******************************************************** DC.Title = LES DEUX CHAPEAUX, COMÉDIE DC.Author = CARMONTELLE, Louis de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Proverbe DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/02/2021 à 07:00:05. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/CARMONTELLE_DEUXCHAPEAUX.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LES DEUX CHAPEAUX COMÉDIE. DIX-NEUVIÈME PROVERBE. 1822. de CARMONTELLE. À PARIS, chez DELONGCHAMPS, LIBRAIRE RUE DE LA FEUILLADE, n°2, près de la Place des Victoires. PERSONNAGES MONSIEUR DE BRÉCOURT. MADAME DE BRÉCOURT. LE MARQUIS DE ROSEMONT. VICTOIRE, femme de chambre de Madame de Brécourt. La scène est chez Madame de Brécourt. Extrait de PROVERBES DRAMATIQUES DE CARMONTELLE précédé de la vie de Carmontelle (...), chez DELONGCHAMPS libraire, Tome Premier, 1822. pp. 245-258 LES DEUX CHAPEAUX SCÈNE PREMIÈRE. Madame de Brécourt, Victoire. MADAME DE BRÉCOURT, en entrant, cherche dans ses poches. C'est inconcevable, que j'aie perdu la lettre du Marquis ! Mais, dites donc, mademoiselle, qu'est-ce que j'en ai fait ? VICTOIRE. Madame l'a reçue à sa toilette. MADAME DE BRÉCOURT. C'est vrai. Ah, la voilà ! Dites un peu qu'on ne laisse entrer personne. VICTOIRE. Hors Monsieur le Marquis ? MADAME DE BRÉCOURT. Sans doute ; mais il ne viendra pas, il vient de me le mander. VICTOIRE. Cela n'y fera rien peut-être... MADAME DE BRÉCOURT. Donnez-moi mon écritoire, et allez-vous-en. Victoire lui donne l'écritoire et sort. SCÈNE II. Madame de Brécourt, Monsieur de Brécourt. MADAME DE BRÉCOURT, écrivant. Comment peut-il ne pas me voir aujourd'hui, quand j'ai tout arrangé !... Qui est là ? MONSIEUR DE BRÉCOURT. C'est moi. MADAME DE BRÉCOURT, cachant la lettre qu'elle écrivait. Par quel hasard, à l'heure qu'il est ? MONSIEUR DE BRÉCOURT. Qu'est-ce que vous cachez là ? MADAME DE BRÉCOURT. Ce n'est rien, Monsieur. Elle ferme son écritoire. MONSIEUR DE BRÉCOURT. Je veux le voir. MADAME DE BRÉCOURT. Moi, je ne le veux pas. MONSIEUR DE BRÉCOURT. Je vous dis que je veux absolument que vous me le montriez. MADAME DE BRÉCOURT. C'est inutile, vous dis-je. MONSIEUR DE BRÉCOURT. Madame, ces façons-là ne me conviennent point du tout. MADAME DE BRÉCOURT. J'en suis bien fâchée ; mais cela ne sera pas autrement. MONSIEUR DE BRÉCOURT. C'est ce que nous verrons. Vous confirmez mes soupçons, si vous voulez que je vous le dise. MADAME DE BRÉCOURT. Et quels soupçons, monsieur? MONSIEUR DE BRÉCOURT. Vous devez m'entendre. MADAME DE BRÉCOURT, ironiquement. Je ne suis pas aussi pénétrante que vous. MONSIEUR DE BRÉCOURT. Madame, ceci n'est point du tout une plaisanterie. MADAME DE BRÉCOURT. Je le vois bien. - MONSIEUR DE BRÉCOURT. Ne me forcez donc pas de m'expliquer. MADAME DE BRÉCOURT. Oh, c'est précisément ce que je vous demande. MONSIEUR DE BRÉCOURT. Eh bien, madame, vous devez être assez raisonnable pour vous déterminer à ne plus voir le Marquis. MADAME DE BRÉCOURT. Le Marquis ! Et la raison, s'il vous plaît? MONSIEUR DE BRÉCOURT. Je n'ai pas d'autre chose à vous dire. MADAME DE BRÉCOURT. Mais, monsieur, c'est un homme de fort bonne compagnie... MONSIEUR DE BRÉCOURT. Il peut l'être pour vous, mais il ne l'est pas pour moi. MADAME DE BRÉCOURT. C'est d'une singularité !... MONSIEUR DE BRÉCOURT. Singularité tant qu'il vous plaira... MADAME DE BRÉCOURT. Mais, comment voulez-vous que je l'empêche de venir ici ? MONSIEUR DE BRÉCOURT. En