******************************************************** DC.Title = L'ÎLE SONNANTE, OPÉRA COMIQUE EN TROIS ACTES. DC.Author = COLLE, Charles DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Opéra comique DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/02/2021 à 07:00:06. DC.Coverage = Pays imaginaire DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/COLLE_ILESONNANTE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** L'ÎLE SONNANTE PROLOGUE, EN VAUDEVILLES ET EN PROSE. 1768 de Charles COLLÉ Représenté pour les Comédiens Italiens, le leundi 4 janvier 1768. AVERTISSEMENT. Je suis entièrement de l'avis du Public sur l'Île Sonnante. C'est une mauvaise piéce. Je la joins ici, parce qu'elle fait partie de mon Théâtre de Société, Elle fut représentée en Juillet 1767, sur celui de Villers-Coterets , pour lequel elle avait été faite, et où elle n'eut aucun succès. Le Public fut plus indulgent : elle eut quatorze ou quinze représentations à la Comédie Italienne. L'excellente Musique de M. de Moncigny la soutint un peu contre mon poème. Dans ce sujet, qui est totalement de mon invention, (et il n'y a pas là de quoi se vanter), j'avais eu le dessein de faire une critique douce et badine, du genre des Comédies à Ariettes, que je prends la liberté de trouver d'aussi mauvais goût, tout au moins, que l'ancien genre des pièces en Vaudevilles ; et qui, à la fin, tombera comme ce dernier. Je me suis trompé dans mon projet, ou je l'ai mal exécuté; et, sans doute, ces deux raisons réunies, se sont rencontrées, pour ennuyer le Spectateur. Ce sujet, d'ailleurs, ne comportait qu'un acte, au plus ; et puis, il fallait me faire entendre ; et des gens de bien m'ont assuré qu'on avait trouvé ma pièce inintelligible : cela n'entrait point dans mes vues, et j'ai tort. En effet, l'oubli, presque total, où sont tombés les refrains des vieux Vaudevilles , doit avoir jeté une merveilleuse obscurité sur quelques Ariettes, qui étaient fondées sur cette plaisanterie. PERSONNAGES. VIVATCHÉ, Sultan. LE CHEVALIER DURBIN. PIANO, eunuque. PRESTO, magicien. ZERBIN, écuyer de Durbin. UN ESCLAVE. GARDES DU SULTAN. CÉLENIE. MÉLOPHANIE. HENRIETTE. ESPRIT INFERNAL. La scène est dans l'île Sonnante. ACTE I Le Théâtre représente les Jardins et l'extérieur du Palais de l'Île Sonnante. SCÈNE PREMIÈRE. DURBIN. Toi qui crois en tous lieux mériter des éloges Par le goût et le choix des mots dont tu te sers ;Tyran, cesse, Tyran, de fatiguer les airs,Par ces paroles allobrogesDont tu composes tes concerts. Dieu ! Quel pays et quels concertsPour la musique, et pour les vers !Je crois ouïr des fous échappés de leurs loges.Toujours chanter, rimer sans cesse, quels travers !Tous ces gens-ci me semblent des horloges Dont on tire des sons par des ressorts divers ;Encor faut-il combler d'éloges,Et leur prose rimée, et leurs voix , et leurs airs.Dieux ! Quel pays, et quels concertsPour la musique et pour les vers ! SCÈNE II. Durbin, Zerbin. ZERBIN. Au, Seigneur Chevalier ! J'en ai appris plus que je ne puis dire : on peut me raconter à présent tous les prodiges qu'on voudra, et de l'île des Maragons et des Lestrigons ; je croirai tout, je croirai tout. Ce n'est pas seulement le Roi et toute sa Cour qui chante ici, c'est le corps du peuple en entier ; tout chante, tout fredonne, roulades, cadences, ports de voix , martellements : toute une ville, imaginez, toute une ville ; cela fait un si grand bruit, que bien des gens trouveraient cela admirable. DURBIN. Et notre vaisseau ? ZERBIN. Votre vaisseau ? Ah ! Parbleu votre vaisseau,il est à l'ancre ; on en a fait descendre tout l'équipage, capitaine, officiers, matelots : mais comme ils n'ont pu s'exprimer qu'en prose, ils ont été mis sur le champ dans une prison bien loin hors de la ville, comme des gens dangereux, corrupteurs, novateurs, et mal sonnants. DURBIN. Ce que tu me dis, est-il bien vrai ? ZERBIN. Comment, Seigneur, oserais-je mentir ? Et moi n'ai je pas voulu hasarder quelques mots de prose ? On m'a menacé de me donner vingt coups de bâton sous la plante des pieds : on dit que cela apprend à aller de mesure ; alors je me suis exprimé en Vaudevilles, que je contourne de mon mieux, pour leur donner un air du pays. DURBIN. Et Célenie, qu'est-elle devenue ? ZERBIN. Célenie, qui voulait se jeter aux pieds de la Sultane favorite, a été conduite aux pieds du Sultan. Heureusement on l'avait instruit, et son Ariette a été goûtée, à deux mesures près ; et je crois qu'on nous rendra notre vaisseau. DURBIN. Quel fatal voyage ! ZERBIN. Quelle fantaisie aussi d'aller consulter cette vieille fée sur le succès de vos amours ! DURBIN. Tu sais ce qu'elle a répondu. ZERBIN. Parbleu oui, plaisante réponse avec son nazillonnement ! >Mon fils, mon