******************************************************** DC.Title = WASHINGTON OU LA LIBERTÉ DU NOUVEAU MONDE TRAGÉDIE EN QUATRE ACTES DC.Author = BILLARDON DE SAUVIGNY, Edme-Louis DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:18. DC.Coverage = États-Unis DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/BILLARDONDESAUVIGNY_VASHINGTON.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1090783 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** WASHINGTON OU LA LIBERTÉ DU NOUVEAU MONDE TRAGÉDIE EN QUATRE ACTES Représentée pour la première fois par les Comédiens Français le 13 juillet 1791 sur le Théâtre de la Nation. Prix 30 sols. 1791. Par M. DE SAUVIGNY À PARIS, Chez MAILLARD D'ORIVELLE, Libraire, quai des Augustins, n°43, au Contrat social. Représenté pour la première fois le 13 juillet 1791 au Théâtre des Fossés Saint-Germain. ACTEURS. WASHINGTON.............. M. Saint-Prix. LINCOLN, Lieutenant-Général...... Vanhove. MACDAL, Lieutenant-Général..... Ernest. LAURENS fils, Colonel......... Dunant. LISMOR, anti-révolutionnaire....... Dupont. MADAME LAURENS, mère du Colonel..... Mlle. Thénard. L'AMBASSADEUR DE FRANCE...... Florence. JOHNSON, envoyé du Roi d'Angleterre... Naudet. MADAME NELSON, veuve d'un parent de Washington............. Mlle. Raucourt. LE CONGRÈS. LAURENS PÈRE, Président Molé. LE PREMIER SECRÉTAIRE DÉPUTÉ. Marsy. DÉPUTATION DES MINISTRES DU CULTE. LEUR ORATEUR, député de la nouvelle législature. St.-Fal. PEUPLE. GUERRIERS, etc. Nota. On a mis des guillemets a côté des vers qui n'ont pas été récités au Théâtre. Les noms de personnes sont modernisées et uniformisés. [TC] ACTE I Le théâtre représente le camp de Washington, on voit la tente de ce général. SCÈNE PREMIÈRE. Lincoln, Macdal. LINCOLN. Macdal, à Washington réservez vos hommages.Vaincu par les Anglais, en butte à leurs outrages,Le malheureux Lincoln a perdu dans les fersCe courage indompté qu'enflamment les revers,Et cet enthousiasme et ces élans sublimes Que la patrie inspire à vos coeurs magnanimes.Vous pouvez, l'oeil armé d'une juste fierté,Combattre pour la gloire et pour la liberté,Émule du héros sauveur de la patrie ;Moi je viens dans son camp, las du poids de la vie, Tout entier à la haine et maudissant mon sort,Invoquer la pitié, la vengeance et la mort. MACDAL. La pitié ! Vous Lincoln, dont l'audace héroïqueDes fureurs de Burgoine a vengé l'Amérique !La pitié ! Songez-vous qu'à vos illustres faits Nous avons du l'honneur de nos premiers succès ? LINCOLN. Et vos derniers malheurs ! MACDAL. Eh bien ! Je veux le croire :Un dévouement utile est un titre à la gloire.Des États du midi les ports étaient ouverts,Et déjà s'avançait, dominateur des mers. L'implacable ennemi, fort de notre impuissance ;Par vous, de Charleston la longue résistance,Fatale au vainqueur même, arrêta, sous vos yeux,De ses vastes projets l'essor ambitieux.Des Anglais vous et moi nous fûmes les victimes : On jette avec trop d'art un voile sur leurs crimes.Au camp de Washington vos malheurs parvenus,Diversement contés, m'ont été mal connus ;Qu'à ma tendre amitié votre coeur les confie :La chaÏne de nos maux l'un à l'autre nous lie. LINCOLN. Peuple altier ! Quel démon alluma dans ton coeurLa soif de notre sang, ta haine et ta fureur ?Pourquoi nous combats-tu, qui hais l'esclavage ?Ennemis des tyrans sur ton libre héritage,Pourquoi, dans nos climats, vil instrument des rois, De l'humanité sainte étouffes-tu la voix ?Sans espoir de secours, dans Charleston en cendre,sur la foi d'un traité nous venions de nous rendreDe ce même traité foulant aux pieds les lois,Le farouche vainqueur nous rassemble à sa voix. J'entends d'un potentat les agents mercenaires,Nous demander nos mains pour égorger nos frères ;« Ou combattez contre eux (nous disent nos bourreaux )Ou mourez dans les fers et sur les échafauds ;Choisissez et tremblez ; mais songez-y, rebelles, La mort, pour expier vos trames criminelles,La mort serait trop peu ; sachez que, dès ce jour,Mères, femmes, enfants, objets de votre amour,Proscrits, abandonnés, privés de nourriture,Vont loin de ces remparts errer à l'aventure. » Un calme affreux succède à ces mots foudroyants,L'effroi saisit nos coeurs, l'horreur glace nos sens ;Et chacun d'une vue inquiète, égarée, Cherchant autour de soi sa famille éplorée,Voit ces infortunés s'attacher à nos pas, Poussant de longs sanglots, et nous tendant les bras.Tandis qu'à la pitié nous nous laissons surprendre,La voix de nos tyrans se fait encor entendre ;« Ce moment pour jamais va décider leur sort ;Quel choix avez-vous fait ? » Nous répondons : « la mort. » Les lâches ! Croiriez-vous qu'ils ont frémi de rageDe nous voir préférer la mort à l'esclavage ! MACDAL. Ô ciel ! LINCOLN. Les compagnons de mes nobles travaux,Plongés, amoncelés dans de profonds cachots,On tente, pour nous faire abjurer la patrie, Tout ce qui, par degrés, peut éteindre la vie,Abattre le courage, et déchirer les coeurs,De la contagion les poisons destructeurs,La mort, à nos côtés, incessamment présente,Tous les tourments enfin que la bassesse invente Pour mieux dégrader l'homme et plaire à des tyrans.Parmi tant de martyrs, l'un sur l'autre expirants,Mon fils ! (Ah, pardonnez ce moment de fAiblesse,Ces pleurs que la douleur arrache à ma tendresse ;)Mon fils, depuis longtemps tremblant, et consumé D'un feu séditieux dans son sang allumé,Succombe, et nos bouRreaux, monstres de barbarie,Viennent me disputer les restes de sa vie,L'enlèvent de mes bras, l'entraînent dans des lieuxQui n'offrent pour abri que la voûte des cieux ; Là, mon malheureux fils est jeté sur l'arène.Luttant contre la mort, il respirait à peine ;Il rappelle ses sens ; et ses vils assassinsLe parcourAient encor de leurs yeux inhumains.Les monstres, à ses maux feignant d'être sensibles, Présentent des secours aussi prompts qu'infaillibles ;Si, rendu plus docile, il trahit son pays ;Vous jugez sa réponse, et quel en fut le prix.Nu, seul, et sans secours, couché sur la poussière,Il vit naître du jour et mourir la lumière. Alors de Charleston le tyran détesté,Balfour, dit que mon fils, contre lui révolté,A voulu s'affranchir d'un honteux esclavage ;Du fer sacré des lois il ose armer sa rage,Et la main des bourreaux comblant ses attentats, Mon fils subit le sort des plus vils scélérats. MACDAL. Pour nos lâches tyrans vous redoublez ma haîne,Ami. LINCOLN. Tant que Balfour m'arrêta dans sa chaîne ;Le sentiment profond de ma juste douleur,J'ai su le renfermer dans le fond de mon coeur. Devenu libre, ici mon désespoir m'amène :De trois mille des miens, cinq cent restent à peine,J'attends de Washington, instruit de nos malheurs,Une vengeance égale à ce comble d'horreurs. MACDAL. Lincoln, du Général je respecte la gloire : Je connais sa grande âme, et je ne veux pas croireQue sur tant de forfaits dont regorgent ces lieux,Un intérêt secret puisse fermer ses yeux ;Mais quand nos ennemis, fatigués de carnage,Enflammant contre nous la fureur du sauvage, Ne faisaient des captifs que pour les lui livrer,Trop sûrs que le barbare allait les dévorer ;Quand un de ces bourreaux de mon malheureux père,Cernant d'un fer aigu son front octogénaire,Ce front où respiraient la candeur et la paix, Pour obtenir un prix, fixé par les Anglais,Arracha sur sa tête, alors toute fumante,De ses longs cheveux blancs la dépouille sanglante ;( J'en garde en frissonnant l'horrible souvenir ;)J'ai demandé vengeance, et n'ai pu l'obtenir. LINCOLN. Quel sera donc, grand Dieu, notre recours ? MACDAL. L'armée.Contre tant d'attentats justement animée ;Comptez sur la vengeance et sur mon amitié.Un secret important vous sera confié ;Sur ce secret encor je garde le silence ; Mais croyez que bientôt je... Washington s'avance, SCÈNE II. Lincoln, Macdal, Washington, Guerriers. WASHINGTON. Digne ami, vos vertus, vos exploits, vos malheurs;D'amour et de respect ont pénétré nos coeurs.Notre auguste Sénat veut qu'un public hommage,De la plus pure estime éclatant témoignage, Annonce ses regrets au père d'un hérosQu'un destin trop fatal enlève à nos drapeaux. WASHINGTON. Vous voyez près de vous, vos compagnons, vos frères,Fiers de vous posséder sous leurs tentes guerrières,Appelés par la gloire à de nouveaux combats, Vous demander l'honneur de marcher sur vos pas. LINCOLN. Je sens mon coeur renaître, à ce noble langage !