******************************************************** DC.Title = LE PRINCIPAL TÉMOIN, SAYNETTE. DC.Author = COURTELINE, Georges DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Saynète DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 13/09/2021 à 06:25:10. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/COURTELINE_PRINCIPALTEMOIN.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k661258 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE PRINCIPAL TÉMOIN TRAGÉDIE EN VERS MÊLÉE DE PROSE. de GEORGES COURTELINE. Fontenay-aux-Roses - Imprimerie Louis Bellemand. PERSONNAGES.. LE COMBATTANT GRENOUILLOT. LE COCU COMBATTANT. LE TÉMOIN DE GRENOUILLOT. LE DIRECTEUR DE COMBAT, personnage muet. L'AUTRE TÉMOIN, personnage muet. ASSESSEURS, personnage muet. Une clairière dans la forêt de Saint-Germain. Extrait de "L'Illustre piégélé", Paris, Albin Michel, 1894. pp 51-57 LE PRINCIPAL TÉMOIN Comme horizon : une ceinture d'immobiles futaies qu'a dorées l'automne de tons de rouille. Comme plafond : un lourd ciel pommelé où rampent des chaos de montagnes aux crêtes argentées de blanc pur. À une centaine de pas l'un de l'autre, affectant de ne se pas voir, deux messieurs aux visages graves arpentent fiévreusement le terrain. Ils sont vêtus de noir des pieds à la tête, et, des collets dressés de leurs redingotes, ils dissimulent leurs faux-cols dont la blancheur risquerait de s'offrir, comme une cible, au visé de l'adversaire. À égale distance de chacun d'eux : le groupe des témoins. Le directeur du combat ? un grand monsieur à longue barbe, de qui les mouvements de tête balancent la colonne lumineuse d'un irréprochable chapeau de soie ? bourre méthodiquement un pistolet en tenant à ses assesseurs des discours fort intéressants, sans doute, mais qui s'évaporent dans le vent et dont les deux adversaires tâcheraient en vain de pénétrer le sens. LE COMBATTANT GRENOUILLOT, qui cause tout seul, en attendant le moment de passer à de plus périlleux exercices. Le ciel d'octobre est gris et la forêt est rousse ;L'automne se repaît de décès. ? J'ai la frousse, Et l'angoisse en sueur glace mon front. Un temps.Pourquoi Diable, ai-je été cocufier cet iroquois ?S'il m'allait, de son plomb lancé d'une main sûre... Dieux immortels, veillez ! Lyrique :Et quant à toi, Luxure,Fruit de l'arbre du mal au jardin de Satan,Sois maudite ! Ôte-toi de mon chemin ! Va-t'en !École du péché qui nous as pour élèves,Toi qui nous mets au coeur le fiel, aux mains les glaives, Toi qui plombes les teints et cernes les yeux creuxEt qui fait s'éplumer les pauvres coqs entre eux,Fuis, te dis-je ! Hâte-toi vers un autre rivage !De mon coeur, où la peur exerce son ravage,Fous le camp ! Longue et mélancolique rêverie.Échanger six balles !... À vingt pas !!! Brusque agacement.Ah ! Ça, ce principal témoin n'en finit pas ! Et le fait est qu'il n'en finit pas, ce témoin. Terriblement lent au gré du combattant Grenouillot, lequel, les nerfs sous pression, donnerait gros pour que l'honneur fût enfin proclamé satisfait, il s'obstine, depuis dix minutes, à bourrer, d'une même baguette, le canon d'un même pistolet.Pourquoi ? On n'en sait rien.C'est exaspérant ! Un temps. Continuation du jeu de scène du principal témoin. Soudain : LE COMBATTANT GRENOUILLOT en proie au déchaînement des tardifs repentirs :Non, mais quel besoin avais-jeDe goûter ce bonbon au goudron de Norvège ?Ce noir pruneau ?Ce sec hareng-saur dont la peauFlasque, se ride et tremble au vent, comme un drapeau ?... Quoi ! J'ai pu, de ce monstre enjuponné qu'adorneLe