fils, ta Célenie t'aimera ; mais elle ne te le dira que quand elle ne parlera plus. « Vous insistez, vous la pressez, vous la tourmentez : oui, oui, tu ne sauras ce qu'elle pense que quand elle ne pensera pas. » Peut on un radotage plus complet ? DURBIN. Il est vrai que je n'y conçois rien. ZERBIN. Hé : concevez-vous mieux ce qu'elle m'a répondu, quand je l'ai consultée ; car les valets ont la rage de faire comme leurs maîtres, et ce n'est pas ce qu'ils font de mieux. « Mon garçon, mon garçon, tu veux savoir fi tu réussiras dans tes amours ; tu n'en seras jamais si loin que lorsque tu en seras près. »Concevez-vous ? DURBIN. Ah, il est aisé de voir qu'elle s'est moquée de toi. ZERBIN. J'ai bien peur que cela ne soit pas, Seigneur. Tout entier à l'idée de Célenie, tout rempli de votre amour, vous n'entendez que cela, vous ne pensez qu'à cela : mais un peu de réflexion, je vous supplie. Savez-vous ce que la Fée a dit, lorsque vous l'avez quittée en chantonnant avec cet air détaché, si naturel aux grands Seigneurs, lorsqu'on leur dit ce qui ne leur plaît pas ? DURBIN. Qu'est-ce que c'est que ce verbiage-là : est-ce que je sais tout ce que cette femme a dit ? ZERBIN. Cette femme, cette femme ! Cette femme a dit, en vous entendant chantonner : « Chante, chante, mon fils ; mais prends garde de chanter plus que tu ne voudras. » DURBIN. Hé bien. ZERBIN. Hé bien, hé bien, notre vaisseau, en dépit du gouvernail, en dépit du vent et de la marée, vient ici par le chemin le plus droit. Nous y voici : on y chante, on y chante , encore trois jours, et vous voilà bon gré malgré le plus déterminé chanteur. Il paraît ici un habitant.Mais tenez, voici un habitant qui nous espionne ; si vous êtes curieux d'entendre chanter, vous pouvez l'interroger. DURBIN. Il écoute apparemment si nous chantons ? ZERBIN. Non, ces espions-là ont une autre commission de la part du Gouvernement. Il y a eu quelques rumeurs pour la basse fondamentale, et on craint quelque soulèvement. DURBIN. Ce peuple-là est donc bien sujet à remuer ? ZERBIN. Je le crois; il se ferait égorger pour des misères : ils ont eu une guerre civile qui a duré quarante ans pour le fa dièse et le mi bémol. Mais j'aperçois... Oui, c'est le confident, c'est le favori de la Sultane favorite. Bonne nouvelle, bonne nouvelle : notre vaisseau sera rendu. SCÈNE III. Piano, Durbin, Zerbin. PIANO, récitant. Pour la charmante Célenie, Noble Étranger, l'amour de VivatchéFait du bruit, et son feu n'est plus un feu caché. DURBIN, à part. Pour Célenie ! PIANO. Son premier Médecin Presto, ce grand génie,Des attraits d'Henriette est lui-même touché. ZERBIN. Pour Henriette ? Ah, ciel ! PIANO. Quant à l'amour du Roi, connais Mélophanie ;Son coeur jaloux prendra les plus cruels moyensPour perdre sa rivale et briser leurs liens. DURBIN. Qu'apprends je ? Ah, ciel : et quelle tyrannie ! PIANO. ARIETTE.La jalousieEn ce lieu S'alarme de peu.Dans notre Asie,La jalouseS'alarme de peu ;Un rien ici la met en feu. Dans notre Asie,La jalousiePousse l'emportement jusqu'à la frénésie :Elle ne garde aucun milieu,Un rien la met en feu, En feu, en feu.Adieu, adieu. SCÈNE IV. Zerbin, Durbin. ZERBIN. Au diable. DURBIN. Quoi : Célenie pourrait... Non, je connais son coeur. ZERBIN. Et moi, je connais mon rival : il est magicien ; c'est le magicien du Roi : je suis perdu. Ah, maudit voyage ! DURBIN. Si j'en croyais ma valeur ; mais ma valeur contre tout un peuple est bien inutile. ZERBIN. Et la mienne encore plus. DURBIN. Ah ! Si je ne peux la défendre, je peux périr à ses yeux. ZERBIN. Ce n'est pas mon avis. DURBIN. Forçons le Palais. ZERBIN. Ne forçons rien. DURBIN. Mais ciel ! Je la vois. SCÈNE V. Durbin, Célenie, Zerbin, Henriette. DURBIN. Ah, Célenie ! CÉLENIE. Durbin ! ZERBIN. Mon Henriette ! HENRIETTE. Zerbin ! DURBIN. Quoi ! Le Sultan vous ainme ? CÉLENIE. Cela n'est que trop vrai. ZERBIN. Et toi, Henriette ? HENRIETTE. Le Vizir m'adore. Il ne tient qu'à moi de gouverner et le Maître et l'Empire. DURBIN. Quoi ! Charmante Célenie, lorsque mon sincère amour. CÉLENIE. Chevalier, sont-ce là vos serments ? La Fée ne vous a permis de m'accompagner que sur la promesse que vous lui avez faite de ne me parler jamais de votre amour. DURBIN. Je me tais... Et ce cruel Sultan ? CÉLENIE. Il m'a fait sa déclaration. DURBIN. Zerbin, allez veiller autour de ces bosquets. CÉLENIE. Henriette, vous nous avertirez s'il paraît quelqu'un. SCÈNE VI. Célenie, Durbin. DURBIN. Il vous a fait sa déclaration ? CÉLENIE. La voici. Lisez, lisez ; jugez vous-même de ses sentiments. DURBIN. Quoi ! Elle est en musique. CÉLENIE. Oui, oui, sa déclaration est en musique, en Ariette encore, avec un grand accompagnement de fanfares. Elle m'a été apportée, présentée, et exécutée par une