******************************************************** DC.Title = PORUS OU LA GÉNÉROSITÉ D'ALEXANDRE, TRAGÉDIE. DC.Author = BOYER, Claude DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 13:19:58. DC.Coverage = Pakistan DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/BOYER_PORUS.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k117137b DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** PORUS OU LA GÉNÉROSITÉ D'ALEXANDRE TRAGÉDIE M. DC. XLVIII. Avec Privilège du Roi. Par Mr. BOYER, de l'Académie Française. À PARIS, Chez TOUSSAINCT QUINET, au Palais, sous la montée de la Cour des Aides.Achevée d'imprimer pour la première fois le vingt-huitième Février 1648. Les Exemplaires ont été fournis. MONSIEUR, Comme je n'ai autre dessein, en vous offrant cet ouvrage, que de vous témoigner combien je vous honore, je n'ai pas beaucoup examiné s'il était digne de vous être offert : l'impatience que j'avais de vous rendre ce devoir, a arraché ce présent de mes mains pour le mettre dans les vôtres, sans en considérer la valeur : et je ne prétends pas surprendre votre jugement par l'illustre titre que je lui fais porter, qui semble vous promettre quelque chose de grand. Pour moi je le crois très médiocre, et peut-être au-dessous de l'approbation qu'il a reçue sur le Théâtre, si ce n'est qu'il fut assez heureux pour mériter la vôtre. S'il arrivait toutefois qu'il n'eût pas l'heur de vous plaire, je me consolerais aisément de sa disgrâce, pourvu qu'il fût envers vous un témoignage de mes respects et de l'estime que je fais de votre mérite : je borne toute mon ambition à ce glorieux avantage ; sachant bien, MONSIEUR, que ces belles qualités qui vous ont acquis avec justice le véritable réputation de Gentilhomme très accompli ; que cette judicieuse conduite qui vous fait réussir dans les emplois les plus difficiles, et qu'enfin cette adresse d'esprit qui vous a fait mériter la confiance de notre GRAND PRINCE, vous donnent une place à la tête de ces ouvrages qui ne meurent jamais, et qui font durer autant qu'eux la gloire de leurs protecteurs. Aussi voyant le peu de rapport qu'il y a de ce travail avec la dignité de votre protection, je n'ai garde de la lui promettre, quoique j'osasse espérer assez légitimement de l'obtenir de cette généreuse bonté, qui se rend si facile à tous ceux qui l'implorent, et qui est déjà venue jusqu'à moi par le ressentiment que je dois à toutes les grâces que mes plus proches en ont reçues. Je rends, MONSIEUR, ce respect à vos sentiments, de ne vouloir pas leur faire quelque violence en faveur de cette pièce, quoique je sache bien que votre estime, à quelque titre qu'elle l'obtint, lui pourrait acquérir infailliblement celle du public, je me réserve de la demander pour des efforts plus grands et moins indignes de cette faveur , puisque je fais voeu dès à présent de mette entre vos mains le destin de tous mes ouvrages, et d'abandonner entièrement leur réputation à la justice de votre jugement. Agréez cependant, que je me serve de celui-ci pour avoir l'honneur de vous faire la révérence, et de vous assurer que je suis véritablement, MONSIEUR, Votre très humble, très obéissant et très obligé Serviteur, B. PERSONNAGES. PORUS, Roi des Indes. ARGIRE, Femme de Porus, prisonnière d'Alexandre. ORAXÈNE, Fille de Porus, prisonnière d'Alexandre. CLAIRANCE, Fille de Porus, prisonnière d'Alexandre. CLARICE, Confidente d'Argire. PHRADATE, Écuyer d'Argire. ARSACIDE, Prince des Indes. ALEXANDRE. PERDICCAS, Prince de Macédoine. ORONTE, Capitaine des Gardes d'Alexandre. TROUPE DES GARDES. La Scène est dans le camp d'Alexandre sur les bords du fleuve Hydaspe. L'Hydaspe ou Jhelam est une rivière qui descend de l'Himalaya dans le Cachemire Indien puis sépare l'Inde et le Pakistan où il rejoint l'Indus. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Alexandre, Perdiccas, Oronte. ALEXANDRE. Enfin voici le jour favorable à ma gloire,Qui finissant la trêve avance ma victoire.Puisque Porus d'accord avecque mes souhaitsSemble ne plus songer à demander la paix.Perdiccas, toi qui fis sa première défaite, Songe à ne point laisser ta victoire imparfaite ;Tu m'as déjà livré ce qu'il a de plus cher ;Il adore sa femme et ne peut l'approcher :Depuis qu'elle est aux fers, sa valeur endormieSemble suivre en prison cette illustre ennemie ; Et son coeur amoureux pressé de sa douleurN'exhale qu'en soupirs sa première chaleur,Va, fais que sans tarder nos troupes triomphantesPoussent jusques au bout ses cohortes tremblantes :Nos destins sont trop beaux pour s'achever ainsi, Et nos premiers combats ont trop bien réussi. PERDICCAS. Ne vous étonnez point en l'état où vous êtesSi j'ose m'opposer aux cours de vos conquêtes :Voyant que le bonheur marche à votre côté,Tant d'obstacles vaincus, l'Hydaspe surmonté, Porus presque défait, ses troupes étonnées,Sa femme dans les fers, ses filles enchaînées,Quelque ardeur, dont pour vous je me sente piquer,Mon courage frémit, quand je vais l'attaquer ;Et malgré les efforts d'une ardeur si pressante, La pitié rend pour lui mon âme languissante.Que la même pitié vous parle en sa faveur ;Rendez-vous favorable à son Ambassadeur ;Déjà quelques courriers annoncent sa venue. ALEXANDRE. Cette pitié pour lui ne m'est pas inconnue : De mon dernier triomphe elle a rompu le cours ;Et me coûte déjà la perte de deux jours :Il est temps qu'en ces lieux j'achève ma conquête ;Et que j'y fasse choir la dernière tempête.Je ne puis qu'avec honte, ayant trop attendu, Répondre à ma valeur du temps que j'ai perdu.Puisque c'est aujourd'hui que doit finir la trêve,Que Porus en profite avant qu'elle s'achève ;Je vais donner bon ordre à ce dernier combat.Et toi mets pour demain les troupes en état. SCÈNE II. Perdiccas, Oronte. PERDICCAS. Que je combatte encor le père de Clairance !Ah ! Mon amour s'oppose à cette obéissance ;Et malgré ses rigueurs, et malgré mon devoirElle prend sur mon coeur un absolu pouvoir,Fidèle confident de ma secrète flamme Que d'ennemis cruels tyrannisent mon âme !Alexandre et Clairance y règnent à leur tour ;Et quand je n'y voudrais recevoir que l'amour,Un jaloux désespoir avec elle y préside.Clairance (me dit-il) n'est que pour Arsacide. ORONTE. Je vous plains. Mais, Seigneur, comment l'avez-vous su ? PERDICCAS. Alors que sur l'avis que j'en avais reçu ;Avec cinq cent chevaux dans la forêt prochaine,Je surpris les soldats qui conduisaient la Reine ;Attale en combattant du cheval renversé, Allait être des miens de mille coups percé ;Je lui sauvé le jour, et pour ce bon officeIl m'a depuis rendu ce signalé service ;Sachant quel rang Porus lui donne dans sa Cour ;Je crus que je devais lui fier mon amour ; Il m'écrit que Clairance est ailleurs engagée.Mais pour rendre le calme à mon âme affligée,Il flatte mon espoir, et contre mon rivalMe promet un secours qui lui sera fatal ;Je m'en tais par son ordre, et je cache à Clairance De mes jaloux soupçons la juste défiance.Mais adieu ; cet objet se présente à mes yeux. SCÈNE III. Perdiccas, Clairance s'enfuit en le voyant. PERDICCAS. Faut-il que mon abord vous chasse de ces lieux ?Quoi ? Serez-vous toujours à ce point insensible ?Dieux quel est mon destin ! Hélas est-il possible ! Que ce coeur qui pour vous souffre mille trépas,Trouve tant de rigueurs où règnent tant d'appas ? CLAIRANCE. Perdiccas c'en est trop ; ce procédé m'offense :Si vous aviez pour moi la moindre complaisance ;Après ce que j'ai dit pour en rompre le cours, Vous ne me devriez plus adresser ce discours.Loin de vous souvenir que Porus est mon père ;Que vous mîtes aux fers et ma soeur et ma mère. PERDICCAS. Madame. CLAIRANCE. Laissez-moi, considérez mes fers ;N'êtes-vous pas l'auteur des maux que j'ai soufferts ? Et cependant. PERDICCAS. Hélas ! Considérez ClairanceSi c'est ou mon malheur, ou moi qui vous offense ;L'aveugle déité qui préside aux combatsM'a fait vous offenser, ne vous connaissant pas ;J'attaque en ennemi l'ennemi d'Alexandre ; Après un long combat je le force à se rendre ;Un succès que mon coeur abhorre avec raison,Fait tomber en mes mains toute votre maison :Vous êtes prisonnière ; et bien voilà mon crime ;Votre haine, Madame, est-elle légitime ? L'amour punit-il pas assez cruellementCe malheur arrivé sans mon consentement ?À peine le Dieu Mars amoureux de ma gloire ;Semblant vous attacher au char de ma victoire,Que votre oeil adorable amusant ma raison Dans mon char triomphant me menait en prison ;Ne vous connaissant pas je vous ai desservie,Vous pour qui maintenant je donnerais ma vie.Vous pour qui. CLAIRANCE. Brisons là ; je n'en ai que trop su. PERDICCAS. Ah ! Vous ne savez pas tout ce que j'ai conçu. Je veux vous satisfaire au dépens de ma vie ;Votre injuste rigueur dans mon sang assouviePerdra le souvenir de ce funeste jour,Qui me vit offenser l'objet de mon amour.Oui, ce bras pour Clairance à moi-même funeste Va tirer de ce flanc tout le sang qui lui reste,Et puisque ma douleur ne la satisfait pas,Je ne balance point à courir au trépas :Trop heureux, si ma mort, inhumaine Clairance,Signalant mon amour plaît à votre vengeance ; Trop heureux, si je puis en me privant du jour,Servir à votre haine, autant qu'à mon amour.Mais pourrai-je percer ce coeur qui vous adore ?Mais vous me l'ordonnez, et je conteste encore !Ah ! J'y cours, j'obéis, et le trépas m'est doux, Puisqu'il le faut souffrir et par vous et pour vous.C'est le seul avantage où mon amour aspire ;Je verse avec plaisir le sang qui vous sût nuire ;Et voyant par mes voeux votre esprit offenséJe rougis du regret d'avoir tant balancé. CLAIRANCE. Ah ! Plutôt rougissez d'en avoir la pensée ;Par votre désespoir vous m'avez offensée ;Et soupçonner en moi tant d'inhumanité,C'est plus que de m'avoir ôté la liberté.Prince connaissez mieux les bontés de Clairance. PERDICCAS. Et c'est de ces bontés, dont je dois la vengeance. CLAIRANCE. Mais vous m'offrez en vain un secours étranger,Quand celui de mon père est prêt à me venger ;Dedans votre défaite il cherche sa victoire ;Ne vous dérobez point à l'éclat de sa gloire ; Vous cherchez un trépas, que j'empêche aujourd'hui ;Pour le rendre plus noble, et