******************************************************** DC.Title = LE SOT HÉRITIER, PROVERBE DC.Author = CARMONTELLE, Louis de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Proverbe DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 31/08/2021 à 07:58:30. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/CARMONTELLE_SOTHERITIER.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9808516t DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE SOT HÉRITIER PROVERBE. QUATRE-VINGT-DIXIÈME PROVERBE. M. DCC. LXXXI. Avec approbation et privilège du Roi de CARMONTELLE. À AMSTERDAM, et se trouve à Paris, Chez ESPRIT, au Palais-Royal, et chez LAPORTE, Libraire, Rue des Noyers. PERSONNAGES MONSIEUR DE PRECINAT. MADEMOISELLE DE PRECINAT, fille de M. de Precinat. MONSIEUR D'ALVIN. MONSIEUR BERNIQUET. LA FRANCE, laquais de Monsieur d'Alvin. La Scène est chez Monsieur de Precinat. Extrait de PROVERBES DRAMATIQUES DE CARMONTELLE (...), chez Poinçot libraire, Tome VII, Amesterdam, 1781. pp. 215-254. LE SOT HÉRITIER SCÈNE PREMIÈRE. Mademoiselle de Precinat, Monsieur d'alvin. MONSIEUR D'ALVIN. Monsieur votre père est-il sorti ? MADEMOISELLE DE PRECINAT. Non, je crois qu'il est dans son cabinet. Pourquoi me demandez-vous cela ? MONSIEUR D'ALVIN. C'est que j'ai entendu hier Monsieur Berniquet... MADEMOISELLE DE PRECINAT. Ce sot dont l'oncle, qui était ami de mon père, vient de mourir ? MONSIEUR D'ALVIN. Lui-même. Il disait à quelqu'un, qu'il avait affaire à Monsieur de Precinat aujourd'hui. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Eh bien ? MONSIEUR D'ALVIN. Vous savez qu'il est amoureux de vous ? MADEMOISELLE DE PRECINAT. Cela est fort inutile, je vous le jure ; hors vous, je n'épouserai jamais personne. MONSIEUR D'ALVIN. Cette assurance m'enchante ; mais elle ne m'ôte pas toutes mes craintes. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Et quelles craintes pouvez-vous avoir ? MONSIEUR D'ALVIN. Que Monsieur Berniquet ne veuille vous obtenir de Monsieur votre père, et que le bien dont il vient d'hériter ne le tente ; voilà tout ce que je voudrais savoir ; et pour cela, il faut que j'entende leur conversation. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Vous pourriez vous cacher dans ce cabinet. MONSIEUR D'ALVIN. C'est ce que j'ai envie de faire. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Mais quels moyens prendrez-vous pour détourner mon père de ce dessein ? MONSIEUR D'ALVIN. Nous verrons. J'espère que mon amour m'inspirera quand je serai au fait de leurs projets. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Peut-être aussi nous alarmons-nous trop légèrement. MONSIEUR D'ALVIN. Je le voudrais ; mais la crainte de vous perdre et le désir de vous posséder ne doivent me faire rien négliger. MADEMOISELLE DE PRECINAT. J'entends quelqu'un. Entrez dans le cabinet. MONSIEUR D'ALVIN. Allons. MADEMOISELLE DE PRECINAT. C'est la voix de Monsieur Berniquet. SCÈNE II. Mademoiselle de Precinat, Monsieur Berniquet. MONSIEUR BERNIQUET, avant de paraître. Oui, oui, par ici ; je connais bien la maison. Dites-lui de ne me pas faire attendre, car je suis bien pressé. Paraissant en noir, avec des pleureuses.Ah, Mademoiselle, c'est vous ! Cela n'est pas malheureux ; je ne m'ennuierai pas d'attendre Monsieur votre père. MADEMOISELLE DE PRECINAT. En vérité, vous me faites peur avec cet habillement-là ! MONSIEUR BERNIQUET. Je compte pourtant qu'il vous fera bien rire. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Vous voulez que je rie de ce que Monsieur votre oncle est mort ? Vous me croyez donc un bien mauvais coeur ? MONSIEUR BERNIQUET. Tout au contraire. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Comment, que voulez-vous dire. MONSIEUR BERNIQUET. Vous le devinez bien ; mais vous faites semblant de rien. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Je ne vous entends pas. MONSIEUR BERNIQUET. Eh bien, tenez, ce que vous me dites là fait que je vous trouve encore plus charmante, parce que, moi, j'aime que les Demoiselles aient de la pudeur. J'ai peut-être tort ; mais voilà comme je suis. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Vous me tenez là des propos fort étranges. MONSIEUR BERNIQUET. Cela n'est pas étonnant, puisque je suis un étranger qui n'est pas de Paris. Je croyais en y arrivant qu'on n'y entendrait pas la langue que nous parlons à Béthune ; mais on m'a entendu tout de suite : il n'y a que vous qui ne voulez pas m'entendre. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Cela est bien vrai. MONSIEUR BERNIQUET. Cependant je vous entends bien, moi ; je n'ai pourtant pas plus d'esprit que vous, du moins à ce que je crois. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Il est bien flatteur que vous vouliez bien m'en trouver un peu. MONSIEUR BERNIQUET. Moi, j'en trouve toujours aux Demoiselles qui sont jolies, je ne sais pas pourquoi ; c'est, je pense, parce qu'elles font un certain plaisir qui vous réveille le coeur. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Et vous croyez donc leur faire ce plaisir-là, vous ? MONSIEUR BERNIQUET. Eh ! Mais à votre avis ; c'est à moi à vous faire cette demande ; je ne vous en parle pas encore, et j'ai des raisons pour cela. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Vous ne voulez pas me les dire ? MONSIEUR BERNIQUET. Non, Mademoiselle, parce que je suis discret, on m'a élevé à cela. Quand j'étais petit, il y avait un Monsieur qui venait toujours voir ma mère, quand mon père était sorti, et on me disait : Petit garçon, si vous dites que Monsieur Guemechon est venu ici, vous aurez le fouet ; et moi qui avais peur de l'avoir, je ne disais rien, et je me suis habitué comme cela à ne dire que ce qu'il faut. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Mais vous m'avez pourtant dit que j'étais jolie. MONSIEUR BERNIQUET. Ah ! Mais dame, cela n'est pas un secret, puisque tout le monde le voit ; mais je ne vous dis pas ce qui s'ensuit. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Mais si je le devine, me le direz-vous ? MONSIEUR BERNIQUET. Cela ne sera plus nécessaire, puisque vous le saurez aussi bien que moi. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Je ne suis pas aussi discrète que vous, moi ; car si vous voulez je vous dirai mon secret. MONSIEUR BERNIQUET. Je ne demande pas mieux que de le savoir, quoique je m'en doute ; mais dites toujours. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Retenez bien cela. MONSIEUR BERNIQUET. Oh, j'ai bonne mémoire. MADEMOISELLE DE PRECINAT. C'est que je ne veux pas me marier. MONSIEUR BERNIQUET. Ah ! Oui, comme je vous croirai ! Les filles disent toujours cela ; mais quand on les marie, elles en sont bien aises. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Tenez, voici mon père, vous pouvez le lui assurer. MONSIEUR BERNIQUET. Ah ! Que je m'en donnerai bien de garde. À d'autres, je ne suis pas si bête. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Vous pouvez compter pourtant que rien n'est plus vrai. Elle sort. SCÈNE III. Monsieur de Precinat, Monsieur Berniquet. MONSIEUR DE PRECINAT. Je vous ai attendu toute la journée pour parler de notre mariage, Monsieur Berniquet. MONSIEUR BERNIQUET. Moi, je vous en ai parlé hier au soir, dès que mon grand-oncle a été mort, et j'ai eu bien des affaires depuis, parce que l'enterrement sera pour ce soir. Si vous saviez tout le noir que j'ai acheté ! MONSIEUR DE PRECINAT. Cela est tout simple ; vous héritez assez pour cela. Vous avez vu sans doute le testament ? MONSIEUR BERNIQUET. Oh, pour cela oui, je l'ai vu comme je vous vois. MONSIEUR DE PRECINAT. Eh bien, il vous donne tout, votre oncle ? MONSIEUR BERNIQUET. Oui, comme à son plus proche héritier ; et il n'y a que moi. MONSIEUR DE PRECINAT. Il n'a jamais eu d'autres parents ? MONSIEUR BERNIQUET. Il avait un frère aîné en Amérique ou en Afrique ; c'est la même chose, je crois. MONSIEUR DE PRECINAT. Pas tout-à-fait. Et ce frère est donc mort ? MONSIEUR BERNIQUET. Il y a bien longtemps : c'était un mauvais sujet, il tuait tout le monde ; voilà pourquoi on l'avait envoyé bien loin. MONSIEUR DE PRECINAT. Vous devez hériter de plus de cent mille écus ? MONSIEUR BERNIQUET. Oui, le Notaire me l'a dit, et c'est un habile homme ; car il a lu le testament tout courant comme si c'eût été de la moulée. MONSIEUR DE PRECINAT. Vous ne l'avez donc pas lu, vous ? MONSIEUR BERNIQUET. Moi ! J'en aurAis été bien fâché ; c'est une écriture de chicane. Ah ! Pardi, à moins que ce ne soit de l'imprimé, je ne vais pas me casser la tête à tout cela. MONSIEUR DE PRECINAT. Votre oncle a dans Paris trois maisons de ma connaissance, qui rapportent plus de douze mille francs. MONSIEUR BERNIQUET. Oui ; mais vous ne comptez pas ses quatre casseroles d'argent, son plat à barbe, un huilier, et puis des salières ; enfin, tout plein des choses que j'ai oublié, et qui font plaisir à voir. MONSIEUR DE PRECINAT. Ce ne sont pas là de grands effets. MONSIEUR BERNIQUET. Les casseroles sont bien grandes. MONSIEUR DE PRECINAT. Enfin vous héritez de tout cela ? MONSIEUR BERNIQUET. Oui, et Mademoiselle votre fille aussi, puisque j'en suis amoureux, et que vous me la donnez en mariage. MONSIEUR DE PRECINAT. Sans doute. MONSIEUR BERNIQUET. Mon grand-oncle, à qui j'en avais parlé, n'y voulait pas consentir : je vous le dis à présent qu'il est mort, parce que je ne le crains plus. Il n'y a que Monsieur d'Alvin que je crains. MONSIEUR DE PRECINAT. Comment ? MONSIEUR BERNIQUET. Oui, il loge ici ; il pourrait être amoureux de Mademoiselle votre fille. Je suis malin, moi, je devine cela. MONSIEUR DE PRECINAT. Bon ! C'est son cousin. MONSIEUR BERNIQUET. C'est son cousin ? Je ne savais pas cela. Cela fait une différence. MONSIEUR DE PRECINAT. Et puis il n'est pas si riche que vous. MONSIEUR BERNIQUET. Oh ! Je suis un bon parti, moi, avec mes casseroles et mon bassin à barbe d'argent. MONSIEUR DE PRECINAT. Je vous le dis, ne craignez rien ; et puis je parlerai à ma fille, pourvu que vous ne changiez pas d'avis. MONSIEUR BERNIQUET. Moi, changer d'avis ! Pour qui me prenez-vous ? Savez-vous que je suis capable de vous signer un dédit, pour vous rassurer ? MONSIEUR DE PRECINAT. Vous entendez donc les affaires ? MONSIEUR BERNIQUET. Comme ceux qui les font, je vous en réponds. Comment aurais-je vécu depuis que je suis à Paris sans cela ? Mon oncle ne me donnait rien. MONSIEUR DE PRECINAT. Et comment avez-vous fait ? MONSIEUR BERNIQUET. Comme tous les autres : j'ai emprunté tant que j'ai pu, parce que je disais : j'hériterai bientôt, et il faut que je fasse figure. MONSIEUR DE PRECINAT. Et combien devez-vous ? MONSIEUR BERNIQUET. J'ai fait six billets, qui montent... Attendez : trois cent, cinq cent, mille et puis cinquante louis, avec vingt-cinq. MONSIEUR DE PRECINAT. Tout cela ce sont des louis ? MONSIEUR BERNIQUET. Non, il y a des francs ; cela fait en tout trois mille six cent francs que je dois. MONSIEUR DE PRECINAT. C'est beaucoup pour un an. MONSIEUR BERNIQUET. Il y a treize mois bien comptés. Ainsi