À la voix d'un héros je reprends mon courage.Oui, mes braves amis, combattons, vengeons-nous ;Soldat sous Washington, je dois vaincre avec vous. Hélas ! Il fut un temps où j'eus l'orgueil de croireQu'un jour mon fils, sans doute, égalerait leur gloire.De ses bontés pour moi, je rends grâce au congrès ;Jaloux de son estime et fier de ses regrets,Citoyen et soldat, je dois à ma patrie, Je dois à la vengeance et mon coeur et ma vie. WASHINGTON. Avant la fin du jour j'aurai rempli vos voeux.Vous connaissez Laurens, ce vieillard vertueux,Digne chef du Sénat ; son fils, dont la jeunesseRéunit la valeur, les talenTs, la sagesse, Dans leur marche incertaine observant les Anglais,Ce soir vient nous rejoindre ; et j'attends les Français,Qui, signalant pour nous leur zèle et leur courage,Font de la liberté le noble apprentissage. SCÈNE III. Les MÊMES, UN AIDE DE CAMP. L'AIDE-DE-CAMP. DEs ordres de son roi chargé près du congrès ? Aux barrières du camp, Johnson... WASHINGTON. Je l'attendais ;Qu'il vienne, L'aide-de-camp sort. SCÈNE IV. Les mêmes. LINCOLN. Quoi, Johnson, autrefois l'adversaire,Vil flateur aujourd'hui du pouvoir arbitraire !Redoutons ses complots ; ne désarmons nos brasQu'après avoir chassé l'Anglais de nos climats. À peine il a touché les bords de l'Amérique,Que d'un visage ami masquant sa politique,Divisant les esprits par des écrits menteurs,Johnson, savant dans l'art de corrompre les coeurs,Trouve même au congrès un appui favorable. WASHINGTON. Cet appui ne rend pas Johnson plus redoutable.Peut-être qu'en Europe il serait dangereux :Ici la liberté suffit à tous nos voeux.Ses projets sont connus ; c'est assez pour les rompre : On peut nous égarer ; mais non pas nous corrompre. SCÈNE V. Washington, Jonston. JOHNSON. Vous savez que Johnson, depuis vos longs débats,Heureux de ramener la paix dans vos climats,Défenseur de vos droits au Sénat britannique,Sut estimer, chérir et servir l'Amérique ;Un charme m'attirait vers ces lieux fortunés, Aux monstres des forêts naguère abandonnés,Ces beaux lieux, qu'avant vous la nature infécondeAvait presqu'oubliés dès l'enfance du monde,Où j'observe, étonné, sous un ciel si nouveau,Un peuple, à peine encor sorti de son berceau, Nous présenter en vous l'héroïque assemblageDes talents, des vertus, du grand homme et du sage.Lorsque tous les pouvoirs que peut donner un roi,Garantis par l'État, sont réunis en moi,Certain de réveiller dans votre âme attendrie Les sentiments d'amour qu'on doit à la patrie,Combien je suis flatté de venir en son nomSolliciter les soins du sage Washington,Et fort de votre appui, de votre amour pour elle,Jeter les fondements d'une paix fraternelle ! Quelque ressentiment qui puisse aigrir les coeurs,L'Anglais a vu, du sein des civiles fureurs,Renaître la concorde et l'amitié plus tendre ;À ce bonheur, enfin, j'ose aujourd'hui prétendre ;On méconnut vos droits, ils seront rétablis ; Formez-vous d'autres voeux ? Ces voeux seront remplis.Demandez, et comptez sur un roi qui vous aime :Et si vous répondez à sa bonté suprême,Recevez, pour garant de l'oubli du passé,Un pardon que son coeur a déjà prononcé. WASHINGTON. Un pardon : nous, grand Dieu ! Quel étrange langage !Vous qui me prodiguez et l'éloge et l'outrage,Osez-vous bien, Johnson, étaler à mes yeuxLa suprême bonté d'un prince ambitieux,Qui, constant ennemi de nos droits légitimes, Lui-même provoqua nos efforts magnanimes ;Qui, repoussant les voeux d'un peuple gémissant,Paya, pour se baigner dans le sang innocent,Et des brigands d'Europe et des hordes sauvages :Et quand, après sept ans de meurtres, de ravages, Ce roi, dépossédé du sceptre américain,N'a pu s'en ressaisir les armes à la main ;Prenant le ton d'un père, avec l'orgueil d'un maître,Reconnaissant nos droits pour nous tromper peut-être,L'auteur de tous nos maux daigne les oublier, Et veut pousser l'affront jusqu'à nous pardonner ! JOHNSON. D'un ministre insensé la fausse politiqueEntraîna loin de vous le Sénat britannique ; :Mais le prince à vos maux n'a point participé :C'est le destin d'un Roi d'être souvent trompé. WASHINGTON. C'est donc là ce Sénat aux tyrans formidable,Et de vos libertés rempart inébranlable :Le bras qui nous opprime impose à sa fierté ;Il cède ; Peuple anglais, crains pour ta liberté !L'ambition, qui veille autour du diadème, Nous prépara des fers pour t'enchaîner toi-même ;L'exemple est sous tes yeux. Quelle leçon pour toiDu pouvoir d'un ministre et des erreurs d'un Roi ! JOHNSON. Quelques soient envers vous les torts du ministère,Dans les premiers transports d'une aveugle colère, Même en brisant vos noeuds, vous n'auriez dû jamais,Vous, Bretons, vous jeter dans les bras des Français.Les mers, nos lois, nos moeurs, le culte de nos pères,Tout forme entre eux et vous d'éternelles barrières :Un jour vous connaîtrez, détrompés et trahis, Cet indomptable instinct qui nous rend ennemis. WASHINGTON. Vaine erreur ! Je connais ces haines politiques,Éternel aliment des misères publiques ;Johnson, nos préjugés ont été trop longtempsLa ressource du fourbe, et l'arme des tyrans. De l'art de gouverner le ténébreux mystère,En vain croit éviter l'oeil perçant qui l'éclaire.Ministres orgueilleux du trône et des autels,N'espérez plus tromper les crédules mortels :L'homme sort du sommeil, las d'un double esclavage : Ses yeux s'ouvrent ; tremblez : déjà gronde l'orage :Un grand événement est tout prêt d'éclater.La raison indignée ose enfin présenter,Entre le peuple et vous, la vérité terrible :Tyrans, à son aspect un peuple est invincible. L'amour de la justice et de la libertéQui semble élever l'homme à la divinité,Est un bienfait, grand Dieu ! De ta bonté suprême : Dans le fond de nos coeurs tu l'as gravé toi-même ;C'est-là qu'interrogeant tes immuables lois, La raison dit : « Sois homme et rentre dans tes droits. »Peut être le Français, objet de votre haine,Sera-t-il le premier qui brisera sa chaîne.D'amour pour son pays que son coeur enflamméDonne ce grand exemple à tout peuple opprimé. De l'hydre des abus qu'il écrase les têtes ; Ami du monde entier, qu'il renonce aux conquêtes ;Et qu'il puisse amener ces beaux jours de la paix,Où la liberté fière, enchaînant pour jamaisL'orgueil, l'ambition, les haines et les guerres, Doit s'étendre et planer sur les deux hémisphères. JOHNSON. Aux voeux que vous formés j'aime à joindre les miens.Quand ma main de la paix va serrer les liens,Washington, de ces bords écartant les alarmes,Peut épargner le sang que font couler nos armes. WASHINGTON. C'est l'espoir de la paix qui seul arme mon bras :J'ai pleuré nos exploits, et je hais les combats ; À vos voeux, cependant, j'attendrai pour me rendre,Que le congrès, chargé du soin de vous entendre,Ait pesé vos raisons, en veillant sur nos droits ; Je commande aux soldats et j'obéis aux lois. JOHNSON, à part en s'en allant. Ta haine contre nous, ton amour pour la FranceVont bientôt sur ta tête appeler la vengeance. SCÈNE VI. Washington, Lincoln, Guerriers. LINCOLN. De Laurens dans le camp flottent les étendards ;Mais cent foudres d'airain, tonnant de toutes parts, En échos prolongés, font mugir nos montagnes,Et fuir épouvanté, l'habitant des campagnes :Le soldat dans ses rangs vous appelle à grands cris. WASHINGTON. Mon coeur est satisfait ; mes voeux sont accomplis.Le bruit qui retentit est le cri de la gloire ! Prélude des combats, garant de la victoire ;Donné par les Français, ce signal belliqueuxDoit nous rendre plus chers nos rivaux généreux.Ce noble empressement, dont l'effet nous rassemble,Resserre encore le noeud qui nous unit ensemble. SCÈNE VII. Washington, Lincoln, Laurens, Guerriers. WASHINGTON. Approchez, digne fils adopté par mon coeur,Ô vous, d'un libre et la gloire et l'honneur !Vos yeux, sans doute, ont vu les héros de la France. LAURENS. Oui, leur zèle a déjà rempli notre espérance,Et dans tous ses projets l'ennemi s'est trompé. Sur les rives d'York, l'Anglais enveloppé,Rencontre, s'il médite une vaine retraite,[Note : Comte de Rochambeau, Jean-Baptiste-Donatien (1725-1807), général français. Il fut à la tête d'une troupe de 6 000 hommes venus aider Washington. Ses troupes participent à la Prise de Yorktown (Virginie) le 10 juillet 1781.]Rochambeau vers le nord, au midi ; La Fayette,Et soudain accouru des bouts de l'Univers,Le pavillon Français triomphant sur nos mers, Non loin de l'ennemi, dans de feintes alarmes,J'ai surpris des soldats qui m'ont rendu les armes ;Ils marchaient commandés par le jeune Balfour. LINCOLN. Eh quoi ? Balfour ? Ô ciel ! Ô favorable jour !Washington, à l'instant ordonnez son supplice. LAURENS. Prisonnier sur ma foi, voulez-vous qu'il périsse ? LINCOLN. Savez-vous de Balfour tous les forfaits ? LAURENS. Ô ciel ! Vous pourriez-vous venger d'un père criminelSur cet infortuné ! Votre coeur sanguinaireN'a donc jamais connu le tendre nom de père ? LINCOLN. Dieu ! Savez-vous quel trait déchirant et cruelVous venez d'enfoncer dans ce sein paternel ?