pour nous et pour lui.Porus vous va réduire au point de vous défendre ;Il vous cherche plutôt, qu'il ne cherche Alexandre ;Ne vous dérobez point à sa juste douleur. PERDICCAS. Et bien je vais m'offrir, Madame, à sa valeur ;Ce coeur infortuné lui doit cette victime. CLAIRANCE. Mais hélas pourrait-il vous immoler sans crime !Le coup qu'il porterait serait trop inhumain,Et je ferais des voeux, pour désarmer sa main. Vous avez adouci la prison de Clairance ;Elle vous doit au moins cette reconnaissance,Et les soins obligeants qu'elle a reçus de vousÉtouffent la moitié de son juste courroux.Mais. PERDICCAS. Et bien prononcez. CLAIRANCE. Dieux que je suis sensible ! Je devais le haïr, mais il m'est impossible. PERDICCAS. Ne me faites point grâce ou justice à demi. CLAIRANCE. Je commence à le voir sans voir mon ennemi.Calmez ce désespoir, vivez. PERDICCAS. Hélas ! PrincesseQue la faible pitié qui pour moi s'intéresse, En détournant ma mort me sait mal secourir ;Vous devez me laisser espérer, ou mourir.L'un des deux doit finir mes mortelles alarmes :Parlez. CLAIRANCE. Que je sais mal résister à vos larmes !Mais aussi dans l'état où nous réduit le sort, Que j'ai peu de pouvoir d'empêcher votre mort !Ce que vous demandez n'est pas en ma puissance,Pourrai-je à vos désirs donner quelque espérance ?Je suis fille d'un Roi, contre qui le malheurEncore tous les jours arme votre valeur. Jetez les yeux sur lui, regardez Alexandre ;Et me dites après, que pouvez-vous prétendre ?Vivez, Prince vivez, mais sans songez à moi ;Abandonnez Clairance ; et servez votre Roi. PERDICCAS. Je l'ai quitté pour vous, dans ce désordre extrême Je puis bien le quitter en me quittant moi-même ;Je ne suis plus à lui ; je ne suis plus à moi ;Et vous seule avez droit de me donner la loi.Mon amour m'a rendu malgré ma résistance,De sujet d'Alexandre esclave de Clairance, Esclave téméraire infidèle sujet ;Pouvais-je résister à ce divin objet ?Non ; puisqu'il fallait être insensible ou rebelle !Fallait-il pas quitter Alexandre pour elle ?Comme si sa rigueur s'oppose à mon amour, Si Clairance me hait ; il faut quitter le jour. CLAIRANCE. Ah ! Je ne vous hais point. PERDICCAS. Mais votre indifférenceM'ordonne de mourir en m'ôtant l'espérance.Ou souffrez que j'espère, ou ne prétendez pasQue je puisse un moment différer mon trépas. CLAIRANCE. Espérez. PERDICCAS. Ô bonté qu'il faut que je révère ! CLAIRANCE. Mais puis-je ainsi traiter l'ennemi de mon père ? PERDICCAS. Vous voulez donc ma mort. CLAIRANCE. Ah que vous me pressez ! PERDICCAS. Hélas je connais bien à vos soupirs forcés,Que vous m'allez défendre un espoir légitime. CLAIRANCE. Je ne vous défends rien, prince je vous estime.Espérez j'y consens ; mais cachez bien vos feux.Peut-être que les Dieux répondront à vos voeux. PERDICCAS. De quel plus doux espoir peut-on flatter mon âme ? CLAIRANCE. Prince la Reine vient, cachez lui votre flamme. PERDICCAS. Ô ! Dieux que cet abord me coûte de plaisirs ! SCÈNE IV. Argire, Perdiccas, Oraxène, Clarice. ARGIRE. Quelque juste douleur qui forme nos soupirs,Nous cessons de trouver notre sort déplorable ;Depuis qu'à nos ennuis vous êtes favorable. PERDICCAS. Pour l'être avec succès que ne m'est-il permis De vous offrir ce bras contre vos ennemis ?Et de la même main qui fit naître vos peinesLeur rendre vos malheurs et détacher vos chaînes ?Que ne puis-je guérir tout le mal que j'ai fait ?Hé bien injuste sort n'es-tu pas satisfait ? Je voudrais ; et ne puis lui rendre sa victoire,Il ne m'a fait jouir que d'une fausse gloireQue mon coeur indigné ne peut que détester,Puisqu'au prix de vos fers il fallait l'acheter.Ah ! Combien le regret m'en est insupportable ! Mais las que ce regret vous est peu profitable !À vos maux effectifs, à vos ennuis pressantsIl n'offre que des voeux, et des voeux impuissants. ARGIRE. Bientôt votre secours nous sera plus utile ;À notre Ambassadeur vous rendrez tout facile ; Et quoi qu'il puisse offrir pour notre liberté,J'espère moins de lui, que de votre bonté. PERDICCAS. De mon peu de crédit il ne faut rien attendre ;Mais j'ose vous jurer connaissant Alexandre,Qu'il n'est pas en état de vous rien refuser. Et de tout mon pouvoir je vais l'y disposer. SCÈNE V. Argire, Oraxène, Clairance. ARGIRE. Que les Grecs ont sur nous des avantages rares !Et que c'est à bon droit qu'ils nous nomment barbares ! ORAXENE. Ce Prince vaut beaucoup. CLAIRANCE. Enfin le Ciel nous rit :Mais votre étonnement me trouble, et m'interdit. ARGIRE. Ah ! Clairance. ORAXENE. Ah ! Ma soeur. CLAIRANCE. Un espoir plein de charmesDoit-il essuyer le reste de nos larmes ?Le sort nous traite-t-il avec trop de respect ?Le bien qu'il nous promet vous devient-il suspect ? ARGIRE. Dans l'état où tu vois et ta soeur et ta mère Apprends que le destin devient si contraire ;Que malgré la rigueur de tant de maux souffertsNotre moindre malheur est celui de nos fers. CLAIRANCE. Que peut-il ajouter au mal qui nous outrage ?N'a-t-il pas déployé sa plus cruelle rage ? Enfin notre constance a lassé son courroux ;Qu'aurions-nous à souffrir, et qu'appréhendez-vous ? ARGIRE. Je prévois des malheurs dont la funeste suiteRend avec ma raison ma constance interdite.Porus que ton mépris m'est aujourd'hui fatal ! Qui te peut obliger à nous traiter si mal ?Tu vois à mille maux ta femme abandonnée.Le débris malheureux de ton triste hyménée,Ta famille, ton sang languir dans la prison,Le destin résolu d'accabler ta maison ; Et ton coeur insensible à ces rudes alarmesRegarde avec courroux nos soupirs et nos larmes. CLAIRANCE. Madame, jugez mieux d'un père et d'un époux. ARGIRE. Hélas si tu savais. CLAIRANCE. De quoi l'accusez-vous ? ARGIRE. À Clairance.Clarice conte lui ce que je voulais taire, Apprends la cruauté d'un époux et d'un père. CLARICE. Quand la Reine eut mandé Phradate devers lui ;Pour lui faire savoir l'excès de votre ennui,Le Roi triste et pensif fait en ouvrant sa lettreTout ce qu'en ce moment la douleur peut permettre, S'engage bien avant dedans vos déplaisirs,Et mêle à vos sanglots ses pleurs et ses soupirs ;Mais à peine a-t-il lu, qu'il crie et qu'il déteste,Qu'on m'éloigne (dit-il) cet objet si funeste.Phradate alors surpris de ce grand changement ; Et ne sachant d'où vient ce prompt ressentimentQuoiqu'il se trouve seul avec lui dans sa tente,Croit qu'il parle à quelque autre, et son âme tremblanteCherche de tous côtés cet objet odieux,De qui le Roi se plaint, et qui blesse ses yeux. Mais il connaît enfin où vient fondre l'orage,Il s'écarte et voyant la colère et la rage,Qui dans le coeur du Roi par de brûlants transportsContre la Reine même envoyait ses effortsIl écoute de loin ce qu'elle lui fait dire Il l'entend murmurer. Dieux souffrez-vous qu'ArgireMe traite indignement ; et que cette prisonCoûte tant de désordre à toute ma maison ?Que je suis sans secours, que le Ciel me trahisse,Que les miens soient aux fers, que mon trône périsse, Mais faut-il. À ces mots il se tait ; et soudainIl reprend son discours sans ordre et sans dessein. CLAIRANCE. Dieux ! CLARICE. Phradate n'a pu comprendre davantageDe ce discours confus, qu'interrompait sa rage.Lors Attale approchant le Roi, pour lui parler ; Après un long conseil on le fait rappeler.Phradate, dit le Roi, rapportes à la Reine,Que mes Ambassadeurs vont terminer sa peine ;Dis-lui. ne lui dis rien ; retire-toi d'ici ;Phradate alors s'écarte, et s'en revient ainsi. CLAIRANCE. Imputez au regret de notre servitudeCes violents transports et son inquiétude,Se trouvant accablé du poids de nos malheurs,Il ne peut autrement exprimer ses douleurs ;Si vous n'avez d'ailleurs de sujet de vous plaindre. ARGIRE. Où l'on écoute Attale, Argire doit tout craindre. CLAIRANCE. Quelque état que le Roi fasse de ces conseils,Que peut-il contre vous ? ARGIRE. Que peuvent ses pareils !Préférant dans les voeux qu'il fit pour Oraxène,Ceux d'Arsacide aux siens, j'ai mérité sa haine ; Et voyant que le Roi s'obstine à l'écouterSa haine est un malheur que je dois redouter ;Mais quoi que sa fureur contre moi puisse dire,Rien ne peut ébranler la confiance d'Argire,Ni Porus m'imposer d'assez sévère loi ; Pour me faire oublier mon époux et mon Roi. ACTE II SCÈNE I. Porus, et Arsacide inconnus. ORONTE, s'en allant. Oui Seigneur de ce pas je m'en vais vers la Reine. PORUS. Quoi verrai-je grands Dieux cet objet de ma haine !Sachant sa perfidie, et voyant que son coeurAu milieu de ses fers adore ce vainqueur. Non, perfide, non, non, brûle pour Alexandre.Lâche. ARSACIDE. Seigneur je crains qu'on ne vous puisse entendre.Dévorez vos douleurs, ne parlez qu'à demi ;Tout doit être suspect dans un camp ennemi.Alexandre pourrait par quelque défiance Vous faisant observer tromper votre espérance. PORUS. On nous prend pour suivants de mon Ambassadeur. ARSACIDE. [Note : On lit et au lieu de cette erreur. Remarque : " Erreur est du masculin, " dit Marg. Buffet, Observ. p. 191, en 1668. Erreur, en effet, a été masculin au XVIe siècle, alors qu'on refit du masculin, d'après le latin, les substantifs en eur qui venaient de noms latins en or, qui étaient tous féminins dans l'ancienne langue et qui ont presque tous repris leur genre ancien, excepté quelques-uns, par exemple, amour, honneur, labeur, etc. [L]]Mais on pourrait enfin sortir de cette erreur. PORUS. Où penses-tu mon coeur, et qui t'oblige à feindre ?Éclate, il n'est plus temps d'espérer ni de craindre Argire me trahit, fais ton dernier effort ;Assure d'un seul coup ma vengeance et sa mort.De l'éclat d'un vainqueur orgueilleux de ma perteArgire est éblouie, Argire s'est offerteÀ ce cruel fléau de tous les Potentats, De qui l'ambition dévore mes États.Oui, c'est elle mon coeur, oui c'est cette infidèle ;Étouffe les soupirs, que tu pousses pour elle.