******************************************************** DC.Title = ACIS ET GALATÉE, PASTORALE HÉROÏQUE DC.Author = CAMPISTRON, Jean Galbert de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Pastorale héroïque DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 13:02:13. DC.Coverage = Turquie DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/CAMPISTRON_ACISGALATHEE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5625330q DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** ACIS ET GALATÉE PASTORALE HÉROÏQUE EN MUSIQUE Représentée par l'Academie royale de musique. M. DC. LXXXX. Suivant la copie Imprimée à Paris. Représenté pour la première fois en 1686 dans le Château d'Anet devant Monseigneur le Dauphin. ACTEURS DU PROLOGUE. DIANE. L'ABONDANCE. COMUS. SUITE DE L'ABONDANCE ET DE COMUS. APOLLON. ACTEURS DE LA TRAGÉDIE. ACIS, berger, Amant de Galatée. GALATÉE, nymphe de la Mer, fille de Nérée et de Doris. POLIPHÈME, géant fils de Neptune, et amant de Galatée. TÉLÈME, berger, Amant de Scylla. SCYLLA, bergère, amie de Galatée. TIRCIS, berger, Amant d'Aminte. AMINTE, bergère. NEPTUNE. UNE PRÊTRESSE DE JUNON. PROLOGUE Le théâtre représente le Château d'ANET. SCÈNE I. Diane, Choeur de Dryades, de Sylvains, et d'autres Divinités Champêtres. DIANE. Qu'avec plaisir je reviens en ces lieux,Que jadis mon séjour rendis si glorieux,[Note : Le château d'Anet a été bâti pour Diane de Poitiers : on y voit par tout des dérives et des peintures à l'honneur de Diane.]Où régnaient la splendeur et la magnificence !Le Fils du plus puissant, du plus juste des RoisLeur redonne aujourd'hui par sa seule présence Encore plus d'éclat qu'ils n'eurent autrefois. UNE DRYADE. Depuis le jour que sur votre promesseNous nous sommes flattés de le voir en ces lieux,Les Dryades mes Soeurs, et tous ces autres Dieux,Après ce doux moment ont soupiré sans cesse. UN SYLVAIN. Nous avons préparé pour luiLes fêtes, les concerts que l'allégresse inspire ;Que le sombre chagrin, que le funeste ennuiDe cet heureux séjour pour jamais se retire !Que les Plaisirs en foule y viennent aujourd'hui. DIANE. Suivez les mouvements de votre ardeur fidèle ;Commencez vos concerts,Que le bruit de vos chants raisonne dans les airs !Heureux ! Si le succès répond à votre zèle ! LE CHOEUR. Suivons les mouvements de notre ardeur fidèle, Commençons nos concerts,Que le bruit de nos chants résonne dans les airs !Heureux, si le succès répond à notre zèle SCÈNE II. L'Abondance, Comus, Suite de l'Abondance et de Comus. L'ABONDANCE. Dans les jours de réjouissance,J'ai toujours le premier emploi ; Vous seriez-vous flattés de la vaine espéranceDe pouvoir vous passer de moi ?Que feriez-vous sans l'Abondance ? COMUS. À mon visage, à ma suite ordinaireReconnaissez Comus Dieu des Festins, Dont la présence à vos desseins .Est aujourd'hui si nécessaire.Que vous sert d'assembler au gré de vos désirsTous les Jeux et tous les Plaisirs ?Si vous n'avez ceux de la Table Tous les coeurs seront mécontents,La Fête la plus agréableSans moi ne peut durer longtemps. DIANE, L'ABONDANCE, COMUS. Unissons nos efforts, et qu'une ardeur si belleSans cesse se renouvelle. LE CHOEUR. Unissons nos efforts, et qu'une ardeur si belleSans cesse se renouvelle. Apollon paraît en l'air sur un nuage. APOLLON. Apollon en ce jour approuve votre zèlePour un prince charmant,Et vient joindre aux plaisirs d'une fête si belle D'un spectacle nouveau le doux amusement.Au plus grand des Héros j'ai toujours soin de plaire,Eh ! Que puis-je mieux faireQue de vous seconder par des chants destinésÀ divertir un fils qu'il aime ? Puissent ces