******************************************************** DC.Title = CÉPHALE ET PROCRIS, COMÉDIE DC.Author = DANCOURT, Florent Carton dit DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/11/2021 à 14:52:37. DC.Coverage = Grèce DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/DANCOURT_CEPHALEPROCRIS.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3052293x DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** CÉPHALE ET PROCRIS COMÉDIE avec un prologue et des divertissement Représentée pour la première fois le 27 Octobre 1711. M. DCC. XI. AVEC PRIVILÈGE DU ROI. De Mr DANCOURT Représentée pour la première fois le 27 Octobre 1711 au Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain. ACTEURS DU PROLOGUE MOMUS. THALIE, muse de la Comédie. ACTEURS DE LA COMÉDIE L'AURORE, amoureuse de Céphale. CÉPHALE, aimé de l'Aurore. PROCRIS, femme de Céphale. MERCURE. CALLITÉE, nymphe, confidente de l'Aurore. PHILACTE, confident de Céphale. DIONE, suivante de Procris. FAUNES et NYMPHES de la suite de l'Aurore. La scène est sur le Mont Hymette. PROLOGUE. Le théâtre représente un Palais magnifique, où conduisent de longues allées d'arbres et de jardins. Thalie, Momus. THALIE. [Note : Momus : Dieu de la raillerie. Les poètes disent qu'il était fils de la Nuit et du Sommeil, et que toute son occupation était d'examiner les actions des Dieux et des hommes, pour les tourner en raillerie et s'en moquer. [T]]Je n'ai point eu, Momus, une espérance vaine,[Note : Thémis : Nom propre d'une Déesse de l'Antiquité païenne. Elle était fille du Ciel et de la Terre. Thémis passait pour l'inventrice et la Déesse des Oracles et de la Divination. C'était elle qui enseignait aux hommes à demander, à souhaiter ce qui était juste et licite. [T]]La loi du Souverain, l'équité de Thémis,Par un ordre absolu, m'ont misEn droit de soutenir les honneurs de la scène ;J'ai triomphé d'un monde d'ennemis, Et malgré d'injustes cabales,[Note : Trivial : ordinaire, commun, vulgaire. [FC]]Avec les Muses triviales,[Note : Thalie : Parmi les Muses, elle présidait à la Comédie, et ce qui regarde les plantes et les arbres. [T]]On ne reverra plus Thalie en compromis. MOMUS. Je suis instruit de cette réussite,Muse charmante, et vous en félicite. Pour vous tirer d'un pareil embarras,Il vous fallait au moins cette double puissance,Et le Public, piqué de votre négligence,Se plaisait à vous voir dans un si mauvais pas.J'en étais fâché, moi ; mais s'il faut vous le dire, Ce n'était pas un violent chagrin,J'en riais quelquefois parce que j'aime à rire,Et je prévoyais bien quelle en serait la fin.Elle est telle qu'on la désire,Tout réussit au gré de vos souhaits. Pour répondre à tant de bienfaits,Que la protection, le bon droit vous attire,Quels soins prenez-vous ? Quels projetsJusqu'à présent avez-vous faits !Car il est des faveurs que l'on doit reconnaître. THALIE. Vous en serez surpris peut-être ;Au bruit de ce succès heureuxTel qui n'osait me consacrer ses veilles,Va désormais m'adresser tous ses voeux.Les Racines et les Corneilles, Momus, auront des successeurs ;Et tels des modernes Auteurs,Qui, par mes conseils, pour matièreOnt pris la critique des moeurs,Suivront, quoique de loin, les traces de Molière. Quand on ne peut atteindre au suprême degré,Il ne faut point rougir qu'un autre nous surmonte,À ce mortel illustre on peut céder sans honte,Et dans le second rang voir son nom consacré. MOMUS. Que ces modernes Auteurs tâchent De ne céder qu'à ce fameux Auteur. THALIE. Il en est entre eux qui s'attachentÀ ce dessein avec ardeur. MOMUS. Tant mieux ; mais laissons les Poètes,Et parlons un peu des Acteurs. Par eux, sur le dégoût qu'ont eu les Spectateurs,Quelques réflexions ont-elles été faites ?Je ne prétends en critiquer aucun.Du Public en cela j'évite la conduite :Il n'en est point qui soit sans talent, sans mérite ; Et sans vouloir flatter, je n'en connais pas un,Qui, s'il demeurait dans sa sphère,Ne pût être placé dans quelque caractèreÀ s'attirer des applaudissements.Nous en voyons l'exemple à tous moments ; Mais ce qui déplaît d'ordinaire,Ce sont certains dérangementsQu'on devrait éviter de faire. THALIE. Vous en parlez bien aisément. MOMUS. Je redis ce qu'on dit tout naturellement. Quand un Acteur néglige de paraître,S'imagine-t-il que celuiQui s'expose à jouer pour lui,En porte seul l'iniquité ? Peut-être.S'il le croit, il est dans l'erreur ; Il ne faut pas qu'on s'y méprenne.L'un est l'objet de la mauvaise humeur,Et l'autre celui de la haine. THALIE. Que voulez-vous que l'on fasse à cela ?Quelque droit que l'on ait d'y trouver à redire, Un Acteur bien souvent ne saurait pas suffireÀ jouer tous les jours tous les rôles qu'il a.On a la poitrine échauffée. MOMUS. D'un souper quelquefois poussé jusqu'au matin. THALIE. Quelque migraine, ou la voix étouffée. MOMUS. Ou quelque autre raison bonne ou mauvaise enfin ;Les Spectacles comme les vôtresDes Peuples en tous temps feraient tous les désirs,Si vos Acteurs ne prenaient leurs plaisirsQu'après avoir fait ceux des autres. THALIE. Momus n'est point adulateur,Il aime à critiquer, à blâmer et médire. MOMUS. Je fais profession de n'être point flatteur :[Note : Satire : ouvrage mordant. [FC]]Mais je ne veux lâcher aucun trait de satire ;Si ma morale vous déplaît, Restons-en là pour éviter querelle.De vos acteurs vous prenez l'intérêt ;C'est bien fait. Avez-vous quelque Pièce nouvelle,Pour soutenir la Scène avec honneur,Et du