******************************************************** DC.Title = LE PEINTRE EN CUL-DE-SAC, COMÉDIE DC.Author = CARMONTELLE, Louis de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Proverbe DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 13:18:07. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/CARMONTELLE_PEINTREENCULDESAC.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE PEINTRE EN CUL-DE-SAC. COMÉDIE. VINGT SEPTIÈME PROVERBE. 1822. de CARMONTELLE. À PARIS, chez DELONGCHAMPS, LIBRAIRE RUE DE LA FEUILLADE, n°2, près de la Place des Victoires. PERSONNAGES MONSIEUR LE MAIRE.. MONSIEUR LE CLERC, ami de M. le Maire. LE GRIS, balayeur. MONSIEUR RAPHAËL, peintre d'enseignes. La scène est à Paris, dans un cul-de-sac. Extrait de PROVERBES DRAMATIQUES DE CARMONTELLE précédé de la vie de Carmontelle (...), chez DELONGCHAMPS libraire, Tome Premier, 1822. pp. 365-377 LE PEINTRE EN CUL-DE-SAC SCÈNE PREMIÈRE. Monsieur Le Maire, Le Gris, un balai à la main. La scène représente un grand mur, sur lequel on a préparé un enduit de plâtre, pour écrire. Il y a une grande pierre isolée sur le pavé. MONSIEUR LE MAIRE, en robe-de-chambre. Eh bien, le Gris, c'est-il fini ? MONSIEUR LE GRIS. Oui, Monsieur ; j'ai tout nettoyé ; mais c'est tous les jours a recommencer. MONSIEUR LE MAIRE. Je le sais bien ; et encore cela sent mauvais toute la journée. MONSIEUR LE GRIS. Vous disiez que vous feriez écrire une défense sur le mur. MONSIEUR LE MAIRE. Sans doute; mais il faut avoir une permission, et je l'attends. MONSIEUR LE GRIS. Mais je l'irai bien chercher, moi ; où faut-il aller ? MONSIEUR LE MAIRE. C'est Monsieur le Clerc, qui doit me la faire avoir. MONSIEUR LE GRIS. Il est déjà venu ; c'est peut-être pour cela. MONSIEUR LE MAIRE. Quand est-il venu ? MONSIEUR LE GRIS. Oh, il y a plus de deux heures ; mais on ne l'a pas voulu laisser entrer. MONSIEUR LE MAIRE. Et pourquoi ? MONSIEUR LE GRIS. Parce qu'on a dit qu'il n'était pas jour chez Monsieur. MONSIEUR LE MAIRE. Voilà comme ils sont toujours ; il renvoient les gens à qui j'ai affaire. MONSIEUR LE GRIS. Il a dit qu'il reviendrait dans une heure. Eh, tenez, je crois que le voilà. MONSIEUR LE MAIRE. C'est lui-même. SCÈNE II. Monsieur Le Maire, Monsieur Le Clerc, Le Gris. MONSIEUR LE CLERC. Je vous cherchais. MONSIEUR LE MAIRE. L'on m'a dit que vous étiez déjà venu, et qu'on vous avait renvoyé. Je suis au désespoir qu'on vous ait donné la peine de revenir. MONSIEUR LE CLERC. Cela ne fait rien du tout ; j'ai été me promener sur le rempart. MONSIEUR LE MAIRE. Eh bien, avons-nous la permission ? MONSIEUR LE CLERC. Oui, la voilà. MONSIEUR LE MAIRE, lisant. C'est très bien ; je vous ai la plus grande obligation. MONSIEUR LE CLERC. Point du tout. Si vous m'aviez dit cela plus tôt, il y a longtemps que votre affaire serait faite. MONSIEUR LE MAIRE. Je veux faire écrire la défense tout de suite ; mais avant que j'aie mon peintre, il faudra attendre trois ou quatre jours. Ces gens-là ont autant de peine à se mettre en train qu'à finir. MONSIEUR LE CLERC. C'est bien vrai ce que vous dites là ; ils commencent un ouvrage, et puis ils s'en vont, et