je dis donc, si vous voulez, je vais signer un dédit ; mais il faut que je me dépêche à cause de l'enterrement de mon grand-oncle, qui va se faire bientôt. MONSIEUR DE PRECINAT. Je veux y aller aussi, si je le peux. MONSIEUR BERNIQUET. Eh bien, je vous ferai la révérence. MONSIEUR DE PRECINAT. Allons, passons dans mon cabinet. SCÈNE IV. Mademoiselle de Precinat, Monsieur d'Alvin. MONSIEUR D'ALVIN. Ils sont sortis, je crois ? MADEMOISELLE DE PRECINAT. Oui. MONSIEUR D'ALVIN. J'ai tout entendu. Ce que je craignais est vrai ; mais il m'est venu une idée dont je me promets le plus grand succès. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Vous me le direz. MONSIEUR D'ALVIN. Je n'ai pas un moment à perdre pour l'exécuter ; mais ce qu'il est essentiel que vous fassiez, c'est lorsque Monsieur de Precinat viendra vous proposer d'épouser Monsieur Berniquet, de lui dire naturellement ce que vous pensez. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Comment ! Que je n'y consentirai point ? MONSIEUR D'ALVIN. Oui. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Et que je n'épouserai jamais que vous ? MONSIEUR D'ALVIN. Sans doute. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Vous plaisantez ? MONSIEUR D'ALVIN. Non, je vous le jure ; parce que dès que le mariage de Monsieur Berniquet sera manqué, il ne faut pas laisser croître un nouvel obstacle. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Mais expliquez-moi comment ce mariage manquera. MONSIEUR D'ALVIN. J'entends Monsieur votre père ; je ne serai pas longtemps sans revenir, et sans vous apprendre ce que vous voulez savoir. SCÈNE V. Mademoiselle de Precinat, Monsieur de Precinat. MONSIEUR DE PRECINAT. Qu'est-ce qui sort d'avec vous ? MADEMOISELLE DE PRECINAT. C'est mon cousin. MONSIEUR DE PRECINAT. Tant mieux ; car j'ai à vous parler. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Je voudrais bien que ce fût sur une chose que je désire. MONSIEUR DE PRECINAT. Mais cela pourrait être ; car il est question de vous marier. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Ah ! Mon père, vous voulez vous moquer de moi. MONSIEUR DE PRECINAT. Non, et mon gendre sort d'ici dans l'instant. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Dans l'instant ? Je craignais que vous ne désapprouvassiez notre amour. MONSIEUR DE PRECINAT. Vous vous aimez ? MADEMOISELLE DE PRECINAT. Oui, mon père. MONSIEUR DE PRECINAT. Il ne m'a pas dit cela. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Nous avions bien résolu de vous en parler, et nous ne l'avons jamais osé. MONSIEUR DE PRECINAT. Mais il m'en a parlé, lui ; et tout est conclu. Il avait bien quelque inquiétude, il craignait que tu n'en aimasses un autre. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Comment peut-il douter de mon coeur ? MONSIEUR DE PRECINAT. Je l'ai rassuré, en lui disant que d'Alvin est ton cousin. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Comment ! À qui ? MONSIEUR DE PRECINAT. À Monsieur Berniquet. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Qu'est-ce que cela lui fait, que j'aime Monsieur d'Alvin, et qu'il m'épouse ; de quoi se mêle-t-il ? MONSIEUR DE PRECINAT. Mais c'est lui qui t'épouse. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Oui, Monsieur d'Alvin. MONSIEUR DE PRECINAT. Non, Monsieur Berniquet. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Mon père, je n'épouserai jamais que Monsieur d'Alvin. MONSIEUR DE PRECINAT. Et moi je vous dis que vous épouserez Monsieur Berniquet. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Je ne le crois pas ; vous ne me sacrifierez pas à un si sot homme. MONSIEUR DE PRECINAT. Il est fort riche. MADEMOISELLE DE PRECINAT. La richesse ne me fait rien. MONSIEUR DE PRECINAT. Je ne vous consulterai point. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Vous ne me marierez pas de force, assurément ; je vous connais. MONSIEUR DE PRECINAT. De force ou de gré, vous vous marierez à ma fantaisie, voilà de quoi je vous puis assurer. J'ai un dédit de Monsieur Berniquet ; c'est une précaution que j'ai prise, parce que c'est un excellent parti. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Moi, je le trouve très mauvais, et vous pouvez lui rendre son dédit. MONSIEUR DE PRECINAT. Voilà ce que je ne ferai assurément pas, au contraire ; car je vais dès ce moment faire dresser le contrat. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Je ne signerai jamais. MONSIEUR DE PRECINAT, s'en allant. Nous verrons. SCÈNE VI. Mademoiselle de Precinat, Monsieur d'Alvin. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Je viens de faire tout ce que vous m'avez dit ; j'ai assuré mon père que je n'épouserai jamais que vous. MONSIEUR D'ALVIN. Cela est à merveilles. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Oui ; mais mon père n'en va pas moins chez son notaire pour lui faire faire le contrat de mariage de Monsieur Berniquet avec moi. MONSIEUR D'ALVIN. Ne craignez rien. J'ai engagé quatre de mes amis à prendre des habits de deuil et de longs manteaux, et de se mettre à l'enterrement avant Monsieur Berniquet ; il sera confondu de voir des héritiers qu'il n'attendait pas, et qui se diront les plus proches parents. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Il faudra qu'ils prouvent qu'ils seront les vrais héritiers. MONSIEUR D'ALVIN. S'il ne le croit pas, on le chicanera, en lui faisant des oppositions au testament ; par ce moyen nous gagnerons du temps. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Mais la vérité se découvrira. MONSIEUR D'ALVIN. Pas d'abord. Le grand-oncle de Berniquet peut avoir eu des enfants en Amérique ou en Afrique, comme il dit. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Il croit donc que c'est la même chose ? MONSIEUR D'ALVIN. Oui vraiment. Pour lors nous verrons ce que fera Monsieur votre père, s'il attendra que le procès soit intenté, s'il ne croira pas Berniquet un homme tout au moins mal instruit sur sa parenté. D'ailleurs, il faut de l'argent pour suivre un procès ; et les apparences étant contre Berniquet, il ne lui en prêtera pas. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Votre idée est excellente ; car ce n'est que comme unique héritier que ce mariage avait tenté mon père. MONSIEUR D'ALVIN. Sans doute. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Vos amis auront-ils été assez tôt prêts ? MONSIEUR D'ALVIN. Oui, je les ai vu partir, et c'est ici que je viens attendre le succès de cette entreprise. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Il faudrait que mon père en fût instruit. MONSIEUR D'ALVIN. Mais s'il est chez son Notaire, il les verra passer ; ils étaient en marche quand je suis venu ici. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Il serait important de savoir s'il a continué de faire dresser le contrat. MONSIEUR D'ALVIN. Vous avez raison. Comment ferons-nous ? Attendez, doit-il revenir ici ? MADEMOISELLE DE PRECINAT. Je n'en sais rien. MONSIEUR D'ALVIN. J'attends La France. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Pourquoi faire ? MONSIEUR D'ALVIN. Pour savoir la mine qu'aura fait Berniquet, lorsque mes héritiers supposés auront pris sa place. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Ah ! Fort bien. MONSIEUR D'ALVIN. Sans cela, j'irais chez le Notaire, qui est le mien, et qui me dirait si Monsieur votre père aura été arrêté dans son projet. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Allez-y toujours. MONSIEUR D'ALVIN. Mais c'est que La France me rendrait compte aussi d'autres choses que je lui ai dit de faire, qui ne sont pas moins essentielles. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Qu'est-ce que c'est ? MONSIEUR D'ALVIN. Ah ! Voici La France. SCÈNE VII. Mademoiselle de Precinat, Monsieur d'Alvin, La France. LA FRANCE. Monsieur. MONSIEUR D'ALVIN. Eh bien ? LA FRANCE. Monsieur Berniquet a été d'un étonnement !... J'ai bien ri toujours ; et puis mes camarades qui portaient la queue des manteaux de leurs maîtres se sont bien moqués de lui ; enfin, il était furieux. Il rit. MONSIEUR D'ALVIN. Ne ris donc pas. LA FRANCE. Je n'en puis plus ; mais je vous avertis que Monsieur de Precinat me suit. MONSIEUR D'ALVIN. Je vais chez le Notaire. As-tu fait ce que je t'avais dit ? LA FRANCE. Oui, Monsieur ; ils vont tous le tourmenter. MONSIEUR D'ALVIN. Cela est bon. Voici Monsieur votre père ; je m'enfuis : je reviendrai bientôt de chez le Notaire. SCÈNE VIII. Mademoiselle de Precinat, Monsieur de Precinat. MONSIEUR DE PRECINAT, se croyant seul. Je ne comprendrai jamais cela ; l'oncle de Berniquet ne m'avait jamais dit qu'il eût d'autres parents. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Vous me paraissez bien affligé de la mort de cet homme-là. MONSIEUR DE PRECINAT. Il est vrai. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Mais il était bien vieux. MONSIEUR DE PRECINAT. Cela ne fait rien. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Pardonnez-moi, les vieillards ne sont pas des amis bien chauds. MONSIEUR DE PRECINAT. Il l'était assez pour moi. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Ils ne pensent ordinairement qu'à eux ; ils craignent de manquer, ils sont avares, ils se privent de tout, et ils amassent sans cesse. MONSIEUR DE PRECINAT. Ils ont raison. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Et tout cela pour faire des neveux bien riches, qui n'attendent que leur mort pour avoir leur succession, et la dépenser promptement. MONSIEUR DE PRECINAT. Cela n'arrive que trop souvent. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Monsieur Berniquet en est un exemple ; car il n'aimait pas son oncle, et cependant le voilà très riche de ses bienfaits. De combien hérite-t-il à-peu-près ? MONSIEUR DE PRECINAT. Je ne peux pas vous le dire. MADEMOISELLE DE PRECINAT. C'est pourtant cet héritage qui vous a engagé à vouloir me le faire épouser ; cependant je crois que Monsieur d'Alvin est plus riche que lui. MONSIEUR DE PRECINAT. Il n'attend pas d'héritage. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Non ; mais il a un bien assuré, et que personne ne peut lui disputer, vous en conviendrez bien ? Tenez, le voici. SCÈNE IX. Mademoiselle de Precinat, Monsieur d'Alvin, Monsieur de Precinat. MONSIEUR D'ALVIN. Parbleu, on vient de me dire une singulière nouvelle, Monsieur de Precinat. MONSIEUR DE PRECINAT. Qu'est-ce que c'est ? MONSIEUR D'ALVIN. Que ce pauvre Berniquet n'aura rien de son oncle, il y a d'autres héritiers plus près que lui. MONSIEUR DE PRECINAT. Cela est vrai. MONSIEUR D'ALVIN. Ils font mettre actuellement le scellé partout. MONSIEUR DE PRECINAT. Qui vous a dit cela ? MONSIEUR D'ALVIN. Monsieur Broussin mon Notaire. À part à Mademoiselle de Precinat.Le contrat n'est pas fait. MONSIEUR DE PRECINAT. Monsieur Broussin en est donc sûr ? MONSIEUR D'ALVIN. Il a parlé au Commissaire ; mais tenez, voilà Monsieur Berniquet qui vous dira encore mieux ce qu'il en est. SCÈNE X. Mademoiselle de Precinat, Monsieur de Precinat, Monsieur