Public mériter la faveur ? C'est ce que tout Paris attend de votre zèle. THALIE. Oui, Céphale et Procris, un sujet fort connu. MOMUS. En sa faveur je suis mal prévenu.Sur la Scène à nos yeux quand un Poète étale[Note : Aurore : Jeune déesse que les poètes feignent avoir été femme de Titon et amante de Céphale. [R]][Note : Céphale : Fils de Déjonée, Roi de Phocide, épousa Procris, soeur d'Orithie, Roi d'Athènes. Céphale était bisaïeul d'Ulysse. Euripide dit que l'Aurore enleva aux Cieux Céphale après la mort de Procris. [T]]Et l'amour dont l'Aurore a brûlé pour Céphale, Et mes faiblesses de Procris,Forcé de débiter une étrange morale,[Note : Procris : Amante de Céphale, qui la tua involontairement.]Il s'embarrasse en un fâcheux dédale ;Et s'il s'en tire bien, je serai fort surpris. THALIE. Vous blâmer le sujet ? MOMUS. J'en aurais pris un autre. Je puis pourtant me tromper là-dessus. THALIE. Mais par quelle raison, Momus ?Pour moi je n'en sais point, expliquez-moi la vôtre. MOMUS. Je vous la dis. THALIE. Plaisante imagination !Si l'on s'effarouchait ainsi du caractère, Jamais ni Plaute ni Molière[Note : Amphitryon : Ce mot, qui est le nom d'un Roi de Mycènes et de Thèbes, est devenu François d'une manière proverbiale, pour exprimer celui qui donne à manger, ou qui paye pour plusieurs une certaine dépense. C'est Molière qui, sans y penser, a été l'Auteur de ce mot : car depuis qu'il a fait dire à Sosie que le véritable Amphitryon est celui chez qui l'on dîne, on demande qui est-ce qui est l'Amphitryon ? [T]]N'auraient traité l'Amphitryon. MOMUS. Le grand malheur ! Ils auraient pu mieux faire. THALIE. Je ne suis pas de votre opinion.Mais vous, n'auriez-vous point, pour décrier la Pièce, Quelque motif secret ? Parlez-moi franchement. MOMUS. Non, Je vous dis mon sentiment.Avec trop peu de politessePeut-être, mais du moins avec sincérité :Foi de Dieu et de probité, Sans en garantir la justesse,J'en garantis la vérité. THALIE. Le sujet est plaisant. MOMUS. Pas trop. THALIE. Il intéresse. MOMUS. Soit. Mais s'il faut vous parler net,Je vous avoue avec franchise, Que sur votre Théâtre un semblable sujetMe révolte et me scandalise.Pourquoi prendre parmi les Dieux,Sans égard pour ce que nous sommes,De quoi faire rire les hommes, Et nous donner nous-mêmes en spectacle à leurs yeux ?Pensez-vous que la foule idolâtreDe quelques pénétrants mortels,En nous voyant sur leur Théâtre,Ait du respect pour nos autels ? Et surtout au moment qu'on nous y fait paraîtreRidicules, et souvent telsQu'eux-mêmes rougiraient de l'être ? THALIE. Savez-vous que le sérieux,Momus, vous sied fort mal ? C'est le style comique, Sans contredit, qui vous convient le mieux ;Laissez donc là le pathétique,Et ne prenez point tant la querelle des Dieux.Ce n'est point moi qui rends leur conduite publique,On la connaît partout, en Terre, et dans les Cieux ; Hé qui d'entre eux à la cacher s'applique ?Ils semblent au contraire en faire vanité.À l'exemple des Dieux nous voyons les Déesses,Vouloir pour des vertus nous donner leurs faiblesses,À l'ombre de leur dignité. [Note : Thrace : Grande région de l'Europe ancienne, dont l'étendue a souvent varié. On lui donne généralement pour bornes au nord le Danube, à l'Est le Pont-Euxin et le Bosphore de Thrace, au Sud la Mer Égée et le Propontide, au Sud-ouest la Macédoine. [B]][Note : Adonis : Nom propre d'un jeune homme d'une rare beauté, né de l'inceste de Cyniras, Roi de Chypre, et de Myrrha sa fille. Il fut tué par un sanglier ; et Vénus, qui l'avait tendrement aimé, le changea en une fleur, qui fut teinte de son sang. C'est l'anémone rouge.]Jupiter a rempli le Ciel de ses maîtresses.La Mère des Amours, des Grâces et des Ris,D'entre les bras du Dieu de Thrace,Sans honte et sans scrupule passeDans les bras du jeune Adonis, Dont Anchise bientôt vient occuper la place.[Note : Anchise : Père d'Énée, l'un des principaux chefs des troyens. [T]][Note : Actéon : Nom propre d'un grand Chasseur, petit-fils de Cadmus, et fils d'Aristée et d'Autonoé. Étant à la chasse dans le territoire de Mégare, il surprit Diane dans le bain, et l'ayant contemplée pendant qu'elle était toute nue, il en devint épris, et selon Hygin, il la voulut même violer. La Déesse le métamorphosa en Cerf, et ses chiens l'ayant méconnu sous ce déguisement, le déchirèrent en morceaux, et le dévorèrent. [T]]Par le malheureux ActéonDiane dans le bain surprise,En fait grand bruit, d'abord rude punition ;Deux jours après d'un fol amour éprise, [Note : Endymion : Fils d'Aethilius et de Chalice, selon Apollodore, régna dans l'Elide. [T]]Elle passe des nuits avec Endymion.L'Aurore sans peur de scandaleQuitte Titon son vieux mari,Dans ses beaux jours si tendrement chéri,Et tient ménage avec Céphale. De ces intrigues-là tout le monde est instruit,[Note : Elide : Nom propre d'une ancienne contrée du Peloponèse. [T]]Chacun sait ce qu'il en doit croire,Et les défauts des Dieux ne font pas plus de bruitSur la scène que dans l'histoire. MOMUS. Mais vous qui hasardez d'en raisonner ainsi D'une façon si peu polie,Dites-moi, divine Thalie,N'avez-vous rien sur votre compte aussi ?Il est bon d'être exempt des défauts qu'on condamne. THALIE. [Note : Ménandre : Célèbre poète comique grec, était Athénien, fils de Diopithe et d'Hégésistrate, et né au bourg ou dème de Céphisia. [M]][Note : Aristophane : Célèbre poète comique, était fils de Philippe, et Athénien de naissance, suivant l'ancien auteur