vous ne les revoyez plus : mais pourquoi envoyer chercher votre peintre pour cela ? MONSIEUR LE MAIRE. C'est que je n'en connais pas d'autres. MONSIEUR LE CLERC. Je viens d'en voir un ici près, qui écrivait l'enseigne d'un cabaret. MONSIEUR LE MAIRE. Cela est trop heureux ! Je vais l'envoyer chercher. MONSIEUR LE GRIS. Si vous voulez, Monsieur... MONSIEUR LE MAIRE. Oui, vas-y. MONSIEUR LE CLERC. C'est tout près, à droite. MONSIEUR LE GRIS. Oh, je trouverai bien. SCÈNE III. Monsieur Le Maire, Monsieur Le Clerc. MONSIEUR LE MAIRE. Vous ne sauriez croire l'incommodité qu'il y a d'avoir des vues sur ce cul-de-sac ; on ne peut pas ouvrir les fenêtres absolument de ce côté-ci. MONSIEUR LE CLERC. Avec la précaution que vous allez prendre, cela n'arrivera plus. MONSIEUR LE MAIRE. Vous le croyez ? MONSIEUR LE CLERC. Oh, sûrement. MONSIEUR LE MAIRE. J'avais bien pensé à demander de l'acheter, il n'y a pas d'autre porte que la mienne ; mais on m'a dit que cela serait impossible. MONSIEUR LE CLERC. Sans doute, parce que d'un moment à l'autre nos voisins peuvent avoir envie d'en ouvrir, et que cela appartient au public. MONSIEUR LE MAIRE. Oui ; mais le public en jouit d'une étrange façon. Il ne le traite pas honnêtement. MONSIEUR LE CLERC. Il le traite comme un cul-de-sac. MONSIEUR LE MAIRE. Ah, voilà Le Gris ! MONSIEUR LE CLERC. Et le peintre; c'est lui-même. SCÈNE IV. Monsieur Le Maire, Monsieur Le Clerc, Monsieur Raphaël, Le Gris. MONSIEUR LE GRIS. Monsieur, voilà Monsieur Raphaël. MONSIEUR LE MAIRE. Vous vous appelez Raphaël ? MONSIEUR RAPHAËL, avec un bonnet, un tablier, un pot à couleur et un pinceau. Oui, monsieur, pour vous servir. MONSIEUR LE MAIRE. Ah çà, monsieur Raphaël, pourrez-vous m'écrire sur ce blanc-là que vous voyez : Il est défendu de faire ici ses ordures, sous peine de punition corporelle. MONSIEUR RAPHAËL. Oui, Monsieur. C'est moi qui fais ordinairement toutes les écritures de défenses dans les cul-de-sac. MONSIEUR LE MAIRE. Cela sera-t-il bientôt fait ? MONSIEUR RAPHAËL. Mais, pour quand Monsieur le voudrait-il ? MONSIEUR LE MAIRE. Pour tout-à-l'heure. MONSIEUR RAPHAËL. Pour tout-à-l'heure ; mais c'est que j'ai ici près un ouvrage de commencé, qui sera bientôt fini. Si monsieur voulait...... MONSIEUR LE MAIRE. Non, non ; je ne vous laisse pas aller. N'avez-vous pas du noir ? MONSIEUR RAPHAËL. Oui, en voilà; parce que votre monsieur m'a dit que c'était pour écrire que vous m'envoyiez chercher. MONSIEUR LE MAIRE. Eh bien, mettez-vous à la besogne tout de suite, mon cher monsieur Raphaël ; je vous paierai bien. MONSIEUR RAPHAËL. Oh, Monsieur, ce n'est pas là ce qui tient, parce que dans notre métier, c'est plutôt l'honneur qui nous gouverne, que l'argent ; il est pourtant vrai que l'un n'empêche pas l'autre. MONSIEUR LE MAIRE. Oui, oui, vous avez raison. On distingue toujours les gens à talents, surtout quand ils ont de l'esprit comme vous. MONSIEUR RAPHAËL. Monsieur me pousse là une gouaille ; mais cela ne fait en rien. MONSIEUR LE CLERC. Non, monsieur Raphaël, vous ne connaissez pas Monsieur le Maire. MONSIEUR RAPHAËL. Messieurs, divertissez-vous tant qu'il vous