mêmes chants un jour plus fortunés,Le divertir encor lui-même !Digne Fils de ce conquérant,Que ne quittent jamais Minerve et la Victoire,Tu vois par les respects que l'Univers lui rend Le prix de ses travaux, et l'éclat de sa gloire,Tu vois ses ennemis à ses pieds abattus,Tu jouis des exploits de sa main triomphante,Tâche de l'imiter ; sans cesse il te présenteUn exemple parfait de toutes les Vertus. Vous, habitants de ce séjour aimable,Redoublez votre empressement,Gardez-vous de perdre un momentD'un temps si favorable. COMUS. Apollon flatte nos voeux, D'un succès heureux,Nous connaissons sa puissance,Il remplira notre espérance. LE CHOEUR. Apollon flatte nos voeuxD'un succès heureux, Nous connaissons sa puissance,.Il remplira notre espérance. ACTE I Le théâtre représente le rivage de la mer de Sicile, dans l'endroit le plus agréable de l'île. La Terre y paraît ornée de toutes fortes de fleurs : on y voit aussi quelques bois d'une verdure charmante. SCÈNE I. ACIS. C'est vain qu'en ces lieux j'ai devancé l'Aurore,Hélas ! Je n'y vois point la beauté que j'adore,La Mer qui la cache à mes yeux, Se plaît à renfermer ce trésor précieux.Je fais partout voler le nom de Galatée,Je le répète mille fois,Je l'apprends aux échos, aux oiseaux de ces bois,Loin de moi cependant trop longtemps arrêtée. Seule elle semble ici méconnaître ma voix. SCÈNE II. Acis Télème. TÉLÈME. Vous n'êtes pas le seul de qui la voix plaintiveSe fait entendre en ces lieux chaque jour,Une beauté cruelle, un malheureux amour,M'amène aussi sur cette rive. ACIS. Pouvez-vous comparer vos maux à mes malheurs ?Je suis mortel : j'adore une déesse,Quelle source pour moi d'éternelles douleurs !Je n'ose qu'en tremblant exprimer ma tendresse,Et souvent en secret je dévore mes pleurs. TÉLÈME. Acis, détrompez-vous,Espérez un destin plus doux,Vous ne pousserez point de soupirs inutiles,Après vos longs chagrins, la joie aura son tour,Les Déesses en amour Ne sont pas les plus difficiles.Hélas ! Que n'en est-il de mêmeDu malheureux Télème ?La charmante Scylla, l'honneur de nos hameauxMe fait gémir sous le poids de sa chaîne, Et la rigueur de l'inhumaineChange en hivers tous mes jours les plus beaux... ACIS. Que d'un coeur méprisé l'état est déplorable ! TÉLÈME. Qu'une ingrate beauté fait souffrir sous sa loi ! ACIS, TÉLÈME. Ah ! Je succombe au tourment qui m'accable, [Note : Le vers 106 se termine par un point dans l'édition originale.]Peut-on sans espérance aimer autant que moi ? TÉLÈME. Vous attendez ici l'objet qui vous engage,Vous le verrez bientôt paraître sur ses bords,Je vais chercher Scylla dans le prochain bocage,J'ai déjà trop contraint ma flamme et mes transports. SCÈNE III. ACIS, seul. [Note : Les points d'interrogation de cette réplique ne sont pas dans l'édition originale.]Faudra-t-il encore vous attendreFière Beauté qui régnez dans mon coeur ?Venez par un regard soulager ma langueur,Songez que d'un moment mes jours peuvent dépendreMes cris ne sauraient vous toucher, Si le récit de ma peine,Si ma mort presque certaineDu fond des flots ne peut vous arracher,Venez jouir du moins sur ce rivageDe tout ce que la Terre a de charmants appas. Les fleurs y naîtront sous vos pas,Jamais leur riche émail n'éclata davantage,Vous ne paraissez point ! Qui peut vous retenir ?Peut-être quelque Dieu de la Cour de NeptuneCause-t-il seul mon infortune ? Ah ! Ce serait trop me punir :Dieux ! Mais mon trouble cesse, et je la vois venir. Galatée sort de la mer. SCÈNE IV. Acis, Galatée. GALATÉE. J'ai cru trouver ici la Nymphe qui m'est chère,Je vais lui reprocher son peu d'empressement. ACIS. Sans cette Nymphe hélas ! Ce rivage charmant N'a-t-il rien qui puisse vous plaire ? GALATÉE. Je suis sensib1e aux charmes de ces lieux,Mais ma joie eût été plus grande,Si ce rivage eût offert à mes yeuxLa Nymphe que je demande. ACIS. Ah ! Si vous connaissez par la seule amitiéLes ennuis que l'absence cause,N'aurez-vous point quelque pitiéDes tourments où l'Amour m'expose ? GALATÉE. Finissez ce discours : ne pouvez-vous parler Que de votre tendresse ? ACIS. Hélas ! Un seul moment peut-on dissimulerDes peines qu'on souffre sans cesse ?