[Note : Abraham Lincoln (1744-1786), capitaine de la milice du Comté d'Augusta, grand-père du président américain.]Connaissez-vous Lincoln ? SCÈNE VIII. Les mêmes, Macdal, Guerriers qui le suivent. MACDAL. En ce moment, l'arméeD'une égale fureur soudain s'est enflammée.On enchaîne Balfour ; et de nombreux soldats, En demandant sa tête accourent sur mes pas. LINCOLN, courant se mettre à leur tête. Oui, chers concitoyens, oui, mon fils magnanimeDu féroce Balfour expira la victime.Le tigre, dans mon sang baigné, désaltéré,Il trouve chez les siens un asile assuré ; Il jouit de son crime ; il brave en paix ma rage.Dans le sang de son fils effacez mon outrage ;Amis, je m'abandonne à vos généreux soins. LAURENS. Ce fils est innocent. LINCOLN. Le mien l'était-il moins ?Au sein de ses foyers contre la tyrannie, Mon fils infortuné défendait sa patrie ;Un intérêt sacré l'appelait au combat ;La liberté, l'honneur avait armé son bras.Puissions-nous immoler à son ombre si chère,Et tout Anglais barbare, et tout vil mercenaire Qu'un zèle aveugle entraîne au bout de l'univers,Et qui vendent leur sang pour nous donner des fers. WASHINGTON, retenant Lincoln. Arrêtez. LINCOLN. Eh ? Qu'importe à l'horreur qui m'anime,De nos lâches tyrans l'innocence ou le crime ?Supplice de mes yeux, fléau de mon pays, Tout Anglais est pour moi l'assassin de mon fils. SOLDATS. Courons tous. WASHINGTON. Arrêtez. LINCOLN. Que rien ne vous arrête !Amis. WASHINGTON. Obéissez ; je vous offre ma tête,Si Lincoln, égaré par ses profonds chagrins,D'intrépides guerriers fait de vils assassins ; Frappez ; mais respectez le sang qu'il vous demande,L'innocence respire où Washington commande.Et vous, mon cher Lincoln, montrez dans vos douleurs,Une fermeté d'âme égale à vos malheurs ;Albion fut pour nous mère injuste et cruelle ; D'une vertu sans tache offrons lui le modèle :L'univers nous contemple, et l'honneur nous attend :Nous allons nous venger ; mais c'est en combattant.Quand on pleure un héros, peut-on parler d'outrage !Il mourut pour l'État ; la gloire est son partage : Est-il un sort plus beau ? Voyez dans tout son jourLa gloire de ce fils, si cher à votre amour ;Voyez son nom placé parmi les noms célèbresQui de la nuit des temps ont vaincu les ténèbres ;Ces martyrs de l'honneur et de la liberté, La mort les a conduits à l'immortalité :Un Trophée, en nos murs, monument de sa gloire,Va comme eux de ce fils consacrer la mémoire ;Et j'entends le récit de ses faits glorieux,Volant de bouche en bouche à nos derniers neveux, Faire éclore, en leur âme enflammée, attendrie,Le germe de l'honneur, l'amour de la patrie,Ce sentiment sacré, si cher au citoyenQui de la liberté, fait son souverain bien ;Et le sublime élan que l'héroïsme inspire, Et la mâle vertu qui fonda notre empire. SCÈNE IX. Les mêmes, Lismor. LISMOR. Un des chefs des Anglais que tant de cruautésOnt rendu si fameux sur nos bords dévastés,[Note : John Murray, Comte de Dunmore (1732-1809), gouverneur colonial de Virginie de 1771 à 1776.]Dunmore a rassemblé sa troupe sanguinaire,Et s'apprête à ravir votre fils et sa mère. WASHINGTON, à part. Quoi ma femme et mon fils ! Ô comble de malheur ! Haut.Peut-être en croyez-vous une fausse rumeur. LISMOR. De Madame Nelson, interprète fidèle,J'en apporte à l'instant la fatale nouvelle ;Et cet écrit... WASHINGTON, lit la lettre. Lismor, je rends grâce à vos soins ; De sa tendre amitié je n'attendais pas moins. LISMOR. Il faut qu'un prompt secours... LAURENS. J'aurai cet avantage ;Daignez, d'un soin si cher honorant mon courage,Éprouver à l'instant l'ardeur de mes guerriers. WASHINGTON. Je réserve à vos mains de plus nobles lauriers ; Je le dois. À part. Ô mon Dieu ! Sous ta garde sacréeJe remets mon enfant et sa mère éplorée.... À sa troupe.Marchons. Voici le jour où le sort des combatsDoit, aux peuples unis de nos naissants États,Assurer à jamais la liberté, l'empire ; Pour mous, les mers, la terre et le ciel, tout conspire : À Lincoln.À ce grand intérêt immolons nos douleurs ;Ne songeons qu'à combattre et revenons vainqueurs. ACTE II Le théâtre représente l'appartement de Madame Nelson à Philadelphie. SCÈNE PREMIÈRE. Madame Nelson, Madame Laurens; MADAME NELSON. En croirai-je mes yeux ! Sous mon toit solitaire,Dans mes humbles foyers, l'épousé digne et chère Du vertueux, Laurens, d'un sage aimé des cieux,Qui préside au congrès et commande en ces lieux !Madame, à tant d'honneur je n'ai pas due m'attendre. MADAME LAURENS. Aux modestes vertus il m'est doux de le rendre,Du camp de Washington, Lismor est revenu : Sage Nelson, vos yeux sans doute l'ont revu ;Que dit-il du héros si cher à la patrie ? MADAME NELSON. Quoi, madame ? Lismor à lui, dans Philadelphie !Lismor ! Qui sait combien à chaque instant du jourNos voeux impatients ont pressé son retour ! . Croyez qu'on vous a fait un rapport infidèle. MADAME LAURENS. Vous même qui craignez de soupçonner son zèle,Et d'après votre coeur voulez juger du sien ;Vous, qui le défendez ; le connaissez-vous bien ? MADAME NELSON. Que puis-je vous répondre ! Avant que l'hyménée Sous les lois de Nelson rangeât ma destinée ; ?Dès longtemps l'amitié les unissait tous deux.Depuis que, dans ces murs, mon époux courageuxPaya de tout son sang l'honneur de les défendre ;Indifférente aux soins que Lismor vient me rendre, D'un tendre souvenir nourrissant ma douleur,Je laisse au ciel, Madame, à juger de son coeur. MADAME LAURENS. Nelson, de qui pour vous la mémoire est si chère,Parent de Washington, l'honorait comme un père :De ce pur sentiment, par Nelson inspiré, Votre coeur noble et fier est toujours pénétré. MADAME NELSON. Plus encor que jamais ; pour lui, pour la patrie,Pour notre liberté, faut-il donner ma vie ? Parlez. MADAME LAURENS. Eh bien ! Sachez que d'horribles complots,Contre nous dirigés, menacent ce héros : On veut sa perte. MADAME NELSON. Ciel ! MADAME LAURENS. Au congrès, à l'arméeLa haine le poursuit ; la discorde allumée Déjà fait triompher les nombreux habitants,Du pouvoir populaire en secret mécontents.Votre oeil peut éclairer ces sinistres mystères, Johnson ici conspire ; un de ses émiSsaires,Marchant à la faveur des ombres de la nuit,Est entré dans nos murs, par Lismor introduit. MADAME NELSON. Johnson, qui de nos droits embrassa la défense ;Johnson, dont la bonté prit soin de mon enfance ; Lui qui, de la Floride autrefois gouverneur,Rentre dans nos climats, heureux médiateur ;Il pourrait... Pardonnez si j'ai peine à le croire,Mais ses soins bienfaisants vivent dans ma mémoire.Hélas ! Je périssais sans lui, sans ses secours, Rebut infortuné des auteurs de mes jours. MADAME LAURENS. Je le sais ; mais l'honneur, le devoir vous engageÀ détruire un soupçon qui vous blesse, et l'outrage.Vous reverrez Lismor ; il faut l'interroger ;Lui refermer l'abîme où l'on veut le plonger ; Et, d'un affreux complot recherchant les indices,Dénoncer au congrès l'auteur et les complices.Si Johnson contre nous médite un attentat,Vous lui sauvez un crime, et vous servez l'État.Un si grand sacrifice, offert à la patrie, Pourra coûter, sans doute, à votre âme attendrie ;Mais quand le péril presse et nous menace tous,Je vous estime assez pour m'adresser à vous. MADAME NELSON. Un pareil choix, Madame, est un honneur insigne ;Vous ne vous trompez point ; je sens que j'en suis digne. MADAME LAURENS. Arrêtez, Lismor vient : gardez-vous devant moi,De laisser éclater des doutes sur sa foi. À part.Ses regards me diront si son coeur l'a trahie. SCÈNE II. Madame Laurens, Madame Nelson, Lismor. MADAME NELSON. Puisque je vous revois, mon attente est remplie ;Et Washington, instruit par mes avis secrets, Peut du cruel Dunmore enchaîner les projets; LISMOR. Oui, madame, mon zèle a tout fait pour vous plaire. MADAME NELSON. Je vois, avec horreur, le guerrier mercenaireServir les voeux sanglants d'un ministre, ou d'un roi ;Mais le sauveur d'un peuple est un héros pour moi ; Lismor, vous l'avez vu ? LISMOR. Plût à Dieu que l'armée,Dès longtemps contre lui sourdement animée,Par honneur pour son chef, par intérêt pour nous,Madame, pût le voir des mêmes yeux que vous !On sait que la prudence à ses desseins préside ; Mais, s'il faut les en croire, elle est lente et timide.Ce nouveau Fabius, depuis six mois, dit-on,Menaçant, tour-à-tour, Cornalis et Clinton,Protégé des Français et sur mer et sur terre,Semble se faire un jeu d'éterniser la guerre. En tumulte assemblés, j'ai vu ses fiers soldats.Frémir, impatients de voler aux combats,Confondre dans leurs