******************************************************** DC.Title = LAODAMIE, REINE D'ÉPIRE, TRAGÉDIE. DC.Author = BERNARD, Catherine DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/03/2021 à 08:32:17. DC.Coverage = Albanie DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/BERNARD_LAODAMIE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LAODAMIE, REINE D'ÉPIRE. TRAGÉDIE. 1688. Avec approbation et Privilège du Roi. Par Mademoiselle BERNARD. ACTEURS. LAODAMIE, Reine d'Epire. NÉRÉE, sa soeur. GELON, Prince de Sicile. SOSTRATE, Prince d'Epire. PHENIX, Ministre d'Etat. MILON, Confident de Sostrate. ARGIRE, Confidente de la Reine. PHÈDRE, Confidente de la Princesse. La scène est à Buthrote, Capitale d'Épire. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. La Reine, La Princesse, Argire. LA REINE. Allez, ma soeur, allez, laissez-moi ma tristesse,En vain à l'adoucir votre amitié s'empresse.À de si tendres soins je sais ce que je dois ;Mais il n'est que des pleurs et des malheurs pour moi. LA PRINCESSE. Madame, vous voyez le bonheur de vos armes, La victoire pour vous peut-elle être sans charmes ?Celle que maintenant on vient de remporterNe peut-elle du moins un moment vous flatter ?Ces chants qui dans ce jour font retentir l'Épire,Condamnent les chagrins dont votre âme soupire. Qui pourrait plus que vous voir ses voeux satisfaits ? LA REINE. Il est vrai : mais le sort par ses tristes bienfaitsHâte l'instant fatal au reste de ma vie ,Où sous de dures lois je dois être asservie.Attale qui revient en superbe vainqueur, Va presser un hymen où s'oppose mon coeur ;J'y souscris cependant, et mon sceptre demande Que le bras d'un époux l'appuie et le défende, .Les fiers AEtoliens à ma perte animés,Tiennent depuis longtemps tous nos peuples armés ; Il fait leur opposer une puissance égale :Mon père m'ordonna le triste hymen d'Attale.Prince de Péonie, allié des Romains,Il crut qu'il maintiendrait le sceptre dans mes mains : Et si je n'obéis, moi-même je m'attire Des ennemis nouveaux qui menacent l'Épire.Je m'immole, et mon coeur peut-il ne sentir pasSes malheurs attachés au bien de mes États ? LA PRINCESSE. Si l'ordre souverain du feu Roi notre père,Si des raisons d'État, la contrainte sévère, Ne vous permettent pas de prendre un autre époux,Madame, ce devoir va devenir plus doux.Maintenant que ce Prince est couvert de la gloireQue sur l'AEtolien lui donne la victoire,Daignez envisager que de si grands exploits Auraient pu mériter l'honneur de votre choix. LA REINE. Hé bien ! S'il a rendu son nom si redoutable,Je le verrai plus fier, et non pas plus aimable,Me demander ma main avec plus de hauteur,Sans avoir mieux trouvé le chemin de mon coeur. Cette férocité qui règne en son courage,Son génie inquiet et toujours plein d'ombrage,Révoltent contre lui ce coeur infortuné,Qu'à vivre sous ses lois le Ciel a condamné.Et n'avez-vous pas vu quel penchant le domine ? Le Prince de Sicile à qui je vous destine,Déjà par mille exploits redoutable et fameux,Prêtait trop de secours à nos destins heureux.Attale, que blessait sa haute renommée,N'a pu voir plus longtemps ce rival dans l'armée ; Et pour lui dérober des triomphes certains,Il nous l'a renvoyé sous des prétextes vains.Quel indigne motif quelle extrême injustice !Et qu'avec lui l'hymen doit m'être un dur supplice ! LA PRINCESSE. Madame, que je sens ce que vous endurez ! Que je plains vos malheurs ! LA REINE. Ah ! Vous les ignorez.Votre coeur jusqu'ici n'a que l'expérienceD'un amour mutuel heureux dès sa naissance,Que rien n'a traversé, qui ne peut à vos voeuxOffrir qu'un avenir encore plus heureux. D'un bonheur si charmant remplie et possédée,Comment de mes malheurs prendriez-vous l'idée ? LA PRINCESSE. Un des plus forts liens qui m'attachent à vous,C'est ce même bonheur si tranquille et si doux.Je tiens de vous, Madame, il m'en souvient sans cesse, Le Prince de Sicile et toute sa tendresse.Gelon encor guerrier et sans attachement,Est par votre heureux choix devenu mon amant.Vos ordres de son coeur m'envoyèrent l'hommage ; L'amour bientôt, l'amour acheva votre ouvrage, Il serra ces doux noeuds commencés par vos soins.Mais, Madame, mon coeur ne vous en doit pas moins ;Et ma tendre amitié pour vous se fortifie,Plus cet amour répand de charmes sur ma vie. LA REINE. Goutez, ma soeur, goûtez ces charmes innocents, Et n'éprouvez jamais les ennuis que je sens;Un si triste entretien vous contraint et vous gêne ;Laissez-moi me livrer au chagrin qui m'entraîne :Cette mélancolie a trop peu de rapportAux charmantes douceurs qui comblent votre sort. Allez, délivrez-vous... LA PRINCESSE. Madame, quelle injure... LA REINE. Non, de votre amitié, ma soeur, je suis trop sûre ; Mais je sens malgré moi redoubler mes ennuis,Il faut de la retraite en l'état où je suis. SCÈNE II. La Reine, Argire. ARGIRE. Quoi ! D'une soeur aimée avec tant de tendresse, Madame, en ce moment la présence vous blesse ? LA REINE. Te l'avouerai-je, hélas ! Mais que puis-je cacher,Quand je vois mes malheurs de leur comble approcher ?Apprends donc à quels maux je vais être livrée,Tu sais quelle amitié m'unit avec Nérée ; Mais, Dieux ! Bientôt Gelon épouse cette soeur,Et Gelon en secret est maître de mon coeur,Par le dernier traité d'Alexandre mon père,Le triste hymen d'Attale est pour moi nécessaire,Il faut exécuter ses ordres absolus, Mille raisons d'État m'en pressent encor plus.Ma couronne est tremblante, et mon peuple est rebelle.Déjà trop fatigué d'une guerre cruelle,Si j'attire sur lui de nouveaux ennemis,Des rebelles sujets se croiront tout permis. Par l'interêt d'un trône où je suis enchaînéeIl faut que je subisse un cruel hyménée ;Mais mon coeur se révolte, et sans cesse combat,Et les ordres d'un père, et la raison d'État.Hélas, Argire, hélas, que nous serions heureuses S'il fallait que toujours ces flammes dangereuses,Pour naître dans nos coeurs, attendissent du moins D'un amant empressé les ardeurs et les soins !Mais qouvent un penchant qui domine en notre âme,Prévient ce qui devrait allumer notre flamme, S'entretient de soi-même, et nous engage plusQue les plus tendres soins qu'on nous aurait rendus,Tel est l'amour forcé qui vers Gelon m'entraîne :Rien ne flatta jamais cette secrète peine ;Je le voyais pourtant n'engager point sa foi, Ses hommages encor pouvaient tourner vers moi.Mon âme, malgré moi, d'une manière avide Saisissait un espoir si faux, si peu solide ;Et d'une vaine erreur le charme éblouissantFormait à mes devoirs un obstacle puissant. Pour m'ôter cette erreur trop chère à ma foi blesse,Je pris soin d'engager Gelon à la Princesse.Combien m'en coûta-t-il ! À quels combats livré, |Combien mon triste coeur se vit-il déchiré !Quels efforts ! Je croyais à moi-même sévère, Que l'on guérit l'amour quand on le désespère,Mes soins pour l'engager eurent trop de succès,Ma rivale en jouit. Hélas à quel excèsEst allé cet amour qui me doit sa naissance !Il n'en fallait pas tant pour m'ôter l'espérance, Inutile secours pour ma faible raison,Je croyais de leurs feux tirer ma guérison,Et de chagrins jaloux je me trouve saisie !Quel remède à l'amour ! Ciel ! Que la jalousie.... ARGIRE. Peut-être viendra-t-il enfin à vous guérir ; Quand l'amour de Gelon aura su vous aigrir.Mais, Madame, c'est lui que vous voyez paraître. SCÈNE III. Gelon, La Reine, Argire. GELON. Vous savez quel amour vos ordres ont fait naître,Madame ; et ces beaux feux par vous autorisés,Dans leur empressement pourrant être excusés Mes voeux à la Princesse ont su ne pas déplaire,Faut-il que sans obstacle un hymen se diffère ?Faut-il que mon bonheur ?... LA REINE. Il n'est pas incertain,Prince, Attale revient, et je lui dois ma mainJ'ai dessein qu'en ces lieux une même journée Brille avec plus d'éclat par un double hyménée ;Et pour le peu de temps qu'il faudra différer,Sans doute votre amour n'en doit pas murmurer, GELON. Madame, souffrez donc qu'ici je vous exposeDe mes empressements une secrète cause. S'il faut du Prince Attale attendre le retour,Je crains de le trouver contraire à mon amour !Il va s'asseoir au trône où le Ciel vous fit naitre ;Et parles sentiments qu'il m'a trop fait paraître,Je ne me flatte pas que prêt à se voir Roi, Sa plus tendre amitié doive tomber sur moi.Aux voeux que j'ai formés s'il entreprend de nuire,Par combien de détours pourra-t-il se conduire !Que de moyens secrets saura-t-il pratiquer !Ah, Ciel ! Si mon bonheur venait à me manquer, Quel repentir suivrait la faute inexcusable,D'avoir si mal usé d'un temps si favorable. LA REINE. Prince, vous comptez donc qu'Attale revenu,Je cesse de jouir du rang que j'ai tenu,Qu'il ne me reste plus ni crédit ni puissance ? GELON. Madame, d'un amant souffrez la défiance,Il s'alarme sans peine ; et plus un bien est doux,Plus il nous semble prêt à s'échapper de nous.Entrez dans ma faiblesse, approuvez-la de grâce ; Mon amour croit toujours qu'Attale le menace ; Mais n'eussai-je pas lieu de craindre son retour,Deux ou trois jours plutôt n'est-ce