******************************************************** DC.Title = LE PORTRAIT DU PEINTRE, OU LA CONTRE-CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES, COMÉDIE. DC.Author = BOURSAULT, Edme DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:18. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/BOURSAULT_PORTRAITDUPEINTRE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE PORTRAIT DU PEINTRE OU LA CONTRE-CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES COMÉDIE M. DC. LXIII. AVEC PRIVILÈGE DU ROI. Par le Sieur BOURSAULT. À PARIS, Chez CHARLES DE SERCY.Achevé d'imprimer pour la première fois le dix-sept Novembre 1663. Représentée pour la première fois en 1663 sur le Théâtre Royal de l'Hôtel de Bourgogne. MONSEIGNEUR, Je n'aurais jamais osé prendre la liberté de lever les yeux jusques sur VOTRE ALTESSE SÉRÉNISSIME, pour lui faire un Présent si peu digne d'Elle, sans la Permission qu'elle semble m'en avoir donné par les généreux Applaudissements dont Elle a eu la bonté d'honorer un Ouvrage qui n'est considérable que par l'avantage de ne lui avoir pas Déplu. Je sais MONSEIGNEUR, que la seule Gloire de votre Suffrage peut remplir la respectueuse attente d'une Personne aussi ambitieuse que moi ; mais quiconque a l'honneur de connaître combien il y a de plaisir à vous être redevable, ne peut s'empêcher de rechercher l'Occasion de vous être obligé plus d'une fois. Jamais Pièce n'eut si besoin d'Appui que celle que je vous consacre ; Et je ne vois point de Protecteur qui soit si Auguste que Vous. Car enfin, MONSEIGNEUR, si l'on considère VOTRE ALTESSE SÉRÉNISSIME du côté du Sang, celui dont elle est formée ne produit que des Héros qui naissent pour immortaliser les Siècles qui auront eu le bonheur de les posséder ; et pour ce qui est de la capacité, il semble qu'il n'y ait que ces mêmes Héros qui aient mérité de faire voir à la Postérité que la Naissance Royale n'est pas incompatible avec les sublimes Clartés que l'on remarque en Eux. À toutes ces illustres vérités, MONSEIGNEUR, je n'en veux joindre qu'une ; Je suis avec tout le respect imaginable, MONSEIGNEUR, De V. A. SÉRÉNISSIME, Très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur, BOURSAULT. AU LECTEUR. Je ne me serais jamais avisé, mon cher Lecteur de vouloir t'ennuyer par une espèce de Préface, si je n'étais obligé d'en faire le sacrifice à la Gloire outragée des plus honnêtes Gens de notre Siècle. Si l'on s'était contenté de me ravir l'avantage d'avoir attaqué Molière, et de l'avoir réduit à la honteuse nécessité de recourir aux invectives pour repousser la Satyre spirituelle qui a mis en plein jour les défauts du plus considérable de ses Ouvrages, j'eusse laissé la liberté du doute à tous ceux à qui l'on a voulu persuader que je n'étais pas l'Auteur de la moindre chose que je sois capable de produire ; Mais il n'est pas juste que je me laisse dépouiller d'un bien qui ne peut enrichir personne, et je suis contraint de défendre tout le Parnasse contre l'injurieuse charité qu'on lui a voulu prêter. Les grands Hommes n'ont point d'occupations si basses, ils ne travaillent qu'alors qu'il y a de la gloire à acquérir ; et c'est dire assez clairement que Molière n'a rien à craindre d'Eux. Pour moi je suis redevable à l'Ouvrage qu'il m'a voulu faire : croire ma Pièce digne de ceux qui sont accusés d'y avoir mis la main, c'est demeurer d'accord de son mérite, et toutes les injures qu'on me dit dans le Galimatias que Molière appelle Impromptu ne peuvent détruire la bonne Opinion qu'il a fait concevoir de mon Ouvrage. Je pourrais repousser ces injures par d'autres injures plus piquantes, si j'en avais aussi bien la volonté que j'en ai le droit, mais je n'y suis pas accoutumé comme lui ; Et puis cette sorte de vengeance est si indigne d'un honnête homme, que la sienne n'a pas eu lieu de me surprendre. PERSONNAGES DAMIS, Baron, amant d'Amarante. AMARANTE, maîtresse de Damis. CLITIE, cousine d'Amarante. LE COMTE, courtisan ridicule. LE CHEVALIER DORANTE, courtisan ridicule. LA MARQUISE ORIANE, qui fait la Précieuse. LISIDOR, poète. PETIT-JEAN, page d'Amarante. LA RAMÉE, laquais du Comte. La Scène est dans une Salle du Logis d'Amarante. SCÈNE PREMIÈRE. Clitie, Damis. CLITIE. Ma Cousine s'habille, et je viens vous apprendre Qu'elle a bien du regret de vous tant faire attendre ; Car de votre présence elle aura du plaisir ; Pour venir vous le dire elle a su me choisir. Votre retour la charme, et sa joie est extrême. DAMIS. La charmante Clitie est toujours elle-même, Toujours l'âme sensible, et le coeur obligeant, Il ne sort de sa bouche aucun mot affligeant. Plût au Ciel qu'en revanche une fille si belle En semblable rencontre eût besoin de mon zèle ! Il n'est soins ni devoirs que ne dût éprouver... CLITIE. Patience ; Il n'est rien