[Note : Celer : tenir quelque chose caché, secrète, dissimuler. [F]]Pourquoi me voulez-vous forcer à vous celerLa douleur qui me presse ? Cherchez-vous à la redoubler ? GALATÉE. [Note : vers 147, le A initial est à l'envers et représente un V.]À regret je vous entends plaindreD'un mal que je ne puis guérir,Étouffez un amour qui vous fait trop souffrir,Vous n'aurez plus à vous contraindre. ACIS. Ah ! Vous me haïssez, je n'en saurais douterPar cet ordre cruel votre haine s'explique. GALATÉE. Suspendez vos regrets pour me laisser goûterL'heureuse paix de ce séjour rustique,J'y viens avec plaisir, tout y charme mes yeux, J'y vois les champs parés de mille fleurs que j'aime ;Enfin le doux penchant qui m'attire en ces lieuxL'emporte sur l'horreur extrêmeD'y rencontrer un Géant odieux. SCÈNE V. Acis, Galatée, Scylla, Teleme. SCYLLA. Quoi ! M'arrêterez-vous en dépit de moi-même ! TÉLÈME. Que me servent les soins que mon coeur prend pour vous ?Mon sort en est-il plus doux ?Hélas ! Plus je vous aime,Plus mon amour aigrit votre courroux... ACIS. Ô Ciel ! Quel destin est le nôtre ? TÉLÈME. Quel est le succès de nos voeux ? ACIS, TÉLÈME. Serons-nous toujours l'un et l'autreLes plus tendres amants et les plus malheureux ? GALATÉE. Ah ! Qu'un Amant dont la plainteNous cause trop de contrainte Sait peu l'art de nous charmer !Loin de plaire, il embarrasse,Et ne saurait quoi qu'il fasse,Nous engager à l'aimer. SCYLLA. Un amant que l'on dédaigne Doit causer peu d'embarras,Et qu'importe qu'il se plaigne,Si l'on ne l'écoute pas ? L'on entend un Concert de flûtes. SCYLLA. Mais quels concerts se font entendre ? GALATÉE. Qu'elle troupe paraît, et s'approche de nous ? ACIS. Ce sont des coeurs unis par l'amour le plus tendre,Des coeurs libres de soins et de soupçons jaloux ;Tous leurs jours sont charmants, tous leurs moments doux,Écoutez leurs chansons, et vous pourrez apprendreSi leurs plaisirs n'ont rien d'agréable pour vous. SCÈNE VI. Acis, Galatée, Télème, Scylla, Aminte, Tircis, Troupe de Bergers et de Bergères. TIRCIS, AMINTE. Que l'Amour qui nous enchaîneFlatte nos tendres désirs ! LE CHOEUR. Goûtons les plus doux plaisirs,Ils viennent s'offrir sans peine,Et pour payer nos soupirs Chaque jour nous les ramène. TIRCIS, AMINTE. Que l'Amour qui nous enchaîneFlatte nos tendres désirs ! TIRCIS. Que mon coeur est charmé ! AMINTE. Que mon âme est contente ! TIRCIS. Je ne puis exprimer la douceur qui m'enchante. AMINTE. Sans l'amour de nos feuxSerions-nous heureux ? TIRCIS, AMINTE. Redoublons sans cesseNotre tendresse. LE CHOEUR. Redoublons sans cesseNotre tendresse. AMINTE. Former les mêmes désirs,Vivre l'un pour l'autre,Servir de nouveaux plaisirs, Voilà quel sort est le nôtre. TIRCIS. L'Amour dans ces beaux lieux nous a tous rassemblés,Célébrons les faveurs dont il nous a comblés. LE CHOEUR. L'Amour dans ces beaux lieux nous a tous rassemblés,Célébrons les saveurs dont il nous a comblés. AMINTE. Que les plus galantes fêtesParmi nous soient toujours prêtes !Qu'au bruit de nos chansons la plus fière beautéNe puisse un seul moment garder