******************************************************** DC.Title = LA PUCELLE D'ORLÉANS, TRAGÉDIE. DC.Author = AUBIGNAC, Abbé d' DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 22/06/2022 à 06:08:43. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/AUBIGNAC_PUCELLE.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k711974 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LA PUCELLE D'ORLÉANS TRAGÉDIE M. DC. XXXXII. AVEC PRIVILÈGE DU ROI À PARIS, Chez ANTHOINE DE SOMMAV1LLE, en la Galerie des Merciers, à l'Écu de France, chez AUGUSTIN COURBÉ, en la même Galerie, à la Palme. Au Palais.Achevé d'imprimer le quinzième jour de Mai 1642. PERSONNAGES L'ANGE. JEANNE D'ARC, dite la Pucelle d'Orléans. LE DUC DE SOMMERSET. LE COMTE DE VARVIC. JEAN DE TALBOT, Baron de Salopie. CANCHON. MIDE. DESTIVET. LA COMTESSE DE VARVIC. DALINDE, sa confidente. [ARONTE, Gentilhomme du Comte de Varwick.] GARDES. SOLDATS. PEUPLE. La Scène est dans la cour du Château de Rouen ACTE I SCÈNE I. L'Ange, La Pucelle. Le Ciel s'ouvre par un grand éclair, et l'Ange paraît. L'ANGE. Sainte fille du Ciel, Pucelle incomparable, De ton Prince affligé le secours adorable, Quitte pour un moment la charge de tes fers,Et sors par ma faveur de tes cachots ouverts,Viens apprendre de moi ma dernière assistance Et de ton sort heureux la plus belle ordonnanceDans les tristes horreurs de cette épaisse nuitVois ce long trait de feu qui vers moi te conduit,Marche, marche et béni l'éclair que je t'envoiePour tracer à tes pieds une agréable voie. LA PUCELLE. Quels nouveaux sentiments d'un céleste bonheurM'ouvrent l'âme et les sens à la voix du Seigneur ?Ha j'entends et je vois son divin interprèteQui me va déclarer sa volonté secrète. L'ANGE. Écoute seulement, et ne t'étonne pas ; Par les ordres du Ciel, au milieu des combats.J'ai soutenu ta force et conduit ton épéeContre les oppresseurs de la France usurpée,En prison, sur ta vie et contre ton reposLe conseil des méchants a fait de vains complots, J'ai mis ton innocence au dessus de leur rage,Et je me trouve au bout de mon illustre ouvrage :Mais il me reste encore au point où je te voisÀ te fortifier toi-même contre toi,Dieu voulant de ton sort te rendre la maîtresse Ordonne à ma vertu d'appuyer ta faiblesse,Et de porter ton coeur à de hauts mouvementsAu delà de ta force et de tes sentiments.Ce fut pour obéir à la toute puissanceQue ma main t'éleva d'une basse naissance, Appliquant ton courage à ces nobles emploisOu ton bras généreux par tant de grands exploitsDe Charles ruiné rétablit les affaires,Et le fit remonter au trône de ses pères :File et simple bergère, on te vit d'un grand coeur Faire craindre partout ce Monarque vainqueur,Et traîner après toi l'honneur et la victoireDépouillant de lauriers tout le champ de la gloirePar des faits inouïs merveilleux en leur coursQu'on ne croira jamais et qu'on lira toujours. Tu n'as plus maintenant de monarque à défendre,De bataille à gagner, ni de ville à reprendre,Et tout ce qui te reste en ce dernier effortC'est de paraître ferme et voir venir la mort.Elle vient, elle accourt, et par cette journée Ta prison se termine et ta vie est bornée. LA PUCELLE. Que Dieu fasse de moi tout ce qu'il en résout,J'adore ses décrets, et je suis prête à tout. L'ANGE. Fille heureuse et sans prix, qui malgré tant d'obstaclesAs fait du Dieu vivant les célèbres miracles, J'apporte de tes maux l'entière guérisonEt pour t'ouvrir le Ciel je t'ouvre la prison.En cet endroit fatal tu seras condamnée,Et dans ce même endroit tu feras couronnée,Contre toi l'injustice élèvera son bras, Elle t'outragera, mais tu la confondrasSoutiendra ta pensée et conduira ta voix.Et ta sainte innocence avant que l'on l'opprime.Même en son tribunal fera trembler le crime :Tu n'appréhenderas supplice, ni tourment Si tu connais la main qui rompt dans un moment.En dépit des méchants, tes prisons criminelles,Puisqu'elle peut sur eux ce qu'elle a fait sur elles ;Oui, tu leur jetteras la honte sur le frontEt tu les jugeras quand ils te jugeront. Songeant à leur fureur ne craint point ta faiblesse,Car si dans le besoin l'éloquence te laisse,Là mon heureux secours éprouvé tant de foisOù si dans mes faveurs tu manques de refugesEt que t'abandonnant au pouvoir de tes juges. Mon secours au dehors te quitte désormais,Souffre l'ordre d'en haut, ne murmure jamais,Puisqu'elle vient du Ciel laisse choir la tempête,Ton âme ira d'un vol et plus noble et plus prompt,Elle en sera plus grande et ses forces croîtront. En ce coup généreux d'esprit et de courageOn verra triompher et ton sexe et ton âge,La mort t'apparaîtra sous le masque trompeurDont elle se déguise afin de faire peur,Tu l'envisageras sans que ton coeur frémisse, C'est la même à la guerre, et la même au supplice,Et celle que tu vis au milieu des combatsDans ce martyre saint ne dégénère pas.Et toute généreuse ira jusqu'à la fin.Nos lâches ennemis que tu combles d'envie Attendent que ta mort fasse honte à ta vie,Mais ta noble vertu souffrira son destin,Et toute généreuse ira jusqu'à la fin.Donc pour te disposer, puisque Dieu le commandeÀ ce dernier combat dont la palme est si grande, Et si fort importante à quiconque est vainqueur,Par tes yeux à ta peine accoutume ton coeurEn voilà dans les airs une image tracée,Occupe là-dessus tes yeux et ta pensée, Ici paraîtra en perspective une femme dans un feu allumé, et une foule de peuple à l'entour d'elle.Et lisant dans ce vague où ton sort est écrit, Renforce ta vigueur, ranime ton esprit,Vois le brillant tableau du funeste suppliceQu'à ta sainte vertu prépare l'injustice,Il te faudra franchir ces brasiers que voilàEt pour aller au Ciel tu passeras par là ; Vois la foule d'un peuple autour d'une innocenteQui dans l'ardeur des feux demeure si constante,Tache de limiter jusqu'à son moindre trait,Et que l'original soit digne du portrait. LA PUCELLE. Flammes, je veux souffrir votre ardeur violente, Ha qu'en me consommant vous me rendrez brillante,Mon âme fera voir contre vos traits puissantsMa résolution plus forte que mes sens. L'ANGE. Va, poursuis, je te laiSSe, ô fille trop heureuse,Par dessus tout le sexe, et forte, et courageuse, Je remets ta conduite à ta seule vertu,Et reprends le sentier que j'ai tantôt battu,Regarde en m'en allant où la gloire séjourne,Tu t'en iras bientôt par où je m'en retourne,Afin d'y recevoir une félicité Rayonnante d'honneur et d'immortalité. SCÈNE II. Un Garde, La Pucelle. UN GARDE entrant et demeurant étonné. D'où vient ce grand éclat ? LA PUCELLE. Ô belle et sainte voieQui mène au clair séjour de l'éternelle joie,Que je m'élèverais d'un vol doux, et plaisant,Et que le corps à l'âme est un fardeau pesant. Je suis prête à te suivre, ô bienheureux génie,Sacré consolateur de ma peine infinie,Illumine mon coeur par le zèle aveuglé,Et que ma passion n'ait rien que de réglé,Donne moi de la force en ces vives atteintes Et soutiens mes désirs aussi bien que mes craintes,Achève promptement ces dangereux combatsPuisque mon bien dépend de hâter mon trépas. LE GARDE. Quelle grande clarté. Mais dieu quelle ombre obscure ! Tout s'évanouit.La sorcière peut bien causer cette aventure, Et se voulant soustraire à la garde de tousFaire ce jour pour elle, et cette nuit pour nousHa ! Je la tiens. SCÈNE III. LE COMTE DE VARVIC. Quoi ? Qu'est-ce ? LE GARDE. Elle était échappée,Et c'est heureusement que je l'ai rattrapée,La force de son art avait eu le pouvoir Que sans se faire ouïr et sans se faire voirQuoi que bien éveillé chacun fit garde aux portes,Seule elle avait rompu ses chaînes les plus fortes. LE COMTE. Laisse moi seul ici, retire toi plus loin,Je te rappellerai s'il en est de besoin LE GARDE. Je vous dois obéir en serviteur fidèle,Mais ses charmes sont forts, ayez bien l'oeil frêle. SCÈNE IV. Le Comte de Varvic, La Pucelle. LE COMTE. Vous verrai-je toujours au point où je vous vois ?Faudra-t-il que toujours vous doutiez de ma foi,Et que la passion dont mon coeur vous respecte Vous soit tout à la fois inutile et suspecte ?Pourquoi vous engager à tant de vains effortsSi vous avez dessein de vous mettre dehors ?On peut rompre aisément vos pratiques secrètes,Et trop de gens ont l'oeil sur tout ce que vous faites. Sortez-vous du château pour forcer la prison ?La liberté vous plaît et non pas sans raison,Pour vous la faire avoir j'y puis plus que personne,Si vous la désirez, hé que je vous la donne,Éprouvez s'il vous plaît en cette occasion L'effet de mon crédit et de ma passion. LA PUCELLE. Comte, ces grands exploits où tant de gloire brilleQuoi que miens ne sont pas l'ouvrage d'une filleEt cette liberté que tu m'offres ici,Des hommes ne peut pas être l'ouvrage aussi. Celui-là qui m'éprouve avecque l'esclavageAutant de fois qu'il veut m'en tire et me soulage,Il applique un remède aux maux que j'ai soufferts,Et quand j'en ai besoin c'est lui qui rompt mes fers.Mon ange bienheureux m'a lui-même amenée Pour m'apprendre qu'ici je serai condamnée,Ici dans ce lieu même, et dans ce même jour,Et toi-même, ouï toi qui me parles d'amour,Et qui passionné m'offres de vains refuges,Toi-même encore un coup seras un de mes juges, Assez tendre il est vrai pour me vouloir du bien,Pour déplorer l'état d'un sort comme le mien,Et pour n'approuver pas ma mort illégitime,Mais trop lâche en effet pour résister au crime. LE COMTE. Que vous me faites tort et que vous m'outragez, Ne jugez pas de moi comme vous en jugez,Acceptez le secours que vous voyez paraître,Étant de ce Château le Seigneur et le maitre,.Seul pour votre salut je pourrai plus que tous,Faites un peu pour moi, je serai tout pour vous. Au reste mon amour vous est assez connue,Vous avez vu cent fois mon âme toute nue,Et cent fois en feignant de vous interrogerJe ne vous ai parlé que pour me soulager,En vous faisant un don de mon âme asservie J'ai remis en vos mains mes trésors et ma vie.Mais pour vous témoigner que j'ai tout fait exprèsN'ai-je pas fait entrer dedans vos intérêtsCe généreux Talbot, ce courage invincibleQui pour votre salut tenterait l'impossible ? N'ai-je pas retardé l'arrêt de votre mortPour trouver un moyen de vous conduire au port ?Ha ! Je brûle pour vous d'une amour toute extrême,Et l'on n'aima jamais de l'air dont je vous aime. LA PUCELLE. Tu m'aimes je le sais, si ton intention Est de me témoigner qu'elle est ta passion,Ne m'en assure point en des termes frivoles,Je la vois dans ton coeur mieux que dans tes paroles,C'est à dire je vois plutôt ce mouvementEn son impureté qu'en son déguisement Tu m'aimes je le fais, ton âme se consume,Mais d'un feu qui fait honte à celle qui l'allume,Puisqu'il souffre un espoir lâchement combattuEt que je vois qu'il dure auprès de ma vertu.Vois, Comte, à quel excès ton procédé m'offense ; Tu n'as pu me juger de publique sentenceSous le nom de sorcière, tu n'as pu hautementAu sentiment commun joindre ton sentiment,Et tu m'as bien traitée avec plus d'infamie,Et tu m'as bien traitée en mortelle ennemie Quand ce coupable coeur que tu me veux cacherM'a jugée en secret capable de pêcher.Il me semble en effet que ta main me poignardeQuand je te considère et que je me regarde. - Charles m'a vu brillante au milieu de sa Cour Où cent jeunes Seigneurs ne songeaient qu'à l'amour,Sans que le plus hardi de la feule penséeEn voyant ma vertu lait jamais offensée.J'ai vécu dans le camp parmi cent escadrons,Et là ma pureté n'a point reçu d'affronts ; [Note : Dunois, Jean de (1403-1468) et Xaintrailles, Jean Ponton de (1390-1461) : compagnons d'armes de Jeanne d'Arc.]Cet illustre Dunois, ce généreux Xaintrailles,[Note : La Hire : Etienne de Vignolle dit (1390-1443) et Baudricourt, Robert de (13??