À ce coup ma raison ne m'abandonne pas ;Parle-moi de son crime en cachant ses appas. Je crains qu'en sa faveur mon amour s'intéresse,Que l'ingrate m'arrache une indigne tendresse,Et que tous ses attraits venant pour me trahir,Ne me fassent aimer ce que je dois haïr.Argire, lâche Argire, est-ce ainsi que ton âme Soutient la pureté de sa première flamme ?Va perfide il est temps ; sors enfin de mon coeur.Sers d'infâme trophée au char de mon vainqueur.Puisqu'il faut à son tour que ma haine s'exprime,Je ne te connais plus à travers de ton crime, Et mon coeur convaincu d'un si grand changementS'abandonne sans peine à son ressentiment. ARSACIDE. Oui, Seigneur, je l'avoue ; il est vrai que la ReineSe rend par cet amour digne de votre haine.Mais sur quel fondement vos soupçons sont formés ? Est-ce sur des billets que l'envie a semés ?C'est de vos ennemis le lâche stratagème. PORUS. Je ne le sais que trop. Arsacide elle l'aime. ARSACIDE. Donnez à vos soupçons plus d'éclaircissement. PORUS. Je donne à mes soupçons un meilleur fondement, J'assure ces billets sur sa première lettre ;J'y vis un certain feu qui commençait de naître ;Et son âme en désordre agissant lâchementCéder sans résistance à cet embrasement,Mais dois-je plus douter de son injuste flamme ? Et qu'Alexandre enfin ne règne dans son âme,Elle ne m'écrit plus que ses fers sont pesants,Et ne m'entretient plus que de riches présents,Que du bon traitement que lui fait Alexandre ;Que sa prison n'a rien qui puisse la surprendre, Qu'il n'appartient qu'à lui de ranger sous ses loisPar sa rare douceur les Reines et les Rois.Je versai sur sa lettre un déluge de larmes ;Malgré sa trahison voyant encor ses charmes,Je me persuadai que mes yeux imposteurs Enveloppaient mes sens en des songes trompeurs :Mais enfin ma raison se voyant dégagéeDe cette aveugle amour où je l'avais plongée,Et traînant après elle une suite d'horreurs,Me fit voir de plus près son crime et mers malheurs. Mon âme en ce moment sembla voir Alexandre,Qui malgré mes efforts voulaient tout entreprendre.Je le vis triomphant de ses rares appas ;Arsacide que vis-je ? Ou que ne vis-je pas ? ARSACIDE. Cet objet qui vous trompe, et qui vous épouvante N'est rien qu'une vapeur que votre amour enfante.La Reine vous a vu trop sensible à ses pleurs ;Ressentir la moitié de ses vives douleurs ;Et pour vous éloigner de ce triste partageVous parle d'Alexandre avec tant d'avantage. PORUS. Ah ! Non, non, dis plutôt que son coeur amoureuxN'a pu parler de lui sans découvrir ces feux,Dont malgré le devoir une âme révoltéeDe l'estime à l'amour se voit précipitée.Mon esprit prévoyait ce sensible malheur : Du mal qui l'approchait il souffrait la douleur,Et le pressentiment de cette grande perteNe l'affligeait pas moins, que s'il l'avait soufferte. ARSACIDE. Quoi Seigneur, ce grand coeur se rend-il sans combat ?Un soupçon lui fait peur, un fantôme l'abat ? Formez-vous un penser avec si peu de peineSi peu digne de vous, si mortel à la Reine ?Et loin d'être venu pour la désabuser,Ne voudriez-vous la voir qu'afin de l'accuser ?Si c'est votre dessein, une fureur si grande Mérite plus de maux qu'elle n'en appréhende.Seigneur pardonnez-moi, si je sors du respect ;Le discours d'un flatteur vous doit être suspect ?Mais celui qu'a formé la grandeur de mon zèleS'il est moins complaisant, est d'autant plus fidèle. PORUS. Ah ! Soupçons trop cruels qui m'avez alarmé ;Dans quel gouffre d'horreurs m'avez-vous abîmé ?Enfants tumultueux de mon amour extrême,Ou souffrez que je meure, ou souffrez que je l'aime,Apaisez le désordre où vous m'avez réduit, Et ne détruisez pas celle qui vous produit.N'êtes-vous pas lassés de causer mon martyre ?Qu'avez-vous observé dans la prison d'Argire ?Que lui reprochez-vous ? Ah ! Que vous me pressez !Argire est criminelle, et vous me punissez. Juges, témoins, bourreaux, de mon sort déplorableVous perdez l'innocent et sauvez la coupable.Vous venez m'exposer l'horreur de son forfait,Et vous vengez sur moi le tort qu'elle me fait. ARSACIDE. Mais Seigneur vous devez. PORUS. Que veux-tu que je fasse ? Pèse mes déplaisirs, regarde ma disgrâce. ARSACIDE. Hélas ! Je tâche en vain de flatter vos malheurs.Je sens que vos soupirs réveillent mes douleursVoulant vous consoler ma constance se trouble :Plus je combats vos maux, plus le mien se redouble. Oui Seigneur, mes malheurs sont sans comparaison,Et de mon désespoir j'attends ma guérisonQui pourrait résister à mon sort déplorable ?Vous m'avez accordée une fille adorable,L'hymen déjà tout prêt d'allumer son flambeau ; Promettait à mes feux le destin le plus beau.Un excès de bonheur allait suivre ma peine,Et les Dieux assemblés pour former Oraxène,N'avaient jamais uni par de si doux accordsLes charmes d'un esprit à la beauté d'un corps. Et cependant le sort déployant ses capricesDe mes plus doux plaisirs a formé mes supplices.Oraxène est captive, et ce malheur fatalDans le camp ennemi me suscite un rival.Mais un rival aimé. PORUS. L'on te trompe Arsacide. D'où te naît un penser si bas et si timide ? ARSACIDE. Je sais. mais non, souffrez que malgré ma douleurJ'épargne à ma Princesse un affront plein d'horreur.Il faut qu'auparavant sa bouche m'en assure :Je pourrais toutefois sans lui faire une injure. PORUS. Quoi. ARSACIDE. Je me plains, Seigneur de mon sort rigoureux,Et je dis seulement que je suis malheureux. SCÈNE II. Oronte, Porus, Argire, Clairance. ORONTE, s'en allant. Madame les voici. ARGIRE. Dieux que vois-je Clairance ! CLAIRANCE. Ah ! Madame. PORUS, bas. Peux-tu soutenir ma présence !Perfide me trahir. ARGIRE. Est-ce vous ? Ah ! Seigneur. Comment puis-je acquitter cette extrême faveur ?Mais las ! Quelle terreur vient surprendre ma joie ?Dans ces lieux ennemis faut-il que je vous voie ?Pourquoi vous faites-vous un sort si rigoureux ?Et pourquoi m'offrez-vous un bien si dangereux ? Puis-je voir sans trembler dans ce péril extrêmeUn époux qui m'est cher cent fois plus que moi-même ?Retirez-vous, Seigneur, de ces dangers pressants,Et délivrez mon coeur des troubles que je sens,Fuyez, qu'avez-vous fait Arsacide ? PORUS. Madame. ARGIRE. Que de craintes en foule entrent dedans mon âme ?Je vois de tous côtés des gouffres entrouverts ;Et tout me parle ici de prisons et de fers,De l'excès de mes maux ma constance troubléePar cet abord fatal est enfin accablée. Sauvez-vous, et souffrez. PORUS. Arrêtez. ARGIRE. Je ne puis. PORUS. M'abandonnerez-vous en l'état où je suis ?Non, je ne dois pas craindre un traitement si rude ;Vous êtes trop sensible à mon inquiétude. ARGIRE. Laissez-moi. PORUS. Cet accueil est un peu surprenant. ARGIRE. Je ne puis vous sauver qu'en vous abandonnant.Considérez, Seigneur, que mon amour extrêmeNe pourrait s'empêcher d'agir contre vous-même.Mes sanglots, vos regards, mes soupirs et vos feuxSont ici centre nous des témoins dangereux. Ménageons mieux Seigneur, quelque espoir qui nous reste,Et puisque le destin nous est encore funeste,Attendons que le Ciel touché de nos tourmentsAccorde à notre amour de plus heureux moments. PORUS. Je connais, je connais la crainte qui te blesse. Cette fausse pitié, qui pour moi s'intéresse,Ces sanglots malformés, et ces brûlants soupirsMe déclarent assez quels sont tes déplaisirs ;Va perfide, va, cours après ton Alexandre. ARGIRE. Qu'entends-je ? PORUS. Ce reproche a droit de te surprendre. ARGIRE. Quoi, Seigneur, est-ce ainsi. PORUS. Je ne t'écoute plus,Tu fais pour t'excuser des efforts superflus. ARGIRE. Ce sont donc les soupçons dont votre âme est saisie ?C'est donc la trahison de votre jalousie,Qui vous donnent en proie à tous ces mouvements, Et vous font consentir à ces déguisements ?Quoi, Seigneur, non content de mortelles alarmesQue m'a fait ressentir le malheur de vos armes. PORUS. Alexandre t'attend, va donc, je te prometsPour ne te plus choquer de ne te voir jamais. Perfide qu'attends-tu ? Qui peut donc te contraindre ?Si tu ne crains que moi, tu n'as plus rien à craindre.Va lâche. ARGIRE. Justes Dieux ! PORUS. Vole après ton amant.Sa passion se plaint de ton retardement.Mais ton crime te suit, et ton âme étourdie Par les remords affreux de cette perfidieT'occupant pleinement arrête ici tes pas. ARGIRE. Ah ! Barbare, ah ! Cruel je ne m'étonne pasSi ton Ambassadeur pour rompre notre chaînePrésente une rançon indigne d'une Reine. PORUS. Si l'offre que je fais est au-dessous de toi,Je puis abandonner ce qui n'est plus à moi. ARGIRE. Puisque mon innocence a perdu l'avantageDe se faire connaître à celui qui l'outrage,Suivez aveuglement votre jalouse humeur : Argire aime Alexandre, Argire est dans son coeur,Je presse votre haine, et sers votre vengeance,J'arme votre fureur contre mon innocence ;Mais je puis mettre fin à mon sort inhumain ;Puisqu'il me reste encor et mon coeur et ma main Pour punir vos soupçons et me rendre justice,Je me dois à moi-même un si beau sacrifice ;Et mon sang soupçonné de cette lâchetéBrûle de vous montrer quelle est sa pureté. PORUS. Dieux un reste d'amour entreprend sa défense Et dans sa trahison cherche son innocence ;Ma haine s'affaiblit sous son premier effort :Je sens qu'elle chancelle, et qu'il se rend plus fort.Revenez mes soupçons, voyez, voyez qu'ArgireSur ma rage lassée établit son Empire. Que ne redonnez-vous à mon coeur abattuMalgré tous ses appas un reste de vertu ?Vous rendez-vous si tôt à l'éclat de ses charmes,Et pour me secourir n'avez-vous que des larmes ? ARGIRE. Ah ! Si vous ne voulez me rendre mon honneur. Du moins pour m'arracher aux désirs d'un vainqueur,Percez ce coeur, chassez cette indigne tendresse.Haïssez, haïssez avec moins de faiblesse.Argire doit mourir puisque vous le voulez,Portez le dernier coup à ses sens désolés. Mais Alexandre vient, Dieux mon âme abattuePourra-t-elle cacher la douleur qui la tue ?