sa liberté. LE CHOEUR. Que les plus galantes Fêtes Parmi nous soient toujours prêtes :Qu'au bruit de nos chansons la plus fière beautéNe puisse un seul moment garder sa liberté. Les Concerts des Bergers sont interrompus par un bruit barbare. SCYLLA. Le fier Poliphème s'avance,Bergers, éloignez-vous, C'est assez de sa présencePour changer en chagrins vos plaisirs les plus doux. SCÈNE VII. POLIPHÈME, seul. Je regarde partout, et ma recherche est vaine,Ces nymphes, ces bergers que sont-ils devenus,Se peut-il qu'en ces lieux je ne les trouve plus ? Le soin de m'éviter dans ces bois les entraîne ?Où prétendent-ils se cacher ?Connaissent-ils bien Poliphème ?Est-il quelque antre affreux où ma fureur extrêmeNe les aille chercher ? Allons, courons punir leur fuite.Mais je vois Galatée, et mon âme interditePerd toute sa fureur ;Je me sens agité de trouble et de terreur. SCÈNE VIII. Poliphème, Galatée. POLIPHÈME. Que tardons-nous ? Parlons de l'ardeur qui m'anime, Est-ce à moi de trembler ?Si d'un cruel amour je deviens la victime,Qui pourrait me contraindre à le dissimuler ?Vous voyez, charmante Déesse,Un Amant que vos yeux ont soumis à vos lois, J'ignorais le pouvoir de ce Dieu qui me blesse,Je l'éprouve aujourd'hui pour la première fois. GALATÉE. Que dites-vous ? Puis-je vous croire ?Je vous fais connaître l'Amour ? POLIPHÈME. Peut-être avant la fin du jour Vous applaudirez-vous d'une telle victoire ?Tout ce que vous voyez reconnaît mon pouvoir,Le Dieu des Eaux m'a donné la naissance,Si vous y consentez je puis vous faire voirMes richesses et ma puissance : Je veux que tous les coeurs qui vivent sous ma loiViennent vous rendre hommage,Leur zèle parlera pour moi.Approuvez-vous ces soins où mon amour m'engage ? GALATÉE. Je ne condamne point ce dessein généreux. POLIPHÈME. Je suis au comble de mes voeux,Je vais tout préparer pour cette grande fête.Vous connaîtrez bientôt quelle est votre conquête. GALATÉE, seule. Enfin j'ai calmé sa fureur,Des coeurs qu'il a troublés dissipons 1a terreur. ACTE II. Le théâtre change, et représente une campagne moins ornée que la première, les bois qu'on y voit sont remplis des troupeaux des bergers de l'île, et de ceux de Poliphème. SCÈNE I. Acis, Galatée. ACIS. Quoi ? Vous avez promis d'assister à la fêteQue Poliphème vous apprête ?Les soins de ce barbare ont pu vous attendrir,Dans ses projets votre bonté le flatte,C'en est donc fait, ingrate, Vous me condamnez à mourir. GALATÉE. Quel reproche osez-vous me faire ? ACIS. Non, non, je ne puis plus me taire ;Attendez-vous de voirLes plus sanglants effets d'un mortel désespoir. GALATÉE. Quoi ? Que voulez-vous entreprendre ? ACIS. Pourquoi cherchez-vous à l'apprendre ?Si vous ne m'aimez pas,Que vous peut importer ma vie ou mon trépas ? GALATÉE. Sans que pour vous l'Amour me sollicite, Je puis souhaiter d'être instruiteDe vos desseins secrets. ACIS. Eh bien ! Apprenez donc que ma mort est certaine,Vous ne jouirez plus de mes tendres regrets,En terminant mes jours, je finirai ma peine. Je braverai le Géant furieuxQui me ravit tout ce que j'aime,J'irai troubler ses jeux, et l'attaquer lui-même,Content de succomber sous sa fureur extrême,Et de verser tout mon sang à vos yeux. Écoutez mes tristes adieux ;Je vous laisse, je pars, je cours à mon supplice,Ce n'est que pour la mort que je forme des voeux,Agréez seulement ce dernier sacrificeD'un coeur toujours fidèle, et toujours malheureux. GALATÉE. Il me quitte ; arrêtez, Acis, je vous l'ordonne,Je ne puis soutenir le trouble où je vous vois,Contre un si tendre amour ma fierté m'abandonne,Et ma faible raison ne répond