-1454) Compagnon d'armes de Jeanne d'Arc.]La Hire et Baudricourt, vrais foudres des batailles,Et tant d'autres encor que tant de gloire fait,Seuls en leurs pavillons dans de la nuitÀ la guerre où l'on voit la licence effrontée, N'ont point eu de penser qui ne m'ait respectée,Ils m'ont toujours chérie et de l'âme et du coeur,Et mon honnêteté leur a toujours fait peur.Je me glorifierais d'un visage incapableDe faire des méchants, si tu n'étais coupable, Mais de ce que j'impute à ma feinte beautéJ'en dois remercier leur générositéQui n'a pu faire outrage à la chaste innocenceD'une fille où le ciel avait mis leur défense,C'est à ta lâcheté d'en violer les lois, Et ton crime vraiment est digne d'un Anglais ;Quelque affront si cruel que ton amour me fasse,Je n'en devais jamais attendre plus de grâce,Et je puis voir sans honte et sans étonnementQu'un de mes ennemis m'aime imparfaitement. LE COMTE. Ô le reproche indigne ! Ô la fière constance !Ô de tant de respect l'ingrate récompense !Hé quoi vous obliger est-ce vous faire tort ?Ce n'est qu'en vous servant que paraît mon transport,Vous ne voyez ce feu qui vous met en colère Qu'au travers du plaisir que je tache à vous faireVoulant comme je veux vous tirer de prison,Si je n'ai point de tort, vous n'avez pas raison,Aimer votre beauté c'est s'éloigner du crime,Et la servir lui rendre un devoir légitime. LA PUCELLE. Quoi tu prétends couvrir sous tant de feints discoursUn coeur qui veut pécher et qui pêche toujours ?Tu fais trop à quel point ta passion m'offenseEt je ne parle à toi qu'après ta conscience.Ton amour il est vrai montre quelque amitié, Tu me vois malheureuse, et je te fais pitié,Ce feu quoi que méchant n'a pas tant de fuméeQu'il ne t'éclaire à voir que je suis opprimée,Et tu le publierais si tu n'avais point peurQu'une belle action fit tort à ta grandeur Aussi comme ton coeur répugne à mon suppliceDu crime de ma mort plus scrupuleux complice,Possible méritant un moindre châtimentLe regret de ma mort fera tout fon tourment,Possible un droit plus fort que l'injustice humaine De ton propre péché fera ta propre peine.Va meurs donc en repos comme d'autres mortelsEt non pas en fureur comme les criminels. LE COMTE. À ce funeste coup je vous vois préparéeComme si votre affaire était désespérée, Mais je vous jure bien que depuis votre arrêtOn n'a rien pratiqué contre votre intérêt. LA PUCELLE. Rien ? Sans que je m'amuse à te le faire entendreLe Duc, et Destivet s'en vont bien te l'apprendre. SCÈNE V. LE Duc de Sommerset, Destivet, Le Comte de Varvic, La Pucelle, Le Garde. LE DUC DE SOMMERSET. Comte, quel est son art apprenez m'en le nom, Soutenez vous encor le parti du démon ? LE COMTE. Qu'est-ce ? Et qu'a telle fait ? LE DUC. Charmer les yeux d'un garde,Éblouir, aveugler de peur qu'on la regarde,Disposer à son gré du jour et de la nuit,Forcer une prison, rompre des fers sans bruit, Ne prouve pas assez l'exécrable commerceQu'avecque tout l'enfer cette sorcière exerce ? LE COMTE. Est-ce donc qu'on l'accuse, et qu'il est de besoinQu'en l'accusation je sois un faux témoin ? LE GARDE. J'ai dit ce que j'ai vu. LE COMTE. Seigneur, le faut-il croire Ce grand bruit de magie, et la nuit un peu noireOnt pu troubler ses sens comme arrêter ses pasEt lui faire rêver tout ce qui n'était pas :Les esprits un peu forts ne s'arrêteront guèreAux sottes visions de ces âmes vulgaires, Pour moi je n'ai rien vu, qu'on ne prétende pointForcer ma conscience à mentir sur ce point,Et que malicieuse en soi-même elle inventeMille fantômes noirs contre cette innocente. LE DUC. Innocente ? LE COMTE. Il paraît en effet qu'elle l'est. LE DUC. Vous ne serez pas seul à faire son arrêt.Garde, conserve bien cet objet de nos haines,[Note : Remener : Mener, conduire une personne, un animal au lieu d'où on l'avait amené. [L]]Remenez l'innocente, et la chargez de chaînesJusqu'à tant que l'affaire ait un succès parfait. LE GARDE. Je n'en saurais répondre après ce qu'elle a fait. LA PUCELLE. Va, va je te réponds moi-même de moi-même,Et ne veux plus tromper ta vigilance extrême,Comme l'ordre du Ciel a fait ma libertéMon propre mouvement fait ma captivité.Le sacré directeur qui prend soin de ma vie Me dégageant des fers où j'étais asservieA rompu ma prison pour offrir à mes yeuxLa résolution écrite dans les CieuxEt vous m'y renvoyez de l'endroit où nous hommesAfin de me cacher la volonté des hommes ; Mais vous n'avancez et rien quoi que vous essayez,[Note : Devant : Il exprime un rapport d'antériorité dans le temps, auparavant. [L]]Puisque je la connais devant que vous l'ayez. SCÈNE VI. Le Duc de Sommerset, le Comte de Varvic, Destivet. LE DUC DE SOMMERSET. Comte, vous faites trop pour cette misérable. LE COMTE. Faire pour l'inocence est une oeuvre louable[.] LE DUC. Un autre sentiment vous fait-il point agir ? N'en faites pas le fin, et gardez de rougir,On dit qu'elle n'est pas l'objet de votre haine,Et qu'à l'interroger vous prenez trop de peine,Vous la pressez beaucoup, et nous promettez bienDe nous découvrir tout, mais vous n'en faites rien, Et vous nous en parlez dans une impatienceDe la justifier qui tire à conséquence.Prenez-y garde, Comte, oubliez ce transportQui ne vous met pas bien dans l'esprit de Bethfort. LE COMTE. Mon âme en son devoir demeure confirmée Encore qu'elle plaigne une sainte opprimée. LE DUC. Donnez à cette infâme une autre qualité,Et retenez un peu votre esprit emporté.Quand obéirons nous au mandement célesteQui veut qu'on extermine une fatale peste ? Attendrons nous qu'elle aille au milieu des FrançaisRamener sur nos bras ce dangereux Dunois ?Orléans, Fargeau, Melun, ses villes reconquisesNous feraient redouter ses moindres entreprises ;[Note : La Bataille de Patay eut lieu le 18 juin 1429 et vit la victoire des Français sur les Anglais. Patay se situe entre Chateaudun et Orléans.]Quoi les champs de Pat[a]y funestes aux Anglais Boiront-ils notre sang une seconde fois ?Faut-il à notre honte ajouter cette marqueQu'elle empêche Paris de voir notre Monarque,Elle qui devant nous nos efforts étants vainsMena sacrer son Roi dans la Ville de Reims ? Je veux qu'à ce malheur mon courage s'oppose,Ne le pas empêcher en être la cause,De l'État et de nous chassons ce mal bien loin. Il parle à Destivet.Vous, brave Chevalier, apportez y du soin,Mais je vais travailler au bien de l'Angleterre, Allez faire assembler tout le Conseil de guerre,Suffisamment instruis de ce fait signaléCelui de nos prélats n'y sera plus mêlé ;Qu'elle fit devant tous condamnée et punie,Il y faut apporter cette cérémonie Comme un long témoignage à la postéritéEt de son insolence, et de notre équité. DESTIVET. Ravi de ce dessein j'y cours en diligence. LE DUC. Comte, vous y devez aussi votre présence,Et l'on attend beaucoup de votre jugement Pour l'État et pour vous. LE COMTE. N'en doutez nullement. SCÈNE VII. LE COMTE DE VARVIC, seul. Quoi tu crois que je l'aime, et tu prétends encoreQue je forme un supplice à celle que j'adore,Tu veux que je la juge avec tant de rigueur,Tu veux que mon esprit assassine mon coeur ; Tu fais tout pour sa mort, c'est toute ton envie,.Et je veux aujourd'hui faire tout pour sa vie.Oui, mon coeur, ose tout avecque tant d'amour,Rends lui sa liberté, conserve lui le jour,[Note : L'occasion est chauve : il est difficile de la bien saisir. [L]]Hâte-toi tu le peux, l'occasion est chauve. Que tout puisse périr pourvu que je la sauve. Mais quand je l'aurai mise entre les bras des siensAi-je pour la fléchir de plus heureux moyens ?Si je n'ai rien gagné l'ayant en ma puissance,Quand elle en sortira j'aurai moins d'espérance Ce fera seulement par cette inventionRenforcer sa pudeur contre ma passion. Il rêve un peu.Un autre sentiment dans ma pensée arrive ;Qu'elle passe en Guyenne, et là que je la suive.Mais serons nous tous deux moins tourmentés aussi Des Anglais de Bordeaux que des Anglois d'ici ? Il rêve un peuDe mille soins divers l'embarras me surmonte.Holà ! Qu'un de mes gens fasse venir Aronte,Un bon expédient m'est venu dans l'espritQu'il exécutera quand je l'aurai prescrit. SCÈNE VIII. Aronte, Le Comte. ARONTE. Seigneur, vous puis-je rendre[...] LE COMTE. Un service fidèle ;Le Duc a résolu la mort de la Pucelle,C'est résoudre la mienne, en cette extrémitéVoici ce que j'ordonne à ta fidélité.Pour l'Ecosse aujourd'hui tu quittes ce rivage, Et tu prends mon vaisseau pour faire ton voyage,Fais donc avec adresse approcher ce vaisseauTout contre le jardin qui regarde sur l'eau, Puis viens secrètement à la petite porte,Par un garde affidé je prétends faire en sorte D'y mener la Pucelle et la faire venir Comme si ce n'était que pour l'entretenir,Ce garde pourra bien te prêter assistanceEn cas que mon ingrate use de résistance,Mets là dans ce vaisseau puis quand tu la tiendras Conduis-la sûrement au lieu même où tu vas,Et là j'irai trouver ce miracle des belles Quand mon impatience aura de tes nouvelles. ARONTE. Je suis prêt à tout faire en toute occasion.Mais si l'on vous convainc de cette évasion ? LE COMTE. Je la veux délivrer de ce péril funeste,Sauvons là seulement