Étouffez ces transports. Ne me regardez-pas.Cachez-vous. PORUS. Moi ! ARGIRE. Seigneur il dresse ici ses pas. SCÈNE III. Alexandre, Porus, Argire, Arsacide, Clairance, Troupe des Gardes. ALEXANDRE. Qu'on nous laisse ici seuls, gardes qu'on se retire. PORUS. Arsacide ! ARSACIDE. Seigneur. PORUS. Quoi lui quitter Argire !Non, il faut par sa mort l'arracher de ses bras. ARSACIDE. C'est se perdre, Seigneur, et ne se venger pas. SCÈNE IV. Alexandre, Argire. ALEXANDRE. Je ne puis vous celer ce que je viens d'apprendre,L'offre de votre époux me fait peine à comprendre M'offrant une rançon, que je n'ose accepterJe doute avec raison s'il veut vous racheter.Je m'étonne qu'un Roi dont l'amour est extrême,Qui perd en vous perdant la moitié de soi-mêmeAit pour vous des pensers jusques là ravalés, Et qu'il offre si peu pour ce que vous valez. ARGIRE. Seigneur, pour m'affranchir s'il t'offrait davantage ;Ta générosité recevrait quelque outrage :D'elle seule aujourd'hui j'attends ma liberté,Tu vois qu'elle s'oppose à ma captivité. Ne lui dérobe pas une illustre matière,Qu'elle doit pleinement exercer la première. ALEXANDRE. Un qui vous connaîtrait bien moins que je ne faisSur l'offre qu'il me fait ne vous rendrait jamais.Si j'étais comme lui pour vous tirer des chaînes J'offrirais et mon trône et le sang de mes veines ;Et mon coeur méprisant le sceptre et le dangerÀ quel prix que ce fût vous irait dégager.Mais pourrait-il tomber dans ce désordre extrême.Votre vertu vous rend seule égale à vous-même ; Et je ne puis souffrir de semblables reversPuisqu'il n'est qu'une Argire en tout cet Univers. ARGIRE. Argire vaut si peu, que je crois qu'AlexandreNe ferait qu'à regret ce que je viens d'entendre.Porus fait ce qu'il doit ; et j'estime qu'aussi Si vous la connaissiez vous agiriez ainsi. ALEXANDRE. Je connais mieux que lui le mérite d'Argire,Et pour vous confirmer ce que je viens de direJe vous laisse à vous-même, il ne tiendra qu'à vousDe me faire accepter l'offre de votre époux. SCÈNE V. Clairance, Argire. CLAIRANCE. Ô ! Dieux fut-il jamais âme plus généreuse ! ARGIRE. Ô Dieux fut-il jamais Reine plus malheureuse ! CLAIRANCE. Sa générosité va finir vos ennuis. ARGIRE. Ah ! Que tu juges mal de l'état où je suis !Que l'offre qu'il me fait est peu digne d'envie ! Si d'un plus grand malheur cette grâce est suivie ;Et s'il faut que ce coeur en cette extrémitéDe même que ses fers craigne la liberté.Vois quel est de mon sort le bizarre caprice :Le comble de mes voeux fait mon plus grand supplice. Je trouve un ennemi si je cherche un époux.Si je fuis mon vainqueur ; c'est pour suivre un jaloux.Profitons toutefois des faveurs d'Alexandre ;Allons, allons presser ce que j'en ose attendre.Pour périr promptement abandonnons ces lieux ; Exposons-nous entiers aux traits d'un furieux ;Et sans examiner le courroux qui l'anime,Allons à ses soupçons offrir cette victime. ACTE III SCÈNE I. Porus, Arsacide. PORUS. Hé bien cher Arsacide, en dois-je plus douter ?Diras-tu désormais que j'ai tort d'éclater ? Et que je dois bannir l'injuste défiance,Dont la vertu d'Argire et mon amour s'offenseElle le suit l'ingrate, et je suis dans ces lieuxUn objet importun à son coeur, à ses yeux.Mais lâche que je suis ! Alexandre a pu dire Qu'on nous laisse ici seuls ; soldats qu'on se retire ;Et loin de l'immoler à mon ressentimentJ'obéis en esclave à son commandement.Quoi dans le temps qu'il faut signaler ma vengeance,J'écoute des discours si remplis d'insolence ? Qui s'oppose à sa perte et qui retient mon bras ?Puis-je vivre, le voir, et ne me venger pas ?Quoi Porus, quoi ce Roi qui sut se faire craindreCherche et voit son rival, et s'amuse à se plaindre !Et sans me souvenir ni de lui, ni de moi, J'obéis en esclave et je reçois sa loi.Que suis-je devenu ! Je me cherche moi-même ;Et ne me trouve plus dans ce désordre extrême.Vous ai-je donc quittés trône, sceptre, grandeur,Pour servir mon rival et mon Ambassadeur ? Mais gardez-vous encor de montrer ma naissance :Vous quittant je vous sers autant que ma vengeance.Trône ? Pour t'asservir un rival massacréDoit être ma victime et ton premier degré ;Enfin sceptre, grandeur, je ne puis vous reprendre Que je ne sois vengé d'Argire et d'Alexandre.C'est à toi seulement que ce coeur maltraitéDemande du secours en cette extrémité ;C'est par toi, c'est par toi que cette âme outragéeDoit être pleinement satisfaite et vengée. Arsacide fais voir que pour me secourirTu sais. ARSACIDE. Oui je saurai vous venger ou mourir.Mais pensez-vous qu'Argire. PORUS. Oses-tu la défendre ? ARSACIDE. Séparez sa vertu du crime d'Alexandre,Et perdant ce rival Seigneur ne souillez pas Par des soupçons si noirs de si divins appas ;Écoutez la raison autant que votre haine.Encor que Perdiccas soit aimé d'Oraxène,Et qu'un même destin pour accroître nos maux,De ces deux ennemis ait fait nos deux rivaux ; Aussi pressé que vous du mal qui nous possède,Malgré mon désespoir, j'en pèse le remède ;Et celui-ci, Seigneur, est si peu de saison ;Qu'il avance la mort, et non la guérison.Allons. PORUS. Et bien sans perdre un moment davantage, Retourne dans le camp et laisse agir ma rage :Tiens nos soldats tous prêts à combattre demain ;Les traités sont rompus, cependant de ma mainPar ma juste douleur puissamment animéeJe cours perdre Alexandre au coeur de son armée. ARSACIDE. C'est à moi qu'appartient ce dangereux emploiVous. PORUS. Va pars Arsacide ; obéis à ton Roi. ARSACIDE. Quoi vous abandonner ; et trahir ma querelle !Non, non, l'obéissance est ici criminelle ;Double intérêt m'engage à courir ce danger : J'ai mon Prince à servir ; mon amour à venger ;Ces devoirs opposés à mon obéissanceDe leur côté sans peine emportent la balance.Et m'instruisant par eux de vos commandements.Je sens qu'ils sont d'accord avec mes sentiments. Vous plutôt en qui seul tout notre espoir se fonde ;Dont le salut importe à la moitié du monde,Qui de l'autre moitié redoutant le malheur ;Oppose à son tyran votre seule valeur ;Ménagez pour son bien une tête si chère ; Je suffis au dessein que l'amour nous suggère.Et vous, en qui l'Indie a mis tout son espoir :Réservez-vous, Seigneur, à ce premier devoir.Retournez dans le camp, et par votre présenceRendez à vos soldats leur première assurance ; Demain, si le démon qui veille en sa faveur,Sauve votre ennemi des traits de ma fureur ;Vous pourrez pour finir cette sanglante guerre,Disputer contre lui l'empire de la terre ;Le défier en Roi, le vaincre aux yeux de tous. Mais tout autre dessein est indigne de vous. PORUS. Hélas ! Quand tes discours échauffent mon courageQue je hais les desseins que m'inspire ma rage !Mais aussi quand je vois l'excès de mon malheur,Que tes discours sont froids auprès de ma fureur : Autrefois au seul bruit de ses grandes merveilles ;Quand le nom d'Alexandre eut frappé mes oreillesAvec le même effet je sentis dans mon coeurAllumer le désir d'attaquer ce vainqueur.Quand j'appris qu'il venait fondre sur cette terre, Mon âme avecque joie embrassa cette guerre,Et me voir prévenu par ce fameux vainqueurEst le seul déplaisir qui troubla ce bonheur.Mais depuis quand le Ciel ennemi de ma gloire.Dès le premier combat lui livra la victoire ; Au malheureux moment qu'il mit dans sa prisonMa femme et mes enfants ; je perdis la raison.Comme d'un gouffre affreux de ce malheur extrêmeS'élevèrent des maux pires que ce mal même ;Je reste sans vertu, sans coeur, sans jugement ; Et tu vois un effet de ce dérèglement.Mon dessein quel qu'il soit ne doit plus le surprendre ;Je cherche mon rival ; et non pas Alexandre,Et je cherche en rival, en amant, en jaloux ;Un tyran qui ravit sa femme à son époux. Le délai d'un moment redouble mon offense ;Et tu veux d'une nuit reculer ma vengeance.Ce conseil me nuirait, plus que mon désespoir :Aussi pour arracher Argire à son pouvoirSans en plus consulter que ma fureur extrême, Je cours perdre Alexandre, et l'ingrate et moi-même.Enfin pour amoindrir l'excès de mon malheurJe veux tout accorder à ma forte douleur. SCÈNE II. Argire, Porus, Arsacide, Oraxène. ARGIRE. Ne lui refuse rien, fais ce qu'elle t'inspire ;La cruelle qu'elle est a soif du sang d'Argire ; Je viens pour te l'offrir, Seigneur, que tardes-tuDéjà de cette main je l'aurais répandu ;Si ne te pouvant montrer mon innocence,Je ne t'avais voulu réserver ta vengeance. PORUS. Va mon honneur la veut devoir à mes efforts ; Et non pas à l'effet de tes lâches remords ;Si tu veux m'obliger, songe à te mieux défendreAppelle à ton secours la valeur d'Alexandre,Je la veux égorger à ses yeux dans ses bras ;Et sa mort autrement ne me vengerait pas. ARGIRE. Ah ! Porus est-ce ainsi que ton amour m'offense ?Vengez Dieux immortels, vengez mon innocence,Mais où m'emporte ici mon premier mouvement ?Dieux ne la vengez pas sauvez-la seulement.Mon âme au désespoir vous demandait un crime : C'est mon Roi qui l'offense et mon Roi qui l'opprime :Conservez-la grands Dieux, et soyez son appui ;Ce serait m'accabler, que la venger sur lui.Que t'ai-je fait cruel, pour être ainsi traitée ? PORUS. De quels divers transports mon âme est agitée : Fuyons. ARGIRE. N'espère pas d'échapper à mes pleurs ;Il faut ici finir ma vie, ou mes malheurs ;J'y veux vivre innocente ou mourir en coupable,Ta haine ou ton amour me sera favorable,Je t'aimerai toujours dans l'un et l'autre sort. Détrompé d'un faux crime, ou vengé par ma mort. PORUS. Dieux pourquoi fallait-il qu'elle fut infidèle ! ARGIRE. Ne puis-je. PORUS. Ne crains rien trop chère criminelle :Malgré ta trahison je t'aime, et ma douleurSent bien que t'outrager c'est croître mon malheur. Vis, et souffre qu'ailleurs je porte ma vengeance. ARGIRE. Ah ! Plus que tes rigueurs je hais cette indulgence.Rends-moi mon innocence, ou me prive du jour.Mais tu fuis ; est-ce ainsi qu'on trait mon amour ;Je te suivrai partout. ARSACIDE. Qu'allez-vous entreprendre ? Voulez-vous le livrer au pouvoir d'Alexandre ?Vous l'allez découvrir. ORAXENE. Madame où courez-vous ? ARGIRE. Quel obstacle nouveau m'arrache à mon époux ?Que dois-je devenir Arsacide, Oraxène,Je vous entends, la mort doit terminer ma peine. SCÈNE III. Oraxène, Arsacide. ORAXENE. Quoi Prince, dans nos fers loin de nous soulagerLe Roi n'est-il venu que pour nous outrager ?Est-ce là ce secours, cet effort salutaireQue nos maux attendaient d'un époux et d'un père ?Vous, qui vîtes former, et croître son erreur, Prince vous nous devez compte de sa fureur.Loin de vous opposer. ARSACIDE. Hélas ! Ma résistanceLoin de la ralentir a cru sa violence ;Et malgré mes efforts sur l'esprit de ce RoiAttale le flattant a plus gagner que moi. ORAXENE. Ah ! Le lâche ! ARSACIDE. Un billet qu'on trouve dans sa tenteDonna le premier branle à son âme flottante,Prête à tout présumer de l'heur de son rival ;Et vos lettres enfin achevèrent ce mal.La Reine en écrivant lui parlait d'Alexandre Comme d'un