qui ne puisse arriver, Je me sens dans un âge à ne plus guère attendre, Vous avez un cousin dont le coeur paraît tendre, Et s'il était d'humeur à languir sous ma loi Ce que je fais pour vous, vous le feriez pour moi. Quand ma cousine aussi daigne ouïr ma harangue À lui parler de vous je prépare ma langue ; De mon zèle assidu son esprit est confus ; Eussiez-vous des défauts, j'en ferais des vertus ; Je la charme par là (car je sais par moi-même Qu'on oblige une fille en louant ce qu'elle aime, Et que lorsqu'un amant s'est rangé sous nos lois, Qui nous vante sa grâce applaudit notre choix.) J'ai cent fois d'Amarante affermi la tendresse, Et du courtois Damis si j'étais la maîtresse, Peut-être que... DAMIS. Peut-être en amour n'est pas bon, Vous m'aimeriez peut-être, et peut-être que non : Quand d'un coeur une fois l'amour s'est rendu maître, Il ne veut rien devoir au secours d'un peut-être, Et quand d'une maîtresse on souhaite la main, Un bonheur dont on doute est un malheur certain. De ma chère Amarante un semblable peut-être... CLITIE. Amarante vous aime, et j'ai su le connaître, À pouvoir de sa bouche arracher cet aveu, Vous n'aurez point de peine, ou vous en aurez peu : Adieu mon cher ; souffrez qu'un moment je vous laisse, Je viendrai vous rejoindre avec votre maîtresse, À certaine Marquise elle donne à dîner Et touchant ce repas j'ai quelque ordre à donner : Entre amis tout s'excuse, et chacun s'accommode... DAMIS. Je m'en vais ; je vois bien que je suis incommode, Sur le soir Amarante aura plus de loisir... CLITIE. Vous n'auriez qu'à nous faire un pareil déplaisir, Ma charmante cousine en serait si surprise... DAMIS. Mais paraître en désordre auprès d'une Marquise, M'exposer de la sorte à des yeux délicats ! CLITIE. Si Damis l'appréhende il ne la connaît pas : Vous ne vîtes jamais dame plus incommode, Jusqu'au ton de la voix elle observe la mode, À la nature même elle impose des lois, En user autrement c'est sentir le bourgeois, Jamais ce qui vous plaît n'a l'honneur de lui plaire, Ce qu'on croit naturel lui paraît trop vulgaire, Et c'est à cette belle une espèce d'affront Que de boire et manger comme les autres font. Aussi quoi qu'elle fasse à toute heure on la joue, Mais alors qu'on la raille elle croit qu'on la loue, Elle tourne à son gré tous les mots qu'on lui dit, Si l'on rit de la voir c'est que l'on l'applaudit, Quand on la contrefait elle croit qu'on l'imite, Elle affecte des mots qu'elle seule débite, Et comme si son âme agissait par ressorts Son esprit se démonte aussi bien que son corps. Sur tout ce qui la choque on sait bien qu'elle glose, Mais lui plaire, et déplaire est une même chose, Vos soupirs à ses yeux ne sont pas adressés, Amarante vous aime, et cela c'est assez. Jusqu'au revoir. DAMIS. Ma joie est enfin apparente... SCÈNE II. Le Comte, Damis. LE COMTE, en entrant. Oh quelqu'un, fait-il jour chez la belle Amarante ? Ah, Ah, c'est toi Baron, ne fais pas le surpris ; Et depuis quand, mon cher, es-tu donc à Paris ? Parbleu de ton voyage il faut dire la cause ; Entrons. DAMIS. Tu peux entrer, mais pour moi je ne l'ose. On habille Amarante, et je viens de savoir Que dans quelques moments j'aurai l'heur de la voir, Par respect l'un et l'autre attendons qu'elle sorte. Mais peut-on me connaître à me voir de la sorte ? LE COMTE. Parbleu, Baron, tout autre y serait attrapé ; Te voilà Dieu me damne, assez bien équipé, [Note : Collet : partie de l'habillement qui joint le cou, qui se met autour du cou. Est aussi un ornement de linge qu'on met sur le collet du pourpoint pour la propreté. [F]]Têtebleu ! Des collets de dentelle de Flandre ! Justice. DAMIS. Quoi... LE COMTE. Parbleu, je ne veux pas t'entendre, Justice, Baron. DAMIS. Mais... LE COMTE. Mais Justice. DAMIS. Dis-moi... LE COMTE. Si tu m'en crois, Mon cher, ne va pas chez le Roi, Tu n'entrerais jamais dans la Salle des Gardes [Note : Nasardes : chiquenaude que l'on donne sur le bout du nez. On dit d'un homme ridicule, et faible, qu'il a le nez à camouflets ou à nasardes. [F]]Qu'il ne plût sur ton nez plus de mille nasardes. DAMIS. Quoi les Gardes... LE COMTE. Baron, moi qui te parle, moi, Je te dis en ami, si tu vas chez le Roi [Note : Point de Venise : se dit de toutes sortes de passements, et particulièreent de fil fait à l'aiguille. Les points de Genes, de Venise et d'Angleterre ont été défendus en France. On fait maintenant des points de France et de Paris. [F]]Que tu n'entreras point sans un point de Venise. DAMIS. Et s'il arrivait donc que par une surprise... LE COMTE. Quelque sot ! Sur mon âme on ne me surprend point, J'ai parbleu dépensé dix mille écus en point. Mais le bon de cela, Baron, quand je m'ajuste Pour me tirer du pair je calcule si juste Que parbleu, notre ami, chez les gens comme toi Quand la mode