armée de Musiciens. Chantez, chantez. DURBIN. Quoi ! Vous voulez, Madame ? ... CÉLENIE. Oui, je veux que vous chantiez, pour me pénétrer de toute l'horreur qu'il m'inspire. DURBIN. Quelque Musicien que je sois, cela demande... Il rêve, et Célenie se promène avec fureur pendant la ritournelle, et dit :L'insolent, oser me déclarer que... Ah, ciel ! ARIETTE. Vivatché, Roi des Rois, Souverain de l'harmonie, Adorateur des belles voix , À la mélodieuse Célenie Salamalek cent et cent fois. Ô vous, dont la voix sonore Se développe sans travail, Venez régner dans mon sérail, Venez, je vous adore. Venez ; et que j'entende encore Cette voix faite pour charmer. Je vous adore ; il faut m'aimer : Venez, je vous adore. Parce qu'il adore, il faut l'aimer. Voilà bien le tyran le plus fat.... CÉLENIE. Aussi, écoutez la réponse que j'ai faite à cet horrible galant. En voici le brouillon : je crois que vous en serez content, je crois que vous en serez content. ARIETTE.Grand tyran, et petit Roi,Compositeur sans harmonie ,Rimailleur sans génie,Plagiaire de symphonie,D'une oreille juste l'effroi, Écoute-moi,Petit Roi,Écoute-moi.A quel injuste excès veux-tu t'abandonner,Barbare, et de quel droit oses-tu m'ordonner D'être en ton sérail ton esclave ?Je ne crains point la mort, je la vois, je la brave,Je saurai bien me la donner :On plutôt l'honneur veut que dans ton sang je laveUn affront dont l'horreur ne peut se pardonner : Un coeur ferme qui voit la mort, et qui la brave,A son tyran est sûr de la donner.Hé bien ! DURBIN. Ah, Madame ! Qu'avez-vous fait ? Votre Ariette pleine de traits insultants et de menaces l'aura mis en fureur, et son amour changé en rage... CÉLENIE. Cela est vrai, je me suis peut-être un peu trop livrée à mon indignation. Mais dans cette extrémité quel parti prendre ? DURBIN. Attendez, il me vient une idée ; il faut user d'adresse. Voici son Ariette de déclaration, scellée de son sceau ; donnez-moi la réponse harmonieuse et sanglante que vous lui avez faite : je veux faire passer l'une et l'autre, par mon écuyer, dans les mains de la Sultane favorite. CÉLENIE. Et vous croyez que sa jalousie ?... DURBIN. Oui, oui. SCÈNE VII. Célenie, Durbin, Zerbin, Henriette. ZERBIN. Sur l'air : Ah ! que la forêt de Cythère.Monseigneur, que l'on se prépareÀ chanter. Prenez bien vos tons, Tontaine, tontons, tontons, tontons,Avec sa musique barbareLe Sultan vient à nous ; chantons. HENRIETTE et ZERBIN. Tontaine, tontons, tontons, tontons,Tontons, tontons, tontaine, tontons. SCÈNE VIII. Les Acteurs précédents, Vivatché, Henriette. VIVATCHÉ. ARIETTE.Paix-là, paix-là, taisez-vous ;Paix-là, taisez-vous devant nous,Plats Chanteurs de vieux Vaudevilles,Partisans imbécilesDes lanla, des flons, flons, Des gai, gai, des lampons.De tant vous l'avez doux, Guillemette doux :Partisans imbécilesDes tirelironsa, des sans dessus dessous,[Note : "Ah Madame Anroux" est un air de Vaudeville.][Note : "La Béquille du Père Barnabas" est une chanson populaire qui connut beaucou de succès.]Des père Barnabas et des Madame Anroux. Plats Chanteurs de vieux Vaudevilles ,Paix-là, taisez-vous devant nous :Henriette, Zerbin, sortez, retirez-vous. HENRIETTE et ZERBIN. Sortons, retirons-nous. SCÈNE IX. Vivatché, Célenie, Presto, Durbin. VIVATCHÉ, en parlant. Pour vous, piquante Célenie, Dont le satyrique génieContre moi fait de si bons versSur de si beaux airs,Et de si bonne symphonie,Je vous le dis, en termes clairs : ARIETTE.Je ne réponds aux épigrammes,Je ne repousse les traitsDes belles DamesQu'en adorant leurs attraits,Qu'en les embrasant de mes flammes. Quand leur haine s'éteint, c'est alors qu'en leurs âmesL'amour pour moi s'allume après :Et voilà comme il faut qu'on se venge des femmesEn adorant leurs attraits,En les embrasant de ses flammes. Venez régner à jamais,Venez régner dans mon Palais. VIVATCHÉ et PRESTO. Venez régner à jamais VIVATCHÉ. Dans mon Palais, PRESTO. Dans son Palais. QUATUOR. CÉLENIE. En ton Palais ! VIVATCHÉ. Dans mon Palais. PRESTO. Dans le Palais... DURBIN. Dans ton Palais ! VIVATCHÉ. Holas, Gardes, conduisez-les Dans mon Palais. Ils sortent conduits par les Gardes, mais par le même endroit ; et cela pendant la ritournelle. Il faut qu'ils mesurent leurs pas de façon qu'on voie encore des gens de la suite à la fin de la ritournelle. Vivatché parle bas au Capitaine de ses Gardes. SCÈNE X. Presto, Vivatché. PRESTO, en parlant. Très clément Prince, à quel suppliceDestinez-vous votre rival ?Car il l'est. VIVATCHÉ, parlant aussi. Oui, je viens à mon grand Sénéchal, Je viens d'ordonner qu'il subisseUn suppliceDe caprice,Un supplice original.Pour me divertir, je commande À des bourreaux de chant, que le coupable entende,Pendant ses repas seulement,Tous les jours le concert