nous penserons au reste,Et puis l'on peut donner cette fuite au hasardOù plutôt l'imputer aux effets de son artQui fait quand elle veut et l'ombre et la lumière Et le peuple m'excuse en l'avouant sorcière. ARONTE. Conduisez votre affaire avec dextérité,Et soyez en repos sur ma fidélité ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. LA COMTESSE DE VARVIC. Dalinde, ils n'y sont plus, nous les verrions paraître,Où par quelque trait noir la sorcière peut-être Le cajole à nos yeux, le tient entre ses brasQue nous n'en voyons rien, où ne l'entendons pas,Ne les vois-tu point ? DALINDE. Non, mais je sais d'assuranceQu'ils ont eu dans ce lieu fort longue conférence.Aussi dans le jardin vous avez fait un tour Qu'il fallait bien plutôt faire dans cette cour. LA COMTESSE. Mais y sont-ils venus ? DALINDE. N'en doutez point, Madame,Et croyez que le Comte avec toute fa flammeNe laisse pas pourtant d'être bien avisé,Craignant encore un coup de se voir exposé À souffrir ou reproche, ou censure nouvelleIl a de bon matin fait rentrer la PucelleEt lui-même est rentré de peur que le grand jourEn cette occasion ne trahit son amour. LA COMTESSE. Il n'est pas messéant que l'ombre son amie Couvre ma propre injure et sa propre infamieÔ Ciel qui dois fournir le secours que j'attends,Faudra-t-il que je souffre encore bien longtemps !Et verras-tu sans cesse une âme déloyaleManquer impunément à la foi conjugale ! De mon lit innocent les innocents plaisirsNe font que rebuter ses infâmes désirs.Aimer son ennemie au mépris de sa femme,Mais de quelques douceurs qu'elle flatte son âme,N'en doit-il pas tout craindre en vivant sous les lois, Elle est toujours Française, et lui toujours AnglaisLes baisers qu'elle donne à sa brutale envieSont des partis secrets formés contre sa vie,Ses caresses, ses ris, ses jeux désordonnés,Et ses plus doux regards sont traits empoisonnés. Une fille perdue et d'abjecte naissance,Une simple bergère avoir tant de puissance,Mais que n'est-elle sage et d'illustre maisonEnfin que n'ai-je tort et que n'a-t'il raison.Oui, je souhaiterais pour l'intérêt du Comte Qu'elle eut plus de mérite et qu'il eut moins de honte,J'aiderais volontiers moi-même à me trahir,En elle il n'aime rien que ce qu'on doit haïr,Il prise des attraits que l'Enfer lui procure,Et chérit seulement ce qui la défigure. DALINDE. Il montre en vous quittant qu'il est ensorceléEt que dans son amour le Démon s'est mêlé :Elle n'a point les traits dont vous êtes pourvue. LA COMTESSE. Dalinde, je le pense et c'est ce qui me tue.S'il se pouvait gagner par la seule beauté Je croirais l'emporter sans trop de vanité,Avec assez de soin le Ciel fit mon visage,Mais celle-ci qui met tout l'Enfer en usageA mille faux appas dont elle le surprendEt m'en ôte possible à l'heure qu'elle en prend. Même elle me fait peur, j'en sens mon âme émueEt j'ai peine à le voir quand je fais qu'il l'a vueTant j'ai sujet de craindre avec juste raisonQu'elle n'ait dans ses yeux coulé quelque poison,Je tremble s'il me touche et tout mon sang se gèle, Je le crois tout en fer quand il vient d'auprès d'elle,Et je ne pense voir que venins, que serpents,À longs plis tortueux autour de moi rampants.Souriras-tu sans cesse, ô femme infortunée !Ha ! Que n'étais-je ici quand on l'a condamnée, Le Baron de Talbot, et mon ingrat épouxN'auraient pas fait pour elle un châtiment si doux,J'aurais pressé la mort de cette criminelle,Soulevé tout le peuple et les soldats contre elle,Fit Bethfort qui gouverne en titre de régent Aurait donné sous-main d'autres sommes d'argentDont signant me servir pour appuyer sa ligueJ'aurais adroitement soutenu mon intrigue.Lâcheté de mon sexe, à quoi me réduis-tu !Où plutôt incommode et fâcheuse vertu, Qui ne me permets pas d'aller punir la fauteEt de manger son coeur pour celui qu'elle m'ôte ! DALINDE. Jusqu'ici votre esprit a paru très discretA ressentir ce mal et le tenir secret,Ne le divulguez pas, Madame, et prenez garde Que vous vous emportez et que l'on vous regarde. SCÈNE II. Le Baron de Talbot, Canchon, Mide, La Comtesse de Varvic, Dalinde. CANCHON. Enfin pour la punir de ses honteux excèsLa sorcière nous force à revoir son procèsEt l'effort qu'elle a fait pour se voir dégagéeNous oblige à presser... LA COMTESSE. Comment, cette enragée A commis en prison quelque forfait nouveau ? MIDE. Quand elle n'aurait fait qu'envoyer au tombeauTant de coeurs généreux, et tant d'hommes utiles,Quand elle n'aurait fait que reprendre nos villesPar un art au dessus de tout humain pouvoir C'est trop peu que la mort pour un acte si noir. LA COMTESSE. Mais a-t-elle fait plus ? CANCHON. Sans bruit, sans violenceElle a rompu ses fers. LA COMTESSE. Grand Dieu qu'elle insolence !Et qu'a-t-elle allégué pour couvrir ses desseins ? CANCHON. Des chimères en l'air, des Anges, et des Saints. LA COMTESSE. Ses juges ont grand tort. CANCHON. Pour moi, je n'ai pu taireQu'au bien de notre État sa mort est nécessaire. MIDE. Et moi j'ai toujours dit qu'il était à proposDe la sacrifier pour le commun repos. LA COMTESSE. Heureux d'en être au point de soutenir encore Ce digne sentiment que la Patrie honore !Si l'on apprend l'effort qu'elle a tenté la nuitQuel trouble je vous prie excitera ce bruit ?On dit que le pouvoir qu'exerce la JusticeArrête des démons la force et la malice, Et que dans les cachots ils ne peuvent plus rien,Mais la Justice même est au dessous du sien.S'il faut que les Français sachent cet avantageL'espoir de son retour enflera leur courage,Quand le bruit de sa force entre eux éclatera L'orgueil ira chez eux, l'effroi nous restera. LE BARON. Si la justice humaine est si faible contre elle,- Il paraît que le Ciel combat pour sa querelle,Autrement on pourrait la ranger au devoirEt son art enchaîné resterait sans pouvoir. LA COMTESSE. Aussi remarquez bien qu'au point où la fortuneA mise entre nos mains cette peste commune,Elle a comme on a vu tout soudain arrêtéLe cours impétueux de sa prospérité,Et que par sa prison des mouvements contraires Ont changé tout à coup la face des affaires,Nos coeurs pour la victoire ont pris un nouveau feuEt l'orgueil de la France a fléchi tant soit peuAu lieu qu'auparavant la fortune obstinéeSemblait à notre honte être déterminée Et qu'à cette furie ornement du SabatCe n'était qu'un de vaincre et d'aller au combat,Témoignage assez clair de sa noire conduiteQui lui faisait traîner tout l'Enfer à sa suite. LE BARON. Examinons-là bien sur ce qui s'est passé, Que notre jugement soit désintéressé,Voyons cette méchante et cette abominableÀ qui le droit ordonne un supplice effroyable,Mais ne la voyons point comme ses ennemis.- Quoi n'a-telle pas fait tout ce qu'elle a promis ? Elle a dit que d'en haut elle était envoyéeAfin de rassurer une ville effrayée- Et triompher dans Reims du Sacre de son Roi,N'a-t'elle pas mis fin à l'un et l'autre emploi ?Avec combien d'honneur en est elle sortie ? Qui n'a vu sa valeur ? Qui ne l'a ressentie ?Elle nous a forcés, a rompu nos desseinsJusqu'à faire tomber les armes de nos mains,Le courant de sa gloire a brisé tous obstacles,- Et bref sa seule main a fait ces grands miracles Dont la postérité des siècles à venirSans nous faire un affront ne se peut souvenir.Mais dès qu'elle entreprend par delà sa promesseSa vaillance décline, et sa fortune cesse,On voit diminuer tout ce qu'elle a de grand, Elle manque Paris, on la blesse, on la prend :Enfin d'une personne où tant de gloire brilleEt d'un coeur de héros ce n'est plus qu'une filleQui ne peut soutenir l'honneur de ses exploitsGénéreuse pourtant, mais fille toutefois. Est-ce point que le Ciel qui tient sans violenceLes intérêts humains en égale balance,Pour maintenir cet ordre au jugement de tousA mis Charles debout aussi bien comme nous,Et qu'il veut à présent dans l'état où nous sommes Laisser faire le reste à la force des hommes ?- Certes quoi qu'il en soit, c'est toujours un grand bienDe tenir la Pucelle où paraît leur soutien,Ne faisons pas mourir cette illustre personne,Usons mieux d'un trésor que la guerre nous donne, Et tant que nous pourrons, gardons nous d'engagerLa colère du Ciel au point de la venger. LA COMTESSE. Dans cette cause-ci tout le monde soupçonneQue vous ne penchez pas au bien de la Couronne. LE BARON. Le Comte votre époux n'est pas mauvais Anglais, Et notre sentiment est le sien toutefois. LA COMTESSE. Ne le prenez pas là, c'est une sage ruseDont fort adroitement nous savons bien qu'il useAfin de découvrir par cette inventionLe secret important de chaque intention. Mais à ce que j'apprends vous voulez donc l'absoudre ? LE BARON. C'est un point qu'à loisir il me faudra résoudre.Mais je veux qu'en tout cas la seule véritéRègle mon jugement selon l'integrité. CANCHON. Je veux régler le mien pour l'État non pour elle. MIDE. Moi je serai bon juge étant sujet fidèle. LA COMTESSE. Souffrez que je vous mène en mon appartement,Le Duc de Sommerset y vient dans un moment,Là soutenez ensemble en hommes forts et sagesDes résolutions dignes de vos courages. SCÈNE III. LE COMTE DE VARVIC, seul. Achève, achève, Amour, ton ouvrage avancé,Et le sais réussir comme il a commencé.J'ai vu passer ma Reine avecque son escorteDans le petit jardin et jusques à la porte :Or comme l'on me sert avec beaucoup de soin, Je ne dois pas douter qu'elle ne soit bien loin.Beau caprice du Dieu qui me charme et me blesse !Tout mon repos dépend de quitter ma maîtresse,Si je la possédais, je n'en jouirais pas,Et la bien éloigner c'est la mettre en mes bras. Je mourrai de plaisir si jamais cette belleReconnaît dignement ce que j'ai sais pour elle,Elle n'oubliera point un service si grandSachant bien que ce coup que ma main entreprendEmpêche que sur elle un triste arrêt n'éclate, Et puisqu'elle est parfaite elle n'est pas ingrate,Joint qu'elle a tant d'esprit qu'elle connaîtra bienQu'il faut que l'on soulage un feu comme le mienQui gourmandé peut être avecque violenceIrait jusqu'à la force et jusqu'à l'insolence. Mais elle aura pitié d'un amour si constant,Je l'aimerai si bien, je la presserai tantQu'elle m'accordera le bonheur où j'aspire :Ainsi j'aurai ce bien comme je le désire,Puisque tout le secret et l'assaisonnement Des plaisirs amoureux est le consentement. SCÈNE IV. Le Comte, Un Garde. LE COMTE. Hé bien, Garde ? LE GARDE. Seigneur, d'une adresse assez prompteJe l'ai mise à la porte où l'attendait Aronte :Mais lorsque de sa bouche elle a le tout appris,Sautant à mon épée elle nous a surpris, Aronte a pris la suite, et cette porte ouverteAssez heureusement a diverti ma perte. LE COMTE. Ha traîtres ! Elle entre. LE GARDE. La voici, parlez lui si vous plaît,Elle vous peut conter la chose comme elle est. SCÈNE V. La Pucelle, Le Comte. LA PUCELLE, l'épée à la main. Lâches, qui servez la fortune et le crime, Mon honneur glorieux n'est pas une victimeQue l'on puisse immoler que par un coup sanglantÀ la brutalité de ce Maître insolent.Tiens, ramasse ton fer, je l'aime et suis ravieQu'il me sauve un trésor qui vaut mieux que ma vie Vraiment, Comte, je vois tes esprits empêchés,Après de grands desseins et qui sont fort cachésQuand je n'aurais pas eu cette divine grâce :De lire dans leurs coeurs ce que le tien y trace,Je pouvais reconnaître assez facilement Dans tout leur procédé ton lâche sentiment.Pour m'amener à toi des cachots on me tireM'assurant que ta bouche a beaucoup à me dire,Et quand je suis sortie on ne te peut trouver,Tes lâches confidents s'offrent à me sauver, Et ceux qui sont agir ces secrètes pratiquesSont ceux qui m'ont vanté tes flammes impudiquesSi je pénètre après dans ton intention,Si je connais après qu'elle est ta passion,Et de quel mouvement ta pensée est régie, Crois que je le devine et que c'est par Magie. LE COMTE. Hé bien, cruelle fille , il est vrai mon desseinÉtait de vous sauver par un coup de ma mainJ'ai voulu vous ôter la mort et l'infamie,Vous serez vous toujours si mortelle ennemie Que pour votre salut on n'ose pas agir,Où qu'en le confessant il en faille rougir ?Il est ici besoin d'user de diligence,Si vous tardez, un peu, tout est sans espérance,Retournez sur vos pas, entrez dans ce vaisseau Et mettez votre vie à la merci de l'eau,Sauvez vous pour la France en ce danger extrême,Mais plutôt que pour tout sauvez vous pour vous-même. LA PUCELLE. Dis plutôt pour toi-même et sans tant m'éprouverDis moi que je me perde afin de te sauver, Dis moi que je défère à ta brutale envie,Elle sait tout le soin que tu prends de ma vie,Pour moi son intérêt la faisait travaillerEt tu sauvais le bien que tu voulais piller.Et je m'assure bien que ton âme effrontée Au plus haut de l'espoir insolemment montéeDans son idée affreuse a déjà triomphéSur le honteux débris d'un honneur étouffé. LE COMTE. Vous dire que pour vous mon feu n'est pas extrême,Que je ne vous sers pas parce que je vous aime . Serait vous soutenir un mensonge trop grandCar l'un et l'autre enfin n'est que trop apparentMais que ma passion fut si défectueuse,Que vous la crussiez forte et non respectueuse,En cela vos soupçons la pourraient outrager Plus que votre bonté ne la peut soulager.Je sais qu'en vous servant je travaille à me plaire,Et ce but de plaisir qui me doit satisfaireÀ votre jugement c'est un monstre d'enfer,Mais regardez ce monstre avant que l'étouffer, Vous verrez que le bien que mon coeur se proposeN'est que de vous voir libre et d'en être la causeEn effet quel plaisir de vous faire éviterLe courant du malheur qui vous veut emporter. LA PUCELLE. Je cognais ton adresse, âme au vice occupée, Et dans l'impureté tout à fait détrempée,N'ayant pas achevé ce complot odieuxTu veux me rassurer pour me surprendre mieux,Mais les intentions tant de fois reprochéesEt des tiens et de toi ne me sont point cachées, De celles des premiers le succès s'en va fait,La tienne seulement n'aura point son effet,Tous fors toi gagneront à ma triste aventure,Car Dueu veut que je meure et que je meure pure,Et quand leur cruauté disposera de moi Il me suscitera des forces contre toiEt ne permettra pas que le cours de ta rageEmporte ma pudeur à son triste naufrage,Ma résolution serait ferme en ce pointOui quand même le Ciel ne la soutiendrait point, L'âme qu'il n'a donnée est une âme héroïqueQui toute généreuse et s'accroît et se piquePar les difficultés dont elle vient à boutEt ma chasteté seule est plus forte que tout.Je voIS les tiens et toi disputer ma personne, Et pour te faire voir combien ma cause est bonneJ'appelle à mon Conseil en cette occasionTa générosité loin de ta passion ;Quand j'aurai pris le soin de conserver ma vieIl faudra dans un temps qu'elle me soit ravie, Car me faisant mourir, à toute extrémitéIls ne font que presser une nécessitéEt sauvant mon honneur je conserve une choseQui triomphe du temps et dont rien ne dispose :Ne vaut-il donc pas mieux être de leur côté S'ils me laissent un bien à toute éternitéQue de m'assujettir au dessein de te plairePour en posséder un qui ne durera guèreEncore traversé de honte et de remordsQui vive me rendraient plus morte que les morts Que diraient les Français si tu m'avais vaincueEux qui n'ont triomphé que parce qu'ils m'ont vue ?Quelle honte serait ce à cent respectueuxQui tremblaient devant moi si tu faisais plus qu'eux ?Ce qui n'est que fureur serait-il pas justice Et ne serais-je pas digne de mon supplice ?Mais si ton fol amour est si tendre pour moiQu'il ne puisse pas voir l'état où je me vois,Ôte à mes ennemis l'effet de leur envie,Laisse-moi mon honneur, dérobe leur ma vie, Sans croire que l'effort de ta brutalitéUsurpe jamais rien sur mon honnêteté,Et couvre ma vertu d'une honte infinieMe rendant malheureuse et justement punie. LE COMTE. Quoi voulez-vous vous perdre, et ne ferez vous rien Pour vous intéresser dans votre propre bien ? LA PUCELLE. Non, méchant, c'en est fait, tout de ce pas ordonneQu'on me remette aux fers et qu'on me remprisonneDevant que Sommerset et le peuple arrivés. LE COMTE. Mais quoi, tout est perdu, si vous ne vous sauvez, N'allez pas vous remettre en des mains si barbaresEt daignez pardonner à des beautés si rares. LA PUCELLE. Fais ce que je te dis, où je leur apprendraiL'effet de leurs soupçons, méchant, je te perdrai. LE COMTE. Puisque par elle-même elle-même est trahie Garde, remenez-la, qu'elle soit obéie,Tout ce que je puis faire et confus et troubléC'est de la protéger au conseil assemblé. ACTE III SCÈNE I. Le Duc de Sommerset, Le Comte de Varvic. LE COMTE. On sait notre justice et nous devons ce sembleEn conserver l'estime au fait qui nous assemble. LE DUC. Oui, nous devons montrer que notre jugementPour le bien de l'État la sait rendre hardiment. LE COMTE. Nous la rendrons pour nous avec un soin extrême. LE DUC. Quand on fait pour l'État c'est faire pour soi-même. LE COMTE. On croit faire pour soi comme en être l'appui Qu'il arrive souvent qu'on se perd avec lui. LE DUC. En ne retardant pas nous lui rendons service. LE COMTE. La Justice pressée est souvent injustice. LE DUC. Mais la précipiter est un coup généreux,Quand la trop retarder est un coup dangereux. LE COMTE. Quelquefois en pressant le succès d'une affaireOn se forme un vrai mal d'un mal imaginaire. LE DUC. Appelez vous ainsi les effets du dangerOù ce Démon d'Enfer tâche à nous engager. LE COMTE. Je dis que sans raison parfois on s'épouvante. LE DUC. La frayeur d'un État est toujours importante. LE COMTE. Mais quand par injustice on l'en tire souvent,La vengeance qui fut l'y remet plus avant. LE DUC. Bien bien, Comte, j'ai tort, cette fille est sans tache.Mais ces coeurs généreux et qui n'ont rien de lâche Il entrent par divers endroits, et prennent leur place.Qui dans le Tribunal vont avec nous s'asseoirN'ignorent pas sa faute, et savent leur devoir.Tous vos beaux sentiments pour cette criminelleNe vous avancent pas et ne sont rien pour elle. LE COMTE, à part soi. Puisque ma charité produit un vain effort, Du moins ne faut-il pas qu'elle ne fasse tort. Elle entre.Hélas pauvre innocente, où seront tes refugesSi dans tes ennemis tu rencontres tes Juges ?Au pitoyable état où nous te réduisonsCherche de la constance et non pas des raisons. SCÈNE II. Le Duc de Sommerset, Le Comte de Varvic, Le Baron de Talbot, Destivet, Mide, Canchon, La Pucelle, deux Gardes. LE DUC. Qu'on la sasse venir. Avance, misérable,Dans ton aveuglement n'es-tu pas déplorableQue le premier arrêt foudroyé contre toiN'ait su pour le second te donner de l'effroi,Et que ta malheureuse et coupable insolence Ait jusques dans les fers bravé notre puissance,Au lieu de l'émouvoir à la compassion ?Parle, parle, et réponds à l'accusation. LA PUCELLE. Je parle, Sommerset, non pas pour te répondre,Je parle seulement afin de te confondre, Un divin mouvement qui me transporte iciOrdonne que je parle et qu'on m'écoute aussi.Je sais que le soleil éclaire la journéeQu'on verra l'innocente au supplice menée,Mais votre iniquité triomphante qu'elle est N'a pas encore atteint l'heure de mon arrêt ;Ce grand Dieu dont la voix passe par mon organeVeut que je vous accuse et que je vous condamneDe cents forfaits écris en des lettres de sang,Et que votre fureur me condamne à son rang. Donc tenez pour un temps votre bouche muette[Note : Sellette : Petit siége de bois sur lequel on faisait asseoir, pour les interroger, ceux qui étaient accusés d'un délit pouvant faire encourir une peine afflictive. [L]]Soyez au Tribunal comme sur la sellette,Et là si vous parlez, ne parlez seulementQue pour vous avouer convaincus justement. LE DUC. L'insolente ! Et pourtant je ne sais quoi m'oppresse De quitter là sa cause où l'Enfer s'intéresse,Et de lui demander quel est notre forsait. CANCHON. Parle et reproche nous ce que nous avons fait. LA PUCELLE. Le premier d'entre tous est votre injuste guerre,C'est le crime commun à toute l'Angleterre. Auriez-vous pu forger mille noirs attentats,Entrer à main armée au coeur de nos États,Embraser nos Cités, ravager nos Provinces,Abattre nos autels, et détrôner nos PrincesPour vous faire régner sur une nation Où vous n'aviez de droit que votre ambition,Sans vous abandonner à toute l'insolenceQui contre la raison arme la violence ? Et les sanglants effets de tant d'impiétésÀ qui sont-ils qu'à vous justement imputés ? LE DUC. À vous-mêmes, à vous qui voulez méconnaîtrePour votre souverain notre glorieux maître,Lui dont le grand courage et le ressentimentDe votre félonie exige le serment,Et dont le bras armé reprend une couronne Qui par le droit du sang passait en sa personne.Puisqu'il a bien raison de vous donner des loisComme étant descendu des filles de vos Rois. LA PUCELLE. Prétexte injurieux et digne du tonnerreContre l'ordre du Ciel et les lois de la terre : Qui dans les faussetés et assez visiblementD'un État bien réglé sape le fondement :C'est