rien pour l'amour ?Que n'en connaissez-vous la force souveraine,Que n'avez-vous senti le charme qui m'entraîne.Mais du moins un amour qui déjà vous doit tant, A quelque droit d'attendre... LA REINE. Hé bien, soyez content.Prince, à demain l'hymen ou votre coeur aspire. GELON. Ah, quel remerciement pourrait jamais suffire ! LA REINE. Il n'en est pas besoin ; allez avec ma soeur,Prince, de vos destins partager la douceur. SCÈNE IV. La Reine, Argire. LA REINE. Ah ! Qu'il l'épouse, Argire, et qu'un prompt hyménée Éteigne pour jamais ma flamme infortunée :Qu'il l'épouse. Pourquoi voulais-je différerCe qu'avec tant de soin j'avais su préparer,Ce qui seul peut briser des liens trop funestes ? ARGIRE. Oui, de l'Amour par là vous éteindrez les restes ;Madame, vous avez trop longtemps combattu,Pour ne pas faire enfin triompher la vertu. LA REINE. Elle triomphera, j'ai trop été blessée,Quand il m'a laissé voir une ardeur insensée ; Un fol empressement, un soupçon mal fondé.Je l'abandonne aux feux dont il est possédé,L'ingrat n'a point connu que son impatienceParaissait à mon coeur une mortelle offense ;Il n'a pas seulement pris soins de démêler Les secrets sentiments qui me faisaient parler. ARGIRE. Quoi ! Le voudriez-vous ? Votre âme trop épriseA la Princesse, à lui sans cesse se déguise ? LA REINE. Il est vrai, ni mes yeux, ni ma bouche, jamais De cet amour forcé ne découvrent les traits. Je sais bien m'imposer les plus dures contraintes ;Je voudrais cependant qu'au travers de mes feintes,Ce secret pénétré de qui ne peut m'aimer,M'en fit plaindre tout bas et peut-être estimer.Mais d'un pareil espoir l'erreur serait extrême, Il est trop occupé pour deviner qu'on l'aime ;Subissons s'il se peut d'un coeur plus assuré.L'hymen, le triste hymen qui nous est préparé,Et ne prétendons point que l'on nous tienne compteDu vertueux effort d'un feu qui se surmonte. Ciel ! Je frémis encor du destin qui m'attend,Attale vient, Attale approche à chaque instant,Mais que nous veut Sostrate ? Est-il temps qu'il m'accableD'un inutile amour qui le rend haïssable ? SCÈNE V. La Reine, Sostrate, Argire, Milon. SOSTRATE. Une triste nouvelle arrive dans ces lieux ? Madame, Attale est mort. LA REINE. Attale est mort ! Ah Dieux !Et sur quel fondement la nouvelle semée... ? SOSTRATE. Un des siens maintenant arrive de l'armée,Attale vous venait apporter ses lauriers,Et pressé de vous voir, devançait ses guerriers. Près de la Péonie une troupe cruelleA porté sur ce Prince une main criminelle ;Attale a succombé, Madame, sous leurs coups,Le Ciel en le souffrant nous marque son courroux ;Tout l'État aujourd'hui sentira votre peine. LA REINE. Attale aurait péri ! Sa mort serait certaine ?Quel changement soudain pour l'État et pour moi !Allons éclaircir mieux l'avis que je reçois. SCÈNE VI. Sostrate, Milon. SOSTRATE. C'en est fait, cher Milon, je me suis fait justice,J'ai su mener ce coup avec tant d'artifice, Qu'à jamais du soupçon je me mets à couvert,Et du Trône à la fin le chemin m'est ouvert.Tout ce qu'a pour objet le feu qui me dévore,Le Trône où je prétends, la Reine que j'adore,Attale trop heureux venait me le ravir, Et je n'aurais osé moi-même me servir !Non. Exempt du soupçon je jouirai d'un crimeQue la gloire et l'amour rendent trop légitime.Profitons-en du moins, cher Milon, hâtons nous. MILON. N'en doutez point, Seigneur, la Couronne est à vous, Le sang qui de si près vous unit à la Reine,Promet à vos désirs la grandeur souveraine. SOSTRATE. La Reine m'a toujours marqué de la froideur,Quoiqu'elle eût pour Attale une assez faible ardeur. MILON. Pouvait-elle à vos voeux être plus favorable ? Attale était pour elle un choix indispensable.Elle évitait vos soins trop remplis de danger,Pour un coeur asservi qui n'osait s'engager. SOSTRATE. De ma crainte secrète il faut que je t'instruise :Je crains qu'un autre amour dans son coeur ne me nuise. MILON. Un autre amour : Seigneur, jamais de cette CourLes yeux les plus perçants ne virent cet amour. SOSTRATE. J'ai les yeux plus perçants que cette Cour entière :L'amour, l'ambition me prêtent leur lumière,Non que je fois certain de ce que j'aperçois, Je ne le sais pas tant, Milon, que je le crois :Je le sens, et toujours une secrète haineMarque à mon coeur l'objet préféré par la Reine.Il me semble en un mot que Gelon est aimé ? MILON. Hé de quoi votre esprit peut-il être alarmé ? Gelon à la Princesse offre tous ses hommages,La Reine le permet ; de si clairs témoignage... SOSTRATE. La Reine à cet amour n'a point dû s'opposerTant qu'Attale vivant fut prêt à l'épouser ;Elle a sous une longue et dure retenue Renfermé dans son âme une ardeur inconnue.Milon, que savons-nous si cette même mortQue j'apprends en ce jour avec tant de transport,N'a point encor pour elle un plus sensible charme ?A-t-elle répandu seulement une larme ? Fait entendre un soupir ? Peut-être en ce momentSes yeux ont vu le Trône ouvert pour son amant.Ah ! D'un pareil espoir s'il faut qu'elle se flatte,S'il faut qu'un autre amour me dérobe l'ingrate,Mon bras à tous les deux fera plutôt fatal ; Je n'en ai pas tant fait pour servir un rival.Oui, plutôt immolés à ma juste colère,Ils verront ce que c'est qu'un coeur qu'on désespère.Je n'épargnerai rien : j'ai du coeur, des amis,Des desseins de régner dès longtemps affermis, De vrais droits sur l'Épire ; et si je n'en suis maître,J'empêcherai qu'un autre au moins ne le puisse être. MILON. Ne craignez rien, Seigneur : fiez-vous à vos droits ;Ce Prince comme vous descend t'il de nos Rois ?Tandis que son aîné règne dans la Sicile, Banni de son pays l'Épire est son asile,Sans appui, sans soutien, étranger dans ces lieux. SOSTRATE. Je sais que j'ai pour moi mon rang et mes aïeux ;On ne peut me ravir le Trône avec justice,Mais je crains de Phenix l'audace et l'artifice. Il me hait ; et craignant de se voir mon sujet,Il pourrait de Gelon appuyer le projet.À ce Rival d'ailleurs attaché sans réserve,Pour son propre intérêt il faudra qu'il le serve.Il verrait sous ce règne augmenter son pouvoir. Prévenons ses efforts puisqu'on les peut prévoir.Ce Ministre insolent estimé de la Reine,Va servir son amour et va braver ma haine.Agissons, cher Milon, ne nous reposons pas,Et le Trône et la Reine ont pour nous trop d'appas. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. La Princesse, Phèdre. LA PRINCESSE. La mort d'Attale enfin n'est que trop assurée,D'un rigoureux hymen la Reine est délivrée,Gelon unit demain son sort avec le mien,Mon bonheur est parfait, il n'y manque plus rien.Les chagrins de ma soeur y mettaient un obstacle, Mais pour l'en délivrer le Ciel fait un miracle :Quoiqu'au destin d'Attale on doive de pitié,La mienne dans mon coeur cède à mon amitié.Que la Reine a souffert ! Qu'elle a versé de larmes !Ses pleurs de mon amour troublaient les plus doux charmes. J'ai souhaité cent fois dans le fond de mon coeurSouffrir plutôt ses maux, et qu'elle eût mon bonheur.Conçois-tu l'horreur d'être à l'objet de sa haine ?Et peut-être elle aimait pour comble de sa peine.Elle a trop murmuré contre un fâcheux lien, Et l'on ne hait pas tant lorsque l'on n'aime rien. PHÈDRE. Qui pourrait-elle aimer ? Sostrate qui l'adoreNous fait voir tous les jours l'ennui qui le dévore.Un Amant que l'on aime est-il si malheureux ?Non, lorsqu'on le contraint de captiver ses voeux, Un autre caractère au moins est dans ses plaintes. LA PRINCESSE. L'honneur du diadème a d'étranges contraintesLa Reine a pu cacher le secret de son coeurSous les dehors cruels d'une fière rigueur ;Et l'on rend malheureux quelquefois ce qu'on aime, Pour mieux dissimuler ce qu'on souffre soi-même.Mais Cineas, Iphis, à la suivre attachés,De ses appas encor nous paraissent touchés ;Par toute leur conduite ils le font trop comprendre ;Et quoique par leur rang ils doivent peu prétendre, Leurs vertus peuvent plaire avec un grand amour.Nous saurons ce secret peut-être dans ce jour ;La Reine en liberté de rompre le silence,À ma tendre amitié doit cette confiance.Peut-elle me cacher ?... Mais elle vient à nous. SCÈNE II. La Reine, La Princesse, Phèdre. LA PRINCESSE. Lorsque tout votre État tourne les yeux sur vous,Que sachant vos chagrins, curieux, il s'appliqueÀ voir si c'est amour ou si c'est politique ;Permettrez-vous ici, Madame, qu'une soeurCherche vos sentiments au fond de votre coeur. Vous n'aimiez pas Attale, et sa mort vous délivreD'un devoir que vos voeux trouvaient cruel à suivre.Vous vous en expliquiez quelquefois avec moi. LA REINE. Les chagrins qu'une mort toujours traîne après soi ,Le changement soudain que fait celle d'Attale, Sa perte qui peut être à mes États fatale,M'empêche de sentir mon coeur en liberté ;Ce coeur est moins esclave, et non moins agité. LA PRINCESSE. Mais vous êtes du moins exempte de la crainteDe subir par l'hymen une dure contrainte. Depuis qu'Attale est mort votre coeur est à vous ;Et s'il pouvait avoir des sentiments trop doux,Il doit enfin céder au penchant qui l'entraine.Qui vous arrêterait ? Vous