cris la plainte et la menace :Il semblait accablé de cet excès d'audace,Quand, votre écrit en main, devant lui j'ai paru, D'un avide regard ses yeux l'ont parcouru :Peut-être de son trouble il n'a pas été maître ;Mais d'un seul mot à peine il a su reconnaîtreL'avis dont vos bontés ont daigné l'honorer. MADAME NELSON. Dans le devoir, sans doute, il les a fait rentrer, Ces soldats égarés, qu'un zèle aveugle enflamme ;Il a su réprimer... LISMOR. Il a fait mieux, madame ;Résolu de combattre, il marche à l'ennemi, MADAME NELSON. Lismor l'a vu partir, et ne l'a point suivi !Quoi ? de tant de guerriers l'audace impétueuse, Cette soif de l'honneur, cette ardeur belliqueuseDans votre âme, un moment, n'a point ressuscitéL'amour de la patrie, et de la liberté ? LISMOR. De quels traits outrageants votre haine m'accable !Ah ! Cessez d'abuser du penchant indomptable, Du fatal ascendant qui vous soumet mon coeur !Madame, en affectant d'irriter ma douleur,De ce reproche amer vous sentez l'injustice,Et ce malheur encor ajoute à mon supplice.J'ai cent fois du congrès dévoré les refus. J'offrais mes biens, mon bras ; eh ! Que veut-il de plus !Que j'aille, démentant le sang qui m'a fait naître,Comme un simple soldat. .. . MADAME NELSON. Tout citoyen doit l'être.L'honneur de commander veut un plus sûr garantQue la fougue indocile et la fierté du sang. Du nom que vous portez le frivole avantageDonne-t-il les talents, les vertus, le courage ?En vain, sur la nature établissant ses lois,L'Amérique a fondé l'égalité des droits ;D'écueils environné, le peuple trop timide Laisse encore à l'orgueil un appas si perfide.Puisse la liberté, dans des temps plus heureux,De ce vain préjugé briser le joug honteux !Du véritable honneur si vous sentiez la flamme !Jusqu'à la liberté s'il élevait votre âme ! Vous iriez, des Anglais détestant les fureurs,Et pénétré des maux de la patrie en pleurs,Vous iriez, où sa voix dès longtemps vous appelle,Immoler votre orgueil, en combattant pour elle. LISMOR. Il n'est plus temps, Madame; au nom du peuple Anglais, Demain, dans ces remparts, on nous offre la paix. MADAME LAURENS. Qui vous dit qu'une paix, par l'Anglais présentée,Doit être aveuglément, du congrès acceptée ? LISMOR. L'intérêt de l'État : nous rentrons dans nos droits,Libres de tout subside, et régis par nos lois. Tant de biens réunis passent notre espérance,Et ne permettent pas que le congrès balance. MADAME LAURENS. L'implacable ennemi de notre liberté,Joint tant de perfidie à tant de cruautéQue plus il nous promet, et plus il est à craindre : Savez-vous si l'Anglais, habile en l'art de feindre,N'a pas tendu ce piège à ses amis secrets,Qui trahissent pour lui nos plus chers intérêts ?Lismor n'est point garant des offres qu'il annonce ;Le congrès est plus sûr, et j'attends qu'il prononce. Bas à Madame Nelson qui le reconduit.Adieu, Madame, adieu ! Pénétrez ses desseinsPeut-être de l'état le sort est dans vos mains. SCÈNE III. Madame Nelson, Lismor. LISMOR. Quel est donc ce langage ? Et que veut-on me dire ? MADAME NELSON. Qu'en secret contre nous plus d'un traître conspire. LISMOR. Comment pouvez-vous croire à ces bruits insensés, Qui, d'un Sénat craintif échos intéressés,Annoncent chaque jour, quelque trame nouvelle,Pour égarer le peuple, en rallumant son zèle ? MADAME NELSON. Ce soir, un inconnu dans nos murs est entré ;Aux chefs du peuple encor il ne s'est point montré ; Vous conduisiez ses pas ? LISMOR. Je venais vous l'apprendre.Madame, et près de vous il va bientôt se rendre. MADAME NELSON. Cet inconnu, Lismor, est sans doute un Anglais ;On sait qu'ils vous sont chers : LISMOR. Moins encor que la paix.Je suis las, j'en conviens, du joug qui nous opprime ; Sous le puissant abri d'un prince légitime,Le peuple au moins jouit d'un repos plus constant :Que peut-il espérer qu'un sort toujours flottant,D'un Sénat toujours prompt à servir ses caprices,Et qui n'est élevé que sur des précipices. Vous-même, vous voyez ces souverains d'un jour,Idoles d'un vil peuple, et jouets tour-à-tour ;Du camp de Washington la plainte menaçanteA jeté dans leurs coeurs le trouble et l'épouvante ;Et, quand il faut agir, ce faible tribunal Hésite sur le choix d'un nouveau général.Les disciples de Penn, ces habiles sectaires,Possédant l'art d'unir, sous des dehors austères,La candeur à la ruse, et la richesse aux moeurs,Ici contre la guerre élèvent leurs clameurs ; Le congrès les redoute, et sa main impuissanteN'osera rejeter la paix qu'on lui présente.Grâce au ciel ! Son pouvoir est donc prêt d'expirer,Et mon coeur à la joie ose enfin se livrer !J'aime encor mieux un roi, fût-il même arbitraire, Que l'insolent orgueil du pouvoir populaire. MADAME NELSON. Qu'importe que Lismor, en son dépit chagrin,Affecte pour le peuple un superbe dédain.Ose-t-il se flatter que la paix nous ramèneLa pompe des tyrans, leur grandeur souveraine ? Le congrès, de nos lois inébranlable appui,A fondé notre empire ; il doit vivre avec lui :Fort de la liberté, quoiqu'on puisse entreprendre,Qui sut la conquérir, saura bien la défendre.Pour combattre nos droits, sur leur base affermis, L'orgueil et l'intérêt sont nos seuls ennemis ;Mais l'équité, l'honneur, la vertu, le courage,Généreux défenseurs, sont votre heureux partage.Vous qui, par la molesse et le luxe abattu,Préférez un vain titre à la simple vertu, Allez, noble orgueilleux, citoyen inutile,Sous le joug des Anglais baisser un front servile.C'est l'ami des abus qui rampe aux pieds des rois.L'homme libre est plus fier ; il n'obéit qu'aux lois.De brigues, de complots, l'Anglais nous environne ; Mais nos yeux sont ouverts, et c'est vous qu'on soupçonne. LISMOR. Moi ! MADAME NELSON. Vous, et l'inconnu qu'ici vous secondez.Dans vos hardis projets, tous deux, vous vous fondez[Note : Secte de Penn : nom péjoratif donné à la Sociétés des Amis dont William Penn (1648-1718), créateur de le Pennsylvanie, est un des plus célèbre représentant. ]Sur la secte de Penn à nos tyrans propice.Les exploits d'un héros, qui font votre supplice, Vous brûlez de les voir payés par un affront ;S'il est persécuté, vos jours en répondront :Oui, Lismor, abjurez un complot infidèle,Ou soudain au congrès ma bouche le révèle. LISMOR. Eh bien ! Si vous croyez que j'ai trahi ma foi, Connaissez un mortel plus coupable que moi.J'osai toujours prétendre au bonheur de vous plaire ;Il eut toujours pour vous la tendresse d'un père ;Madame, empressez-vous d'outrager, d'opprimerDeux coeurs, dont le seul crime est de vous trop aimer. Johnson est l'inconnu qui vers vous doit se rendre.Avant de le juger, oserez-vous l'entendre ?Pour l'admettre en ces lieux, où son arrêt l'attend,L'ordre est donné, sans doute. MADAME NELSON. Il va l'être à l'instant. Elle sort. SCÈNE IV. LISMOR. Va, poursuis, femme injuste, impérieuse et vaine ; Poursuis ; prodigue-moi les dédains et la haine.Je sens que je t'adore et te hais tour-à-tour.Guéris-moi, s'il se peut, de mon fatal amour.Pour dompter de ton coeur la fière indépendance,La haine me suffit et sert mieux ma vengeance. Autour de Washington le piège est préparé ;De ton culte idolâtre il est l'objet sacré,Et le plus ferme appui d'un Sénat qui m'outrage ;Je veux, pour te punir, l'immoler à ma rage. SCÈNE V. Lismor, Madame Nelson. MADAME NELSON. Lismor, Johnson m'est cher ; il fut mon bienfaiteur ; Mais l'état a des droits plus sacrés sur mon coeur. LISMOR. Des droits ! Sur vos soupçons si j'éclairais votre âme ;Si j'osais m'expliquer, vous frémiriez, Madame. MADAME NELSON. Quoi ? LISMOR. Le ciel, de vos jours allumant le flambeau,N'a point, dans nos climats, placé votre berceau. Triste fruit d'un hymen qu'entourait le mystère,Abandonnée aux mains d'une femme étrangère,En franchissant les mers, vous étiez dans ces lieuxAvant que la raison pût dessiller vos yeux :La terreur enchaînait ceux qui vous ont fait naître ; Tout change ; Johnson vient ; vous allez les connaître. MADAME NELSON. Ô ciel ! À tant d'espoir dois-je livrer mon coeur ?Qui vous l'a dit ? LISMOR. Lui-même. MADAME NELSON. Ô surprise, ô bonheur !Il est donc vrai.... Johnson.... je doute si je veille.Quel nouveau sentiment dans mon âme s'éveille ! Si c'était.... où laissé-je égarer mes esprits ?Ah, Lismor ! Quoi, mes voeux ne seraient point trahis ?Quoi ? Je pourrais, au gré de mon âme ravie,Presser entre mes bras les auteurs de ma vie !Moi, qui n'en eus jamais un regard caressant, Don fatal que l'hymen reçut en frémissant,Je pourrais espérer... Grand Dieu ! Que je les voie !Dieu ! Que leurs coeurs touchés de l'excès de ma joie.... SCÈNE VI. Madame Nelson, Lismor, Johnson. MADAME NELSON. Ah, Seigneur ! Vous savez le secret de mon sort ;À mes sens trop émus pardonnez ce transport. C'est vous qui, le premier recueillant ma misère,Avez daigné longtemps me tenir lieu de père.Toujours de vos bontés j'éprouvai les effets.Seigneur ! Mettez le comble à de si grands bienfaits.