******************************************************** DC.Title = LA RAPINIÈRE ou L'INTÉRESSÉE, COMÉDIE. DC.Author = ROBBE, Jacques dit BARQUEBOIS DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 13/07/2023 à 14:12:45. DC.Coverage = Italie DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/BARQUEBOIS_RAPINIERE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56290424 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LA RAPINIÈRE ou L'INTÉRESSÉE COMÉDIE. M. DC. LXXXIII. AVEC PRIVILÈGE. par M. de Barquebois Se vend, À PARIS, À la Porte de la Comédie. Et au Palais Chez ESTIENNE LUCAS, Marchand Libraire dans la Salle neuve, à la Bible d'or. Représentée pour la première fois le 27 Février 1692 au Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain. ACTEURS. LA RAPINIÈRE, Fermier général des droits de la République de Gênes, amoureux de Léonore, tuteur du frère et de la soeur. DORANTE, frère de Léonore, amant d'Isabelle. LÉONORE, soeur de Dorante, amante de Fernand. FERNAND, frère d'Isabelle, amant de Léonore. ISABELLE, soeur de Fernand, amante de Dorante. MONSIEUR LE BLANC, sous-Fermier. BÉATRIX, suivante de Léonore. LA ROCHE, Commis de Monsieur la Rapinière. JASMIN, valet de Fernand et Commis de Monsieur La Rapinière. MASCARILLE, autre valet de Fernand. LA FLEUR, Sergent de la Compagnie de Fernand. LE CLERC DU NOTAIRE. UN CROCHETEUR. OLIVE, blanchisseuse. UNE PAYSANNE. La scène est à une des portes de Gênes. ACTE I SCÈNE I. Fernand, Dorante. FERNAND. Oui, puisque ainsi pour moi vous voulez vous commettre : Avec un tel secours j'ose tout me promettre : D'un bizarre tuteur les transports outrageants Céderont aux efforts de vos soins obligeants, Et je sens que mon coeur animé d'espérance S'en fait secrètement un plaisir par avance. DORANTE. Fernand je suis ravi, pour répondre à vos voeux, Que pareille ardeur nous enflamme tous deux, Que notre sang d'accord avec l'amour conspire À nous donner les biens, où cette ardeur aspire, Et que pour affermir encor notre amitié, Ils travaillent tous deux aujourd'hui de moitié, Vous aimez Léonore et moi j'aime Isabelle, L'une et l'autre à nos yeux paraît aimable et belle, Et j'espère que l'une au plus tard dans demain Pourra m'acquérir l'autre, en vous donnant la main. FERNAND. Dorante cependant, Monsieur la Rapinière Est un homme bâti d'une étrange manière ; Et de quoi qu'aujourd'hui mon coeur s'ose flatter, Quand je songe qu'il est... DORANTE. Il n'en faut point douter, Le pouvoir que sur nous lui laissa notre mère, De disposer de nous comme ferait un père, M'a fort embarrassé depuis un certain temps ; Mais devenu majeur, désormais je prétends Du destin de ma soeur être à mon tour l'arbitre : Le sang et mon emploi m'en donnent un bon titre. Nous avons des amis, et sur ce testament Le Sénat nous rendra justice assurément. Tout ce que j'appréhende, est que si l'on l'irrite, Il ne donne son bien, et ne nous déshérite. FERNAND. Hé, Monsieur, qu'avez-vous affaire de son bien ? Vous en avez assez, sans attendre le sien. Faut-il qu'à ces égards votre raison s'applique : Déjà vous tenez rang dans cette République, Et Gênes quelque jour saura mieux s'acquitter De ce qu'un père et vous avez su mériter. DORANTE. D'un si frivole espoir je ne suis point capable, Et ce n'est point ce soin aujourd'hui, qui m'accable. Les services d'un mort sont bientôt effacés, Et les miens sont assez déjà récompensés. Je songe à ménager un tuteur trop avare ; Mais il est devenu si dur et si bizarre, Depuis qu'en ses conseils, certain Monsieur Griffon L'anime, comme lui, de l'esprit du Démon ; D'un tel original imitateur fidèle, Il se compose en tout, sur ce méchant modèle. Le titre fastueux de Fermier Général Le rend de jour en jour mille fois plus brutal : Il ne veut voir personne, et son abord farouche Glace les plus hardis, et leur ferme la bouche. Il donne en certains jours, par un faste inouï, Comme un homme d'État, audience chez lui. Là, d'un grave maintien, et d'un regard sauvage, Il reçoit des Commis les respects et l'hommage : Il y traite ces gens, comme autant de captifs. Tous ses mots sont autant d'Arrêts définitifs. Les présents sont chez lui les patrons et les guides, Et l'on n'ose venir lui parler, les mains vides. FERNAND. Mais comment votre mère a-t-elle pu choisir Cet homme ?... DORANTE. Il était seul fait selon son désir. C'était son bon parent, prudent, sage, économe, Et jamais à son goût, ne fut plus honnête homme. Lui seul sur son esprit avait quelque pouvoir. Vous ne savez pourquoi ? FERNAND. Non. DORANTE. Vous l'allez savoir. Par là, de sa famille elle se montrait digne, Fille de Partisan, mais partisan insigne, Dont l'esprit inquiet mettait tout son repos À faire des partis, et forger des Impôts, Et dont le coeur avare et l'âme dévorante, Dans vingt ans épargna vingt mil écus de rente : Fille unique, en un mot c'était un grand parti. FERNAND. J'entends. DORANTE. Mon père fut en secret averti, Que le sien redoutant les Syndics de l'Office, Quelque taxe, un exil, ou peut-être un supplice, Souhaitait prudemment, pour en parer les coups, Dans les gens de faveur lui choisir un époux. Vous savez qu'il était d'une faille illustre : Ses services encor en augmentaient le lustre ; Mais les biens qu'il avait reçus de ses parents, Pour son ambition n'étaient pas assez grands. FERNAND. Beaucoup d'honnêtes gens ont ce malheur. DORANTE. Mon Père Étant en cet état, épousa donc ma mère, Préférant l'intérêt à la naissance, au sang, Afin d'avoir de quoi soutenir mieux son rang. Il fut bientôt après Gouverneur de Savonne, Puis de Corse, et partout payant de sa personne, Des Galères ensuite, il fut fait Général, Et l'on parlait déjà de le faire Amiral, Quand un coup imprévu, de nos destins contraires, Lui fit trouver la mort en suivant des Corsaires. Ma mère dont les soins ne tendaient qu'à gagner, Et dont les entretiens n'étaient que d'épargner, Eut un veuvage court : dans la cinquième année Elle vit tout à coup trancher sa destinée, Et pour comble de maux, nous donna pour tuteur Monsieur la Rapinière. FERNAND. Ah juste ciel ! DORANTE. Ma soeur Fut dans ce testament la plus intéressée ; Car elle la soumit à l'humeur insensée Du brutal, lui donnant sur elle un plein pouvoir, Voulut qu'il prît seul le soin de la pourvoir ; Et pour pousser enfin, l'erreur jusqu'à l'extrême, Qu'il eût encor le choix de l'épouser lui-même. FERNAND. Ô Dieux ! Vit-on jamais plus grand aveuglement ? Hé, ne pourrait-on pas casser ce testament ? DORANTE. Comment ? De nos parents n'est-il le plus proche, Par sa femme ? FERNAND. Il est vrai ; mais est-il sans reproche ? Et le Sénat peut-il autoriser ce choix ? Mais dites-moi, son nom marque qu'il est Français. DORANTE. Il est vrai, c'est un point encore que j'oublie. Depuis vingt ans, au plus, il est en Italie : Ne pouvant demeurer en France en liberté, Il vint ici chercher un lieu de sûreté. Ce que j'en sais de plus, c'est qu'on dit que son père De Basse-Normandie était originaire, [Note : Prévôt : Prévôt, dans plusieurs petites villes, juge royal qui connaissait des causes entre les habitants non privilégiés. [L]]Qu'il s'était fait Prévôt de la Ville du Mans ; Ainsi tous ses parents sont Manceaux ou Normands. FERNAND. Comment ? Il est donc fils de ce la Rapinière Dont je lisais encor la semaine dernière La ridicule histoire et la haute valeur ? Je ne m'étonne plus, étant fils de voleur, S'il aime tant à prendre. DORANTE. Enfin oui, c'est lui-même. Je me suis mis en tête un certain stratagème... Avez-vous un valet, qui soit adroit et fin ? Et qui puisse... FERNAND. Oui, j'ai là Mascarille et Jasmin, Qui sont tous deux adroits, autant que l'on puisse être. DORANTE. Appelez-les. FERNAND. Jasmin, Mascarille. SCÈNE II. Fernand, Dorante, Mascarille, Jasmin. MASCARILLE. Mon Maître. JASMIN. Dis donc Monsieur, benêt, et connais ton erreur : On te croira valet de quelque laboureur. Mon Maître, il est aisé à voir à ton langage Que tu viens de quitter fraîchement ton Village. MASCARILLE. Pourquoi ? Mon Maître, hé bien, ne l'est-il pas ? JASMIN. D'accord. MASCARILLE. De l'appeler ainsi, je n'ai donc pas grand tort. JASMIN. Tu dois parlant à lui, dire Monsieur ; aux autres, Parlant de lui, mon Maître. FERNAND, à Dorante. Hé bien ? DORANTE. Les bons Apôtres ! Ma foi, ces deux garçons valent leur pesant d'or. Sais-tu bien écrire. JASMIN. Oui : car défunt Barbedor Fameux Maître à Paris, fut parrain de mon Père, Et de plus bon ami, dit-on, de ma grand-mère. DORANTE. Ah ! C'est assez, pour être un célèbre écrivain. JASMIN. On m'a dit que mon père apprit de son parrain, Qu'il se rendit expert, savait l'Arithmétique, [Note : Pratique : se dit absolument de la procédure et du style des actes, qui se font dans la poursuite d'un procès. [FC]]Parlait fort bien Latin, entendait la pratique, Ayant écrit longtemps dans un des Châtelets, Et savait tous les tours que l'on fait au Palais. Or, comme un fils bien né tient toujours de son père, Jugez par là, Monsieur, de ce que je sais faire. DORANTE. On peut laisser ses biens sans ses perfections, Et souvent cette règle a des exceptions. JASMIN. Il est vrai ; mais on peut être fait de manière, Que l'esprit... DORANTE. Connais-tu Monsieur la Rapinière ? JASMIN. Ce Partisan, chez qui vous demeurez. DORANTE. Oui. JASMIN. Non.J'en connais seulement la demeure et le nom, Pour avoir quelquefois par l'ordre de mon Maître, Été vous y trouver, ce que j'en puis connaître. [Note : Maltôtier : est celui qui éxige des droits qui ne sont point dûs, ou qui sont imposés sans autorité légitime. [T]]De plus, c'est son renom d'insigne maltôtier, [Note : Fesse-mathieu : On appelle ainsi Un usurier, un homme qui prête sur gage. [Acad. 1762]]Et de Fesse-Mathieu, c'est-à-dire usurier, [Note : Crésus : Homme extrêmement riche. [L]]D'être en argent comptant un Crésus, mais plus chiche, Et plus vilain cent fois encore qu'il n'est riche. Mais pardon, car peut-être est-il de vos amis. DORANTE. Je te veux aujourd'hui faire un de ses Commis. JASMIN. [Note : Rat de cave : On appelle ironiquement rat de cave, un Commis des Aides qui va visiter et marquer les tonneaux des Cabaretiers, pour en faire payer le Gros et le Huitième. [T]]De ses Commis, Monsieur ? Quoi, de ces rats de caves ? DORANTE. Non, non, de ces Commis qui sont toujours si braves, Qui reçoivent l'argent, et qui dans leur Bureau [Note : Toucher le chapeau : On touche le chapeau pour saluer. Donc ici ces Commis si fiers ne saluent même pas.]Sont si fiers, qui jamais ne touchent le chapeau, Quand on vient leur parler, et qui font moins de compte D'un homme comme moi, d'un Marquis et d'un Comte, Dont ils sont quelquefois au besoin caressés, Que du moindre laquais de leurs Intéressés. Qui deviennent Fermiers au Bail suivant. JASMIN. La peste ! Et combien par année aurai-je bien de reste ? DORANTE. Par leurs appointements, on leur donne, dit-on, [Note : Tour du bâton : Tour du bâton, profit secret et illicite. [L]]Huit cent livres au moins, et le tour du bâton, Ce sont certains profits qu'on reçoit en cachette, Dont l'on ne charge point le livre de recette, [Mais qui valent] souvent encor trois fois autant. JASMIN. Mais de ceci mon Maître, est-il bien consentant ? Monsieur, qu'en dites-vous ? FERNAND. Va, laisse-toi conduire. DORANTE. Suis-moi, viens, et de tout j'aurai soin de t'instruire. SCÈNE III. Fernand, Mascarille. FERNAND. Quel dessein peut avoir Dorante en tout ceci ? MASCARILLE. Monsieur, vous en serez dans peu mieux éclairci. Je crois que c'est un tour, que votre ami prépare. Pour tromper tous les soins de son tuteur avare. Il lui manquait encor un fourbe, pour cela. Et Jasmin justement à point s'est trouvé là. FERNAND. Pour servir un bon Maître, on doit tout entreprendre. MASCARILLE. Doit-on pas pour lui plaire, aussi se faire pendre ? FERNAND. Non, mais on doit du moins courir quelque danger, Quand on trouve par là, moyen de l'obliger. MASCARILLE. D'un si hardi dessein Jasmin est seul capable, Et tout autre que lui vous est insupportable. FERNAND. Peut-être ferais-tu quelque chose pour moi, En un besoin aussi ? MASCARILLE. Qui moi, Monsieur ? FERNAND. Oui, toi. MASCARILLE. Un esprit qui ne peut de soi-même connaître Les temps où l'on doit dire ou Monsieur ou mon Maître, Peut-il à votre avis, être fort inventif. [Note : Apprentif : Celui qui est novice dans les arts et les sciences. [F]]Non, non, et de Jasmin je ne suis qu'apprentif. FERNAND. Mascarille, à tous deux je sais rendre justice, Avant toi tu le sais, il est à mon service. De plus certain brillant, qu'on découvre d'abord, Frappe... MASCARILLE. Tout ce qui luit, bien souvent n'est pas or. FERNAND. Je le sais, même en toi j'en trouve un témoignage. MASCARILLE. Bon !... FERNAND. Mais ne parlons pas de cela davantage. MASCARILLE. Soit, çà, que voulez-vous ? FERNAND. Je désire savoir, Si tu veux me servir. MASCARILLE. Oui, de tout mon pouvoir. Car nul n'est obligé, dit-on, à l'impossible. FERNAND. Tu connais bien l'objet, pour qui je suis sensible ? MASCARILLE. Oui-da, je connais bien la soeur de votre ami, Pour qui vos tendres yeux n'ont pas toujours dormi. FERNAND. Que t'en semble ? MASCARILLE. Ma foi, je la trouve jolie. FERNAND. Dis-moi, pourrais-tu pas trouver par ton génie, Quelque galant moyen de me faire. MASCARILLE. J'entends Passer avec la belle une heure de bon temps. FERNAND. Maraud, tu pourrais bien attirer ma colère. MASCARILLE. Quoi, vous voulant du bien, pourrais-je