charmantQue formeront des voix fausses et discordantes,Détonantes et glapissantes, Et des sifflets aigus pour accompagnement.Si je punis mon rival doucement,C'est que mon goût pour CélenieEst faible : mais par-là je veux adroitement,Pans celle que j'aime ardemment, Dans le coeur de MelophanieRanimer plus vivementLa chaleur du sentiment. PRESTO, en parlant. C'est penser, c'est parler d'une grande justesse.De mon côté mon art doit vous aider ; Et tandis qu'en passant vous pouvez excéderPour vos menus plaisirs Durbin et sa maîtresse,Je puis gaiement vous seconderEn tirant de leur léthargieCette triste Henriette et son morne écuyer, À leurs dépens aussi je prétends m'égayerPar quelque tour de ma folle magie.J'y rêve. VIVATCHÉ. Rêvez-y, c'est comme je l'entends. DUO. C'est un passe-temps agréable, C'est un passe-tempsDe faire donner au diable,De désespérer deux amants.C'est un passe-temps. VIVATCHÉ. J'aime à voir ces gens Avec leur humeur intraitablePuis douce, puis épouvantable.J'aime les amantsEt leur douleur respectable. PRESTO. À voir leur humeur intraitable Affecter un dehors aimable,L'air tranquille, un air affable,Et les voir tout bas enrageants :Oui, c'est un plaisir véritable. .J'aime à voir leur air lamentable ; J'aime à voir leurs petits tourments. ACTE II Le Théâtre représente le vestibule du sérail. SCÈNE PREMIÈRE. Zerbin, Piano. PIANO, arrêtant Zerbin. Arrête, mortel téméraire,Tremble, arrête ; ne passe pasCe vestibule solitaire.Dans le sérail si tu portais tes pas, Il n'est rien qui pût te soustraireAu plus rigoureux trépas.Chante, chante. Qu'y viens-tu faire ? ZERBIN. Sur l'air : Laire-là, laire, lanlere.Je viens vous faire un long récitEn vaudeville, et sans esprit : Mais pardon, il est nécessaire ;Il éclaircit notre affaire :Faites grâce à mon débit. PIANO. Chante, et sois court. Épargne à mon oreille,Bonhomme, autant que tu pourras, De ton chant, de tes airs ingrats,La langueur sans pareille. ZERBIN, à part. Quel diable, j'ai bien trouvé un air plus vif : mais dans ce moment-ci les rimes ne me viennent point du tout. Comment faire ? PIANO. Tu parles sans chanter, je crois : Ne t'est-il pasDans l'instant échappé tout basQuelques malheureux mots de prose ? ZERBIN. Mon cher Piano, non, je n'ose. PIANO. En ce cas chantez donc : chantez mon virtuose,Chantez, enchantez-moi, Musicien parfait. ZERBIN. Raillez. Mais écoutez, Seigneur , voici le fait. À part.Morbleu, la rime m'abandonne ! Bon, bon, il ne s'en apercevra peut-être pas. PIANO. Hé bien donc. ZERBIN. Seigneur Piano, voici le fait,Voici, voici le fait. Air : De l'Allemande Suisse.À Célenie.En papier bien régléNotre Prince a déclaré sonFeu. Par la chaleur de cette Ariette-ci,L'on voit qu'il en est amoureux,Fou,Mais par le froidDe celle que voilà,L'on juge que la dame leHait. Je vous remetsCes deux airsBien notés.Peut-on voir un procédé plusNet ?Voyez quelle est L'Ariette et l'AmourDe l'objetDont le Roi veut vaincre lecoeur.Soupçons jalouxN'ont plus lieuPar nos faits : ConvenezQue nous les coulons tous àFond.Célenie attend de vous,Qu'on la fasse entrer dehorsDu sérail, Que le Prince et son amourPrès d'elle ici fassent chouBlanc. PIANO. C'en est assez, Zerbin, j'estimeVos procédés plus que vos vers :Attachez-vous un peu plus à la rime, J'en ai cru voir qui sont tout de travers.Mais passons.... à MélophanieJe cours chanter ces deux beaux airs,Comptez, pour servir Célenie,Qu'elle va mettre en jeu mille ressorts divers. SCÈNE II. ZERBIN. Il est parti à présent. Je crois qu'il convient de faire ici à l'Amour une petite invocation, pour qu'il rende Célenie à mon Maître, en détruisant, de fond en comble, les murailles de ce maudit Harem ! Amour ! Amour ! Ô, toi, qui ne t'occupes qu'à blesser nos coeurs, laisse-là, pour un moment, ton arc et tes flèches ! Air : Des Pendus.Dieu d'amour, sans un grand travail,Tu peux l'enlever du sérail,Sans briser porte ni muraille :Tu peux faire que ton ouailleNe soit plus avec.... l'attirail Que l'on enferme en ce bercail.Pardinne il faut avouer que la rime est bien quinteuse : je rime actuellement comme un écho ; et tout-à-l'heure que j'en avais besoin... Mais j'entends du bruit dans le sérail. Retournons rendre compte de notre commission. SCÈNE III. Mélophanie, tenant les deux Ariettes ; Piano. MÉLOPHANIE, chantant. Malheureuse Mélophanie,Quel désespoir !Le Sultan jette le mouchoirÀ Célenie. .Quel désespoir ! Ma rivale va s'asseoirSur le trône de l'harmonie.Malheureuse Mélophanie,Quel désespoir. SCÈNE IV. Vivatché, Mélophanie. VIVATCHÉ, à part en parlant. Je l'entends qui gémit : portons les derniers coups, Renfermons dans mon sein l'amour que j'ai pour elle ;Confirmons ses soupçons jaloux,En jouant l'amant infidèle :Ressuscitons un coeur qui semblait