semblant d'à-peu-près d'un vague fessier morneEt de qui le corset fermé sur des manquantsÉvoque les murs nus des logements vacants,Envolupter les yeux énormes de dorade ?... Hélas, oui !... C'était la femme d'un camarade ;Par conséquent l'attrait d'un plaisir interdit...L'homme n'est qu'un fourneau ; c'est Pascal qui l'a dit.Né pour suivre tout droit et simplement la fileDes matins et des soirs que la Parque lui file, En cueillant au hasard de la main les fruits mûrsDont l'été fait danser les ombres sur les murs,Il lui faut le fumet des voluptés fraudéesEt des lapins tirés sur les chasses gardées !... Il hausse l'épaule, écoeuré à l'envisagé de la perversité humaine. Cependant, à vingt pas de là, le principal témoin bourre toujours son même pistolet, en sorte que c'est vraiment à en devenir enragé. De temps en temps seulement, le poing droit immobilisé sur le canon de l'arme où la baguette demeure plongée, il interrompt l'allée et venue automatique de sa dextre pour questionner les autres témoins, tournant tour à tour vers chacun de ces messieurs son visage ruisselant du désir de convaincre ; puis, visiblement satisfait d'avoir en effet convaincu, il reprend le cours de son petit exercice. LE COMBATTANT GRENOUILLOT, les dents serrées sur des fureurs qui se contiennent :Paquet !... Nouveau temps. Le principal témoin continue à bourrer son arme. LE COMBATTANT GRENOUILLOT, qui reprend le fil de son discours.Et ça finit toujours, bien entendu, Par le retour fâcheux autant qu'inattenduDu mari, qu'on croyait bien loin. Sur quoi, la turneConjugale s'emplit de vacarme nocturne :Cris de moutard à l'eau froide débarbouillé ;Coups, qui ne partent pas, d'un revolver rouillé ; Le plafond qui s'effrite en débris de coquilleSur le satin piqué du couvre-pied jonquille ;Et le sursaut des murs sous des coups de bélier !Et la vieille qui gueule : « Au feu ! " dans l'escalier !Enfin, tout le scandale affreux de l'adultère Grondant comme le flanc tourmenté d'un cratère !...Puis, c'est le châtiment, malfaiteur embusquéDerrière l'aléa d'un pistolet braqué ;Les coups de feu sonnent dans l'air comme des claques,L'herbe verte, soudain rougeoyante de laques... Il soupire.Ah ! J'ai regret d'avoir fait cet homme cocu. Brusquement.Si je pouvais donner de mon pied dans le culAu principal témoin, j'y prendrais, Dieu me damne,Plus de plaisir qu'à la lecture de Peau-d'Ane !Certes, j'en ai connu pour avoir du culot ; Ça ne fait rien ; je veux repousser du goulotAu point d'en ébranler les gens sous leurs rotules,Et prétends que mon nez se couvre de pustules,Si j'ai jamais rien vu pour être comparéAu démontant toupet de ce fils de curé ! Oui, je le hurle en le clairon d'un vers ternaire :Ce client-là n'est, nom de Dieu, pas ordinaire ! Il en a plein le dos, ce garçon ; et, à vrai dire, il y a de quoi. Soudain, la patience lui échappe ; une colère s'empare de lui, et aussi l'impérieux besoin de tenir la clef du mystère. Il s'avance à pas de loup vers le groupe des témoins, incline le buste, la main au pavillon de l'oreille, et demeure figé comme de la gelée de veau, à entendre s'exprimer dans les termes suivants qui, commis-voyageur en vin, ne laisse perdre aucune occasion de placer sa marchandise : LE TÉMOIN. C'est un petit bordeaux excellent, naturel, et qui deviendra supérieur avec quelques années de bouteille. Je vous le laisserais à deux cent quinze francs, tout rendu, et c'est bien parce que c'est vous, car à ce prix là, je ne gagne pas cent sous de commission. ==================================================