à ce sage auteur ce qui respireD'élever et d'abattre un florissant EmpireD'en former à son gré la ruine ou l'appui, Et ces grands changements n'appartiennent qu'à lui.Quand Dieu fait les États il inspire lui-mêmeCe vieil et premier droit sur qui le diadèmeÉtablit son pouvoir avecque fermetéEt le règle aux humeurs du peuple surmonté, Si bien qu'elle est plutôt cette loi souveraineUn décret tout divin qu'une pensée humaineEt la vouloir enfreindre est une impiété ;Or de votre forfait telle est la qualitéLes Français de tout temps ont eu de fortes âmes Qui n'ont jamais dessous le joug des femmes,L'autorité du Ciel a de son propre doigtÉcrit la Loi Salique ou se fonde le droitQue les hommes tous seuls ont sur une couronne ?Qu'à des hommes tous seuls notre courage donne, Loi Sainte en son principe et la Reine des lois,Loi toute vénérable à tous les autres Rois.N'allez pas présumer que nous ayons vos taches,Nous sommes généreux et vous êtes des lâches,Le joug que vous portez est bien digne de vous Il faut en faible empire à des courages mousEt dans cette bassesse ou croupissent vos âmesFemmes, vous faîtes bien d'obéir à des femmesEt de remettre ainsi la dominationDans les mains du caprice et de la passion. Vous en aurez un jour une marque pressanteSous une femme altière et cruelle et puissanteDe qui l'impie orgueil tant qu'elle régneraFoulera les autels et vous opprimera.Cependant frémissez en écoutant les peines Qui suivront de bien près vos rages inhumaines,Le Ciel jusques ici nous a punis par vousEt votre ambition a servi son courroux,Mais nos maux vont finir, cette mort déploréeDu grand Duc de Bourgogne est enfin réparée, Elle ne parle plus contre son meurtrierEt le sang répandu cesse enfin de crier :La paix règne entre nous, et nos armes sont prêtesÀ vous faire lâcher vos injustes conquêtes,Le Ciel que votre orgueil regarde avec mépris Veut que dans peu de temps vous sortiez de ParisEt qu'emportant sur vous une entière victoireNous rendions votre honte égale à votre gloire. LE DUC. Nous ne serons pas même à Londres sûrement. LA PUCELLE. Au lieu de m'interrompre écoute seulement Loin de continuer ces hautes entreprisesIl faut abandonnant nos places reconquisesQue votre ambition se presse dans l'enclosDe ces murs composés d'orages et de flots.[Note : Jean d'Orléans, comte de Dunois (1403-1468), compagnon d'armes de Jean d'Arc.]Oui, généreux Dunois, attente de l'Histoire, Tu n'en es pas encore au comble de ta gloire,Je te vois d'un courage égal à ton pouvoirFaire pour la patrie un merveilleux devoir,Et replanter les lis d'une force hardieAux champs de la Guyenne et de la Normandie ; [Note : La Hire, de son nom Etienne de Vignoles (1380-1443), noble gascon qui participas à la reprise d'Orléans.]Oui, je te vois, La Hire, ardent le fer en mainAppuyer dignement son glorieux dessein ;Oui, Brezé, je te vois vaincre tout où tu passes,Dans le cours d'un soleil tu regagnes vingt places,Et ta juste louange éclate d'un haut son Qui porte jusqu'au Ciel la gloire de ton nom,Nom qu'on verra fleurir après quarante lustresNoble et fameuse tige à cent branches illustres.Enfin je vous vois tous, invincibles guerriers,Emporter à l'envi des forêts de lauriers, Je vois Charles remis au trône de ses pèresEt son peuple en repos après tant de misèresGoûter paisiblement le bienheureux effetDe ce que j'ai prédit et de ce que j'ai fait. LE DUC. Ces présages sont faux et pourtant ils m'étonnent. CANCHON. À des excès trop grands fureurs s'abandonnent. LA PUCELLE. Je n'ai pas sait encore, et je m'adresse à vousQui m'outragez ensemble et qui m'accablez tous,Qui faites vanité de me voir asservieEt de persécuter une innocente vie : Vous m'allez condamner et votre injuste loiN'a point d'yeux pour le Ciel ni d'oreilles pour moi,Innocente ou coupable, il faut que par maximeVous suivez l'intérêt du méchant qui m'opprime,Et la servile peur de déplaire à Bethfort Est la seule équité qui préside à ma mort.Bien donc exécutez votre complot funeste,Pour achever le crime achevez ce qui reste,Armez votre fureur et votre ambitionSans écouter la voix de la compassion Qui vous touche possible et qui vous représenteQue c'est contre une fille, et qu'elle est innocente,Ne vous dispensez point d'un tyrannique effort,Allez à la fortune et passez par ma mort,Joignez vous tous ensemble, ô troupe généreuse, Afin d'être plus forts contre une malheureuse,C'est beaucoup mériter, c'est faire un coup bien grandEt bien digne après tout d'un peuple conquérant.Mais de ces procédés ou votre orgueil m'affronteJ'en aurai tout l'honneur et vous toute la honte, Le feu qu'on me prépare et qu'on m'allume iciNe me saurait brûler qu'il ne m'éclaire aussiEt la main des bourreaux utile à ma mémoireJetant ma cendre au vent dispersera à ma gloire.Je vois déjà le marbre et la bronze élevés Où prés de ma vertu vos crimes sont gravés : Mais parce que le marbre et la bronze durableN'évitent point du temps la force inévitableQui les dissipe enfin malgré leur dureté,Et qu'on va par ailleurs à l'immortalité ; Quand deux siècles passés rendront ma perte antiqueUn célèbre Héros, un Prince magnifiqueUn Duc tout généreux, héritier à la foisDes vertus et du nom de ce vaillant Dunois,Relèvera l'éclat d'une gloire si belle Et fera travailler à me rendre immortellePar un ouvrage grand et seul semblable à soiBien digne de lui même et bien digne de moi. LE DUC. Espoir faux et trompeur conçu d'un faux mériteDont le Démon la flatte au moment qu'il la quitte ! DESTIVET. Un sentiment secret que je n'ose approuverMe dit que ce malheur pourrait bien arriver. MIDE. Son esprit agité s'emporte à des chimèresDont elle tâche en vain d'adoucir ses misères. LA PUCELLE. Il en arrivera de vous tout autrement, Prêtez prêtez l'oreille à votre châtiment. À Sommerset.Toi dont le jugement préside à l'injustice,Tu traîneras ta vie avec un long suppliceÉprouvant tous les jours un désordre nouveau,Et tes enfants mourront sous la main d'un bourreau. Ce lâche Destivet dont l'âme est si servileSe verra par les siens chassé de cette ville. À Mide.Toi devenu le preux souffriras à ton rangEt les traits de ton crime iront jusqu'à ton sang. À Canchon.Et toi précipité par une mort soudaine Seras un triste exemple à l'injustice humaine.Vos justes châtiments iront jusques au bout,En un mot craignez tout, car vous offensez tout :Vous aurez sur les bras ciel terre, mer, ange, homme,Et les foudres de l'air, et les foudres de Rome, Un remords éternel, une longue terreur. Elle rentre d'elle même en prison et laisse tout en frayeur.Feront de votre vie un spectacle d'horreur,Et j'aurai pour vengeurs en ma misère extrêmeEt votre conscience, et mon Prince, et Dieu même. SCÈNE III. Le Comte de Varvic, Le Duc de Sommerset, Le Baron de Talbot, Canchon, Destivet, Mide. LE COMTE, sortant du Tribunal. J'ai le coeur tout rempli d'une sainte clarté Qui vient de l'innocence ou bien de la beautéQu'on voit dessus son front également reluire. LE BARON, en sortant aussi. Sa puissance m'étonne et je ne sais qu'en dire. LE DUC, descendant du Tribunal. [Note : Aucun autre vers ne rime avec le vers 979.]À son autorité quel pouvoir est égal ? CANCHON. Je tremble quand je songe au bruit de sa menace. Il sort. DESTIVET. Un glaçon de frayeur dedans mes veines passe,J'ai voulu soutenir le commun intérêt, Il sort.Mais elle m'a paru toute autre qu'elle n'est. MIDE. Mon coeur est agité par une crainte extrême Il sort.Qui sait qu'en cet état je m'ignore moi-même. LE DUC, après avoir un peu rêvé. Le charme est achevé, je reviens d'un sommeil.Ha, Comte, fallait-il rompre ainsi le Conseil !Cette noire vapeur, cette infernale nueNe pouvait pas longtemps obscurcir notre vue,Maintenant je la perce et vois tout au travers, J'ai l'esprit beaucoup libre et les sens bien ouverts.Mais ces juges charmés se perdent dans la foule,Ils sont déjà bien loin et le peuple s'écoule.Il faut nous rassembler, et craignant ces affrontsPour être généreux se faire voir plus prompts. SCÈNE IV. La Comtesse de Varvic, Le Duc. LA COMTESSE DE VARVIC. Quel trouble est donc le vôtre ? LE DUC. Une déroute entière,Les juges enchantés cèdent à la sorcière. LE BARON. L'innocente plutôt contraints ses ennemis. Il sort. LE DUC. Il se faut rassembler dès qu'on sera remis. Il sort. SCÈNE V. La Comtesse de Varvic, Le Comte de Varvic. LA COMTESSE DE VARVIC. Vous voilà bien content, et ce visage montre Le plaisir qui vous touche en pareille rencontre,Vous en avez sujet, et rompre le ConseilPour sauver la Pucelle est un coup sans pareilMais c'est une action que je n'aurais pas crueSi de mon cabinet je ne l'avais bien vues Encor si votre adresse eût passé plus avant,Qu'un autre pour le moins se fut levé devant,L'ayant sait par exemple, on n'eût pas su connaîtreCe qu'il n'est pas besoin que vous fassiez paraître. LE COMTE. Madame, aucun de nous ne vous peut rapporter Quel est ce mouvement qui l'a tout fait quitter,Si c'est pour la sauver, tout un monde est complice,De moi, je n'ai dessein que de rendre justice. LA COMTESSE. Ha Comte ! Il n'est plus temps de rien dissimuler,Et votre passion m'oblige de parler, J'ai souffert jusqu'ici de fâcheuses contraintesEt mes profonds respects ont étouffé mes plaintes,Maintenant qu'il s'agit du repos de l'ÉtatUn silence plus long serait un attentat. LE COMTE. Le repos de l'État est un prétexte honnête À couvrir le martel que vous avez en tête. LA COMTESSE. Quand seule on m'offensait j'ai seulement pleuré,Je n'ai pas dit un mot et j'ai tout enduréMais je serais coupable et j'en courrais le blâmeEt de mauvaise anglaise et de mauvaise femme Si lorsqu'à tout l'État votre amour est fatalMon devoir n'appliquait un remède à ce mal.Ha Comte ! Éveillez vous et revenez d'un songeOù cette passion si lâchement vous plonge,Rendez, vous à vous-même et ne permettez pas Que l'Enfer vous attire avec ses noirs appasNi qu'une simple fille en triomphe vous mèneEt qu'à votre malheur notre perte s'enchaîne. LE COMTE. Mais vous même plutôt conservez si vous plaît Cette haute sagesse à ce haut point qu'elle est Et que votre vigueur pour une fois s'exempteDe prendre tant de soin à perdre une innocente :Quand à moi l'équité m'a réduit à ce point Il sort.Que je verrai sa faute, ou n'en jugerai point. SCÈNE VI. LA COMTESSE, seule. Et moi j'ai résolu de perdre une méchante Dont la force m'outrage alors qu'elle t'enchante.Allons