mort pour nous. DUO DIALOGUÉ. MÉLOPHANIE. C'en est donc fait, amant volage, Tu m'abandonnes pour toujours. VIVATCHÉ. Je n'entends rien à ce langage :A quoi tendent ces vains discours ? MÉLOPHANIE. Tu dois entendre ce langage,Ce ne sont point de vains discours : Tu portes ailleurs ton hommage,Tu m'abandonnes pour toujours. VIVATCHÉ. À quoi tendent ces vains discours. MÉLOPHANIE. Ce ne sont point de vains discours :Toi qui disais que nos amours De nos joursÉgaleraient le cours,Tu m'abandonnes pour toujours. VIVATCHÉ. Hé, qui vous fait penser que mon coeur se dégage ? MÉLOPHANIE. Oui, cruel, ton coeur se dégage, Démens, démens ce témoignage.Tiens, lis. Laisse-là les détours.Que mes beaux joursOnt été courts ! VIVATCHÉ, d'un air d'embarras. Je ne puis feindre davantage : Il est vrai... je vous plains.... Armez-vous de courage. MÉLOPHANIE. Que mes beaux joursOnt été courts ! VIVATCHÉ. Aux pleurs cessez d'avoir recours. MÉLOPHANIE. Non, les pleurs sont mon partage. Que n'ai-je prévenu l'outrageEn rompant la première, et rompant pour toujours ! VIVATCHÉ. Ah ! Je vous ai ravi le charmant avantageDe quitter avant moi, d'être avant moi volage. MÉLOPHANIE. Qui moi ! Pouvais je être volage ? VIVATCHÉ. Oui, vous voulez être volage. MÉLOPHANIE. Je sors. Je vais mourir de douleur et de rage. VIVATCHÉ. Cessez, cessez ces vains discours. MÉLOPHANIE. Et mourir en t'aimant toujours. VIVATCHÉ. Non, non, vous m'oublierez toujours. SCÈNE V. VIVATCHÉ, en parlant. Sa fureur me ravit : qu'à présent CélenieMe soit cruelle, et regrette mes voeux,Je goûte ici du moins la douceur infinieDe l'avoir fait servir à ranimer les feuxDe la tendre Mélophanie. SCÈNE VI. Vivatché, Piano. ARIETTE. PIANO. Ah ! Grands Dieux ! apprenez, Seigneur. VIVATCHÉ. Qu'as-tu donc qui te désole ? PIANO. Célenie !... Ah ! quel malheur !Ciel ! L'excès de sa douleur,Pour le sérail son horreur, Son désespoir, sa fureur,L'ont fait devenir folle. VIVATCHÉ. Non, ce n'est point cela, c'est notre chant nouveau,C'est notre nouvelle Musique,Trop forte, trop scientifique Qui trouble son faible cerveau.Je l'ai vu, c'est notre Musique. PIANO et VIVATCHÉ. C'est notre Musique. SCÈNE VII. Presto, Piano, Vivatché, Un esclave. L'ESCLAVE, en parlant. Célenie, ah ! Seigneur. J'ai fait dans une fêteExécuter une tempête Qui vient de lui tourner la tête.J'ai vu dès lors son mal se déclarer,Et sa raison et ses yeux s'égarer.Mais c'est elle. Rien ne l'arrête. SCÈNE VIII. Célenie, Vivatché, Piano, Presto, Un esclave. L'ESCLAVE, continuant de parler. Que son égarement dans ses yeux se peint bien ! Mais, Seigneur, n'en craignez rien,N'en craignez rien ; sa folieEst douce, gaillarde et jolie. CÉLENIE. ARIETTE.C'est lui-même, c'est lui, c'est le grand Timurbek,De ses pieds baisons la poussière. À son aspect,Je vois la terre entièreDans un stupide respect.La voyez-vous ! c'est une mouche bleueSur votre auguste front ; Elle volait en rond :Elle avait fait une lieueEn volant en rondSur votre auguste front. VIVATCHÉ, à Presto, en parlant. Va, cours, cherche Durbin. L'amitié qui les lie, Saura peut-être en un instantRapeller ses esprits, rendre son coeur content,Et la guérir de sa folie. SCÈNE IX. Vivatché, Célenie. VIVATCHÉ, en parlant. Reconnaissez, Madame, et mes traits et ma voix. CÉLENIE. Je ne t'ai jamais vu ; mais je te reconnais. Mais au reste, est-il si nécessaire de se connaître ? Pendant la Ritournelle, Célenie fera approcher deux sièges, les fera mettre plus près, et fera asseoir le Sultan. ARIETTE.Sans se connaître on peut s'entendre,Vous entendez bien,Vous n'ignorez pas que mon gendre,Le gendre mon Vizir, ou le Vizir mon gendre, Fut un grand Négromancien,Vous entendez bien.Les cieux ne sont pas bleus pour rien,Vous entendez bien.Cette Fée a cru les surprendre ; Son avis n'était pas le mien ;C'était le sien,Vous entendez bien.De là je conclus qu'un coeur tendreSe fait entendre par un rien, Vous entendez bien. Elle se lève. Là le Sultan fait signe qu'on éloigne les sièges, Piano le fait. VIVATCHÉ, en parlant. Je vois à chaque instant augmenter sa démence...Mais voici Durbin qui s'avance. SCÈNE X. Vivatché, Célenie, Durbin, Piano. VIVATCHÉ, en parlant. Malheureux Chevalier ! C'est ton funesteQui seul est cause, et qui fait naître L'égarement d'esprit où tu la vois paraître.Rends-lui sa raison dans ce jour ?Cherche à t'en faire reconnaître. CÉLENIE, en parlant. Ah ! C'est Durbin : dès qu'il paraît,Le calme en moi semble renaître. Mon coeur, mon coeur le reconnaît. DURBIN, en parlant. Tu me trompes, cruel. Non, elle n'est point folle :T'en croirai-je sur ta parole,Lorsque sa bouche te dément ?Parle, parle à ton amant. CÉLENIE. Que je vous parle... Que je lui parle : il est à faire mourir de rire... Mais y a -t-il sûreté à