êtes libre et Reine.Peut-être que vos voeux sont tous pour la grandeur, Mais si vous n'aimez pas, il vous manque un bonheur. LA REINE. Que n'est-il vrai, ma soeur, que je fois insensible.Que le trône à l'amour n'est-il inaccessible.Puisque si rarement il y peut être heureux. LA PRINCESSE. Il n'est plus de devoir qui contraigne vos voeux. Qu'il m'est doux de penser que votre coeur soupire !J'aime, et permettez-moi, Madame, de le direCette conformité d'ardeurs, de sentimentsFait une liaison entre tous les amants.Aimez : l'Amour vous doit tout ce qu'il a de charmes, Pour vous récompenser d'avoir versé des larmes,Couronnez aujourd'hui votre aimable vainqueur ;Quel plaisir de donner un sceptre avec son coeur ! LA REINE. Il n'est pas temps encor de me trouver heureuse,De ma félicité l'apparence est trompeuse : Ma gloire et mon amour ont peine à s'accorder. LA PRINCESSE. Votre gloire et comment se le persuader ? LA REINE. Oui, ma gloire tremblante à ces combats me livre :En la place où je suis ai-je un coeur pour le suivre ? LA PRINCESSE. Sostrate, je le vois, n'a pu se faire aimer ; Peut-être un plus heureux aura su vous charmer ;Et dans un moindre rang des vertus plus sublimesRendent pour cet amant vos soupirs légitimes, Madame, cependant vos voeux sont combattusVous craignez que son rang n'efface ses vertus ; Mais quel scrupule vain tient votre âme gênée ?Pour vous tyranniser êtes-vous couronnée ?Votre amant sur le trône y fera respecté ;Puisqu'il a su vous plaire, il l'a trop mérité. LA REINE. Je vous en ai trop dit, mon coeur n'a pu se taire, Mais vous ne saurez point l'objet qui m'a su plaire.Laissons, ma soeur, laissons ce discours dangereux,Dans l'état où je suis ne flattez point mes voeux.Mais j'aperçois Sostrate, il faut que je l'évite. SCÈNE III. La Princesse, Sostrate. SOSTRATE. Je vois que pour me fuir, Madame, l'on vous quitte ; Quand on est malheureux que l'on est importun !Mais ne craignez-vous rien ? LA PRINCESSE. Quel sort nous est commun ? SOSTRATE. Je vous donne un avis fâcheux, mais nécessaire ;Madame, il n'est plus temps avec vous de se taire.La Reine dès longtemps m'inspira de l'amour ; Quoique mon désespoir ait pu le mettre au jour, Ma jalousie encor vous était inconnue ;Il faut vous faire part du poison qui me tue,Peut-être ferez-vous à plaindre autant que moi. Le Prince Attale est mort, Madame, il faut un Roi. LA PRINCESSE. Seigneur, à ce discours je ne puis rien comprendre. SOSTRATE. La Reine obéissant aux ordres d'Alexandre,Reçevait un époux qui n'avait pas son coeur.Sa mort ne devrait point lui causer de douleur ;Aussi par moi d'abord la nouvelle portée, Avec peu de chagrin parut être écoutée.Mais depuis, son esprit triste, inquiet, confus,Nous marque des desseins formés et combattus ;Elle a droit à son gré de donner sa Couronne,Mais à ce qui paraît sa liberté l'étonne, Son coeur à s'en servir trouve quelqu'embarras. LA PRINCESSE. Hé bien, Seigneur ? SOSTRATE. Peut-on ne le soupçonner pas,Si Gelon en secret de son coeur était maître ? LA PRINCESSE. Elle aimerait Gelon ! Ah cela ne peut-être,Je le tiens de sa main, elle me l'a donné ; C'est par son ordre exprès que notre amour est né. SOSTRATE. Il n'en est pas moins sûr, Madame, qu'elle l'aime,Et vous cherchez en vain à vous tromper vous même. LA PRINCESSE. Qui vous l'a donc appris ? SOSTRATE. Croyez-en mes fureurs ;Un amant malheureux connaît tous ses malheurs. J'ai surpris mille fois cette amante attentiveAux charmes du Vainqueur qui la tenait captive ;J'ai vu malgré ses soins ses yeux se déclarer,Sa bouche l'applaudir, et son coeur soupirer. LA PRINCESSE. Hé d'où vient donc, Seigneur, que par vous découverte Cette flamme à mes yeux ne s'est jamais offerte ? SOSTRATE. Ah, vous étiez aimée, et votre amant et vous N'étiez jamais remplis que d'un bonheur si doux ;Vous ne connaissiez point d'autres feux que les vôtres,Votre amour mutuel vous cachait tous les autres ; Contente de son coeur, vous n'alliez point chercherSi quelqu'un en secret voulait vous l'arracher.Il faut des yeux jaloux pour voir une rivale.Moi qui suis éclairé d'une flamme fatale,Moi qui poursuis un coeur et ne puis l'acquerir, J'en ai cherché la cause et l'ai su découvrir. LA PRINCESSE. Vous devez l'avoüer, cette marque est douteuse. SOSTRATE. Ah ! Vous en croyez trop une amitié trompeuse.Vos intérêts ici, Madame, sont les miens ;Arrêtez un captif qui rompra vos liens. La Couronne est un bien qui fait un infidèle.La Reine va l'offrir, courez au devant d'elle,Je n'épargnerai rien pour servir votre amour ;Mais prenez quelques soins, Madame, à votre tour. SCÈNE IV. La Princesse, Phèdre. LA PRINCESSE. Que croirai-je ? La Reine à mes yeux s'est émue : Je n'en ai point tremblé, j'étais trop prévenue.Hélas ! Il est aimé, Phèdre, tout me le dit :Le secret qu'elle cache, et son air interdit,Les malheurs de Sostrate, et sa jalouse rage,Les charmes de Gelon, en faut-il davantage ? Va, cours dis-lui qu'il vienne ; apprends lui mes douleurs. SCÈNE V. LA PRINCESSE, seule. Ciel ! M'as-tu réservée à de si grands malheurs ?Ma soeur me trahit-elle ? Une soeur tant aiméeBrûle t'elle des feux dont je suis enflammée ?Après tout, ai-je lieu de craindre ce danger ? Si la Reine l'aimait, pourquoi me l'engager ?Cette raison par moi fut toujours écoutée,D'où vient que de mon coeur elle n'est plus goûtée ?La crainte, les soupçons qui m'étaient inconnus,Dans mon tranquille coeur en foule sont venus ; Quels mouvements cruels, quels transports m'ont saisie !Est-ce toi que je sens, funeste jalousie ?Vas-tu dans nos esprits répandre tes fureurs ?Vas-tu donc arracher l'amitié de nos coeurs ?Mais pourquoi me livrer fans réserve à ma peine ? Sur l'avis d'un jaloux n'accusons point la Reine ;Ces odieux soupçons sont trop tôt écoutés,Attendons pour le moins de nouvelles clartés. SCÈNE VI. La Princesse, Phèdre. PHÈDRE. Je n'ai pu voir Gelon, il était chez la Reine ;Votre hymen est remis, et c'est ce qui l'y mène. Seule en son cabinet, la Reine l'a mandé. LA PRINCESSE. Il est avec ma soeur ! L'hymen est retardé !On ne m'en parle point ! Ah, disgrâce trop sûre !Tout est perdu, j'entends le malheureux augure,Je vois, Phèdre, je vois que notre hymen remis, Hélas ! Dans peu de jours ne fera plus permis. PHÈDRE. La Reine est généreuse, et vous aime, Madame ;Et quand elle verra le trouble de votre âme,Eût-elle de l'amour, la gloire et la pitiéLa forceront encore à suivre l'amitié. Si Gelon est constant, que peut-elle entreprendre ?Elle aura des égards pour un amour si tendre :Espérez de goûter bientôt un plein repos ;La constance est toujours la vertu des héros. LA PRINCESSE. Ah ! Phèdre, les héros n'écoutent que la gloire, Et l'amour n'est pour eux qu'un sujet de victoire.Il me sacrifiera peut-être sans ennui,Hélas ! Et j'eusse tout sacrifié pour lui.On lui va donc offrir un trône et tous ses charmes,Quand je ne puis donner que mes voeux et mes larmes : Quelle inégalité ! Ciel injuste ! Et pourquoi,Puisque j'aime un héros, n'en puis-je faire un Roi ? PHÈDRE. Mais... LA PRINCESSE. Ne t'oppose point à ma douleur mortelle :Hé pourrais-je penser qu'il me serait fidèle ?Quand il serait constant, il sera malheureux, La Reine vengera le mépris de ses feux ;Une amante outragée, une amante qui règne.Voilà tous les malheurs qu'il faut donc que je craigne,Chère Phèdre ; et tu vois que le moindre est celuiDe le trouver fidèle, et n'être point à lui. Je ne puis sans le voir demeurer davantage ;Entendons-le du moins, et sachons s'il s'en gage :Allons, il faut fixer nos mortelles douleurs ;Apprenons pour quels maux doivent couler nos pleurs. SCÈNE VII. La Princesse, Phèdre, Phenix. LA PRINCESSE. Arrêtez-vous, Phenix : quel sujet vous amène ? Vous qui fûtes toujours les desseins de la Reine,Pourquoi de mon hymen a-t-on remis le jour ? PHENIX. La triste mort d'Attale affligeant cette Cour,Pour causer ce délai, Madame, a pu suffire ;C'en est une raison que je venais vous dire. Il en est une encor dont je n'ose parler ;Mais, Madame, après tout, pourquoi vous le celer ? LA PRINCESSE. Parlez, à tous les maux mon âme se prépare. PHENIX. Pour Gelon dès ce jour le Peuple se déclare ;Peut-être de son sort ce sont là les apprêts ; C'est ainsi que le Ciel prononce ses arrêts. LA PRINCESSE. Mais n'est-ce point plutôt qu'une brigue secrèteProduit en sa faveur cette ardeur indiscrète ?Car on pourrait douter, quoiqu'il ait mérité,Que sans un chef ce zèle eût sitôt éclaté. PHENIX. Jamais, vous le savez, mon coeur ne se déguise ;J'avouerai cependant que sans mon entremise.Le Peuple pour Gelon a pris cette chaleur :Tout ressent en ces lieux les fruits de sa valeur.J'ai vu dans tous les coeurs le zèle qui m'anime ; Mais je l'ai fait parler, et je l'ai pu sans crime.S'il faut à ses vertus encor quelque secours,Qui de ses grands destins favorise le cours,J'y porterai l'ardeur que de soi-même inspire ;L'intérêt d'un héros si digne de l'Empire. Imitez-moi, Madame, et faites-le régner;Mais ce n'est pas à moi d'oser vous l'enseigner ;Vous-même... LA PRINCESSE. Vous a-t-il chargé de ce message ?Dieux ! Gelon veut régner, j'entends trop ce langage. PHENIX. Il aime la grandeur quoiqu'il soit amoureux, Et le bien de l'État doit balancer ses voeux.