tout de ce pas obliger les Anglais,À rentrer au Conseil une seconde fois. Le Théâtre se referme. ACTE IV On ouvre le Théâtre, les juges se trouvent assis, et la Pucelle devant eux. SCÈNE PREMIÈRE. La Pucelle, Le Duc, Le Comte, Le Baron, Canchon, Mide, Destivet, Soldats, Peuple. LA PUCELLE. Triomphez maintenant, l'Éternel abandonneÀ votre iniquité ma vie et ma personne, Et l'heure est arrivée ou l'injustice peutSoumettre l'innocence à tout ce qu'elle veut.Mais sans qu'à mon bon droit ma raison se confieComme juges souffrez que je me justifie,Ce n'est pas que par là j'échappe à mon tourment, Mais pour vous témoigner que le Ciel justementS'apprête à vous punir de tout ce qu'on m'impose,Et je plaide pour lui quand je défends ma cause.Que je sache mon crime. LE DUC. Hé tu sais quel il est.Te faut-il renvoyer à ta méchante vie Pour te faire avouer comme c'est notre envieQue ta noire magie est ce crime odieuxEt qui te rend l'horreur de la terre et des Cieux ? LA PUCELLE. Par le premier arrêt où l'on m'a condamnéeCette accusation s'est déjà terminée, Elle est peu vraisemblable et l'injustice au moinsLa devait appuyer de quelques faux témoins.Voyez comme à me perdre une ardeur trop extrêmePrêche mon innocence et fait contre vous mêmejamais jusqu'à ce point imprudence n'alla, On m'appelle sorcière, on en demeure là,Au lieu de m'accuser on me dit une injure,Que n'avez-vous des gens qui viennent faire bruit,Et dire qu'ils m'ont vu au milieu de la nuitErrante échevelée arracher des racines, Ramasser des serpents sur de vieilles ruines,Murmurer toute seule, aller dans les tombeaux,Faire pâlir d'horreur les célestes flambeaux,Bref, qu'ils ont vu cent fois ma science employéeÀ remettre au cachot la nature effrayée : Dites qu'étant Bergère on m'aperçut un jourComme j'empoisonnais les troupeaux d'alentourEt qu'en guerre j'ai fait par mes pratiques noiresQue mes enchantements ont passé pour victoires.Pour me les confronter que n'avez-vous ici Ce fameux Jean de Meung et ses pareilles aussi,Dont votre tyrannie a jugé que les charmesPourraient à ma ruine être d'utiles armes :Peut-être ils vous diraient quel était mon Démon,Quel était son pouvoir, et quel était son nom. Mais, ô malice aveugle, ou certes impuissante ?On n'a point aposté cette troupe méchante,Où l'on n'a pas eu droit en cette extrémitéDe la faire parler contre la vérité. LE DUC. Voyez qu'elle est savante en cet art détestable, Par sa propre défense elle se rend coupable.Mais qui pourrait douter de ton pouvoir fatal ?Et qui ne connaît pas dans ton pays natal Ce prodige fameux, ce grand arbre des FéesOu restent de ton art les infâmes trophées ? LA PUCELLE. Quoi c'est là tout le but de l'accusation ?Et pour le fondement de mon oppressionVous en êtes réduits à forger ces chimèresEt vous me condamnez sur des contes de mères ?Ces Fées ont causé mes illustres exploits Et par des jeux d'enfants j'ai vaincu les Anglais ?Adroite invention : prétexte magnifique !Et belle couverture à la rage publique ! LE DUC. Parle sans te railler et dis combien de faitsOu même du penser on n'atteignit jamais Parmi les plus puissants et les plus grands couragesOnt été toutefois tes vulgaires ouvrages ? Quand je pense où s'est vu Charles et son ÉtatAvant que ce prodige au monde fit éclat,Et que je vois la gloire et de l'un et de l'autre Depuis que sa puissance a supplanté la nôtre :Je ne sais qui me tient que de ma propre mainJe ne venge sur elle un trouble si soudainAu point où la fortune affligeait ce MonarqueBourges de son Empire était la seule marque, La France allait céder de l'un à l'autre bout,Il ne possédait rien car nous possédions tout, Et nos armes faisaient sur les rives du Loire :Avancer à grands pas notre naissante gloire.Mais dès que cette rage a pour lui combattu, On voit reprendre coeur à sa faible vertu,On le voit rétablir ses forces consomméesEt remettre sur pied de nouvelles armées, Et les villes enfin ont cette lâchetéDe reprendre le joug qu'elles avaient quitté, Sa force qui de soi n'osait tant se promettreNous jette à bas du Trône afin de l'y remettre,Enfin il saut tout rendre après avoir tout pris :Et nous en voir au point de défendre Paris.Réponds, fille enragée, et qu'en notre présence Ta bouche soit d'accord avec ta conscience,À moins que le Démon t'aidât à nous braverLe siège d'Orléans se pouvait-il lever ?Le Sacre de ton Roi qui te rendit si vaineN'alla-t'il pas plus loin que la puissance humaine ? As tu pu toute seule, et par ton seul abordJeter dans notre camp la frayeur et la mort ?Et ce cerf enchanté qui sur la plaine verteDans les champs de Patay commença notre perteQuand à notre dommage on te vit triompher, Nous pouvait-il venir d'ailleurs que de l'Enfer ? LA PUCELLE. Puisque vos sentiments si mauvais interprètesImputent à l'Enfer les choses que j'ai faites,Pour preuves de magie alléguant mes exploits,Souvenez-vous aussi de ce brave Dunois, Ce généreux sorcier commandait les armées,Son exemple et sa voix les rendaient animées,Il vous portait la mort et la honte et l'effroi,Faites lui son procès tout de même qu'à moiSans que par mon trépas sa gloire se retarde Son charme ira plus loin si vous n'y prenez gardeEt tout ce que j'ai fait si glorieusement.De tout ce qu'il doit faire est l'ombre seulement.Après tout, quel dessein vous oblige à reprendreUne accusation que j'ai bien su défendre ? Et quand j'aurais failli, la prison en tout casPar mon premier arrêt me punit elle pas ? DESTIVET. Oui, mais tu l'as rompu, et l'on doit d'autres peinesAu captif qui travaille à sortir de ses chaînes. LA PUCELLE. Le désir d'être libre est naturel à tous Parce que la franchise a des appas bien doux,Ne me condamnez point en pareille aventure,Où faites le procès à toute la nature,Si vous me punissez pour sortir de prisonVous punissez aussi les lois et la raison, Il est vrai que je sers de preuve pitoyableComme vos cruautés n'ont rien d'inviolable.Mais quel crime ai-je fait en cette occasion ?Ai-je contribué pour mon évasion ?Mes fers se sont brisés dans l'ombre et le silence, Mais est-ce par ma faute ? Ai-je fait violence ?Ai-je forcé la porte ? Ai-je sauté le mur ?D'une céleste main c'est l'ouvrage tout pur ;Faites revenir l'Ange où mon appui se fondeEt sur son propre fait que lui-même il réponde. CANCHON. Ô blasphème ! Impudente, oses-tu si souventNous alléguer encore et nous mettre en avantDes révélations dont cette troupe sageAvec tant de raison t'a défendu l'usage ? LA PUCELLE. Elles viennent du Ciel, suis-je libre en ce point, Et puis-je les avoir, ou ne les avoir point ?Puis-je clore la bouche au moment qu'il me l'ouvre,Et taire les secrets qu'il veut que je découvre ?Quand par un ordre exprès de la DivinitéJe fus trouver mon Prince en sa nécessité, Qu'entre ses courtisans je l'allai reconnaîtrePour lui dire à quel point sa grandeur devait être,Ce sut par une grâce à qui j'ai dû céderEt que j'obtins du Ciel sans la lui demander ;Ainsi continuant d'être oisive et muette Quelle rébellion mon âme eût-elle faite ? MIDE. Faut-il pour la convaincre user de tant d'efforts ?Son crime éclate assez dessus son propre corps,Ces restes d'un habit dont son sexe elle offense,Et qu'elle garde encor contre notre défense, Sont de justes témoins qui parlent devant nous. LA PUCELLE. Ai-je obtenu jamais d'autres habits de vous ?Mais jusques à la mort je veux bien qu'on remarqueDessus mon vêtement une si digne marqueDe cette illustre force et de ce grand pouvoir Que sur tant de grands coeurs le Ciel m'a fait avoir.Si comme une Judith il m'avait envoyée,J'aurais à ce besoin mon adresse employéeAvec tous ces appas dont le sexe est priséEt pour un bon sujet j'en aurais abusé : Il n'est rien de charmant, rien de doux au visage,Où j'aurais essayé de le mettre en usagePour faire aller au but mon généreux dessein,Et mes yeux bien menés auraient conduit ma main,Bref, j'aurais épuisé cette molle industrie Et de la mignardise et de l'afféterie.Or, n'étant point venue afin de vous tenter,Mais bien pour vous combattre et pour vous surmonter,Et remettre des miens par une juste audaceLa générosité sur sa première trace, Il m'a fallu changer suivant un bon conseilDes marques de faiblesse en un fier appareil,Ainsi me déguisant j'ai voulu que la feinteD'un aspect emprunté commençât votre crainte,Et d'un sexe contraire à cette noble ardeur J'ai quitté l'apparence et non pas la pudeur. MIDE. Quoi ce prétexte faux, et dont tu t'es servieCouvre l'impureté de ta méchante vie ? LA PUCELLE. Perdez, mon innocence et ne l'épargnez point,Mais ne m'outragez pas jusques au dernier point Que d'offenser ma vie en la nommant impurePuisque vous n'en avez prévue ni conjecture :Le jugement des miens vous peut être suspect,Mais pour une Princesse ayez quelque respect,Cette illustre beauté, noble sang de Béthune, Chez qui j'ai soulagé mes tristes infortunes,De tout ce que je suis vit des signes certainsAvant que son époux m'eut remise en vos mains ?Que n'a-t'elle point fait afin de s'en instruire ?Elle même en ce lieu pourrait mieux vous déduire Par qu'elle adroite épreuve elle n'a point tentéMon esprit , ma constance, et ma pudicité,Son témoignage seul vous apprendrait peut-êtreCe que je tâche en vain de vous faire connaître,Puisqu'à mon grand malheur vous faites vanité De n'être pas ici pour voir la vérité. CANCHON. La raison la plus forte est toujours la dernière ;Étant notre ennemie et notre prisonnièreNous est-il pas permis de te donner la mort ?Parle. LA PUCELLE. Oui certes, oui, j'en demeure d'accord, Mon innocence ici n'a rien à vous répondre,En cela seulement vous la pouvez confondre ;Je puis de votre main recevoir le trépasDans votre tribunal comme dans les combatsPourvu que la fureur hautement vous anime Et votre haine ouverte amoindrit votre crime :Oui, oui, l'épée au poing venez tous contre moiQui ne vous donne plus de matières d'effroi,De plus de mille coups vengés autant d'injures,Et remettez le fer dans toutes mes blessures, Ce sera cruauté qu'un mouvement si prompt,Mais au moins on dira, des ennemis la font ;Une ombre d'équité couvre cette furie,En usant autrement, regardez je vous prie,À quel injuste effort vous vous engageriez, Je suis votre ennemie et vous me jugeriez :Je ne relève point de la loi de vos Princes,Et si j'étais coupable en toutes nos provincesJe trouverais chez vous une protection,C'est le droit qui s'observe en