vous ouvrir mon coeur devant la Dame que voilà ? Elle frappe sur l'épaule de Vivatché, et chante. VIVATCHÉ, parlant. Elle me prend pour une femme. DURBIN, à part. Elle retombe en son délire :Je sens que mon coeur se déchire, CÉLENIE. DUO DIALOGUÉ.Durbin, je t'aime, le sais-tu ?J'ai toujours combattu Mon coeur et mon amour extrême,J'ai trop su me vaincre moi-même.Durbin, je t'aime,Le sais-tu, le sais-tu ? DURBIN, à part. De sa raison, tant qu'elle fut maîtresse, La loi d'une austère pudeur.Lui faisait taire son ardeurAvec une cruelle adresse. CÉLENIE. M'entends-tu ?Ma pudeur, ma vertu, Te cachaient mon amour extrême ;Je me le cachais à moi-même, DURBIN. Ah ! Quel mélange, hélas ! de joie et de tristesse !Voilà donc, voilà donc l'aveu de sa tendresse,Et mon malheur, TRIO. VIVATCHÉ. Dieux ! elle l'aime,L'ai-je bien entendu ?A-t-il dûDans son tendre aveu mêmeTrouver sa peine extrême. Dieux ! elle l'aime,L'ai-je bien entendu ? CÉLENIE. Durbin je t'aime, Le sais-tu ? DURBIN. Dieux ! Elle m'aime, M'y serais-je attendu ?Ai-je dûTrouver dans son tendre aveu mêmeMon tourment et ma peine extrême ?M'y serais attendu ? Dieux ! Elle m'aime.Mon bonheur, qu'êtes-vous devenu ? SCÈNE XI. Vivatché, Durbin. VIVATCHÉ, en parlant. Esclaves, qu'on la suive. À Durbin.Et vous, qu'on se retire. DURBIN, parlant. Exécrable tyran. VIVATCHÉ, parlant. Attends, que vas-tu dire ?Je t'interromps pour ton bien.Ne me prends pas ici pour un roi de Théâtre,Qu'on brave, et qui ne répond rien.Sors sans parler, sinon ta rage opiniâtre... DURBIN, l'interrompant. Cesse de menacer : hâte mon triste sort,Si je perds la beauté que mon coeur idolâtre ; .Sans crainte, sans regret, je recevrai la mort. SCÈNE XII. VIVATCHÉ, parlant. Je dois pardonner la furieDe cet amant désespéré : Il perd une amante chérie ;Il voit son esprit égaré. SCÈNE XIII. Vivatché, un esclave. L'ESCLAVE, déclamant. Seigneur, vous n'avez plus de salon de musique :Ces instruments harmonieux,Qu'à grands frais l'on avait rassemblés dans ces lieux, Sont tous brisés. Célenie à nos yeux,Dans les accès d'une folie unique,A défoncé vos timbales d'airain,Et vos tambours de basque et votre tambourin,Sa frénésie a fait main basse Sur le violoncelle, et basse et contre-basse,Tout est en pièces ! Elle casseJusqu'aux cordes du clavecin.Nous n'osons par respect l'arrêter : et sa mainSaisissant un basson, en frappe, rompt, écharpe, [Note : Cannelle : Fig. et familièrement. Mettre en cannelle, briser, réduire en morceaux comme ceux de la cannelle qui se vend ; et plus figurément encore, déchirer, ruiner de réputation.]Met en cannelle votre harpe ;Vos airs, vos septuors, tous vos plus grands morceauxSont déchirés, sont par lambeaux..... VIVATCHÉ, l'interrompant, en parlant à lui-même. C'en est assez ! À l'excès de ses maux,A la fureur qui la possède J'imagine un très prompt remède.Écoute. ARIETTE.Par son astrologie,Par sa magie,Mon Médecin, Magicien Presto, Guérira subitoL'égarement de Célenie :Il la guérira subitoEn lui parlant en prose tout unie,Et l'éloignant de toute symphonie. ACTE III Le Théâtre représente une façade du Palais, et un Port de mer dans le fond. SCÈNE PREMIÈRE. Vivatché, Presto. VIVATCHÉ, en parlant. La Sultane croit me surprendre :Tu m'as dit ses complots secrets ;Tu sais par quels moyens je prétends m'en défendre ?De ce balcon je puis tout voir et tout entendre :Feins d'entrer dans ses intérêts ; Ici même elle doit se rendre,Moins pour y voir nos jeux, que pour voir les succèsDu piège adroit que dans ses doux accès,Sa jalousie ose me tendre. PRESTO, en parlant. Tout est prévu, Seigneur : chargé de les attendre Votre Amiral muni de votre ordre nouveau,Leur rendra leur vaisseau. Leur magique vaisseauQui chez la Fée ira de droit fil les descendre,Avec Mélophanie on a feint de s'entendre.À votre tour, Seigneur, vous pouvez la surprendre. VIVATCHÉ. Il suffit à présent. ReçoisLes compliments que je te doisPour la cure de la folieDe la Dame honnête et jolie,Dont je dois admirer la vertu malgré moi, Dans la magie on doit te reconnaîtrePour un grand maître :Car... ARIETTE.Guérir un homme fou, c'est une babiole;C'est l'a, b, c, d, de l'art,De l'art des Médecins, de cet art si frivole Qu'inventa le Dieu du hasard.Ces savants empesés, et leur bavarde école,Pourraient le guérir tôt ou tard :Si l'on les croit sur leur parole,C'est l'a, b, c, d, de leur art. Des Magiciens la plupartSavent guérir un fou, soit rêveur, soit gaillardC'est l'a, b, c, d, de leur art :Mais guérir une femme folle,C'est le chef-d'oeuvre de leur art. PRESTO, en parlant. Hé bien, Sire, sur ma paroleDes femmes, moi je n'en manque jamais,Soit que dans leur esprit ou que dans leur coeur... VIVATCHÉ. MaisTu ne manques donc pas le coeur froid d'Henriette :À