blanc tout neuf pour vous habiller dimanche. JOSEPH. Comment donc ! Mais c'est une galanterie on ne peut pas plus agréable, et je l'en remercierai demain sans faute. En attendant, toi, mon cher ami, je m'en vais toujours te donner la pièce : il est bien juste que tu boive sà notre santé. Il fouille à sa poche et tire sa bourse. HURLUBRELU. Allons, jarni ! V'là le pus brave et honnête homme de toute la famille... Tenez, Monsieur, avant que de prendre vote argent, v'là dabord vos bas. Il lui ôte le panier et les lui présente. JOSEPH, les développe, ils sont tous tachés. Que diable est-ce que c'est donc que ça ! HURLUBRELU. Ah, jarni ! Queu guignon que vous avez, Monsieur, c'est du mou que j'avais mais dans le pagnier pour vote grande-mère. JOSEPH. Comment, animal ! Tu enveloppes du mou dans des bas de soie blanc ? HURLUBRELU. Eh non, Monsieur, il était ben dans une feuille de chou ; mais ça se sera renversé en courant. JOSEPH, resserrant sa bourse. Ah, gueux ! Je t'apprendrai à courir, moi. HURLUBRELU. Mais, Monsieur, c'est rien que ça ; ****a des blanchisseuses, et pis comme je vous dis, c'est jamais que du mou. JOSEPH. Attends, je vais te blanchir, moi. Tiens, drôle, tiens, coquin. Il lui donne des coups de canne.Voilà du mou, mon ami; serre bien celui-là. Il rentre chez lui. SCÈNE XV. HURLUBRELU, seul. ***faut que je le rende à la cuisignière son pagnier et ses carottes... Je peux ben li donner sans entrer dans la maison. V'là la cuisine, je vas l'appeler par la fenêtre... Oh ! Mamselle Javotte. JAVOTTE, en dedans. Qu'est-ce que c'est ? HURLUBRELU, dans la rue. C'est vos carottes que j'apporte. JAVOTTE, en dedans. Ah ! Ben obligée : tandis que vous v'là dans la rue, faites-moi donc le plaisir d'aller jusques chez l'épicier m'acheter un peu de poivre. HURLUBRELU. Ah ! N'y a pas de poivre qui tienne ; je ne fais pas de commissions ; ça me tourne trop mal : allez-y vous-même. JAVOTTE, en dedans. Je ne peux pas quitter, ma poêle est sur le feu : je suis après à faire une friture. HURLUBRELU. Eh ben, je vas entrer et je tiendrai votre poêle is que vous irez chercher ce qu'il vous faut. À part.Ça fait que je déjeunerai moi aussi pendant stems-là. JAVOTTE, en dedans. Eh ben, à la bonne heure, vous n'avez qu'à entrer. HURLUBRELU, entrant. Ah ça, ne soyez pas longtemps, au moins. JAVOTTE, sortant. Non, non, je ne ferai qu'aller et venir. Elle s'arrête.À propos, y faudra que j'achète aussi du lard ; voyons si j'ai assez de monnaie. Elle compte son argent.Oh ! Oui, j'ai plus qu'il ne me faut. Elle s'en va. SCÈNE XVI. GERMAIN, revient avec des papiers à la main. Ce diable de Monsieur Barbarin est bien nommé ! Je n'ai jamais vu de procureur plus rébarbatif. J'ai eu beau lui représenter mon accident, c'est tout ce que j'ai pu faire d'obtenir de lui un sursis de huit jours. Il regarde ses papiers. On voit sortir de la fumée de la cuisine. SCÈNE XVII. HURLUBRELU, sort de la cuisine portant un seau pour puiser de l'eau, et dit en passant. Ah ! Serpedié, allons ben vite tirer un siau d'eau. Il traverse par une coulisse. SCÈNE XVIII. Javotte, revient de l'autre côté. GERMAIN. Qu'est-ce que je sens donc! voilà bien de la fumée chez moi ; que diable est ce que cela veut dire ? À Javotte.D'où venez-vous, Mademoiselle ? Qu'est ce que c'est que cette fumée dans votre cuisine ? JAVOTTE. Ah ! Mon Dieu, Monsieur, c'est Hurlubrelu qui me tient la poêle sur le feu ; il aura répandu la friture. GERMAIN. Hurlubrelu chez moi ! Ah, le gueux ! Il va brûler ma maison. Ils entrent tous les deux. SCÈNE XIX. HURLUBRELU, revient avec son seau plein