de sa vie, plus croyable à cet égard que Suidas, compilateur sans jugement. [M]]On m'a voulu donner Ménandre, Aristophane, Et tous deux ont été mes favoris, dit-on :Mais l'esprit seul eut part à ces intrigues. MOMUS. Bon.Vous et vos soeurs les vertueuses,Vous vous retranchez sue l'esprit :Mais, si l'on croit ce qu'on en dit, Vous n'êtes pas fort scrupuleuses. THALIE. Du moins sommes-nous bienheureusesQu'il n'y paraisse pas ; et si nous choisissonsDes favoris, des nourrissons,D'aucun enfant (fruit ordinaire Des amoureuses passions)Nulle de nous n'est encore mère. MOMUS. Vous avez de l'esprit, et vous vous en servezPour mieux cacher vos intrigues secrètes.Ces nourrissons que vous avez, Ces favoris, ce nombre de poètes ? THALIE. On eût pu soupçonner quelqu'un d'eux autrefoisDe nous devoir leur origine :Mais pour ceux d'à présent, je croisQu'il en est peu qu'on s'imagine Être issu de race divine. MOMUS. [Note : Enfants d'Apollon : les poètes.]Ils se disent pourtant tous enfants d'Apollon. THALIE. Le mensonge est leur apanage ;Du Dieu des vers enfants ou non,Ils usurpent ce droit dans le sacré vallon, La plupart aujourd'hui n'ont point d'autre héritage. MOMUS. C'est vous, c'est Apollon qu'on blâme de cela. THALIE. Nous ? Ce sont des enfants sans aveu, sans mérite,Qu'Apollon méconnaît, ou bien qu'il déshérite. MOMUS. Hé ! Madame Thalie, holà, Doucement, s'il vous plaît, la belle :Quoi ! Vous allez donner une pièce nouvelle,Et vous choquez ces messieurs-là ? THALIE. Je ne prétends choquer personne, je vous jure ;Au reste, je soumets l'ouvrage à la censure Des esprits solides et bons,Qui savent décider par de justes raisons,Louer, ou critiquer avec poids et mesure,Pénétrer, et connaître à fondLes traits de l'art, et ceux de la belle nature. Voilà les juges que je prends ;Je me fais un bonheur, un devoir de leur plaire,Je recherche avec soin leurs applaudissements :[Note : Frondeur : Celui ou celle qui aime la fronde, qui critique. [L]][Note : Pétulant : Qui est emporté fougueux, insolent.]Mais pour un tas de frondeurs pétulants,Critiques indiscrets, nation indocile, Usurpateurs du nom de beaux esprits du temps? MOMUS. Muse, halte-là, ce sont mes partisans ;Je les protège, et vous l'apprends.Ils sont tous d'humeur peu facile,Mauvais railleurs, et dangereux plaisants ; En leur faveur modérez votre style. THALIE. Les irriter n'est point ce que je veux ;Me préserve Apollon d'une pareille audace.Mais vous, prévenez-les, et tâchez qu'auprès d'euxCette nouveauté puisse aujourd'hui trouver grâce. MOMUS. Volontiers, il n'est rien que pour vous je ne fasse,Et si je réussis, je me tiens fort heureux.Mais j'entends un grand bruit, c'est un retour de chasse :De votre Pièce apparemmentC'est l'ouverture ? THALIE. Justement. MOMUS. À vos acteurs il faut céder la place :Vous avez posté vos amisPour applaudir, battre des mains, et rire ? THALIE. Moi ? MOMUS. C'est un usage permis,Je vais tâcher des miens d'arrêter la satire, De votre part les prier poliment,Pour aujourd'hui de ne rien dire,Pas même après le dénouement ;Mais demain? THALIE. Liberté de parler et d'écrire ;À leur critique, au jugement Qu'ils rendront, avec modestieJe me soumets aveuglément. MOMUS. Et vous faites fort sagement. THALIE. Jusqu'au revoir, Momus. MOMUS. Jusqu'à demain, Thalie. ACTE I SCÈNE I. PHILACTE, seul. Quel air pur et tranquille on respire en ces lieux ! Que Céphale à son gré s'y livre à ses alarmes,Ce beau séjour pour moi n'en a pas moins de charmes,Séjour favorisé des Dieux,Que mon Maître pour toi n'a-t-il les mêmes yeux !Dans les plus beaux jardins d'Athènes On ne voit point tant de diverses fleurs,Elles n'exhalent point de si douces odeurs,Et nos forêts n'ont point de chênesQui fournissent au voyageurTant d'ombre, ni tant de fraîcheur. Quelle main a percé ces longues avenues,Dont les arbres touchent les nues !Que ces bois sont délicieux !Mais ici franchement ce que j'aime le mieux,Ce sont les manières paisibles De certains animaux partout ailleurs terribles.Dans la dure nécessitéDe suivre Céphale à la chasse,J'avais toujours besoin ou de ruse, ou d'audace :Mais ici de tout soin je me trouve exempté, Un Sanglier, animal redouté,Dont l'aspect seul suffit pour le défendre,Comme un Lièvre à l'instant vient de se laisser prendre.De mille objets charmants l'esprit ici flatté,Ne craint dans les plaisirs que la facilité, Ordinaire poison des âmes,Par qui le vrai plaisir est fort souvent gâté.Ô l'aimable pays ! L'heureux séjour ! Les femmesY sont d'un agrément, d'une docilité?Quand par grand malheur de le mienne Le hasard veut que je me ressouvienne,Quel plaisir je ressens de m'en voir écarté !Mais j'aperçois une jeune beauté,Avec qui tout d'abord j'ai lié connaissance ;Assez content de mon premier début, Jusqu'au bout, s'il se peut, poussons sa complaisance. SCÈNE II. Philacte, Callitée. CALLITÉE. Au gracieux Philacte, honneur, joie et salut. PHILACTE. Très humble serviteur, charmante Callitée. CALLITÉE. Mais n'ai-je point troublé le tendre souvenirDe quelque aimable objet, dont votre âme flattée Se plaisait à s'entretenir ?De quelque agréable penséeJe vous distrais peut-être en ce moment ? PHILACTE. N'en soyez point embarrassée,Je pense toujours, moi, fort agréablement : Mais on ne jouit pas toujours de l'agrémentD'un entretien comme le vôtre ;J'en connais le prix mieux qu'un autre. CALLITÉE. Philacte est tout à fait galant. PHILACTE. Je fais profession de l'être, C'est mon