commence elle est vieille pour moi. Il me serait beau voir les dentelles de Flandres ! DAMIS. N'ai-je que ce défaut que tu puisses reprendre ? De ces riches collets si tel est le pouvoir Aussi bien comme toi j'ai moyen d'en avoir : Mais dis-moi dans Paris n'a-t-on pas la franchise ? Ce qui fait l'honnête homme est-ce un point de Venise ? C'est un faible avantage à ces gens du bel air Qu'emprunter du secours pour se tirer du pair : [Note : Heur : rencontre avantageuse. (...) [F] [antonyme de malheur]]Quand d'un sang assez bon nous avons l'heur de naître Notre éclat naturel nous doit faire paraître : C'est mon sentiment, Comte, et tu dois m'avouer... LE COMTE. Dieu me damne, Baron, tu te feras jouer, Prends garde à toi. DAMIS. Pourquoi ? LE COMTE. Pourquoi ! DAMIS. Daigne me dire... LE COMTE. Par ma foi cher Baron, ton pourquoi me faire rire, Il est bon. DAMIS. Mais pourquoi... LE COMTE. Continue. DAMIS. Apprends-moi... LE COMTE. On te jouera, te dis-je, Hé demande pourquoi Je t'en prie, Allons donc, soutiens ton caractère. DAMIS. Ou sois plus raisonnable, ou bien songe à te taire. LE COMTE. On te jouera. DAMIS. Dis donc quel sujet on aura... LE COMTE. On te jouera, Morbleu, parce qu'on te jouera. DAMIS. Mais... LE COMTE. Mais prends garde à toi, car nous avons un homme Qui fait mieux des portraits que les peintres de Rome ; Il vous dépeint, Morbleu, mais je dis traits pour traits ; Il est vrai, quelques sots ne s'en doutent jamais ; Quoi que des spectateurs tous les traits y paraissent, Plus ils sont ressemblants, moins ils les reconnaissent ; Ce qu'on a fait pour eux leur paraît pour autrui, Et tel y rit souvent de voir rire de lui. DAMIS. [Note : Badin : folâtre, enjoué, peu sérieux, qui fait des plaisanteries. [F]]À ce compte, ce peintre en badins vous érige ? Mais se voit-on jouer sans que l'on se corrige ? En est-il d'assez sots pour ne pas s'abstenir... LE COMTE. S'il est des sots, ma foi tu m'en fais souvenir Des sots ; Pour t'en montrer, et de plus d'une espèce. Si tu veux dès tantôt nous irons voir sa pièce, Mais il faut, notre Cher, me promettre ce point Si tu vas autre part que tu ne riras point. DAMIS. Pourquoi cela ? LE COMTE. Pourquoi ? Je ne puis te le dire, On m'a dit seulement que c'est là qu'on va rire, Et j'ai fait, têtebleu, des serments qui tiendront De ne rire jamais qu'où les autres riront. DAMIS. Moi qui hais ta manière, et qui suis équitable, Je ris quand j'ai de rire un sujet raisonnable, Et je tiens que tout homme à moins d'être brutal Doit rire de la chose, et non pas du signal. Car tu ris de voir rire, et ma foi je parie... LE COMTE. Et de quoi donc Baron, prétends-tu que je rie ? DAMIS. De quelque endroit risible où paraisse l'esprit. LE COMTE. Parbleu l'endroit risible est l'endroit où l'on rit, Je le soutiens. DAMIS. Soutiens, je suis prêt d'y souscrire ; Mais rit-on de l'endroit quand on rit d'y voir rire ? Pour juger d'un ouvrage il faut lire... LE COMTE. En effet ; Et voit-on en lisant les grimaces qu'on fait ? DAMIS. Cette Pièce... LE COMTE. Ma foi j'en ai fait deux lectures, Mais je n'y puis trouver ces plaisantes postures, Eh, parlez, dépêchez, vite, promptement, tôt. On appelle cela réciter comme il faut. Verra-t-on en lisant, fût-on grand philosophe, [Note : Voir l'Ecole des femmes, Acte V scène 9, Arnolphe, v. 1764.]Ce que veut dire un « Ouf » qui fait la catastrophe ? Baron « Ouf » ! Que dis-tu de ce « Ouf », placé là ? Par ma foi, cher Baron, il faut voir tout cela, Viens-y tantôt, mon fils, tu verras si j'impose. Mais venons au voyage, et m'en apprends la cause, On habille Amarante, et tu peux en deux mots... DAMIS. Sa divine beauté m'a ravi le repos, De l'oser déclarer la douceur m'est permise, Chacun sait qu'à Damis Amarante est promise. Et depuis mon départ jusques à mon retour Mille écrits de sa main ont flatté mon amour. La voici. SCÈNE III. Amarante, Clitie, Le Comte, Damis. AMARANTE, à un Page. Demeurez pour nous donner des sièges. LE COMTE. Notre ami le Baron est tombé dans vos pièges, Comment Diable, il vous aime, et vous n'en disiez rien, Finette ! AMARANTE. Je croyais que vous le saviez bien. Damis m'aime, je l'aime ; en est-ce assez ? CLITIE. Cousine [Note : Sourdine : se dit de toutes choses qui se font en cachette, et sans bruit. [F]]Il n'appartient qu'à lui d'aimer à la sourdine ; La Marquise d'Oriane a des appas si doux... LE COMTE. À propos d'Oriane, elle dîne chez vous, J'y dîne aussi, ma chère, et je suis de la bande, Sans façon. AMARANTE. Trop d'honneur. SCÈNE IV. Petit-Jean, Amarante, Le Comte, Damis, Clitie. PETIT-JEAN. Madame, on vous demande. AMARANTE. Nous voulons être seuls, retourne sur tes pas, Si c'est quelque fâcheux dis que je n'y suis pas. ORIANE. La voit-on, Madame ? PETIT-JEAN. Oui, mais je crains qu'elle crie. Si vous