d'eau. Allons ben vite éteindre ça avant qu'il y revienne du monde. Il court pour entrer, et jette son seau dès la porte. GERMAIN, en dedans. Ah, le misérable ! Qui met le feu chez moi et qui me noie !... Veux-tu t'en aller, coquin ! HURLUBRELU, repoussé par Germain, tombe à la renverse sur le dehors de la maison avec son seau vide. Dame, Monsieur, c'est pas ma faute si je vous ai adressé : je voulais le jeter sur le feu. GERMAIN, en dedans. Vas t'en, gueux: nous l'éteindrons sans toi. HURLUBRELU. Mais, est-ce que c'est à moi qu'il faut s'en prendre donc de çà ? C'est la poêle qu'a perdu l'équilibre... Et pis fallait faire ramoner vote cheminée, là !... Y sembe qu'on soit responsabe de tout... Me v'là ben à stheure ! Rentrer là, ne faut pus y penser. Tout le monde qui est contre moi !... Allons faut prendre son parti et faire comme si j'étais dessus le pavé. Faut chercher une aute condition... Où que j'irai ben m'adresser ? Les maîtres sont si ridicules ! Et pis je suis si las de servir cheus ces bourgeois... Faudrait putôr... Oui ; je crais que ça vaudra mieux Je me rappelle qu'autre fois j'avais tapris queuque tems à coiffer et à raser ; même que je commençais déjà ben a mordre sur le peigne... Et le rasoir encor qu'était mon fort... Faut que je voie si j'y aurai encor la main : v'là ici devant une boutique de perruquier, parlons-zy ; c'est aujourd'hui samedi justement, y a beaucoup de barbes de rencontte allons en faire queuquezune, ça me rapportera toujours queuque chose. Eh quoi ! Comme dit l'aute, n'y a que les zhonteux qui perdent. Il va à la boutique du perruquier. SCÈNE XX. Javotte, Germain, sortant de sa maison. JAVOTTE. Comment, Monsieur, vous me mettez à la porte pour çà ! Est-ce que c'est ma faute à moi ? GERMAIN. Oui, Mademoiselle, c'est votre faute. C'est un petit vaurien que vous soutenez, et que vous avez laissé entrer quand je lui avais défendu ma porte. JAVOTTE. Mais, Monsieur, je ne le savais pas. GERMAIN. En outre, vous vous entendez avec ma femme. Vous lui faites son chocolat tous les matins, et vous savez très bien, par exemple, que je lui ai défendu d'en prendre, et vous de lui en faire. Vous ne me direz pas non cette fois. JAVOTTE. Dame, Monsieur, Madame me commandait de la faire ; je ne pouvais pas lui désobéir non plus. GERMAIN. Non sans doute, vous avez mieux aimé me désobéir à moi. Eh bien, ma fille, vous avez bien fait : à présent allez voir si Madame veut vous prendre à son service ; quant à moi je vous renvoie du mien : pour votre compte il n'est pas lourd : je crois même que nous sommes encore en avance avec vous, ainsi vous pouvez toujours aller vous munir d'une autre condition, et en revenant chercher votre paquet, nous finirons de compter ensemble : adieu, ma bonne. Il rentre chez lui. JAVOTTE, seule. C'est ce gueux d'Hurlubrelu qui m'a valu ça, voyez-vous ; il me le payera. SCÈNE XXI. Hurluberlu, poursuivi par un Porte-Faix et le maître Perruquier. HURLUBRELU, un rasoir à la main se sauve de la boutique. Eh ben, voulez-vous finir donc ! LE PORTE-FAIX, une serviette au cou, savonné d'un côté et écorché de l'autre, sa bricole à la main. Comment, coquin d'assassineu ! Tu dis que tu sais raser, et tu viens couper la gorge au monde ! HURLUBRELU. Et dame, pourquoi que vous remuez aussi ? LE PERRUQUIER. Gueux que tu es ! Veux-tu bien me rendre ce rasoir là tout-à-l'heure. HURLUBRELU. Pardine vous êtes ben ridicule aussi, vous ! Vous voyez ben de pis le temps je n'y ai pus la main. LE PORTE-FAIX. Je le crais pardine ben que tu ne l'y as jamais eu la main qu'à faire des mauvais coups, chien