******************************************************** DC.Title = LE PORTRAIT, PROVERBE DC.Author = CARMONTELLE, Louis de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Proverbe DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:18. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/CARMONTELLE_PORTRAIT.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE PORTRAIT HUITIÈME PROVERBE. M. DCC. LXVIII. Avec Approbation et Privilège du Roi. de CARMONTELLE. À Paris, chez MERLIN, Au bas de la Rue de Harpe, vis à vis de la rue Poupée. PERSONNAGES MONSIEUR BERNARD, Peintre en Portrait. MONSIEUR DURBAIN, Peintre en Histoire. LA COMTESSE DE MINEVILLE. LE COMTE DE MINEVILLE. LA PRÉSIDENTE DE BERMONT. L'ABBÉ DES EGARDS. LE CHEVALIER DE ROUVIÈRE. LE BARON D'ORBAN, Amateur. CHAMPAGNE, Laquais. COMTOIS, Laquais. LA FRANCE, Cocher. GERMAIN, élève de Monsieur Bernard. La scène est dans l'atelier de Monsieur Bernard, où il y a un portrait de femme sur un chevalet, et beaucoup d'autres portraits, autour de l'atelier. Dans PROVERBES DRAMATIQUES, Tome premier, Première partie, 1768. LE PORTRAIT SCÈNE PREMIÈRE. La Comtesse, Henriette. MONSIEUR BERNARD, se promenant, regardant à la fenêtre, revenant au Portrait qui est Sur le chevalet et s'impatientant. Il se fait déjà tard. La peste soit des femmes elles ne finissent jamais rien : si le temps se couvre, c'est une après-midi de perdue. Le jour s'en va ; mais j'entends quelqu'un ; j'avais tort de me fâcher, c'est elle sans doute. Le Soleil est encore haut, et j'aurai le temps de faire une bonne séance. Bon, je me trompais, c'est Monsieur Durbain. SCÈNE II. Monsieur Bernard, Monsieur Durbain. MONSIEUR DURBAIN. Bonjour, mon ami ; que faites-vous donc là ? MONSIEUR BERNARD. Rien ; j'attends une diable de femme qui m'a déjà manqué de parole cinq ou six fois ; elle me fait perdre plus de temps... MONSIEUR DURBAIN. Il faut faire des esquisses en attendant. MONSIEUR BERNARD. C'est bon pour vous qui peignez l'Histoire ; mais nous autres Peintres de Portraits ; à quoi cela nous servirait-il ? MONSIEUR DURBAIN. Qu'est-ce que vous avez-là sur votre chevalet ? MONSIEUR BERNARD. C'est cette Comtesse de Mineville, que j'attends. MONSIEUR DURBAIN. Ah, ah, voilà qui est très bien ! Le fond est d'un bon ton, très-vaporeux ; mais c'est fini ? MONSIEUR BERNARD. Oui, fini, et la ressemblance dont on n'est jamais content. . MONSIEUR DURBAIN. Ah ! Qu'ils s'accommodent. MONSIEUR BERNARD. Cela vous est bien aisé à dire ; on voit bien que vous ne peignez pas le Portrait. MONSIEUR DURBAIN. J'en ferais, si je voulais ; mais je n'aurais jamais cette patience-là ; pourvu que je mette dans mes têtes l'expression que je veux qu'elles aient ; c'est tout ce qu'il me faut. MONSIEUR BERNARD. Vous avez raison. Hé bien, nous autres, nous mettrions toutes les expressions, les minauderies et les grimaces qu'une femme peut faire, je vous réponds qu'on ne ferait pas encore content. MONSIEUR DURBAIN. C'est aussi trop fort. MONSIEUR BERNARD. Tenez, vous vous souvenez bien de cette jeune mariée que vous trouvâtes ici