vous déplaire. FERNAND. Que tu fais le plaisant ici mal à propos ! MASCARILLE. Çà, parlons sagement. FERNAND. Sache donc en deux mots... MASCARILLE. Quoi ? FERNAND. Que je voudrais bien, pour marquer ma tendresse Faire quelque présent à ma belle Maîtresse, De nippes, de rubans, de bijoux curieux, Et de tout ce qui peut enfin plaire à ses yeux ; Mais comme sur ce point elle est fort circonspecte Je veux lui faire voir combien je la respecte, Par les précautions que j'y veux apporter. Çà, ne pourrais-tu point lui faire présenter, Par exemple un beau point, mais de belle manière, Que je ne choque point son humeur un peu fière. Rêve un peu. MASCARILLE. Quoi, Monsieur ? Vous faites le Docteur, Et vous avez encor besoin d'un Conducteur ? Ah ! Que ces blonds cheveux couvrent peu de cervelle. Monsieur la Rapinière aime fort cette belle, M'a-t-on dit. FERNAND. Oui. MASCARILLE. De plus il est Fermier. FERNAND. Après. MASCARILLE. Il visite souvent le Bureau d'ici près, Sans doute, puisqu'il est si près de sa demeure. FERNAND. Où veux-tu donc venir ? Si j'en sais rien, je meure. MASCARILLE. Nous y voici bientôt, disposez vos présents, Donnez-les à porter à de certaines gens, Qui sans les déclarer, entrerons dans la Ville ; Les commis du Bureau, nation incivile, De même qu'on en trouve aux portes de Paris, Surveillant comme chats qui guettent la souris ; Viendront fondre dessus, d'une grande vitesse, Les fouilleront partout. FERNAND. Je comprends ton adresse, Tout ce que j'enverrai, saisi par ces Commis, Dans les mains du Fermier sera bientôt remis. Lui, se montrant d'humeur libérale et civile, En fera sur le champ présent à sa pupille, D'autant plus, qu'ils seront à son usage. MASCARILLE. Et oui, Vous l'avez deviné. FERNAND. Tu m'as tout réjoui. Par cette invention... Mais si ces Commis mêmes Dont les démangeaisons de prendre sont extrêmes Retiennent mes présents. MASCARILLE. Bon ! Notre ami Jasmin N'en prendra-t-il pas soin ? Vous savez que demain Il doit être Commis. FERNAND. J'admire ton génie. SCÈNE IV. Fernand, Mascarille, La Fleur. FERNAND. Ah, ah ! Voilà la Fleur, hé bien, ma Compagnie. LA FLEUR. Monsieur, elle va bien Dieu merci maintenant, Depuis que vous avez changé de lieutenant. [Note : Vintimille : Ville de la cote italienne à la frontière actuelle de la France.]C'est la plus belle enfin, qui soit dans Vintimille. Tenez Monsieur, lisez, Serviteur Mascarille. MASCARILLE. Hé bien, Monsieur la Fleur, comment vous portez-vous. LA FLEUR. [Note : Morguié : Altération pour Morgué qui une altération pou Morbleu. Sorte de jurement en usage même parmi les gens de bon ton. ]Tu vois, Morguié, tout prêt à boire quatre coups. Je suis depuis dîné, venu sans boire goutte, Et jamais je ne vis une si triste route. MASCARILLE. Voulez-vous m'assister ? LA FLEUR. Oui-da, très volontiers. En quoi ? MASCARILLE. Pour attraper ici ces Maltôtiers. Vous savez, ces commis qui sont à cette porte, Qui veulent visiter tout ce que l'on apporte ? LA FLEUR. Oui. MASCARILLE. De certains bijoux qu'ils saisiront demain, [Note : Affrioler : Terme populaire. Affriander, attirer par quelque amorce de plaisir. [F]]Sans doute leur pourront affrioler la main. LA FLEUR. Quels bijoux ? MASCARILLE. Vous saurez tantôt tout le mystère. FERNAND, à La Fleur après l'avoir lu. J'y répondrai demain. MASCARILLE. Monsieur, pour votre affaire, Dans la Fleur que voilà, nous avons un trésor. FERNAND. Bien. Qu'il aille avec toi. MASCARILLE. Je vous demande encor, [Note : Barrière : Bureaux établis aux portes et aussi à certaines limites de territoire pour la perception des droits d'entrée. [L]]Par grâce, qu'aux dépens de ces gens de barrière, [Note : Carrière : Donner carrière, laisser le champ libre. [L]]Vous nous laissez tous deux, un peu donner carrière. FERNAND. Et pourquoi ? Ces Commis t'ont-ils fait quelque tort ? MASCARILLE. Non pas Monsieur, mais, c'est que je les hais à mort Et je les veux aussi jouer à ma manière. FERNAND. J'y consens ; mais voici Monsieur la Rapinière : Ton visage en ceci, lui doit être inconnu, Je m'en vais lui parler. SCÈNE V. La Rapinière, Monsieur Le Blanc, Fernand. MONSIEUR LE BLANC. Monsieur, j'étais venu, Fondé sur vos bontés, animé d'espérance, Pour vous faire chez vous très humble remontrance, D'avoir un peu d'égard aux pertes que je fais, Dans un malheureux bail et deux maudits forfaits... LA RAPINIÈRE. À l'autre, vous perdez toujours à vous entendre. MONSIEUR LE BLANC. Mais... LA RAPINIÈRE. Mais Monsieur le Blanc, qui vous les a fait prendre ? Est-ce moi ? MONSIEUR LE BLANC. Non, Monsieur. LA RAPINIÈRE. Hé bien donc ? MONSIEUR LE BLANC. Le haut prix, Que... LA RAPINIÈRE. Vous avez cru prendre, et vous vous trouvez pris. Vous n'êtes pas le seul. MONSIEUR LE BLANC. Il est vrai, c'est ma faute. LA RAPINIÈRE. Depuis quand avez-vous cette Ferme si haute ? MONSIEUR LE BLANC. Depuis quatorze mois. LA RAPINIÈRE. Mais étiez-vous mineur, Quand vous avez signé ? MONSIEUR LE BLANC. J'ai cinquante ans Monsieur. LA RAPINIÈRE. Tant pis ; vous aviez l'âge. MONSIEUR LE BLANC. Ah, la funeste Ferme ! J'en paye au grand Bureau vingt mil écus par terme. J'ai comme vous savez avancé le premier, J'ai payé le second ; le troisième et dernier Sont encor à payer ; car Monsieur, la recette, Qu'en un an les Commis dans les Bureaux ont faite, N'excède pas, je crois, soixante mil écus, Les établissements, frais de régie... LA RAPINIÈRE. Abus. MONSIEUR LE BLANC. L'intérêt de l'argent, les présents qu'il faut faire... LA RAPINIÈRE. Abus. MONSIEUR LE BLANC. Les pensions... LA RAPINIÈRE. Mais voulez-vous vous taire. MONSIEUR LE BLANC. Hé ! Vous savez, Monsieur, tout cela mieux que nous Vous avez... LA RAPINIÈRE. C'en est trop, allez, retirez-vous. Je suis las d'écouter vos insolentes plaintes. Payez, ou n'attendez de nous rien que contraintes [Note : Garniser : barbarisme pour dire établir garnison, s'installer.]Que garnisons chez vous, et que sévérités, Rien qu'exécutions, rigueurs et duretés. MONSIEUR LE BLANC. Je demande à compter Monsieur, de Clerc à Maître. LA RAPINIÈRE. Payez, et c'est là tout ce que je veux connaître. Allez, c'est assez dit. SCÈNE VI. La Rapinière, Fernand. LA RAPINIÈRE. Nous vous ferons, ma foi Soutenir comme il faut, ou vous direz pourquoi, Postiche sous-fermier de nouvelle fabrique, Que si légèrement quittez votre boutique. Il valait mieux pour vous, être toujours marchand, Que de venir ici faire le chien couchant. Vous avez voulu sottement voulu tâcher des Fermes ; Parbleu, vous payerez exactement vos termes, Sinon, vous le verrez dans huit jours publier À votre folle enchère, et sans aucun quartier. FERNAND. Monsieur, depuis longtemps votre mérite extrême. LA RAPINIÈRE. M'en voulez-vous, Monsieur ? FERNAND. Oui, Monsieur, à vous-même. LA RAPINIÈRE. C'est peut-être un filou, qui cherche à me voler. FERNAND. M'a fait chercher le bien de vous pouvoir parler, Dans le dessein de faire avec vous connaissance... LA RAPINIÈRE. Est-ce pour quelque emploi, qui soit en ma puissance ; Êtes-vous Sous-fermier, Croupier, ou bien Commis ? FERNAND. Non, je cherche l'honneur, d'être de vos amis. LA RAPINIÈRE. Je vous suis obligé. Bas.Les gens de cette taille, À des gens comme nous, n'augurent rien qui vaille. FERNAND. J'étais venu Monsieur,... LA RAPINIÈRE, bas. Oui-da, pour m'affronter. FERNAND. Vous prier seulement. LA RAPINIÈRE. Je n'ai rien à prêter, Serviteur. FERNAND. Mais Monsieur... LA RAPINIÈRE. Chacun sait ses affaires. Il faut donner ici les ordres nécessaires. Êtes-vous là la Roche ? LA ROCHE, dans le Bureau. Oui, Monsieur. LA RAPINIÈRE, à Fernand. Serviteur. FERNAND, s'en allant. Quoi donc ? Ai-je l'habit et l'air d'un affronteur ? Peut-on voir sous le Ciel un plus insolent homme ! Mais sans me rebuter d'un accueil qui m'assomme, Cherchons d'autres moyens d'aborder ce bourreau. SCÈNE VII. La Rapinière, La Roche. LA RAPINIÈRE. Voyons, quelle recette a-t-on faite au Bureau ? N'avez-vous rien saisi ? Voyons un peu vos livres. LA ROCHE. On a reçu, Monsieur, environ deux cents livres. LA RAPINIÈRE. Deux cents livres par jour ? Comment donc ? Sur ce pied, J'y perdrai tout au moins, par an plus de moitié ? De tout temps cette porte en rendit au moins quatre. LA ROCHE. Monsieur, il n'entre rien qu'ânes chargés de plâtre, Que farines, que pains, dois-je les arrêter ? LA RAPINIÈRE. Autant bêtes que gens, il faut tout visiter. LA ROCHE. Mais Monsieur, vous savez que cette exactitude Vous a souvent causé beaucoup d'inquiétude. Vous ressentez encor ce que ces jours derniers Mon camarade a fait au chef des fontainiers : Pour avoir confisqué dix ou douze bouteilles, On en souffre chez vous des peines sans pareilles. Il s'est vengé de vous, en vous ôtant vos eaux, Il a même dit-on, fait couper les tuyaux, Qui pouvaient en donner à Messieurs vos confrères Et voilà les effets de vos ordres sévères. LA RAPINIÈRE. J'y saurai donner ordre, et j'en aurai raison : On n'ôte pas ainsi les eaux d'une maison. LA ROCHE. Vous y perdrez Monsieur, votre temps et vos peines, Vous lui prenez son vin, il reprend ses fontaines. LA RAPINIÈRE. Hé bien soit, j'aime mieux cent fois n'en point avoir, Que de voir faire ici mollement son devoir. Tantôt ne manquez pas d'apporter ce registre, Avec votre recette. LA ROCHE, bas. Ah ! Quel regard sinistre. LA RAPINIÈRE. Ces Dames-ci pourront peut-être m'empêcher, D'entrer dans le Bureau. SCÈNE VIII. La Rapinière, Isabelle, Léonore. ISABELLE. Je ne puis plus marcher, Hé laquais ! Va-t'en dire au cocher qu'il approche. LA RAPINIÈRE. Entrez ici Madame. Oh ! Des sièges, la Roche ! Vous ferez s'il vous plaît, les honneurs du logis, Léonore, et tandis qu'avecque mon commis Je vais examiner une petite affaire, Vous vous reposerez. ISABELLE. Il n'est pas nécessaire, Monsieur, j'ai mon Carrosse ici près, qui nous suit, Et j'ai quelque visite à rendre avant la nuit. LA RAPINIÈRE. Tout ce qu'il vous plaira, je cède toujours aux belles, Et suis comme le bois, de quoi l'on fait les vielles, Toujours de bon accord. Vous pourriez cependant, Entrer et vous asseoir toujours, en l'attendant. LÉONORE. Ah ! Quel charmant plaisir on goûte à la campagne, Mon oncle. LA RAPINIÈRE. [Note : Romagne : Région italienne au nord de la Toscane sur l'Adriatique.]L'on appelle ainsi dans la Romagne, [Note : Germain : Cousin remué de germain, se disait autrefois pour cousin issu de germain. Substantivement. Il a le germain sur moi, il est cousin germain de mon père ou de ma mère.]Un cousin qui sur nous a le germain. ISABELLE. J'entends. LÉONORE. La belle promenade ? Ah, l'agréable temps ! Donnez-vous le plaisir quelque jour, je vous prie, D'aller goûter le frais là-bas dans la prairie, Ces tapis émaillés entourés de ruisseaux, L'ombrage des peupliers, le chant de mille oiseaux Ont eu pour nous ce soir une douceur extrême. LA RAPINIÈRE. Chacun selon son goût, en trouve en ce qu'il aime. Nous ne devons jamais disputer sur les goûts : Les uns aiment piquant, les autres aiment doux, Et chacun se flattant dans cette différence, Croit toujours, que l'on doit au sien la préférence. LÉONORE. Je sais ce que l'on peut me dire sur ce point. Mais enfin le bon sens... LA RAPINIÈRE. Vous ne connaissez point [Note : Pistole : monnaie qui vaut dix francs.]Le plaisir que l'on goûte, à gagner des pistoles. LÉONORE. Moi ? Non. ISABELLE. Ni moi non plus. LA RAPINIÈRE. Vous êtes donc des folles, De vouloir raisonner sur le fait des plaisirs ? Celui du gain doit seul faire tous nos désirs. Il est jour de marché demain, sans plus attendre, Je veux moi-même ici vous le faire comprendre.Et je vous ferai voir pour divertissement, Le profit qu'on y fait en un jour seulement. Madame, voulez-vous être de la partie ? ISABELLE. J'en serais sans mentir, Monsieur, mal divertie : Car tous les gains du monde ont pour moi peu d'appas. LA RAPINIÈRE. Oh, oh ! ISABELLE. Celui du jeu même ne me plaît pas. LA RAPINIÈRE. Le goût du gain est bon, de quelque endroit qu'il vienne, [Note : Âme vespasienne : Quand on a l'âme vespasienne on ne pense pas à l'origine de ce qui nous rapporte de l'argent, mais à l'argent que cela nous rapporte.]Et pour moi j'eus toujours l'âme vespasienne. LÉONORE. Mais Madame, demain pourra-t-on vous voir. À quelque heure du jour ? ISABELLE. J'y ferai mon pouvoir. Nous allons au matin voir une métairie, À trois mille d'ici. LÉONORE. [De grâce], je vous prie [Note : Ici il manque un début de vers de 9 pieds.]