d'écorcheu ! HURLUBRELU. Oui, écorcheu ! Pour un petit morceau de la joue !... Mais je vous dis, Monsieur le Maître, laissez-moi me remettre sus quéqu'aute, je ne les couperai ptêtre pas tous. LE PORTE-FAIX. Ne reviens pas sus moi toujours. LE PERRUQUIER. Ah ben oui ; n'y a qu'à lui laisser le rasoir une demi-heure, il m'estropira toutes mes pratiques. Allons, rends ça, drôle. Il lui reprend le rasoir : au Porte-Faix.Et vous, mon ami, je vous demande pardon de sa maladresse ; revenez, je vas vous finir, et je vous mettrai là-dessus une petite compresse avec de l'eau de lavande. LE PORTE-FAIX. À la bonne heure. À Hurlubrelu.Et toi qui m'as si ben rasé, tu n'as qu'à m'attendre un instant, je m'en vas revenir te peigner, moi. Il rentre avec le Perruquier. HURLUBRELU. Ah ! J'ai pas besoin de toi pour ma toilette. SCÈNE XXII. Hurlebrelu, Javotte. JAVOTTE. Eh ben, Monsieur Hurlubrelu, il me paraît que ça ne va pas mal. HURLUBRELU. Oui, mamselle Javotte ; vous le voyez : c'est de tous les côtés la même danse... Queuque vous taites donc là en-dehors ? JAVOTTE. Ah ! C'est une obligation que je vous ai aussi. Je prends à st'heure le frais en-dehors, parce que vous nous avez fait prendre le chaud en dedans, vous. HURLUBRELU. Quiens ! Pour ste misère du feu tantôt !... Pardine, il est donc ben regardant ce Maître là... Est-ce qu'un domestique peut répondre de tout ça ? JAVOTTE. Dame : v'là pourtant comme il l'entend. Preuve de ça, qu'il m'a mis à la porte, et que je ne vous conseille pas non pus d'aller rechercher vote reste, vous. HURLUBRELU. Oh moi, je l'y laisse tout. Ces gens là sont trop ahuris pour moi. JAVOTTE. Oui, vous la pernez ben ; quoique ça en attendant nous v'là ben avancés à stheure-ci ; à la porte tous les deux, et sans ressource, sans argent même ; car il ne m'a pas payé mes gages ; qu'est-ce que j'allons devenir ? HURLUBRELU. Bah ! Bah ! Vous avez toujours peur, vous. Faut pas encore se désespérer pour ça, au contraire, je pouvons faire une fin. Vous savez ben que je nous sommes promis de nous marier l'un contre l'aute ; eh ben v'là tune belle occasion : nous sommes sur le pavé tous les deux, ça fait que nous sommes nos maîtres. Faut profiter de ça. JAVOTTE. Oui ! Un beau profit à faire.... et de l'argent pour vivre ? HURLUBRELU. Écoutez moi donc, je sais où ce qui y en a. Vous savez ben dabord que vous avez six cent francs à toucher du testament de feu mon onque quand vous m'aurez t'épousé JAVOTTE. C'est vrai... mais on ne peut pas commencer par-là : auparavant que de se marier, faut ben regarder si on a des fonds. HURLUBRELU. Eh ben, j'y ai regardé, et j'en ai, moi, des fonds. Mon onque m'a ti pas laissé aussi six cent livres que j'ai déjà touché, moi. JAVOTTE. Hé ben, queuque vous en avez fait ? HURLUBRELU. Ah ! V'là donc le tuyautem**** : j'en ai fait que je les ai placé cheus un Notaire où ce qui m'en rapporte encor d'autes des lives... C'est ti encor une bêtise de ma part, hein, celle-là ? JAVOTTE. Eh non, Monsieur Hurlubrelu... C'est ben travaillé ça. HURLUBRELU. Vous voyez donc ben qu'on sait se garder une poire pour la soif... Ainsi Mademoiselle Javotte v'là qu'est dit. V'là le Notaire qu'est là ; j'allons l'y redemander mon argent. Je nous marierons avec, j'irons après ça toucher vos six cent livres à vous, et pis je nous mettrons dans une petite chambe où ce que je resterons tous les deux nos maîtes jusqu'à ce que je trouvions à nous remettre les domestiques des autes. JAVOTTE. Eh, où ce que je vas vous attende pendant ce tems-là ? HURLUBRELU. [Note : Chopine : petite mesure de liqueur qui