premier métier, et mon plus beau talent,Et sans trop me flatter, j'y suis assez bon maître :Mais d'un objet charmant la vue et l'entretien,Fait qu'on a moins de peine encore à le paraître,Et la beauté ne gâte jamais rien. CALLITÉE. En vérité je suis ravieDe vous trouver pour moi de pareils sentiments :Mais laissons là les compliments,Bannissons la cérémonie. PHILACTE. C'est fort bien dit. CALLITÉE. Il ne tiendra qu'à vous Que désormais, tous deux d'intelligence,Nous n'ayons de concert un commerce entre nousD'entretien et de confiance,Et que par un retour sincère et mutuel? PHILACTE. Hélas très volontiers, je ne suis point cruel, Et jusqu'où vous voudrez nous pousserons l'affaire ;Je ne m'en dédis point, et je ne puis m'en taire,Voici le plus charmant séjour? CALLITÉE. Que dites-vous ? PHILACTE. Je n'en fais point mystère,Je dis que c'est ici pour moi le plus beau jour, Que je suis le mortel le plus heureux? CALLITÉE. Peut-être.Ne puis-pas, car je sais me connaître,Vous faire un bonheur tel que vous le souhaitez,Ou tel que vous le méritez ?Mais, et vous le savez, je sers une maîtresse. PHILACTE. Vous vous moquez de moi vraiment. CALLITÉE. Non, je parle sincèrement ;Il ne tiendra qu'à vous qu'elle ne s'intéresse? PHILACTE. Mais fi donc, vous n'y songez pas :Le ciel entre nous deux a mis trop d'intervalle Pour? Baste, elle fera le bonheur de Céphale,Et? Chargez-vous du mien, je ne m'en plaindrai pas. CALLITÉE. Nous y travaillerons de concert l'un et l'autre :Mais comme vous pouvez contribuer au nôtre,Je voudrais apprendre de vous? PHILACTE. Je veux aussi de vous savoir certaine chose. CALLITÉE. Très volontiers : mais la loi que j'impose,C'est que la bonne foi surtout règne entre nous. PHILACTE. D'accord, soit. CALLITÉE. Je veux pour vous marquer la mienne,Être la première à parler : Mais prenez garde ensuite à ne me rien celer. PHILACTE. Non, je vous le promets. CALLITÉE. Qu'il vous en souvienne.Quand on m'ose mentir, je sais le démêler,Je vois fort clair. PHILACTE. Tant mieux, c'est votre affaire,Et la mienne est à moi, que vous soyez sincère ; Soyez-le donc si vous pouvez.Le Prince Céphale, mon maître,Est un garçon bien fait, comme vous le savez,Mais modeste, fort sage, et des plus réservés,Comme vous l'ignorez peut-être. Fort bien. C'est là ce qui fait naître,Le goût que je crois qu'aujourd'huiVotre maîtresse a pris pour lui. CALLITÉE. Cela se pourrait bien, une coquette habile,Qui cherche des plaisirs solides et certains, Préfère la sagesse indolente et tranquille,Fût-ce même d'un imbécile,Au dangereux brillant des fameux libertins. PHILACTE. Ce n'est pas là le caractèreDu maître que je sers. Mais s'il ne faut rien taire, Ce qui nous arrive en ces lieuxNous surprend, et donne à tous deuxUne certaine défiance? CALLITÉE. C'est là ce qui le rend si retenu, je pense ? PHILACTE. Justement. CALLITÉE. Ainsi donc tous deux embarrassés? PHILACTE. Nous le sommes, ma foi, plus que vous ne pensez?[Note : Mont Hymette : Montagne de l'Attique. Les poètes en ont fort parlé ; on y trouvait un excellent miel. [T]]Hé ! Qui ne le serait ? Au pied du Mont Hymette,De nombre de chasseurs Céphale accompagné,Se trouve au rendez-vous qu'il avait désigné :Le Cerf débuche, et gagne un bosquet sur la droite ; Nos chiens après : nous suivons, nous allonsDe rochers en rochers, de vallons en vallons :Puis, par une route connue,Nous coupons dans la plaine où nous chassons à vue.Le Cerf regagne les hauteurs ; Nos chiens presque tous hors d'haleinePerdent la voie et chassent avec peine :La force manque aux plus hardis chasseurs.L'air s'obscurcit, le ciel se couvre d'un nuage,Chacun cherche à se mettre à couvert de l'orage, Nous restons seuls mon maître et moi ;Lui plein d'audace, et moi transi d'effroi.Les chiens près de nous se rassemblent ;Je crois m'apercevoir qu'ils tremblent,Et cet incident-là ne me rassure pas : Je ne fus de ma vie en pareil embarras.Mais le Soleil écarte enfin la nue,Plus beau, plus vif il reparaît :Quels prodiges alors s'offrent à notre vue !Nous ne connaissons plus ni route, ni forêt, Les rochers, les coteaux, tout a changé de place,Tout est perdu pour nous, les chasseurs et la chasse,Le Mont Hymette a disparu.Comment, par où retourner dans Athènes ?Nous suivons quelque temps des routes incertaines ; Puis après avoir bien couru,Plus fatigué d'inquiétudeQue de la course la plus rude,Triste rêveurs, près d'un étang,S'offre à nos yeux une biche au poil blanc. Nous, malgré notre lassitude,De la suivre dans le moment,Elle de fuir, mais lentement,Comme en craignant qu'on la perdît de vue.Elle nous guide aux bords d'un superbe canal, Dont l'onde baigne une longue avenue.Là, sur un roc d'où sort un torrent de cristal,[Note : Diane : Nom propre d'une Déesse des anciens païens. Les Grecs l'appellent Artémis. Diane était fille de Jupiter et de Latone, soeur jumelle d'Apollon, née avec lui, dans l'île de Délos, et élevée avec lui, comme le disent Hésiode dans sa Théogonie.]De Diane on voit la Statue ;Le roc lui sert de piédestal.Quoique faiblement poursuivie La biche fuit vers le rocher,Comme si pour sauver sa vieIl suffisait d'en approcher.La Statue aussitôt cesse d'être immobile,Elle semble baisser le bras Pour montrer qu'elle donne asileÀ l'animal tremblant dont nous suivons les pas.Cette biche, ô surprise extrême !Devient marbre à l'instant sans changer sa couleur ;Et nos chiens, transformés de même, Gardent les taches de la leur.Moi, de