À monter sur le Trône un grand peuple l'invite.Voyez l'effet soudain que produit son mérite,Madame, et ce qu'encore aujourd'hui j'entrevois ;Et vous-même jugez s'il peut n'être pas Roi. LA PRINCESSE. Ah, Ciel ! SCÈNE VIII. PHENIX, seul. Ta fermeté, Phenix, t'est nécessaire,C'est ta haine aujourd'hui que tu dois satisfaire.Sostrate veut régner, il faut le prévenir ;Si tu manques ce coup, il saura t'en punir.Je servirai la Reine ! Une allégresse extrême, Quand j'ai nommé Gelon, m'a fait voir qu'elle l'aime.Je la mets en état d'oser suivre son coeur :Malgré tous les égards qu'elle aurait pour sa soeur,Agissons ; un moment est quelquefois utile.couronnons aujourd'hui le Prince de Sicile, Il me devra le Trône, et j'en serai l'appui ;Pour lui je vais tout faire, et j'attends tout de lui. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. La Reine, Argire. LA REINE. Je suis en liberté, je puis t'ouvrir mon âme,Argire, tout concourt au succès de ma flamme :Je vois en sa faveur mille voeux se former, On me marque l'objet que mon coeur doit aimer ; Mais quoiqu'à mon bonheur tout mon peuple conspire,Il ne peut me donner le coeur que je désire :J'ai vu tantôt Gelon, et l'ai fait appeler,Mais, Argire, jamais je n'ai pu lui parler ; De son hymen remis la subite nouvelleLui mettait dans les yeux une douleur mortelle ;Il ignorait encor qu'on le voulait pour Roi :J'ai voulu le lui dire, et l'ai tu malgré moi.Trop timide j'ai craint en le faisant entendre, De marquer l'interêt que l'amour m'y fait prendre. ARGIRE. Parlez, Madame ; un Trône a des charmes trop doux,Et vous verrez bientôt Gelon à vos genoux.Sacrifierait-il tout pour un amour frivole :Du Trône ou de l'amour, c'est l'amour qu'on immole ; Il vaut mieux être Roi qu'être parfait amant. LA REINE. Quoi donc ! Il m'aimerait pour régner seulement ?Ah ! Si sa passion pour moi n'est pas sincère,Je saurai démêler un si faux caractère ;Non, si le Trône seul est l'objet de ses voeux, Qu'il ne s'attende point d'être jamais heureuxQue dis-je ? En suis-je donc à ces délicatesses ?Ce coeur qui de l'amour sent toutes les faiblesses,Pourrait de cet amant refuser les soupirs,Parce qu'une couronne aiderait les désirs? Et ne serais-je pas encore trop heureuseDe souffrir de ses voeux l'apparence trompeuse ?Je crains qu'à quelque prix que l'ingrat pût m'aimer,Mon amour de ses soins ne se laissât charmer. ARGIRE. Pourra-t-il résister à tant d'amour, Madame ? LA REINE. Hélas, que ne laissais-je au moins agir son âme !Si je n'eusse formé moi-même son lien,Peut-être il m'eût aimée, ou n'aurait aimé rien,Pour m'obéir peut-être il aima la Princesse.Qu'il me rende ce coeur dont je fus trop maîtresse. Mais quoi ! Veux-je en effet l'arracher à ma soeur,Une soeur qui sur moi fonde tout son bonheur ?D'enlever son amant j'aurais la barbarie ?Je sais ce qu'il inspire, elle en perdra la vie ;Elle m'aime, et mon coeur soupirant en secret De sa tendre amitié cent fois a vu l'effet :Mes douleurs mille fois ont pénétré son âme,Pour l'en récompenser je vais trahir sa flamme.Hélas ! Je me reproche en vain ma trahison,J'ai gouté de l'espoir le dangereux poison. Quand je vois pour mes feux que tout se rend facile,Je sens que je me fais un reproche inutile,Que je vais étouffer l'honneur et la pitié ;Que l'amour dans mon coeur surmonte l'amitié.Mais non, Argire, non, faisons-lui résistance, Ramène ma raison en m'ôtant l'espérance. ARGIRE. Ne vous devez-vous rien à vous-même, à l'État ?Vous feriez contre lui, Madame, un attentat,Si pouvant lui donner un héros pour son maître,Et le seul qu'en ces lieux on puisse reconnaître, Vous laissiez sa conduite à de moins dignes mains,Pour vous trop attacher à des scrupules vains,La raison est pour vous, Madame, et la justice.La Princesse à l'État doit faire un sacrifice :Qu'elle fasse aujourd'hui l'effet de sa vertu ; vous avez plus encor souffert et combattu. LA REINE. Je tremble, Gelon vient, quel parti dois-je prendre ? SCÈNE II. La Reine, Gelon, Argire. GELON. Madame, les discours qu'ici l'on fait entendre,Pourraient auprès de vous m'avoir rendu suspect ;Mais je viens vous jurer que mon profond respect, Et que ma foi pour vous inviolable et pure,Désavoue et déteste un insolent murmure. LA REINE. Prince, il n'est pas besoin de vous justifier.Quand sur la vertu seule on peut se confier,On dédaigne d'entrer dans de sourdes pratiques, On laisse ce secours aux coeurs moins héroïques.Ce sentiment au Peuple est même pardonné ;Pour un autre que vous, je l'aurais condamné. GELON. Comment sur vos bontés faut-il que je m'exprime ?Que ne peut les payer tout le sang qui m'anime ? Je n'en ai point encore assez versé pour vous. LA REINE. On sait, Prince, combien vous avez fait pour nous ;Vous voyez que l'Epire aussi vous fait connaîtreQue sur votre valeur on vous voudrait pour maître. GELON. D'autres guerriers, Madame, ont mérité son choix, Et Sostrate a surtout de légitimes droits ;D'être de votre sang le suprême avantage,Lui doit de tout l'État attirer le suffrage. LA REINE. On ne le nomme point. GELON. Est-ce au peuple à nommer :Celui que votre coeur, Madame, doit aimer ? LA REINE. Quand on a pour objet le bien de son Empire,Aux suffrages du Peuple on doit souvent souscrire ; Par ses vrais intérêts le peuple est éclairé,Il faut être héros pour en être adoré.Sur les biens qu'il reçoit son choix se détermine, Et le coeur d'une Reine où la gloire domine,Un coeur qui ne fuit point d'aveugles mouvements,Peut sur un choix si sûr régler ses sentiments. GELON. Ah, Madame, quel choix quand la foule décide !Le Peuple que souvent son seul caprice guide, Pour de faibles vertus peut prendre un fol amour. LA REINE. Je le crois, et peut-être il le marque en ce jour.Je n'ai point encor vu qu'une âme noble et grandeD'une couronne offerte avec soin se défende ;Que qui peut commander, aime à vivre sujet. GELON. La gloire qu'un grand coeur a toujours pour objet,Du bonheur de régner n'est point inséparable,On l'en peut détacher sans être méprisable,Quelquefois il est beau... LA REINE. Je vois votre dédain ,Vous êtes au-dessus du pouvoir souverain : Mais quand vous méprisez l'offre d'une Couronne,Ce mépris peut tomber sur la main qui la donne. GELON. Madame, de ce crime on ne peut m'accuser,Vos sublimes vertus s'y doivent opposer.J'aureis pu m'engager dans un crime contraire, Mais vous m'avez vous-même empêché de le faire ;Dans de puissants liens vous avez mis mon coeur,Vous m'avez fait aimer votre sang, votre soeur ;Et j'avais en effet besoin contre vos charmes,De charmes aussi sorts et d'aussi fortes armes : Témoin de vos vertus, je pouvais chaque jourPar l'admiration aller jusqu'à l'amour. LA REINE. Ce n'est point de l'amour qu'on veut vous faire prendre,Gelon, il ne faut point ici vous en défendre.Je suis Reine ; et je veux aujourd'hui faire un Roi ; Mais la raison d'État est mon unique loi.Puisqu'à d'autres destins votre amour vous engage,C'est assez, je n'ai rien à dire davantage. SCÈNE III. La Reine, Argire. LA REINE. Argire, quelle honte ! Où vais-je me cacher !Que je le punirai de m'avoir su toucher, Et d'avoir par ma faute aperçu ma faiblesse.Quels discours j'ai tenus ! Ciel ! Avec quelle adresseL'ingrat me les a fait mille fois répéter !Hélas ! Cherchait-il donc à n'en pouvoir douter ?Non, il ne s'appliquait qu'au soin de s'en défendre, Et me faisait parler pour ne me point entendre.Avec quel artifice, et par quels vains détoursRepoussait-il un sens que j'appuyais toujours !Ah ! Je sens qu'au dépit l'amour cède la place. ARGIRE. Madame,s'il revient et vous demande grâce. LA REINE. Il y viendrait en vain, Argire, je le hais ;Mais, hélas ! Je sais trop qu'il n'y viendra jamais.Donnons du moins, donnons à nos États un maître,Qui par mille chagrins lui fasse reconnaîtreCe que c'est que l'orgueil du pouvoir souverain Qu'il traite maintenant avec tant de dédain.Pense-t-on qu'il soit seul digne du diadème ?L'État serait tombé dans un malheur extrême. SCÈNE IV. La Reine, Sostrate, Argire. SOSTRATE. Ne fuyez plus un Prince à vous suivre attaché,Madame, vous savez quel amour j'ai caché ; C'est le plus grand effort qu'un amant puisse faire,Je l'ai fait cependant sans espoir de vous plaire ;Et, lorsqu'Attale heureux devenait votre époux,Je mourais sans marquer que je mourais pour vous.Enfin, si quelquefois au travers de mes feintes Vous avez vu mes maux sans entendre mes plaintes,Souffrez qu'avec respect je vous parle en ce jour.Attale est mort, Madame, et je brûle d'amour. LA REINE. Oui, j'ai su remarquer, Prince, votre conduite,Et de vos sentiments je suis assez instruite. SOSTRATE. Si vous voyez mon coeur, que je serais heureux,Par la sincérité, par l'ardeur de mes voeux.Les autres aimeront en vous votre couronne ;Défiez-vous de tout ce qui vous environne.Pour