contient la moitié d'une pinte. [F]]Tenez v'là t'un cabaret à devant. On ne peut pas donner des rendez-vous pus honnêtes : entrez y un petit quart-d'heure ; faites tirer chopine et j'allons vous y retrouver avec l'argent. JAVOTTE. Allons, je vous y attendrai. Elle entre au cabaret, Hurlubrelu frappe chez le Notaire. SCÈNE XXIII. Hurlubrelu, Le Notaire. LE NOTAIRE. Que demandez-vous ? HURLUBRELU. N'est-ce pas Monsieur quequefois qui est Monsieur le Notaire ? LE NOTAIRE. Oui, mon ami, c'est tout juste moi ; qu'est ce qu'il vous faut ? HURLUBRELU. Monsieur il me faut six cent francs. LE NOTAIRE. Il vous faut six cent livres !... Et pourquoi vous les faut-il ? HURLUBRELU. Pourquoi ? Pour me marier. LE NOTAIRE. C'est fort bien fait à vous. Mais enfin sur quoi me les demandez-vous ? HURLUBRELU. Comment, sur quoi... Eh, pardine sur mes bras, sur mes épaules, sur ma tête même, comme vous voudrez. Ça n'est pas si lourd à porter. LE NOTAIRE. Oh ! Je crois bien que vous en porteriez davantage, mais encor quel titre avez-vous pour me les demander ? De quelle part? HURLUBRELU. Quiens, des titres et des parts, et pardine de la mienne. Je vous les ai donné, faut ben me les rendre, et avec les autes francs que ça a refait depuis encor : ah, dame, c'est que je savons les affaires, allez. LE NOTAIRE. Je ne vous comprends pas. Vous m'avez donné, dites-vous, six cent livres ? HURLUBRELU. Oui, Monsieur, y a six mois. LE NOTAIRE. Cela n'est pas vrai : je ne vous ai jamais vu. HURLUBRELU. Ma fine, je ne vous ai jamais vu non plus, moi. LE NOTAIRE. Eh ben donc, vous êtes un imposteur. Si vous ne m'avez jamais vu, vous ne pouvez pas m'avoir donné six cent livres. HURLUBRELU. Quiens, la belle malice ! Est-ce ma faute à moi si on ne vous voit pas : que Monsieur Jean, même, vote domestique, i m'a dit pus de vingt fois que vous n'y étiez jamais. LE NOTAIRE. Eh bien, en conséquence, si je n'y étais pas, vous ne m'avez rien donné. HURLUBRELU. Pardi, oui : des conséquences à st'heure; est ce que ça empêche, donc ? LE NOTAIRE. Mais il me semble que oui. HURLUBRELU. [Note : Prétintaille : Ornement de toilette en découpure qui se mettait sur les robes des femmes. [L]]Eh mais, non... Comme il est donc simpe ce notaire-là !... J'ai toujours donné les six cent livres à Monsieur Jean, et pis y m'a donné un billet comme quoi que vous me les rendriez quand je les voudrais avec les pertintailles.... quoi.... les intérêts de tout ça.... Comment que ça s'appelle? LE NOTAIRE. Ah, voilà qui devient différent : entendons-nous. Vous avez, dites-vous, remis six cent livres à Monsieur Jean, mon domestique ? HURLUBRELU. Tout juste, Monsieur, vous voyez ben, v'là que vous compernez. LE NOTAIRE. Oh, oui, très bien... et M. Jean vous a donné, lui un billet comme quoi je vous rendrais, moi, cet argent avec les intérêts ? HURLUBRELU. Eh ben oui, Monsieur, c'est ça même, nous y voilà. LE NOTAIRE. À merveille.... et avez-vous là ce billet de Monsieur Jean ? HURLUBRELU. Pardine, sans doute, Monsieur ; je ne viendrais pas sans ça ptête, comme un imbécile... Attendez... Où diable donc que je l'ai fouré à st'heure ?... Ah ! Le v'là. LE NOTAIRE, prenant le billet. Écoutez, mon ami, ce que j'ai à vous dire sur ce Monsieur Jean. HURLUBRELU. Oh ! C'était ben un joli garçon, un de mes pays même. LE NOTAIRE. Je vous en fais mon compliment... C'était un fripon qui me volait ; je m'en suis aperçu, et j'allais le mettre à la porte quand j'ai vu qu'il avait pris son parti de lui-même, et qu'il s'en était allé de chez moi sans attendre que je le lui dise. HURLUBRELU. Eh ben, c'est