lui faisant défendre votre porte. MADAME DE BRÉCOURT. Cela sera fort honnête. MONSIEUR DE BRÉCOURT. Plus que vous ne pensez. Enfin, je vous en prie, et très sérieusement. MADAME DE BRÉCOURT. Vous vous donnerez là une belle réputation, car on vous devinera. MONSIEUR DE BRÉCOURT. C'est mon affaire. Il sort. SCÈNE III. MADAME DE BRÉCOURT. Qu'est-ce que cela veut dire ? Elle écoute. Le voilà sorti. Écrivons au Marquis. Elle écrit. SCÈNE IV. Madame de Brécourt, Le Marquis. LE MARQUIS. Madame, vous me voyez, malgré ce que je vous ai mandé. J'ai trouvé le moment de m'échapper... Mais qu'avez-vous donc ? MADAME DE BRÉCOURT. Je suis désespérée ; je ne sais qui vous a desservi auprès de LE MARQUIS. Comment ? MADAME DE BRÉCOURT. Il ne veut plus que je vous voie. LE MARQUIS. Est-il bien possible ? Je sais d'où cela vient. MADAME DE BRÉCOURT. De qui ? LE MARQUIS. De madame de Mirecourt. MADAME DE BRÉCOURT. Elle en serait capable ? LE MARQUIS. Vous ne la connaissez pas. MADAME DE BRÉCOURT. Que lui avez-vous fait ? LE MARQUIS. Rien ; mais c'est vous qu'elle veut persécuter. Elle ne vit que de tracasseries : elle avait voulu m'y associer ; mais je l'ai traitée avec un si grand mépris, que je ne suis pas surpris de ce qui nous arrive. Mais que vous a dit votre mari ? Que croit-il ? MADAME DE BRÉCOURT. Fort peu de chose, je crois. Je ne l'ai même jamais vu jaloux. LE MARQUIS. C'est sûrement cette femme-là qui a tout fait. Mais quel parti prenez-vous ? M'abandonnerez-vous ?... MADAME DE BRÉCOURT. Ah, Marquis ! Tout cela m'afflige, me tourne la tête. LE MARQUIS. Si vous m'aimiez réellement !.... MADAME DE BRÉCOURT. Eh ! C'est parce que je vous aime... LE MARQUIS. Il faut laisser passer cette boutade, elle ne saurait durer. J'ai même un moyen sûr, si vous voulez y consentir, et très facile : je dérouterai madame de Mirecourt. MADAME DE BRÉCOURT. Et comment ? LE MARQUIS. Elle m'a cru lié avec une autre femme; je n'ai qu'à feindre de lui rendre des soins... MADAME DE BRÉCOURT. Non, ce moyen-là ne me plaît point du tout. LE MARQUIS. Que craignez-vous ? MADAME DE BRÉCOURT. Cette femme peut devenir sensible, et d'indifférente qu'elle vous serait, vous pourriez... LE MARQUIS. Vous ne vous rendez pas justice MADAME DE BRÉCOURT. Il vaut mieux que vous me voyiez chez ma soeur. LE MARQUIS. Quoi, jamais ailleurs ? MADAME DE BRÉCOURT. Je ne peux empêcher que vous ne soupiez quelquefois dans les mêmes maisons. LE MARQUIS. Vous feignez de ne pas m'entendre. MADAME DE BRÉCOURT. Pardonnez-moi, je vous entends; si le soin de ma gloire vous occupait.... LE MARQUIS. Ah, pardonnez !... MADAME DE BRÉCOURT. Voilà à quoi nous exposent nos maris avec leurs façons ; mais ne comptez pas en profiter jamais. LE MARQUIS. Je n'ai point d'autres desseins que de faire ce qui pourra vous plaire. MADAME DE BRÉCOURT. Ne m'en parlez donc plus. LE MARQUIS. Je vous le promets. Il lui baise la main. MADAME DE BRÉCOURT, effrayée. Qu'est-ce que j'entends ? J'ai fait fermer ma porte. Voyez un peu. LE MARQUIS, regardant à la fenêtre. C'est votre mari ! MADAME DE BRÉCOURT. Et votre carrosse ? LE MARQUIS. Il est chez ma mère, je suis venu tout seul. MADAME DE BRÉCOURT. S'il va entrer ici ! Je crois l'entendre ; cachez-vous dans mon boudoir. LE MARQUIS. J'y vais. Il laisse son chapeau sur le fauteuil où il était assis, et il entre dans le boudoir. SCÈNE V. Monsieur de Brécourt, Madame de Brécourt. MONSIEUR DE BRÉCOURT entre en lisant des papiers ; il