toute nation. Mais quoi, pour m'immoler à la secrète rageDont ce cruel Bethfort injustement m'outrage,Votre raison esclave est sourde à l'équité,Et vous n'écoutez rien que votre lâcheté. LE DUC. En vain par la pitié tu tâches à nous prendre, On t'a fait trop de grâce en te laissant défendre,Et nous ne devions pas nous assembler exprès.Gardes, remenez-là, qu'on la veille de près. Elle sort. SCÈNE II. Le Duc de Sommerset, Le Comte de Varvic. Le Baron de Talbot, Soldats, Peuple. LE DUC DE SOMMERSET. Ici, braves Anglais, c'est à votre courageÀ calmer de l'État le plus pressant orage, Aucun empêchement ne vous détourne plus,L'art de cette méchante est demeuré perclus,Et ce dernier Conseil si différent de l'autreMontre que son pouvoir est esclave du nôtre,Chaque esprit à la fin rallume sa clarté, Et notre jugement reprend sa liberté. LE BARON. Ainsi tous nos avis seront hors de contrainte. LE DUC. Il est temps que ce monstre ait sa dernière atteinte,Qu'on venge par sa mort tant d'hommes valeureux,Et que le sang impur lave le généreux. À vous bien regarder j'ai peine de connaîtreQuels sont vos sentiments et quels ils peuvent être ;Mais je trouve pour moi sans haine et sans transportQue cette malheureuse est bien digne de mort. LE BARON. Il serait plus séant de rétablir sa gloire Tâchant de remporter quelque insigne victoireQue d'en être réduits à cet étrange pointDe punir une fille ou le crime n'est point,Quel est ce procédé ? Qui jamais ouït direQu'une fille en sa mort venge tout un Empire ? Et qu'il faille un bourreau pour essuyer l'affrontQu'une si franche guerre a mis sur notre front ?Pouvons nous le souffrir sans croître notre honte,Et mériter par là que la France nous dompte ?C'est notre prisonnière, et je lui dois le bien Dont elle m'honora lorsque je fus le sienAprès qu'elle m'eut pris au fort d'une bataillesEt quoi que l'injustice à sa perte travaille,Son plus grand châtiment doit être la prison. LE COMTE. Oui, nous ne pouvons plus avec juste raison, Et c'est faire un outrage à la même innocence. UN SOLDAT. Ha traîtres ! UN DU PEUPLE. Ha méchants ! UN AUTRE SOLDAT. Ils sont d'intelligence. LE COMTE. Quoi, Seigneur, souffrez vous qu'un acte pareilCe peuple et ces soldats prennent part au Conseil ?Et voulez vous livrer d'un pouvoir tyrannique Nos libres sentiments à la force publique ? LE DUC. Votre indiscrétion qui n'éclate qu'en vainA causé le désordre et non pas mon dessein,Apaisez le tumulte et la fureur émueEn rendant à ce peuple une sûreté due, Enfin délivrez-les d'un mal si dangereux,Et vous ne serez pas en danger avec eux. LE COMTE. Ha, Baron, c'en est fait, l'injustice puissanteAccable malgré nous cette pauvre innocente. CANCHON. Un supplice vulgaire est encore trop peu, Et son crime doit être expié par le feu. DESTIVET. Il faut selon mon sens la brûler toute vive. MIDE. Jeter sa cendre au vent et quoi qu'il en arrive,En éteignant le feu qui punit ce DémonÉteindre s'il se peut sa mémoire et son nom. LE DUC. Voilà comme les uns jugent mieux que les autresTels sont nos sentiments, persistez dans les vôtres,Le sort de la Justice en cette occasionEmporte votre brigue et votre passion, À Canchon.Vous, brave et digne Anglais, faites d'un soin fidèle Entendre son arrêt à cette criminelle,Et que bien promptement il soit exécuté. Il rentre.J'accomplirai votre ordre avec fidélité. SCÈNE III. Le Duc, Le Comte, Le Baron, La Comtesse, Dalinde. LA COMTESSE, en désordre. Attendez, Chevalier. DALINDE. Hé pensez où vous êtes,Madame, et si vous plaît voyez ce que vous faites. LA COMTESSE. Avant que de m'ouïr ne vous séparez point,Je vous viens supplier de m'accorder un pointPar mes cris, par mes pleurs, par vos pieds que j'embrasse. LE DUC. Hé quoi ? LA COMTESSE. De la Pucelle accordez-moi la grâce. LE DUC. D'où vous est arrivé ce changement soudain ? Mais elle est condamnée et vous priez en vain. LA COMTESSE. Qu'avez vous fait méchants, un crime abominable,Elle est toute innocente, et moi toute coupable,Ouvrez, ouvrez mon coeur vous y verrez sa mortÉcrite dans ma rage et dedans mon transport, Ma damnable fureur en est seule complice,Et le peuple à frémi contre cette maliceSes effroyables cris en l'air se sont perdusEt vous-mêmes, cruels, les avez entendus. LE COMTE. Dalinde, hé depuis quand est-t-elle si troublée ? DALINDE. Rêvant à la fenêtre, au bruit de l'assembléeElle a changé soudain, s'est mise à deux genoux,A dit d'étranges mots qui nous étonnaient tous,Et suivant le transport dont elle était émueElle s'est relevée, et puis est accourue. LE DUC. Ces cris dont vous parlez le peuple les a faitsPour montrer qu'il voulait qu'on punit ses forfaits. LA COMTESSE. Hé ne voyez-vous pas tout ce peuple en tristesseQui les larmes aux yeux m'environne, mep resse,Et me conjure encor de vous redemander La grâce qu'à mes pleurs vous devez accorder ?Et parmi les soldats oyez combien résonnent,Les acclamations qu'à cette fille ils donnent. LE DUC. Comte, ce trait sans doute est de votre façonPour effrayer le peuple. LE COMTE. Injurieux soupçon ! Il n'en est rien, Seigneur, mais cette frénésieEst la punition d'une autre fantaisieQui la faisaient agir déraisonnablementEt contre mon repos et presque incessamment. LA COMTESSE. De combien de remords me sens-je tourmentée Depuis que ma fureur est à ce point montée !Mais ce peuple revient, il va fondre sur moi,Ha changement hideux qui me transit d'effroi !Ce ne sont plus qu'autant d'infernales furiesQui me vont replonger dans mes forcèneries, Je n'en puis échapper, je les vois, je les sens,Et la rage à ce coup s'empare de mes sens,Ô fille toute sainte, et pourtant outragée ?Si vous me pardonnez j'en serai dégagée,Laissez moins d'étendue à vos ressentiments, Lisez dans mon esprit, et contez les tourments,Voyez mille bourreaux contre une conscience Qui connaît sa malice et sait votre innocence. Elle pâme.Mais vous ne parlez point. Ha je meurs de douleur. LE DUC. Sa manie est étrange, et ce dernier malheur, Sorcière dangereuse, est un de tes ouvrages. Il sort.Mais une prompte mort va calmer ces orages. SCÈNE IV. Le Comte, le Baron. LE COMTE. Elle est comme assoupie, et l'on peut aisémentLa faire transporter dans un appartement. LE BARON. Je ne vous quitte point en ce fâcheux rencontre. LE COMTE. Non laissez moi tout seul. Il s'en va. LE BARON. Ciel ! Ton pouvoir se montre,Fais voir la vérité d'un mystère si grand,Mais ne la venge pas en nous la découvrant. SCÈNE V. DALINDE emportant sa maîtresse. Que l'on tombe aisément dans une frénésieEt par la conscience, et par la jalousie. Le Théâtre se referme. ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. La Pucelle, Canchon, Mide, Le Peuple. LA PUCELLE. Stances de la Pucelle allant au supplice. Aimable tyrannie ! Heureuse cruauté ! Qui m'envoyez du trouble où j'ai longtemps été Dans le calme éternel d'une paix si profonde, Votre arrêt m'est plus doux qu'il ne m'est rigoureux, Et sur lui mon repos se fonde Puisqu'en ce moment bienheureux Je m'en vais de prison pour m'en aller du monde. Encore que mon coeur n'ait point été vaincu Et que la patience ou j'ai toujours vécu Ait quasi témoigné que j'aimais ma misère, Je puis bien ressentir avecque volupté La grâce qui m'en va distraire, Et si j'aime la liberté Le trépas qui me vient ne me saurait déplaire. Suivant l'ordre prescrit à mon illustre emploi Je devais et venger et couronner mon Roi Et rendre à son État sa splendeur ancienne, J'ai vengé de mon Roi le malheur et l'affront, Sa gloire doit tout à la mienne, Sa couronne lui tient au front, Il est temps que mon âme aille quérir la sienne. Déjà le Ciel ouvert m'en monstre plus de cent Qui toutes à la fois sur mon chef innocent Afin de l'honorer sont prêtes à défendre, Mon zèle ambitieux les veut toutes porter, Et s'il n'a pas droit d'y prétendre Il commence à les mériter Par cette vive ardeur dont il tâche à les prendre. J'oi déjà pétiller le brasier dévorant, Mais en le regardant, d'un oeil indifférent J'en vois la vérité comme j'en vis l'image, C'est ce qui me console, et par là je connais Que mon bon Ange me soulage, Et je sens à l'entour de moi La force qui remplit ma force et mon courage. Témoin de l'innocence et de l'iniquité Qui rendras à chacun ce qu'il a mérité De la punition et de la récompense Prends mon âme en ta garde et la conduis au port Après sa dernière souffrance, Et fais que mon injuste mort Soit le dernier malheur qui regarde la France. CANCHON. Ses inutiles voeux retardent son trépasEt le plaisir du peuple en retardant ses pas.Marche, marche au supplice, et d'un profond silence Prouve ta modestie avec ta patience. LA PUCELLE. Je ne veux pas apprendre en mon dernier momentDe votre tyrannie à souffrir constamment,Mais, barbares, je veux et c'est ma seule envieFaire aller ma parole aussi loin que ma vie : Je ne cesserai point de parler contre vous,Oyez le testament que je sais devant tous.Je donne au feu mon corps, je rends au Ciel mon âmeDans une pureté sans reproche et sans blâme,Je laisse à tous les miens qui partagent mon sang L'exemple de moi-même et l'espoir d'un haut-rangAu peuple de la France et l'olive et la palme,Des lauriers toujours verts, un repos toujours calme,À vous mille cyprès l'un sur l'autre entassés,Un repentir affreux de vos crimes passés, Un parti contre vous de Ciel et de fortune,Une ruine entière, une terreur commune, Elle sort et tout le monde la suit. MIDE. Sa hardiesse est grande au trépas qu'elle attend,Et quoi que ridicule elle étonne pourtant. SCÈNE II. LE COMTE DE VARVIC, seul. Où va ce peuple fou ? Quelle rage l'anime À courir de la sorte au triomphe du crime ?Qui s'imaginerait , qui pourrait concevoirL'innocence punie être si belle à voir ?Cette cour est déserte en sa vaste étendue,Ce qui la remplissait se dérobe à ma vue, Et ce peuple écoulé qui mène un si grand bruitAu spectacle attaché le devance, ou le fuit.Quoi dans le désespoir dont j'ai l'âme oppresséeN'en sais-je pas autant de ma triste pensée ?Les autres pour la voir en cette extrémité Suivent un mouvement de curiosité,Ou de compassion, ou de rage, et de haine,Et mon coeur fuit les pas de l'amour qui l'y traîne,Il me quitte, il y court, et demeurant auprèsAccompagne à la mort ses innocents attraits, Il souffre aussi bien qu'elle, et je vois ce me semble.Qu'au funeste bûcher on les attache ensemble.Ha la douleur m'étouffe, et je meurs de pitié !Ici