pas bête ça ; il a aussi ben fait. LE NOTAIRE. Oui... À présent lisons son billet. Il lit.Je soussigné reconnais devoir à mon ami Hurlubrelu.... HURLUBRELU, le saluant. Monsieur, ben de l'honneur. LE NOTAIRE, lisant. « La somme de six cent livres qu'il m'a prêté galamment, et que je lui rendrai lorsque je serai en pouvoir de le faire. À Paris, ce, etc. signé, Saint-Jean, domestique de Monsieur, etc, etc... Voilà qui est bien !» HURLUBRELU. Qu'est que vous chantez donc là, vous, Monsieur d'etcetera ? LE NOTAIRE. Je ne chante pas, moi, mon ami, c'est Monsieur Jean. HURLUBRELU. Comment, Monsieur Jean ! Et qu'est-ce qui a siné çà ? LE NOTAIRE. C'est Monsieur Jean. HURLUBRELU. Eh, qu'est-ce qui me payera ? LE NOTAIRE. Eh mais, par conséquent, Monsieur Jean. HURLUBRELU. Ah, le chien de Jean ! Que le diable l'emporte !... Me v'là ben, moi !... Et où ce que je vas le retrouver, moi, à présent, Monsieur Jean ? LE NOTAIRE. Ma foi, je n'en sais rien... C'est un gueux qui vous a volé aussi. Tâchez de savoir où il est : cherchez un Huissier, un Sergent ; et tâchez de le faire poursuivre... Adieu, mon enfaNt. Il rentre chez lui. SCÈNE XXIV. HURLUBRELU, seul. Là, confiez vous donc à quequezun à présent : v'là le Gascon, ce matin, qui m'attrapa douze cent livres de mon maîte, et pis v'là un aute Jean... de malheur là, qui m'en emporte six cent à moi... C'est égal, faut pas laisser ça là ; faut aller chercher un sergent, comme i dit le Notaire, et que je l'y fasse courir après. Il s'en va en courant. SCÈNE XXV. JAVOTTE, sort du cabaret avec le Gascon qui porte un panier plein de bouteilles. LE GARÇON, à Javotte. Écoutez, Mademoiselle Javotte, v'là tun beau moment pour vous: la fille de cheus nous sort ; si vous voulez entrer à sa place, je vous présenterai à note bourgeois, et i vous prendra tout de go... Depis le temps que vous me parlez de nous marier nous deux, ça devrait déjà être fini.... Avec vote Hurlubrelu... Vous voyez ben que ça ne peut pas prendre.... Un imbécile comme ça... queque vous en feriez ? JAVOTTE. Ah, dame ! J'entends ben... Mais je vous ai dit, j'ai six cent livres de son onque à toucher pour nous établir nous deux lui; en ontre 'il a une promesse de moi que je l'y ai signée comme il m'en a signé une autre aussi. LE GARÇON. V'la le diable... Ne fallait pas tant vous presser. JAVOTTE. Que voulez-vous : je ne suis pas à m'en repentir ; mais dame, ce qui est fait est fait. Si ce n'était ça, vous pensez bien qu'on est pas si affriandé d'un ahuri comme ça. SCÈNE XXVI. Les Susdits, Hurlubrelu, Un Soldat, venant de la rue. LE SOLDAT. En ben, veux-tu me laisser ; qu'est-ce que tu me ragotes ? HURLUBRELU. Oui, Monsieur, je vous en prie, Monsieur ; queu que ça vous fait, d'abord qu'on paiera ben, Monsieur... LE SOLDAT. Eh ! Je n'entends pas ce que tu me barbouilles. LE GARÇON, à Javotte. Oh, oh ! Le v'là ; qu'est-ce qu'il veut donc à ce soldat-là ? HURLUBRELU. Écoutez-moi donc, mon cher monsieur ; est ce que vous n'êtes pas Sergent, vous ? LE SOLDAT. Non pas : je ne suis que Caporal ; mais j'espère que je le serai bientôt, Sergent. HURLUBRELU. Hé ben, Monsieur, tout juste, c'est ça qui me faut. LE GARÇON. Eh ! C'est la Gerofflée, un de mes pays... Voyons un peu ce que c'est que ça... Il les salue.Bonjour donc, camarade. LE SOLDAT. Ah ! Bonjour, fillot. LE GARÇON. Serviteur, Monsieur Hurlubrelu. HURLUBRELU. Ah ! Vote très humble, Monsieur Nicolas... Est-ce que vous connaissez Monsieur ? LE GARÇON. Oui-dà. Je sommes amis ensemble même. Queque c'est qui ya ? HURLUBRELU. Ah, pardine, Monsieur, je vous en prie, engagez-le