un jour, qui vous parut si jolie et que vous disiez que vous voudriez bien avoir pour faire une tête de Vénus ? MONSIEUR DURBAIN. Ah, oui, oui, je me rappelle ; charmante, fraîche, on voit couler le sang sous la peau, la colorer, l'animer ! MONSIEUR BERNARD. Hé bien, elle a le plus vilain mâtin de mari, qu'on puisse rencontrer. MONSIEUR DURBAIN. Cette femme là ? MONSIEUR BERNARD. Oui, cette femme là. J'en ai fait le portrait de ce mari, et très ressemblant, même trop en beau. Cette diable de femme, d'abord en paraissait enchantée ; cependant à force de réflexions, elle se refroidit sur ce portrait : je le regarde ; je n'y vois rien de changé ; je la presse de me dire ce qu'elle y trouve ; elle hésite, regarde son mari tendrement, il riposte par la plus hideuse grimace, se croyant charmant, et elle s'écrie tout d'un coup, non, ce ne font pas là les petits yeux de mon mari quand il me regarde. MONSIEUR DURBAIN. Ah, quel peste de conte ! MONSIEUR BERNARD. D'honneur, rien n'est plus vrai ; le portrait m'est resté. MONSIEUR DURBAIN. J'enverrais le métier à tous les diables. MONSIEUR BERNARD. J'en ai été tenté bien des fois ; mais il faut vivre ; si j'étais garçon, avec un peu de Philosophie, je me tirerais d'affaires. MONSIEUR DURBAIN. Oui, vous avez raison. J'entends quelqu'un. ' MONSIEUR BERNARD. C'est peut-être elle. Non, c'est l'Abbé des Egards. SCÈNE III. Monsieur Bernard, L'Abbé, Monsieur Durbain. L'ABBÉ. Bonjour, Monsieur Bernard, à Monsieur Durbain, Monsieur, je suis votre serviteur. Hé bien, la Comtesse n'est pas encore venue ? MONSIEUR BERNARD. Non, Monsieur, il y a deux heures que je t'attends. L'ABBÉ. Elle est étonnante ! Avez-vous du tabac ? Le mien est un peu sec, mon laquais a oublié de m'en donner avant de sortir. MONSIEUR DURBAIN. Monsieur l'Abbé, si vous voulez du mien, il n'est pas mauvais. L'ABBÉ. Volontiers. Prenant du tabac.Il est très-bon. Hé bien, le portrait ? MONSIEUR BERNARD. Le voilà. L'ABBÉ. À merveilles ! C'est cela. Elle trouve pourtant la bouche un peu grande, et il me semble que vous pourriez... MONSIEUR BERNARD. Mais, Monsieur, on veut qu'elle rie. L'ABBÉ. Oui, j'entends bien ; cependant... MONSIEUR BERNARD. Si je la diminue, elle fera sérieuse, ou le portrait ne ressemblera pas. L'ABBÉ. Vous avez raison, je lui ai dit tout cela ; c'est le diable avec les femmes, n'est-ce pas Monsieur Bernard ? MONSIEUR BERNARD. Ah, Monsieur, à qui le dites-vous ? L'ABBÉ. Ne pourriez-vous pas agrandir un peu les yeux ? MONSIEUR BERNARD. Mais, Monsieur l'Abbé, en conscience les a-t-elle aussi grands qu'ils font là ? L'ABBÉ. Je sais bien que non ; mais pour la contenter, si vous pouviez... MONSIEUR DURBAIN. Ne voyez-vous pas Monsieur l'Abbé, qu'il n'y aurait plus de proportions dans cette tête ; puisque le portrait ressemble et qu'il est agréable, que veut-on de plus ? L'ABBÉ. Moi, je pense comme vous, je leur ai dit. Ah, je crois pourtant que la voilà. Je vais au devant d'elle. MONSIEUR DURBAIN. Adieu, mon ami, je te souhaite de la patience. MONSIEUR BERNARD. J'en ai grand besoin. MONSIEUR DURBAIN. Je m'en