se retourne et dit à ses gens. Qu'on n'ôte pas mes chevaux. Et continuant de lire, il s'approche du fauteuil où était le marquis, y laisse tomber son chapeau, et s'assied. À madame de Brécourt, toujours en lisant.Vous n'êtes pas sortie ? MADAME DE BRÉCOURT. Non. MONSIEUR DE BRÉCOURT, lisant. - Pourquoi n'avez-vous pas été à l'opéra ? MADAME DE BRÉCOURT. C'est que je ne m'en suis pas souciée apparemment. MONSIEUR DE BRÉCOURT, lisant. Nota. Cette marque - indique des temps de silence nécessaires dans le jeu de cette scène.- Vous ne vous en êtes pas souciée ? - Si vous n'aviez pas de petite loge, vous me tourmenteriez pour en avoir une. MADAME DE BRÉCOURT. Cela pourrait bien être. MONSIEUR DE BRÉCOURT, lisant. - Le marquis est-il venu ? MADAME DE BRÉCOURT. Vous avez donné de si bons ordres... MONSIEUR DE BRÉCOURT, lisant. Moi ? MADAME DE BRÉCOURT. Apparemment. - Pourquoi rentrez-vous donc à présent ? MONSIEUR DE BRÉCOURT. Pourquoi ? ? Il remet ses papiers dans sa poche.[Note : Quartier de la rive droite de Paris recouvrant de grande partie du 3ème et 4ème arrondissement.]Parce que je veux reposer mes chevaux ; j'ai couru tout le Marais sans trouver personne. MADAME DE BRÉCOURT. Il fallait aller chez madame de Mirecourt. MONSIEUR DE BRÉCOURT. Il monte sa montre. ? Madame de Mirecourt ? MADAME DE BRÉCOURT. Sans doute ; c'est une femme charmante, elle vous ressemble. MONSIEUR DE BRÉCOURT. Il remet sa montre.- Je ne peux pas la souffrir. MADAME DE BRÉCOURT. Vous ne soupez pas ici apparemment ? - MONSIEUR DE BRÉCOURT. - Il ronge le bout de son doigt. Je ne sais pas si je souperai. Il se coupe une envie au doigt.Ils veulent que je prenne du lait. MADAME DE BRÉCOURT. À la bonne heure ; car je vous avertis qu'il n'y a point de souper, je ne mangerai rien. MONSIEUR DE BRÉCOURT. ? Il remet ses ciseaux. Vous ne mangerez rien ? MADAME DE BRÉCOURT. Non ; ainsi si vous voulez souper, je vous conseille de vous en aller plus tôt que plus tard. MONSIEUR DE BRÉCOURT. - Il prend du tabac lentement.Je verrai. MADAME DE BRÉCOURT. Mais si vous n'avez pas de chevaux, prenez les miens. MONSIEUR DE BRÉCOURT. Oui, et puis vous direz que je vous les ai estropiés. MADAME DE BRÉCOURT. Quel raisonnement ! MADAME DE BRÉCOURT. - Remettant sa tabatière.À propos de chevaux, je vous en ai acheté deux beaux, fort grands. MADAME DE BRÉCOURT. Je ne me soucie pas plus de grands chevaux que de grands hommes. MONSIEUR DE BRÉCOURT. Vous vous en servirez pourtant. MADAME DE BRÉCOURT. Déterminez-vous donc, si vous voulez souper dehors. MONSIEUR DE BRÉCOURT. - Il raccommode une de ses boucles de jarretières.Oui, vous avez raison ? MADAME DE BRÉCOURT. Allons, allez-vous-en donc, monsieur. MONSIEUR DE BRÉCOURT. - Il la regarde.Savez-vous que je ne vois personne coiffée comme vous ? MADAME DE BRÉCOURT. Qu'est-ce que cela vous fait ? MONSIEUR DE BRÉCOURT. Oh, moi, rien du tout ! Il se lève lentement, et il prend le chapeau du Marquis pour le sien, sans y regarder.Je reviendrai peut-être vous tenir compagnie, puisque vous êtes seule. MADAME DE BRÉCOURT. Ne vous gênez pas. MONSIEUR DE BRÉCOURT. Sûrement, je reviendrai. À ses gens.Allons, eh ! SCÈNE VI. Madame de Brécourt, Le Marquis. LE MARQUIS, sortant du cabinet. Mais, savez-vous qu'il est assommant ? MADAME DE BRÉCOURT. Vous êtes bien heureux qu'il ne se soit pas endormi ; car quelquefois il vient chez moi pour me faire cette saveur-là. Le Marquis veut s'asseoir, et prend le chapeau