êtes fâcheuse elle sera sortie. ORIANE. Dis que c'est Oriane. PETIT-JEAN. Attendez donc un peu, Voilà qui c'est Madame, entrera-t-elle ? AMARANTE. Ô Dieu, C'est Madame ! ORIANE. Servante à ma toute adorable. AMARANTE. Holà, qu'on se dépêche et qu'on couvre la table, Puisque voilà Madame, il est temps de servir. Chacun se sied. ORIANE. Quel est ce gentilhomme, il est fait à ravir ? AMARANTE. C'est le Baron Damis. ORIANE. À qui vous devez être, Madame ? AMARANTE. Oui, Madame. ORIANE. Ah, je veux le connaître. DAMIS. N'eût été que j'ai craint de vous être suspect J'eusse précipité l'offre de mon respect, Madame, et désormais je prétends que mon zèle... ORIANE. Certes sa miniature est parfaitement belle. CLITIE. Miniature ! Mon Dieu que ce mot est bien dit, Et qu'il faut pour le dire avoir bien de l'esprit ! Je suis au désespoir de ne pas le comprendre. LE COMTE. Elle n'aperçoit pas ta dentelle de Flandres, Baron. ORIANE. Oh mon Dieu fi ! Chez le monde choisi Des beautés à la mode il faut être saisi ; La plus claire dentelle est la plus en usage, Et le point de Venise assaisonne un visage. CLITIE. Cousine, que Madame a de jolis détours, Et que cet assaisonne assaisonne un discours ! En effet, fi ! Votre âme est une malapprise ; [Note : Faire l'amour : courtiser, séduire.]Comment, faire l'amour sans un point de Venise ! DAMIS. Pour être en galant homme il faut donc de ce point. LE COMTE. Je l'ai dit, Dieu me damne, et ne m'en dédis point, [Note : Singe : se dit aussi d'un homme quand il affecte de contrefaire quelqu'un d'imiter ses actions, ses discours, son style. [F]]Il en faut pour paraître, et de plus notre singe Fait un nouveau tableau qui sera tout de linge. Je ne t'en avertis que de peur d'accidents, S'il te voit sur mon âme il te mettra dedans. Rien n'échappe à sa plume, et dedans sa critique Il n'est point de gros dos que sa langue ne pique : À jouer tout le monde il a tant de penchant... ORIANE. Hay, hay, hay ! AMARANTE. Qu'avez-vous ? ORIANE. Que vous êtes méchant Monsieur le Comte ? LE COMTE. Moi ? ORIANE. Je n'en puis plus, vous dis-je. AMARANTE. Oh quelqu'un. ORIANE. Ne bougez. AMARANTE. J'ai peur qu'on vous néglige, Un si prompt accident vous peut être fatal. ORIANE. Il m'a fait souvenir que je me porte mal. Hier dans une visite il se trouva des Dames Qu'Alcidon régala de L'École des Femmes ; Et qui d'intelligence avecque mon destin Ne voulurent jamais en entendre la fin : Comme si pour me perdre elles eussent fait pacte On fit cesser la pièce après le second acte, Et je ne remarquai des risibles endroits [Note : Voir L'École des Femmes, Acte II, scène 3, Alain, v. 425-439.]Que celui de la soupe où l'on trempe les doigts. Dans un chagrin mortel ce caprice me plonge. CLITIE. Voyez, comme les maux viennent sans qu'on y songe. LE COMTE. Dans mon âme j'enrage. AMARANTE. Et pourquoi ? LE COMTE. Tout exprès, [Note : Voir l'École des Femmes de Molière, Acte II, Scène 5, v. 572.]La Marquise y courait pour voir le « Le » d'Agnès. ORIANE. Je l'ai vu, que je l'aime, et que j'en suis contente ! Ce « Le » c'est une chose horriblement touchante ; Il m'a pris « Le »... ce « Le » fait qu'on ouvre les yeux. LE COMTE. Oui, ce « Le » Dieu me damne est un « Le » merveilleux : Quand je vis que l'actrice y faisait une pose Je crus que l'innocence allait dire autre chose. [Note : Voir L'École des Femmes, Acte II, scène 3, Agnès, v.578-579.]Et le ruban, ma foi je ne l'attendais pas. ORIANE. Et ce « Le », pour Madame eût-il beaucoup d'appâts ? AMARANTE. J'en dirais mon avis en pouvant m'en défendre, Mais qui s'en ressouvient prit plaisir à l'entendre ; Et moi de qui l'esprit s'en est peu soucié À peine l'eus-je appris que je l'eus oublié. ORIANE. À le revoir pour moi je serais toute prête, Ce « Le » toute la nuit m'a tenu dans la tête Ma chère ; aussi ce « Le » charme tous les galants. LE COMTE. En effet, j'en vois peu qui ne donnent dedans, La beauté de ce « Le » n'eut jamais de seconde. CLITIE. Il est vrai que ce « Le » contente bien du monde ; C'est un « Le » fait exprès pour les gens délicats. AMARANTE. Elle est maligne, au moins, ne vous y fiez pas. Car je sais que ce « Le » lui paraît détestable. CLITIE. Il est vrai, ma Cousine, il me semble effroyable, Mais ce « Le » par Madame est si bien appuyé Que je meurs de regret qu'il nous ait ennuyé, Le parti qu'elle prend est celui que j'embrasse, Tout ce que dit Madame est de si bonne grâce Que je veux la prier de ne pas s'irriter Si je fais mes efforts pour la bien imiter. Sa galante façon s'insinue en mon âme. ORIANE. Oh Madame ! CLITIE. Oh Madame ! ORIANE. Oh Madame ! CLITIE. Oh Madame ! ORIANE. Quoi me railler chez vous, Madame, ah je vois bien... CLITIE. Vous le dites, Madame, et vous n'en croyez rien. ORIANE. Assurément Madame... CLITIE. Assurément... LE