mon désespoir s'accroît de la moitié,Hélas en quel état m'apparaît cette belle ! Un grand cercle de feu pétille à l'entour d'elle,Sa belle âme s'envole et se va perdre en l'airAvec ce même feu qui la fait envoler.Amant désespéré, malheureux à toi-même,Tu l'as abandonnée en son besoin extrême, L'insolence à tes yeux a commis ce forfaitEt l'ayant enduré ta lâcheté l'a fait.Mais quoi pour empêcher notre commun suppliceN'ai-je pas employé la force et l'artifice ?Pour elle je n'ai pu sécher sa cruauté, Je n'ai pu la sauver qu'avec sa volontéEt sa haute pudeur sort enracinéeContre son propre bien s'est toujours obstinée.Toutefois son salut se pouvait espérerSi je l'eusse entrepris sans me considérer, Et sans mêler un peu lorsque je l'ai servieL'intérêt de ma flamme au dessein de sa vie,Pouvais-je à sa vertu faire mettre armes bas,Et puisque je l'aimais la connaissais-je pas ?Hélas elle vivrait, et quand bien l'espérance Aurait été ravie à ma persévérance,Ne la possédant pas il resterait ce pointQue j'aurais le bonheur de ne la perdre point.Doux sentiments du coeur, dont la voix infidèleM'a dit secrètement que j'aimais cette belle Du véritable amour qu'ont les vrais serviteurs,Vous en avez, menti comme des imposteurs :Je trouve en débrouillant votre artifice extrêmeQue j'avais seulement de l'amour pour moi-même.Et recherchant mon bien qu'elle tenait en soi Je n'ai rien fait pour elle et j'ai tout fait pour moi :Encore si pour moi ma flamme eut été vraieJe me fusse épargné cette cruelle plaieQui saignera toujours dans le fond de mon coeur,Oui j'aurais eu pitié de ma propre langueur, Et sauvant sa beauté contre la force ouverteJe me serais sauvé du regret de sa perte.C'est donc moi qui la tue et le Ciel a permisQue je sois le plus grand de tous ses ennemis,Pas un de la sauver ne se vit plus capable, Et pas un de sa mort ne se voit plus coupable.Ha ! Reviens, mon amour, non plus comme devantAvecque le flambeau d'un espoir décevant,Mais armé de serpents, de terreurs, et de ragesQui de mon désespoir signalent les ouvrages, Dans mon sein criminel verse un poison maudit,Et deviens mon bourreau comme elle m'a prédit. SCÈNE III. Le Comte, Le Comtesse, Dalinde. LE COMTE. Voici de ma douleur l'autre cause vivante,L'une par son trépas m'afflige et me tourmente,L'autre par sa folie excite ma pitié, Et je sens que mon coeur se partage à moitié,Dès l'instant que je songe à celle que l'on m'ôteJe pense à mon amour, où plutôt à ma faute,Et pour celle que j'ai, mon oeil ne la peut voirQu'aussitôt son malheur n'accuse mon devoir. DALINDE. Pourquoi contre vous même user de violenceEn voulant échapper à notre vigilance ? LA COMTESSE. Enfin vous m'offensez, dans ces occasionsJe prends tous vos devoirs pour des rebellions.Après ce grand travail qui n'est pas ordinaire Je trouve que le frais m'est un peu nécessaire.Et puis il est bien juste à ne vous point mentirQue pour verser des pleurs, et pour me repentirD'une méchanceté qui va jusqu'à l'extrême,Ce soit au même endroit, et dans la place même Où j'ai fait assembler ce damnable Conseil. LE COMTE. Dalinde, en quel état l'a mise son réveil ? DALINDE. Son esprit est rassis, son action posée,Mais pourtant sa fureur n'est pas toute apaisée. LA COMTESSE. Peut-être connaissant qu'elle n'a point de tort Ils n'auront pas signé sa sentence de mort,Qu'en jugez-vous, Dalinde ? Il est plutôt à croireQue pensant m'obliger ils en auront fait gloire. DALINDE. Madame, je ne sais. LA COMTESSE. Comment vous ne savez ?Bien, bien, je vous paierai comme vous me servez ; Je vous ai commandé de leur dire sur l'heureQu'il faut bien empêcher que la Pucelle meure,Jusqu'à tant que Bethfort, tous leurs avis reçus,Renvoie encore un coup ses ordres là-dessus. LE COMTE. La voilà qui s'échappe. LA COMTESSE. Ils ignorent peut-être Le billet important que m'écrit notre MaîtreQui ne défend rien tant que de l'exécuter,Allez tout de ce pas vous-même le porter,Et les avertissez que s'ils sont résistanceMille Français armés, viendront à sa défense, Ils ne sont pas si loin que pour les bien punirJe ne trouve moyen de les faire venir. DALINDE. Que le trouble est puissant ou son esprit succombe !À la bien observer, j'ai peur qu'elle retombe.Mais j'entends un grand bruit. LE COMTE. Quel désordre nouveau, Et d'où vient ce tumulte aux portes du château ?C'est possible un effet de l'humeur populaireQui voit notre injustice et qui ne s'en peut taire,Où qui pour l'empêcher fait tout ce qu'elle peut. SCÈNE IV. Le Duc. Le Comte, La Comtesse, Dalinde, Canchon, Destivet entre deux gardes. LE DUC. Entrez, et dites-moi quel trouble vous émeut. CANCHON. Traînez-le ce méchant, ce perfide, ce traître. LA COMTESSE. [Note : Le vers 1577 est illisible.]. . . . . . . . . . . . . . . CANCHON. Seigneur, bien à propos je vous ai rencontré,Et certes si plus tard vous tous fussiez montré,De ce peuple agité la rumeur insolente Eut à son châtiment dérobé la méchante.Mais puisque c'en est fait, vous plait-il d'écouterL'accident survenu que je vous vais conter ?Au point que la Justice allumait une flammeQui devait consommer cette sorcière infâme, Ce lâche a désiré d'être près du bûcherMais le peuple serré l'empêchant d'approcher,Les yeux baignés de pleurs, d'une voix gémissanteIl s'est mis à crier qu'elle était innocenteEt qu'il la suppliait de croire son transport Véritable témoin du regret de sa mort.Ces mots entrecoupés de sanglots et de plaintes,Sur les esprits du peuple ont fait quelques atteintes,Qui les portaient déjà par cette impressionAu delà du murmure et de l'émotion Si je n'eusse envoyé des gardes pour le prendreEt comme criminel entre vos mains le rendre. LE DUC. Hé comment, malheureux, avoir si bien servi,Et jusques à la fin n'avoir pas poursuivi ? Hé quoi vous étiez juge, et vous êtes complice. DESTIVET. Dussai-je être puni d'un rigoureux supplice,Il faut que je l'exalte, et l'innocence au moinsMérite bien d'avoir ses Juges pour témoins,Mais je crains que l'aveu d'une chose si clairePour n'être infructueux n'ait du plutôt se faire. LE COMTE, à part soi. Ô d'un esprit touché digne ressentiment !Si le juge en est là que peut dire l'amant ? LA COMTESSE. Dalinde, il est besoin que j'aille tout à l'heurePour lui crier merci par avant qu'elle meure. DALINDE. Où courez-vous, Madame, écoutez si vous plaît Que le Baron vous die en quel état elle est. SCÈNE V. La Comtesse, Le Baron, Le Duc, Le Comte, Destivet, etc. LE BARON DE TALBOT. Vis-je croire à mes yeux et croire mes oreilles ? LA COMTESSE. Hé bien qu'avez-vous vu ? LE BARON. Madame, des merveilles,La mort de la Pucelle est un vivant tableauDe ce que les vertus ont de grand et de beau. Sa gloire à si haut point ne s'était jamais vue,Elle marche à la mort sans paraître émue,Sa constance et sa peine agissant par moitiéJetent dans tous les coeurs, la force et la pitié,Et voyant sa fierté dans le mal qui la presse Je m'enfle de courage, et pleure de tendresse.Pensez-vous que de crainte elle ait tourné les yeuxElle voit son bûcher, où regarde les Cieux,Ni son front ne pâlit, ni son teint ne s'efface,Un dédain généreux en augmente la grâce. Comme on l'allait brûler un chacun s'est troublé,Tout le monde a frémi, tout le monde a tremblé,Seule elle a tenu bon dans les forces extrêmes,Bref, à bien observer comme ils pleuraient eux-mêmesEt de quelle façon elle se commandait, On eût dit qu'ils souffraient et quelle regardait.À la fin le feu prend, tout le bûcher s'allume,Et ce corps si parfait se perd et se consume.Mais, ô prodige étrange ! Au milieu du brasierOn a trouvé son coeur encore tout entier, Le peuple a fait un cri, même en notre présence,Contre votre injustice, et pour son innocence,Et beaucoup dans la presse ont dit en murmurantQue cela marquait bien quelque chose de grand. LE DUC. Les Démons n'ont quitté qu'avec beaucoup de peine Ce coeur où leur malice éclatait comme Reine.Qui de tous ses malheurs partit victorieux,Pour mettre dans son jour une extrême injusticeA survécu lui-même à son propre supplice,Et le Ciel est injuste et pour elle et pour nous Si ce crime effroyable échappe à son courroux. DESTIVET. Dans le vrai sentiment ce coup me fortifie,Nous l'avons condamnée, et Dieu la justifie.Méchants, à tout le moins que n'avez-vous souffertQu'à ses beaux yeux mourants mon coeur serait ouvert, Vous n'empêcherez pas mon âme languissanteDe publier partout qu'elle est morte innocente. LE DUC. Qu'on chasse, pour n'accroître un désordre commun,Ce perfide ennuyeux, et ce lâche importun,Qu'il sorte de la ville, et sans aide et sans suite, Et que son désespoir luy serve de conduite. DESTIVET, et s'en allant. Étonne-toi, barbare, et demeure interditPuisqu'il m'est arrivé ce qu'elle m'a prédit. SCÈNE VI. UN SOLDAT. Juste Ciel, qu'ai je vu ! Mon coeur est tout de glace. LE DUC. Qu'est-ce, parle. SOLDAT. Seigneur, au milieu de la place Mide s'est vu sapé d'un mal prompt et vilain,Son visage et son corps ont blanchi tout soudain,Tout le monde étonné fuit son abord funesteComme si cet abord communiquait la peste,Et la secrète horreur qu'il porte dessus soi Fait que chacun des siens le quitte avec effroi.Et comment de ma peine adoucir la rigueurPuis qu'elle a pris racine au profond de mon coeur ?Ma propre conscience à soi-même est cruellePar cent monstres secrets qu'elle produit contre elle, Je vois mon sein battu de plus de mille coups,Que je vois de serpents. DALINDE. Hé revenez, à vous ? LA COMTESSE. Quelle horreur m'environne ! Ha je me sens contrainte Elle s'en va.De courir à la mort pour venger cette sainte. LE COMTE. Dalinde, menez-là dans son appartement, Et ne la quittez point, j'y suis dans un moment. SCÈNE VII. CANCHON, mourant subitement. Ha ! Je suis traversé par un trait invisibleEt qui donne à mon coeur une atteinte sensibles ;Je ne puis résister à ce dernier effort,Et je meurs. LE DUC. Ô prodige ! En effet il est mort. LE COMTE. Justes, et prompts effets d'une juste menace ?Enfin craignez pour vous, craignez pour votre race. LE DUC. Comte, je me repens, et je commence à voir[Note : Le vers 1684 est illisible.]. . . . . . . . . . . . . SCÈNE VIII. LE BARON. Grand Dieu, satisfais toi par la seule terreur, Et t[iens] le sceptre Anglais bien loin de ta fureur. LE COMTE. Puisse le Ciel content des tourments de mon âmeÉteindre pour jamais le courroux qui l'enflamme. ==================================================