plus de moi. ACIS. Qu'entends-je ? Votre coeur dans mon sort s'intéresse ? GALATÉE. Vous n'avez point perdu vos soins,Je vous ai fait voir ma faiblesse,Vos yeux en ont été de fidèles témoins.Jouissez de mon trouble et de votre victoire,Il ne veut point vous en ravir la gloire ; Connaissez le bonheur qui vous est préparé,Je l'ai rendu plus doux quand je l'ai différé. ACIS. Mais, puisque vous vouliez couronner ma tendresse,Fallait-il du Cyclope approuver les désirs ? GALATÉE. Je craignais pour vos jours sa fureur vengeresse ; Je voulais à ses yeux dérober nos soupirsPar une agréable promesse. ACIS. Immortels habitants des Cieux !Dans les transports de mon âme ravieJe puis regarder sans envie Votre sort glorieux.Aimer, d'un doux succès voir sa flamme suivie,N'est-ce pas un plaisir réservé pour les Dieux ? SCÈNE II. Acis, Galatée, Télème, Scylla. GALATÉE. De mon fidèle amant j'ai rempli l'espérance,Mon coeur répond à ses désirs ; De ce tendre berger couronnez la constance,Ne lui refusez plus le prix de ses soupirs. ACIS. Suivez l'exemple qu'on vous donne,Une déesse à l'amour s'abandonne,Son coeur ne peut plus résister, Que peut mieux faireUne bergèreQue de l'imiter ? TÉLÈME. Vous défendez-vous encore,Contre un amant qui vous adore, Et dans un jour au bonheur destiné,Serai-je seul infortuné ? SCYLLA. En vain vous prétendez inspirer à mon âmeLe désir de s'enflammer,L'exemple et les conseils nous forcent-ils d'aimer ? Par son propre penchant il faut qu'un coeur s'enflamme,Vous l'avez entendu cent fois,Je fuis l'Amour, je méprise ses lois,Quittez une entreprise vaine ;Vos soupirs importuns me pourraient engager À redoubler votre peinePlutôt qu'à la soulager. TÉLÈME. C'en est trop ! Vos mépris étouffent ma tendresse,Je sens le calme heureux de ma première paix,Et je dois rougir désormais D'avoir montré tant de faiblesse.Cependant redoutez la vengeance des Dieux,Ils me font pressentir le sort qui vous menace,Ils éteindront ce feu qui brille dans vos yeux,Ils rendront vos attraits sans douceur et sans grâce. Que dis-je ? Ils changeront ces riches dons des CieuxEn des marques de leur colère,Et vous serez un jour par ce retour sévèreL'objet le plus funeste et le plus odieux. SCÈNE III. Acis, Galatée, Scylla. SCYLLA. Quelque fureur qui l'inspire Il ne saurait m'alarmer,Je crains moins les malheurs qu'il vient de me prédire,Que le péril d'aimer. GALATÉE. Je ne puis approuver cette fierté rebelleQui flatte votre vanité, Une extrême cruautéPour un amant fidèleEst toujours criminelle. SCYLLA. Vous aimez tendrement ; je déteste l'amour,Et déjà ma fierté commence à vous déplaire ; Je me bannis de votre Cour,Pour éviter votre colère. SCÈNE IV. Acis, Galatée. GALATÉE. [Note : Le locuteur de la première réplique n'est pas transcrit dans l'original. On suppose Galatée.]Quelle erreur loin de nous précipice ses pas !Dieux ! qu'un vain orgueil l'abuse !L'insensible ne connaît pas Les plaisirs qu'elle refuse. ACIS. N'assurerez-vous point ma gloire et mon bonheur ?Après le don de votre coeurAurai-je encor des voeux à faire ? GALATÉE. Je puis donner ma foi par l'aveu de mon père, Je l'ai sur votre amour dès longtemps pressenti,À vos désirs Nerée a consenti.Le Temple de Junon nous offre un seul asile,Nous y serons en liberté,Il est bâti dans l'endroit de cet île Le plus inaccessible et le moins fréquenté.Allez y préparer l'encens et les victimesDignes de consacrer nos ardeurs légitimes,J'aurai soin de m'y rendre avant la fin du jour,[Note : Hyménée : divinité fabuleuse des païens, qu'ils croient présider aux mariage. (...) signifie aussi poétiquement le mariage. [F]]J'y