cette étrange aventureMoins surpris que mortifié,Je me tâtais partout, et croyais je vous jure,Que j'avais déjà la peau dure, [Note : Marbrifié : devenir de marbre, comme la marbre : froid et dur.]Et que j'allais bientôt être marbrifié.Je ne sais pas quelle figureFaisait mon maître alors de son côté ;Mais je crois bien en véritéQu'en lui, tout comme en moi, souffrait dame nature. Je ne vous dirai pas comment le reste alla,Je ne vis point comment votre aimable maîtresseAvec sa suite arriva là :Je tombai, je pense, en faiblesse,Et me trouvai le soir dans ce Palais, Où nous avons sans doute une charmante hôtesse,Qui pour nous régaler ne prend point garde aux frais ;Où mille doux plaisirs se présentent sans cesse ;Où vous m'offrez le plus heureux destin,Séjour digne des Dieux, et trop beau pour les hommes ; Où nous nous plairions fort enfin,Si nous n'ignorions où nous sommes. CALLITÉE. Le grand malheur ! Au milieu des plaisirs,Qu'importe en quels lieux on les prenne ?Curiosité sotte et vaine. Hé ! Que peut-il ici manquer à vos désirs ? PHILACTE. Notre maison, nos Dieux, notre Patrie. CALLITÉE. La plaisante bizarrerie !La patrie est là où l'on est bien.L'homme est un habitant du monde : Et croyez-moi, partout où le plaisir abondeUn sage ne souhaite rien. PHILACTE. Faut-il vous avouer le sujet de nos peines ?Mon maître et moi nous sommes fort connus,Et l'on ne sait aujourd'hui dans Athènes Ce que nous sommes devenus :On fait, pour nous trouver, mille recherches vaines,Peut-être y passons-nous pour de francs libertins ;Quand les gens sont absents vous savez comme on cause.Et si? l'esprit frappé de quelque faux soupçon, Nos femmes? car enfin quelquefois que sait-on ?De notre égarement croyant savoir la cause,Allaient? pour éviter la suite de la chose,Il est bon qu'à notre retour,(Car nous les reverrons peut-être quelque jour,) Nous puissions tout au moins leur direQuel lieu nous avons habité,Avec qui nous aurons été.Daignez, s'il vous plaît, m'en instruire,Contentez là-dessus ma curiosité ; Vous ne sauriez vous en dédire,Et vous m'avez promis de la sincérité. CALLITÉE. Je veux bien satisfaire au désir qui vous presse :Mais? PHILACTE. Ne craignez rien. CALLITÉE. Ma maîtresseSent pour Céphale un violent amour. PHILACTE. C'est parler net et sans détour,Et ceci n'est point bagatelle ;J'y prends, moi, pour mon compte, un notable intérêt.Mais expliquons-nous, s'il vous plaît :Cette maîtresse, quelle est-elle ? Nous autres gens de qualitéNous connaissons sans vanitéLes bonnes maisons de la Grèce,Et je n'y sais point de PrincesseNi d'une pareille beauté, Ni d'une si grande richesse. CALLITÉE. Elle a moins de fortune encore que d'appas,Il n'est point de beauté comparable à la sienne,Pour Princesse elle ne l'est pas. PHILACTE. Que diable est-elle donc ? Quelque Magicienne, Qui par enchantement cherche à se faire aimer ?Nous savons tout ce qu'on publieDes charmes de la Thessalie,Et nous ne sommes point gens à nous laisser charmer.[Note : Larisse : Nom propre d'une ancienne ville de la Grèce. Elle est dans la Thessalie, sur une colline, entre le golfe de Zelton, et celui de l'Armiro, à onze ou douze lieues de Démétriade. [T]]Il est des vieilles dans Larisse Qui ne font point d'autre métierQue de plaire par artifice :Je me connais en semblable gibier,Et mon maître n'est pas novice. CALLITÉE. Oh bien, il n'est ici question sûrement De vieille ni d'enchantement. PHILACTE. Je n'en répondrais pas. Depuis notre arrivéeJe l'ai quelque fouis observée. CALLITÉE. Hé ! Pour prendre un soupçon pareil,Qu'avez-vous vu ? PHILACTE. Qu'avant le lever du soleil,À petit bruit sans suite aucune,Mystérieusement elle sort du Palais ;Et puis quelques moments aprèsJ'ai remarqué qu'on voit pâlir la Lune : Ce sont là des enchantementsLes effets les plus ordinaires. CALLITÉE. Fort bien. PHILACTE. Je ne me trompe guères,Elle revient au bout de quelque temps ;À son retour elle rentre en cachette Dans un appartement des bains,Elle s'y met à sa toilette ;Et si mes soupçons ne sont vains,Ses charmes les plus forts sont dans une cassette.[Note : Hem : Mot Latin devenu français, qui sert pour appeler quelqu'un, ou lui faire signe. [F] Hem, hem, se dit quelquefois pour faire comprendre, sans l'exprimer, une pensée, et surtout une pensée défavorable. [L]]Vous riez ? Hem. CALLITÉE. Je ris des sentiments humains, Dans quel aveuglement l'apparence les jette,À combien de soupçons diversLes expose une erreur funeste ?La Divinité que je sers? PHILACTE. [Note : Malepeste : Imprécation qu'on fait contre quelque chose, et quelquefois avec admiration. [F]]Une Divinité, dites-vous ? Malepeste. CALLITÉE. Ouvre la barrière du jour ;Enfin, c'est l'Aurore elle-même,Qui pour Céphale a tant d'amour.Il est sûr d'un bonheur extrême,S'il devient sensible à son tour : Mais lorsqu'il apprendra que la Déesse l'aime,S'il tarde à répondre à ses voeux,Il peut compter que pour peu qu'il diffère? PHILACTE. Différer, lui ? Je réponds du contraire,Et vous le garantis tout d'abord amoureux. Voilà ce qui s'appelle une bonne fortune :L'Aurore? n'en déplaise, à l'éclat du haut rang,Il est des Déesses pourtantDe qui la passion pourrait être importune ;Mais ici tout promet le plus charmant bonheur ; Grâces, jeunesse, attraits, et de l'amour encore.