À l'exil, en naissant, à l'oubli condamnée, J'attends qu'un mot de vous fixe ma destinée.Quel pays m'a vu naître ? À qui dois-je le jour ? JOHNSON. Gage unique et sacré d'un vertueux amour !Objet infortuné des plus tendres alarmes,Que vous avez coûté de regrets et de larmes ! La fierté d'un aïeul, tout puissant et cruel,Menaçait vos parents d'un divorce éternel.Hélas ! Tant qu'il vécut, un aveu téméraireAux plus affreux dangers exposait votre mère :Vous jugez si j'ai dû, par un zèle indiscret, Vous confier alors ce dangereux secret,Le ciel a terminé leurs malheurs et vos peines ;C'est le sang d'un Anglais qui coule dans vos veines. MADAME NELSON. Et cet Anglais, Seigneur... ô ciel ! Vous soupirez,De quel charme inconnu mes sens sont enivrés ? Si j'en crois mes transports, ce trouble, ce silence,La nature vous parle, et je sens sa puissance. JOHNSON, à part. Je ne puis plus longtemps résister à sa voix. MADAME NELSON. J'ai retrouvé mon père, et c'est lui que je vois. JOHNSON. Oui. MADAME NELSON. Je tombe à vos pieds. JOHNSON. Viens dans mes bras, ma fille. Digne appui, seul espoir de ta noble famille,Que ton père est heureux, si, dans ces doux moments,Tu partages sa joie et ses ravissements ! MADAME NELSON. Dieu ! Si je les partage ! Eh ! Qui peut, ô mon père !Balancer dans mon coeur un si saint caractère ? Non, rien n'égalera, j'en jure à à vos genoux,Le filial amour que je ressens pour vous. Il est encor un bien qui manque à ma tendresse ;Ma mère de ma joie eût augmenté l'ivresse :Quand pourra votre amour, pour combler mon espoir, Rassasier mes yeux, du bonheur de la voir. JOHNSON. À la cour de nos rois, l'orgueil de sa naissanceRépand sur moi l'éclat d'une illustre alliance.Là, tu verras ta mère, au sein de la faveur,De son rang avec toi partager la splendeur ; Et moi, prompt à remplir les voeux de l'Angleterre,Sitôt que de ces bords j'aurai chassé la guerre,Je te ramène à Londres, où je porte la paix.Le congrès semble enfin seconder mes projets.Sur les bruits que l'armée a pris soin de répandre, Washington, rappelé, dans ces lieux va se rendre.Demain de l'Amérique on va régler le sort ;Demain j'attends du peuple un courageux effort...Que vois-je.... Tu frémis... Tu gardes le silence.Tes regards semblent fuir et craindre ma présence. MADAME NELSON. J'ose vous l'avouer ; Washington est, Seigneur,Des mortels, après vous, le plus cher à mon coeur.Par sept ans de combats, génie infatigable,Il avait, sur l'Anglais, tout puissant, implacable,Conquis la liberté d'un nouvel univers ; Et le peuple séduit veut rentrer dans vos fers. JOHNSON. Dans nos fers ? Lui ! Jamais, garde toi de le croire ?Va : ta crainte est injuste, elle offense ma gloire ?Il obtient tous les droits dont il était jaloux,Et la paix va le rendre aussi libre que nous. MADAME NELSON. Vous, libre ! Ah, pardonnez ! Peuple anglais, tu crois l'être ?Et le vil intérêt, ton idole, ton maître,Secondant, malgré toi, des ministres trompeurs,Du trône et du Sénat repoussa nos clameurs,Et quand de mon aïeul l'âme inflexible et dure, Par orgueil, étouffait le cri de la nature,Menaçait votre hymen, tenait ma mère aux fers,Reléguait mon enfance au bout de l'univers ; Mon père ! Étiez-vous libre, alors ? Et la justiceA-t-elle osé vous tendre une main protectrice ? Que dis-je ! Avez-vous même osé la réclamerPour tout ce que l'amour vous commandait d'aimer ?Eh ! Comment voulez-vous nous donner l'assuranceD'un bien qui si longtemps trompa votre espérance ?On peut sans la vertu, les moeurs, l'égalité, Connaître la licence et non la liberté ;La flamme qui l'anime est trop pure et trop belle ;Les peuples corrompus ne sont pas faits pour elle.Ici, loin des tyrans, l'homme plus vertueux,Plus près de la nature, est né pour être heureux. En lui donnant la paix, respectez, ô mon père !D'un peuple encor nouveau les moeurs, le caractère.La triste humanité, dans un autre univers,Gémit sous le fardeau des préjugés, des fers ;Laissez, du moins, laissez, sur la terre, un asile Où tout infortuné pauvre, faible, tranquille,Puisse, d'un ciel plus doux éprouvant les bienfaits,Trouver la liberté, l'innocence et la paix. JOHNSON. J'estime ta franchise et ton noble courage ;D'un coeur sensible et bon c'est le digne partage. Tout Anglais que je suis et ministre d'un roi,De tout temps j'ai pensé, j'ai parlé comme toi.Ainsi donc, à tes yeux, je puis en assuranceM'ouvrir sur un objet dont tu sens l'importance ;Et même si tu veux seconder mon dessein, Ma fille, pour adieux au peuple Américain,Tu lui rends un service et lui deviens plus chère.Des offres que je fais au nom de l'Angleterre,L'avantage est si grand qu'il doit en imposer.Fût-il plus grand encor, il faut tout refuser ; Il faut que le congrès demain demande à reconnaître L'Anglais pour allié, sans le vouloir pour maître.Revêtu d'un pouvoir qui n'est point limité,J'accepte l'alliance et signe le traité.Vas toi-même à Laurens révéler ce mystère ; Mais à d'autres que lui, songe qu'il le faut taire. MADAME NELSON. Oui, j'y cours. JOHNSON. Et surtout, pour ton propre intérêt,Que ta naissance ici soit encor un secret. MADAME NELSON. Quel bonheur de servir et l'auteur de ma vie,Et les lieux dont j'ai fait si longtemps ma patrie ! Elle sort. SCÈNE VII. Johnson, Lismor. LISMOR. Qu'ai-je entendu, Johnson, et qu'avez-vous promis ?Grand Dieu : que deviendront vos malheureux amis?C'est vous qui, du congrès mendiant l'alliance,Prétendez l'affermir dans son indépendance ? JOHNSON. L'affermir ! À quel prix ? Lismor, le savez-vous ? Qu'il rompe avec la France, en s'unissant à nous.S'il y consent, privé d'un appui nécessaire,Il ne peut échapper au joug de l'Angleterre ;Le parlement, chargé de revoir le traité,Bientôt s'expliquera comme un maître irrité. LISMOR. À cette offre trompeuse, enfin, s'il se refuse ? JOHNSON. C'est à quoi je m'attends ; alors rien ne l'excuse,Aux yeux d'un peuple simple et qui n'est que trop lasDe sa longue infortune et de tant de combats.Le congrès tout entier demain se renouvelle : Je veux, en l'accablant, déconcerter son zèle,Et, par un grand exemple, au moins faire tremblerLes nouveaux sénateurs qu'on est prêt d'installer.De brigands étrangers une horde innombrableArrive et nous devient un appui formidable. Lismor, vous les verrez, demain, de toutes parts,À flots impétueux, inonder vos remparts.Et, Tandis que le congrès frémira d'épouvante,À ses yeux consternés soudain je me présente ;Et si dans nos débats, surmontant son effroi, Quelqu'un de vos tyrans s'élève contre moi,Je me repose, ami, sur vos soins magnanimes :Excitez les mutins ; marquez leur les victimes ;Et surtout redoublez leurs transports furieuxSitôt que Washington paraîtra dans ces lieux ; Alors.... mais vous savez ce qui vous reste à faire.Que ma fille vous soit favorable ou contraire,Renoncez pour jamais à votre ingrat pays,Et comptez sur l'hymen que je vous ai promis. ACTE III Le théâtre représente la salle du congrès, les galeries sont vides, les députés sont sur leurs banquettes, le premier secrétaire est au fauteuil, il voit arriver Laurens, il lui cède le fauteuil du président, et va reprendre sa place de premier secrétaire. SCÈNE PREMIÈRE. LE SECRÉTAIRE. Johnson est dans nos murs ; et la foule égarée, À ses séductions secrètement livrée,Viendrait ici peut-être appuyer ses projets. LAURENS. Et votre ordre absolu l'éloigne du congrès.De quel droit les agents du pouvoir populaireOsent-ils s'entourer des ombres du mystère ? Aux décrets du Sénat c'est à moi de céder ;Mais j'abdique à l'instant l'honneur d'y présider. LE SECRÉTAIRE, le retenant. Respectable Laurens, ce peuple à peine est libre :Rien ne peut arrêter dans un juste équilibre,Son esprit incertain, trop prompt à s'alarmer. De nos dangers nouveaux on craint de l'informer. LAURENS. Le soin de le soustraire à des maux qu'il ignoreLe livre à des soupçons plus dangereux encore.Il est libre ; il suffit. Votre injuste dédainBlesse la majesté d'un peuple souverain. Né dans les préjugés d'un honteux esclavage,L'homme de sa raison a méconnu l'usage,En cherchant, loin de lui, par attrait pour l'erreur,D'utiles vérités qui dorment dans son coeur.Par dix siècles d'efforts, un rayon de lumière Peut à peine entrouvrir sa débile paupière ;Que la liberté parle à son coeur comme au mien,Son âme alors