quoi, dis-moi donc, en es-tu Avec cette fière soubrette ? PRESTO. Ah ! D'ennui j'y renonce, et je me tiens battu,La bégueule héroïque affiche une vertu, Qu'avec peine on croira chez les races futures.Elle et son amant mal vêtu, M'ont tous deux accablé d'injures :Mais par moi leur caquet s'est trouvé rabattu ;Je l'ai réduit à l'Élégie. VIVATCHÉ. C'est fort bien fait. Hé comment t'y prends-tu ? PRESTO. En m'aidant d'un peu de magie, À les punir gaiement j'ai borné mon dessein.Je donne à ces amants une plaisante assiette :À Zerbin j'enchaîne Henriette, Sans qu'ils puissent se voir ni se donner la main ;Et de plus, comme Médecin, Je les ai tous les deux forcés à la diète ;Et j'augmente leur soif, leur amour et leur faim. VIVATCHÉ. Bravo. Cette recette est bonne, et je l'estime :Mais cependant abrège le régimeDe ces deux pauvres amoureux. Je demande grâce pour eux. PRESTO. Je ne sais qu'obéir. Mais pour remplir vos vuesJe dois au diable un compliment :Il faut l'évoquer polimentPour opérer le désenchantement De mes deux vivantes statues,D'Henriette et de son amant. Vivatché, monte à une galerie régnante sur le port, et se place derrière des jalousies, dont il peut tout voir, sans être vu. SCÈNE II. PIANO, seul. ARIETTE.Démon de cette île harmonique,Esprit de musique,Sublime esprit mécanique, Seul inventeur des accompagnements ?Esprit de musique,Réponds aux agrémentsDe ma voix magique,Réponds à mes sons charmants. Esprit de musique,Démon chromatique,Génie uniqueDans la façon des instruments,Toi qui dans ce pays lyrique Fais, défais, et refais tous les enchantements,Esprit de musique,Démon harmonique,Réponds à ma voix magique,Viens obéir à mes commandements. SCÈNE III. Presto, Un esprit infernal. L'ESPRIT INFERNAL, en solfiant, dit le vers sur les notes. Ur, ré, mi, fa, sol, la, si, ut,Que veux-tu? je viens à ta voix. PRESTO, disant aussi le vers sur les notes. Ut, si, la, sol, fa, mi, re, ut.Tiens, prends, lis, fais ce que tu vois. SCÈNE IV. L'ESPRIT INFERNAL. Ut, ré, mi, ut,mi, Ut, ré, mi, fa, ut, fa ;Ut, ré, mi, fa, sol, ut, sol ;Ut, ré, mi, fa, sol, la, si, ut,Ut, ut. SCÈNE V. L'Esprit Infernal, Henriette, Zerbin, enchaîné, et assis, dos à dos, dans un fauteuil double, et tournant sur un pivot. L'ESPRIT INFERNAL. Sur le reste de cette histoire, Consultons, lisons mon grimoire. Il lit des caractères magiques au lutin, et chante.Oui, c'est moi-même ; et je suis ce lutin. ARIETTE.L'ordre CalotinDu destin ;Tin, tin, trelintintin HENRIETTE et ZERBIN. Cruel destin ! Cruel destin ! L'ESPRIT INFERNAL. Le destinVeut que ce couple d'amants pleure,Et chante, et gémisse, et demeure.Encore une heure Dans leur état incertain. HENRIETTE et ZERBIN. Cruel destin! cruel destin ! L'ESPRIT INFERNAL. C'est l'ordre CalotinDu destin,Tin, tin, tin, trelintintin. SCÈNE VI. Henriette, Zerbin, tournant lentement : ils sont alternativement arrêtés vis-à-vis des spectateurs aux vers qu'ils chantent. HENRIETTE. Sur l'Air : Quand on a bu, la tête tourne.Faudra que toujours je tourne,Tourne, tourne,Autour de l'objet de mes voeux ? ZERBIN. Permettez que je me retourne,Tourne, tourne, Ou retournez-la, justes Dieux. HENRIETTE. À l'Enchanteur qui nous tourneEt retourne,Notre amour déplut. ZERBIN. Plus le cruel nous tourne et nous retourne, Tourne, tourne,Moins nous arrivons au but. HENRIETTE. Méme air.Ô Déesse, qui toujours tourne, tourne !Ô Fortune, adoucissez-vous. ZERBIN. À la fin la tête nous tourne, tourne : Fortune, hélas ! Retournez-nous. HENRIETTE. Rien ne suspend, n'arrête, et ne détourneNos cruels tourments. ZERBIN. Que nous perdons depuis que l'on nous tourne !Tourne, tourne, De moments, d'heureux moments ! SCÈNE VII. L'Esprit Infernal, Henriette, Zerbin. L'ESPRIT INFERNAL, tenant à la main sa baguette magique. ARIETTE.Vos malheurs sont à leur terme.Chantez mes enfants, chantez ;Je sème autour de vous le feu de tous côtés,Ce feu magique renferme Il fait paraître du feu autour du plateau tournant.La vertu des secrets aux Enfers inventés :Point de peur : tenez-vous ferme,Vous voilà désenchantés ;Chantez, mes enfants, chantez. L'Esprit infernal s'abîme dans sa trappe, et Zerbin et Henriette se lèvent, et sont désenchantés. SCÈNE VIII. Henriette, Zerbin. DUO DIALOGUÉ. HENRIETTE. Enfin notre enchantement cesse. ZERBIN. Enfin notre tourment prend fin. HENRIETTE. Je meurs de soif et de tendresse. ZERBIN. Je meurs d'amour, je meurs de faim. HENRIETTE. Je meurs de soif. ZERBIN. Je meurs de faim. HENRIETTE. Je meurs de soif et de tendresse. ZERBIN. Je meurs d'amour, je meurs de faim. ENSEMBLE. Je meurs de soif et de tendresse.Je meurs d'amour, je meurs de faim. SCÈNE IX. Zerbin, Durbin, Henriette, Célenie. ZERBIN. Mais que vois-je ? Célénie, Durbin : mon cher Maître, je suis, je suis, je