donc à me faire ce plaisir-là, vous. LE GARÇON. Je le veux ben ; quoique c'est ? JAVOTTE. Eh ben, Monsieur Hurlubrelu, et ces six cent livres ! Où qui sont donc ? HURLUBRELU. Eh ben, c'est justement ça qui retourne. C'est un coquin de Jean, du Notaire, à qui que je les avais remis pour me les placer à fonds perdus ; i me les a t'emporté. Et i m'a laisse tun billet que j'ai là, qui ne vaut rien même.... Et Monsieur le Notaire m'a conseille de chercher un Greffier, un Sergent ; que diable, sais-je moi... Et v'là que je trouve Monsieur, ainsi faut qui me courte après ben vite. LE SOLDAT. Comment, que je courre après ! HURLUBRELU. Oui ; i m'a dir qui fallait le faire poursuivre. LE GARÇON. Ah, diable ! Poursuivre !... Oui, un huissier pour l'actionner. Au Soldat.Eh ben, camarade, faut te charger de ç... Bas.Aides-nous à dégoiser ce nigaud là. LE SOLDAT. Bas à Nicolas.Bon, bon, j'entends. Haut.Eh ben, écoutez donc, mes enfants, je vois a présent de quoi il est question. D'abord, Monsieur, s'expliquait mal, mais à st'heure je suis au fait. HURLUBRELU. Ah ! C'est ben heureux... Vous consentez donc, Monsieur, à me mener ça, là comme il faut ? LE SOLDAT. Oui, oui, je me charge de tout, soyez tranquille. HURLUBRELU. Eh ben, Monsieur, faut se dépêcher ; car i n'y a pas de temps à perdre ; je ne sais seulement pas où il est sthomme-là. LE SOLDAT. Oh ! Laissez-moi faire, nous les rattraperons... Il faut d'abord commencer par me donner son billet, et puis de l'argent pour entamer la procédure. HURLUBRELU. Pour son billet, c'est ben aisé; le v'lá. Il lui donne.Mais pour de l'argent, j'en ai pas sus moi. LE SOLDAT. Dame, comment donc faire, le papier timbré ne se donne pourtant pas pour rien. LE GARÇON. Écoutez, camarade ; l'affaire d'Hurlubrelu m'intéresse et pour le mettre à même de la poursuivre, je vais lui prêter de l'argent, moi. HURLUBRELU. Ah, mon ami, Monsieur Nicolas !... Comment que je pourrais reconnaître ça ? LE GARÇON. Ne t'inquiètes pas, mon ami, je veux te le faire gagner : tu es dans la peine, et il faut s'aider les uns les autres. HURLUBRELU. C'est mordine ben pensé ça ! Vas, je m'en souvient drai de celle-là. LE GARÇON. Écoute, mon Bourgeois est un bon diable, et en attendant que tu sois placé, je te ferai faire quelque petit travail pour lui dans la cave, et quelques commissions au-dehors ; ça te rapportera toujours, et même pour commencer, tiens, voilà un panier de vin que j'allais porter ici près : tu n'as qu'à y aller pour moi. Je m'en vas rester avec Monsieur le Sergent et Mademoiselle, et nous allons entamer ton affaire pendant ce temps-là. HURLUBRELU. Ah, jarni ! Mon ami, c'est ben émaginé. Au Soldat.Monsieur, faites tout ce qu'il vous dira, je m'y accepte ; vous, Mamselle Javotte, attendez moi ici ; et toi, Nicolas, mets-moi le pagnier sus la tête. LE GARÇON, lui met le panier. Tiens, le v'là ; c'est la troisième porte cochère ci près, à main gauche en tournant la rue. HURLUBRELU. C'est bon, je vois çà d'ici ; c'est comme si y était ; va !... Allons, mes amis, je me recommande à vous, travaillez-moi ben ça. Il s'en va avec le panier sur la tête. SCÈNE XXVII. Le Soldat, Javotte, Le Garçon. LE SOLDAT. Voyons donc ce beau billet qu'on lui a fait là. Il lit.Je soussigné promets épouser Nicodème Hurlubrelu... Ah, parlasembleu, v'là une drôle de dette ! JAVOTTE. Ah, ciel ! Il s'est trompé de papier. C'est la promesse que je lui ai faite. LE GARÇON. Ah, ventrebille, comme c'est heureux ça ! I n'y a pus d'empêchement à note mariage. LE SOLDAT. Tenez, Mademoiselle, le billet est tiré sur vous. Voyez si vous voulez