[Note : Tudieu : interj. Juron de l'ancienne comédie. [L]]Tudieu, quelle éveillée est Madame l'Aurore,Et quels droits sa beauté lui donne sur un coeur !Vous qui servez cette aimable maîtresse,Vous êtes Nymphe ? CALLITÉE. Justement. PHILACTE. Et favorite, apparemment ? CALLITÉE. J'ai le secret de la Déesse. PHILACTE. [Note : Diantre : Terme populaire dont se servent ceux qui font scrupule de nommer le Diable. On dit aussi absolument diantre, par manière d'exclamation. [F]]Diantre. Si par hasard il vous prenait pour moiLe même goût qu'elle a pris pour mon maître ? CALLITÉE. Je ne risquerais rien de le faire connaître, Vous auriez la bonté d'y répondre. PHILACTE. Oui, ma foi. CALLITÉE. Je le crois : mais enfin, vous savez quelle loiNous nous venons d'imposer l'un à l'autre,J'ai tenu ma parole, il faut tenir la vôtre,Et me parler sincèrement. PHILACTE. Interrogez en assurance. CALLITÉE. Céphale n'a-t-il point de tendre engagement ?Est-il libre ? PHILACTE. Comment ? Vous vous moquez, je pense ?Fi donc. CALLITÉE. Quoi ! Là-dessus vous gardez le silence ?Il vous sied bien, vraiment, de faire le discret. PHILACTE. Dans le coeur des mortels, est-il quelque secretQue ne pénètre une Déesse ? CALLITÉE. Oui, quand par goût, ou par faiblesseLe coeur d'une DivinitéSe livre tout à la tendresse, Alors celui de son amant,Est impénétrable pour elle ;Elle n'y voit pas plus qu'une simple mortelle,Et la loi du destin les traite également :C'est là, depuis trois jours, ce qui fait que l'Aurore Hésite à découvrir son rang et son ardeur ;Et vous l'ignoreriez encore,Si je vous croyais un causeur. PHILACTE. Hé, De quelle vaine frayeurL'Aurore est-elle inquiétée ? CALLITÉE. [Note : Érecthée : Nom propre d'homme qui fut déïfié. Il était Égyptien d'origine, et fut le sixième des Rois d'Athènes. Érecthée fut mis au nombre des Dieux, pour avoir immolé une de ses filles, en obéissant à l'Oracle, qui lui prédit que s'il le faisait, il vaincrait Eumolpus Roi des Thraces.]Céphale aime, dit-on, la fille d'Érecthée. PHILACTE. [Note : Fi : Particule qui sert à faire une exclamation pour témoigner le mépris, la haine, l'aversion qu'on a pour quelque personne ou quelque chose. [F]]Procris ? Fi, donc. CALLITÉE. D'où vient que vous vous récriez ? PHILACTE. Vous n'avez rien à craindre, ils sont? CALLITÉE. Quoi ? PHILACTE. Mariés. CALLITÉE. Et c'est là ce qui doit intriguer davantage. PHILACTE. Leur tendresse a fini son cours ; Trois semaines de mariage,Emportent le beau des amours,Le mois n'est pas fini qu'on a plus rien dans l'âme :Dès le lendemain, moi, je haïssais ma femme,Et ma haine ne fait qu'augmenter tous les jours. CALLITÉE. Si votre maître aimait encore la sienne,L'Aurore? PHILACTE. Là-dessus que rien ne la retienne ;Hé, que doit craindre un coeur comme le sien ?Peut-être elle ressent quelque petite honteÀ débaucher ainsi, dans l'ardeur qui la dompte, Un nouveau marié ? Cela n'est pas trop bien,Dans le fond : mais au bout du compte,On n'est pas Déesse pour rien,Chez les mortels à des bornes étroitesLa morale restreint : mais les Dieux ont leurs droits, Et la sévérité des loisN'est pas pour ceux qui les ont faites. CALLITÉE. Il faut bien que le rang excuse quelquefois. PHILACTE. Le vôtre porte aussi son excuse. CALLITÉE. Sans doute. PHILACTE. Et vous en profitez de votre mieux. CALLITÉE. D'accord : La haute qualité dans les plaisirs qu'on goûte,Embarrasse souvent très fort.En de certains moments trouvez-vous qu'on ait tort,De regagner un peu d'ailleurs ce qu'il en coûte ?Mais Céphale vient en ces lieux ; Il ignore encore sa conquête :Il est sombre, rêveur ; qu'aurait-il dans la tête ? PHILACTE. Toujours notre aventure est présente à ses yeux. CALLITÉE. Observons-le un moment, nous en jugerons mieux. SCÈNE III. Céphale, Callitée, Philacte. CÉPHALE. Par quelle puissance secrète En ces lieux suis-je retenu ?Quelles mains sur le mont HymetteA placé ces jardins, ce Palais inconnu ?Non, mes craintes ne sont point vaines,J'éprouve un juste courroux. Du bonheur que l'hymen m'avait fait dans Athènes,Les Dieux sont devenus jaloux,Que dois-je présumer d'une telle aventure ?Veulent-ils donc me rendre infidèle, parjure ?Pensent-ils que sensible à de nouveaux appas? Hé, qui des Immortels faudra-t-il que j'imploreDans le trouble qui me dévore ?Si quelqu'un d'eux peut-être ici retient mes pasPour m'enlever l'épouse que j'adore. PHILACTE. Cette cervelle-là n'est pas sans embarras, S'il poursuit sur ce ton, quels maux il nous apprête. CALLITÉE. L'embarras est au coeur beaucoup plus qu'à la tête,Et l'Amour seul peut ainsi l'occuper PHILACTE. Vous pourriez ne vous pas tromper,Je vous crois là-dessus beaucoup de connaissance. CÉPHALE. Pour un coeur vivement épris,Quel affreux tourment que l'absence,Procris, adorable Procris ! CALLITÉE. Il parle de Procris, je pense. PHILACTE. [Note : Marmotter : mot bas qui signifie parler entre les dents, remuer les lèvres sans se faire entendre. [F]]Oui, j'entends marmotter quelque chose à peu près, Fi, le vilain, il est amoureux de sa femme. CALLITÉE. Il se songe qu'à ses attraits,Toujours la même ardeur l'enflamme. CÉPHALE. Procris, si quelque Dieu devenu votre amant,Dans ces lieux malgré moi m'arrête, Pour profiter de mon éloignement,Il s'efforcera vainementDe vous faire un jour sa conquête :Je ne crains point, au mépris de ma foi,Que vous le préfériez à moi. PHILACTE. Trouvez-vous que de sa personneIl ait mauvaise opinion ? CALLITÉE. Tout au contraire, il l'a très bonne,Ses discours en sont caution. CÉPHALE. Soyez aussi, Procris, sûre de ma constance : [Note : Vénus : Fausse Divinité des païens, les poètes ont feint