plaira; rira bien qui rira le dernier, comme dit l'autre ; et puis votre argent est toujours bon ; et voilà le principal. MONSIEUR LE MAIRE. Allons, que je vous voie commencer un peu. MONSIEUR RAPHAËL, travaillant. M'y voilà. Il écrit.Il est. C'est il bien comme cela ? MONSIEUR LE MAIRE. À merveilles. Vous ne quitterez pas, quelque chose qui arrive, monsieur Raphaël ? MONSIEUR RAPHAËL. Je vous le promets ; et un honnête homme n'a que sa parole. MONSIEUR LE MAIRE. Je vais m'habiller, et je reviendrai vous voir. MONSIEUR RAPHAËL. Allez, allez. Si vous ne me trouvez pas, c'est que cela sera fini. MONSIEUR LE MAIRE. Ne venez-vous pas avec moi ? MONSIEUR LE CLERC. Non, j'ai affaire ; je suis bien aise de vous savoir tout-à-fait hors d'inquiétude. MONSIEUR LE MAIRE. C'est à vous que j'en ai l'obligation. Le Gris, restez ici. MONSIEUR RAPHAËL. Ah, monsieur ! Je n'ai pas besoin qu'on me garde. Allez, monsieur le Gris, allez à vos affaires. - MONSIEUR LE MAIRE. Viens donc, puisqu'il le veut. MONSIEUR LE GRIS. Oui, monsieur, car ces gens-là ont souvent des fantaisies ; et il laisserait peut-être tout là. Ils s'en vont. SCÈNE V. MONSIEUR RAPHAËL, travaillant. Il se recule de temps en temps, pour voir l'effet. Il chante. Sur l'air : Des rues.Dans notre quartier.... Regardant son ouvrage.Cela me va pas mal comme cela. Je ne sais si j'aurai assez de noir. Oh, oui.Dans notre quartier, Quantité de belles...J'ai bien mal au ventre, moi.Vont se promener,Le soir sans chandelles, oui. Je ne sais pas si j'aurai assez de place.Le soir sans chandelles, oui.Jusqu'après minuitRestent ces pucelles, oui.Ah, mais mon mal veut augmenter. Il faut pourtant finir cet ouvrage-là. Restent ces pucelles, oui.Jusqu'après minuit, Vont à petit bruit.Voyons un peu : de faire ici ses ordures. Haye, haye, haye. Il se penche de côté pour prendre du noir avec son pinceau dans le pot.Cela me presse diablement. Sous peine.... Il a l'air de souffrir beaucoup, et il fait diverses contorsions en travaillant.Je ne pourrai jamais achever. J'ai pourtant promis à ce monsieur de ne pas quitter, Haye, haye, haye. Comment faire ? De punition... Ah, je n'en puis plus !... Si je me mettais derrière cette grosse pierre ? Pu...ni... ti... on... Ah ! Il n'y a pas à balancer. Il va derrière la pierre, et il revient un moment après.Il n'y avait pas moyen de faire autrement. Voyons à présent : Sous peine de punition.... Il n'y a plus que corporelle à mettre. Il travaille et chante.Dans notre quartier,Quantité de belles....Ce monsieur me paiera bien ; j'irai boire un coup tout de suite pour me refaire.Vont se promenerLe soir sans chandelles, oui. Jusqu'après minuitRestent ces pucelles, oui. Jusqu'après minuit.... SCÈNE VI. Monsieur Le Maire, Monsieur Raphaël. MONSIEUR LE MAIRE, habillé. Eh bien, monsieur Raphaël, cela avance-t-il ? MONSIEUR RAPHAËL. Oui, Monsieur, j'en suis à corporelle ; cela va être fini. MONSIEUR LE MAIRE, regardant avec une lorgnette. Cela va fort bien. MONSIEUR RAPHAËL, travaille en chantant. Restent ces pucelles... MONSIEUR LE MAIRE. Mais cela sent toujours mauvais. MONSIEUR RAPHAËL. Jusqu'après minuit. MONSIEUR LE MAIRE. C'est