s'élève aux droits du citoyen ;L'esclave devient homme en devenant son maître :Chaque instant vaut un siècle au peuple qui veut l'être. LE SECRÉTAIRE. Mais songez-vous qu'hier ses cris séditieuxNous ont fait rappeler Washington dans ces lieux ? LAURENS. Je sais que des soldats la voix accusatrice,Contre lui du congrès invoquant la justice,A longtemps attendu : s'ils n'avaient dénoncé Qu'un citoyen obscur, auriez-vous balancé ?Loin de blâmer le peuple alors qu'il est extrême,De ses emportements n'accusons que nous-mêmes.Il n'a pas reconquis l'égalité des droitsPour voir des citoyens plus puissants que les lois. Je porte à Washington l'amitié la plus tendre ;Mais il est accusé, qu'il vienne se défendre ;Et nous à tous les yeux montrons la vérité :C'est l'éclat du grand jour qui sert la liberté.Le peuple, trop en butte aux traits de l'imposture, Cruel par ignorance, est bon par sa nature,Soupçonneux et facile, il se laisse égarer ;Voulez-vous qu'il soit juste ? Il le faut éclairer.Si nos malheurs passés n'avaient pas su l'instruire ;S'il ne s'était armé contre l'art de séduire, Au nom d'un Dieu de paix les fiers épiscopauxDu fanatisme encor allumaient les flambeaux.Un souffle a renversé, du sein de l'opulence,Ce colosse d'orgueil, fondé sur l'ignorance.Déjà, de toutes parts, nos ministres sacrés Abjurent un vain faste et sont plus honorés.J'ai vu ces citoyens que la voix populaireFait monter aux emplois d'un si saint ministère ;De cette auguste enceinte ils attendent l'accès,Impatiens d'offrir leur hommage au congrès, En foule sur leurs pas, charmé de les entendre,Dans ces lieux respectés le peuple vient se rendre.Sénateurs, prononcez ; y sera-t-il admis ? Tous les membres du congrès se lèvent.Le sénat y consent. Laurens fait signe aux huissiers d'ouvrir au peuple les galeries et d'introduire les ministres du culte. LE SECRÉTAIRE. Puissent nos ennemis,De ce peuple en secret excitant les murmures, Ne pas faire à l'État de mortelles blessures ! SCÈNE II. Le Congrès, Laurens, Le PREMIER Secrétaire, Députation des Ministres du Culte, L'Orateur, Peuple, Lismor, Huissiers. L'ORATEUR, à la barre. De notre liberté courageux fondateurs,Et de ce vaste empire immortels bienfaiteurs,Dont les hardis travaux, la sagesse profonde,Vont servir de signal et de modèle au monde. Sur d'antiques abus désormais éclairé,L'homme à l'Être Suprême offre un culte épuré.Oui, la religion, des lois que l'homme enfante,Chaste fille du ciel, naquit indépendante,On la vit, dédaignant leurs profanes secours, Charitable, indigente, humble dans ses beaux jours,Même aux yeux des tyrans, ardents à la proscrire,Étendre sur les coeurs son pacifique empire.Jamais de plus d'éclat n'ont brillé nos autels ;Mais la foi vive et pure y guidait les mortels. L'intérêt corrompt tout ; une loi tyranniqueFit de nos dogmes saints un ressort politique,Qui, servant à la foi le sceptre et l'encensoir,Enchaîna la raison sous un double pouvoir.Dieu ! Si tu m'as donné ce rayon qui m'éclaire, Ce n'est que pour t'offrir un culte volontaire.Qu'un despote insolent m'ait imposé la loi ;Mon corps est dans ses fers ; mon âme n'est qu'à moi.Ou mon hommage est libre, ou la loi n'est qu'un piège ;Elle fait un rebelle, ou veut un sacrilège. Les prêtres consacraient ces moyens corrupteurs ;En approchant du trône ils en prenaient les moeurs ;De la raison captive, éternisaient l'enfance ;Des États décharnés dévoraient la substance ; Rivaux des souverains, en usurpaient les droits, Et mettaient leur orgueil à régner sur les rois.Vos décrets ont proscrit l'orgueil et l'avarice,La superstition, la fraude, l'artifice,Et jusqu'au fanatisme, allumé par nos mains.Fléau le plus affreux des crédules humains, Lui qui depuis mille ans fut la source féconde,De guerres, des forfaits et des malheurs du monde.J'ose, ici, devant vous, attester l'ÉternelQue mon coeur applaudit à ce soin paternel.Par le même serment chacun de nous se lie. Soumis à vos décrets, je jure à la patrieDe remplir les devoirs d'un libre citoyen,D'un pasteur vigilant et d'un humble chrétien. LAURENS. Content de vos serments, touché de votre hommage,Le congrès le reçoit comme un heureux présage : Il est digne du siècle et de vous d'abjurer Des abus que l'erreur sut longtemps consacrer : Qui pense en citoyen doit s'honorer de l'être :La vérité sied bien dans la bouche d'un prêtre. Un huissier vient parler bas au secrétaire. LE SECRÉTAIRE, au président. Johnson vient ; il demande à paraître à nos yeux, Et la foule, à grands cris, l'accompagne en ces lieux. L'ORATEUR. Je trahirais la loi que mon serment m'impose,Si, malgré les dangers où cet aveu m'expose,Je pouvais vous cacher les horribles projetsQui, tout prêts d'éclater, menacent le congrès. Les vils adulateurs du pouvoir arbitraire,Pour offrir à Johnson, leur appui mercenaire,Secrètement armés de glaives, de poignards,De leur foule innombrable assiègent vos regards.Washington n'est que trop en butte à leur furie : S'il vient seul dans nos murs, je tremble pour sa vie :Dérobez ce grand homme aux pièges du trépas :Ordonnez que l'on vole au-devant de ses pas. LISMOR. C'en est trop ; je frémis d'horreur et de colère...Nous ne permettrons point qu'on ose... LAURENS. Téméraire ! De quel droit, sans mon ordre, élevez vous la voix !Citoyen, apprenez à respecter les lois. LISMOR. Quoi ? D'un zèle perfide empruntant le langage,On peut impunément nous prodiguer l'outrageGénéreux citoyens ! Est-ce à nous de souffrir L'affront, l'indigne affront dont on veut nous couvrir ? Au président.Quel est-il ce complot qu'on vous a fait entendre ?Oui, nous sommes armés ; mais c'est pour vous défendre,Et surtout pour punir les ennemis secretsDont l'éternelle adresse est d'écarter la paix. LAURENS. Quoi ! Des armes ? LE SECRÉTAIRE. Grand Dieu ! Dans cet auguste enceinteLa majesté des lois peut souffrir cette atteinte ?Sortons. LAURENS. Que faites-vous, juste ciel ! Arrêtez ;Magistrats, sentez-vous qui vous représentez ?Des peuples réunis de cet immense empire, En nous seuls le pouvoir, la volonté respire.S'il est un citoyen assez audacieuxPour lever contre nous un front séditieux,Je le déclare infâme et traître à la patrie,Et je veux, qu'à jamais sa mémoire flétrie Inspire autant d'horreur, qu'il doit sentir d'effroi. À l'huissier.Vous pouvez faire entrer le ministre d'un roi. SCÈNE III. Les Mêmes, Johnson. LAURENS. Johnson, l'horreur de voir ce nouvel hémisphère, Menacé de subir le joug de l'Angleterre,D'un peuple, juste et brave, irritant la fierté ; Il a depuis sept ans conquis sa liberté.Ce que n'ont pu sur nous vos flottes, vos armées,Nos cantons dévastés, nos villes consumées,Vos cruautés, votre or, l'indigence et la faim,D'un traité captieux vous l'espérez en vain. Loin de nous une lente et fausse politique.Si vous n'avez conçu qu'un projet pacifique ;Transportez vos soldats loin de notre univers,Sur les nombreux vaisseaux dont vous couvrez nos mers,Et, des États-Unis respectant la puissance, Reconnaissant nos droits et notre indépendance,Au nom du peuple Anglais offrez-nous un traité :Mais fondé sur l'honneur et sur l'égalité :A tout autre intérêt gardez-vous de prétendre ;Par amour pour la paix, nous pourrons vous entendre. JOHNSON, au parquet. Sénateurs, citoyens, ma conduite et ma foiRepoussent des soupçons trop indignes de moi.Vous savez si Johnson au Sénat britannique,Contre tous vos tyrans, défendit l'Amérique ;Si vous eûtes jamais un plus constant appui. Eh ! Pourquoi voulez-vous que je vienne, aujourd'huiVil flatteur des Anglais, vous les offrir pour maîtres ?Ne descendez-vous pas de leurs braves ancêtres ?N'avez-vous pas puisé dans leur sein courageuxL'indomptable fierté qui vous arme contre eux ? Soyez indépendants ; mais loyaux et sincères ;Devenez à jamais nos amis et nos frères.Nos droits seront égaux ; voilà le seul traitéQue, pour vous et les miens, mon amour m'a dicté :Tout nous en fait la loi. Cette heureuse harmonie, Par des noeuds fraternels entre nous rétablie,Vous garantit la paix, vous promet le bonheur,Et fait des deux États la force et la grandeur.Laissez, le coeur en proie à sa haine immortelle,Notre ennemi commun se parer d'un faux zèle ; Lui, qui ne vous offrant que de faibles secours,De nos tristes débats veut prolonger le cours ; .Il croit de l'un par l'autre énerver la puissance ;Hâtez-vous d'abjurer sa perfide alliance :Alors... LAURENS. Vous oubliez, en parlant au congrès, Que ce Sénat auguste est l'ami des Français ;Qu'il a donné sa foi ; qu'il ne sait point l'enfreindre ;Qu'il ne doit point souffrir, et n'est pas fait pour craindreL'injurieux excès