******************************************************** DC.Title = LE PRIX D'UNE GIFLE, COMÉDIE. DC.Author = COURTELINE, Georges DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:07:44. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/COURTELINE_PRIXDUNEGIFLE.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k661258 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE PRIX D'UNE GIFLE TOUS DROITS RESERVÉS. de GEORGES COURTELINE. FONTENAY AUX ROSES. Imp. LOUIS BELLEMAND. PERSONNAGES.. PRETIN. BOUGNASSE. L'HUISSIER. LEGAFFEUR. LE PRÉSIDENT. LE SUBSTITUT. LE BRIGADIER. Extrait de "Théodore cherche des allumettes, illustrations de L Bombled, Albert Guillaume, Barrère, et de Sta", Paris, Albin Michel, pp 32-45 LE PRIX D'UNE GIFLE L'HUISSIER. Petin contre Bougnasse ! - Petin ! PETIN, qui s'avance. Présent. L'HUISSIER. Bougnasse ! BOUGNASSE. Présent. L'HUISSIER. Approchez ! Placez-vous ici... Et vous là. Vous pouvez vous asseoir. Les deux hommes s'assooient. LE PRÉSIDENT, qui consulte le dossier, à Pétin. Levez-vous. Vous vous appelez Potin ? PETIN. Marc Hippolyte, Oscar. LE PRÉSIDENT. Comment ? PETIN. Marc, Hippolyte, Oscar. LE PRÉSIDENT, qui a mal entendu. Marquis ?... Vous êtes marquis ? LE SUBSTITUT. Marc, Hippolyte, Oscar. Ce sont ses prénoms. LE PRÉSIDENT. Ah fort bien ! Vous ne pouvez pas ouvrir la bouche !... Votre âge ? PETIN. Cinquante ans. LE PRÉSIDENT. Vous prétendez que Bougnasse vous aurait donné un soufflet ? PETIN. Oui, Monsieur le Président. LE PRÉSIDENT. Où ça ? PETIN. En pleine figure. LE PRÉSIDENT, agacé. Tâchez donc de comprendre ce qu'on vous dit. LE SUBSTITUT. On vous demande en quel lieu et non à quelle place. PETIN. Pardon !.... À la « Nouvelle-Athènes ! » LE PRÉSIDENT. Racontez-nous comment le fait s'est passé. PETIN. Monsieur, je vous dirai une bonne chose que c'est Monsieur Bougnasse qui m'a provoqué. Il faut vous dire que nous nous connaissons depuis les temps les plus reculés, que je l'ai eu pour témoin à ma noce, et qu'il venait dîner chez nous tous les jeudis à preuve qu'on faisait du veau, du navarin, des côtelettes à la casserole, des pieds de mouton, du petit salé au choux des... LE PRÉSIDENT. C'est bien, c'est bien. Et après ? PETIN. Bon ! Un beau jour, qu'est-ce qu'il fait ? Il se tire des pieds avec ma femme. Vous voyez d'ici ma tête. Je me dis : « Toi, mon vieux, que je te choppe jamais et tu verras si tu y coupes ! » Et, en effet, l'autre soir, voilà-t'y pas que je le rencontre au coin de la place Pigalle et du boulevard Rochechouart ? « Ah ! Te voilà que j'y fais. - Oui, qu'y me fait. Me voilà. - Eh ben, t'es un joli coco, que je lui fais. - À cause de quoi ? - À cause que tu t'es conduit comme le dernier des derniers. Tu m'as barboté ma femme, c'est des choses qui ne se font pas. Ou alors qu'est-ce qu'on est ? Un mufle ! - Eh ben, qu'y me fait, allons au café, qui me fait, nous causer sns en prenant un verre » , qui me fait. C'est très bien, nous entrons à la nouvelle-Athènes. Et là, voilà Monsieur Bougnasse qui commence à biberonner un bock, deux bocks, trois bocks, quatre bocks ! Une fine pour faire passer la bière, un rhum pour faire passer la fine, un kirch pour faire passer le rhum, tant et si bien qu'y se met à devenir insolent, je ne sais pas à propos de quoi. Disant que les femmes étaient toutes les mêmes, vadrouilles, volailles et compagnie, que la mienne valait pas les quatre fers d'un chien et que tout ça c'était de ma faute. Épaté, je veux placer