le laisser sur la place. JAVOTTE, le prenant. Ben obligé, Monsieur... I n'y a pus que l'article du testament de son oncle qui nous gêne. À Nicolas.Vous savez ben que je ne peux toucher les six cent livres qu'il m'a laissées qu'après avoir épousé storiginal d'Hurlubrelu : comment faire ? LE SOLDAT. Oh ! Je vous réponds de tout, moi. On entend le bruit des bouteilles qui tombent derrière le théâtre. LE GARÇON. Ah, le malheureux ! Il a cassé toutes mes bouteilles ! LE SOLDAT. Tant mieux : ne t'inquiètes pas, voilà son reste. JAVOTTE, regarde à la coulisse. Oh ! Oui, ma fine, c'est lui qui est tombé, car le v'là qu'il se ramasse. LE GARÇON. Voyez un peu cet animal-là comment il est maladroit ! Il est dit qu'il ne fera jamais rien comme il faut. SCÈNE XXVIII. LES SUSDITS; HURLUBRELU, le panier à la main. HURLUBRELU. Serpedié ! C'est être ben malheureux toujours ! LE GARÇON. Eh ben, queu miraque que t'as encor fait là ? HURLUBRELU. Oui des miracles ! Vos chiennes de rues qui sont glissantes comme tout. LE GARÇON. Tu as laissé tombé mon vin, donc ? HURLUBRELU. Eh non, c'est pas le vin, c'est le panier qui a tombé, et pis le contre-coup... Dont je m'en suis démanché les reins aussi moi. LE GARÇON. Ah, miséricorde ! Nous v'là ben avancé ! Du vin de Bourgogne à quarante sous la bouteille ; m'en v'là pour vingt-quatre liv... Où diable les prendre à présent. HURLUBRELU. Ah, jarni ! Je peux ben dire que v'là une terribe journée pour moi ! Monsieur le Sergent ne m'abandonnez pas, s'il vous plaît. LE SOLDAT. N'aie pas peur, mon ami, je te prends sous ma protection. Monsieur Nicolas, je paye le vin, moi. HURLUBRELU. C'est-ti possibe, Monsieur ? LE SOLDAT. Oui, mon enfant... Au Garçon.Comben faut-il? LE GARÇON. Eh ben, dame ! Je vous le dis: douze bouteilles à quarante sous, c'est ben vingt-quatre francs. LE SOLDAT, les lui donne. Le v'là. HURLUBRELU, sautant après le Soldat. Eh mais, mon Dieu, Monsieur ! Queu bonté ! Queu générosité !... Et dessus quoi donc que vous reprendrez tout ça ? LE SOLDAT. Tranquillisez-vous : n'avons-nous pas votre billet de six cent livres ? Vous m'allez donner un pouvoir pour agir en votre nom, et un consentement pour que je retienne les avances que je vous fais. Il écrit. HURLUBRELU. Comment donc ! C'est trop juste, ça ! Je suis pardine ben heureux d'avoir trouvé sthonnête homme là ! LE SOLDAT, écrivant. Savez-vous signer ? HURLUBRELU. Oui, Monsieur, par bonheur ; c'est tout ce que j'ai pu retenir dans l'écriture : c'est encore ben heureux ça, pas vrai. LE SOLDAT. Oui, et c'est tout juste ce qu'il nous faut dans ce moment-ci... Signez donc. HURLUBRELU, signe. Le v'là, Monsieur, et tout du long encor ! Et avec les qualites mêmes. Jean-Gilles-Nicodème Hurlubrelu. LE SOLDAT. Bon, cela suffit... Tiens, mon ami, vingt quatre livres que j'ai donné pour le vin, et six livres que voilà.... Prends les donc. HURLUBRELU, les prenant. Grand merci, Monsieur : ça me portera bonheur, stargent-là. Il le baise.C'est le premier que je magne d'aujourd'hui. Il le serre dans sa poche. LE SOLDAT. Cela fait tout juste la somme de dix écus que je t'avance au nom de la Loi. HURLUBRELU, retirant les six livres de sa poche. Au nom de la Loi !... Oh ! Je m'en dédis, Monsieur ; c'est une créancière trop noble pour moi, ça. LE SOLDAT. Allons donc, tu fais l'enfant. Eh, morbleu ! Mon ami, pour t'acquitter avec elle, ne te faut qu'une heure de bataille. HURLUBRELU. Comment, Monsieur, des batailles ! Oh ! Je n'avons pas l'esprit à la dispute, nous ! Je n'aimons pas à nous battre. JAVOTTE. Quoi ! Monsieur ; est-ce que vous auriez