moi, je vous aimai sans espoir, sans dessein, Lorsqu'un autre était prêt à vous donner la main,Quand l'amour ne pouvait que me coûter de larmes ;Voilà quel fut en moi le pouvoir de vos charmes. LA REINE. Maintenant je suis libre, et je veux faire un RoiQui soit digne du Trône, et digne aussi de moi. SOSTRATE. Si l'excès de l'amour mérite récompense,Et fi l'on peut compter sur sa persévérance,Un coeur qui n'a jamais ressenti que vos coupsN'osera-t-il penser qu'il est digne de vous ? LA REINE. J'estime votre amour, et vous rendrai justice. SOSTRATE. Puis-je espérer qu'un jour à cet amour propice... LA REINE. Croyez que vous n'avez peut-être aucun rival.Prince, à qui votre amour ne doive être fatal. SOSTRATE. Madame, à quels transports... LA REINE. Prince, il vous doit suffire ;Allez. SCÈNE V. La Reine, Argire. LA REINE. Argire, hélas ! Que viens-je de lui dire ? ARGIRE. Vous m'envoyez surprise, et jusques à ce jour... LA REINE. Voilà jusqu'où m'emporte un malheureux amour.Ah, je ne respirais qu'une prompte vengeance,Je voulais abaisser un ingrat qui m'offenfe :Et songeais-je à Sostrate en ce fatal moment ? Voulais-je couronner cet odieux amant ?Argire, je le trouve encor plus haïssable,Depuis qu'il a surpris un moment favorable,Depuis qu'à ma colère il m'a fait succomber.Toute ma haine enfin sur lui va retomber ; Quoi ! Je l'épouserais pour perdre ce que j'aime ? Ah ! Ne nous vengeons point s'il se peut sur nous-même.Mais pourquoi me venger ? En ai-je donc sujet ?Quel crime ai-je à punir, et quel est mon projet ?Gelon aime ma soeur, il est amant fidèle : Il méprise, il est vrai, la Couronne pour elle,Il ne veut point régner aux dépens de sa foi ;Que j'aimerais qu'il fit un tel crime pour moi ! SCÈNE VI. La Reine, Argire, Phenix. PHENIX. Madame, pardonnez si mon impatienceTrouble de vos secrets l'auguste confidence ; Mais le Ciel nous accable aujourd'hui de ses coups ;La Péonie encor prête à tomber sur nous,Traitant d'assassinat la prompte mort d'Attale,Marque pour la venger une ardeur sans égale :Un héros annonçant la guerre dans ces lieux, En appelle à témoin les hommes et les Dieux.[Note : Péonie : Région de la Grèce au nord-ouest de la Macédoine. Elle fut conquise par Philippe de Macédoine et Alexandre le Grand.]De ce crime commis près de la Péonie,Ils veulent que l'Épire aujourd'hui soit punie.Ses Alliés sans doute, et surtout les RomainsVoudront favoriser ses injustes desseins. Le Peuple est effrayé : dans cette conjonctureIl serait dangereux d'exciter son murmure,Et par mille raisons vous lui devez donnerUn Roi, dont la vertu soit propre à le gagner,Gelon si glorieux, si grand, si redoutable, À vos Peuples guerriers saurait se rendre aimable ; Et portant la terreur au coeur des ennemis,Il rendrait vos sujets et vainqueurs et soumis,Mais pardonnez, Madame, à l'ardeur qui m'anime,Si j'ose... LA REINE. Votre zèle est digne qu'on l'estime, Vos raisons ont du poids, les obstacles sont grands,Laissez-moi regarder tant d'objets différents. SCÈNE VII. La Reine, Argire. LA REINE. Allons, je vois ma soeur ; pour paraître à sa vue,De trop de mouvements je me sens l'âme émue. SCÈNE VIII. La Reine, La Princesse, Argire. LA PRINCESSE. Quoi ! La Reine me fuit, tout m'abandonne, hélas ! Arrêtez-vous, Madame, et ne me fuyez pas,Écoutez les soupirs d'une soeur misérable ,Qui vient se plaindre à vous du tourment qui l'accable :Regardez mes malheurs avec quelque pitié.Je crains d'avoir perdu déjè votre amitié, Et je viens cependant la demander encore,Je viens vous faire voir l'ennui qui me dévore,Encor que vous causiez ma mortelle douleur,Je suis accoutumée à vous ouvrir mon coeur,Il veut vous faire part de ses peines secrètes ; Je me plains même à vous des maux que vous me faites.On dit, (et ce discours remplit mon coeur d'effroi,)On dit que dans ces lieux Gelon doit être Roi ;Qu'à des pleurs éternels je serai condamnée,Madame, et c'est par vous que j'y fuis destinée. LA REINE. Qui vous donne déjà de si vives frayeurs ? LA PRINCESSE. L'amour, un tendre coeur qui sent tous ses malheurs ;Sostrate, qui nourrit mes chagrins par ses crainteS ,Nous avons mêmes maux, nous faisons mêmes plaintes :Mais vous, Madame, enfin par votre air interdit, Ne m'en dites-vous point plus qu'il ne m'en a dit ?Je vous parle peut-être avec peu de prudence,Mais en votre amitié je mets ma confiance ;L'artifice est peu propre à vous marquer ma foi,C'est ma sincérité qui doit parler pour moi. LA REINE. Ces sentiments, ma soeur, ont de quoi me confondre,Ce n'est que par mes pleurs que je puis vous répondre ;Ne pénétrez pas trop mon funeste secret. LA PRINCESSE. Ah ! Mon timide coeur le découvre à regret.Madame, il est donc vrai, je n'en suis plus en doute, Ce n'est plus l'amitié que votre coeur écoute,Une autre passion la détruit aujourd'hui;Et mon fidèle amour dont vous êtes l'appui,Ne sera plus pour vous qu'un sujet de colère :L'excès de ma douleur peut même vous déplaire. Ces pleurs qu'à vos regards je ne saurais cacher,Vous vont peut être aigrir au lieu de vous toucher.Hélas ! Quels sentiments aurons-nous l'une et l'autre ?Vous troublez mon bonheur, je dois craindre le vôtre. LA REINE. Je n'en espère point, ma soeur, séchez vos pleurs. LA PRINCESSE. Vous aimez, vous régnez, je prévois mes malheurs ;De grâce tirez-moi de cette peine extrême,Dites si vous l'aimez, Madame, et s'il vous aime ;Vous voyez votre soeur tombante à vos genoux. LA REINE. Que faites-vous ? Hélas ! Princesse, levez-vous. Je suis une perfide, une injuste, une ingrate ;Donnez-moi tous ces noms, si leur horreur vous flatte ;Oui, j'aime votre amant, j'ai pu les mériter ;Mais cet amour encor ne m'a rien fait tenter.Gelon sut m'inspirer la plus fatale flamme Qui peut-être jamais s'alluma dans une âme.Malgré tout cet amour vous alliez l'épouser,Mais le sort autrement paraît en disposer.Attale est mort, le Peuple a déjà fait connaîtreLe besoin qu'il ressent de l'avoir pour son maître, Et je dois opposer à nos fiers ennemisUn Roi de qui le bras ait les destins amis,Bien plus par ces raisons que par ma propre estime,J'ai voulu l'engager, et voilà tout mon crime.Mais il faut l'avouer, rien n'ébranle sa foi, Il méprise pour vous la gloire d'être Roi.Sur sa foi cependant vous êtes alarmée ;Rassurez-vous, ma soeur, vous êtes trop aimée. LA PRINCESSE. Un tel excès d'amour a de quoi me charmer,Je ne m'assurais pas qu'il pût si bien aimer ; Mais hélas ! Vous l'aimez, que me sert sa tendresse ?Madame, de mon sort vous êtes la maîtresse. LA REINE. Je vous l'ai déjà dit, ce n'est point mon amour,Ma Soeur, qui règlera nos destins en ce jour,L'Etat est menacé, déjà la Péonie Aux fiers AEtoliens contre nous s'est unie.À cette guerre encor Rome va prendre part.Pour mon peuple effrayé serai-je sans égard ?Il demande pour Roi le Prince qui vous aime,Dites, que puis-je faire en cette peine extrême ? Je vous aurais peut-être épargné de l'ennui,En vous désavouant ce que je sens pour lui.Mon amitié n'a pu se résoudre à se taire,Et vous avez voulu que je fusse sincère,C'est assez, je vous laisse. LA PRINCESSE. Ah ! Ciel, si ta rigueur Me destine à souffrir, choisis-moi mon malheur. ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. LA PRINCESSE, seule. Malheureuse Princesse, es-tu bien résolue ?De ton amant en pleurs soutiendras-tu sa vue ?As-tu bien consulté tes forces, ta raison ?Ne crains-tu de ton coeur aucune trahison ? Seras-tu, s'il le faut, inhumaine et cruelle,Pour mettre au désespoir l'amant le plus fidèle ?J'ai ses feux et les miens ensemble à surmonter.Quels troubles ! Ah ! Je sens mon coeur se révolter.Gloire, raison, vertu, venez à ma défense, J'implore contre moi toute votre assistance ;Rendez un triste calme à mes sens alarmés,Venez rompre des noeuds que vous avez formés. SCÈNE II. La Princesse, Phèdre. PHÈDRE. Vous me voyez, Madame, inquiète et tremblante ; Du sort qui vous attend, mon zèle s'épouvante. Tout le Peuple s'émeut en demandant pour RoiLe glorieux héros qui vous garde sa foi.Sa tendresse pour vous et l'aigrit et l'outrage;Je vois de toutes parts un sinistre présage :J'en tremble, j'en frémis. LA PRINCESSE. Phèdre, rassure-toi. PHÈDRE. Madame, seriez-vous plus tranquille que moi ?Qui pourrait vous donner une telle assurance ?Tout va périr pour vous. LA PRINCESSE. N'en crois pas l'apparence :Tu vas voir tout calmé, Phèdre, dans un moment. PHÈDRE. Qui pourrait donc causer un si grand changement ? Hé, de grâce daignez, Madame, me le dire.Quoi cet heureux hymen où votre coeur aspire ?... LA PRINCESSE. Phèdre, il n'est plus d'hymen ; mais tout va se calmer. PHÈDRE. Ah Ciel ! Que ce discours commence à m'alarmer !Dans vos sombres regards une tristesse est peinte, Qui porte dans mon coeur la douleur et la crainte ;Madame, tirez-moi du plus cruel souci. LA PRINCESSE. Ton esprit ne sera que trop tôt éclairci. SCÈNE III. La Princesse, Gelon, Phèdre. GELON. Quoi ! Verrai-je vos yeux toujours baignés de larmes ?Mon amour et ma foi sont-ils pour vous sans charmes ? Ne