qu'elle est la mère des Grâces et des Amours. C'était la Déesse de la beauté et de la volupté. On remarquait dans le visage, et dans la posture de Vénus une beauté molle, et une langueur passionnée. [T]]Vénus, la mère de l'Amour,M'arrêterait en vain dans ce charmant séjour ;Pour vous ravir un coeur à vous par préférence,Je verrais tout l'Olympe à mes voeux opposé,Que je vous répondrais de ma persévérance. CALLITÉE. Voilà pour ma maîtresse un coeur bien disposé. PHILACTE. Les gens qui parlent seuls parlent avec franchise ;Je crois que d'un pareil discoursNous ne ferons pas mal d'en interrompre le cours,Il pourrait bien encore lâcher quelque sottise : Je connais ces amoureux-là.Hom, hom. CÉPHALE. C'est toi, Philacte ? PHILACTE. Oui, Seigneur, me voilà.Mais je ne suis pas seul, et l'on doit prendre gardeQuand on rêve tout haut à ce que l'on hasarde ;Ce que l'on pense ainsi rarement est secret, Rêver tout bas est plus discret :Ce sont ménagements que la raison demande,Et c'est comme j'ai, moi, coutume d'en agir. CÉPHALE. Quand de ses sentiments on n'a point à rougir,On ne craint pas qu'on les entende. CALLITÉE. On n'a point à rougir, Seigneur, d'être amoureux :Mais permettez que j'ose vous le dire,De cette ardeur qui vous inspireL'aveu dans ce séjour peut-être dangereux ;Non qu'aux traits de l'amour on veuille ici prétendre Ferme votre coeur et vos yeux,Il sied bien d'avoir un coeur tendre,Et vous ne pouvez faire mieux? CÉPHALE. Achevez un discours que j'ai peine à comprendre. CALLITÉE. Vous paraissez surpris ? CÉPHALE. Ce n'est pas sans sujet. CALLITÉE. Plus clairement je vais me faire entendre :Aimez, Seigneur, c'est fort bien fait,Gardez-vous de vous en défendre ;Mais songez à changer d'objet ;En suivant mes conseils vous pouvez vous attendre À jouir d'un bonheur parfait. PHILACTE. Ne parlez point de ces extravagances,Je saurai par mes remontrancesLe remettre dans son devoir. SCÈNE IV. Céphale, Philacte. CÉPHALE. Quel est donc ce bonheur qu'on me fait entrevoir ? PHILACTE. Un bonheur qu'entre nous vous ne méritez guères. CÉPHALE. Comment ? PHILACTE. La chose est sérieuse, au moins. CÉPHALE. Explique-toi. PHILACTE. Ceci mérite assez nos soins. CÉPHALE. Mais? PHILACTE. Ce ne sont pas des chimères. CÉPHALE. Mais encore ? PHILACTE. Si je n'eusse interrompu le cours De vos extravagants discours,Vous faisiez de belles affaires. CÉPHALE. Hé, qui te fait m'oser parler ainsi ? PHILACTE. Parbleu, c'est un excès de zèle,Savez-vous bien, Monsieur l'époux fidèle, Chez qui nous nous trouvons ici ? CÉPHALE. Moi ? Non, Philacte, je l'ignore. PHILACTE. On m'a bien défendu de vous en dire rien. CÉPHALE. Apprends-le-moi, n'importe. PHILACTE. Il n'est pas temps encore ;Et le secret pourtant déjà m'étouffe. CÉPHALE. Hé bien ? PHILACTE. Je vous le dis à vous par forme d'entretien,N'en parlez pas. CÉPHALE. Non, non. PHILACTE. Nous sommes chez l'Aurore. CÉPHALE. Chez l'Aurore ! PHILACTE. Oui, vous y voilà ;C'est une bonne auberge, au moins, que celle-là,Si vous saviez pour vous jusqu'où va sa folie ? CÉPHALE. L'Aurore ! Ah, Ciel, quelle fatalité ! PHILACTE. Sa Nymphe d'honneur est jolie,Elle a pour moi du faible aussi de son côté. CÉPHALE. On prétend en vain que j'oublieVos attraits, charmante Procris. PHILACTE. Les oublier ! Oh, je vous en défie,La peste, à trop bon droit vous en êtes épris !Mais n'en disons mot, je vous prie ;L'Aurore est à ma fantaisieUne aimable Divinité, Avec qui sans cérémonie,Sans crainte, sans difficulté,Sans nuire, sans tracasserie ;Et sans trop déranger cette fidélitéDont pour Procris vous faites vanité, Vous pourriez bien d'amour lier quelque partie,J'en serais fort content, car je suis fort tenté,Lorsqu'aux plaisirs ici tout nous convie,De faire pour en prendre une société.Cette maîtresse Nymphe est faite à faire envie, Et je lui crois pour moi de la docilité.Mais la Déesse approche, et je la vois paraître :C'est à nous qu'on en veut, on nous abordera ;Et pour voir ce qu'on nous dira,Feignons d'abord de ne la pas connaître. SCÈNE V. L'Aurore, Céphale, Callitée, Philacte. CÉPHALE, à part. Ciel, de quel mouvement je me trouve agité !Est-ce respect, crainte ou faiblesse ?Ah ! Cachons pour Procris jusqu'où va ma tendresse,Et tâchons, en flattant les voeux de la Déesse,De recouvrer ma liberté. L'AURORE. Quoi, Céphale ! En ces lieux vous n'avez d'autres soins,Que de chercher la solitude ?Ce qui doit vous toucher vous occupe le moins,Et tout entier à votre inquiétude,Vous craignez d'en avoir nos regards pour témoins. Rien ne s'est-il ici offert à votre vueDigne de votre attention ?Et de tout autre objet votre âme prévenue,Voit-elle sans émotionLes effets que produit dans cette occasion, De quelque Dieu la puissance absolue ? CÉPHALE. Madame, le trouble où je suisNe me laisse point à moi-même,Et dans une surprise extrême,Plein de respect, me taire est tout ce que je puis, Un triste souvenir dont j'ai l'âme remplie? L'AURORE. Ah ! Si cette mélancolieN'était qu'un simple effet de votre étonnement,Pour vous en tirer aisément,Le moindre effort serait utile, Rien ne vous troublerait ici ;Si votre coeur était tranquille,Votre esprit le serait aussi. CÉPHALE. L'un ni l'autre ne peuvent l'être ;De tout ce que je vois interdit et confus, Je fais des efforts superflusPour cacher des chagrins dont je ne suis pas maître,Contraint de les laisser à regret éclater? L'AURORE. Quelle fortune, heureux Céphale,Si vous saviez la mériter, À la vôtre