conquérant, à qui tout se doit rendre ;À qui seul appartient de ranger sous ses loisPar sa rare douceur les Reines et les Rois.Nous vîmes à ces mots dans son âme troubléeRepasser les soupçons qui l'avaient ébranlée, Et suivant des pensers conçues sans fondement,Il se précipita dans son aveuglement.Tous ces doutes ainsi changés en assurance,Il ne respire plus que haine, que vengeance ;Et de tous nos conseils il ne veut recevoir Que celui qui s'accorde avec son désespoir ;Attale en est l'auteur, pour racheter la Reine,Ou plutôt pour servir sa détestable haine.Il députe en ces lieux, suit son Ambassadeur ;Moi qui vis ce dessein conforme à mon ardeur, Je le suis dans l'espoir que toutes nos alarmesS'enfuiraient à l'éclat de tant d'aimables charmes.Mais hélas ! Je sens bien, que loin de les guérirNotre abord en ces lieux n'a fait que les aigrir. ORAXENE. Vous parlez pour le Roi ! ARSACIDE. Madame. ORAXENE. Quoi ? ARSACIDE. Princesse Il est vrai que je sens la douleur qui le presse :Mais aussi. ORAXENE. Mais comment a-t-il pu dans son coeurRecevoir des soupçons mortels à son honneur.Sur un billet qu'aura semé la médisance,Une lettre, où la Reine avec reconnaissance Parle du traitement que nous font nos vainqueursA-t-il lieu de former de pareilles erreurs. ARSACIDE. Il est vrai ses soupçons ont fort peu d'apparence,À les examiner avec indifférence ;Mais aussi qu'un esprit conduit par son malheur Y trouve des sujets d'une extrême douleur ; ORAXENE. Il est vrai que l'on voit dans la Cour d'AlexandreDes charmes, dont l'esprit à peine à se défendre ;Mais quelque grand qu'il doit en est-il d'assez douxQui puisse justement alarmer un époux ? ARSACIDE. Hé bien Porus a tort, une chaîne si sainteDoit vaincre ses soupçons, et sa jalouse crainte,Mais que puis-je espérer ? Où sera mon recours ?Si contre un plus grand mal j'ai demandé secours ?On trouve, dites-vous, dans la Cour d'Alexandre Des charmes, dont le coeur a peine à se défendre ;Et le vôtre contre eux s'est si mal défendu,Qu'il le faut confesser Princesse ; il s'est perdu.Au moins est-il perdu pour le triste Arsacide ;Perdiccas me le vole ; et vous-même perfide Vous lui tenez la main, pour me voler mon bienEt lui livrer un coeur qui me coûte le mien.Ingrate, car enfin il est temps de se plaindre ;Et mon ressentiment ne doit plus se contraindre ;Où sont tant de serments et donnés et reçus Que mon timide amour avait si bien conçus.Serments qui m'assuraient d'une foi si durablePar tout ce que le Ciel a de plus vénérable ;Il ne t'en souvient plus, ou sans les rappelerIl ne t'en souvient plus que pour les violer, Rends-moi, rends-moi ta foi perfide. ORAXENE. Je me lasseD'entendre des discours de si mauvaise grâce ;Ces reproches éloquents sont si mal inventés,Que qui peut les souffrir, les a bien mérités ;Bizarre défiant, esprit faible et timide Que je t'ai mal connu, c'est dont vous Arsacide ?Qui pour autoriser votre dérèglementAvez plongé le Roi dans son aveuglement.Je n'en accuse plus Attale, ni quelque autre :Sa fureur, nos malheurs tout ce désordre est vôtre. C'est vous, par qui je vois la Reine au désespoir.Ah ! Ne m'obligez plus désormais à vous voir.Va. ARSACIDE. Princesse arrêtez ; est-ce ainsi qu'on s'excuse ? ORAXENE. Tu ne mérites pas que je te désabuse. ARSACIDE. Perfide dis plutôt qu'on ne peut t'excuser ; Et qu'il n'est pas en toi de me désabuser ;Hé bien volage cours à ta nouvelle flamme :Ou si quelque piste loge encor dans ton âme,Donne au moins un moment à voir couler mes pleurs ;Je n'en espère pas d'adoucir mes malheurs ; Ni de mon mauvais sort changer l'ordre barbare ;Puisque tu l'as voulu, mon esprit s'y prépare ;Et je ne veux jouir du plaisir de te voirQue pour en redoubler mon juste désespoir ;Triste et funeste effet d'une chère présence Oui je sens à tes yeux croître sa violencePar le poids des malheurs à mon esprit offertsQuand je vois de quel prix est le bien que je perds. ORAXENE. Arsacide. ARSACIDE. Il est tel que quelque tyrannieQu'exerce sur mon coeur ta puissance infinie, Je ne puis résister au juste mouvementQui me fait révolter contre ton changement.Je sens tous mes transports céder à cette envie ;Pour m'ôter ma Princesse, il faut m'ôter la vie,Et dans mon désespoir je me sens assez fort Pour garder ma Princesse et détourner ma mort.Oui rival tu sauras qu'on n'acquiert OraxèneQu'après de grands travaux qu'avec beaucoup de peine ;Qu'il reste, après avoir triomphé de son coeur,Un ennemi plus fort que sa molle rigueur. ORAXENE. Quoi Prince ? ARSACIDE. Je vois bien que ce dessein vous blesse ;Mais que m'ordonnez-vous inhumaine Princesse ?Faut-il par un désordre à mon honneur fatalQue pour vous contenter je serve mon rival ?N'attendez point de moi de si sotte indulgence ; Vous m'avez tout ôté laissez-moi ma vengeance. ORAXENE. Non. ARSACIDE. Voulant obéir jusqu'à mon trépasJe ne puis la garder qu'en ne t'écoutant pas. ORAXENE. Écoute et souffre enfin que je te désabuseArrête Prince aveugle ; ah ! Que je suis confuse ! Qu'ai-je fait ? SCÈNE IV. Oraxène, Clairance. ORAXENE, continue. Ah ma soeur suis ce désespéréEmpêche son trépas, que je vois assuré ;Dis-lui pour l'arracher à sa fureur extrême.Qu'Oraxène pour lui sera toujours la même ;Que je l'aime au moment qu'il soupçonne ma foi, Plus que je n'ai promis, et plus que je ne dois.Va. CLAIRANCE. Quoi ma soeur descendre à cette complaisance ? ORAXENE. Pardonne une pitié dont ma gloire s'offenseJ'ai cru que pour finir son mortel désespoirJe pouvais faire un pas au-delà du devoir ; Mais j'y rentre, et l'amour banni de ma mémoireJ'abandonne ce Prince, et prends soin de ma gloire ;Meurs, meurs, et par un coup qui te sera fatalImmole un innocent que tu vois ton rival.Porte sur Perdiccas ta fureur et tes armes Meurs et n'attends de moi que d'impuissantes larmes. CLAIRANCE. Sur Perdiccas. ORAXENE. C'est là ce rival supposé. CLAIRANCE. Ah ! Vous deviez ma soeur l'avoir désabusé ;Faire si peu d'état du salut d'ArsacideL'abandonner ingrate au courroux, qui le guide. Hélas ? ORAXENE. Où courrez-vous ? CLAIRANCE. Faire votre devoir.Et par vos repentirs chasser son désespoir. ORAXENE. Pour un ingrat descendre à cette complaisance ! CLAIRANCE. Que tu mérites bien le soupçon qui l'offense.Il faut plaindre Arsacide, et son aveuglement Est digne de pitié, non pas de châtiment ;Et quand bien ses soupçons mériteraient sa peine ;Que t'a fait Perdiccas insensible, Oraxène ;Et pourquoi l'exposer aux redoutables coups ;D'un amant furieux, désespéré, jaloux. ORAXENE. Ah ! Ma soeur je vois bien, la pitié qui te touche. CLAIRANCE. Toute celle que j'ai s'explique par ma bouche.Et je ne parle ici que pour votre intérêt. ORAXENE. Hé bien je ne veux pas entrer dans tes secrets.Suis-le. CLAIRANCE. Est-ce ainsi ma soeur. ORAXENE. C'est perdre temps Clairance. Va tâche à détourner sa mort, ou sa vengeanceMais. CLAIRANCE. Quoi. ORAXENE. Ne lui dis rien qui me fasse rougir. CLAIRANCE. J'apprends de ton orgueil comme je dois agir. ACTE IV SCÈNE I. Perdiccas, Oraxène. PERDICCAS. Encor pour quelque temps vous serez prisonnières ;Ce n'est pas que le Ciel n'ait reçu vos prières ; Mais au point qu'Alexandre allait tour accorder,Les vôtres ont cessé de lui plus demander.Rompant tous les traités d'assez mauvaise grâce,Ils ont d'abord passé de l'offre à la menace ;Mais par un changement si superbe et si prompt, Qu'à peine le vainqueur s'est sauvé de l'affront.Par son Ambassadeur Porus a fait entendreQue son bras peut forcer les prisons d'Alexandre ;Que c'est par ce moyen qu'il vous veut secourir,Et qu'il prétend par là vous ravoir ou périr. ORAXENE. Il vaut mieux en effet que son coeur en ordonne,Il sied mal de prier portant une couronne :Et le Roi possédé de ce beau sentimentCroit nos fers moins honteux, que cet abaissement.Argire est en vos mains il hasarde sa gloire S'il prétend la ravoir , que par une victoire ;Et nous nous trouverions dans un pire malheur,Si votre liberté nuisait à sa valeur,Ne plaigniez point, Seigneur, cette heureuse disgrâce. PERDICCAS. Je donne ces soupirs au mal qui me menace, Quand je vois que le Ciel de mon bonheur jalouxMe force encor un coup à m'armer contre vous. ORAXENE. Vos générosités. SCÈNE II. Clairance, Arsacide, Oraxène, Perdiccas. CLAIRANCE, retenant Arsacide. Quoi Prince ? ARSACIDE. Non Clairance ; Il lui échappe et met l'épée à la main.Je ne puis perdre un temps si cher à ma vengeance. CLAIRANCE. Au secours. ORAXENE. Justes Dieux ! PERDICCAS, va contre lui. Ah barbare ! ORAXENE, l'arrête. Seigneur. PERDICCAS. Ah ! Ne m'empêchez pas de venger votre soeur. ARSACIDE. C'est à toi que j'en veux garde-toi d'Arsacide. PERDICCAS. Ah rival ! Penses-tu que ton nom m'intimide ?J'accepte le combat et malgré moi je perdsLe respect que tu dois à celle que tu sers. ARSACIDE. Ils se battent.Contre mon désespoir songe à te mieux défendre. ORAXENE. Ah Clairance ! CLAIRANCE. Ah ma soeur ! J'aperçois Alexandre. SCÈNE III. Alexandre, Perdiccas, Arsacide, Oraxène, Clairance. ALEXANDRE. Partout des assassins à ma table à mon lit.Viens-tu pour m'achever ? Il chancelle ; il pâlit ;Qu'on voit bien dans ses yeux les horreurs de son crime, Plus il veut le cacher plus sa fureur s'exprime,Amener son complice Oronte. Fiers destinsLivrez-vous Alexandre à ces noirs assassins ?Mais où m'emporte ici cette fureur extrême ?Pardonnez-moi, grands Dieux, cet imprudent blasphème ; Si formant contre vous des soupçons mal fondésJ'ose vous attaquer quand vous me défendez.Je vous dois mille autels et mille sacrifices.Vous m'avez découvert le traître et ses complices ;Vous avez empêché leurs efforts inhumains ; Et vos rares bontés m'arrachent de leurs mains.Traître tu venais donc. PERDICCAS. Son nom a trop de gloirePour le déshonorer d'une tache si noire ;J'ai si bien reconnu sa générositéQue si on a sur vous lâchement attenté Il n'est point de complot, non Seigneur ; et je jureQue pour un tel forfait il a l'âme trop pure ?Un bien plus généreux et plus noble desseinLui mettait en ces lieux les armes à la main ;Laisse-le sur sa foi ; que tien ne le retienne ; Et ma tête partout répondra de la sienne. ARSACIDE. Ma fureur qui n'a pu jusqu'ici