. . . . . . . . ISABELLE. Je le veux : Et nos frères peut-être, en seront-ils tous deux. LÉONORE. Tant mieux. LA RAPINIÈRE. Ah ! S'il vous plaît, Madame, point de frère. ISABELLE. Monsieur, le mien n'a point un visage à déplaire. LA RAPINIÈRE, bas. Tant pis. LÉONORE. Il est galant, spirituel, bien fait. LA RAPINIÈRE, bas. Tant pis. LÉONORE. Qui sait donner grâce à tout ce qu'il fait. LA RAPINIÈRE, haut. Tant pis. ISABELLE. Tant pis, Monsieur ? LA RAPINIÈRE. Oui-da tant pis, Madame. ISABELLE. Et pourquoi ? Vous n'avez ni maîtresse ni femme. LA RAPINIÈRE. Quelque jour... ISABELLE. Bon, voici mon carrosse, à demain. LA RAPINIÈRE, bas. La Civilité veut que j'offre ici ma main, Et pour tâcher de plaire à l'objet que l'on aime, Il faut se dérober quelque chose à soi-même. SCÈNE IX. La Rapinière, La Roche, Un Crocheteur. LA RAPINIÈRE. Mais que vois-je ? On se bat ? Que veut dire ceci ? LA ROCHE. [Note : Faquin : Crocheteur, homme de la lie du peuple, vil et méprisable. [F]]C'est un faquin, Monsieur, que j'ai surpris ici, [Note : Quartaut : Petite pièce de vin qui contient le quart d'un tonneau, ou presque un demi-muid. {F]]Avecque ce quartaut. LA RAPINIÈRE. Qu'est-ce ? LA ROCHE. Du vin d'Espagne. LA RAPINIÈRE, au Crocheteur. Sais-tu qu'à nous tromper, on perd plus qu'on ne gagne ? LE CROCHETEUR. Monsieur c'est un présent, que deux de vos amis Vous envoient, ainsi qu'ils vous avaient promis. Ce sont Messieurs Pazzi. LA RAPINIÈRE. Qui que ce soit, n'importe ; Tu le devais d'abord déclarer à la porte ; Et j'aime mieux l'avoir par confiscation, Que de leur en avoir quelque obligation. LE CROCHETEUR. Mais jamais dureté n'approche de la vôtre. LA RAPINIÈRE. Hé bien, je leur permets d'en envoyer un autre, Dis-leur, dès à présent je le tiens déclaré. LE CROCHETEUR. Bon ! LA RAPINIÈRE. Mais pour celui-ci, néant. LE CROCHETEUR. Quel altéré ! Payez-en donc le port, il est à votre adresse. LA RAPINIÈRE. Ceux qui t'ont employé, te payeront. LE CROCHETEUR, à part. La presse Sera grande à servir ce vilain. LA ROCHE. Serviteur. LE CROCHETEUR. Que la fièvre te serre et te ronge le coeur, Ladre, maudit avare, au diable, et que la peste Répande un jour sur toi ce qu'elle a de funeste. ACTE II SCÈNE I. LA RAPINIÈRE, seul. Je crois voir en tous lieux la mort qui me poursuit. Je n'ai presque point clos l'oeil de toute la nuit. Je suis tout inquiet, certain chagrin me ronge : Le peu que j'ai dormi, s'est passé tout en songe. J'ai rêvé que malgré mon esprit diligent, On avait à mes yeux, volé tout mon argent. [Note : Les deux vers suivants sont en grande partie illisibles.]J'ai vu...... De funestes...... Introduites chez moi [par] un monstrueux loup ; Enfin ce songe affreux me fatigue beaucoup. Cet homme, qu'hier au soir je trouvai dans la rue, Me revient à l'esprit ; mon âme toute émue, Pour apaiser son trouble, en vain veut s'efforcer, Je ne saurais jamais m'empêcher d'y penser. Je veux sur un parti pressentir Léonore, Puis après, lui montrer à quel point je l'adore ; Mais pour y réussir, je prétends qu'en ce jour, L'intérêt serve ici de guide à mon amour. Les biens assez souvent nous tiennent lieu de charmes, Ils épargnent souvent bien des soins et des larmes, Et tel se rend heureux par ses nombreux écus, Qui pour ses grands défauts n'aurait que des rebuts. Je veux lui faire voir les grands gains d'une année, Par l'engageant essai d'une seule journée : J'ai choisi celle-ci favorable à mes voeux, Et j'espère obtenir par là, ce que je veux. Voyons en l'attendant, ce qu'aura fait la Roche, Si le marché va bien... Mais un homme s'approche, Qui me paraît avoir dessein de me parler. On conspire aujourd'hui sans doute à me voler. SCÈNE II. La Rapinière, Jasmin vêtu en Gentilhomme ruiné. JASMIN. À part, le vers suivant.Il le faut aborder d'une douce manière. Monsieur, n'êtes-vous pas Monsieur la Rapinière ? LA RAPINIÈRE. Selon ; pourquoi Monsieur ? Et que lui voulez-vous ? À part, le vers suivant.Voici sans doute encor quelqu'un de mes filous. JASMIN. Monsieur, n'avez-vous pas l'honneur de le connaître ? LA RAPINIÈRE. Selon : pourquoi, Monsieur ? Je le connais peut-être, Et peut-être que non. JASMIN. C'est qu'hier je promis De lui rendre un Billet d'un de ses bons amis. LA RAPINIÈRE. Quel est-il cet ami ? À part.Voyons la fourberie. JASMIN. Monsieur Harpin Banquier. LA RAPINIÈRE. Ah ! Monsieur, je vous prie, Pardonnez, s'il vous plaît, à mon aveuglement : Certaine affaire ici m'occupe étrangement. Çà voyons, avez-vous besoin de mon service ? JASMIN. Oui, Monsieur, vous pouvez me rendre un bon office : Et c'est pour ce sujet que notre ami commun Se rend, ainsi que moi, près de vous importun. LA RAPINIÈRE. Oh ! Vous êtes chez moi, les Maîtres l'un et l'autre, Et je suis serviteur... JASMIN. Monsieur, je suis le vôtre. LA RAPINIÈRE, lit. Sur l'assurance que vous m'avez donnée, Monsieur, de m'obliger, quand vous en trouveriez l'occasion, vous voulez bien que Monsieur du Jasmin, notre ami, vous salue aujourd'hui de ma part, pour vous offrir ses services : C'est un Gentilhomme qui a autant de mérite, [que] de naissance, et que la fortune envieuse n'a pas nourri fort favorablement. Il aussi honnête homme qu'entendu dans les affaires ; et vous me ferez un sensible plaisir de l'employer. Je suis, Monsieur, Votre Serviteur. HARPIN. Oui-da. Vous avez eu déjà quelques emplois ? JASMIN. [Note : Exploit : Acte que fait un huissier pour assigner, saisir, etc. [FC]]Oui, Monsieur, j'ai longtemps contrôlé les Exploits. LA RAPINIÈRE. Ces sortes d'emplois, ne sont que bagatelles. JASMIN. De plus, j'ai travaillé trois ans dans les Gabelles Et j'ai servi deux ans sous Monsieur Marchepon... LA RAPINIÈRE, à part. Ah ! C'est assez pour être un achevé fripon ; Et s'il avait encor servi la Plaiderie, On le ferait juré dans l'art de fourberie. À Jasmin.C'est une bonne école assurément. JASMIN. Ma foi, On n'a pas grand besoin de témoins avec moi. Il arrive souvent de certaines affaires, Où ces gens ne sont pas tout à fait nécessaires ; Où pour preuve, le Juge exige seulement Du Commis saisissant : la plainte et le serment. C'est autant de gagner pour vous. LA RAPINIÈRE. Quoi ? JASMIN. Chose sûre, S'il ne tient qu'à jurer, nous savons [conclure]. Je vais de temps en temps, chez certains hôteliers Sur la route, chez qui logent les Voituriers. LA RAPINIÈRE. Hé bien ! Que faites-vous dans ces hôtelleries ? JASMIN. Moyennant quelque argent, les Valets [d'écuries], Pendant que tout le monde est dans un plein repos, Fourrent adroitement au milieu des ballots, Un sac de sel, du lard, un jambon, des saucisses... LA RAPINIÈRE. Je ne puis admirer assez ces artifices ; Et ces inventions ont de quoi me charmer. JASMIN. À la porte, Dieu sait, si je sais m'escrimer Et les Procès-verbaux... faut voir... sur ma parole. LA RAPINIÈRE. Entrez, pour commencer, vous ferez le Contrôle. SCÈNE III. La Rapinière, La Roche. LA RAPINIÈRE. Hé bien ? LA ROCHE, à la droite. Hé bien, Monsieur, cela ne va pas mal. LA RAPINIÈRE le faisant passer à la gauche. Est-ce là votre place, incivil animal ? LA ROCHE. Excusez, je prenais la gauche pour la droite. LA RAPINIÈRE. À combien peut monter déjà votre recette, Depuis que cette porte est ouverte ? LA ROCHE. À combien ? À plus de trente écus. LA RAPINIÈRE. Bon, voilà qui va bien. LA ROCHE. Sans compter quelques droits que j'ai pris en nature : Comme chapons, poulets, oeufs, fruits, à l'aventure, Comme ils se sont trouvés, ainsi qu'hier au soir Vous m'aviez ordonné. LA RAPINIÈRE. Çà, nous allons les voir. LA ROCHE. J'ai saisi deux cochons, qui devant cette porte Couraient comme Sergents que le Démon emporte, [Note : Pied fourché : Droit qu'on lève aux portes de Paris : ainsi dit des boeufs, des vaches, des moutons, et autres bêtes qui ont le pied fourchu, sur lesquelles ce droit se lève. [Ménage]]Pour n'avoir pas payé les droits du Pied fourché. LA RAPINIÈRE. Et le Maître ? LA ROCHE. Il allait pour les vendre au marché, Et venait après eux ; mais ces bêtes lâchées, Avant lui, trente pas étaient déjà passées, Ainsi j'ai refusé sa déclaration, En l'accusant toujours de contravention ; Et suis dans mon propos toujours demeuré ferme. LA RAPINIÈRE, l'embrassant. Voilà comme l'on fait le profit d'une Ferme : Voilà de la façon, qu'on peut se rendre un jour, Digne des grands emplois, puis Fermier à son tour. Je parlerai de vous demain à l'assemblée. LA ROCHE. Monsieur, vous savez bien que depuis cette année, On a rogné le tiers de mes appointements, Qu'on ne me donne plus ni frais, ni logement, Et que la pension qu'il faut que je vous fasse Encor... LA RAPINIÈRE. Oui, plaignez-vous, la Cour vous fera grâce. Croyez-vous être seul qui fasse pension À celui qui vous donne une commission ? Non, non, c'est une règle aujourd'hui générale, Et personne n'a plus l'âme si libérale. Quand un Fermier maintient un Commis dans l'emploi, Il en retient toujours au moins le tiers pour soi. Fût-il de ses parents, fût-il son propre frère, Même un certain, je crois, le ferait à son père. LA ROCHE. Oui, c'est un Sous-Fermier du traité du Tabac, [Note : Ab hoc et ab hâc : loc. adv. et famil. Confusément, sans raison. [L]]Qui veut en arracher, aut ab hoc, aut ab hac, Et qui n'a pour Commis, que sa soeur et sa femme. Monsieur, vous réglez-vous sur ce ladre ? Ah l'infâme ! Fût-il cent fois maudit de tout le genre humain ! LA RAPINIÈRE. Rentrez, et prenez soin d'instruire du Jasmin. À part.Ma nièce vient, il faut, sans me faire connaître, Lui déclarer un feu que ses yeux ont fait naître ; Et je veux la sonder, en parlant pour un tiers. SCÈNE IV. La Rapinière, Léonore, Béatrix. BÉATRIX, à Léonore. Il faut faire semblant d'y venir volontiers, Pour ne pas l'irriter. LÉONORE. Béatrix, j'appréhende... BÉATRIX. En vérité, Monsieur, sa complaisance est grande, Et Madame mérite, après un tel effort, D'hériter quelque jour de votre coffre-fort. LA RAPINIÈRE. Vous ignorez le bien que je prétends lui faire. LÉONORE. Je vous regarde aussi comme mon propre père : Et sur vos seuls désirs réglant mes volontés, Je tâche à mériter vos extrêmes bontés. Depuis que sur mon sort vous avez eu puissance, J'ai fait voeu de vous rendre entière obéissance, J'ai béni mille fois cet amour maternel, Qui vous transmit sur nous le pouvoir paternel : Heureuse en mes malheurs, que le ciel impitoyable M'ait fait trouver en vous ce qui semble incroyable, C'est-à-dire un vrai père, un zélé bienfaiteur, Au lieu d'un monstre avare et d'un persécuteur. On sait quelles gens sont les tuteurs d'ordinaire. Les deniers des mineurs ne sortent jamais guère D'entre leurs mains, entiers comme ils les ont reçus ; Ils y trouvent sans cesse à rapiner dessus. Ou par de vains procès, leur chicane homicide En consomme toujours en frais le plus liquide. Il en est d'un tuteur, à l'égard d'un mineur, Comme d'un Intendant, auprès d'un grand Seigneur : L'un ordinairement est ruiné par l'autre. LA RAPINIÈRE. Devez-vous, Léonore, en dire autant du vôtre ? LÉONORE. Au contraire, et bien loin de me plaindre de vous, Mon oncle, sur ce point, j'ose dire entre nous, Que pour le conserver, votre amitié fidèle Va jusqu'à l'excès, que l'ardeur de ce zèle, Ce grand attachement, et ces généreux soins, Un peu moins empressés ne me plairaient pas moins. Je ne suis, Dieu merci, prodigue ni joueuse... LA RAPINIÈRE. Vous en êtes aussi d'autant plus vertueuse. LÉONORE. Je ne souhaite point de somptueux habits, Mais... LA RAPINIÈRE. [Note : Brocard : Étoffe brochée de soie, d'or ou d'argent. [Acac. 1762]][Note : Tabis : Sorte de gros taffetas ondé. [Acad. 1762]]C'est assez d'avoir et brocard et tabis. LÉONORE. Tous ces meubles pompeux, toutes ces pierreries, Tous ces rares tableaux et ces tapisseries Dont notre sexe fait aujourd'hui ses plaisirs, Jamais trop fortement n'ont ému mes désirs : De moindres ornements j'aurais été contente. Mais je suis... LA RAPINIÈRE. C'est par là que le diable nous tente. Ces tableaux, ces bijoux, tous ces meubles dorés, Ces grands appartements richement décorés, Ces lustres, ces chenets, ces bras, ces girandoles, Sachez que tout cela n'est fait que pour des folles, Qui ne sachant combien l'argent coûte à gagner, Ne savent pas aussi comme il faut l'épargner. À part.Sa mère n'avait pas cette sotte manie. LÉONORE. Mais encore voit-on quelquefois compagnie, Et l'on reçoit les gens ave indignité Dans des lieux mal ornés selon leur qualité. LA RAPINIÈRE. Vous saurez quelque jour si je songe à vous plaire. BÉATRIX. Monsieur est généreux, allez, laissez-le faire. En ménagement ainsi sagement votre bien, Peut-être qu'il y veut encor joindre le sien. Déjà vous connaissez à quel point il vous aime. LA RAPINIÈRE. Sans doute, j'ai pour elle une tendresse extrême, Et pour la contenter, je ferai mon pouvoir, Pourvu qu'elle... BÉATRIX. Monsieur, voici qu'on vient vous voir. LA RAPINIÈRE, bas. Diable ! Voici celui qui me tient en cervelle. Béatrix, est-ce là le frère d'Isabelle ? BÉATRIX. Oui, Monsieur. LA RAPINIÈRE. Ce l'est là ? BÉATRIX. N'est-il pas bien tourné Vous ne vîtes jamais Gentilhomme mieux né. LA RAPINIÈRE. Bas, le vers suivant. Rentrons, pour leur cacher mon embarras extrême. Ma nièce, s'il vous plaît, recevez-les vous-même Il faut que j'aille voir ce que font mes Commis. SCÈNE V. Dorante, Fernand, Isabelle, Léonore, Béatrix. ISABELLE. Madame, on vient vous voir, comme on vous a promis. LÉONORE. Votre bonté, Madame, est pour moi singulière. ISABELLE. Vous ignorez pourquoi Monsieur la Rapinière Vous a d'abord quittée, en nous voyant venir ? LÉONORE. Oui. DORANTE. C'est ce dont Fernand nous vient d'entretenir, Sans doute ? ISABELLE. Justement, c'est le noeud de l'affaire. Madame, en peu de mots, vous saurez que mon frère Passa dans ce quartier, hier sur la fin du jour, Espérant nous trouver et nous joindre au retour. Il y vit arriver Monsieur la Rapinière, Et l'aborda, dit-il, d'une honnête manière ; Mais ce brutal croyant qu'il venait l'affronter, Pour tout discours, lui dit, je n'ai rien à prêter, Serviteur. LÉONORE. Sans vouloir écouter davantage ? FERNAND. Pas seulement un mot. BÉATRIX. Le courtois personnage ! FERNAND. À ne vous point mentir, j'en fus mortifié. Mais qui d'un tel accueil se serait défié ? Je n'aurais jamais cru que le siècle où nous sommes Pût produire entre nous de si bizarres hommes, Dans un État fameux, où la civilité Règne avec tant d'éclat et tant de pureté. Qu'un homme comme moi pût se trouver en butte Aux traits... DORANTE. Il ne faut pas que cela vous