vais à l'Académie : viendras-tu souper avec nous ? MONSIEUR BERNARD. Je ne sais pas, je ferai ce que je pourrai. SCÈNE IV. La Comtesse, Le Chevalier, L'Abbé, Monsieur Bernard. LA COMTESSE. Monsieur Bernard, je crois que vous allez bien me gronder. MONSIEUR BERNARD. Madame... LA COMTESSE. C'est affreux, la quantité de choses que j'ai eu à faire aujourd'hui. L'ABBÉ. Il est vrai, Madame la Comtesse, que personne au monde, n'est continuellement si occupé que vous. LA COMTESSE. J'ai cru que la tête m'en tournerait, et je n'ai rien fini encore. Je n'ai pas trouvé un seul taffetas de joli, ils sont tous affreux cette année. Il faudra que je m'en fasse apporter d'autres demain. L'ABBÉ. Avez-vous vu ceux de Madame de Mortiere ? LA COMTESSE. Vous parlez-là d'horreur, l'Abbé ; allons, vous n'avez pas de goût. L'ABBÉ. Pouvez-vous me dire cela, à moi, qui suis un de vos plus grands admirateurs. LA COMTESSE. Monsieur Bernard, où faut-il que je me mette ? MONSIEUR BERNARD. Ici, Madame. Il lui montre. LA COMTESSE. Comme cela ? MONSIEUR BERNARD. Un peu plus de ce côté-ci ; à gauche. LA COMTESSE. Du côté de la porte ? MONSIEUR BERNARD. Non, Madame, au contraire. LA COMTESSE. Ah, oui, vous avez raison ; c'est à droite , je ne sais ce que je dis. Vous me trouverez les yeux bien petits aujourd'hui, Monsieur Bernard, je n'ai pas dormi de la nuit. Où est donc le Chevalier ? Ah, le voilà. MONSIEUR BERNARD. Madame, si vous vouliez seulement me donner un quart d'heure sans remuer, cela serait plutôt fini. LA COMTESSE. Oh, tant que vous voudrez ; mais il faut que j'aille à l'Opéra aujourd'hui. Me tiens-je bien ? MONSIEUR BERNARD. À merveilles. LA COMTESSE. Je me tiendrais comme cela tout le jour. MONSIEUR BERNARD. Allons, cela ira bien. LA COMTESSE, se levant. Ah, l'Abbé, je crois que j'ai quelque chose sous moi, voyez un peu. MONSIEUR BERNARD. Mais Madame... LA COMTESSE. Non, non, il n'y a rien. Monsieur Bernard, ne me grondez pas. Chevalier ? LE CHEVALIER. Madame ? LA COMTESSE. Mais approchez-vous donc, je ne peux pas vous parler d'une lieue. LE CHEVALIER. Hé bien, me voilà. LA COMTESSE. Écoutez que je vous dise. Elle parle bas au Chevalier. L'ABBÉ. Madame, Monsieur Bernard ne peut pas travailler. LA COMTESSE. Un moment, je n'ai qu'un mot à dire au Chevalier, cela fera fini dans l'instant. Elle continue. MONSIEUR BERNARD. Monsieur l'Abbé, je vous demande en conscience, s'il est possible de faire quelque chose de bien de cette façon-là. LE CHEVALIER, à la Comtesse. Oui, oui. LA COMTESSE. Chevalier, vous entendez ? Allons, voilà qui est fini. Je suis entièrement à vous. Monsieur, cela avance-t-il ? La bouche, les yeux... L'Abbé vous avez dit ? Ah, Chevalier, j'oubliais. Elle lui parle encore tout bas. L'ABBÉ, bas à Monsieur Bernard. Le trou du menton est-il assez marqué ? MONSIEUR BERNARD. S'il était plus fort. LA COMTESSE. Je ne me tiens pas trop bien, Monsieur Bernard ? MONSIEUR BERNARD. Madame... LA COMTESSE. L'Abbé, vous ne dites rien ? L'ABBÉ. Madame, je regarde si... LA COMTESSE. Chevalier, donnez- moi du tabac. Elle prend du