peuvent-ils calmer un moment vos douleurs ?Quoi ! Ma Princesse encor vous redoublez vos pleurs ? LA PRINCESSE. Ce n'est que par mes pleurs et ma douleur extrême,Que je puis maintenant marquer que je vous aime.Je voudrais vous donner, Seigneur, avec ma foi, Ces honneurs qu'aujourd'hui vous refusez pour moi,Sûre qu'avec ma main ils toucheraient votre âme. GELON. Hé, je compte pour rien tous ces honneurs ; Madame.Le don de votre main, votre amour seul m'est doux. LA PRINCESSE. Hélas ! Prince, ma main ne sera plus à vous. GELON. Que dites-vous, Madame ? Ah Ciel ! Quel coup de foudre ?De grâce expliquez-vous. LA PRINCESSE. Prince, il faut s'y résoudre :Pour la dernière fois je vous parle en ce lieu ;Recevez d'une amante un éternel adieu. GELON. De quelle prompte horreur ai-je l'âme saisie ? Un éternel adieu ! Vous m'arrachez la vie.Où suis-je, juste Ciel ! Ai-je bien entendu ?Un éternel adieu, Madame, m'est-il dû ? LA PRINCESSE. Il le faut, je le dois ; la Reine est ma rivale.On vous appelle au Trône, et ma flamme fatale S'opposerait aux voeux que font tous nos États,Pourrait vous dérober le fruit de vos combats,Démentirait le Ciel qui pour vous se déclare ?Hé ! Que ferait de plus une haine barbare ?Non, non, connaissez mieux l'amour qu'on a pour vous : Si je vous aimais moins, vous seriez mon époux. GELON. Ainsi donc votre amour prend soin de ma fortune ?Ayez, ayez, Madame, une âme plus commune :Dans ces grands sentiments l'amour a peu de part.Cessez d'avoir pour moi cet outrageant égard. Montrez-moi ces transports, et ces jalouses larmes, Ces chagrins que tantôt j'ai trouvé pleins de charmes.Vous ne m'opposiez pas le Trône et la grandeur Où vous me renvoyez avec tant de froideur.Vous craigniez de me voir en épouser une autre ; Vous souhaitiez d'unir mon sort avec le vôtre.Voilà comme l'on aime, et j'en étais charmé. LA PRINCESSE. Prince, mon coeur jamais ne vous a tant aimé.J'ai maintenant, Seigneur, un amour véritable :Jusqu'ici ma tendresse était peu raisonnable ; J'ai craint d'être trahie, et ma fatale erreurÀ garder ma conquête appliquait tout mon coeur.Hélas ! La jalousie est bien peu délicate ;J'étais, en vous aimant, injuste autant qu'ingrate,Vous paraissiez perfide à mon esprit jaloux : Doutant de votre foi je voulais être à vous,Mon amour inquiet vous ôtait la Couronne ;Cet amour rassuré, Prince, vous la redonne.Hélas ! Pardonnez-moi ces voeux intéressés,Ces alarmes, ces soins à vous nuire empressés, Ces soupçons, ces chagrins, enfin ce plaisir mêmeQue m'ont fait vos refus de la grandeur suprême. GELON. Non, ma Princesse, non, n'éteignons point nos feux ;Rendez-moi votre amour, c'est tout ce que je veux. LA PRINCESSE. Puisque je suis aimée, et l'ai su reconnaître, Il est temps que je songe à mériter de l'être.Pour moi vous renoncez aux honneurs les plus doux,Mais je fais plus encore en renonçant à vous,Régnez ; aux autres Rois vous devez une exemple :Songez que l'Univers aujourd'hui vous contemple. Vous rougirez un jour... GELON. Vos vertus, l'équité,Votre foi, tout m'engage à la fidélité :S'il faut pour vous aimer porter une Couronne,J'attends que mon épée à vos souhaits la donne.Mais ce n'est point aux lieux où règne votre soeur, Que la gloire m'attend. LA PRINCESSE. Puis-je être à vous, Seigneur ?Verrais-je contre moi tout un peuple en furie,Me reprocher les maux de ma triste Patrie ?Les victoires, les biens que l'on perdrait par moi ,Et ce qu'on souffrirait de suivre une autre loi ? Source de tant de maux, et sous de tels auspices,Notre hymen pourrait-il avoir les Dieux propices ? GELON. Et moi, n'aurai-je donc rien à vous reprocher ?Ingrate, mes maux seuls ne peuvent vous toucher.Hé ! Que m'importe à moi de la paix, de la guerre, De ce peuple indocile, et de toute la terre ?Je ne voulais que vous. Votre coeur fut à moi.Où porterez-vous donc ce coeur et votre foi ? LA PRINCESSE. C'est auprès des autels où Diane est servie,Que je prétends passer le reste de ma vie, Vous oublierez mon nom trop fatal et trop doux ;Et si malgré mes soins je songe encore à vous,Si ma tranquillité ne peut être parfaite,Votre repos du moins est sûr par ma retraite. GELON. Votre retraite, ah Dieux ! Je saurai l'empêcher ; Il n'est rien à mes yeux qui vous puisse cacher.J'irai, n'en doutez point, dans tous les lieux du mondeTroubler de votre coeur la paix la plus profonde.Fondé sur vos serments que je veux maintenir,Le Ciel même, le Ciel ne me peut retenir. Un juste désespoir permet la violence ;Et si vous méprisez mes feux et ma constance,Cruelle, vous verrez votre amant furieuxTout perdre, se venger, et mourir à vos yeux. LA PRINCESSE. Je sens trop mes malheurs, cher Prince, à votre vue. Plus je diffère et plus ma force diminue.Adieu, goûtez en paix le sort qui vous attend.Puissiez-vous être heureux, puisqu'il m'en coûte tant ! GELON. Je vois qu'il n'est plus temps d'employer la menace,Madame, c'est à moi de vous demander grâce. Quoi ! Malgré mes soupirs, mes pleurs, mon désespoir,Pourrez-vous vous résoudre à ne me jamais voir ? LA PRINCESSE. Ah, Prince ! Cachez-moi vos soupirs et vos larmes.Lorsque vous m'attaquez avec de telles armes ;Vous me désespérez ; mon funeste dessein Devient plus difficile, et non plus incertain.J'en mourrai ; mais il faut que le temps vous console. GELON. Vous pourrez donc partir ? LA PRINCESSE. Il faut que je m'immole.Pour l'État, pour nos Dieux serez-vous sans égard ?Consentez, s'il se peut.... GELON. Je verrais ce départ ! Ah ! Suspendez du moins un dessein si funeste.C'est dans ce mal pressant le seul bien qui me reste.Madame, songez-y, vous me désespérez,Mon trépas est certain lorsque vous partirez. LA PRINCESSE. Que dites-vous ? Ah Ciel ! Quelle est ma destinée ? Hé bien, je vous accorde encor cette journée ;Peut-être mes raisons se feront mieux goûter.Mais de ma force enfin vous me faites douter.Tantôt à vous quitter je m'étais résolue,Je ne m'en flatte plus, votre douleur me tue. Mais, Dieux ! Quel mouvement mon coeur s'est il permis ?Je vous accorde un jour, puisque je l'ai promis :Mais ce jour expiré, quelqu'ennui qui me presseJe ferai voir ma force égale à ma faiblesse.Ne soyez pas plus faible, et souffrez mon malheur. Sostrate vient, je sors. SCÈNE IV. Gelon, Sostrate. SOSTRATE. Vous triomphez, Seigneur ;De vous parler ici, puis-je avoir l'avantage ?Seigneur, quand faudra-t-il que je vous rende hommage ?Daignerez-vous bientôt recevoir mes respects ? GELON. Vos hommages, Seigneur, me seraient trop suspects, Je ne me mettrai point en état d'y prétendre. SOSTRATE. Jusqu'à l'entier succès il faut vous en défendre.On risque ses desseins à les faire éclater. GELON. Si j'avais ces desseins, je crois sans me flatterQu'à vos prétentions, Seigneur, je pourrais nuire. SOSTRATE. Qui l'ignore ? Il ne tient qu'à vous de me détruire, Comment vous résister, quand je n'ai pour tous droitsQue d'être resté seul du sang de tous nos Rois ?Je l'avouerai, ce droit est faible auprès des vôtres. GELON. Vous devriez régner, mais on en nomme d'autres, L'Épire de vos droits sait assez mal juger ;Vous sortez de ses Rois, je suis un étranger.Cependant vous voyez en cette conjoncture,Que sa voix en effet ne vous serait pas sûre. SOSTRATE. Sa faveur est pour vous, et la raison pour moi. Mais ce n'est qu'à la Reine enfin à faire un Roi.Vous comptez peu sa voix, à ce que je puis croire.À plaire au peuple seul, vous mettez votre gloire.Vos desseins cependant courraient quelque hasard,Seigneur, si pour son sang la Reine avait égard. GELON. Ah, Seigneur, sur ce point je n'ai rien à vous dire.Je vous laisse le Trône où votre coeur aspire ;Mais encore une fois, si j'y voulais monter,Vous ne me pourriez pas aisément résister.Cependant pour jamais mon amour m'en sépare : Je ne veux point régner et je vous le déclare.Ce que je fais peut-être est d'un assez grand poids.Pour être bon à joindre à tous vos autres droits. SOSTRATE. Ce superbe discours... SCÈNE V. Sostrate, Milon. MILON. La Reine va paraître,Elle veut vous parler, Seigneur. SOSTRATE. Il fait connaître Par son air orgueilleux qu'il est : sûr de son coeur.L'insolence est toujours la marque du bonheur.La Reine cependant m'a donné l'espéranceD'avoir sur mes rivaux l'entière préférence.Sachons encore un coup ce que j'ai pu gagner. Parlons, pressons, il faut ou tout perdre ou régner. MILON. Oui, fixez aujourd'hui votre attente incertaine ;Le Peuple est assemblé dans la place prochaine,Son amour pour Gelona fait des mécontents.Suivez votre projet, Seigneur, il en est temps ; Vous voyez vos amis prêts à tout entreprendre,Et leur nombre est plus grand qu'on ne pouvait attendre.Dès le moindre signal ils s'assembleront tous.Sachez ce que la Reine a résolu de vous. SOSTRATE. Leur secours sera bon si tout nous abandonne. Mais je cède à l'espoir que la Reine me donne ;Sans doute elle balance en dépit de l'amour,Elle n'ose paraître aux yeux de cette Cour.Sans égard pour son sang, sans foi pour la Princesse,Elle est Reine, et doit vaincre ou cacher sa