rebute. Fernand, ces gens-là sont trop au-dessous de vous Pour atteindre jamais à vous mettre en courroux. Je trouverai moyen, malgré sa résistance, De vous faire lier avec lui connaissance. Pourvu que l'intérêt s'en mêle, assurément J'espère d'en venir à bout facilement. FERNAND. S'il ne tient qu'à cela, je vous donne parole... DORANTE. Laissez-moi faire, allez, je jouerai bien mon rôle. Tout méfiant qu'il est, je prétends aujourd'hui Vous faire entretenir seul à seul avec lui. FERNAND. Quoi, vous croyez qu'ayant l'âme si peu courtoise... DORANTE. Il n'est rien si farouche, enfin, qu'on apprivoise. Et chacun n'a-t-il pas son faible ? FERNAND. Oui, mais ce fou A moins d'humanité cent fois, qu'un loup-garou. D'ailleurs, étant déjà prévenu... DORANTE. Laissez faire, Vous dis-je, encor un coup. FERNAND. Bien. DORANTE. J'en fais mon affaire. Je lui ferai tantôt boire après son dîner, Un trait, que sur le champ je viens d'imaginer : IL sera bien rusé s'il en pare l'atteinte, Pourvu que vous prêtiez la main à cette feinte. FERNAND. Pour soi-même on ne fut jamais fort négligent. DORANTE. Je lui dirai tantôt, qu'ayant beaucoup d'argent, Et que près d'un départ, craignant les aventures, Vous cherchiez un endroit, pour le mettre en mains sûres, Et que vous me laissiez mettre des intérêts Jusqu'à votre retour. Lui qui sait cent secrets Pour faire profiter le talent, quelle joie ! Il croira que vers lui, son Ange vous envoie, Et ne pourra jamais me laisser en repos, Qu'il ne vous ait parlé. Mais changeons de propos ; J'entends ses espions. BÉATRIX. Ils ont une cassette, Qu'ils viennent de saisir au fond d'une charrette Toute pleine de pains, qu'ils ont fait décharger, Et traînent sans pitié le pauvre boulanger. ISABELLE. Madame, nous viendrons vous voir l'après-dînée. LÉONORE. Vous me ferez plaisir : toute une journée, Je ne sors point d'ici, pour plaire à mon tuteur. SCÈNE VI. Jasmin, La Roche, La Fleur en boulanger. JASMIN, vêtu en Commis. Quoi ? Tu veux résister, malheureux infracteur : Tu crois impunément frauder les droits du Prince. LA FLEUR. Ah ! Messieurs, doucement, ma camisole est mince : Vous me pincez. LA ROCHE. Comment ? LA FLEUR. Ah ! S'il vous plaît, tout doux Vous dis-je encor un coup. LA ROCHE. Tu te moques de nous Allons, marche en prison. LA FLEUR. Quoi ? Que pensez-vous faire Je vous déclare au moins, que je n'ai point d'affaire Avec la Justice. LA ROCHE. On ne s'en fait donc point, En voulant nous tromper ? LA FLEUR. Ce n'est pas là le point C'est qu'aux jours de marché, nous venons à la halle Apporter notre pain. LA ROCHE. Hé bien ? LA FLEUR. Puis on l'étale, On le vend, on reçoit l'argent, et puis adieu. JASMIN, le retenant. Tu crois donc de la sorte échapper de ce lieu ? Ma foi, mon pauvre ami, Il lui fait signe de donner de l'argent.[Note : Grimoire : Livre dont on dit que les Magiciens se servent pour évoquer les démons, etc. On dit figurément et populairement, qu'Un homme sait le grimoire, entend le grimoire, pour dire, qu'Il est habile dans les choses dont il se mêle. [Acad. 1762]]Tu sais peu le grimoire. LA FLEUR. [Note : Pour boire : Petite libéralité que l'on donne en sus du prix convenu et comme signe de satisfaction. [L]]Messieurs, pourrait-on pas, en vous donnant pour boire, S'il vous plaît, espérer un peu plus de douceur ? JASMIN. Quoi ? Pour qui nous prends-tu ? LA FLEUR. Pour des hommes d'honneur. [Note : Lairrer : Autrefois on disait, et aujourd'hui encore le peuple dit, je lairrai, pour je laisserai, je lairrais, pour je laisserais. ]Messieurs, je vous lairrai de bon coeur la cassette ; Mais laissez-moi du moins emmener ma charrette : Que vous reviendrait-il de confisquer mon pain ? LA ROCHE. Donne donc pour les droits de Monsieur du Jasmin. LA FLEUR. Tenez. JASMIN. Donne pour ceux de Monsieur de la Roche. LA FLEUR. Encor ? LA ROCHE. Assurément. Fouille dans l'autre poche. LA FLEUR. Tenez. Hé bien Messieurs, n'êtes-vous pas contents ? Plaît-il ? JASMIN. Hé, nous pourrons l'être dans peu de temps, Il ne reste à présent qu'à payer la saisie. LA FLEUR. Encor ? Voilà des gens bien pleins de courtoisie ! LA ROCHE. Ce Ducat est-il bon ? LA FLEUR. Oui Monsieur. LA ROCHE. Serviteur. JASMIN. Et cette piastre au moins, pèse-t-elle ? LA FLEUR. Oui Monsieur. SCÈNE VII. La Roche, Jasmin. LA ROCHE. Hé bien, l'ami ? JASMIN. Ma foi, si cela continue, J'aurai de quoi payer ce soir, ma bienvenue. LA ROCHE. Allez, laissez-moi faire, avant la fin du jour, Vos yeux seront témoins, si je sais plus d'un tour : Vous saurez les profits, qu'on fait à cette porte. Mais motus. JASMIN. Ah ! Je veux que le diable m'emporte Sur l'heure, si jamais j'en dis le moindre mot. Non, non, ne craignez rien. Je serais un grand sot. LA ROCHE. Nous serions révoqués : j'y perdrais ma recette, Et vous votre contrôle. Ouvrons cette cassette, Encore par plaisir. JASMIN. Je le veux. LA ROCHE. Promptement. Ah, le galant miroir ! Ah, le beau passement ! Le joli coffre ! JASMIN. [Note : Carré de toilette : Coffret où les femmes mettaient leurs peignes, etc. [L]]C'est un carré de toilette, Tout garni de bijoux. LA ROCHE. La belle cassolette ! Par ma foi, je ne vis jamais rien de si beau. À part.Quel crime, de porter cela au Bureau ! JASMIN. [Note : Tablature : Arrangement de plusieurs lettres ou marques sur des lignes, pour marquer le chant à ceux qui chantent, ou qui jouent des instruments. On dit aussi figurément, Donner de la tablature à quelqu'un, pour dire, Lui donner de l'embarras, lui susciter quelqu'affaire fâcheuse. [Acad. 1762]]Donnez vite, voici nouvelle tablature. LA ROCHE. Nous ferons en ce jour, bien plus d'une capture. Faisons semblant de rien et ne regardons pas : Voici certain valet, qui s'avance à grands pas, Et qui tient dans ses bras deux bouteilles, je pense. SCÈNE VIII. Jasmin, La Roche, Mascarille ivre. MASCARILLE, chantant. Et moi quand j'ai bien bu, mon bien est dans ma panse. Sans moi notre carrosse aura pris le devant. LA ROCHE. Il le faut arrêter. MASCARILLE, chantant. Vous n'avez que du vent... LA ROCHE. Arrête, qu'as-tu là ? MASCARILLE. Là ? Ce sont deux bouteilles... Pleines d'un certain jus... que l'on tire des treilles... Mais un jus... envoyé du ciel... et tout divin. J'en prends de temps en temps... Il boit. JASMIN. Comment c'est donc du vin ? MASCARILLE. Je le crois que c'en est, Après avoir vidé la bouteille.Et d'une, voyons l'autre. LA ROCHE. Du Jasmin, tout au moins, il faut avoir la nôtre. MASCARILLE. Ah ! Vous n'en croquerez, ma foi, que d'une [dent]. À Jasmin.[Note : Fandant : Celui qui veut se faire passer pour brave, se faire craindre. Faire le fendant. [L]]Parle donc mon ami, tu fais bien le fendant, Avec ton bel habit, À l'autre bouteille en buvant.Allons ma mignonne, entre Et cherche ta compagne. JASMIN. Il faut jauger son ventre Et lui faire paye autant que d'un tonneau. Comment ? Insolemment insulter un Bureau ! Cela mériterait le fouet ou la galère. MASCARILLE. Vous êtes donc Messieurs, tous deux bien en colère. LA ROCHE. Fouillons-le du Jasmin. MASCARILLE. Oui, c'est pour votre nez. On vous quitte déjà du soin que vous prenez. LA ROCHE. Il faut pourtant payer, et toute ta finesse Ne saurait empêcher... MASCARILLE, les faisant courir, chante. [Note : Gonesse : Ville du nord de Paris, intégré à sa banlieue.]Un mitron de Gonesse Soupirant près d'un four... JASMIN. Tu penses fuir en vain. MASCARILLE. Dès ce matin, Messieurs, j'ai fait jambes de vin ; Mais vous allez tous deux, avoir chacun la vôtre : Il leur casse les bouteilles sur la tête.Tiens, voici déjà l'une, et puis tiens, voilà l'autre. ACTE III SCÈNE I. La Rapinière, Léonore, Béatrix. LA RAPINIÈRE. Oui, ma nièce, j'ai cru devoir par ce présent Reconnaître aujourd'hui votre esprit complaisant. [Si] l'on confisque encor dans ce jour quelque chose, [Je] prétends qu'avant moi, votre main en dispose : [Je] veux vous faire voir, qu'un Fermier Général [Sait] bien quand il lui plaît, se montrer libéral : [Que] de son cabinet, sans sortir de sa chaise, [Comme] un grand Prince, il peut mettre un homme à son aise : [Et] pour tout dire enfin, qu'il peut faire du bien, [Sans que] cela lui coûte et l'incommode en rien. [Quand] vous aurez connu tous nos profits, j'espère [Que] vous aurez bientôt l'humeur de votre mère, [La] digne femme, hélas ! Et qu'un Fermier un jour [Sera] de votre goût, plus qu'un homme de Cour. LÉONORE. Un Fermier ? Moi, mon oncle ? LA RAPINIÈRE. Et pourquoi non, ma nièce ? BÉATRIX. Est-ce pour l'éprouver, ou pour lui faire pièce, Monsieur, que vous parlez de cela ? LA RAPINIÈRE. Taisez-vous. BÉATRIX. Monsieur, on ne doit pas disputer sur les goûts : Hier vous nous le disiez, et Madame peut-être... LA RAPINIÈRE. Il est vrai ; mais le fait est, de les bien connaître. BÉATRIX. Si j'étais de famille, avecque tout son bien, Un Fermier par ma foi, ne serait pas du mien : Et les noms qu'on leur donne... LA RAPINIÈRE. Ouais, quelle comédie ! Ma nièce, cette fille est un peu trop hardie. Si vous ne l'empêcher de jaser, après tout... BÉATRIX, à Léonore. Répondez donc. LÉONORE. Pour moi, je suis fort de son goût : Et j'avouerai sans fard, que tous les gens d'affaires N'ont pas pour me charmer, les choses nécessaires. LA RAPINIÈRE. Quoi ! N'est-ce pas chez eux, qu'on voit rouler l'argent ? BÉATRIX, bas. Oui, qui leur appartient, comme à moi bien souvent. LA RAPINIÈRE. Et ne les voit-on pas faire grande dépense ? BÉATRIX, bas. Oui, puis une prison au bout, pour récompense. LA RAPINIÈRE. Chacun d'eux n'a-t-il pas bon carrosse au jourd'hui ? BÉATRIX, bas. Oui, mais qu'ils font rouler sur la bourse d'autrui. LA RAPINIÈRE. N'est-ce pas là marcher sur une bonne route ? BÉATRIX, bas. Oui, c'est là le chemin, de faire banqueroute. LA RAPINIÈRE, à Béatrix. Que raisonnez-vous là ? BÉATRIX. Qui moi ? Je ne dis rien : Et crois qu'en vous croyant, elle croira fort bien. LA RAPINIÈRE, à Léonore. Vous savez comme moi, que ce n'est qu'à nos bourses, Que tous vos beaux Marquis ont toutes leurs ressources : Après cela, jugez qui de nous a raison. BÉATRIX, bas à Léonore. [Note : Oison : Fig. et familièrement. Un oison, un homme, une femme sans intelligence, imbécile. [L]]Quoi, vous voulez toujours ici faire l'oison ? Et ne répondre rien ? Quoi, pour être en tutelle, Vous vous laisser mener... LA RAPINIÈRE. Plaît-il ? Que vous dit-elle ? BÉATRIX. Je lui dis, qu'elle doit suivre vos sentiments, Et qu'un riche Fermier a de grands agréments. LA RAPINIÈRE. Mais d'un contraire avis pourtant préoccupée... BÉATRIX. Oui, mais vos beaux discours, Monsieur, m'ont détrompée. Et je veux désormais employer tous mes soins, Pour la persuader. LA RAPINIÈRE. Je n'attendais pas moins De votre esprit, sans doute. BÉATRIX. Excusez sa jeunesse : À cet âge, on n'a pas encor grande finesse De jugement, Monsieur à dix-sept ans peut-on Savoir ce qui nous est avantageux ou non ? LA RAPINIÈRE. Mais... BÉATRIX. Avant que d'aimer, il faut dit-on connaître ; Quand Madame aura vu son prétendu, peut-être, Que le considérant d'un jugement plus sain, Elle vous sera gré, d'un si juste dessein. De grands biens, un beau train, le faste, la dépense, Aujourd'hui sur un coeur peuvent plus qu'on ne pense, Et tiennent souvent lieu de mérite et d'appas ; Mais on ne peut aimer ce que l'on ne voit pas. Sans raison quelquefois, nous souffrons violence... LA RAPINIÈRE. Je ne vous tiendrai plus davantage en balance. Cet époux qu'aujourd'hui je vous ai destiné, Par l'absolu pouvoir, qu'on m'a sur vous vous donné, Comme votre tuteur, cet amant qui vous aime, Et que vous aimerez sans doute, c'est moi-même. LÉONORE. Qui, mon oncle ? LA RAPINIÈRE. Moi. LÉONORE. Vous ? LA RAPINIÈRE. D'où vient en ce moment Cette grande surprise et cet étonnement ? Est-ce de trop de joie, ou bien de répugnance ? Quoi ? Vous vous obstinez à garder le silence ? BÉATRIX. Monsieur, son coeur surpris de cet excès d'honneur, N'attendait pas sans doute un si rare bonheur. Elle n'ose à vos yeux répondre à votre flamme ; Mais à l'heure qu'il est, je gage qu'en son âme Elle en enrage. LA RAPINIÈRE. Quoi ?... BÉATRIX. Mais si je la résous. LA RAPINIÈRE. Ah Béatrix !... BÉATRIX. Voyons. Que me donnerez-vous ? Puis-je obtenir de vous un emploi pour mon frère ? LA RAPINIÈRE. Plutôt deux. BÉATRIX. C'est assez, je ferai votre affaire : Laissez-nous. LA RAPINIÈRE. Tu crois donc... BÉATRIX. Reposez-vous sur moi. LA RAPINIÈRE. M'en réponds-tu ? Dis. BÉATRIX. Oui, j'en réponds sur ma foi. Accordez quelque chose à la pudeur du sexe, Et me laissez agir. SCÈNE II. Léonore, Béatrix. BÉATRIX. Vous voilà bien perplexe, À ce que je puis voir. Plaît-il ? LÉONORE. Ah, Béatrix ! BÉATRIX. Hé, là, là, rappelez doucement vos esprits, Le mal n'est pas si grand que vous croyez, peut-être. LÉONORE. Tu sais que de mon sort ma mère l'a fait maître, Et qu'à ce titre il peut... BÉATRIX. Voyez le grand danger. LÉONORE. Tu lui prêtes ta main encor, pour m'outrager, Et loin de détourner avec moi, cette foudre, Tu lui promets encor de me faire résoudre, Toi-même applaudissant à cet affreux dessein, Tu fournis un poignard, pour me percer le sein, Toi que j'aime, et sur qui tout mon espoir se fonde. BÉATRIX. La foudre tombe-t-elle aussitôt qu'elle gronde ? Et d'abord que l'on voit briller le moindre éclair, Doit-on dire aussitôt des injures à l'air ? Non, non, ce n'est point là, comme l'on doit s'y prendre, Il faut à ses desseins feindre de condescendre Il le faut endormir, et non pas l'irriter, De peur