tabac. L'Abbé, contez-moi une Histoire. L'ABBÉ. Une Histoire, Madame? LA COMTESSE. Oui, oui. À Monsieur Bernard. Monsieur, puis-je regarder actuellement ? MONSIEUR BERNARD. Non, Madame, pas encore ; un instant, je vous prie. Un peu à droite. LA COMTESSE. Hé bien, l'Abbé, dites-donc ? L'ABBÉ. Madame, je me souviens qu'à Bordeaux, il y avait... LA COMTESSE. Ah, c'est une Histoire de son pays, cela sera ! Délicieux ! Où est donc le Chevalier ? LE CHEVALIER. Me voilà. LA COMTESSE. Vous êtes aujourd'hui d'un ennui, d'une tristesse mortelle. Hé bien, l'Abbé ? L'ABBÉ. Il y avait donc à Bordeaux une femme charmante. LA COMTESSE. À Bordeaux ? Je ne crois pas cela. L'ABBÉ. Si vous l'aviez connue, vous diriez comme moi. LA COMTESSE. Je suis bien sûre que non, l'Abbé. L'ABBÉ. Tout comme il vous plaira ; mais cela est certain. Cette femme avait un mari, fort honnête homme d'ailleurs, mais le plus ennuyeux des mortels. LA COMTESSE. Comme mon mari, n'est-ce pas ? L'ABBÉ. Point du tout, je ne dis pas cela. Ce mari s'appelait, je pense, Monsieur de Morangeac. LE CHEVALIER. L'Abbé, est-ce de ces Morangeacs, que nous avons dans la Maison du Roi ? L'ABBÉ. C'est cela même ; ce sont des gens de très bonne Maison. LE CHEVALIER. Je le sais bien. LA COMTESSE. Chevalier, vous êtes odieux, vous interrompez toujours, et nous ne saurons pas l'Histoire. MONSIEUR BERNARD. Madame, un peu de mon côté, s'il vous plaît, l'épaule un peu effacée, un moment ; bon. LA COMTESSE. Mais, Monsieur, je ne pourrai jamais me tenir comme cela. Hé bien, l'Abbé, Monsieur de Morangeac ?... L'ABBÉ. Monsieur de Morangeac était très amoureux de sa femme ; il ne faut pas que cela vous étonne ; c'est assez commun en Province. LA COMTESSE. J'espère qu'elle ne l'aimait pas, elle, cet ennuyeux là ? L'ABBÉ. Pardonnez-moi. LA COMTESSE. La sotte créature ! L'ABBÉ. Son mari ne la quittait jamais, on ne les voyait point l'un sans l'autre. LA COMTESSE. Et vous dites qu'elle était charmante ? L'ABBÉ. Oui, jeune, fraîche, vive, aimable, de l'esprit comme les anges, adorable enfin. Je l'ai connu moi qui vous parle, comme je vous connais. LA COMTESSE, dédaigneusement. C'était donc une vertu ? L'ABBÉ. Une vertu ? Non pas une vertu, si vous voulez... Vous allez voir, vous allez voir. LA COMTESSE. Cette femme-là me déplait à mourir, il me semble que je la vois d'ici. L'ABBÉ. Madame de Morangeac se fit donc peindre un jour en Hébé. LA COMTESSE, faisant la grimace. En ?... L'ABBÉ. En Hébé, la Déesse de la jeunesse. LA COMTESSE. En Hébé, une Provinciale ! L'ABBÉ. Quelqu'un qui était là, dit à son mari qu'il devrait se faire peindre en Jupiter dans le même tableau. LA COMTESSE, se récriant. Monsieur de Morangeac en Jupiter ! L'ABBÉ. Monsieur de Morangeac en Jupiter. Cela lui était assez indifférent, et je crois qu'il y aurait été peint ; mais un Capitaine de Dragons, très amoureux de Madame de Morangeac, qui était là, et très ennuyé de voir son mari toujours avec elle, dit à celui qui donnait le conseil ; quoi, Monsieur, vous ne voulez pas que Madame soir jamais seule, pas même en peinture ? LA