conduirai l'hymenée et l'amour. SCÈNE V. GALATÉE, seule. Qu'une injuste fierté nous cause de contrainte,Et tyrannise nos désirs,Tandis qu'à mon Amant j'ai caché mes soupirs,J'ai souffert mille maux dans cette longue feinte,À peine mon amour s'est expliqué sans crainte, Que j'ai senti mille plaisirs ;Qu'une injuste fierté nous cause de contrainte,Et tyrannise nos désirs !Doux transports d'une âme contenteQue vous êtes charmants ! Mais je vois le Cyclope, il prévient mon attente,Contraignons-nous quelques moments. SCÈNE VI. GALATÉE, POLIPHEME, Suite de Poliphème. POLIPHÈME. Qu'à l'envi chacun se presseDe me suivre dans ces lieux,Pour un coeur que l'Amour blesse Les moments sont précieux ;Préparez à ma DéesseUn triomphe glorieux ;Hâtez-vous, il faut sans cesseRendre hommage à ses beaux yeux. Qu'à l'envi chacun se presseDe me suivre dans ces lieux. LE CHOEUR. Qu'à l'envi chacun se presseDe vous suivre dans ces lieux !Pour un coeur que l'Amour blesse Les moments sont précieux,Préparons à la Déesse,Un triomphe glorieux ;Hâtons-nous, il faut sans cesseRendre hommage à ses beaux yeux, Qu'à l'envi chacun se presseDe vous suivre dans ces lieux ! POLIPHÈME. Connais, puissant Amour, ta dernière victoire,Ce triomphe suffit pour te combler de gloire,Tu ranges sous tes lois un coeur audacieux, Qui méprise la foudre et brave tous les Dieux. LE CHOEUR. Ô vous ! Adorable immortelleÉcoutez favorablementLes voeux de votre amant,Vous ne ferez jamais de conquête si belle, Plus un coeur est loin d'aimer,Plus il est beau de l'enflammer. POLIPHÈME. Je suis content de votre zèle,À mes yeux vos transports ont assez éclaté,Voyons s'ils ont su plaire à ma divinité : Qu'on me laisse seul avec elle. SCÈNE VII. POLIPHÈME, GALATÉE. POLIPHÈME. Chaque moment me tue, et redouble mes feux,Je ne puis plus souffrir l'ardeur qui me dévore,Hâtez-vous de me rendre heureux.Voulez-vous accabler un coeur qui vous adore ? GALATÉE. [Note : Nérée : Dieu marin, fis de l'Océan et de Thétys, épousa Doris et fut le pères des Néréides. [B] Galatée est sa fille.]Le seul Nerée a droit de disposer de moi,Jamais à ses désirs mon coeur ne fut contraire,Peut-on sans son aveu me demander ma foi ?Allez : et pour l'hymen que votre amour espère,Méritez le choix de mon père. POLIPHÈME. Oui j'obtiendrai l'aveu charmantQui seul peut assurer le repos de ma vie,Ma demande sera suivieD'un prompt consentement.Pour hâter mon bonheur je vais tout entreprendre, Votre père connaît ma force et mon pouvoir,Et sait trop ce qu'on doit attendreD'un amant tel que moi réduit au désespoir. ACTE III Le théâtre change et représente un petit espace de terre aride et déserte ; cet face est borde par des Montagnes d'une hauteur prodigieuse, dont la principale est le Mont Æthna ; on voit a coté un petit Temple consacré à Junon ; la mer paroît dans l'éloignement. SCÈNE I. LE PRËTRE de Junon, et sa Suite. LE PRÊTRE. Vous qui dans ces lieux solitairesCélébrez avec moi Junon et ses mystères, Ministres de son Temple, et favoris des Cieux,Qui faites vos plaisirs du service des Dieux,Préparez les fleurs les plus belles,Et l'encens le plus précieux,Vous verrez bientôt en ces lieux Arriver deux amants fidèles,Ils sont dignes des soins que vous prendrez pour eux,L'hyménée et l'amour veulent qu'ils soient heureux. LE CHOEUR. Puissent-ils près de nous trouver un sûr asile !Daigne le juste Ciel favoriser leurs voeux ! Puissent-ils voir croître leurs feuxDans un hymen doux et tranquille. LE PRÊTRE. Qu'ils forment chaque jour mille nouveaux désirs !Que 1'Amour seul ait soin de régler leurs plaisirs ! LE CHOEUR. Puissent-ils près