qu'à quelque excès il n'aille s'emporter. Enfin à vos dépens vous connaissez le sire : Si j'avais sottement été lui contredire, Et sans discrétion, tour d'abord m'opposer À ce que je doutais, qu'il venait proposer, Nous voyant par ce coup toutes deux alarmées, Il nous aurait peut-être au logis enfermées, Et par là, nous aurait ôté tous les moyens, De faire triompher nos desseins sur les siens. Ces affaires-là vont moins vite que l'on pense : Il faut écrire à Rome, obtenir la dispense, Ordonner des habits, un carrosse, des gens, Que sais-je, tout cela demande bien du temps. Il faut de ce projet avertir votre frère, Et Fernand, ils sauront bien vous tirer d'affaire : Ces Messieurs les galants savent bien plus d'un tour. Et que ne fait-on pas, quand on a de l'amour ? LÉONORE. Ah Béatrix ! Tu viens de me rendre la vie : Et je me la serais à moi-même ravie, Plutôt que consentir à cet affreux hymen. BÉATRIX. Quoi ? Vous aviez donc fait déjà votre examen ? À ce compte, la vie est pour vous peu de chose, Puisqu'à si bon marché votre main en dispose. Entrez dans le Bureau, votre oncle vous attend, Montrez en apparence un esprit fort content ; S'il parle, témoignez qu'à ses désirs soumise, Vous vous êtes de tout à moi seule remise. LÉONORE. J'y consens ; mais... BÉATRIX. Entrez, sans vous mettre en souci, Et cependant je vais me promener ici. LÉONORE. Pourquoi ? BÉATRIX. Pour avertir Fernand et votre frère, De tout ce qui se passe. LÉONORE. Il faut te laisser faire. BÉATRIX. Je m'en vais les attendre, et tandis qu'ils viendront, Voici nos deux Commis qui me divertiront. Un intérêt contraire en ce lieu les occupe. SCÈNE III. Béatrix, La Roche, Jasmin. JASMIN, folâtrant. N'avez-vous rien ici caché sous votre jupe ? Et ne venez-vous pas diminuer nos droits ? BÉATRIX. N'ayez point d'autres soins, que ceux de vos emplois, Et me laisser ici dans mon humeur rêveuse. LA ROCHE. Du Jasmin, prenons garde à cette blanchisseuse. JASMIN. Oui ? LA ROCHE. C'est une rusée, et qui sait plus d'un tour. SCÈNE IV. Jasmin, La Roche, Olive avec une hotte. OLIVE. Bonjour, mes bons Monsieurs. LA ROCHE. Ah, ah ! Bonjour, bonjour, Dame Olive. Hé comment ? Vous troussez votre cotte. OLIVE. Il le faut bien, Monsieur, puisque ma pauvre hotte Ne saurait contenir tout ce que j'ai blanchi. LA ROCHE. Vos pratiques sont donc nombreuses ? OLIVE. Dieu merci ! J'ai l'honneur de blanchir les plus gros de la Ville. Même Monsieur Griffon. JASMIN. Peste, il en vaut un mille Lui seul. OLIVE. C'est un Fermier. JASMIN. Nous le savons fort bien, J'espère que son linge honorera le mien ; Car je veux vous donner aussi ma chalandise. Voyons s'il est bien blanc. Quoi ? De la marchandise ? Des toiles de Hollande ? Ah, ah ! OLIVE. Mes bons Monsieurs ! LA ROCHE. Saisissons, saisissons. OLIVE. Hélas ! Mes bons Seigneurs : Je tâche d'obliger les honnêtes personnes ; Et si vous connaissiez les deux belles mignonnes, Pour qui c'est, sans chagrin vous me lairriez passer. JASMIN. Pourrait-on le savoir ? OLIVE. Hé... JASMIN. Sans vous offenser. OLIVE. Oui-da, Monsieur, ce sont deux aimables lingères, Qui tiennent leur boutique au buisson des Bergères, Près le Palais. LA ROCHE, à part. Ô ciel ! C'est ma femme et sa soeur. OLIVE. Elles sont toutes deux si pleines de douceur, Et viennent fort souvent me voir à Cornillane, Avec Monsieur Griffon et monsieur Santillane. LA ROCHE, à part. Ah ! Qu'entends-je ? OLIVE. Plaît-il ? Quoi, les connaissez-vous ? LA ROCHE. Non pas ; mais dites-moi, qu'y font-elles ? OLIVE. Chez nous ? [Note : Matelote : Mets composé de plusieurs sortes de poissons apprêtés à la manière dont on prétend que les matelots les accommodent. [L]]Ils mangent du poisson cuit à la matelote. Quelquefois ces Monsieurs... LA ROCHE. Reprenez votre hotte Et passez vite. JASMIN. Mais... LA ROCHE. Hé, laissez-la passer ; Car aussi bien, ces gens vont nous embarrasser. JASMIN. Hon... SCÈNE V. Dorante, Isabelle, Fernand, Béatrix. DORANTE. Où donc est ma soeur ? Pourquoi l'as-tu quittée ? Dis-moi. BÉATRIX. Monsieur, elle est toute déconcertée : Votre oncle a déclaré qu'il veut la marier. FERNAND. La marier ? À qui ? BÉATRIX. J'ose bien parier Tout ce que j'ai de vaillant, qui n'est pas fort grand-chose, Que vous ne nommez pas le parti qu'il propose, Dans un mille à choisir dans l'un et l'autre État. FERNAND. Par la mort, si quelqu'un par un tel attentat, Ose à mes yeux... BÉATRIX. Tout doux, et daignez vous contraindre, Monsieur, sans vous flatter, cet homme est fort à craindre, Au moins. FERNAND. Quand il serait un César, un Roland. Je veux... BÉATRIX. Vous n'oserez lui parler qu'en tremblant. FERNAND. Qui moi ? Je tremblerais pour quelqu'un ? BÉATRIX. Oui sans doute : Déjà vous l'avez fait plus d'une fois. FERNAND. Écoute, Ne me fais pas languir davantage, dis-moi Le nom de ce rival qui donne tant d'effroi, Tu verras de quel air, et de quelle manière Je l'ajusterai. BÉATRIX. C'est Monsieur la Rapinière Lui-même. FERNAND. Ah ! De quel coup viens-tu de m'accabler ? BÉATRIX. N'avais-je pas bien dit, qu'il vous ferait trembler. ISABELLE. Quoi donc, vous souffririez ?... DORANTE. Non, non, laissez-moi faire, J'ai ce qu'il faut tout prête, pour rompre cette affaire ; Je vous dirai bien plus, je prétends que demain Léonore et Fernand se donneront la main. FERNAND. Ah ! Qui peut obliger un ami si fidèle, À prendre tant de soins ? DORANTE. La charmante Isabelle. J'en ai fait mon affaire, et je vous ai promis, Que nous serons parents, comme parfaits amis. FERNAND. Mais, comment avez-vous conduit tout ce mystère ? DORANTE. Avec le bon secours d'un honnête Notaire, Quoiqu'il passe entre nous, pour un peu scélérat, À qui j'ai ce matin, fait dresser un Contrat, Entre vous et ma soeur ; j'en ai fait faire un autre, Sur du même papier, et tout semblable au vôtre, Entre Monsieur Jasmin et Dame Béatrix Que voilà... BÉATRIX. Vous voulez égayer vos esprits, Sans doute, et marie-t-on les gens, sans qu'on leur dise ? Les hommes, par ma foi, sont une marchandise, Qu'il faut voir plus d'un jour, avant que l'acheter. DORANTE. Béatrix, jusqu'au bout, veuille donc m'écouter. Il faudra que ma soeur, pour Jasmin te demande En mariage. BÉATRIX. Bon, la fortune est fort grande. DORANTE. Sans doute en sa faveur, il y consentira ; Puis vous verrez un tour qui vous divertira. BÉATRIX. Mais, Monsieur, n'est-ce point de ces tours que Jeandève [Note : La Grève : Place de Paris sur le bord de la Seine, à côté de l'hôtel de ville, où se faisaient les exécutions juridiques. [L]]Pratiquait à Paris, ils y sentent la Grève Terriblement, ici, les Galères en moins. DORANTE. Bon, nous seuls en seront les acteurs et témoins. D'ailleurs je vous réponds, qu'il n'osera s'en plaindre : De secrètent raisons l'obligent à me craindre : Je sais certain commerce ; enfin sans m'expliquer, C'est que je le perdrais, s'il osait m'attaquer. FERNAND. Quelles grâces, ami, ne dois-je pas vous rendre, Pour ce qu'ici pour moi, vous voulez entreprendre ? Et combien devez-vous, ma soeur, à votre tour, Reconnaître les soins d'un si fidèle amour ? Que ne ferez-vous pas ?... ISABELLE. Si la main d'Isabelle Peut dignement payer un amour si fidèle. Si mon coeur peut enfin, le contenter assez, Ses feux, quand il voudra, seront récompensés. Par inclination et par reconnaissance, J'en ressens dans ce coeur le charme et la puissance, Et je rougis bien moins d'en faire un libre aveu, Que d'avoir su jamais le mériter si peu. DORANTE. Madame... BÉATRIX. Hé vous savez bien mieux que vous ne dites. ISABELLE. Quoi, donc ?... BÉATRIX. Retirez-vous, je vois ses satellites, Qui ne vous lairront pas jaser commodément. SCÈNE VI. Jasmin, La Roche. JASMIN. Voici quelque fraudeur de droits, assurément, Que ce vinaigrier avecque sa brouette. Il nous faut visiter son baril et sa boîte. LA ROCHE. Ne feignons point, s'il passe, à nous jeter dessus. Je le vois qui s'avance. SCÈNE VII. Jasmin, La Roche, Mascarille déguisé en vinaigrier. MASCARILLE, criant. Au vinaigre, au verjus. Il se met à travers de la porte.Reposons-nous un peu. LA ROCHE. La peste, qu'il me tarde, Qu'il ne soit avancé, pour l'arrêter. MASCARILLE, criant. Moutarde. JASMIN. Passe-donc, mon ami, que diable fais-tu là ? Prétends-tu demeurer longtemps comme cela ? Vois-tu pas qu'aux passants tu bouches le passage ? MASCARILLE, se rangeant d'un côté. Je veux me reposer. LA ROCHE. Sans jaser davantage, Passe, ou retourne. MASCARILLE. Mais... LA ROCHE. Mais laisse en liberté, Pour entrer et sortir, l'un et l'autre côté. MASCARILLE. Vous avez, sans mentir, tous deux l'humeur bien aigre. Çà voyons, passons donc, Criant.Au verjus, au vinaigre. JASMIN. Arrête, qu'as-tu là, voyons un peu. MASCARILLE. Plaît-il ? JASMIN. Ouvre-nous promptement ta boîte et ton baril, Sinon, d'un coup de pied, d'abord je les enfonce. MASCARILLE. Vous êtes, par ma foi, courtois comme une ronce, J'ai passé mille fois, sans qu'on m'ait arrêté. LA ROCHE. Tu passeras, après qu'on t'aura visité. Après avoir ouvert la boîte et le baril.Ah, ah, vous l'entendez, ô vendeur de moutarde. Vous vous fiez, qu'ici jamais on ne prend garde À des gens comme vous. La peste ! Le beau fruit. MASCARILLE. Quoi, Messieurs, vous voulez confisquer ?... JASMIN. Point de bruit. Si tu fais seulement la moindre résistance, La prison est tout près, et gare la potence. Confitures, liqueurs, fruits, biscuits, macarons. LA ROCHE. Dieu sait, comme tantôt nous nous en donnerons. JASMIN. À La Roche.Portons dans le Bureau le baril et la boîte. À Mascarille.Notre bonté te fait grâce de la brouette. MASCARILLE. Comment ? JASMIN. Si nous faisions tous deux notre devoir, Nous la confisquerions. Adieu, jusqu'au revoir. Je te veux bien encor rendre ce bon office, En ami. MASCARILLE. Je m'en vais me plaindre à la Justice : Vous êtes des voleurs, voleurs de grand chemin. LA ROCHE. C'est Monsieur de la Roche et Monsieur du Jasmin, Qui t'ont fait cet outrage, afin qu'il t'en souvienne. Va sauve-toi, de peur que l'on ne te retienne : Déjà je te devrais avoir fait arrêter, Admire la bonté que j'ai, de t'écouter. SCÈNE VIII. Jasmin, La Roche. LA ROCHE. Que dit notre Patron d'une telle capture ? JASMIN. Il est ravi, sa nièce admire l'aventure, La Compagnie en rit, et la Collation Ne pouvait mieux venir, qu'en cette occasion. LA ROCHE. Le pauvre Moutardier, à l'heure qu'il est, tremble. JASMIN. Oui sans doute. Ils vont tous se promener ensemble, Et viendront, disent-ils, tantôt à leur retour, Se divertir ici sur le déclin du jour. Monsieur la Rapinière est d'une humeur charmante. LA ROCHE. Quelque chose pourtant le géhenne et le tourmente, Et je suis bien trompé, si ce ris apparent Ne cache dans son âme un chagrin dévorant. JASMIN. Pourvu qu'avec serment, ici tu me promettes De garder le secret entre nous... SCÈNE IX. Jasmin, La Roche, La Fleur en vendeur d'allumettes. LA FLEUR, criant. Allumettes Sèches pour les fusils, allumettes. JASMIN. Il faut Arrêter celui-ci, n'est-ce pas ? LA ROCHE. Oui, bientôt, Quand il sera passé. JASMIN. S'il voit qu'on le regarde, Peut-être plus rusé, que l'homme à la moutarde, Il n'avancera pas. LA FLEUR. À part.[Note : Alguazil : C'est un mot Espagnol qui est connu depuis quelque temps en France pour signifier un Sergent ou Exempt. [F]]Voici mes alguazils. Criant.Voilà pour les fusils, les fusils, les fusils. Allumettes. Parlant.Messieurs, faut-il point d'allumettes. LA ROCHE. Non l'ami, mais il faut qu'ici tu nous permettes De voir, de visiter dans tes poches, partout. LA FLEUR. Ma foi, Messieurs, voyez, fouillez, de bout en bout ; Vous ne trouverez rien sur moi, de contrebande, Qu'une triste misère et pauvreté bien grande. Mais du moins ce n'est pas vice que pauvreté. Hé bien, Messieurs, partout m'avez-vous visité ? Pour gagner cette vie, ah ! Que de maux l'on souffre. M'en irai-je ? LA ROCHE. Oui, va-t'en. JASMIN. Mais à propos, le souffre Doit-il pas quelques droits ? Et comme bois carré, Une allumette en doit aussi ? LA ROCHE. Très assuré Qu'elle en doit. Quelque fois, lorsqu'une affaire est grasse, Et qu'on y gagne, on peut y faire quelque grâce ; Mais dans ce bois carré, qu'on a si fort outré, Et par malheur encor, où je suis empêtré, Tout paye : et dans ce mal, que le sort nous envoie, Nous faisons, comme un homme qui se noie, Nous nous prenons à tout. LA FLEUR. Mais je n'ai point d'argent. LA ROCHE. Rends la boîte. LA FLEUR. Hé ; Monsieur, soyez plus indulgent. LA ROCHE, regardant dans la boîte. Qu'est-ce donc que cela ? LA FLEUR. Monsieur, c'est de la mèche De mon invention, préparée et bien sèche. Voulez-vous, par plaisir, voir comme elle prend feu, Au moindre coup de pierre ? LA ROCHE. Oui-da, voyons un peu. LA FLEUR, bas à Jasmin. Il n'attend pas, sans doute, une telle tempête. LA ROCHE. Ah ! Bon Dieu, quel fracas ! Le feu prend aux pétards qui sont dans la boîte. La Fleur s'enfuit, et les Commis courent après.Arrête. JASMIN. Arrête, arrête. ACTE IV SCÈNE I. Fernand, Léonore, Béatrix. FERNAND. Je touche enfin, Madame, au moment bienheureux, Qui doit finir ma peine et combler tous mes voeux ; Grâce aux généreux soins d'un bon ami, d'un frère, Nous trompons les efforts d'un tuteur trop sévère ; Et malgré les soupçons dont il est agité, Je puis enfin, vous voir en toute liberté. Jusqu'en ce jour chez vous renfermée et contrainte, Je ne vous ai pu voir, ni vous parler qu'en crainte, Et je bénis du sort ce coup inespéré, Qui me fait un ami d'un rival déclaré. LÉONORE. Quoique dans