COMTESSE. Il avait raison ; comment se nommait-il ? L'ABBÉ. Le Chevalier de, de... de Grainfort, ou un autre nom, je ne me rappelle pas bien. Madame de Morangeac l'entendant, se retourne, rougit, et l'on dit que depuis ce temps-là elle vit son mari, comme il paraissait à tout le monde. LA COMTESSE. Vous avez beau dire, je n'aime pas plus pour cela votre Madame de Morangeac. Hé bien, Monsieur Bernard ? MONSIEUR BERNARD, se levant et reculant le portrait. Madame, si vous voulez à présent regarder.... LA COMTESSE, voulant se lever. Assurément. Voyons, voyons ; Chevalier, vous marchez sur moi ; encore ? LE CHEVALIER. Ce n'est pas ma faute, je ne sais par où passer. L'ABBÉ. Madame la Comtesse, vous devez être contente ? LA COMTESSE. Mais oui, si je ressemble à cela. Je voudrais pourtant que la coiffure fût plus haute un peu ; Monsieur Bernard, ne pourriez-vous pas ? MONSIEUR BERNARD. Madame, cela est aisé à faire. LA COMTESSE. Oui ; c'est fort joli, ne trouvez-vous pas l'Abbé ?... L'ABBÉ. Cela ne peut pas être autrement, fait d'après vous, et je le trouve à merveille. LA COMTESSE. Au vrai ?... Dites-donc ? L'ABBÉ. On ne peut pas mieux. LA COMTESSE. J'en suis très contente à présent, et si vous voulez que je vous dise, je n'espérais pas qu'il serait si bien. MONSIEUR BERNARD. Madame, il faut le temps à tout, et je suis charmé que... LA COMTESSE. Chevalier, vous ne dites rien ? LE CHEVALIER. Moi, je vous ai déjà dit qu'il était bien, dès la première fois. LA COMTESSE. Et ressemblant ? LE CHEVALIER. Il n'y a personne, qui ne le reconnaisse. L'ABBÉ. Madame, voilà Monsieur le Comte, nous verrons ce qu'il dira. SCÈNE V. La Comtesse, Le Comte, Le Chevalier, L'Abbé, Monsieur Bernard. LA COMTESSE. Monsieur, Monsieur, venez voir. LE COMTE, regarde en passant. C'est plus joli que vous. LA COMTESSE. Voilà bien comme sont les maris. Mais le trouvez-vous refTemblant ? . LE COMTE. Très fort. LA COMTESSE. Voilà tout ce que nous eu aurons. LE COMTE. Bonjour, l'Abbé. Chevalier, vous n'êtes pas venu hier au soir ? LE CHEVALIER. Je n'ai pas pu. LA COMTESSE. Mais Monsieur, laissez cela, et dites-nous ce que vous trouvez. LE COMTE. Je vous l'ai déjà dit, trop joli. Il parle au Chevalier. LA COMTESSE. Moi, il me plaît son. La Présidente n'arrive point ! À qui le ferions nous bien voir ? Ah, l'Abbé, faites entrer mes gens, ils sont un peu bêtes ; mais cela ne fait rien. L'ABBÉ. C'est bien dit. Il va à la porte. Entrez, Messieurs, Madame la Comtesse vous demande. SCÈNE VI. La Comtesse, Le Comte, Le Chevalier, L'Abbé, Monsieur Bernard, Comtois, Champagne. LA COMTESSE. Tenez, Champagne, à qui cela ressemble-t-il ? CHAMPAGNE. À Madame la Comtesse. LA COMTESSE. Et vous, Comtois ? COMTOIS. C'est Madame tout craché. LA COMTESSE. Madame, tout craché ! J'aime cela. Moi, je le trouve charmant ! Faisons monter mon cocher. Champagne, faites le venir, sans lui dire pourquoi. LE COMTE, causant avec le Chevalier. Qu'on tienne les chevaux, pendant ce temps-là. CHAMPAGNE. Oui, Monsieur. SCÈNE VII. Le Comte, La Comtesse, Le Chevalier, L'Abbé, Monsieur Bernard. LA