un mot. « En voilà assez qui me fait. Et là-dessus cette brute... BOUGNASSE, indigné. Cette brute! LE SUBSTITUT. J'invite la partie civile à ne pas invectiver le prévenu, où je me verrai forcé d'attirer sur sa tête les justes sévérités de la loi. LE PRÉSIDENT. Vous entendez ? PETIN. J'entends, j'entends !... Je retire « brute ». Ce galant homme, cet homme du monde, ce dernier représentant de la bonne éducation et de la saine courtoisie française, m'envoya une paire de gifles qu'on dut entendre de Vaugirard. LE PRÉSIDENT. Et c'est tout ? PETIN. Mon Dieu, oui, c'est tout. LE PRÉSIDENT. Ce n'est pas bien grave. Monsieur le substitut ? LE SUBSTITUT. Je m'en rapporte à la sagesse du Tribunal. LE PRÉSIDENT, à Pétin. Vous pouvez vous asseoir... Bougnasse! Bougnasse se lève. Vous avez un avocat ? BOUGNASSE. Oui, Monsieur le Président. J'en ai arrêté un pour trois francs cinquante, tout à l'heure, à la buvette, Maître Legaffeur... LE SUBSTITUT. C'est cet ex-substitut de province qui a été révoqué au dernier changement de ministère et qui s'est depuis fait inscrire au barreau. LE PRÉSIDENT. Il devrait être ici, c'est insupportable. L'HUISSIER. Le voici, monsieur le président. LE PRÉSIDENT, à Legaffeur. Allons, maître Legaffeur, allons ! Le tribunal vous attend. LEGAFFEUR. Je suis prêt. LE PRÉSIDENT. Vous savez de quoi il s'agit ? LEGAFFEUR, à qui le substitut vient de communiquer le dossier. Petin contre Bougnasse... Euh ! Euh !... Ne vous inquiétez pas, monsieur le président. Il vient se placer derrière la petite tribune réservée à la défense et il commence à plaider.Messieurs,Si jamais prévention n'eut pas besoin d'être soutenue, c'est bien celle qui me vaut l'honneur de prendre aujourd'hui la parole devant vous. À peine au sortir de l'enfance, l'homme que vous avez à juger et que vous jugerez, j'en suis sûr, avec toute la sévérité que votre intégrité comporte, donna les signes les moins équivoques d'une nature réfractaire à tout bon sentiment. À cinq ans, il rouait de coups sa pauvre mère et il lui dérobait ses économies qu'il gaspillait en acquisitions de sucres d'orge et de cigares de cacao !... Vous dépeindrai-je, messieurs, la poignante douleur qui étreignait à ces cruels instants le coeur de cette excellente femme ? Hélas ! L'indignation m'étrangle, et... LE PRÉSIDENT, l'interrompant. Un mot, maître. Je ne me trompe pas ? Vous requérez bien l'application de la peine ? LEGAFFEUR. Avec la dernière énergie ! LE PRÉSIDENT, stupéfait. Mais vous êtes avocat ! LEGAFFEUR, plus stupéfait encore. Moi ? LE PRÉSIDENT. Dam ! LEGAFFEUR, se frappant le front. Eh ! C'est pardieu vrai ! Ce que c'est que l'habitude !... Je me croyais encore substitut. Souriant.Simple distraction. Avec volubilité.Plaise au Tribunal adopter mes conclusions, déclarer mon client recevable en sa plainte et condamner la partie adverse à cinquante mille francs de dommages et intérêts. Il plaide.Messieurs.Si jamais le bon droit d'un homme odieusement dépouillé sauta aux yeux de magistrats intègres, c'est bien, j'ose le dire, en l'espèce : Petit-fils d'un lieutenant-colonel de l'Empire qui laissa ses os à Iéna pour la défense des libertés qui nous sont chères ; fils d'un grenadier de la garde qui, sous les murs de Sébastopol, conquit l'étoile de l'honneur à la pointe de sa baïonnette. Petin, messieurs, est l'honnête homme dans l'acception la plus large du mot. Dès l'âge, le plus tendre il montra un penchant irrésistible pour la vertu, et par son