faiblesse. Qu'elle tremble, s'il faut qu'elle écoute ses voeux ;Je ne souffrirai point qu'un rival soit heureux.Mon coeur jaloux médite une affreuse vengeance.De quoi n'est point capable un amour qu'on offense ? SCÈNE VI. La Reine, Sostrate. SOSTRATE. Vous voyez que le Peuple attente sur vos droits, Madame, et qu'il est prêt à vous prescrire un choix :Hâtez-vous d'arrêter le cours de cette audace,Nommez, montrez un maître à cette populace,Madame, et les mutins saisis d'un juste effroiReconnaitront soudain et leur Reine et leur Roi. LA REINE. Ce n'est point la hauteur, Prince, mais la prudence,Qui peut d'un peuple fier arrêter l'insolence. SOSTRATE. Il serait dangereux ici de se tromper ;L'orage est faible encore, il peut se dissiper.Mais si par une faible et molle patience Vous laissez jusqu'au bout croître sa violence,Votre pouvoir, Madame, une fois affaibli ,Jamais dans son état ne fera rétabli. Faites, faites un Roi dont le seul nom imprimeÀ des sujets trop fiers un respect légitime, Et qui sorte d'un fang qui soit accoutuméÀ se voir dans ces lieux craint aussi bien qu'aime.J'oserai rappeler ici votre promesse,Tout vous parle pour moi, mes respects, ma tendresse,Votre sang, l'intérêt de votre autorité ; Je serais trop haï, si j'étais rejeté. LA REINE. Oui, je vous ai donné tantôt quelque espérance.Mais de la confirmer le peuple me dispense.Je venais vous le dire, il est trop dangereuxD'irriter contre moi des esprits orgueilleux. Pour souhaiter mon coeur peut-être et ma couronne,Vous avez vos raisons, et je vous le pardonne ;Mais quand vous y pensez, je dois songer à moi. SOSTRATE. Vous avez vos raisons, Madame, je le vois ;Le fond de votre coeur par ce discours s'explique ; Vous ne consultez pas toujours la politique. LA REINE. Avez-vous oubliez, Prince, à qui vous parlez ? SOSTRATE. Souffrez mon désespoir lorsque vous m'accablez.J'excite le courroux, sûr de l'indifferenceQue peut craindre un amant quand il perd l'espérance. Pourquoi m'empoisonner tantôt d'un faux espoir ?Ces divers mouvements, Ciel ! Que me font-ils voir ?Un dépit, un retour. LA REINE. Qu'osez-vous donc me dire ? SOSTRATE. Gelon est trop heureux, il sait ce qu'il inspire :Madame, cependant si j'en crois ses fiertés; Il n'est pas sûr qu'il daigne agréer vos bontés.Je vois que ce discours commence à vous déplaire ; Je sors, j'attirerois sur moi votre colère.Malheureux, méprisé, votre haine aujourd'huiMe punirait encor pour le crime d'autrui. SCÈNE VII. La Reine, Phenix. LA REINE. En faveur de Gelon quand vous m'avez pressée,Tantôt de votre ardeur je n'étais point blessée :Mais j'ai d'autres desseins comme d'autres souhaits,Phenix, et je défends qu'on m'en parle jamais, PHENIX. Puis-je parler encore, et ne vous point déplaire ? J'ai vu sortir Sostrate enflammé de colère ;Et si j'ose le dire, on prévient votre esprit.Par un discours trompeur Sostrate vous aigrit.Remplit d'un noir courroux, il excite le vôtre.Il craint de voir le sceptre entre les mains d'un autres. Il redoute surtout un Prince glorieux,Seul digne de régner et de plaire à vos yeux.Vous n'étiez pas tantôt contre lui prévenue,Votre esprit a changé, Sostrate vous a vue.Ah, Madame, aujourd'hui que vos heureux sujets, De votre amour pour eux puissent voir les effets.Que la raison d'État sur vous soit souveraine.Dans un jour si marqué ne vous montrez que Reine.Procurez-nous la paix, la gloire et le repos,En nous donnant pour Roi le plus grand des héros. Mais je laisse un discours dont l'ardeur vous offense ;Le sujet qui m'amène est d'assez d'importance.De l'Armée en ces lieux il vient des Députés,Madame, ils ont dessein d'implorer vos bontés.On ne sait pas encor la grâce qu'ils demandent. LA REINE. Hé bien, allons, Phenix, savoir ce qu'ils attendent. ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. Gelon, Phenix. PHENIX. La nouvelle, Seigneur, n'en est que trop certaine,Sostrate est irrité des refus de la Reine.Son trouble, ses amis qu'il assemble en secret,Font trop voir qu'il médite un funeste projet, L'on a même un soupçon qui paraît vraisemblable,Que de la mort d'Attale il se trouve coupable,Les amis que l'on voit qu'il avait su gagner,Marquent que dès longtemps il songeait à régner.La Reine épouvantée ordonne qu'on l'arrête, Et le Sceptre est à vous si votre main est prête.Puisque le Ciel vous l'offre, il faut le recevoir. GELON. Le Ciel ne m'offre point le souverain pouvoir,Puisqu'il me l'offre au prix de faire une injustice. PHENIX. Ainsi l'amour vous mène au gré de son caprice. Pourquoi vous signaler par d'illustres exploits,Si la gloire est chez vous soumise à d'autres lois ?Choisissez du héros ou de l'amant fidèle.Le Trône est des héros la place naturelle :Leur grand coeur par l'amour n'est jamais abattu ; L'amour est leur faiblesse, et non pas leur vertu. GELON. Phenix, l'amour en moi n'est point une faiblesse.Mais j'allais, comme on sait, épouser la Princesse.Il ne peut arriver d'assez grands changementsPour me faire oublier ma foi ni mes serments. Je ferais sans amour tout ce qu'on me voit faire.La Princesse a pour moi l'ardeur la plus sincèreQui jamais d'un amant ait engagé la foi ;Pour me placer au Trône elle renonce à moi,Elle est prête à choisir une triste retraite : Et loin, de reconnaître une ardeur si parfaite,Pourrais-je, profitant d'un si funeste effort,Régner par ses malheurs, peut-être par sa mort ?Entre les bras de Phèdre elle est presque mouvante.Du dessein qu'elle a fait tout son coeur s'épouvante. Je vois couler ses pleurs, ils demandent ma foi,Et malgré ses discours ce font eux que j'en crois,Si je l'abandonnois au tourment qui l'accable,Phenix, je me croirais un monstre abominable. PHENIX. Quoi donc ! L'Épire en vain vous marque son amour ? Tout le Peuple à grands cris vous demande en ce jour :Et savez-vous encor, Seigneur, que notre Armée,De vos fameux exploits autrefois si charmée,Fait par des députés arrivés au Palais,Au moment que je parle expliquer ses souhaits ? Pour l'intérêt commun ils conjurent la ReineDe fixer de l'État la fortune incertaine ;De nous donner un Roi qui puisse tout calmer :Et pour tout dire enfin, Seigneur, de vous nommer.Le Peuple qui déjà vous a marqué son zèle ; Suit encor son exemple et députe comme elle.Après untel éclat pouvez-vous balancer ? Tout l'État sur le Trône a voulu vous placer.Les Peuples ont osé vous demander pour maître ;Il serait dangereux pour vous de ne pas l'être ; Sans cesse un autre Roi justement alarmé,Vous tiendrait criminel d'avoir été nommé. GELON. La crainte sur mon coeur n'a pas beaucoup d'empire.Vous pouviez m'épargner l'embarras de le direCes périls, s'il est vrai que j'en sois menacé, Me feront achever ce que j'ai commencé. PHENIX. Ah, Seigneur se peut-il... Mais la Reine s'avance. SCÈNE II. La Reine, Gélon. LA REINE. Du respect qui m'est dû pour vous on se dispense.Vous savez que l'Armée a député vers moi,Et m'ose demander de vous nommer pour Roi Ce soin dans des sujets renferme trop d'audace, Qui vient prier ainsi secrètement menace.Un pas aussi hardi blesse l'autorité. GELON. Madame, vous savez si j'ai rien attenté.Dans le crime du Peuple on ne peut me confondre. LA REINE. Il n'est pas temps encor, Prince, de me répondre.À leur zèle pressant je n'ai rien refusé ;Dans l'état où je suis je ne l'ai pas osé.À votre choix encor j'ai remis ma réponse.Mais après écoutez ce que je vous annonce. L'on a besoin d'un Roi, vous le voyez assez.La guerre dont encor nous sommes menacés,Par un Roi seulement peut être soutenue ;Un Roi seul peut calmer la populace émue.Si vous ne l'êtes pas, il faut quitter ces lieux : Prince, votre personne attire trop les yeux.Après ce que pour vous mes peuples osent faire,Après qu'ils ont marqué cette ardeur téméraire,Sans doute un autre Roi ne vous laissera pasAvec tranquillité vivre dans ses États. Cette même valeur qui nous serait utile,Si vous ne régnez pas, fait que je vous exile.Mes sujets à l'aimer seraient toujours portés,Les détours seraient vains : ou régnez, ou partez. GELON. Oui, votre autorité, Madame, est trop blessée Par le choix que propose une foule insensée ;Et vous devez payer par un juste refusUn insolent orgueil qui ne vous connaît plus,Les égards sont honteux dans une souveraine.Refusez vos sujets, puisque vous êtes Reine. LA REINE. De mon autorité vous prenez l'interêt ;Et vous le devez sans doute, et votre soin me plaît.Je l'avois négligée en ce qui vous regarde,Et peut-être ma gloire en ce point se hasarde ;Mais peut-être qu'aussi dans de pareils projets Elle n'est qu'à chercher le bien de mes sujets.Un Sceptre est florissant dans des mains qu'on adore ;Je n'ai donc point rougi de vous l'offrir encore. GELON. Hé, Madame! Songez si j'ai pu l'accepter ? LA REINE. Un inutile amour vous fait donc résister À votre propre gloire, aux souhaits de l'Épire ?Il fallait m'imiter, l'exemple a dû suffire.L'amour sur nos pareils doit être sans pouvoir.J'aimai, je vous le dis, et vous l'avez su voir ;Mais je hais encor plus, et je veux vous