COMTESSE. Monsieur Bernard, c'est délicieux ! Je me trouve-là ; c'est moi entièrement ! Tenez, l'Abbé, comme cela de côté. Elle regarde le tableau de côté. L'ABBÉ. Oui, oui, très bien. Vous voyez qu'il faut laisser faire ces Messieurs à leur fantaisie , ils en savent plus long que nous. LA COMTESSE. Je voudrais bien l'emporter avec moi ; cela se peut-il ? MONSIEUR BERNARD. Non Madame ; c'est tout frais, cela ne sèche pas si promptement. LA COMTESSE. Ah, oui. Voilà la France. SCÈNE VIII. La Comtesse, Le Comte, Le Chevalier, L'Abbé, Monsieur Bernard, La France. LA COMTESSE. Allons, venez ici, la France. Regardez-cela. LA FRANCE. Ah, Madame, je n'ai que faire de regarder, je vois bien que c'est vous. LA COMTESSE. Il l'a reconnu tout de suite. LA FRANCE. Est-ce là tout, Madame ? LA COMTESSE. Comment tout ? Ils font excellents, ces gens là. Oui, oui, c'est tout. Allez vous-en. J'entends un carrosse ; c'est sûrement la Présidente. Monsieur le Comte, où allez-vous donc ? LE COMTE, s'en allant. Aux Tuileries, avec le Chevalier. LA COMTESSE. II est de trop bonne heure ; dites donc ? Ils s'en vont toujours. SCÈNE IX. La Comtesse, La Présidente, L'Abbé, Monsieur Bernard. LA PRÉSIDENTE. Ah, mon Dieu ! On étouffe ici. LA COMTESSE. Bonjour, Madame. LA PRÉSIDENTE. Savez-vous, Madame, qu'il y a une heure que je vous cherche dans ce quartier-ci. L'Abbé, vous auriez bien dû me venir prendre. L'ABBÉ. Il m'a été absolument impossible. LA PRÉSIDENTE. Ah, mon Dieu, que de portraits ! Voilà, Madame de Clerfont, très-ressemblante ; mais bien flattée. Et Madame de Grandin ? Mais, Monsieur, savez-vous que vous en avez fait la plus jolie personne du monde, et qu'elle n'est rien moins que cela. Quoi, voilà aussi ce grand Blaffard de Durcin ; mais, Madame, regardez donc, il semble qu'il aille vous dire une fadeur. Oh, mais... c'est que tout cela est le plus agréable du monde ! Je vous assure bien, Monsieur, que je ne me ferai jamais peindre que par vous. MONSIEUR BERNARD. Madame, je ferai très flatté d'avoir cet honneur-là. LA COMTESSE, montrant son portrait. Madame, voyez un peu ceci. LA PRÉSIDENTE. Ah, qu'est-ce-là ? Attendez,... je cherche,... Ne me dites rien. Ce n'est pas vous toujours : mais je connais quelqu'un qui ressemble à cela. Et tenez, l'Intendante de... LA COMTESSE. Madame d'Ancere ? Fi donc ! LA PRÉSIDENTE. Elle est mieux que cela. LA COMTESSE. Je vous dis que ce n'est pas elle, regardez bien. LA PRÉSIDENTE. En ce cas là, je ne sais pas qui c'est. Voyons le vôtre. LA COMTESSE. Hé, le voilà. LA PRÉSIDENTE. Vous, cela ! LA COMTESSE. Assurément. LA PRÉSIDENTE. Allons, jamais cela ne vous a ressemblé. LA COMTESSE. Moi, je le trouve fort bien, et tout le monde le trouve à merveilles. LA PRÉSIDENTE. Mais point du tout, à Monsieur Bernard. Monsieur, qu'en dites-vous, n'est-il pas vrai qu'il n'est pas ressemblant ? MONSIEUR BERNARD. Je ne peux pas dire cela moi, Madame. LA PRÉSIDENTE. Mais vous conviendrez bien que ce n'est pas là son nez, il est moins long que cela ; ni la bouche, ni les yeux : il y a bien quelque chose du front ; encore