suis transporté. HENRIETTE. Ah ! Que je baise la main. CÉLENIE et DURBIN. Non, non, embrassez-nous. ZERBIN. Ah ! Monsieur, et pouvons-nous espérer ?... DURBIN. Oui, Zerbin, nos malheurs sont finis, le Magicien. ZERBIN. Ah ! Maudit Magicien ! DURBIN. Le Magicien a sauvé, comme tu vois, Célenie de l'état cruel... CÉLENIE. Non, mon cher Chevalier, c'est votre vue, c'est mon amour : et si ma raison égarée... DURBIN. Ah ! Divine Célenie, que ce sentiment m'est cher ! Mais la juste crainte où je suis... CÉLENIE. Non. La jalousie de la Sultane est trop intéressée à nous éloigner. ZERBIN. Hé, Seigneur, qu'avons-nous à craindre, tout ce que la Fée a prédit est arrivé : elle ne parlera pas, elle ne pensera pas. Et moi, si loin, si près. Vous ne doutez pas que vous ayez chanté, sans ce que vous chanterez : nous partons, nous partons. HENRIETTE. Et par quel moyen ? Ah, ciel ! La tête me tourne encore. DURBIN. Cela est tout simple. La Sultane nous a fait échapper secrètement : elle nous fait conduite à notre vaisseau ; il est prêt : et nous retournons à l'île de la Fée. CÉLENIE. Et c'est dans son Palais que je couronnerai votre amour. Mais quel bruit !... DURBIN. La Sultane va paraître ; et c'est le bruit des instruments qui la précèdent. SCÈNE X. Célenie, Durbin, Henriette, Zerbin, Piano, à la tête des Eunuques. PIANO. ARIETTE.Éloignez-vous, Éloignez-vous ; La Sultane s'avance.À quelque distanceDe nous,Éloignez-vous tous, Éloignez-vous.La Sultane va paraître ;Qu'on s'éloigne de toutes parts,Gardez-vous de jeter de profanes regardsSur l'objet des désirs de votre auguste Maître : La Sultane va paraître,Éloignez-vous tous,Éloignez-vous. CÉLENIE, DURBIN, HENRIETTE, ZERBIN. Éloignons-nous tous. SCÈNE XI. Les Acteurs précédents, Mélophanie. MÉLOPHANIE, en parlant. Qu'il s'attendent qu'on les rappelle. Et toi dont je connais le courage et le zèle,Cours, vole, conduis cette belle,Et ces étrangers avec elle. SCÈNE XII. Les Acteurs précédents, Vivatché, Presto. VIVATCHÉ, descend du balcon. Arrêtez, traîtres, arrêtez,Gardes, saisissez ces coupables. MÉLOPHANIE. Seigneur, c'est moi qui les rendais coupables. VIVATCHÉ. Et que mes ordres redoutablesA l'instant soient exécutés Presto les emmène prisonniers. SCÈNE XIII. Mélophanie, Vivatché, les Eunuques. MÉLOPHANIE, en parlant. Tu la retiens, et tu veux la reprendre ;Elle à qui ton amour n'inspire que l'horreur. Et moi qui t'aime avec fureur,Tu me quittes, cruel. Ah ! quelle est ton erreur ! ARIETTE.Des cris du désespoir je saurai me défendre.Non, je ne veux te faire entendre,Qu'une douleur tendre, Des soupirs pleins de douceur.Ah ! sans en être ému, peux-tu me voir répandreDes larmes qui partent du coeur ?Une douleur tendre,Des larmes qui partent du coeur, Ne pourront-ils me rendreTon amour et mon bonheur,Et dissiper ton erreur ? SCÈNE XIV. Vivatché, Mélophanie, Presto, Piano, Célenie, Durbin, Henriette, Zerbin. Pendant la Ritournelle de l'air que chante Mélophanie, les quatre étrangers viennent sur le devant de la scène. PRESTO. Seigneur, tous vos captifs vont quitter le rivage :Ils sont comblés de vos présents. Vous les voyez. MÉLOPHANIE. Grands Dieux ! CÉLENIE, HENRIETTE, DURBIN, ZERBIN. QUATUOR.Rendons, rendons hommageAux soins bienfaisantsDe l'auteur de notre voyage : Notre bonheur est son ouvrage !Que nos accentsReconnaissantsFassent retentir cette plage. TRIO. VIVATCHÉ, PRESTO. Leurs coeurs contents, Dans peu de tempsVont fuir loin de ce rivage.Bon voyage, bon voyage.Les sentimentsDe ces amants Me sont chers, et je les partage. MÉLOPHANIE. Ce que j'entendsDans ces instans,Me rend la force et le courage.Bon voyage. Ô doux moments !Transports charmantsQuoi, mon amant n'est point volage ! LE QUATUOR, reprend. Ah ! D'âge en âgeDans tous les temps, Que la gloire soit son partage :Formons pour lui des voeux constants,Notre bonheur est son ouvrage. SCÈNE XV et DERNIÈRE. Vivatché, Mélophanie, Presto, Piano. MÉLOPHANIE. Ils s'éloignent. Comment! ils quittent ce séjour ?Et votre coeur... VIVATCHÉ. Air : Princesse adorable.J'ai feint de traverser le projet favorableQue vous formiez pour leur retour ;Et j'ai voulu dans ce grand jourQue leur éloignement, pour vous si désirable,Fût l'ouvrage de mon amour. ARIETTE.Je n'aimai jamais Célenie.Non, je n'aimai jamais que vous,Que vous, belle Mélophanie ;J'éveillais votre amour par des soupçons jaloux.Je n'aimai jamais Célenie : Je n'aimerai jamais que vous. DUO. Je n'aimerai jamais que vous. VIVATCHÉ. Ah ! Déployons toute notre harmoniePour chanter des feux si doux.Unissons-nous, unissons-nous Pour chanter des feux si doux.Dans nos accords, dans notre symphonie ,Faisons briller les éclairs du génie.Unissons-nous, unissons-nous. ==================================================