ce dessein, que l'amour vous suggère, Vous soyez appuyé de l'aveu de mon frère ; Quoique votre mérite et cet amour constant, Exigent de mon coeur cet effort important ; Je ne souffrirais pas qu'une indigne surprise, Eût part dans le succès d'une telle entreprise, Si le bizarre amour de mon propre tuteur, Ne me faisait en lui voir un persécuteur. J'ai sur le point d'honneur, trop de délicatesse, Pour vouloir écouter ce qui sent la bassesse, Et c'est ce même honneur, qui me fait l'approuver Puisqu'il ne pouvait pas autrement se sauver. Ce que d'un tel dessein je puis encor vous dire, C'est que comme l'on doit, de deux maux fuir le pire, Il m'est bien moins honteux, de faire cet effort, Que de voir un brutal disposer de mon sort. FERNAND. Madame, je connais par cet aveu sincère, Que vous déférer tout à l'amitié d'un frère, Et que sans le projet d'un hymen odieux, Vous n'auriez pas sur moi daigné tourner les yeux. Je ne vois rien en vous, que crainte et complaisance ; Peut-être avec chagrin souffrez-vous ma présence, Et que vous n'acceptez, que par occasion, Ma main, pour fuir l'objet de votre aversion : La vôtre aveuglément peut-être s'abandonne... LÉONORE. Vous reconnaissez mal le secours que je donne Au bizarre dessein, que vous avez formé. FERNAND. Je crains avec raison, de n'être pas aimé. Le ciel vous a traitée avec tant d'avantage ; Il m'a donné si peu de mérite en partage ; Et je connais si bien votre esprit noble et fier, Que cela suffit trop, pour me justifier. LÉONORE. Le retour est galant, j'en admire l'adresse. Ce n'est donc pas assez vous marquer ma tendresse. Et ce que j'entreprends, est donc pour vous trop peu, Si ma bouche, à vos yeux, n'en fait encor l'aveu. C'est prendre sur mon coeur un assez grand empire, Et je n'aurais pas cru que vous... BÉATRIX. Est-ce pour rire, Que vous faîtes les fiers tous les deux, tour à tour ? Et doit-on sèchement traiter ainsi l'amour ? FERNAND. Tu vois comme son coeur s'explique par sa bouche. BÉATRIX. Faut-il qu'ainsi pour rien, le vôtre s'effarouche ? LÉONORE. Tu vois, comme il l'a pris d'un ton plein de fierté. BÉATRIX. Et pourquoi montrez-vous si peu de fermeté ? FERNAND. En acceptant ma main, elle paraît forcée. BÉATRIX. Vous êtes fou, je crois, d'avoir cette pensée. LÉONORE. Il me cherche querelle exprès, pour m'insulter. BÉATRIX. Rien moins ; enfin voulez-vous m'écouter ? FERNAND. Je connais son dessein. LÉONORE. Je comprends le mystère. BÉATRIX. Si vous parlez toujours, je n'ai donc qu'à me taire. FERNAND. Parle, voyons comment tu pourras l'excuser. LÉONORE. Dis, et voyons de quoi tu pourras m'accuser. BÉATRIX. Vous vous rendez tous deux aujourd'hui ridicules Vous, par vos vains soupçons, vous, par vos scrupules. Moi qui n'ai point de fier ni d'honneur à garder, Sans qu'il m'en coûte rien, je veux vous accorder Madame, en premier lieu, vous avez tort, son âme Expliquait assez bien le beau feu qui l'enflamme, Vous pouviez dans ses yeux voir son empressement Et vous deviez sans doute, y répondre autrement. Sans chercher le secours de votre rhétorique, Pour étaler les droits d'un devoir chimérique. Chaque temps a ses soins ; dans une autre saison, Vous auriez eu peut-être un peu plus de raison. Vous avez tort aussi, vous, il fallait attendre, Elle vous aurait dit quelque chose de tendre, Peut-être, vous deviez l'écouter en repos, Et ne pas l'interrompre ainsi mal à propos. Vous avez répliqué d'un air sec et farouche, En lui coupant d'abord la parole à la bouche, Et vous avez après, tâché de replâtrer Ce que de forte humeur vous veniez de montrer. Ainsi vous vous alliez brouiller l'un avec l'autre ; Avouez votre erreur, et vous aussi la vôtre. Çà, me promettez-vous d'oublier le passé, Et de donner les mains au dessein commencé, Sans délai, sans chagrin, et sans contrainte aucune. FERNAND. J'y consens. LÉONORE. Volontiers. BÉATRIX. Poussez votre fortune, [Note : Cela vaut fait : Tenir lieu de, avoir la signification de. [L]]Cela vaut fait, allez. SCÈNE II. Dorante, Isabelle, Fernand, Léonore, Béatrix. ISABELLE. Hé bien, partirons-nous ? LÉONORE. Oui, quand il vous plaira, l'on attend qu'après vous. DORANTE, à Fernand. Je vous ai vu tantôt en grand conférence Avec votre tuteur, voyez-vous apparence De pouvoir avec lui faire société ? FERNAND. Sans doute, et de sa part je l'y vois tout porté. L'intérêt l'éblouit, j'ai su lui faire accroire, Après long récit d'une bizarre histoire, Dont j'ai feint de lui faire un secret important, Que j'étais des emplois ici très mal content : Qu'on y voyait en tout triompher l'injustice, Que j'avais fait dessein de quitter le service, De sortir de l'État, et d'aller engager Mon bras dans l'intérêt d'un État étranger, Et que pour ce sujet, faisant un tour en France, Je cherchais quelque endroit, pour mettre en assurance Quatorze mil écus, qu'on m'avait remboursés, Et que mon peu de soin n'avait pas replacés, Dans mon entêtement de quitter l'Italie : Qu'après avoir traité mon dessein de folie, Vous-même aviez été contraint d'y consentir, Et malgré vos raisons, de me laisser partir ; Que vous m'aviez juré qu'il était le seul homme Où je pouvais laisser sûrement cette somme,Et que de temps en temps, vous vous chargiez du soin, De me faire tenir de l'argent au besoin. DORANTE. Sans parler d'intérêt ? FERNAND. En pas une manière. ISABELLE. Hé bien, qu'a répondu Monsieur la Rapinière ? FERNAND. Ce que l'on ne pourrait jamais s'imaginer, À moins qu'être savant en l'art de deviner. Il a fait devant moi l'homme de conscience, M'a fort remercié de tant de confiance, Et m'a dit, que piqué de générosité, Il voulait y répondre aussi de son côté,Dans l'ardeur dont alors son âme était saisie. Moi j'ai cru, le voyant si plein de courtoisie, Que durant tout le temps que je serais absent, Il m'allait proposer tout au moins dix pour cent D'intérêt, comme on fait entre les gens d'affaires. Mais insensiblement tombant sur les Notaires, Qui prennent un tribut, pour garder de l'argent, J'ai pour vous m'a-t-il dit, le coeur plus obligeant, Et pour vous faire voir, que je suis honnête homme, Faites quand vous voudrez, apporter votre somme, Je vous la garderai, revenez tard ou tôt, Je n'en demande pas un sol, pour le dépôt. DORANTE. Bon. FERNAND. Puis-je vous donner un plus sûr témoignage, Que je suis votre ami ? DORANTE. L'obligeant personnage ! Mais le voici, songez à faire votre cour. SCÈNE III. La Rapinière, Dorante, Isabelle, Fernand, Léonore, Béatrix. LA RAPINIÈRE, à ses Commis en sortant. Que la collation nous attende au retour. Il faut bien que ce soir se sente de la fête Qu'on prépare demain. ISABELLE. La compagnie est prête, Monsieur, et l'on attend qu'après vous, pour partir. LA RAPINIÈRE. Allons, que l'on se dispose à se bien divertir, Et que chacun de vous me suive et me seconde. BÉATRIX, à part. Miracle ! L'on va voir bientôt la fin du monde : Les prodiges déjà paraissent. LA RAPINIÈRE. À propos, Il faut qu'à mes Commis je dise encor deux mots. Allez toujours devant, je vous suis. SCÈNE IV. LA RAPINIÈRE, seul. Quelle géhenne De faire le plaisant contre son gré, la peine Passe, selon mon goût, le plaisir de bien loin. Mais on doit quelquefois se contraindre au besoin Il faut bien qu'il m'en coûte aujourd'hui quelque chose, Pour parvenir au but, que mon coeur se propose ; Et pour ne perdre pas le fruit de mon présent, Je dois jusques au bout me montrer complaisant. Je sais que Béatrix, avec beaucoup d'adresse, Tourne comme il lui plaît, l'esprit de sa maîtresse ; Ainsi, quand je consens à son hymen, je crois, Qu'en travaillant pour elle, elle agira pour moi. Je vois qu'elle a déjà disposé Léonore À m'écouter sans peine, et m'a promis encore, Pour pris de mes bontés, qu'au plus tard dans demain, Elle la résoudrait à me donner la main. Cela m'oblige à faire ici quelque dépense ; Mais enfin, tout bienfait demande récompense ; Et quand on ne peut pas faire ce que l'on veut, Il faut bien malgré soi, vouloir ce que l'on peut. Instruisons nos Commis de ce qu'ils ont à faire. SCÈNE V. La Rapinière, Jasmin, La Roche. JASMIN. Voilà Monsieur Féal, Monsieur. LA RAPINIÈRE. Qui ? JASMIN. Le Notaire. LA RAPINIÈRE. Qu'il dresse le contrat toujours, en attendant. JASMIN. Monsieur j'en prendrai soin. LA RAPINIÈRE. Vous autres cependant, Redoublez votre ardeur et votre vigilance. JASMIN. Je le dois par devoir et par reconnaissance ; Mais j'y suis plus porté par inclination, Que... LA RAPINIÈRE. Je ne doute point de votre intention, Vous m'en avez déjà donné quelque teinture. JASMIN. Je rends un bien reçu, toujours avec usure. Ordonnez, commandez, parlez, je suis tout prêt. LA RAPINIÈRE. Il est de certains endroits, où j'ai grand intérêt, Et je voudrais bien, qu'on payât à la porte. JASMIN. Voyons. LA RAPINIÈRE. Pourriez-vous pas ensemble, faire en sorte, Par votre savoir-faire, ici que nos bourgeois Payassent de l'entrée entièrement les droits. JASMIN. [Note : Pleige : Caution judiciaire, qui s'oblige devant le Juge de représenter quelqu'un, ou de payer ce qui sera jugé contre lui. [F]]Oui-da, nous le pouvons, et j'en ferai le pleige. LA RAPINIÈRE. Vous savez comme moi, qu'ils ont le privilège De pouvoir faire entrer tous les vins de leur cru, [Note : Gros : se dit aussi Du droit que l'on paye aux Fermiers des Aides pour chaque muid de vin que l'on vend en gros. [Acad. 1762]]Sans nous payer le gros, et qu'ils l'ont maintenu, Malgré tous les efforts et la vigueur extrême, Des Fermiers précédents. Monsieur Griffon lui-même, Qui n'eût jamais d'égal en matière d'impôts, N'a su donner encor d'atteinte à leur repos. Je m'en suis pourtant fait à moi-même une affaire, Et pour y réussir, voici ce qu'il faut faire. Lorsque leur vin arrive, ou par terre, ou par eau, Il faudra renvoyer d'abord au Grand bureau, Les Voituriers, Rouliers ou Bateliers, n'importe, Les faire après, longtemps attendre à votre porte ; [Note : Acquit : Quittance, acte par lequel il paroist qu'on a payé. [F]]Disant que leurs acquits ne sont pas comme il faut, [Qu'ils] y retournent, puis les remettre à tantôt ; [Enfin] les fatiguer tant, que la patience [Leur] échappe. On en peut faire l'expérience, [Seulement] par plaisir. Je gage assurément, [Que] ne pouvant longtemps souffrir ce traitement, [Ils] aimeront bien mieux, pour se tirer de peine, [Payer] le droit entier. JASMIN. La chose est très certaine, Monsieur, n'en doutez point, à la fin ces bourgeois [Se] lasseront d'aller et venir tant de fois. [Et] pour éterniser un jour votre mémoire, [Ce] succès éclatant d'un coup si plein de gloire, [Sans] doute servira d'exemple à nos neveux. LA RAPINIÈRE, à La Roche. [Vous], comprenez-vous bien aussi ce que je veux ? LA ROCHE. [Oui] Monsieur. LA RAPINIÈRE. Soyez sûr que je serai fidèle [À] bien récompenser l'ardeur de votre zèle ; [Et] pour vous délivrer de tout sujet d'ennui, [Que] je ferai pour vous, plus encor que pour lui. [Mais] au moins pour me plaire, il ne faut pas qu'on dorme, Souvenez-vous-en. SCÈNE VI. Jasmin, La Roche. LA ROCHE. Zeste, attendez-moi sous l'orme. JASMIN. Qu'est-ce donc, notre ami, vous voilà tout rêveur. LA ROCHE. Je rirais comme vous, si j'étais en faveur ; Mais les honnêtes gens doivent craindre les traîtres. JASMIN. Hem ? LA ROCHE. Les derniers venus, ma foi, seront les maîtres. JASMIN. À qui donc mon ami, prétendez-vous parler ? Plaît-il, est-ce à nous ? LA ROCHE. Oui, pour ne le point celer. Et je vois qu'aujourd'hui l'on tâche à me détruire, Pour l'amour d'une... JASMIN. Quoi ? Hem ? LA ROCHE. Je ne veux pas dire ; Mais je ne voudrais pas de faveur à ce prix. Suffit. JASMIN. Entendez-vous parler de Béatrix ? Peut-elle contre vous ?... LA ROCHE. Je ne nomme personne ; Elle est jeune, commode, enfin on vous la donne, Suffit... JASMIN. Je n'entends point ; mais enfin, entre nous, Sans chaleur et sans fiel, de grâce expliquez-vous. [Note : Cervelle : Mettre, tenir en cervelle, en inquiétude, dans l'embarras. [L]]Cessez de me tenir si longtemps en cervelle ; Qu'avez-vous remarqué, qui vous parle contre elle ? LA ROCHE. Rien. Vous aurez ici sans doute, un logement ? On vous y meublera le bel appartement, Qui voit sur le jardin. Cela sera commode, Comme une chambre basse, et pour être à la mode Tout à fait, envers vous on sera libéral, On vous fera bientôt Contrôleur Général. Vous irez visiter les Bureaux de recette, Et vos gages seront payés sur sa cassette. Pendant que vous irez visitez ces Bureaux, Le patron amoureux donnera des cadeaux ; Comme étant du logis, votre femme avertie Sans doute bien souvent, sera de la partie, Et pour en augmenter encore la douceur, Le bon Monsieur Harpin y joindra votre soeur. Elles sont toutes deux... JASMIN. Tu penses donc infâme, Qu'elles sont toutes deux de l'humeur de ta femme ? Qui pour te conserver la vie et ton emploi, Pour ton Monsieur Griffon travaille comme toi. Tu crois donc que chacun doive être de naissance, À fléchir sous le joug d'une indigne puissance ? Et que pour un Emploi, qu'un ami fait donner, L'honneur si lâchement se doit abandonner ? Non, non, jusques ici j'ai vécu sans reproche ; [Note : Gauche : Par une autre extension. Le côté gauche, toute union entre un homme et une femme qui n'a pas été consacrée par l'état civil et par l'Église. [L]]Si j'étais, comme on dit, enfant du côté gauche, Je pourrais n'avoir pas de parents déclarés ; Mais Dieu merci, j'en ai d'assez considérés, Pour n'avoir pas besoin, qu'on me fasse en cachette, Donner obliquement, ou