s'exhaler ;Enfin se relâchant me permet de parler.On te trompe Alexandre et Perdiccas lui-mêmeSe trompe en m'arrachant à ce péril extrême ; Et ne me connaissant seulement qu'à demiSauve ton assassin sauvant son ennemi.Mais en vain ignorant ou cachant mon envieIl aspire à l'honneur de me sauver la vie :J'aime bien mieux périr, que s'il s'osait vanter Qu'il m'eût donné le bien que je lui veux ôter :Mes malheurs ont laissé mon âme toute entière :Mon coeur n'a rien perdu de sa grandeur première ;Et toute sa faveur l'aidant plus puissammentPrête un nouveau secours à son ressentiment. Non, non ; ne défends plus un mortel adversaire.Puisque pour ton repos sa mort est nécessaire ;En le tirant des fers dont tu veux l'arracherTa générosité te coûterait trop cher. ALEXANDRE. Quand ce traître t'attaque, et qu'il ose entreprendre Sue un destin plus cher que celui d'Alexandre ;Faut-il que ses remords assurant ton destinMalgré lui malgré toi livrent cet assassin.Qu'on le charge de fers. PERDICCAS. Seigneur. ALEXANDRE. Point de Clémence. PERDICCAS. Voulez-vous m'exposer à souffrir cette offense, Qu'il me soit désormais justement imputé,D'avoir dans son malheur cherché ma sûreté.Connaissant son dessein, son coeur et sa franchiseJe ne crains de sa part trahison ni surprise ;Et de l'air dont ce Prince attente sur mes jours Ce fer sans ta faveur m'offre assez de secours. ALEXANDRE. Ce Prince ! PERDICCAS. Qu'ai-je dit ? ARSACIDE. Ce repentir m'offense ;Arsacide est mon nom ; apprête ta vengeance :Oui, oui, si quelque orage a menacé ta tête,Sache que j'ai moi seul ému cette tempête. J'en voulais par ta mort délivrer l'UniversQui soupire et gémit sous le poids de tes fers ;Que si le Ciel ailleurs n'eût détourné mes armesDéjà dedans ton sang j'aurais noyé ses larmes ;Puisque pour achever un si noble dessein, Je crois l'assassinat digne de cette main. ALEXANDRE. Prince indigne du rang où les Dieux t'ont fait naître,Mais voici l'assassin. Connais-tu bien ce traître ? SCÈNE IV. Porus, Alexandre, Perdiccas, Arsacide, Oraxène, Clairance. PORUS. Ah ! Reproche sanglant qui déchires mon coeur,Où m'avez-vous conduit, amour, haine, fureur ? Arsacide. ORAXENE. Ah ma soeur, avertissons la Reine ?Elles s'en vont. SCÈNE V. Alexandre, Arsacide, Porus, Perdiccas. ALEXANDRE, à Arsacide. Le connais-tu ? Son nom. ARSACIDE. Il n'en vaut pas la peine :Tu le peux renvoyer. ALEXANDRE. Qu'on le fasse mourir. ARSACIDE. Arrête. PORUS. Ah ! Tu me perds, loin de me secourir ?Abandonne mes jours et prends soin de ma gloire. ALEXANDRE. Qu'on dépêche. ARSACIDE. Sa mort flétrira ta mémoire,Et c'est pour ton malheur que le Ciel a permis[Note : Vers 998, on lit conte dans l'édition originale. Littré signale que : Provenç. contar, comtar ; catal. espagn. et portug. contar ; ital. contare ; du latin computare (voy. COMPTER) ; compter ayant pris, par une dérivation facile à saisir, le sens de conter. On trouve souvent dans des textes anciens conter et compter confondus.]Qu'on compte un vil esclave entre tes ennemis.Donne d'autres objets à ta noble colère ;Tu vois en moi l'auteur du coup qu'il n'a su faire Et ce lâche n'a rien digne de ton courroux. ALEXANDRE. Qu'on l'ôte de mes yeux. PORUS. Soldats que tardez-vous ? SCÈNE VI. Argire, Alexandre, Porus, Perdiccas, Arsacide, Oraxène, Clairance. ARGIRE, à Alexandre. Prends plus de soin, Seigneur, d'une si belle vie. PORUS. Viendrait-elle à mes maux ajouter l'infamie ? ARGIRE, continue. Porus est en tes mains, et le sort a voulu Que d'Argire et de lui tu sois maître absolu :Mais lorsque sa rigueur insolemment nous brave ;Souviens-toi qu'il est Roi plutôt que ton esclave ;Et ne prétendant pas de lui donner la loi,Songe à le moins traiter en esclave qu'en Roi. ALEXANDRE. Quoi ? Porus en infâme attente sur ma vie ?Porus a pu former une si lâche envie ?Et dressant à sa gloire un monument d'horreur,En traître, en assassin exercer sa fureur ! PORUS. Ah de mon mauvais sort, rigueur insupportable, Qu'ai-je fait ! Ou plutôt suis-je coupable !Dans le noble dessein qui m'a conduit ici,Mon crime est seulement d'avoir mal réussi.Venge-toi, sauve-toi des efforts de ma haine,Si je suis dans tes fers je puis rompre ma chaîne ; Crois-moi, n'épargne point un puissant ennemi,Tu n'en a jusqu'ici triomphé qu'à demi,Achève et par ma mort assure ta victoire. ALEXANDRE. Ah ! Que ta trahison est funeste à ma gloire !Grands dieux ! Me faites-vous un si cruel destin ? Si je dois triompher est-ce d'un assassin ? PORUS. Mon âme de dépit et de rage enflamméeM'oblige à te chercher au coeur de ton armée,N'ayant pu jusqu'ici te rencontrer ailleurs. ALEXANDRE. Donne à ta trahison de meilleures couleurs, De ton noir attentat tu sais mal te défendre,Il n'est pas malaisé de trouver Alexandre ;Tu ne le peux trouver, lui, qui dans les combatsS'expose tous les jours au moindre des soldats ;Lui qui vient de si loin fondre comme un tonnerre Au coeur de tes États te déclarer la guerre. PORUS. Lui qui fait en tyran tout ce qu'il entreprend,Lui qui n'ose attaquer et fait le conquérant,Qui n'employant jamais de moyens légitimesUsurpe les États à la faveur des crimes. ALEXANDRE. Je ne dois qu'à ce coeur, je ne dois qu'à ce bras,Ma gloire, ma grandeur, ta perte et tes États,Qu'appelles-tu tenter des moyens légitimes ?Est-ce te rétablir à la faveur des crimes ?Est-ce entrer dans mon camp, suivre un Ambassadeur ? Descendre de ton trône, oublier ta grandeur ?Te cacher dans ma tente et m'attaquer en traître ?Perfide, est-ce par là que tu te fais connaître ?La poudre qui s'élève en mille tourbillonsSous les pas triomphants de mes fiers bataillons, Tant de forts renversés et tant de murs superbesDont le fameux débris est caché sous les herbesTes soldats par ce fer de mille coups percés,Tes escadrons toujours pliants et renversés,Font voir pour ton malheur que du moins Alexandre Attaque beaucoup mieux que tu ne sais défendre. PORUS. Joins à ces vanités celle de ton amour :C'est par là que se perd et l'honneur et le jour ;Tu n'eus que ce moyen pour conquérir l'Indie ;Et tu n'eus que par là du pouvoir sur ma vie. ALEXANDRE. Ah ! Porus, j'ai pitié de ton aveuglement. PORUS. Et moi j'ai de l'horreur de ton dérèglement. ALEXANDRE. Ah ! C'est faire à ma gloire un trop sensible outrage. ARGIRE. Ah ! Seigneur. ARSACIDE. Dans mon sang vient assouvir ta rage,Que tous ses traits mortels se détournent sur moi : Frappe. ALEXANDRE. Va, tu suivras le destin de ton Roi. Alexandre s'en va avec Perdiccas. SCÈNE VII. Argire, Alexandre, Porus, Perdiccas, Arsacide, Oraxène, Clairance. ARGIRE. Quel sera ce destin, consulte avec ta gloireComme tu dois user des traits de ta victoire !Ne laisse pas languir un Roi dans ses liens,Tire-le de ses fers et redouble les miens ; Et puisque c'est pour moi qu'il s'expose à l'orage,Accable-moi des maux où son amour l'engage,Pour rendre mes ennuis un peu moins rigoureux,Ôte à mon mauvais sort au moins un malheureux. ALEXANDRE. Oui Reine. PORUS, à Argire. Garde-toi de suivre son envie, Lâche, ma liberté te coûterait la vie,Il faut finir mes jours, et non pas ma raison,Porte jusques au bout ta noire trahison,Tu m'as mis dans les fers, achève ton ouvrage. ARGIRE. Moi ? PORUS. Toi perfide-toi ? ARGIRE. Justes Dieux quelle rage ! Quoi Porus ? PORUS. Ne feins point de répandre des pleursTon remords les arrache, et non pas mes malheurs :Mais chasse ces remords et cesse de te plaindre,Alexandre est sauvé ; tu n'as plus rien à craindre.Mon rival est paisible et par ta lâcheté Contre tous mes efforts il est en sûreté ;Garde, garde ces pleurs que tu devais répandre,Si j'eusse triomphé de ce grand Alexandre.Argire si le sort vient à le traverserTu maudiras tes yeux, qui n'en pourront verser. ARGIRE. Où ce coeur innocent trouvera-t-il des armesPuisque même tu fais un crime de mes larmes ?Soupirs, larmes, sanglots vous êtes sans effort ;Et je n'ai du secours que celui de la mort,J'y cours. Porus au nom de ta première flamme Prends les derniers soupirs de ta mourante femme. PORUS. Laisse-moi. ARGIRE. Quoi cruel tu ne m'écoutes pas.Un tigre. Cependant que je cours au trépas,Que mon sang va montrer quelle est mon innocence, À Alexandre.Daignez dire, Seigneur, un mot en ma défense. PORUS. Arrête-la, Clarice. CLARICE. Ah Madame ! Un moment. ALEXANDRE. Que je me sens touché de son aveuglement ! PORUS. Argire, arrête encor. ARGIRE. Que me veux-tu barbare ? ALEXANDRE. Commence à mieux traiter une vertu si rare.À tes derniers soupçons mesure le premier. Tu vois dans cet écrit qui t'a fait prisonnier.Madame espérez mieux. PORUS. Ciel qui vois mon martyrePrends contre ma fureur la défense d'Argire. Il lit.Alexandre prends garde à toiDeux hommes par l'ordre du Roi Sont allés dans ton camp t'immoler à sa haine,Défais-toi de ces inhumains,Et dès lors sans aucune peineSi tu me donnes OraxèneJe mets l'Indie entre tes mains. Attale, Dieux vengeurs prêtez-moi votre foudre.Ah ! Traître, quand leurs coups te réduiront en poudre ;Après ta trahison, après tes attentatsLeurs coups les plus cruels ne me vengeraient pas. ARGIRE. Attale l'a trahi. ALEXANDRE. C'est lui-même. ARGIRE. L'infâme ! PORUS. Que de troubles nouveaux s'élèvent dans mon âme !Mon esprit attentif à cette trahisonContre ma jalousie arme encor ma raison.Traître ne dois-je pas à ta lâche conduiteDe ma jalouse ardeur la naissance et la suite ? N'est-ce pas ton conseil qui m'amène en ces lieux ?M'as-tu pas inspiré ce dessein furieux ?Et cependant Attale ta trame est découverte !Mais elle l'est trop tard, pour empêcher ma perte.Viens lâche, viens jouir du mal que tu m'as fait. Où dois-je commencer d'expier mon forfaitPartout également envers vous envers elle,Je vois mon coeur coupable et ma main criminelle,Ici lâche assassin, là barbare, jalouxQue n'ai-je point commis contre vous contre vous ? Vengez-vous, vengez-vous, que rien ne vous retienne,N'avez-vous point de main qui ressemble à la mienne ?