d'Alvin, Monsieur Berniquet, en manteau noir. MONSIEUR DE PRECINAT. Eh bien, Monsieur Berniquet, il est donc vrai que vous n'avez plus d'espérance ? MONSIEUR BERNIQUET. Oh ! Pardonnez-moi. MADEMOISELLE DE PRECINAT, bas à Monsieur d'Alvin. Tout serait-il découvert ? MONSIEUR DE PRECINAT. Mais n'y a-t-il pas d'autres héritiers plus près que vous ? MONSIEUR BERNIQUET. Oui vraiment, et ils sont arrivés bien à propos pour l'enterrement ; je ne me suis plus trouvé que le cinquième. MONSIEUR D'ALVIN. Je crois que cela vous a un peu fâché ? MONSIEUR BERNIQUET. Oui, parce que leurs laquais m'ont ri au nez ; j'ai cru qu'ils se moquaient de moi. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Et cela n'était donc pas ? MONSIEUR BERNIQUET. Bon ! Tout au contraire, leurs maîtres m'ont fait cent politesses, et ils m'ont bien remercié des soins que j'ai pris de mon oncle ; je crois que cela fera des cousins fort honnêtes. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Assurément ; mais après ? MONSIEUR BERNIQUET. Après ? Ils ont fait mettre le scellé partout, jusques sur la porte de ma chambre ; cela est très plaisant. MONSIEUR DE PRECINAT. Comment, plaisant ? MONSIEUR BERNIQUET. Oui ; car je ne sais plus où aller coucher. Il rit. MONSIEUR DE PRECINAT. Et vous riez de cela ? MONSIEUR BERNIQUET. Oh, je ris, parce que je ne serai pas embarrassé. MONSIEUR DE PRECINAT. Mais vous n'aurez rien de cette succession. MONSIEUR BERNIQUET. Non vraiment. Il rit. MONSIEUR DE PRECINAT. Vous m'impatientez avec votre gaieté. MONSIEUR BERNIQUET. Bon ! J'aurais bien de quoi m'affliger encore plus si je voulais. MONSIEUR DE PRECINAT. Au sujet de quoi ? MONSIEUR BERNIQUET. Au sujet de mes créanciers, qui, sachant que je n'héritais plus, sont venus me trouver, et m'ont dit qu'ils me feraient mettre en prison si je ne les payais pas. MONSIEUR DE PRECINAT. Et c'est donc en prison que vous comptez aller coucher ce soir ? MONSIEUR BERNIQUET. Non. MONSIEUR DE PRECINAT. Où donc ? MONSIEUR BERNIQUET. Eh ! Pardi chez vous, ici. MONSIEUR DE PRECINAT. Ici ? MONSIEUR BERNIQUET. Oui ; mon mariage avec Mademoiselle n'est-il pas fait ? MONSIEUR DE PRECINAT. Non. MONSIEUR BERNIQUET. Allons, vous badinez. MONSIEUR DE PRECINAT. Je ne badine pas. MONSIEUR BERNIQUET. Oh ! Je ne suis pas inquiet. MONSIEUR DE PRECINAT. Pourquoi ? MONSIEUR BERNIQUET. C'est que la précaution que j'ai prise est bonne. MONSIEUR DE PRECINAT. Et quelle précaution ? MONSIEUR BERNIQUET. Eh pardi, vous savez bien. MONSIEUR DE PRECINAT. Non. MONSIEUR BERNIQUET. Comment ! Je ne vous ai pas fait un dédit ? MONSIEUR DE PRECINAT. Il est vrai ; mais je ne vous en ai pas fait, moi. MONSIEUR BERNIQUET. Non ; mais c'est la même chose. MONSIEUR DE PRECINAT. Cela est si peu la même chose, que vous n'épouserez pas ma fille. MONSIEUR BERNIQUET. Mais elle est amoureuse de moi ; pardi, je le sais bien, apparemment : que voulez-vous qu'elle devienne ? MADEMOISELLE DE PRECINAT. Vous ai-je jamais donné lieu de le croire ? MONSIEUR BERNIQUET. Ah ! Celui-là est bon ! Et qui aimez-vous donc ? MADEMOISELLE DE PRECINAT. Mon père vous le dira. MONSIEUR BERNIQUET. Je crois qu'il serait bien embarrassé d'en nommer un autre. MONSIEUR DE PRECINAT. Pas tant que vous le croyez. MONSIEUR BERNIQUET. Eh bien voyons. MONSIEUR DE PRECINAT. Puisque vous voulez le savoir, c'est Monsieur d'Alvin. MONSIEUR BERNIQUET. Ah ! Je ne le crains pas. MONSIEUR D'ALVIN. Comment, Monsieur ?... MONSIEUR BERNIQUET. Assurément. On m'a dit que vous étiez son cousin. MONSIEUR D'ALVIN. Il est vrai. MONSIEUR BERNIQUET. Eh bien, je ne croirai ce mariage-là que quand je le verrai. MONSIEUR D'ALVIN. Il ne dépend que de Monsieur de