de nous trouver un sûr asile ! Daigne le juste Ciel favoriser leurs voeux !Puissent-ils voir croître leurs feux.Dans un hymen doux et tranquille. SCÈNE II. Acis, Galatée, Le Prêtre, et sa Suite. LE PRÊTRE. Les voici ces tendres amants,Dans leur impatience ils comptent les moments, Avançons vers le Temple, et par un sacrificeIntéressons Junon à leur être propice. SCÈNE III. Acis, Galatée, Le Prêtre, et sa Suite, Poliphème, sur le haut d'un rocher. POLIPHÈME. Que vois-je ? Quel objet pour un amant jaloux ?L'Ingrate Galatée, et le berger qu'elle aime ?Tu mourras, téméraire, et Jupiter lui-même Ne saurait dérober ta tête à mon courroux. LE CHOEUR. Le Cyclope menace ! Ô Ciel protège nous !Sers-toi pour nous sauver de ton pouvoir suprême. SCÈNE IV. Acis, Galatée. GALATÉE. Fuyons sa violence extrême ;Heureux de pouvoir l'éviter. ACIS. Vous me quittez ? Hélas ! N'osez-vous arrêter ? GALATÉE. Fuyez Acis, s'il est possibleOu votre perte est infaillible. ACIS. Mourant pour vos beaux yeux, je ne crains point la mort.Où puis-je la trouver plus belle ? Dois-je enfin me plaindre du sortSi je meurs heureux et fidèle ? SCÈNE V. POLIPHÈME, seul. Quel chemin ont-ils pris ces amants trop heureux ?Sans doute Jupiter s'intéresse pour eux.Qu'il se montre, ce Dieu que l'Univers révère, C'est un objet digne de ma colère.Je l'attends : mais il craint de paraître à mes yeux,Et croit braver ma rage enfermé dans les Cieux ;J'y monterai malgré l'effort de son tonnerre,J'entasserai ces monts pour aller jusqu'à lui, Et ferai plus trembler tout l'Olympe aujourd'hui,Que ne firent jadis les enfants de la terre.Mais commençons d'exercer mon courrouxSur un rival que je déteste.Qu'il soit anéanti par un seul de mes coups, Que sa mort soit enfin si triste et si funeste,Que de tout son bonheur je ne sois plus jaloux ! SCÈNE VI. Acis, Galatée, Poliphème. GALATÉE. Allez, éloignez-vous, faut-il vous le redire ? Galatée se plonge dans la mer. ACIS. Vous me fuyez ? Par où l'ai-je donc mérité ? POLIPHÈME. Traître, reçois le prix de ta témérité. Poliphème écrase Acis avec un rocher. ACIS. Déesse c'en est fait, je vous perds, et j'expire. SCÈNE VII. POLIPHÈME, seul. Il est mort l'insolent ! J'ai trompé son attente,Je suis content puisque je suis vengé,Ah ! Quel plaisir pour un coeur outragéQu'une vengeance sanglante. Et toi Déesse perfide,Pleure l'indigne Amant que tu m'as préféré ;Ma tendresse a fait place au transport qui me guide,J'ai repoussé les traits dont j'étais pénétré.Publions par tout ma victoire, Elle assure à la fois mon repos et ma gloire,J'immole dans le même jourMon rival et mon amour. SCÈNE VIII. Galatée sort de la mer. GALATÉE, seule. Enfin j'ai dissipé la crainteQui m'arrêtait au fond des flots, Je vois régner ici le calme et le repos,Ma flamme désormais ne sera plus contrainte.Cherchons seulementLe berger charmantQue mon coeur adore ; Hélas ! Il ne vient point encore.Acis, mon cher Acis en quels lieux êtes-vous ?Revenez près de moi, tout est ici tranquille ;Vous n'avez plus besoin d'asileContre un injuste courroux. Quoi, tu ne réponds point à ma voix qui t'appelle ?Je commence à sentir une peine mortelleDe ton éloignement ;Reviens, mon cher Acis, dois-tu perdre un moment ?Mais quelle terreur secrète M'alarme et m'inquiète ?Quelle image, grands Dieux ! vient frapper mon esprit ?Je tremble, quel objet à mes yeux se présente ?Les rochers renversés, et la terre sanglanteM'assurent le malheur que mon coeur m'a prédit. Que ne puis-je expirer après ce coup funeste ?Mon amour à jamais fera couler mes pleurs ;Heureux mortels ! Dans de pareils malheurs.L'espoir de la