engagé ce pauvre garçon ? LE GARÇON. Ah ! La Géroflée, c'est pas ça que je te demandions. HURLUBRELU, se jetant à ses pieds. Et mais, Monsieur, queuque vous feriez de moi à wore guerre ? Moi qu'a déjà une si mauvaise tête, et dans vos régiments qu'on dit qu'on leus y casse ! Ça ne serait pas pour me la raccommoder, dame ! LE SOLDAT. Comment, ventrebleu ! Tu crains pour ta tête, et tu veux te marier ! HURLUBRELU. Ah, c'est ben différent çà ! Elle ne risque rien de ce côté-là la tête. LE SOLDAT. Oh ! Je dis... du moins le danger est d'un autre genre. Les hasards de la guerre la diminuent la tête, et ceux du mariage l'augmentent ; voilà la différence... Mais rassure-toi ; vas, tu n'es pas engagé, je ne t'ai pas fait soldat, tu n'en es pas digne : il faut une bonne tête pour conduire un bon bras, et nous avons en France assez de bons sujets, et de bonne volonté, sans en prendre un mauvais comme coi, et malgré lui. HURLUBRELU, piqué. Diantre ! Comme vous méprisez le monde ! Parce qu'on est un peu étourdi ; ça ne compromer rien ça ; mais c'est égal : si je ne suis pas racolé, qu'est-ce donc que j'ai siné là ? LE SOLDAT. Oh ! Tu as signé ce que l'on devait raisonnablement exiger de toi ; c'est une permission que tu donnes à Mademoiselle de toucher les six cent livres de ton oncle avant de t'épouser. LE GARÇON. Ah ! À la bonne heure; ça, c'est naturel. HURLUBRELU. Quiens ! La belle attrappe : si elle touche l'argent avant, faudra toujours ben qu'elle m'épouse après. J'ai-ti pas là sa promesse, en écriture encore. JAVOTTE. Oui, Monsieur Hurlubrelu, vous l'aviez ; mais votre bonne tête vous a encore trompé là-dedans. La voilà que vous venez de rendre au lieu du billet de votre bon ami Monsieur Jean. HURLUBRELU. Ah ! le diable de Jean, le v'là encor lá !... Sarpediè ! Comme ste tête là m'en joue donc des tours !... Allons, c'est égal. Ça sera du moins le dernier d'aujourd'hui... Et même ça me fait faire une aute réflexion ; aussi ben i faut faire une fin. Au soldat.Monsieur, j'ai vos reproches-là sus le coeur ! Appernez que n'y a pas ici de mauvais sujets, ni des gens malgré eux non pus. J'ai t'employé vos dix écus de la Loi ; vous me l'avez proposé pour créancière, et je m'y accorde ; et ce que vous avez fait là tout-à-l'heure pour une frime, je veux que ça soye du tout de bon, moi. LE SOLDAT. Est-il possible ! Comment, mon ami, tu aurais le coeur de vouloir être soldat ? HURLUBRELU. Oui, Monsieur, je l'avons. LE GARÇON. Ah, mon ami ! Je ne souffrirai pas que ce soit ces dix écus là qui t'engagent, au moins : il n'est pas juste que tu perdes tout ; la Géroflée ? V'là les vingt-quatre livres. Je payerai le vin, moi. HURLUBRELU, décidé. Et moi je ne le veux pas. V'là mon dernier mot... Sans avoir de l'esprit, je vois ben que Mamselle Javotte ne m'aime pas, et qu'elle te veux ben, toi. Nicolas ; par ainsi, c'est pas encor mon tour : épouse-la, j'y consens, et garde ton argent pour la noce.... Mais à condition que tu seras un bon mari, qu'elle sera une bonne femme ; et que vous direz queque fois de moi que je suis un bon garçon aussi. LE CABARETIER, lui sautant au cou. Ah, mon ami ! Mon cher ami! JAVOTTE, l'embrasse. Mon cher Hurlubrelu ! LE SOLDAT, de même. Mon camarade.... Vas, je commence à bien espérer de toi. HURLUBRELU, au soldat. Oui, Monsieur, c'est vrai, que je n'avons pas eu jusqu'à présent une bonne cervelle ; mais du moins j'avons un bon coeur, je suis bon Français, j'allons servit la République, et jarni ! Ptête qu'à la fin tout ça me fera revenir une bonne tête. ==================================================