contrôle, ou recette ; Et pour m'y maintenir, je n'userai jamais De criminels moyens, comme on sait que tu fais. Car enfin, entre nous, dis-moi, qui fut ton père ? Te l'a-t-on jamais dit ? As-tu connu ta mère ? As-tu frère ? As-tu soeur ? Oncle, tante, cousin ? Non ; mais pour tous parents tu connais ton parrain, Et de fait, je le crois l'unique et le plus proche. Ce parrain t'a donné le surnom de la Roche, C'est le nom du Village, où tu reçus le jour. LA ROCHE. Village ; parlez mieux. JASMIN. Et bien, Village ou Bourg. À l'âge de six ans, Monsieur la Rapinière [Note : École d'ânière : pour dire un ignorant. [T]]Te mit en pension à l'école d'ânière, Pour te faire Docteur, et puis quatre ans après, À Madame Griffon, te donna pour Laquais, Quand il eût trouvé jour de s'établir à Gênes ; Puis après bien du temps, et des soins, et des peines, Monsieur Griffon te prit, tu le servis trois ans, Encor comme Laquais ; ensuite au bout du temps, Tu fus Valet de chambre ; enfin pour récompense, On te fit épouser la demoiselle Hortense, Qui servait à la chambre, en tout bien, tout honneur. Et tantôt à Madame, et tantôt à Monsieur : La Dame Olive en a d'assez bons témoignages ; On lui donna pour dot, pour présents, pour ses gages, Cet emploi que j'exerce ici de Contrôleur : Depuis, pour l'amour d'elle, on t'a fait Receveur... Mais voici quelque fourbe, avec sa barbe noire ; J'achèverai tantôt à loisir ton histoire : J'en suis, comme tu vois, passablement instruit. LA ROCHE. Faisons notre devoir, je n'aime point le bruit. SCÈNE VII. Jasmin, La Roche, Mascarille en Savoyard bossu. MASCARILLE, faisant un faux pas. Il n'est si bon cheval, qui quelquefois ne choppe. JASMIN. Arrête, qu'as-tu là, jeune et moderne Ésope ? MASCARILLE. Ne le voyez-vous pas de reste, ce que j'ai ? J'ai ce dont je voudrais être bien déchargé. LA ROCHE. Mais où vas-tu, dis-nous, avec ton gros nez rouge ? MASCARILLE. Messieurs, je ne vais point, vous voyez, je ne gouge. JASMIN. D'où viens-tu ? MASCARILLE. D'où je viens ? JASMIN. Oui. MASCARILLE. D'où je suis parti. LA ROCHE. Mais sais-tu qu'on te peut faire un mauvais parti ? Et que nous t'apprendrons à parler d'autre sorte ? MASCARILLE. Je sais bien le respect, que doivent à la porte, Les Voituriers, Rouliers, Muletiers et Marchands ; Mais quant à moi, qui suis un pauvre homme des champs, [Note : Nargue de vous : ou Peste de vous, se dit quand on veut témoigner quelque colère ou dédain contre quelqu'un. [F]]Je dis nargue de vous, je m'en ris et m'en gausse. JASMIN. Oui, ma foi, beau rieur, vous montrerez la bosse. Allons donc, pourpoint bas. MASCARILLE. Quoi, me battre en duel ? Non, non, je ne veux point me rendre criminel, La Loi nous le défend sur peine de la vie. LA ROCHE. Non, nous n'en avons point, non plus que toi, d'envie. JASMIN, découvrant la fourberie. [Note : Aposté : Mettre quelqu'un en avant pour épier, surprendre, tromper, insulter, etc. ]Ha, ha, fourbe aposté, vous jouez de ces tours ? Ha, ma foi, vous irez prisonnier dans les tours. MASCARILLE, s'enfuyant. Oui, zeste. SCÈNE VIII. Jasmin, La Roche. LA ROCHE. Les beaux points ! JASMIN. Ce sont des points de France. À part.Voilà bien de quoi faire un présent d'importance À la nièce. LA ROCHE, à part. Ma foi cela me tente fort. Mais comment diable faire, étant si mal d'accord Avec ce Contrôleur : lui faire confidence De mon dessein, serait à moi grande imprudence Cependant l'intérêt unit souvent des gens, Qui voudraient s'être ailleurs mangés à belles dents. Avant de lui parler, il faut que je l'apaise. SCÈNE IX. Jasmin, La Roche, La Fleur en Apothicaire. JASMIN, à la Fleur. Qu'avez-vous là-dessous, Monsieur, ne vous déplaise ? LA FLEUR. Là-dessous ? J'ai ce dont vous n'avez pas besoin. JASMIN. Voyons. LA FLEUR. Laissez, Monsieur, vous prenez trop de soin : Nos Jurés seuls ont droit de visiter nos drogues. LA ROCHE. [Note : Rogue : Superbe, fier, altier, méprisant, peu courtois. [F]]On traite mal ici les gens qui sont si rogues. Et quel homme êtes-vous, pour refuser ainsi ?... LA FLEUR. Je m'appelle Monsieur Sanson Cacarossi, Fils aîné de Monsieur Cacarossi mon père, Pharmacien fameux. JASMIN. C'est un Apothicaire. LA FLEUR. Je porte ici, Messieurs, un clystère anodin ; Ainsi qu'hier l'ordonna Monsieur le Médecin, Pour un pauvre Marchand d'ici près, bien malade. JASMIN. Mais le miel doit des droits, est-ce pas Camarade ? LA ROCHE. En pouvez-vous douter ? LA FLEUR. Le miel ? LA ROCHE. Assurément, Donnez cinq sols, sinon rendez le lavement. LA FLEUR. Oui-da, très volontiers ; Il leur tire le lavement.Tenez gardes-barrière, Vous en aurez, ma foi, par-devant, par derrière, Par le haut, par le bas, et de tous les côtés. LA ROCHE. Ah ! Le traître, voilà tous mes habits gâtés. ACTE V SCÈNE I. Jasmin, La Roche. JASMIN. Non, ne craignez de moi jamais vengeance aucune, Je ne garde pour vous, ni haine, ni rancune : J'oublie avec plaisir toutes vos faussetés, Puisque vous accordez toutes mes vérités. Tel que fut un César, dont l'auguste mémoire S'est partout répandue avec que tant de gloire, Je veux à la clémence aussi m'abandonner, Et ne veux que l'honneur de vaincre et pardonner. Un ennemi soumis est mon vainqueur lui-même. LA ROCHE. J'admire avec plaisir cette douceur extrême ; Et pour m'en acquitter ainsi que je le dois, Je prétends augmenter les gains de votre emploi, Autant que vous voudrez : il ne faut que s'entendre, Et vous verrez jusqu'où nous pourrons les étendre. Quand on vous donnerait par an, trois cents écus, Voyons, que pouvez-vous épargner là-dessus ? Çà, ne nous flattons point, jamais un galant homme Peut-il s'entretenir d'une si mince somme ? Peut-on voir ses amis, et manger avec eux ? Il faudrait donc toujours être fait comme un gueux, [Note : Droguet : Étoffe de laine de bas prix. [FC]][Note : Serge : Étoffe commune de laine qui est croisée. [L]]N'avoir que des habits de droguet et de serge, Sinon, aller manger à la petite auberge, À cinq sols par repas. Tandis qu'effrontément Votre femme occupant un bel appartement, Sans vous, à votre front fera courir grand risque : Pour manger tous les jours la poularde et la bisque, Pour porter le brocard, le satin, le velours, Dentelles, franges d'or, et mille autres atours, Avoir meubles dorés jusques à l'antichambre, Et jusqu'à ses souliers, sentir le musc et l'ambre ; Saura se ménager un galant obligeant, Qui fournira pour vous, l'ordinaire et l'argent. JASMIN, à part. Où doit donc aboutir cette belle morale ? LA ROCHE. Votre femme à son tour, se montrant libérale, Fera de votre honneur litière à ses écus : Je vous laisse à conclure à présent là-dessus. JASMIN. Hé bien, pour éviter ce mal, que faut-il faire ? LA ROCHE. Il faut avoir de quoi fournir à l'ordinaire, De son chef, sans s'attendre à la bourse d'autrui. JASMIN. Hélas ! Combien voit-on de maris aujourd'hui, Qui fournissent de quoi faire une ample dépense, Et sont pour leurs moitiés, trahis pour récompense. Si femme belle et pauvre, est un mal dangereux, La laide et riche en est encor un plus affreux : Et de ces deux malheurs, quoi que vous puissiez dire, À mon sens, le dernier me semble être le pire. L'une pour le besoin, attire des chalands, L'autre pour le plaisir, entretien des galants ; Et faisant toutes deux même chose en cachette, L'une vend des douceurs, et l'autre les achète. En peu de mots, voilà les hasards de ce temps. J'en vois, qui du premier paraissent fort contents : En effet, le profit en fait la différence. LA ROCHE. Voulez-vous me donner un moment d'audience, Et profiter du temps favorable pour nous ? JASMIN. Volontiers, çà voyons, quel secret avez-vous, Pour pouvoir aisément vous tirer de la presse ?Vous savez le métier, vous avez de l'adresse ; Mais le Patron n'est pas si facile à tromper. LA ROCHE. Bon, C'est bien d'aujourd'hui, que j'ai su l'attraper. De nos nouveaux Fermiers la damnable avarice, Ne nous fait-elle pas une grande injustice, En nous ôtant le tiers de nos appointements, Des contraventions, nos frais, nos logements ? Et pour quoi voulez-vous, quel cruel à soi-même, On souffre impunément cette rigueur extrême ? Et que nous ne puissions, lorsqu'on nous le retient, Reprendre par nos mains ce qui nous appartient ? On ne fait en cela, que se rendre justice. JASMIN, à part. Le fripon, qui voudrait me rendre complice De son larcin. LA ROCHE. Je sais certain tour de métier, Qui nous vaudra du moins cent écus par quartier, À chacun, et cela sans scrupule et sans crainte. JASMIN. Tout de bon ? LA ROCHE. Sur ma foi, je vous parle sans feinte. JASMIN. À part le premier vers.Jamais dans les emplois fut-il plus grand fripon ? Hé bien, quel est ce tour ? LA ROCHE. C'est le tour du bâton. JASMIN. Ce tour a quelquefois fait faire un tour de Ville. LA ROCHE. Cela peut arriver, quand on est malhabile. Mais quand on s'entend bien, le Fermier le plus fin Ne saurais découvrir ce que l'on fait : enfin, Dites, le voulez-vous ? JASMIN. Moi ? J'en serais bien aise ; Mais le péril... parfois... LA ROCHE. Vous voyez cette chaise, Arrêtez-la. JASMIN. Comment ? LA ROCHE. Arrêtez, vous dit-on. JASMIN. Oui, mais... gare l'endosse et le tour du bâton. Car... LA ROCHE. Si vous avez peur, prenez en main [le fonds]. SCÈNE II. La Roche, Jasmin, Le Rôtisseur en Marquis dans une chaise. LA ROCHE, aux porteurs. Arrêtez. LE ROTISSEUR. Quoi, marauds ? Arrête-t-on le monde, Sans raison, de la sorte ? Assommez-les, porteurs. JASMIN, tremblant. Nous sommes, Monseigneur, tous deux vos serviteurs, Et nous ne voulons pas vous faire ici d'outrage. LE ROTISSEUR. Coquins ! JASMIN. Notre devoir à cela nous engage ; Enfin c'est seulement par curiosité. LE ROTISSEUR. Comment donc ? Arrêter les gens de qualité. Marche, marche. LA ROCHE. Bas, bas. LE ROTISSEUR, découvert. Ah ! Maudite canaille. JASMIN. Il est de tous côtés entouré de volaille, Et pour sa garniture, il n'a que du gibier. LA ROCHE. Bon, c'est un rôtisseur. JASMIN, d'un ton fier. Sans te faire prier, Allons, bas le paquet, sinon. LE ROTISSEUR. Messieurs, de grâce, Je suis noble Génois, je reviens de la chasse, Et j'ai chez moi ce soir, bien des gens à souper. LA ROCHE. Contes en l'air, en vain tu prétends nous tromper : Nous te connaissons bien. JASMIN. [Note : Bandoulière : Large baudrier de cuir ou d'étoffe. Bandoulière d'un garde-chasse, d'un suisse. [L]]Vite la bandoulière. LE ROTISSEUR. Quatre ducats pour vous... LA ROCHE. Souvent à la prière D'un honnête homme, on fait quelque chose. LE ROTISSEUR. Tenez. LA ROCHE, à Jasmin. Hé bien, qu'en dites-vous ? N'ai-je pas eu bon nez ? Deux pour vous, deux pour moi. Monsieur la Rapinière Vient ? Bouche close, au moins. JASMIN. Suffit, je sais me taire. SCÈNE III. La Rapinière, Dorante, Jasmin. LA RAPINIÈRE. Oui, je l'aurais osé moi-même parier, Qu'on ne m'aurait jamais vu remarier ; Pour jamais à l'hymen j'avais fait banqueroute, À cause de l'argent qu'une femme nous coûte ; Mais les charmants appas de votre aimable soeur, Me l'ont représenté tout rempli de douceur. J'enverrai dès ce soir à Rome en diligence, Pour en faire venir promptement la dispense ; Cependant, l'on pourra faire tous les apprêts. DORANTE. Monsieur, si l'on m'en croit, on fera peu de frais. Que servent entre nous, tant de cérémonies Ce faste, ce fracas, toutes ces compagnies, Qu'à faire dépenser fortement de l'argent. Pour moi, je ne vois rien de plus extravagant, Que de se rendre ainsi de la coutume esclaves. En est-on moins époux, pour être u peu moins braves ? Le Contrat serait-il sans force et sans vertu, Si l'on n'y mangeait pas à bouche que veux-tu ? Et quand on a chez soi les choses nécessaires, À quelle fin aller chercher tant de mystères ? À part.Je feins, pour l'endormir, de donner dans son sens. LA RAPINIÈRE, l'embrassant. Je reconnais mon sang, au discours que j'entends. Allez, vous n'êtes pas le fils de votre père, C'était un dépensier : l'esprit de votre mère Vous inspire aujourd'hui ces sages sentiments, Sans doute, et j'en connais les justes mouvements. Mais votre soeur peut-être, aura d'autres pensées. DORANTE. Les femmes d'aujourd'hui sont toutes insensées En effet, et leur faste est à tel point monté, Qu'on ne peut y fournir. LA RAPINIÈRE. Oui, c'est la vérité. Car plus vous leur donnez, plus elles vous demandent, Prêtes à recevoir toujours, jamais ne rendent. DORANTE. Vous serez sur ce point pleinement satisfait, Léonore qui voit ce que vous avez fait, Et ce que vous allez encor faire pour elle, Du moins pour Béatrix, sa chère, sa fidèle, Tout son Conseil enfin, jamais ne manquera, De faire aveuglément tout ce qu'il vous plaira. LA RAPINIÈRE. Tout de bon ? Croyez-vous que ce petit service, Me puisse dans son coeur rendre un si bon office ? DORANTE. Sans doute, et cette fille, à ce que chacun dit, S'est acquis, auprès d'elle un tout puissant crédit. LA RAPINIÈRE. S'il est ainsi, ce soir j'aurai de quoi lui plaire. Dorante sans tarder, achevons cette affaire, Allez, devancez-les, et les faites hâter : Cependant, je vais faire ici tout apprêter. SCÈNE IV. La Rapinière, Jasmin. LA RAPINIÈRE. Çà, Monsieur du Jasmin, héros de notre fête, Dont l'amour court la poste, et dont l'hymen s'apprête, Peut-on vous dire un mot, sans vous être ennuyeux ? JASMIN. Oui-da, Monsieur, je suis tout oreilles, tout yeux. Tout mains, tout pieds, tout coeur, pour vous rendre service. Commandez, il n'est rien pour vous que je ne fisse. Pourriez-vous n'être pas satisfait de mes soins. LA RAPINIÈRE. Si fait. JASMIN. Je