de Monsieur de Brécourt, sans y regarder.Que faites-vous donc ! LE MARQUIS. Mais... MADAME DE BRÉCOURT. Non, je ne veux pas que vous restiez. LE MARQUIS. Et pourquoi ? MADAME DE BRÉCOURT. Vous avez dû entendre qu'il va revenir. LE MARQUIS. Mais un instant seulement. MADAME DE BRÉCOURT. Je ne veux pas qu'il vous surprenne ici. LE MARQUIS. Mais quand vous verrai-je ? MADAME DE BRÉCOURT. Je vous le manderai ; allez-vous-en, je vous en prie. LE MARQUIS. Comme vous me renvoyez sans peine ! MADAME DE BRÉCOURT. Je ne veux pas vous perdre tout-à-fait ; voilà ce que vous devriez voir, au lieu de me faire des reproches. LE MARQUIS. Eh bien, je vous demande pardon. Il lui baise la main. MADAME DE BRÉCOURT. Adieu, Marquis, adieu. LE MARQUIS. Adieu, Madame, puisque vous le voulez. Il sort. SCÈNE VII. Madame de Brécourt, Victoire. VICTOIRE. Ah, madame, j'ai été dans une belle inquiétude quand j'ai entendu arriver Monsieur ! Où avez-vous donc caché Monsieur le Marquis ? MADAME DE BRÉCOURT. Dans mon boudoir. VICTOIRE. C'est qu'il a été longtemps ici Monsieur. MADAME DE BRÉCOURT. J'ai cru qu'il ne s'en irait jamais. Bon, le voilà qui revient ; je suis fâchée de n'être pas sortie. - VICTOIRE. Il est encore temps. Je m'en vais demander vos chevaux. MADAME DE BRÉCOURT. Eh bien, oui ; je dirai que ma soeur a envoyé me chercher. Il y viendra peut-être ; mais cela vaudra mieux que de rester seule ici avec lui. Victoire sort par la garde-robe. SCÈNE VIII. Madame de Brécourt, Monsieur de Brécourt. MADAME DE BRÉCOURT. Quoi, Monsieur, vous voilà déjà ? MONSIEUR DE BRÉCOURT, troublé, agité. Oui, madame, me voilà. MADAME DE BRÉCOURT. Qu'avez-vous donc ? Est-ce encore quelque nouvelle folie. MONSIEUR DE BRÉCOURT. Non, madame, ce n'est pas une folie. MADAME DE BRÉCOURT, langoureusement. Vous m'épouvantez ! Que vous est-il donc arrivé ? MONSIEUR DE BRÉCOURT. Vous m'avez dit que le Marquis n'était pas venu ici ? MADAME DE BRÉCOURT. Oui, monsieur. Quoi, c'est encore cela ? MONSIEUR DE BRÉCOURT. Oui, Madame, vous avez le front de me soutenir qu'il n'est pas venu. MADAME DE BRÉCOURT. Pourquoi ne le soutiendrais-je pas ? MONSIEUR DE BRÉCOURT. Parce que cela n'est pas vrai. MADAME DE BRÉCOURT. Allons, Monsieur, vous rêvez. Si vous allez vous mettre à me tourmenter comme cela, je n'y tiendrai pas ; je vous en avertis. MONSIEUR DE BRÉCOURT. Quand on ne fait que des choses honnêtes, on n'a pas recours au mensonge. MADAME DE BRÉCOURT. Je vous dis ce qui est ; et je vous prie de me laisser... MONSIEUR DE BRÉCOURT. Non, Madame, vous ne dites pas la vérité. Il est peut-être ici encore au moment que je vous parle. MADAME DE BRÉCOURT. Eh bien, Monsieur, cherchez si vous ne m'en croyez pas. MONSIEUR DE BRÉCOURT. Je n'ai pas besoin de chercher pour vous convaincre. MADAME DE BRÉCOURT. Comment donc ? MONSIEUR DE BRÉCOURT. Tenez, Madame, voilà son chapeau que j'ai pris sur ce fauteuil, au lieu du mien. MADAME DE BRÉCOURT. Son chapeau ? MONSIEUR DE BRÉCOURT. Oui ; voyez le cachet. MADAME DE BRÉCOURT, prenant le chapeau, le regarde, et le lui rend. Eh bien, s'il est meilleur que le vôtre, vous n'avez pas perdu au change ! MONSIEUR DE BRÉCOURT. Vous le prenez sur ce ton-là, Madame ; eh bien, nous nous séparerons. MADAME DE BRÉCOURT, se levant et s'en allant. À la bonne heure. MONSIEUR DE BRÉCOURT, la suivant. Je vais trouver tous vos parents, et leur rendre compte de votre conduite. ==================================================