COMTE. Marquise Savez-vous quelles gens le matois satirise ? Des Marquis. DAMIS. Des Marquis ! Il aspire si haut... LE COMTE. Je t'en vais montrer trois chapitres comme il faut ; J'ai la clef de sa pièce. AMARANTE. Imprimée. LE COMTE. Imprimée. Oh ! Mes Laquais, Picard, Béarnais, la Ramée. Un Laquais vient, et le Comte lui dit.Sous la tapisserie, au-dessous du miroir Tu verras cette clef, je l'y mis hier au soir ; À Damis.Je croyais, palsembleu, mériter ta croyance Baron. DAMIS. Quand une chose a si peu d'apparence... LE COMTE, à son Laquais. Va quérir cette clef, et me l'apporte ici. Le Laquais sort. À Damis.Incrédule Baron tu seras éclairci. Mais... AMARANTE. Mais quoi ? Du Critique on connaît la coutume. À ma Muse peut-être il donne un coup de plume ; Avouez ; vous riez, je le verrai bientôt. LE COMTE. [Note : Voir l'École des Femmes de Molière, Acte I, Scène 1, Arnolphe, v. 94.]« Et femme qui compose en sait plus qu'il ne faut », C'est vous. AMARANTE. C'est moi ? LE COMTE. C'est vous. AMARANTE. Ce n'est pas qu'il m'importe, Mais l'Auteur est hardi d'en user de la sorte, Il me doit du respect, il a dû le savoir. SCÈNE V. Petit-Jean, Amarante, Oriane, Clitie, Le Comte, Damis. PETIT-JEAN. Un monsieur est là-bas qui demande à vous voir, Madame. AMARANTE. Quel est-il, ce Monsieur ? PETIT-JEAN. C'est un homme. AMARANTE. Et ne t'a-t-il pas dit comme c'est qu'on le nomme ? PETIT-JEAN. Le Chevalier de chose... Et la... AMARANTE. Qui Dorante ? PETIT-JEAN. Oui. AMARANTE. Qu'il entre. À Damis.Il vous connaît ? DAMIS. Oui, Madame. SCÈNE VI. Dorante, Damis, Amarante, Le Comte, Clitie, Oriane. DORANTE, voyant Damis. C'est lui ! Oui, c'est lui ! LE COMTE, à Damis. De te voir sa surprise est extrême. DORANTE. Est-ce le Baron ? DAMIS. Oui. DORANTE. Quoi c'est toi ? DAMIS. C'est moi-même. DORANTE. Comment te portes-tu, vieil ami ? touche-là. Tu viens incognito voir l'objet que voilà ? DAMIS. Il est vrai. DORANTE. Dieu me damne il est beau comme un ange. Cet objet. AMARANTE. Chevalier, mon Dieu, point de louange, Un homme comme vous Critique au dernier point Fait assez de plaisir quand il ne médit point. La critique est blâmable après tout, et j'avoue... DORANTE. Ce que vous blâmez là, tout le monde le loue, Il est vrai, je critique, et je m'en trouve bien, De bien faire ma Cour c'est l'unique moyen ; La Satire est en règne et le point de Venise, Et le reste on le nomme une pure sottise. DAMIS. Et pour plaire à présent il ne faut en ce cas... DORANTE. Que de la médisance, et de riches rabats. Je plais aussi, Dieu sait. DAMIS. Toi, plais-tu ? Chose vraie. DORANTE. Si je plais ! Ce Collet est le moindre que j'aie, J'ai ma foi chez le Roi de secrets ennemis Mutinés contre moi de me voir si bien mis : Moi qui vois leur envie, et qui sais leur bêtise J'achète si souvent quelque point de Venise Que pour mieux les punir d'avoir cru m'outrager Je me ruine exprès pour les faire enrager, Dieu me damne. Vois donc si je plais. Pour médire Tu te peux informer si Dorante s'en tire. On me craint, sur mon âme, et je passe en tous lieux Pour un des Courtisans qui critiquent le mieux : Mais aussi, je fréquente et je joue à la paume Avec le médisant le meilleur du Royaume : Le compère vous drape, et vous mord en riant, C'est de nos courtisans le démon foudroyant, Il les pique ! AMARANTE. À la fin craint-il point qu'on s'en choque ? J'en sais un enragé dont souvent il se moque ; À son meilleur ami je veux bien l'avouer. DORANTE. J'en sais vingt trop heureux de se laisser jouer : Oui, j'en sais de ravis qu'on leur fasse la guerre ; Témoins trois l'autre jour qu'on nommait du Parterre, Et qui dans une Loge où chacun les voyait Riaient comme des fous de ce qu'on les jouait. Aussi loin qu'au Critique aucune âme s'oppose Aussi doux que du lait il faut boire la chose ; On ne peut l'attaquer sans en être marri ; [Note : Turlupin : Henri Legrand dit [1587-1637], comédien célèbre de la troupe de Théâtre de l'Hôtel de Bourgogne.]De tous nos Turlupins c'est un homme chéri ; Contre qui que ce soit ils prendront sa défense. DAMIS. Et ces sortes de gens vous imposent silence ? Ce que Paris peut-être a de plus odieux, Des Turlupins... LE COMTE. Baron, tu pourrais parler mieux, J'en suis un. DAMIS. Qui toi ? LE COMTE. Moi. DAMIS. Mais l'Ami, tu te blâmes. LE COMTE. Et oui, oui. Dans la Clef de L'École des Femmes Tu verras qui de nous a le plus de raison ; Je suis le Turlupin de la moindre Maison, Tous les autres... Mais tiens, mon Laquais me l'apporte. SCÈNE VII. La Ramée, Le Comte, Damis, Amarante, Dorante, Clitie, Oriane. LA RAMÉE, au Comte. Je n'ai point vu de Clef que la clef de la porte. LE COMTE. Peste le sot. DAMIS. Sait-il ce que c'est que cela ? LE COMTE. Je te jure Baron qu'elle est en ce lieu-là. LA RAMÉE. Je gage que non. LE