viens, Monsieur, de saisir certains points, Qui vous en donneront encor plus d'assurance. LA RAPINIÈRE. Des points d'Espagne ? JASMIN. Non, ce sont des points de France. Des ouvrages tout faits, savoir un grand peignoir, Avecque la cornette, un tablier, un mouchoir, Des manchettes, enfin toute la garniture D'une Dame. LA RAPINIÈRE. Voilà certes une aventure, Que je ne puis assez admirer, et je crois, Que l'amour aujourd'hui s'est déclaré pour moi. JASMIN, à part. [Note : Maltôte : Perception d'un droit qui n'est pas dû. [L]]Bon, comme si l'amour se mêlait de maltôte. LA RAPINIÈRE. Je n'avais jamais vu de recette si haute, N'y jamais tant saisir de choses en un jour. Tout rit à mes desseins, tout flatte mon amour ; Enfin, un tel bonheur me surprend, je l'avoue. JASMIN, à part. Le fat, qui ne voit pas que c'est un jeu qu'on joue. LA RAPINIÈRE. Avez-vous fait ici préparer ce qu'il faut, Pour ce soir ? JASMIN. Oui, Monsieur, le Notaire est là-haut, Du moins son Maître-clerc. LA RAPINIÈRE. Et pourquoi non lui-même ? JASMIN. Il a fort attendu ; mais le péril extrême, Où se trouve un malade en ce même moment, L'a pressé de sortir, pour faire un testament. Cependant, pour ôter tout sujet de dispute, Il a voulu dresser lui-même même la Minute Du Contrat. LA RAPINIÈRE. C'est pour vous, en êtes-vous content ? JASMIN. Oui, Monsieur. LA RAPINIÈRE. C'est assez. JASMIN. Il m'a dit en sortant, Qu'on avait qu'à signer, et qu'étant sans conteste, Son Clerc en son absence, achèverait le reste. LA RAPINIÈRE. Et la collation ? JASMIN. Tout est prêt, pain, vin, fruits, [Note : Massepain : Pâtisserie ou confiture faite d'amendes pilées avec du sucre. [F]]Confitures, liqueurs, massepains et biscuits, Enfin tout ce qu'on a saisi sur la brouette, Soit dans le baril, ou bien dedans la boîte. LA RAPINIÈRE. Quoi tout ? JASMIN. Oui tout. LA RAPINIÈRE. Parbleu, vous vous moquez de moi, Et voulez aujourd'hui me ruiner, je crois. JASMIN. Vous ruiner, Monsieur ? LA RAPINIÈRE. Sans doute. JASMIN. Dieu m'en garde. N'est-ce pas aux dépens du crieur de moutarde, Ou du moins de celui qui l'en avait chargé ?... LA RAPINIÈRE. Bon, je vous suis peut-être, encor fort obligé, D'avoir su découvrir un fourbe qui me trompe. On doit donc célébrer votre accord avec pompe ? Votre raisonnement certes me fait pitié. Allez, retranchez-en tout au moins la moitié. SCÈNE V. LA RAPINIÈRE, seul. Ces petits Messieurs-ci, qui n'aiment que la joie, Voudraient du cuir d'autrui, faire large courroie, Et dissiperaient tout d'une prodigue main, Sans songer à ne garder rien pour le lendemain. Mais voici de retour toute la Compagnie. SCÈNE VI. La Rapinière, Dorante, Léonore, Fernand, Isabelle, Béatrix. LÉONORE, à Fernand. On ne peut trop louer votre galanterie : Le tour en est plaisant, autant que singulier. FERNAND. Il est vrai ; Mais ce tour n'est pas fort cavalier, Madame, il sent un peu son suppôt de gabelle. LÉONORE. Fernand, l'invention en est d'autant plus belle. C'était le seul moyen... LA RAPINIÈRE. Venez, je vous attends, Nos deux amants seront conjoints dans peu de temps, Et j'en fais mon plaisir, pour vous rendre contente : Tout est prêt. LÉONORE. Le succès passera mon attente, Et si vous achevez, comme vous commencez, Vous m'allez obliger plus que vous ne pensez. LA RAPINIÈRE. L'on m'a dit à quel point Béatrix vous est chère. BÉATRIX. Vous me tenez tous deux lieu de père et mère. On me l'avait bien dit, que les secours divins Suivaient toujours de près les pauvres orphelins. Heureux ! Qui met en eux sa plus ferme espérance, Monsieur, ne jugez pas de moi sur l'apparence, Vous connaîtrez un jour, avec plus de clarté, Celle que vous servez avec tant de bonté. LA RAPINIÈRE. Je vous crois de famille et de haut parentage ; Mais le sort vous a fait un très méchant partage : Servir, assurément est un métier fâcheux. DORANTE, à part. Bien des gens l'ont trouvé pourtant avantageux. BÉATRIX. Quiconque a comme moi, la conscience bonne, Aimer encor mieux servir, que de voler personne. FERNAND. Nous vous allons, Monsieur, laisser ma soeur et moi, Achever votre accord en liberté. LA RAPINIÈRE. Ma foi, Vous en serez tous deux : la collation prête Vous invite là-haut d'assister à la fête. Et signant au Contrat en qualité d'amis, Vous ferez l'un et l'autre, honneur à mon Commis. Cette fête sans vous, ne serait pas entière. FERNAND. Je ne puis refuser rien à votre prière. Dorante est mon ami, je crois que c'est à lui Que je dois tout l'honneur qu'on me fait aujourd'hui ; Il sait ce qu'hier au soir je lui promis de faire. Cela suffit. ISABELLE. On croit ne faire qu'une affaire Souvent, et quelquefois on en fait deux ou trois. LA RAPINIÈRE. Il est vrai, cela m'est arrivé quelquefois. ISABELLE. Oui ? Cela pourrait bien vous arriver encore ; Et j'en prends à témoins Dorante et Léonore. Vous en pourrez savoir des nouvelles demain. LA RAPINIÈRE. Nous le verrons, Dorante, appelez du Jasmin, Et qu'il fasse ici-bas descendre le Notaire. LÉONORE, bas. Béatrix, jusqu'au bout soutiens ton caractère. BÉATRIX, bas. Allez, laissez-moi faire, il est pris comme un sot. LA RAPINIÈRE. Qu'est-ce ci, Béatrix ? Quoi, vous ne dites mot ? Vous devez toujours rire, en l'état où vous êtes. BÉATRIX. Et savons-nous, Monsieur, nous autres pauvres bêtes, Ce que nous allons faire en signant un Contrat ? Tel croit faire un bon coup, qui souvent prend un rat. Quand on y réussit, c'est grand coup d'aventure. SCÈNE VII. La Rapinière, Fernand, Léonore, Dorante, Isabelle, Jasmin, Béatrix, Le Clerc du Notaire. LE CLERC. Monsieur, désirez-vous entendre la lecture De ce présent Contrat ? LA RAPINIÈRE. Je le lirai, donnez. LE CLERC. Comment ? Est-ce Monsieur, que vous me soupçonnez ? Vous ne sauriez me faire un plus sensible outrage. LA RAPINIÈRE. Non ; Mais je ne me fie aux gens, que sur bon gage : Et j'en ferais autant à l'homme le plus saint, Quant il s'agit d'écrire et d'appliquer mon seing. Je sais trop les bons tours, qu'on fait avec la plume. LE CLERC. Ce procédé, Monsieur, offense la coutume : Et si Monsieur Féal était lui-même ici, Il serait mal content sans doute, de ceci : Et je suis assuré, qu'il en fera sa plainte. LA RAPINIÈRE. Soit, mais quand j'aurai lu, je signerai sans crainte ; Sans cela, mon ami, je ne signerai rien. LE CLERC. Tenez Monsieur, lisez. À Dorante et Fernand.Messieurs, cela va bien. DORANTE, à Fernand. Savez-vous bien pour quoi, pendant la promenade, Le Notaire est sorti ? FERNAND. C'est pour quelque malade. DORANTE. Non ; mais c'est pour avoir, dit-il, lieu d'ignorer, Qu'on ait surpris quelqu'un, et d'en pouvoir jurer, Au besoin. FERNAND. C'est bien dit. DORANTE. Ce Clerc qui sait l'affaire, La fera réussir, mieux qu'il n'aurait pu faire : Cachant votre Contrat, il montrera le leur... ISABELLE. Par avance, je ris dans le fond de mon coeur, De l'apparent succès d'une telle aventure. LE CLERC, à La Rapinière. En avez-vous, Monsieur, fait entière lecture ? Plaît-il ? LA RAPINIÈRE. Oui, je l'ai lu deux fois de bout en bout. LE CLERC. Hé bien, que vous en semble ? LA RAPINIÈRE. Il est fort à mon goût. Il est dressé selon la coutume et l'usage, Et l'un et l'autre y trouve un égal avantage. Futurs époux, signez. JASMIN. Nous savons trop, Monsieur, Ce que les serviteurs doivent à leur Seigneur, Pour commettre envers vous une faute si grande. LA RAPINIÈRE. Ah ! Signez. BÉATRIX. Mais Monsieur... LA RAPINIÈRE. Mais je vous le commande, Ouais. JASMIN. En tout autre fait, nous vous obéirons. BÉATRIX. Quand vous aurez signé, monsieur, Nous signerons. LA RAPINIÈRE, au Clerc. Dites-moi, ces respects sont-ils de la coutume ? LE CLERC. Oui Monsieur, par honneur... LA RAPINIÈRE. Donnez-moi donc la plume ; Puisque c'est l'ordre ; Le Clerc laisse exprès tomber la plume, en la présentant à la Rapinière ; et pendant que celui-ci la ramasse, l'autre met un autre Contrat en la place de celui qui était sur la table.Bon, elle est tombée à bas. Peste du maladroit. LE CLERC. Monsieur, ne bougez pas. LA RAPINIÈRE après l'avoir signé. Êtes-vous satisfaits ? JASMIN. [Note : Et de reste : adv. Plus qu'il n'est nécessaire. [FC]]Oui, Monsieur, et de reste. LA RAPINIÈRE. Allons donc, signez tous, dépêchez, preste, preste. BÉATRIX. Que j'ai sujet, Monsieur, de me louer de vous ! Fernand et Léonore s'en vont avec le Clerc, qui emporte le Contrat. LA RAPINIÈRE. Léonore vous donne aujourd'hui cet époux. BÉATRIX. Avant qu'il soit trois jours, en revanche j'espère, Qu'elle s'en pourra voir un par mon ministère. LA RAPINIÈRE. J'attends avec ardeur ce bien de vos bons soins. BÉATRIX. Souvent pour ne rien dire, on n'en pense pas moins ; Si vous saviez, Monsieur, ce qu'auprès de Madame, J'ai fait pour vous... SCÈNE VIII. La Rapinière, Dorante, Isabelle, Jasmin, Béatrix, La Roche, Une Paysanne avec un grand panier. LA ROCHE. Je viens de saisir cette femme, Avec ce grand panier plein d'oeufs frais. LA RAPINIÈRE. Maladroit Dites donc qu'ils sont vieux, sinon je perds mon droit. C'est un point qu'a réglé l'Office de Saint-Georges. LA PAYSANNE. Prend-on ainsi, Monsieur, les femmes à la gorge ? Si j'avais été seule, et sans témoins, je crois Qu'il aurait entrepris quelque chose sur moi. Quel homme ! LA RAPINIÈRE. On ne fait point ici de violence À personne. LA ROCHE. Et pourquoi faites-vous résistance ? LA PAYSANNE. On ne doit point de droits ici, pour des oeufs frais, Et de mémoire d'homme, on n'en paya jamais. LA RAPINIÈRE. On vous dit qu'ils sont vieux. LA PAYSANNE. Vieux ? Oui, d'une journée. Et j'en apporte ainsi toute l'année. LA RAPINIÈRE. Combien en avez-vous ? C'est là mon intérêt. LA PAYSANNE. Treize. LA RAPINIÈRE. Il suffit, allez, ils sont vieux par arrêt. Nous les tenons nouveaux, jusques à la douzaine ; Mais s'ils excèdent, vieux. LA PAYSANNE. Que le diable t'entraîne. À part.Sauvons-nous. DORANTE, à Fernand. Il entend moins les raisons, qu'un sourd. LA RAPINIÈRE. Mais la Roche, voyons : ce panier est bien lourd Ce double fond sans doute y cache quelque chose La fortune à mon gré, de ses trésors dispose. Ah ! C'est assurément quelque étoffe de prix. Il se trouve un enfant dans le panier.Un enfant ! Comment donc ? BÉATRIX. Le voilà bien surpris. LA RAPINIÈRE. La Roche, allez, courez, après cette vilaine. JASMIN. Monsieur, un oeuf si gros vaut plus d'une douzaine. Il doit payer les droits. LA RAPINIÈRE. C'est un tour qu'on me fait. ISABELLE. Mais Monsieur, j'aperçois ce me semble, un billet. Peut-être pourrons-nous en découvrir le père. LA RAPINIÈRE. Sans doute, çà voyons, expliquons ce mystère. Peut-être sans raison, je suis alarmé. Ah Ciel ! Dans mes soupçons je suis trop confirmé. Il lit.J'ai trouvé l'adroite manière De rendre ce qu'on m'a donné : Le père de ce nouveau-né Est Monsieur de la Rapinière. L'effrontée ! DORANTE. Il le faut nourrir. LA RAPINIÈRE. Oui ? Nous verrons Tantôt plus à loisir, ce que nous en ferons. Où donc est votre soeur ? Où donc est votre frère, Madame ? ISABELLE. Ils sont sortis avecque le Notaire, Et viennent de monter en carrosse tous trois. LA RAPINIÈRE. En carrosse ? Ma nièce ? Ah Ciel ! Quoi donc les droits, Que sur elle, en mourant m'avait laissés sa mère, Seront impunément violés ? DORANTE. Ce Mystère Se peut facilement expliquer entre nous. LA RAPINIÈRE. Hé, comment ? DORANTE. Léonore est avec son époux. LA RAPINIÈRE. Son époux ? Et qui donc ? DORANTE. Fernand. LA RAPINIÈRE. Ciel ! Quel supplice ! Ah perfide neveu, vous en êtes complice : Et vous m'avez exprès, leurré d'un vain espoir, Afin de m'éblouir et mieux me décevoir. Quoi ? La religion d'une prudente mère... Qui fait un testament... la volonté dernière... Qui doit être sacrée... Ah Ciel !... Un scélérat... DORANTE. Mais vous avez signé vous-même leur Contrat. LA RAPINIÈRE. Leur Contrat ? DORANTE. Oui Monsieur. LA RAPINIÈRE. Hé ! Quand donc ? DORANTE. Tout à l'heure. LA RAPINIÈRE. Oui, d'entre du Jasmin et Béatrix. DORANTE. Je meure. Si vous n'avez signé celui d'entre Fernand Et Léonore. LA RAPINIÈRE. Oh Dieu ! Je connais maintenant, Que je suis pris pour dupe. Ah ! Malheureux faussaire ! Fourbe, traître, assassin, sacrilège Notaire ! Tu m'as joué sans doute, un tour de ton métier. Mais ma foi, je te vais poursuivre sans quartier, Et tu seras pendu, comme tu le mérites. DORANTE. Monsieur, pensez-vous bien à tout ce que vous dites ? C'est moi qu'il faut punir, si l'on punit quelqu'un. LA RAPINIÈRE. Parbleu, je prétends bien n'en excepter pas un : Je vous ferai tous sept pendre devant ma porte. ISABELLE, en riant. Votre dépit Monsieur, un peu loin vous emporte. LA RAPINIÈRE. Quoi donc ? Impunément, je verrai dans un jour... Enlever ma Maîtresse... insulter mon amour... ! M'apporter un enfant,... qu'il faut que je nourrisse... Non, non, je vais porter ma plainte à la justice. Je ne suis pas d'humeur à passer pour un sot, Et je ferai punir les Auteurs du Complot. Ou bien, si sur ce point la justice me manque, Je vais mettre demain, tour mon bien à la Banque, Et dussiez-vous tous deux cent fois en enrager, Me faire un héritier, qui puisse me venger. DORANTE. Faites, je vous crains peu ; je vous mets à pis faire. SCÈNE IX. Dorante, Isabelle, Jasmin, Béatrix. ISABELLE. Dorante, allons trouver votre soeur et mon frère. DORANTE. Allons, Madame. JASMIN. Allons, ma chère Béatrix, Tu dois de mes travaux être le digne prix. C'est un gain assez grand, pour un petit contrôle. BÉATRIX. Allons, les gens de bien doivent tenir parole. ==================================================