Precinat. MONSIEUR BERNIQUET. Bon ! Il ne voudrait pas me faire ce tour-là. MONSIEUR DE PRECINAT. Qui m'en empêcherait ? MONSIEUR BERNIQUET. Votre promesse. MONSIEUR DE PRECINAT. Je ne me suis engagé à rien. MONSIEUR BERNIQUET. Eh bien, mariez donc Mademoiselle à Monsieur d'Alvin pour voir, je vous en défie. MONSIEUR DE PRECINAT. Vous m'en défiez ? MONSIEUR BERNIQUET. Oui, je vous en défie. MONSIEUR DE PRECINAT. C'est une chose faite, elle n'en épousera jamais d'autre ; Monsieur d'Alvin, je vous la donne. MONSIEUR D'ALVIN, à Monsieur Berniquet. Ah ! Monsieur, que d'obligations je vous ai ! MADEMOISELLE DE PRECINAT. Mon père ! Elle l'embrasse. MONSIEUR BERNIQUET. Oui, oui, comptez sur sa parole ; vous voyez bien qu'il ne l'a pas tenue avec moi. MONSIEUR DE PRECINAT. Allons, laissez-nous, et sortez d'ici. MONSIEUR BERNIQUET. Mais un moment, Monsieur de Precinat, si c'est tout de bon que vous ne me donnez pas Mademoiselle votre fille, que voulez-vous que je devienne ? MONSIEUR DE PRECINAT. Tout ce que vous voudrez. MONSIEUR BERNIQUET. Voilà toutes mes espérances détruites ; et mes créanciers vont me faire mettre en prison. MONSIEUR DE PRECINAT. Ce n'est pas ma faute. MONSIEUR BERNIQUET. Je comptais sur l'héritage de mon oncle. MONSIEUR DE PRECINAT. Qu'est-ce que cela me fait ? MONSIEUR BERNIQUET. Et après cela, sur mon mariage avec Mademoiselle votre fille ; je leur ai dit cela pour les apaiser. MONSIEUR DE PRECINAT. Tant pis pour vous. MONSIEUR BERNIQUET. Il faut donc m'enfuir ? MONSIEUR DE PRECINAT. Comme il vous plaira. MONSIEUR BERNIQUET. Mais prêtez-moi donc de l'argent pour prendre la poste, et pour m'en retourner dans mon pays. MONSIEUR DE PRECINAT. Je ne vous prêterai rien. MONSIEUR BERNIQUET. Pardi, je suis bien malheureux. MONSIEUR D'ALVIN. Un moment, Monsieur Berniquet, ne vous désespérez pas. MONSIEUR BERNIQUET. Monsieur, je vous trouve bien bon, quoique vous m'enleviez ma femme. MONSIEUR D'ALVIN. Écoutez-moi : d'où êtes-vous ? MONSIEUR BERNIQUET. De Béthune, Monsieur. MONSIEUR D'ALVIN. Vous êtes donc de Flandre ? MONSIEUR BERNIQUET. Oui, Monsieur, je suis de Flandre. MONSIEUR D'ALVIN. Eh bien, je vais vous donner cinquante louis et une chaise de poste ; allez-vous-en chez moi m'attendre, je vous y ferai trouver la chaise et des chevaux. MONSIEUR BERNIQUET. Mais si je rencontre mes créanciers ? MONSIEUR D'ALVIN. Ne craignez rien ; ils ne sauront pas encore que vous n'épousez pas Mademoiselle. MONSIEUR BERNIQUET. Mais ils le sauront bientôt. Je veux partir tout de suite. MONSIEUR D'ALVIN. Et vous aurez raison. MONSIEUR BERNIQUET. Adieu, Mademoiselle, si vous me regrettez, j'en serai bien fâché ; mais pour Monsieur votre père, je ne le regrette pas, je suis trop fâché contre lui. Adieu, adieu : je le dirai à tout le monde qu'il m'a manqué de parole. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Comment ?... SCÈNE DERNIÈRE. Mademoiselle de Precinat, Monsieur d'Alvin, Monsieur de Precinat. MONSIEUR D'ALVIN. Laissez, laissez-le aller ; je vais lui donner un de mes gens pour l'accompagner, et il ne le quittera que quand il sera arrivé chez lui. MONSIEUR DE PRECINAT. Vous ferez bien ; mais revenez tout de suite, vous trouverez ici le Notaire, et nous signerons le contrat. MADEMOISELLE DE PRECINAT. Mon père, vous allez faire mon bonheur. MONSIEUR D'ALVIN. Monsieur !... Il l'embrasse. MONSIEUR DE PRECINAT. Si j'avais su que vous vous aimiez, si vous aviez eu plus de confiance en moi, je n'aurais pas cherché à faire une autre alliance ; et ma fille n'aurait pas été exposée à épouser un sot. Explication du Proverbe : 90. Il ne faut pas croire tout ce qu'on voit. ==================================================