À l'exemple cruel que je vous ai donnéN'oseriez-vous prêter qu'un esprit étonné ?Ce fut en moi fureur ; mais en vous c'est justice. Par pitié tirez-moi de ce noir précipice ;Plus j'en veux fuir l'abîme et plus avec terreurD'un timide regard j'en mesure l'horreur.Plus ma raison m'arrache à cet état coupable,Plus l'objet à mon coeur en paraît effroyable. Argire, de quel oeil vous dois-je regarder ? ARGIRE. Ah ! C'est à moi Seigneur à vous le demander.De quelque trahison dont on accuse Attale,Puisque c'est votre amour qui vous la rend fatale.J'ai causé vos malheurs, et loin de les guérir, Peut-être ai-je vécu d'un air à les aigrir ?De tous les deux, Seigneur, je vous demande grâce,Souffrez qu'avec mes pleurs mon amour les efface. PORUS. Ah ! Reine Ce n'est pas comme il me faut punir :Mais tu laisses le soin à mon ressouvenir. Il te servira bien, et vous Roi magnanimePerdez un criminel. ALEXANDRE. Ne parlons plus de crime.Vous n'avez rien commis qui mérite ce nomSi l'amour n'en est un, indigne de pardon. PORUS. Mon coeur en juge mieux que ne fait ta clémence. Et je n'ai pas dessein de frustrer ta vengeance,La mienne te regarde, et je laisse à ton choixDe venger hautement la Majesté des Rois.Tu sais les trahisons et les crimes d'Attale,J'en laisse la vengeance à ton âme Royale ; Quelque indigne qu'il soit de mon ressentiment,Mon coeur avec plaisir attend son châtiment. ALEXANDRE. Hé bien va dans ton camp châtier ce rebelle ;C'est à toi de punir un sujet infidèle ;Puisque tu n'as des fers que par sa trahison. Il est de mon devoir de rompre ta prison.Permets qu'à ce devoir j'ajoute quelque chose,Puisqu'il plaît au hasard que d'elle je dispose,Avecque tous les tiens, Prince je te la rends.Souffre pour la rançon celle de tes enfants. Que j'ajoute aux États qui sont sous ta couronneCeux que sur tes voisins ma conquête me donne.J'aurai beaucoup gagné, si je puis à ce prixCompter le grand Porus au rang de mes amis. ARGIRE. Ô générosité à qui tout se doit rendre ! Ô coeur vraiment Royal ! PORUS. Tu sais vaincre Alexandre.Et le Ciel assemblant tant de vertu en toi.Sans doute à l'Univers ne veut donner qu'un Roi.À cet auguste loi j'obéis sans contrainte ;Règne ; porte partout ou l'amour ou la crainte : Rien ne puisse arrêter ton destin glorieux ;Toutefois sans choquer l'ordonnance des CieuxTrouve bon que ce coeur plein de reconnaissanceOse se prévaloir de ta magnificence ;Il choisit ; et des biens que m'offre ta bonté, Je te veux seulement devoir ma liberté,Je la reçois de toi, mais si pleine et si belleQue mon premier orgueil me revient avec elle ;Et n'ayant jusqu'ici combattu qu'à demi,Je brûle de t'avoir encor pour ennemi. Après ce que pour moi ta bonté vient de faire ;Ce désir est ingrat, injuste, téméraire,Dont tout autre que toi se pourrait outrager.Mais le grand Alexandre en saura mieux juger.Par ta rare faveur mon âme délivrée Des soupçons qui l'avaient si fort défigurée,Reprend ses sentiments et la noble chaleurDe vouloir d'Alexandre éprouver la valeur.Souffre donc qu'un combat achève notre guerre ;Non pour te disputer l'Empire de la terre. Tu peux seul y porter tes désirs justement ;Les Dieux te l'ont promis, et je veux seulementQue quelque grand exploit heureux ou magnanimeAvant ton amitié m'acquitte ton estime.Ainsi charmé d'un bien que je n'ose accepter Je ne te combattrai que pour le mériter. ALEXANDRE. Ton dessein me ravit, adieu. Quoi qu'il arriveSuivez ou demeurez, soyez libre, ou captive. SCÈNE VIII. Porus, Argire. PORUS. Demeurez. ARGIRE. Ah ! Souffrez. PORUS. Ah ! Laissez-moi l'honneurDe vous tirer des mains d'un illustre vainqueur. Après tant de bienfaits je fais tort à ma gloire.Si je ne vous obtiens des mains de la victoire ;Puis je dois d'autant plus recevoir de l'éclatDu succès, que j'attends de ce dernier combat,Que j'y dois signaler mon devoir et ma flamme, Relever mon Empire et racheter ma femme. ARGIRE. Quoi ? Faudra-t-il, Seigneur, après tant de hasardsTenter encore un coup la fortune de Mars ?Cet honneur délicat dont votre âme s'abuseÀ mon timide amour est une forte excuse. PORUS. Argire mon devoir ne s'en peut dégager ;Mais n'en redoutez rien qui vous puisse affliger,Adieu. Toi cependant viens voir notre vengeance,Et dans le sang d'Attale amoindrir mon offense. ACTE V SCÈNE I. Argire, Clarice, Oraxène, Clairance. ARGIRE. Hé bien Attale est mort. CLARICE. Phradate m'a tout dit. Et m'a fait de sa mort un fidèle récit. ARGIRE. Parle. CLARICE. Sa trahison était si bien tissue,Que les Dieux seuls pouvaient en détourner l'issue.Je ne vous dirai pas par quelle étrange erreurIl fit naître du Roi la jalouse fureur ; Mais enfin ce fut lui qui sema dans sa tenteDes billets à troubler l'âme la plus constante ;Et sût avec tant d'art ses soupçons ménagerQue le Roi n'a depuis songé qu'à se venger.Dans la même entreprise il engage Arsacide ; Ils viennent dans ces lieux. Cependant le perfideAvertit Alexandre et couvrant ses desseinsSous des noms inconnus cache les assassins,Afin que dans l'erreur de leur basse naissanceAlexandre en tirât une prompte vengeance. Et que lui par leur mort seul maître des soldatsIl peut sans nul obstacle usurper vos États. ARGIRE. Quelle suite grands Dieux d'attentats et de crimes ? CLARICE. Il croyait que l'amour les rendrait légitimes.Ne pouvant l'obtenir ni du Roi ni de vous. Il voulait l'acquérir par la perte de tous.Déjà depuis longtemps il formait cette trame ;Et le peu de combat que rendit cet infâmeQuand il dut vous sauver des mains de Perdiccas,Fut le commencement de ces noirs attentats. CLAIRANCE, à Oraxène. Ainsi de ma prison je vous suis obligée. ORAXENE. Mais vous n'en n'êtes pas ma soeur trop affligée. ARGIRE. Achève. CLARICE. Cependant par l'absence du RoiTout le camp se remplit de tristesse et d'effroi.Jusques aux plus zélés tout le monde en murmure, Quelques séditieux passent jusqu'à l'injure :Et gagnés par Attale ils portent les soldatsÀ demander au Roi qui ne les quitte pas.Faisons, dit-il, un Roi qui nous puisse défendre,Et qui sachant fléchir ou combattre Alexandre, Après tant de périls et des travaux souffertsNous rende à nos enfants, et nous sauve des fers.Ces mots volants partout excitent leur furie ;Araspe s'opposant à la mutineriePercé de mille coups tombe ; et par son malheur De vos meilleurs sujets ralentit la chaleur.Voyant que résister c'est croître le tumulte :Ils cèdent, et d'abord on s'assemble, on consulte :Attale est élu Roi, ses voeux sont satisfaits.Pour gagner les soldats il leur promet la paix. ARGIRE. Est-ce là le succès que tu m'as fait attendre ? CLARICE. Écoutez tout. Croyant l'obtenir d'AlexandreLui-même il vient l'offrir ; mais il est arrêtéPar Porus et par ceux qui l'avaient escorté.Reconnaissant le Roi ; d'abord il perd courage ; Mais aussitôt tournant son désespoir en rageIl crie avec fureur, Aux armes mes amisVoici le plus cruel de tous vos ennemis ;Il vient de vendre aux Grecs vos femmes et vos vies,Mais le Ciel pour punir ces noires perfidies Sans défense en vos mains le livre à cette foisFrappez, et par sa mort confirmez votre choix.Il est hors de saison de s'en pouvoir dédire :Et votre sûreté dépend de mon Empire.Eux cependant pressés de leur noir attentat Par des regards affreux s'animent au combat ;D'autre côté les Grecs voyant leur contenancePour secourir leur Roi se mettent en défense ;Là Porus à l'objet de cette trahisonSent frémir tout son corps et troubler sa raison. Tout son sang vers le coeur se ramasse et se presse ;Il pâlit ; mais ce sang d'une même vitesseSe répand au dehors avec tant de chaleurQu'on ne peut de son front soutenir la lueur,Ses yeux étincelants de colère et de flamme Vont porter la terreur jusques au fond de l'âme.Amis, (dit-il) parlant aux Macédoniens,Ce n'est pas me servir que d'attaquer les miens.De leur perfide chef laissez-moi la vengeance.Avec tant de fureur à ces mots il s'avance, Qu'Attale et tous les siens frappés d'étonnement,Confus, épouvantés restent sans mouvement :Mais voyant le Roi seul ils reprennent courage,Soudain pour profiter d'un si grand avantageFont mine d'attaquer. Loin de parer leurs coups Le Roi jette son casque, et se fait voir à tous.Amis (leur crie-t-il) qu'on enchaîne ce traître :Lors Attale tremblant à la voix de son maître[Note : Vers 1315, L'original porte serf, on remplaçons par cerf pensant être plus proche du sens.]Comme un cerf fugitif, qui se sent approcher,Dans la foule des siens tâche de se cacher. Mais en vain ; le Roi suit ; et les siens sans défenseLivrent ce criminel à sa juste vengeance.Seul parmi tous les Chefs d'un parti révoltéLe Roi pour les dompter n'a que sa Majesté.Mais admirez l'effet de sa force Royale ; Ses plus chers confidents se tournent vers Attale.Et portent contre lui tant de coups inhumainsQu'à grand peine le roi l'arrache de leurs mains.Lors ce traître à ses pieds au point de rendre l'âmeDécouvre aux yeux de tous son infidèle trame. Tout le monde en frémit, quand d'un ton élevéGrâces (dit-il) destins tout n'est pas achevé.Mon rival Arsacide écumant de furieIl perd avec ces mots et la voix et la vie. ORAXENE. Ah ! Mot plein pour mon coeur de menace et d'effroi. Clarice que faisait Arsacide ? ARGIRE. Et le Roi. CLARICE. Porus voyant enfin les deux camps en présenceDépêche aux ennemis avecque diligence ;Et sans perdre un moment leur offre le combat.Là soudain chaque chef anime le soldat. ORAXENE. Mais dis-moi promptement que faisait Arsacide ? CLARICE. On l'ignore. CLAIRANCE. Ma soeur vous êtes trop timide. CLARICE. Il est vrai que l'on croit qu'avec Perdiccas. CLAIRANCE. Ah ! Je t'entends. ORAXENE. Ma soeur ne vous alarmez pas. ARGIRE. Porus est donc aux mains ; quel destin est le nôtre ? Sans sortir d'un malheur nous tombons dans un autre.Nous abandonnez-vous et pouvez-vous grands DieuxVeillant pour tout le monde être pour nous sans yeux ? ORAXENE. Dieux vous qui contemplez du haut de votre gloireQui de nous ou du sort emporte la victoire ; Jusqu'à quand voulez-vous croître nos déplaisirs ?Et d'un âpre dédain rejeter nos soupirs ? SCÈNE II. Argire, Phradate, Oraxène, Clairance, Clarice. ARGIRE. Mais Phradate revient ; je vois sur son visageD'un malheureux succès le sinistre présage :Hé ! bien le Roi Phradate, ah ! Tu ne réponds pas : Ce silence cruel m'annonce son trépas. PHRADATE. Rien ne peut résister au destin d'Alexandre.Tout est perdu, Madame, il