ses cheveux sont mieux plantés ; en un mot, elle est plus blanche ; et puis comme c'est peint ! Le rouge est inégal ; c'est un portrait affreux. MONSIEUR BERNARD. Mais, Madame , considérez... LA PRÉSIDENTE. Je dis hideux ; et vous en êtes contente, vous, Madame ? LA COMTESSE. Il est vrai que... LA PRÉSIDENTE. Que vous êtes cent fois mieux que cela. En vérité, vous n'avez guère d'amour propre, si vous prenez ce portrait-là. LA COMTESSE. Monsieur de Mirville dit pourtant qu'il est trop joli. LA PRÉSIDENTE. Écoutez-vous les maris ? Tenez, regardez, avez-vous comme cela le dessous du nez barbouillé ? MONSIEUR BERNARD. Hé Madame, c'est l'ombre. LA PRÉSIDENTE. Oui ; on dit toujours l'ombre, l'ombre ; moi, je ne vois point d'ombre. LA COMTESSE. Monsieur s ne pourriez-vous pas ôter cela ? MONSIEUR BERNARD. Non, Madame. LA PRÉSIDENTE. C'est inutile, il ne sera jamais bien. LA COMTESSE. Comme on volt ! C'est étonnant ! Il m'avait paru assez bien, à présent que je le regarde, tenez, tenez, je ne l'avais pas vu comme cela, de côté, il est horrible ! MONSIEUR BERNARD. Hé, Madame, vous ne le voyez pas dans son jour. LA COMTESSE. Monsieur, je ne vois très bien ; mais je suis à présent comme la Présidente, et je regrette bien le temps que j'ai perdu à me tenir. MONSIEUR BERNARD. C'est-à-dire, Madame, qu'il n'est plus ressemblant ? LA COMTESSE. Non, Monsieur. L'ABBÉ. Mais, Madame, si vous vouliez, Monsieur Bernard y retoucherait. LA PRÉSIDENTE. Je vous dis encore une fois que c'est inutile, l'Abbé ; vous ne vous connaissez à rien. À la Comtesse. Je ne vous conseille pas de le prendre, LA COMTESSE. Moi, fi donc! LA PRÉSIDENTE. Hé bien, Madame, nous perdons ici du temps, n'allons-nous pas à l'Opéra ? LA COMTESSE. Je le veux bien. MONSIEUR BERNARD. Madame, que décidez-vous ? LA COMTESSE. Monsieur, je croyais qu'il serait mieux. MONSIEUR BERNARD. C'est-à-dire, que vous ne le prendrez pas ? LA COMTESSE. Nous verrons. LA PRÉSIDENTE, s'en allant. Allons, l'Abbé ; Madame, venez donc. LA COMTESSE. Je vous suis, je vous suis. Elles s'en vont. SCÈNE X. Monsieur Bernard, Germain. MONSIEUR BERNARD. Germain ? Il se promène. Le diable emporte le métier, les femmes, leurs sots Adulateurs !... Tenez, nettoyez un peu ma palette. Je voudrais bien savoir ce qu'elles peuvent trouvera à redire à ce portrait. Vous avez vu cette femme-là, vous ? Regardez un peu. GERMAIN. Je vous assure, Monsieur, que c'est un des plus ressemblants que vous ayez jamais fait. MONSIEUR BERNARD. Elles le trouvent affreux : il me prend envie de le déchirer, de le couper par morceaux, pour ne le plus voir. GERMAIN. Ah, Monsieur, arrêtez ; qu'allez-vous faire ? Je crois entendre, Monsieur le Baron, son oncle, il s'y connait, voyez ce qu'il en dira avant. SCÈNE XI. Le Baron, Monsieur Bernard, Germain nettoyant la palette. LE BARON. Monsieur Bernard, je viens vous dire une bonne nouvelle ; mais qu'est-ce donc, qu'avez-vous ? MONSIEUR BERNARD. Oh, rien, Monsieur le Baron. LE BARON. Je l'ai enfin. MONSIEUR BERNARD. Quoi donc ? LE BARON. Ce beau portrait de Reimbrand, la femme du