de vos ressentiments.Quiconque nous invite à trahir nos serments, Serait-il bien fidèle à ceux qu'il nous propose ?Si nous rompions les noeuds qu'un traité nous impose ;Nul peuple désormais n'osant nous secourir,L'Anglais plus aisément pourrait nous conquérir.Pour la France et pour nous, même pour l'Angleterre, Nous choisissons la paix ; sans les Français, la guerre. LE PEUPLE. Non, non. JOHNSON. Vous préférez au devoir, à l'honneur,Au sang qui nous unit, un ennemi trompeur !Quand, le coeur dévoré d'une haine implacable,Le fer, la flamme en main, l'Anglais impitoyable Viendra vous écraser du poids de son courroux,Quand vos toits embrasés s'écrouleront sur vous,J'en atteste du ciel la justice suprême,Ingrats, de vos malheurs, n'accusez que vous-même. Il sort. LISMOR. Eh bien, nous renonçons à la France, aux combats, Nous demandons la paix. Il se lève, ainsi que ses conjurés. LAURENS. Vous ne l'obtiendrez pas. Tandis que Lismor et les siens tirent leurs poignards, d'autres conjurés sont en foule à la porte du parquet, ils attaquent les sentinelles et se jettent sur elles. Laurens continue.Je vois grossir les flots d'une horde en furie. Aux sénateurs.Rivaux de nos guerriers, mourons pour la patrie. LES SÉNATEURS, en se levant. Mourons. Les galeries se remplissent de soldats qui désarment Lismor et ses compagnons. LAURENS. Le bruit, l'horreur, les cris sont redoublés.Traîtres, que faites-vous ?... Washington vient ; tremblez. Quelques conjurés, le bras levé à deux pas des sénateurs, s'arrêtent au nom de Washington. SCÈNE IV. Les Mêmes, Lincoln, Soldats, qui remplissent l'intervalle entre les sénateurs et les conjurés. LAURENS. Soldats, désarmez-les ; qu'on fasse aux plus rebellesExpier dans les fers leurs trames criminelles,Et que la honte soit leur premier châtiment. Les conjurés sont arrêtés et emmenés. LINCOLN. Que le bonheur public ajoute à leur tourment.Washington reparaît, mais rayonnant de gloire : Sénateurs, apprenez sa nouvelle victoire.Non, jamais un héros, sensible et généreux,Ne sut mieux préparer un exploit plus heureux.Du sang des citoyens on l'a cru trop avare ;L'oeil ouvert, sur les pas d'un ennemi barbare, Dans un piège insensible il voulait l'enchaîner ;Un succès éclatant vient de le couronner.Tout nous annonce un terme à nos longues alarmes :Cornalis et les siens nous ont rendu les armes. Il sort. SCÈNE V. Les mêmes, Washington, suite. LAURENS, à Washington. Ô vous ! Dont la sagesse, en nous rendant vainqueurs. Sait désarmer la haine et conquérir les coeurs.Entre tous les grands noms célèbres par la guerre,Qu'ont transmis jusqu'à nous les fastes de la terre,Nul ne peut opposer au peuple AméricainUn héros plus modeste et surtout plus humain. WASHINGTON. J'ai rempli les devoirs d'un citoyen fidèle,Et si quelque succès a couronné mon zèle,Je le dois aux guerriers dont l'héroïque ardeurDe mes nobles travaux a partagé l'honneur.Un projet inouï, mûri dans le silence, Avec moi dès longtemps concerté par la France,Préparait ce grand jour, si cher à mes souhaits,Qui doit nous assurer et l'empire et la paix.C'est, au même signal donné dans les deux mondes,Que de leurs pavillons couvrant le sein des ondes, Les généreux Français, des bords de l'OcéanEt des lointains climats de l'antique Indostan,Vers nous sont accourus, franchissant les barrièresQue l'Anglais élevait sur nos mers prisonnières.Cornalis, investi, pressé de toutes parts, D'un combat inégal éprouvant les hasards,N'a pu nous opposer qu'une faible défense, LAURENS. Washington, pardonnez à mon impatience ;Je croyais que mon fils accompagnait vos pas ;Je l'attendais ; pourquoi ne le revois-je pas ? Vous vous troublez.. Ô ciel... Quel jour affreux m'éclaire ! WASHINGTON. Si la gloire d'un fils peut consoler un père ;Jamais plus de vertu n'illustra la valeur.Et ce qui met le compte à ma juste douleur,Je suis de tous vos maux la cause involontaire. Par les mains d'un Anglais féroce et sanguinaire,Mon fils et mon épouse allaient m'être ravis ;Ils m'ont été rendus ; mais, ô ciel, à quel prix !Nous perdons un héros. LAURENS. La liberté nous reste. SCÈNE VI. Les mêmes, Lincoln, suite. LINCOLN. Craignez encor pour elle : un désordre funeste, Une affreuse révolte éclate dans ces lieux.Un ramas d'étrangers, de brigands furieux,Dans vos murs introduit, prêt à remplir la villeDe toutes les horreurs de la guerre civile,A recueilli Lismor échappé de nos mains ; Le traître, secondant leurs complots inhumains,Irrite leurs transports, sème partout la crainte,Et dirige leurs pas vers cette auguste enceinte.On croit voir même au loin quelques vaisseaux AnglaisDe ce vil stratagème attendre le succès. WASHINGTON. A l'instant, jusqu'au port, frayez-vous un passage ;Allez, mon cher Lincoln, protéger le rivage :On peut nous y surprendre. Lincoln et sa troupe sortent.Amis, n'attendons pasQu'en ces lieux des brigands osent porter leurs pas :Volons au devant d'eux, et qu'à ma voix docile, Le soldat leur oppose un courage tranquille. LAURENS, Descend dans le parquet, ainsi que tous les députés. Magistrats, déployons ce drapeau menaçantQui, fatal au coupable, avertit l'innocent.Il nous faut distinguer, d'un peuple qu'on égare,L'hypocrite indigné, l'ambitieux, l'avare, Dont les complots secrets, sûrs de l'impunitéVoudraient faire à nos coeurs haïr la liberté. WASHINGTON. Armons-nous contre eux seuls d'une équité sévère.Il est temps qu'un exemple affreux, mais nécessaire,Enseigne à respecter le plus sacré des droits ; La force des États naît du maintien des lois. ACTE IV Le théâtre représente une grande plaine sur les bords de la Delaware, nommée le champ de la Fédération. Tous les préparatifs sont faits : sur l'autel de la patrie, on voit en forme de colonne la table d'airain sur laquelle est le traité d'alliance avec les Français. SCÈNE PREMIÈRE. LINCOLN, fait poser deux sentinelles sur les degrés de l'autel et deux autres plus bas ; il monte à l'autel, le reste de sa troupe se range des deux côtés. Non, l'Anglais ne vient point menacer ce rivage ;Poursuivi sur les mers, il cherche une autre plage.Le ciel nous favorise au gré de nos souhaits ;J'ai vu, j'ai reconnu le pavillon Français Généreux allié, vengeur de l'Amérique,Viens partager ici l'allégresse publique !Viens fléau des tyrans, par la gloire excité,Respirer avec nous l'air de la liberté !Embellis cette fête auguste et solennelle, Témoignage éclatant d'une amitié fidèle. En montrant la colonne.Où doit ce monument attester sur l'airainLe traité qui t'unit au peuple Américain.Chers amis, si j'en crois le silence des armes,Washington de ces murs a banni les alarmes. Aux sentinelles.Sur ces bords consacrés, quand nos législateurs,Rassemblant auprès d'eux les nouveaux sénateurs,Vont du peuple en leurs mains déposer la puissance,Vous, amis, redoublez de zèle et de prudence.Puissent les citoyens marquer un si beau jour Par des épanchements de concorde et d'amour ! SCÈNE II. Lincol, Guerriers, Le Sécretaire. LE SECRÉTAIRE. Le calme est rétabli, la paix est affermie.Les serviles agents d'une ligue ennemie,Par de honteux ressorts, par les plus vils moyens,Voulaient l'un contre l'autre armer les citoyens : Devant eux, tout-à-coup Washington se présente ;Son aspect les consterne, et sa voix foudroyante,Du perfide Johnson révélant les complots,L'habitant détrompé tombe aux pieds du héros.Déjà suivi des siens, Lismor a pris la fuite. Des guerriers de Macdal Washington prend l'élite,Et, s'échappant de nous, d'un pas précipité,Poursuit, loin de nos murs, Lismor épouvanté. LINCOLN prosterné. Macdal le suit ! LE DÉPUTÉ. Lui-même. LINCOLN. Ô douleur qui m'accable ! LE DÉPUTÉ. Quoi ! LINCOLN. De ses ennemis c'est le plus redoutable. LE DÉPUTÉ. Ô ciel ! LINCOLN. Mes yeux l'ont vu calme dans ses fureurs,Des soldats, en secret, exciter les clameurs,Et contre les Anglais animé d'un faux zèle,Jurer à Washington une haine immortelle.Chers amis, défendons ce héros, notre appui, Courons sauver ses jours, ou mourir avec lui. Avant qu'ils sortent, le peuple arrive en foule du bruit des tambours, des fifres et des haut-bois. On voit s'avancer le corps municipal, les membres de l'ancien et du nouveau congrès, les femmes, les vieillards, les enfants marchent ensemble. SCÈNE III. MADAME NELSON, arrivant seule. Écoutez, citoyens, Johnson était mon père,Vous tous qui respectez ce sacré caractère,Vous, témoins des complots dont il paraît l'auteur,Concevez, s'il se peut, mes regrets, ma douleur. Quand j'ai vu sur les siens éclater la tempête,À votre fer vengeur j'ai dérobé sa tête ;J'ai pu sauver ses jours, en vous gardant ma foi ;La nature et l'honneur m'en imposaient la loi ;Mais prompte à triompher de ma peine cruelle, Je m'arrache à mon père et vous reste fidèle :Il part ; il a reçu mes éternels adieux.Que Nelson ne soit plus étrangère à vos yeux,Ne me refusez point cette faveur suprême.J'ai puisé parmi vous, que j'estime, que j'aime, Et l'amour des vertus, et l'horreur des tyrans ;Je ne connais que vous, pour amis, pour parents ;Adoptés par mon coeur, ces lieux sont ma patrie,Et je viens pour jamais vous consacrer ma vie. LAURENS. Ce langage touchant, cet élan généreux Du coeur le plus sensible et le plus vertueux,[Note : Aucun vers ne rime avec le vers 1137.]Est pour nous un plaisir que le despote ignoreLe voeu que vous formez ou aime à l'accueillir.Comme un bien dont l'état devait s'enorgueillir. Madame Nelson va prendre sa place parmi les femmes. L'ORATEUR (nouveau député.) Je l'avouerai, Laurens ; dans mon respect pour elle, De la sage Nelson j'ai secondé le zèle.