est temps de se rendre. ARGIRE. Quoi ? Porus est donc mort ; ne me déguise rien. PHRADATE. Le Démon de la Grèce est plus fort que le sien. Il vit. Mais las. ARGIRE. Phradate apprends-moi sa disgrâce. PHRADATE. Madame ; puisqu'il faut que je vous satisfasse.Aussitôt que le Roi parut aux yeux de tous,On voit tous ses soldats tomber à ses genoux.Renouveler le voeu de leur obéissance, Et d'un cri pitoyable implorer sa clémence.Selon qu'ils avaient pris son parti dans leur coeur.On voit leur front serein, et couvert de frayeur.Et lui par les effets d'une clémence rareConfondre tous les siens, que le crime sépare. Amis (leur a-t-il dit) vous êtes innocents ;Attale a seul failli. Ces mots doux et pressantsLes font lever de terre ; et leur cachant leur honteRaniment tous leurs fronts d'une ardeur vive et prompte,Porus en peu de mots les anime au combat ; Leur parle de vos fers, de l'honneur, de l'État,Et sans leur amoindrir le péril, ni croître,Leur disant seulement ce qu'il en faut connaître.Suivez-moi, reprend-il, je vais vous exhorterPar les coups glorieux que mon bras va porter : Il dit. Et cependant Alexandre s'avance ;On voit à même temps ces deux Rois en présence ;Qui sans perdre un moment à se considérerD'une égale valeur se viennent mesurer.Là d'un commun accord une louable rage Dessus ce sang Royal exerce leur courage.L'espoir de la victoire excitant leur ardeurRelève le vaincu, renverse le vainqueur.Tantôt Porus triomphe, et tantôt Alexandre.Mais pressé de tous deux ne sait à qui se rendre, N'ose se déclarer, et laisse en cet instantLe succès du combat incertain et flottant.De ce choc furieux et l'une et l'autre arméeChacune pour son Chef puissamment alarmée,Opposant sa valeur à leurs sanglants efforts Présente à leur courroux tout un monde de morts.Lui fait voir que Hydaspe en ravageant la plaine,Enflé de tant de sang qu'a répandu leur haine,Dans son débordement entraîne à flots pressésDes montagnes de morts l'un sur l'autre entassés. Mais rien ne pût calmer cette funeste envie ;Et leur fureur lassée et non pas assouviePour donner à leurs coups plus d'espace et de tempsDérobe l'un et l'autre aux yeux des combattants,Là par l'ardeur de vaincre encore rallumée La valeur de leur sang devient plus affamée.Ils reviennent aux mains avec plus de fureur ;Par des coups redoublés signalent leur valeur ;Et la chute du Roi seulement les sépare.Pour Alexandre enfin le destin se déclare ; Ce Roi tombe à ses pieds ; il veut le relever ;Et descend de cheval afin de le sauver. ARGIRE. Ô ! Générosité favorable et funeste,Que je bénis cent fois, que cent fois je déteste. PHRADATE. Mais le roi dédaignant un secours ennemi, Ne se croit malheureux ni vaincu qu'à demi ;Et son coeur ramassant le reste de ses forcesDe ses soins obligeants repousse les amorces.Il fait tout ce qu'il peut, mais son corps abattuPar des coups languissants trahissant sa vertu Et sa faible vigueur semant mal son courageFait de l'autre côté voler tout l'avantage. ARGIRE. Hélas ! Mais pour le moins puis-je bien espérerDe le revoir encor. PHRADATE. J'ose vous l'assurer,Les Dieux ont trop de soin de cette illustre vie, Qu'un sort capricieux a longtemps poursuivie. ARGIRE. Quoi ? Tu crois que les Dieux qui l'ont persécutéEsclaves d'Alexandre et de leur cruautéDont l'aveugle fureur ne peut être assouvieAbandonnant sa gloire ayant pris soin de sa vie ? SCÈNE III. Argire, Phradate, Alexandre, Oraxène, Clairance, Clarice. ARGIRE, continue. Non, non, pour m'achever ils offraient à mes yeuxSon vainqueur teint d'un sang qui m'est si précieux.Le vois-tu pas enflé de l'orgueil de sa gloire,Qui vient à mon malheur étaler sa victoire ?Mais quelle tyrannie, et quelle cruauté. Viens-tu vanter ce coup que ton bras a porté ? ALEXANDRE. Madame. ARGIRE. Achève enfin ; signale ton couragePar les plus noirs degrés où peut monter ta rage ;Et si tu n'as assez de ce malheureux flanc,J'offre à ta cruauté le reste de son sang. Oui, s'il te faut encore Oraxène et Clairance ;Je ne dérobe rien au cours de ta vengeance ;Elle a ravi le père, et doit en ce momentEntraîner les enfants dans son débordement. SCÈNE IV. Porus, Argire, Phradate, Alexandre, Oraxène, Clairance, Clarice. PORUS. Reine que faites-vous. ARGIRE. Ah ! Moment plein de joie Ah ! Seigneur se peut-il qu'encore je vous revoie ?Pardonnez, grand Monarque, à l'injuste courrouxQue ma douleur séduite a pressé contre vous.C'est elle malgré moi qui m'inspirait ce crime. ALEXANDRE. Votre ressentiment était trop légitime. CLAIRANCE. Ah : Seigneur ! Que de pleurs vous nous avez coûté. PORUS. Princesses ce vainqueur vous rend la liberté,Il fait plus, il me rend la puissance Royale,Mais avec tant d'excès, que sa main libéraleJoint ce que l'Inde enferme à mes anciens États. ARGIRE. Il a trop fait pour nous il a fait des ingrats. ORAXENE. Nous ne pouvons, Seigneur, étant dans l'impuissanceMontrer que par des voeux notre reconnaissance. PORUS. Je haïrais le sceptre, et le titre de RoiS'il fallait les tenir d'un autre que de toi. Mais pour me consoler du sort de cette guerre,Je n'ai qu'à regarder tous les Rois de la terre.Ils ont tous mérité ta haine ou ta pitié ;Et j'ose me vanter d'avoir ton amitié.Ma perte en cet état vaut mieux qu'une victoire, De ce dernier combat naîtra toute ma gloire,Et bien que je me voie à tes pieds abattuJe suis trop glorieux de t'avoir combattu.Alexandre dont l'âme est toute généreuse,A rendu par son bras ma défaite orgueilleuse. Enfin cet invincible et qui dans les hasardsN'oppose que son bras à la fureur de Mars. ALEXANDRE. Ces éloges grand Roi surprendraient AlexandreS'il ne savait la source où vous les allez prendre.C'est de votre vertu, qui fait mille jaloux D'où naissent ces ruisseaux qui retournent chez vous.C'est elle qui fait voir aux plus puissants MonarquesDe son éclat fameux les plus brillantes marques.Elle vous les inspire, et ne vous en instruitQue par le grand amas qu'elle a déjà produit. SCÈNE V. Oronte, Clairance, Oraxène, Argire, Alexandre, Porus, Arsacide, Perdiccas. ORONTE. Ah ! Seigneurs résistez à leur sanglante envie. CLAIRANCE. Perdiccas. ORAXENE. Arsacide. ARGIRE. Dieux quelle furie ! ALEXANDRE. Qu'est-ce ci Perdiccas. PORUS. Arsacide arrêtez. ALEXANDRE. D'où naît ce différend ? PORUS. Quoi vous vous emportez ? ARSACIDE, à Alexandre. Qu'il ne prétende pas, ô vainqueur magnanime, De prendre quelque part à cet honneur sublime ;Dont un si grand succès vous couronne aujourd'hui.Il n'a rien fait ni pour vous ni pour lui,Si vous ne permettez que ma propre défaiteRende avec vos exploits sa victoire parfaite ; Mais vous le souffrirez, son honneur vous est cher[Note : Vers 1488, l'emploi de l'indicatif pour pouvoir serait actuellement fautif.]Et vous ne voudriez pas qu'on peut vous reprocher,Que privé de l'honneur qu'attend votre victoire,Il eut suivi de loin le char de votre gloire,Et que l'on prit enfin ce Prince généreux Pour un témoin oisif d'un combat si fameux. PERDICCAS. Si votre Majesté pour conserver ma vieLui défend d'achever sa généreuse envie,Et si votre pouvoir agissant pleinementSonge à me dérober à son ressentiment. Ces soupçons délicats, et mortels à ma gloireD'un reproche éternel souilleraient ma mémoire,Et flétrissant mon nom me feraient voir à tousIndigne des honneurs que j'ai reçus de vous.Quoi ? L'on aurait pour moi des sentiments si lâches ? Et je serais noirci de ces honteuses taches !Il ne sera pas dit : non il ne dira pas,Que jusqu'à votre tente il poussa Perdiccas,Et que là ne pouvant assouvir sa colèreLassé de tant poursuivre un si faible adversaire Son coeur avec dédain reprochait à ses yeuxUne lâche défaite, un triomphe odieux. ALEXANDRE. Quelle aveugle fureur vous pousse l'un et l'autre ?Quel est ce différend qui dure après le nôtre ?Nos discords sont finis vous combattiez pour nous. ARSACIDE. Mais dans notre combat l'un de l'autre jalouxN'étant pas bien d'accord de tout ce qui s'y passe,À votre Majesté demeure cette grâce,Que ce dernier effort lui soit encor permis. ALEXANDRE. Je veux vous accorder généreux ennemis. PERDICCAS. Souffrez, souffrez grand Roi que je le satisfasse.Puisqu'il se plaint de moi faites-moi cette grâce. ALEXANDRE. Perdiccas c'est assez me faire demander,Quel est ce différend que je veux accorder ? PERDICCAS, à Clairance. C'est.... Madame. CLAIRANCE. Parlez. PERDICCAS. C'est que la même flamme Dont son coeur est épris règne dedans mon âme. À Alexandre.Il est autant aimé que je puis être amant ;Seigneur, et son bonheur fait mon ressentiment,Clairance me surprit à l'éclat de ses charmes. ARSACIDE. Quoi Clairance ! À ce mot Prince je rends les armes. À Oraxène.Madame, mon esprit justement interditCherche encor incertain ce que le Prince a dit. ARGIRE. Il est temps de finir votre injuste querelle. À Porus.Permettez qu'il espère en soupirant pour elle.Un noeud si glorieux et si bien assorti Vous défend d'incliner à tout autre parti. ALEXANDRE, à Porus. Grand Roi si ma prière a chez vous quelque place.Et si j'ose pour lui demander cette grâce. PORUS. Puisque vous le voulez en l'état où je suisVous pouvez disposer de tout ce que je puis. J'accepte avec plaisir cet heureux hyménée.Alexandre et les Dieux vous l'avaient destinée.Prince je vous l'accorde. PERDICCAS. Ô ! Justes immortelsQue je vous dois de voeux, et d'encens et d'autels.Ah ! Divine Clairance, adorable Princesse. ARSACIDE, à Oraxène. Madame de quel oeil verrez-vous ma faiblesse ?Que dois-je devenir ? Et n'est-ce pas assezMaltraiter un amant pour des soupçons passés. ORAXENE. Oui, puisque Perdiccas les rendait légitimes,Et que l'infâme Attale ajoutait à ses crimes Cette fatale erreur qui vous rompait tous deux. PORUS. Rendons grâce aux bontés d'un vainqueur généreux,Puisse-t-il à jamais plus craint que le tonnerreFaire à tout l'Univers une aussi douce guerre ;Et puissent par son bras cent Princes étonnés Se voir à même temps captifs et couronnés ALEXANDRE. Puisse-t-il en tous lieux et dans chaque victoireCombattre et triompher avec tant de gloire.Aimer si justement ceux qu'il aura soumis,Et rencontrer partout de pareils ennemis. ==================================================