l'apprendre, Car enfin de mon coeur je ne sais point dépendre.Je vous aimais, je pus vous donner à ma soeur,Ma main s'offrait ailleurs quand vous aviez mon coeur.Et victime en effet pour en être plus Reine,J'immolais à l'État mon amour et ma haine. Depuis Attale mort, l'État a demandéQu'on vous offrît le Trône, il vous est accordé.Par le même intérêt que j'épousais Attale,Je vous ai fait une offre à vos désirs fatale.Votre amour en murmure, et n'a pu se trahir : Vous m'avez refusée, et je dois vous haïr.Je vous hais donc autant que le veut la justice ;Mais de ma haine encor je fais le sacrifice.L'État est le plus fort, je veux vous faire RoiMalgré des sentiments qui ne sont que pour moi. GELON. Madame, il faut partir ; l'exil est légitime.Haïssez-moi pourtant sans m'ôter votre estime.Par la foi, par l'honneur mon coeur est arrêté ;Je ne puis être à vous sans blesser l'équité.C'est à d'autres destins que la gloire m'appelle Et je refuse un Trône en courant après elle. SCÈNE III. LA REINE, seule. Interdite, confuse, et détestant mon sort,Est-il d'autres remèdes à mes maux que la mort !Mon coeur désespéré sent tous les maux ensemble.Je me plains d'un ingrat, je l'exile, et j'en tremble ! Je sens tous ses mépris qui me viennent aigrir !Je ne puis pardonner, mais je ne puis haïr ! SCÈNE IV. La Reine, Phèdre. PHÈDRE. Du sort de la Princesse êtes-vous informée ?Aussitôt qu'elle a su les souhaits de l'armée ?Du Temple de Diane elle a prit le chemin. LA REINE. Juste Ciel ! PHÈDRE. Elle veut y fixer son destin.Le Prince de Sicile en apprend la nouvelleIl sortait d'avec vous, il part, vole après elle ;Mais vainement, Madame, il court pour l'arrèter.Si vous ne l'aidez pas, que pourra-t-il tenter ? vous perdez une soeur, une aimable Princesse.Daignez la rappeler, Madame, le temps presse.Le Temple de Diane est proche de ces lieux. LA REINE. Allez, qu'elle revienne, et se montre à mes yeux.Que ma garde l'amene. SCÈNE V. LA REINE, seule. Ô Gloire trop fatale! Rappeler prés de moi mon heureuse rivale !C'est l'effort douloureux qui signale l'amourQu'en ce moment cruel je viens de mettre au jour. Que ne me donniez-vous, Ciel, une âme commune.N'ai-je de la vertu que pour mon infortune. Hélas faut-il prêter moi-même du secoursAux désirs d'un ingrat qui m'offense toujours ?Quoi ! Même dans l'instant qu'il apprend que je l'aime, Il vole après ma soeur plein d'une ardeur extrême.Cependant loin de suivre un trop juste courroux, Je reconnais ma soeur dans mes transports jaloux.Il l'aimait, il la trouve amante généreuse :Mais qu'on l'est aisément lorsque l'on est heureuse !Que je sens de chagrins ! Ô jour plein de douleur !La mort d'Attale, hélas, me devient un malheur. Est-ce assez, Dieu cruels, quel souci me dévore ?Si j'en crois mes frayeurs, que dois-je attendre encore ? SCÈNE VI. La Reine, Argire. ARGIRE. Ah, Madame, quels maux ai-je à vous annoncer !L'ordre, vos droits sacrés, tout va se renverser.Du Temple de Diane approchait la Princesse, Lorsque Gelon l'arrête ; atteste la Déesse ;Invoque tous les Dieux de la foi protecteurs ;Il se jette à ses pieds qu'il mouille de ses pleurs :Menace, prie, et marque une douleur mortelle.Elle emploie à le vaincre une adresse cruelle ; Leur douleur, leur vertu se montrent tour à tour ;Tout le Peuple est touché d'un si parfait amour.Lors votre ordre est reçu, votre garde est venue,Elle emmène à nos yeux la Princesse éperdue.Gelon l'esprit calmé veut partir dans l'instant, Mais de son juste exil le peuple est mécontent.On entoure ce Prince au milieu de la Place ;De le proclamer Roi quelques uns ont l'audace.On nomme la Princesse en ce même moment.Arrêtez ce désordre en son commencement. Quoique Gelon encor veuille bien se défendreD'un honneur que sans vous il ne doit point attendre,Qui sait... ? SCÈNE VII. La Reine, La Princesse, Argire. LA PRINCESSE. À Mes desseins pourquoi vous opposer ?Madame, ma retraite allait tout apaiser.Et j'apprends ce qu'on ose en mon nom se permettre, Ma vie est en vos mains, et je viens m'y remettre. LA REINE. Allons, et nous montrons à des sujets ingrats,Princesse, demeurez. Vous, ne me suivez pas. SCÈNE VIII. La Princesse, Argire. LA PRINCESSE. Grands Dieux, qui me comblez aujourd'hui de disgrâces,Vos mains de me frapper ne sont-elles point lasses ? N'ai-je point épuisé vos coups les plus affreux ?Et quel crime ai-je enfin qu'un amour malheureux ?Mais pourquoi me cacher à ce Peuple infidèle ?Allons aux yeux de tous détester son faux zèle.S'il le faut, pour borner le cours de sa fureur, Cessons, cessons de vivre, et vengeons une soeur. ARGIRE. La Reine ne veut point ce cruel témoignage ;Madame, et l'on vous ferme en ces lieux le passage.Mais elle remettra les coeurs dans leur devoir,Et dans peu de moments vous allez le savoir. LA PRINCESSE. Je le souhaite, Dieux ! Mais ma frayeur redouble.Un noir pressentiment m'inquiète et me trouble.Est-ce la vérité qui parle dans mon coeur,Ou si c'est seulement la crainte et la douleur ? SCÈNE IX. La Princesse, Phèdre, Argire. LA PRINCESSE. Phèdre, si tu le sais, dis-nous ce qui se passe ? PHÈDRE. Aussitôt que la Reine a paru dans la place,Le respect naturel que lui doivent les coeursA dissipé l'orage et calmé les rumeurs.Cette crainte qu'en nous le juste Ciel imprime,Pour ceux qu'il fait régner par un droit légitime, Impose le silence aux plus séditieux,Gelon a, de la voir, rendu grâces aux Dieux,Jusqu'alors arrêté par une injuste foule,À l'aspect de la Reine il voit qu'elle s'écoule ;Il s'approche, il lui parle, il se jette à genoux, Lui marque son respect, nous le fait voir à tous ;Lui jure qu'à ses droits plutôt qu'on fasse atteinte,Son épée à nos yeux de son sang sera teinte.La Reine parle au Peuple, et se fait écouter,Quelques uns à ses pieds vont enfin se jeter. Et quand ce calme heureux sans doute allait renaître,Nous avons vu Sostrate et ses amis paraître ;D'une foule exécrable on le voit escorté. LA PRINCESSE. Quoi, Sostrate ! Le traître, il n'est point arrêté ? PHÈDRE. Les Gardes envoyés pour saisir le perfide L'ont trouvé soutenu d'une troupe intrépide.Ils ont été défaits, Madame, et contre nousLes traîtres maintenant osent tourner leurs coups.Mille traits sont partis dans ce désordre extrême ;On n'a point de respect pour la Reine elle-même. LA PRINCESSE. Dieux ! La Reine et Gelon, à leurs traits exposés,Trouveraient-ils la mort que vous me refusez ? SCÈNE X. La Princesse, Phenix, Argire. PHENIX. Madame, pardonnez ma tristesse et ma peine,Quand je vous viens ici reconnaître pour Reine.La Reine est morte. LA PRINCESSE. Ah, Ciel ! Argire, soutiens-moi, PHENIX. Sostrate a pu penfer que Gelon était Roi.L'ordre d'être arrêté qui menaçait sa tête ;La Reine qui tout haut crie encor qu'on l'arrête,Tout excite sa rage et trouble son esprit;De son cruel abord rien ne nous garantit. Mille traits sur le Peuple ont marqué sa furie.Les plus audacieux tremblent lors pour leur vie.La Reine à son péril dédaigne de songer ; Ce n'est que pour Gelon qu'elle craint le danger.Loin d'éviter la mort à lui seul préparée, Elle est près de ce Prince à son péril livrée.Elle croit détourner les coups par son aspect,Et que pour sa présence on aura du respect.Rien n'arrête Sostrate, il se fait un passage :Tu vas régner, Gelon, reçois donc mon hommag , Lui dit-il ; mais lui-même il se livre à la mort.Gelon vers lui s'avance, et par un prompt effortDans le sang du perfide il lave son offense.Sostrate meurt. Milon en veut tirer vengeance :Il lance un trait fatal, quel démon le conduit ! La Reine en est frappée, et dans l'instant il fuit.Elle fait quelques pas pour aller jusqu'au Temple,Nous laissant de son zèle un glorieux exemple :On veut la secourir, mais le coup est mortel.Elle invoque Diane, et meurt sur son Autel. Nous poursuivons Milon, notre fureur l'accableNous avons déchiré ce monstre abominable.On voit moins un combat qu'un carnage odieux:Gelon aux ennemis paraît un de nos Dieux,Mais un Dieu courroucé, juste vengeur du crime. Chaque coup de sa main immole une victime.La fuite est le seul bien qui les puisse tirerDes maux, où par eux même ils ont su se livrer. LA PRINCESSE. Je demeure immobile, et dans mon mal extrêmeÀ peine je me sens et me connais moi-même. Allons, allons encore embrasser une soeur.Puissions-nous l'embrassant expirer de douleur. SCÈNE DERNIÈRE. La Princesse, Gelon, Phenix, Argire, Phèdre GELON. Madame, je ne viens avec vous que me plaindre.Vos malheurs sont plus grands que vous ne pouviez craindre.Je vous connais. Je sais qu'un Trône, et ses appas De la mort d'une soeur ne vous console pas.Du moins si la vengeance adoucit une perte,Cette triste douceur à vos voeux est offerte.Les criminels sont morts, et le parti qui fuitPar le Peuple irrité dans peu sera détruit. LA PRINCESSE. Vous devez être sûr de ma reconnaissance,Mais de vous la marquer la douleur me dispense.Cependant, si je vis, je vous garde ma foi ;Vous aurez tous les voeux et du peuple et de moi. ==================================================