À l'envoyé d'un roi si j'ai servi d'appui,Si j'ai calmé le peuple, irrité contre lui,Des traits que sur vous tous lançait sa main impure,Je vous ai crus trop grands pour venger votre injure. Parmi tous les écrits, lâchement clandestins,Enlevés à Johnson et tombés dans vos mains,Un traître nous annonce et sa fuite et la guerre :Parjure à ses serments, il pense que la terreVa soudain embrasser avec avidité La cause des tyrans contre l'humanité :Ce mélange d'orgueil, de crime, de faiblesse,Part du coeur d'un esclave et marque sa bassesse.Je viens vous apporter... Offrant la lettre du traître Arnold. LE SECRÉTAIRE. Donnez. LAURENS, rejetant la lettre. Que faites-vous ?Non. Cet infâme écrit, trop indigne de nous, Souillerait les regards de ce sénat auguste :Qu'importe un vil esclave à l'homme libre et juste ?Les efforts des tyrans ne feront qu'aguerrirUn peuple qui prétend vivre libre ou mourir.De notre liberté l'édifice s'élève ; La valeur l'a fondé, que la vertu l'achève.Citoyens, l'univers attentif, étonné,Trouve enfin dans les lois qu'un peuple s'est donné,Ces grandes vérités dont la base éternelleEst la raison suprême, unique, universelle Qui ne peut émaner que d'un Dieu bienfaiteur,Et que l'homme, en naissant, porte au fond de son coeurLes peuples façonnés au dur métier des armes,L'un par l'autre opprimés, s'abreuvent de leurs larmes ;Un faux patriotisme enivrant la raison Des poisons de l'orgueil et de l'ambition,Alimente en leurs coeurs et la haine et l'envie ;Mais, fondé sur nos lois, l'amour de la patrieN'est que le pur amour de nos concitoyens ;La douce égalité qui forme nos liens, Loin de nous inspirer des haines meurtrières,Nous fait mieux souvenir que les hommes sont frèresVoulons-mous couronner nos généreux efforts ?Soyons toujours unis, nous serons toujours forts. Aux nouveaux Représentants.C'est à vous d'affermir cette paix fraternelle, Vous qu'à nous remplacer le voeu public appelle.Le sentier de la gloire, aplani devant vous,Vous promet des succès moins contestés, plus doux ;D'un pas sûr et hardi, marchez dans la carrièreOù notre heureuse audace a porté la lumière. Vous n'avez vu que trop quels troubles, quels combats,Quels obstacles sans nombre ont assiégé nos pas :D'un roi toujours séduit les trompeuses promesses ;De nos lâches tyrans les perfides caresses ;Leurs agents orgueilleux, confus, humiliés, Conjurés contre nous et par nous soudoyés ;Et l'hypocrite, armé de fraude et d'artifice,De l'intérêt du ciel couvrant son avarice ;Et l'ignorant imbu de préjugés honteux,Tous, en nous poursuivant de leurs cris scandaleux, Pour étouffer la voix de la raison suprême,Ont su, trop fréquemment, nous diviser nous-mêmesCe que de nos efforts nous nous étions promis,Nos éternels débats ne nous l'ont point permis ;Mais vous, que le succès, que notre exemple éclair Vous répondrez du bien qui nous restait à faire :Voilà le seul serment que la patrie et nous,Vertueux citoyens, nous attendons de vous. L'ORATEUR. Votre zèle intrépide, objet de notre estime,A fait passer en nous l'esprit qui vous anime. Si vous avez osez, du pouvoir des tyrans,Alors qu'ils triomphaient, saper les fondements,Nous saurons, entourés de leurs vastes ruines,De derniers préjugés extirper les racines :Nous le jurons. Il lève la main, ainsi que les autres membres de la nouvelle législature. LAURENS. Grand Dieu ! Daigne, du haut des cieux, Recevoir leurs serments et seconder leurs voeux !Place le repentir dans le coeur des rebelles !Citoyens, à nos lois vivons, mourons fidèles ;Sachons leur obéir, et que l'égalité, Le plus doux de nos noeuds, soit le plus respecté. SCÈNE IV. Les mêmes, Washington, Lincoln, Guerriers. Montant à l'autel de la patrie et levant la main ainsi que le peuple et les guerriers. WASHINGTON. Nous le jurons. LINCOLN, lui tendant la main. Macdal, recevez mon hommage.Lincoln d'un faux soupçon doit réparer l'outrage. Macdal embrasse Lincoln. VASHINGTON. À l'aspect des fuyards, Macdal m'a devancé,Et d'un front menaçant, vers eux s'est élancé.Honteux de leur révolte, ils ont maudit leur crime, Ont accusé Lismor, et l'ont pris pour victime.Alors je les ai vus, de son sang tout couverts,Soumis et désarmés, me demander des fers.Vous aviez dans mes mains remis votre puissance,Et j'ai pu sans danger, céder à la clémence. MACDAL. Pour vous accompagner quand vous m'avez choisi,Saviez-vous qu'en secret j'étais votre ennemi ? VASHINGTON. Je savais que votre âme à l'honneur asservie,Haïssait Washington, et non pas la patrie. MACDAL. Témoin de vos vertus, fait pour les admirer, J'ai pu sentir la haine, et je dois l'abjurer. LINCOLN. Le sage Washington possède un art suprême,C'est d'enseigner à l'homme, à s'estimer lui-même. LAURENS. Citoyens, célébrons le noeud qui pour jamais,Sur la foi d'un traité, nous unit aux Français ; Ils n'ont voulu, pour prix d'une amitié si tendre,Que l'honneur immortel de venir nous défendre. LINCOLN. Laurens, vous entendez ces cris et ces transports,Nos généraux amis s'empressent sur nos bords :Mes yeux depuis longtemps ont su les reconnaître, Et leur ambassadeur devant nous va paraître. SCÈNE V ET DERNIÈRE. Les mêmes, L'Ambassadeur de France, Suite. Le peuple se range de manière à laisser libre la marche de l'Ambassadeur et de sa suite, au bruit des canons, des tambours, des fifres, et des hauts-bois. L'AMBASSADEUR. Magistrats, dont l'audace étonna l'univers,Calmes dans la tempête, et grands dans les revers,Vous sûtes, par l'effet d'une sage harmonie,Enfanter des vertus, un peuple, une patrie ; Et livrés à vous seuls, sans or, et sans soldats,Des fers de l'Angleterre, affranchir vos climats :Ennemis des tyrans, sans connaître la haine,Nous révérons en vous l'âme républicaine,Qui, de l'humanité rétablissant les lois, Dans vos oppresseurs même, en respecte les droits.Quand vous goûtez les fruits d'une utile victoire,Quand le peuple Français, heureux de votre gloire,Vous félicite ici par son ambassadeur,Le devoir qu'il m'impose est bien cher à mon coeur. LAURENS. Voyez ce monument de la reconnaissance .C'est le garant sacré de l'étroite alliance,De la pure amitié, qu'en ce jour solennel,Nous venons vous jurer, à la face du ciel. L'AMBASSADEUR. Citoyens, c'est ici l'autel de la patrie : Je le prends pour témoin du serment qui nous lie.Ce génie immortel, l'homme de tous les temps,Qui dirigea la foudre et chassa les tyrans,Politique profond et philosophe austère,Franklin, cher aux Français, a su du fière Ibère, Et du Batave enfin vous obtenir l'appui. À Washington.Émule du grand homme, immortel comme lui,Un peuple immense en vous, vengeur de son injure !Voit l'heureux créateur de sa grandeur future,Et fier de vos exploits, sur votre front guerrier, Attache avec transport l'olive et le laurier.Washington, il est beau qu'un si brillant hommageSoit le prix des vertus, autant que du courage. VASHINGTON. À ce discours flatteur, à ces généreux traits,Je reconnais le charme et le coeur d'un Français : Heureux dans mes travaux d'avoir conquis l'estimeD'un peuple courageux, sensible et magnanime.Que ce durable airain, aux siècles avenir,De vos vaillants guerriers porte le souvenir,Et dise qu'un traité, fruit de la bienfaisance, Vient d'affermir les droits de notre indépendance.J'ai donc vu sur la terre, enfin, l'égalitéRendre à l'homme avili toute sa dignité,Et, donnant à nos coeurs une force indomptable,Poser d'un vaste État la base inébranlable. LAURENS. Idole de mon coeur, premier bien des mortels,Liberté ! Si mon sang arrosa tes autels,Du moins, en terminant ma pénible carrière,Tes bienfaisantes mains fermeront ma paupière. ==================================================