application, par son amour du travail, il sut conquérir l'estime de ses professeurs et la tendresse de ses parents. L'heureuse famille. messieurs !... Qu'il me soit permis d'attarder un instant mes yeux sur le riant tableau que leur offrent monsieur et madame Petin père et mère, étreignant de leurs bras, les yeux baignés de douces larmes, le fils, espoir de leurs vieux ans, le fils... LE PRÉSIDENT. Un mot encore, maître Legaffeur. C'est bien pour Petin que vous plaidez ? LEGAFFEUR. Certainement. LE PRÉSIDENT. Mais vous êtes l'avocat de Bougnasse. LEGAFFEUR. Bah ? C'est bien possible, après tout. Souriant. Une simple erreur ! Je m'étais trompé de client. Changeant de ton.Plaise au tribunal adopter mes conclusions, renvoyer mon client des fins de la poursuite et condamner la partie civile aux dépens ! Il plaide.Messieurs, un lapsus linguae, dont votre clairvoyance a déjà fait justice, me faisait dire tout à l'heure de Petin ce que la plus stricte bonne foi me fait dire à présent de Bougnasse. Si jamais... LE PRÉSIDENT. Maître, l'heure s'avance. Si vous voulez, nous allons traiter à forfait pas de plaidoirie, pas de prison. LEGAFFEUR. Parfaitement ; Monsieur le Président. LE PRÉSIDENT, à Bougnasse. Seize francs d'amende. Vous pouvez vous retirer. BOUGNASSE, qui s'en va. Messieurs. PETIN, au Président. Combien ? LE PRÉSIDENT. Seize francs. ` PETIN, abasourdi. Seize francs !.... Voilà un drôle qui me tombe dessus sans motif, une soufflette en plein café, et il en est quitte pour seize francs. LE PRÉSIDENT. Ah ! Vous allez vous taire, n'est-ce pas ? PETIN. En Angleterre. LE PRÉSIDENT. L'Angleterre n'a rien à voir là-dedans. Laissez-nous tranquilles c'est jugé. PETIN. Il est joli, le jugement ! LE PRÉSIDENT. Plaît-il? PETIN, qui se dirige vers la porte. Des mufles, ces gens-là... Des mufles ! LE PRÉSIDENT. Gardes, emparez-vous de cet homme. Pétin, empoigné au collet, est amené devant le Tribunal. LE PRÉSIDENT. Retirez vos paroles PETIN, goguenard. Avec un peu de sauce ! LE PRÉSIDENT. Vous les maintenez ? PETIN. Absolument ! Étant donné le prix d'une gifle, un gros mot doit coûter dans les deux francs cinquante, je serais donc bien bête de faire des platitudes. LE PRÉSIDENT. Monsieur le substitut. LE SUBSTITUT. Je requiers l'application de la loi. LE PRÉSIDENT, le Code aux doigts. Le Tribunal, après avoir délibéré.Attendu que le présent jour Pétin a qualifié de mufles les magistrats siégeants en audience publique ; que ce propos tenu à haute et intelligible voix, puis maintenu, constitue un grave attentat au caractère et à la dignité de ces personnages ; qu'il constitue le délit prévu et puni par la loi d'outrage à des magistrats dans l'exercice de leurs fonctions ; par ces motifs, faisant application de l'article 222 du Code pénal, ainsi conçu : « Lorsque les magistrats auront reçu quelque outrage, celui qui les aura outragés sera puni d'un emprisonnement d'un mois de deux ans ; si l'outrage a eu lieu à l'audience, l'emprisonnement sera de deux à cinq ans. »Condamne Petin à deux ans de prison. PETIN. J'ai deux ans de prison à c't'heure ? LE PRÉSIDENT, aux Municipaux. Emmenez. PETIN. On m'a fichu une gifle, et, par-dessus le marché, on me flanque deux ans de prison. LE BRIGADIER. C'est bon ! C'est bon ! Vous causerez demain. PETIN, emmené. Si j'avais supposé qu'une gifle coûtât seize francs à donner et deux ans de prison à recevoir... La voix se perd dans l'éloignement. ==================================================