COMTE. Paies. DAMIS. Crois-moi, Comte, allons, gage ! LE COMTE. L'un de nous deux, Laquais, est un sot personnage. LA RAMÉE. Ce n'est pas moi, Monsieur. LE COMTE. Tais-toi donc, s'il te plaît. La Marquise l'a lue, elle sait ce que c'est. AMARANTE. Mais parlez de sa Pièce, et soyez équitable, Que vous en semble ? DORANTE. À moi ? Je la trouve admirable. Comment la trouves-tu, Comte ? LE COMTE. Admirable. DORANTE. Et vous ? ORIANE. Admirabilissime. AMARANTE. Entre nous ? DORANTE. Entre nous. AMARANTE. Mais là, sans vous trahir, la trouvez-vous passable ? DORANTE. Admirable, Monsieur, du dernier admirable. DAMIS. Je puis, sans l'avoir vue en dire autant que toi ; Quand on loue une Pièce il faut dire pourquoi, Et tu dois nous donner une raison valable. DORANTE. Par plus de vingt raisons je la trouve admirable. CLITIE. Par plus de trente. DAMIS. Écoute, on te croit si tu veux, Mais de tant de raisons j'en dirais une, ou deux. DORANTE. Te dirai-je pourquoi je la trouve admirable, Parce que cette Pièce est admirable. LE COMTE. Diable ! Ta raison est bonne. CLITIE. Ah ! ORIANE. J'allais le dire aussi. DORANTE. Il s'en faut rapporter à Monsieur que voici, C'est un Auteur. SCÈNE VI.I. Lisidor, Amarante, Dorante, Damis, Oriane, Le Comte, Clitie. DORANTE, à Lisidor. Mon cher, pour contenter ces Dames Donnez-nous votre avis sur L'École des Femmes : Vous verrez si la Pièce a pour lui des appâts. AMARANTE. Oui, jugez-en. LISIDOR. Madame, on ne m'en croirait pas ; Et puis, d'en bien juger je ne suis pas capable. DAMIS. Ah, Monsieur Lisidor vous êtes un fin Diable, Au succès de l'Auteur vous prenez trop de part. AMARANTE. Point, Monsieur Lisidor est un homme sans fard. J'en croirai bonnement ce qu'il en voudra dire. On déteste sa Pièce, et chacun la déchire ; Pour moi qui n'y vois rien que de bien assorti Contre tous ces Messieurs je soutiens son parti. Ils ont beau l'abhorrer je la trouve admirable. LISIDOR. Votre parti, Madame est le plus raisonnable. Ce que vous soutenez tout Paris le soutient. DORANTE. Bon, ma foi, c'est bien fait la Connaisseuse en tient. LE COMTE. Comme tu dis, bon. CLITIE. Bon. AMARANTE. J'en parais peu marrie. DORANTE. Il vous vient de payer de votre raillerie. Le Seigneur Lisidor est un homme d'esprit. DAMIS. Mais Monsieur Lisidor doit prouver ce qu'il dit. AMARANTE. S'il l'a fait trouver bonne il sera fort habile. LISIDOR. En vérité, Madame, il n'est rien si facile. Jamais scène plaisante eût-elle tant d'appâts [Note : Arnolphe : personnage de l'Ecole des Femmes.]Que la Scène d'Arnolphe à qui l'on n'ouvre pas ? [Note : Référence à l'Acte I, scène 2.]N'a-t-on pas pour Alain une estime secrète Quand pour ouvrir la porte il appelle Georgette ? DORANTE. Ah, ah, ah. LE COMTE. Quel Compère ! DORANTE. Il entend son métier. ORIANE. À miracle. CLITIE. À merveille. AMARANTE. Il faut... DORANTE. Point de quartier, Allons, Allons. LISIDOR. Ensuite, Est-il rien qui ne plaise Dans ce que dit Arnolphe à la fille niaise ? Rien de plus innocent se peut-il faire voir ? Il arrive des champs, et désire savoir Si durant son absence elle s'est bien portée ; [Note : Ecole des Femmes, Agnès, Acte I, scène 4, v. 263. ]« Hors les Puces la nuit qui m'ont inquiétée » Répond Agnès. Voyez ce qu'elle adresse à l'auteur, Comme il sait finement réveiller l'auditeur. De peur que le sommeil ne s'en rendît le maître Jamais plus à propos vit-on puces paraître ? D'aucun trait plus galant se peut-on souvenir ? Et ne dormait-on pas qu'il n'en eût fait venir ? DORANTE. Tudieu ! LE COMTE. C'est raisonner. ORIANE. Divinement. CLITIE. Courage. DORANTE. Diable ! Qu'un tel ami fait valoir un ouvrage ! LE COMTE. Je t'en réponds. LISIDOR. [Note : voir L'École des Femmes, Acte I scène 5, v.635, puis Acte II, scène 3, Horace, vers 876-918.]Le Grès, n'est-il pas étonnant ? Voit-on rien de si preste, et de si surprenant ? Aucun des auditeurs osait-il se promettre Qu'Agnès sût seulement ce que c'est qu'une lettre ? Et pour la lettre seule où l'on voit tant d'amour Faut-il pas que l'auteur ait rêvé plus d'un jour ? Cependant dans une heure une innocente extrême La compose, l'écrit, et la rend elle-même, Quoi qu'Arnolphe l'éclaire avec un oeil perçant ; Un pareil procédé n'est-il pas innocent ? Lui voit-on démentir son niais caractère ? DORANTE. Oh, oh, Comte ! LE COMTE. La peste ! ORIANE. On ne saurait mieux faire. CLITIE. Je le crois. DAMIS. Mais Dorante il pouvait s'affranchir... DORANTE. Hé Baron ! DAMIS. Si... DORANTE. Ma foi, tu ne fais que blanchir. Près d'un homme si docte on fait mieux de se taire. LISIDOR. [Note : Voir L'École des femmes, Acte V, Scène II, vers 1039-1087.]Est-il rien de si beau que l'endroit du Notaire ? Et cet endroit charmant qu'on a tant admiré Avec tout l'Art possible est-il pas digéré ? Le petit Dialogue est d'une