mort vous reste.Fut-il jamais un destin plus affreux ? Quel coeur a ressenti la douleur qui me presse ?Je perds l'objet de ma tendresseQuand nous sommes prêts d'être heureux.Faut-il encor pour croître mon suppliceQue de sa mort je sois complice ? J'ai pu l'abandonner dans ce pressant danger ?Quand son amour faisait éclater son courage.Ah ! Je ne puis y songer,Sans frémir de honte et de rage !Songeons du moins à le venger. [Note : Furies : se dit aussi de certaines divinités infernales que les oètes païens feignaient entrer dans les hommes pour les posséder et les tourmanter. [F]]Poursuivons le Géant, invoquons les Furies,Qu'il ne puisse trouver d'asile ni d'appui !Qu'elles exercent sur luiToutes leurs barbaries :Mais ce cruel châtiment Me rendra-t-il mon amant ;Pour soulager ma peine extrêmeIl faut me rendre ce que j'aime.Puissantes Divinités,Généreuse Thétis, favorable Neptune ! Si jusqu'à vous mes soupirs sont portésFaites cesser mon infortune,Ranimez mon amant, redonnez-lui le jour,Et s'il se peut encor augmentez son amour. SCÈNE IX. Neptune sortant de la Mer, Galatée. NEPTUNE. Je sors de mes grottes profondes, Tes cris ont pénétré jusques au fond des ondes,Tes maux par mon secours seront bientôt finis,Je viens pour réparer le crime de mon fils.Vous que la Loi du sort soumet à ma puissance,Dieux ! Qui suivez ma Cour, Paraissez sur les Eaux, honorez ce grand jourDe votre auguste présence. SCÈNE X. Neptune, Galatée, Toutes les Divinités de la Mer, Troupe de Fleuves et de Naïades. CHOEUR DE DIVINITÉS. Nous accourons au seul bruit de ta voix,Notre plus doux plaisir est de suivre tes lois. NEPTUNE. Ma fille, le Destin répond è ta prière. Vivez, Acis, vivez, revoyez la lumière ;Mais vivez désormaisPour ne mourir jamais,. LE CHOEUR. Acis, vivez désormaisPour ne mourir jamais. NEPTUNE. Que votre sang se change et devienne une eau pure,Dont l'agréable murmureFasse naître dans tous les coeursD'innocentes ardeurs. SCÈNE XI. Neptune, Acis changé en Fleuve, Galatée, les Divinités de la Mer, Fleuves, Naïades. GALATÉE. Cher Acis ! ACIS. Galatée ? ACIS, GALATÉE. Il m'est permis encore De revoir ce que j'adore. NEPTUNE. Jouissez des biens éternelsQui sont faits pour les immortels.Vous Fleuves amoureux, vous Naïades charmantesVenez de ces amants redoubler les plaisirs ; Venez, animer leurs désirsPar les chansons les plus touchantes. UNE NAÏADE. Sous ses lois l'Amour veut qu'on jouisseD'un bonheur qui jamais ne finisse.Tendres coeurs venez tous, En jouir avec nous. LE CHOEUR. Sous ses lois l'Amour veut qu'on jouisseD'un bonheur qui jamais ne finisse,Tendres coeurs venez tousEn jouir avec nous. DEUX NAÏADES. Vous qui croyez l'amour une faiblesse,Ne venez point troubler notre innocente paix,Ce n'est point pour des coeurs sans tendresseQue nos chants amoureux et nos plaisirs sont faits. UNE NAÏADE. Tendres coeurs conservez l'espérance, C'est en vain qu'on vous fait résistance,Qu'on s'arme de rigueur, de haine et de courroux ;Que ne vaincrez-vous point si i'Amour est pour vous ? LE CHOEUR. Tendres coeurs conservez l'espérance,C'est en vain qu'on vous fait résistance, Qu'on s'arme de rigueur, de haine et de courrouxQue ne vaincrez-vous point si l'Amour est pour vous ? UNE NAÏADE. Désormais on doit aimer sans crainte,De quoi sert une injuste contrainte ?Beautés à qui le Ciel a donné mille appas, L'Amour vous punira de n'en profiter pas. Le Choeur répète ces deux derniers vers. LE CHOEUR. Sous ses lois l'Amour veut qu'on jouisseD'un bonheur qui jamais ne finisse.Tendres coeurs venez tousEn jouir avec nous. ==================================================