inconcevable cette mauvaise odeur. MONSIEUR RAPHAËL. Vont à petit bruit. MONSIEUR LE MAIRE. Monsieur Raphaël, est-ce que vous ne sentez pas quelque chose ? MONSIEUR RAPHAËL. Moi, monsieur ? Oh, je suis accoutumé à cela. MONSIEUR LE MAIRE. J'ai pourtant bien fait balayer. Est-ce qu'il serait venu quel qu'un depuis tantôt ? MONSIEUR RAPHAËL. Jusqu'après minuit. MONSIEUR LE MAIRE. Monsieur Raphaël ! MONSIEUR RAPHAËL. Monsieur ? MONSIEUR LE MAIRE. Parlez-moi donc. MONSIEUR RAPHAËL. Je n'ai plus que l'E à faire. MONSIEUR LE MAIRE. Dites donc s'il est venu ici quelqu'un depuis que je vous ai quitté. MONSIEUR RAPHAËL. Non, monsieur, il n'est pas venu un chat.Jusqu'après minuit, Vont à petit bruit. MONSIEUR LE MAIRE, regardant partout avec sa lorgnette, va jusque derrière la pierre. Eh, parbleu, je ne m'étonne pas ! Il revient à Monsieur Raphaël. MONSIEUR RAPHAËL. Monsieur, voilà qui est fini. MONSIEUR LE MAIRE. Il n'est pas question de cela. MONSIEUR RAPHAËL. Comment donc, Monsieur ? MONSIEUR LE MAIRE. Vous dites qu'il n'est venu personne ici depuis tantôt ? MONSIEUR RAPHAËL. Non, monsieur, et je le soutiendrai encore. MONSIEUR LE MAIRE. Mais venez voir. Il le mène auprès de la pierre. Voyez s'il n'est venu personne. MONSIEUR RAPHAËL. Eh mais, Monsieur, assurément je suis honnête homme, moi ; je ne dis jamais une chose pour l'autre ; pourquoi vous tromperais-je ? MONSIEUR LE MAIRE. Vous m'impatientez. MONSIEUR RAPHAËL. Il n'y a pas à s'impatienter ; je vous dirai bien qui a fait cela. MONSIEUR LE MAIRE. Eh qui ? MONSIEUR RAPHAËL, d'un air de confiance. Eh mais, monsieur, c'est moi ; il ne faut pas chercher bien loin ce qui est bien près. MONSIEUR LE MAIRE. Comment, c'est vous !... MONSIEUR RAPHAËL. Oui, Monsieur ; et pourquoi pas ? MONSIEUR LE MAIRE. Quoi, lorsque vous écrivez ! Sous peine de punition corporelle.... MONSIEUR RAPHAËL. Sans doute. Écoutez donc la raison de cela. MONSIEUR LE MAIRE. La raison de cela ? MONSIEUR RAPHAËL. Oui, il faut être juste en tout ; ne vous ai-je pas promis de ne pas quitter votre ouvrage ?... MONSIEUR LE MAIRE. Oui ; mais en écrivant : Sous peine de punition... MONSIEUR RAPHAËL. Je ne peux pas répondre d'un mal de ventre qui me prend. Je n'avais plus qu'un mot à écrire ; si je m'étais en allé, si je m'étais trouvé mal, et que je ne fusse pas revenu, qu'est-ce que vous auriez dit ? MONSIEUR LE MAIRE. Que le diable vous emporte ! MONSIEUR RAPHAËL. Enfin, voilà qui est fait ; vous devez être content. MONSIEUR LE MAIRE. Oui, très fort. Sous peine de punition... Et cela ne fait rien ! MONSIEUR RAPHAËL. Comment, Monsieur... MONSIEUR LE MAIRE. Allons, allez-vous-en chez moi ; on vous paiera. MONSIEUR RAPHAËL. Mais, monsieur, je ne veux pas que vous vous plaigniez de moi. Si vous voulez que je fasse encore quelque chose, vous n'avez qu'à dire... MONSIEUR LE MAIRE. Allez-vous-en, vous dis-je. MONSIEUR RAPHAËL. Monsieur, je serai toujours bien à votre service. Il s'en va. MONSIEUR LE MAIRE. Il faut que j'aille encore chercher Le Gris pour nettoyer. Il faut avoir une belle patience avec ces gens-là. II s'en va. ==================================================