Bourguemestre d'Anvers. MONSIEUR BERNARD, avec distraction. Oui ? LE BARON. Il est chez-moi ; j'ai passé toute mon après-dinée à le regarder, je ne saurais m'en rassasier. Quelle légèreté de touche ! Quelle finesse de pinceau ! Quelle vérité ! Quelle chaleur ! Cela me coûte deux cents Louis ; mais je ne le donnerais pas pour cinq cents. MONSIEUR BERNARD. Vous avez bien raison ; c'est un tableau qui n'a point de prix. LE BARON. J'aime la vérité, vous en mettez dans tout ce que vous faites, voilà pourquoi j'aime vos portraits. MONSIEUR BERNARD, soupirant. Ah ! LE BARON. Vous avez du chagrin. Qu'est-ce qui vous arrive ? MONSIEUR BERNARD. Tenez, voyez ce portrait-là. LE BARON, mettant ses lunettes. C'est celui de ma nièce. Ah, charmant ! Mon ami, vous n'avez jamais rien fait de mieux. MONSIEUR BERNARD. Hé-bien, ces Dames le trouvent affreux. LE BARON. Quelles Dames ? MONSIEUR BERNARD. Madame votre nièce et une Présidente de ses amies. LE BARON. Ce font des imbéciles, je le trouve parfait moi, laissez-les dire. MONSIEUR BERNARD. Si vous le trouvez bien, cela me console. LE BARON. Je vous dis que... enfin, je sors de voir mon Reimbrand ; hé-bien, il ne vous fait point de tort, du tout. MONSIEUR BERNARD, remerciant. Ah, ah. LE BARON. Non, cela est vrai , il y a ici une entente de couleurs, un empâté - MONSIEUR BERNARD. Cependant elles n'en veulent point ; elles disent qu'il n'y a pas de ressemblance, et elles le trouvent mal peint. LE BARON. Est-ce que les femmes se connaissent en peinture ? Ah, parbleu, j'en suis charmé ! Je le prendrai moi, je vous réponds bien qu'elle n'en aura seulement pas de copie ; laissez, laissez-moi faire. Cela sera-t-il sec demain ? MONSIEUR BERNARD. Oh oui, de ce temps-là. Il faudra seulement attendre pour le vernir, que les couleurs aient fait leur effet. LE BARON. Sans doute, sans doute ; ne nous pressons pas. J'ai justement une bordure de cette grandeur-là y faites-le apporter demain et venez dîner avec moi, nous finirons cela tout de suite. MONSIEUR BERNARD. J'aurai cet honneur-là. LE BARON. Vous verrez mon Reimbrand, il vous fera plaisir. Que je voie encore, je vous prie. Délicieux ! Allons, c'est bon. Sortez-vous ? Voulez-vous que je vous mène quelque part ? MONSIEUR BERNARD. Vous avez trop de bonté y je m'en vais prendre un peu l'air aux Tuileries. LE BARON. Hé bien, j'y vais aussi, nous causerons ; prenez votre épée et votre chapeau. MONSIEUR BERNARD, regardant le portrait en mettant son épée. Les voici. LE BARON. Je vous dis, je suis très content de ce portrait ; mais je veux que vous voyez mon Reimbrand. J'ai encore quelque chose de nouveau ; enfin , mon cabinet s'arrange,... vous entendez ? MONSIEUR BERNARD. C'est la plus belle collection !... LE BARON. Je crois qu'elle ne fera pas vilaine ; j'ai encore certain bronze en vue, que je vous dirai en chemin. Allons. Il s'en va. MONSIEUR BERNARD. Germain, vous direz que je ne souperai pas ici. GERMAIN. Oui, Monsieur : hé bien sans moi... Avais-je raison ? MONSIEUR BERNARD. Sûrement. S'en allant. ==================================================