adresse extrême ; Car ce que dit Arnolphe il le dit en lui-même, Et les moins délicats sont d'accord de ce point Qu'on ne peut pas répondre à ce qu'on n'entend point ; Cependant par un jeu dont l'éclat doit surprendre L'un ne veut pas répondre à ce qu'il doit entendre ; Et pour des deux côtés faire voir des appâts. L'autre répond sans peine à ce qu'il n'entend pas. DORANTE. C'est tout dire. LE COMTE. Fort bien. CLITIE. Vivat. ORIANE. Il extasie. DORANTE. Le Seigneur Lisidor comme il se mortifie. AMARANTE. Je pourrais lui répondre, et je crois entre nous... DORANTE. Dieu me damne, Madame, il en sait plus que vous, Des raisons qu'il vous dit nulle n'est contestable. LISIDOR. [Note : Voir L'École des femmes, Acte V, scène 9 et 10.]Enfin le dénouement n'est-il pas admirable ! Le voyage d'Oronte est-il pas assuré ? Et le retour d'Enrique est-il pas préparé ? Vous m'allez alléguer que touchant cet Enrique On le tire aux cheveux pour quitter l'Amérique ; [Note : Endret : endroit.]Et que durant la Pièce en aucun des endrets On ne s'aperçoit point qu'il soit père d'Agnès ; Mais il n'est point d'auteurs dont la plume m'apprenne Que dans ce qu'on attend il n'est rien qui surprenne ; Au contraire on croit beau ce qu'on trouve étonnant ; Et ce qu'on n'attend pas est toujours surprenant. DORANTE. De s'en mieux démêler je dépite le Diable. LE COMTE. Répondez, Madame. DORANTE. Elle ! Il est insurmontable. ORIANE. Il oublie un endroit effroyablement bon [Note : Corbillon : est ausi un petit jeu d'enfant, où il faut répondre ou rimer en "on". [F]][Note : Voir L'École des Fammes, Acte I, scène 1, vers 97-102.]Où l'on parle d'Agnès qui joue au Corbillon ; Pour moi quand je l'ouis mon plaisir fut extrême. DORANTE. Vous verrez sur ma foi, que c'est « Tarte à la crème ». ORIANE. Oui, c'est « Tarte à la crème », et je l'aime d'amour. LE COMTE. Parbleu « Tarte à la crème » a fait bruit à la Cour. DORANTE. Pour moi, je ne vois rien qui me charme de même. AMARANTE. Qu'y trouvez-vous de beau ? DORANTE. Moi ? Rien. « Tarte à la crème » Madame. AMARANTE. Il faut répondre, et je voudrais du moins Que de bonnes raisons appuyassent mes soins, Car enfin pour l'auteur votre zèle est extrême. DORANTE. « Tarte à la crème ». DAMIS. Ami, tu dois... DORANTE. « Tarte à la crème » Ami. AMARANTE. Quoi qu'il en pense il nous doit être égal, Il aime trop l'auteur pour en dire du mal. DORANTE. Je soutiens, sans l'aimer, quoi que l'envie oppose Que sa Pièce tragique est une belle chose. AMARANTE. Sa Pièce tragique ? DORANTE. Oui. LE COMTE. Sa pièce tragique ? DORANTE. Oui. AMARANTE. Je n'ai jamais rien vu de tragique de lui. LE COMTE. Ni moi. LISIDOR. Ni moi. ORIANE. Ni moi. DORANTE. Qu'est-ce qu'il représente ? AMARANTE. Nommez-vous Tragédie une pièce plaisante ? DAMIS. Tu te moques de nous, Chevalier. DORANTE. Pourquoi ? DAMIS. Bon ; Appelle-t-on tragique un poème bouffon ? DORANTE. Vous blâmez justement ce qu'il faut qu'on admire, Quoi, Morbleu du tragique où l'on crève de rire, C'est cela qu'on appelle un mélange d'appas. AMARANTE. Mais le tragique est noble, et n'a rien de si bas. DORANTE. [Note : Référence à "La Pratique du Théâtre" de l'Abbé d'Aubignac, ch. 10 : "... plusieurs se sont imaginés que le mot de tragique ne signifioit jamais qu'une aventure funeste et sanglante ; et qu'un poème dramatique ne pouvait être nommé tragédie , si la catastrophe ne contenait la mort ou l'infortune des principaux personnages".]Mais je sais le Théâtre, et j'en lis la Pratique ; Quand la scène est sanglante une pièce est tragique. LE COMTE. Oui. LISIDOR. Sans doute. ORIANE. Il est vrai. DAMIS. Sans contredit. AMARANTE. D'accord. DORANTE. [Note : Molière, L'École des femmmes, Acte 2, scène V, v. 461]Dans celle que je dis, « Le petit Chat est mort ». LE COMTE. C'est le bien prendre ! LISIDOR. Oh, oh ! ORIANE. Sa remarque est certaine. DAMIS. Quoi ? Le trépas d'un chat ensanglante la scène ? AMARANTE. Dans une tragédie un Prince meurt, un Roi. DORANTE. [Note : L'École des Femmes, Acte II, scène 5, Arnolphe, v. 462.]« Nous sommes tous mortels, et chacun est pour soi », Et je tiens qu'une pièce est également bonne. [Note : Matou : chat mâle et entier. [F]]Quand un matou trépasse, ou quelque autre personne. LE COMTE. Tu sais le théâtre ! LISIDOR. Oui. ORIANE. Son langage est profond. DAMIS. Mais... LE COMTE. Mais réponds, réponds, réponds, réponds, réponds. DAMIS. Quoi... LE COMTE. Réponds donc Baron. DAMIS. Tu penses me confondre, Et tu crois... LE COMTE. Par ma foi, tu ne saurais répondre. DAMIS. Je ne le puis de vrai tant que tu parleras, Mais enfin si... LE COMTE. Ma foi, si tant que tu voudras. Sa raison... AMARANTE. Sa raison est aisée à combattre. DORANTE. Il est vrai que l'auteur n'entend pas le théâtre. AMARANTE. Mais ce n'est pas l'entendre, après tout. DORANTE. Oh que non ; Quand un homme en burlesque a su faire un sermon, Il me semble pourtant qu'on n'est pas malhabile ; L'Auteur prend l'agréable, et le joint à l'utile ; À ce que veut le peuple il se rend complaisant ; Et le force de rire en le catéchisant. LE COMTE. Tudieu ! Tu l'entends. LISIDOR. Oh. DAMIS, à Dorante. Tu n'as rien dit qui vaille. DORANTE. Pourquoi Baron ? AMARANTE. Pourquoi ? Retournons la médaille. Outre qu'un Satirique est un homme suspect, Au seul mot de Sermon nous devons du respect : C'est une vérité qu'on ne peut contredire ; Un Sermon touche l'âme, et jamais ne fait rire ; De qui croit le contraire on se doit défier ; Et qui veut qu'on en rie en a ri le premier. LE COMTE. C'est mal répondre ! LISIDOR. [Note : Puth : mot inconnu ou interjection.]Puth. DORANTE. Pitoyable critique ! DAMIS. Dites donc ce que c'est que d'être satirique ? DORANTE. Que d'être Satirique ? DAMIS. Oui. DORANTE. C'est satiriser. AMARANTE. Oui, mais satiriser c'est railler ; mépriser ; Ainsi pour l'obliger quoi que vous puissiez dire, Votre ami du Sermon nous a fait la Satire ; Et de quelque façon que le sens en soit pris, Pour ce que l'on respecte on n'a point de mépris. LE COMTE. Bagatelle ! DAMIS. Mais Comte, après tout je m'engage... LE COMTE. Je serais bien fâché de t'ouïr davantage, Tu m'as trop fatigué par tes sottes raisons. AMARANTE. Il ne peut rien répondre à ce que nous disons ; Mais Dorante sait bien qu'on ne peut mettre en doute. DORANTE. Moi ; Je n'écoute pas si le Comte n'écoute. DAMIS, au Comte. Tu sais... LE COMTE. Je n'entends pas. AMARANTE, à Dorante. Je crois... DORANTE. Ni moi non plus. DAMIS, au Comte. Mais... LE COMTE, chante. La, la, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la. AMARANTE, à Dorante. Quoi... DORANTE, chante aussi. La, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la. DAMIS, au Comte. Si... LE COMTE. La, la, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la, la, la. AMARANTE, à Dorante. Vous... DORANTE. La, la, la, lare, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la. DAMIS. Ma foi vous me rendez confus. AMARANTE. Pour moi, je les écoute, et je les étudie, Car il faut de ceci faire une Comédie ; Je crois que dans son genre elle aurait ses appâts. DORANTE. À ce dessein, ma foi, je ne m'oppose pas, Car je sais que mon rôle y serait raisonnable. ORIANE. Le mien y serait court, mais assez agréable. LISIDOR. Et le mien, ce me semble y serait assez bon. LE COMTE. Pour Damis, à merveille il ferait le bouffon, La Sottise en sa bouche est placée en son centre. À Amarante.Vous savez composer, travaillez-y. AMARANTE. Moi ? Diantre, Je n'ai garde. DORANTE. Et qui donc, la fera comme il faut ? AMARANTE. [Note : Boursault (Edme) [1638-1701] : auteur dramatique qui écrit cette pièce en 1663.]Un garçon que je sais qu'on appelle Boursault... LE COMTE. [Note : Pécore : se dit figurément en burlesque pour signifier une personne sotte, stupide, et qui a de la peine à concevoir quelque chose. [F]]Je le connais, Pécore. DAMIS. Il est bien chez la Muse. LE COMTE. Il s'amuse à la Muse, et la Muse l'amuse. AMARANTE. Mais les vers de Boursault sont assez bien choisis. LE COMTE. [Note : Butor : Gros oiseau, espèce de héron fainéant et poltron. On dit figurément d'un homme stupide et maladroit que c'est un butor. [F]]Je le soutiens, Madame, un Butor parisis, Une grosse pécore, une pure mazette. DAMIS. Mais où la jouerait-on quand Boursault l'aurait faite ? AMARANTE. [Note : Hôtel de Bourgogne : un des deux principaux lieux de représentation et où fut joué cette pièce en 1663. Boursault flatte ici son public.]À l'Hôtel de Bourgogne, où les plus délicats... DORANTE. Ah, Je vous promets bien qu'on ne l'y jouera pas : Le Critique est à craindre, on a peur qu'il n'éclate, Et l'Hôtel de Bourgogne a passé sous sa patte. S'ils étaient avisés de vouloir le bourrer, Où les pauvres acteurs pourraient-ils se fourrer ? [Note : Notons que les frères Corneille sont de Rouen.]Toute la Normandie a-t-elle assez de pommes Pour jeter à la tête à ces malheureux hommes ? Ils ne le feront pas, je te le dis encor, Dieu me damne. DAMIS. [Note : Floridor : célèbre comédien de la troupe de l'Hôtel de Bourgogne entre 1643 et 1672.]Écoutez, je connais Floridor, Je prendrai son avis si cela se peut faire, Et je vous l'enverrai s'il vous est nécessaire. Un petit dénouement est utile à cela, Que faire ? SCÈNE VIII, et DERNIÈRE. Petit-Jean, Amarante, Le Comte, Damis, Dorante, Lisidor, Oriane, Clitie. PETIT-JEAN. On a servi, Madame. AMARANTE. Le voilà, Je le donne à l'épreuve au plus grand Satirique, C'est de cette façon que finit la Critique, Et les plus dégoûtés trouveront des appâts Quand après du comique ils auront un repas. ==================================================