serait égale ?Ce superbe Palais, ces jardins et ces bois,Qui tiennent aujourd'hui la placeDe ces autres forêts, que l'ardeur de la chasseVous fit parcourir tant de fois ; Ce changement qui vous fait méconnaîtreEn quels climats vous habitez,Et les lieux les plus fréquentésOù vous aviez coutume d'être ;La pureté de l'air qu'ici vous respirez, Cette puissance invisible et suprême,Qui sait par des ressorts, des mortels ignorés,Vous retenir malgré vous-même,Mes regards ; tout enfin vous laisse-t-il douterDes sentiments d'une Immortelle, Qui tâche de vous arrêterDans une demeure si belle,Et qui ne craindrait point de laisser éclaterCe qu'elle sent pour vous, si vous brûliez pour elle ? PHILACTE, bas à Céphale. Le compliment est bien écrit, Seigneur, on attend la réponse. CALLITÉE, bas à l'Aurore. Il se tait, il est interdit,Madame, quel succès son trouble nous annonce ! L'AURORE. Vous pâlissez, vous vous troublez :Cet embarras, ce long silence, Cette incertitude m'offense,Céphale, expliquez-vous, parlez :Je ne sais point des coeurs pénétrer le mystère,Et n'ai nul droit de les contraindre en rien.Êtes-vous maître encor du vôtre, et peut-il faire L'attachement, les délices du mien ? CÉPHALE, à genoux. Sur le coeur des mortels quels droits n'a point, Madame,Une aimable Divinité ?En est-il que votre beautéDes feux les plus ardents n'enflamme ? Vous rallumez ceux du flambeau du jour,L'Univers vous doit la lumière,Vous pouvez de ceux de l'amourEmbraser la nature entière ;Maîtresse de nos libertés, De tous nos voeux arbitre souveraine? L'AURORE. Céphale, levez-vous, tant de respect me gêne,Et l'amour n'admet point ces inégalitésEntre deux coeurs unis d'une égale tendresse. PHILACTE, à part. La bonne pâte de Déesse ! CÉPHALE. De tout ce que j'entends charmé, quoique incertain,Dans quel trouble nouveau tant de faveurs me plonge ?Tout ceci me paraît un songeDont je tremble de voir la fin.Ah ! C'en est un sans doute, et ce bonheur insigne? PHILACTE. Dépêchez-vous d'en faire une réalité. CÉPHALE. Un simple mortel n'est pas digneQu'il devienne une vérité. L'AURORE. Aimez, Céphale, aimez, mais avec confiance ;Méritez par vos soins et par votre constance, D'être l'unique objet de mes voeux les plus doux :Je ne veux être aimable que pour vous.Et si l'auteur de la lumière,Le Soleil, le plus beau des Dieux,À qui tous les matins, pour sa vaste carrière, J'ouvre la barrière des Cieux,M'offrait ses soins et ses plus tendres voeux,Céphale aurait sur lui la préférence entière. CÉPHALE. Et moi, Déesse, et moi, comblé de vos bontés,Par quel encens, par quelle offrande, Puis-je payer jamais une faveur si grande ?Je vous consacrerai toutes mes volontés.Dans tous les lieux soumis à ma puissanceJe vous élèverai des temples, des autels,Où mes Peuples chargés de ma reconnaissance, Iront vous adresser leurs voeux par préférenceÀ tous les autres Immortels :Ouvrez-moi les routes d'Athènes,Et dès le même instant que j'y suis de retour? L'AURORE. Céphale, quels discours, quelles promesses vaines ? Vous me parlez d'encens, je vous parle d'amour :C'est votre coeur que je demande,Temples, autels, sans lui rien ne me peut flatter,Je dédaigne toute autre offrande,C'est la seule envers moi qui vous puisse acquitter. CÉPHALE. Madame? L'AURORE. De l'amour le plus vif, le plus tendreJe vous ai fait Céphale, un indiscret aveu ;Songez bien au parti que vous avez à prendre. CÉPHALE. Ah ! Si jamais ce coeur? L'AURORE. Laissez-moi seule. Adieu. PHILACTE. Le brutal ! Quels regards la Déesse nous jette, Elle est dans un fort grand courroux ;Tout allait bien d'abord, j'ai cru l'affaire faite :Madame, au moins? L'AURORE. Retirez-vous. PHILACTE. Ciel ! Comment réparerons-nousL'impertinence qu'il a faite ? SCÈNE VI. L'Aurore, Callitée. L'AURORE. J'aime un mortel qui ne sent rien pour moi !De quel dépit cruel je me sens agitée :Je l'avais prévu, Callitée ;À mes pressentiments que n'ai-je ajouté foi ?On me préfère la fille d'Érecthée ? L'ingrat Céphale instruit de mon amourNe prend nulle part à mes peines,Pour lui ces lieux charmants sont un affreux séjour,Tous ses soins, tous ses voeux l'emportent vers Athènes,Il ne songe qu'à son retour. CALLITÉE. Je ne sais, mais, Madame, ou je suis fort trompée,Ou je crois que dans peu de temps,De quelques soins plus importants,Nous lui verrons l'âme occupée :Vos yeux en le quittant ont lancé certains traits : Eût-on le coeur le moins sensible,Madame, il est presque impossibleDe résister à tant d'attraits. L'AURORE. Ah ! Cesse de vanter des charmesPour qui l'on n'a que du mépris, Ils cèdent à ceux de Procris. CALLITÉE. Vous prenez de vaines alarmes,Point de dépit, point de langueur,De Céphale aujourd'hui nous réduirons le coeur :Il balance déjà, peut-être il délibère, Aux feux d'une Déesse on fait attention.Il se rendra, vous dis-je, et j'en suis caution ;Je m'y connais. C'est moi qui conduisis l'affaireDe Diane et d'Endymion,Qui d'abord n'était pas moins difficile à faire. L'AURORE. À ta conduite, à ta discrétion,Je m'abandonne toute entière.Mais quel mortel est assez témérairePour approcher d'ici sans ma permission ? CALLITÉE. Ce n'est pont un mortel, c'est un Dieu, c'est Mercure. SCÈNE VII. L'Aurore, Callitée, Mercure. MERCURE. C'est moi-même, il est vrai, vous avez de bons yeux. L'AURORE. Hé ! Par quelle heureuse aventureVoit-on Mercure dans ces lieux ? MERCURE. L'aventure n'a rien qui soit fort gracieux,Et j'aurais bien voulu m'épargner le voyage. L'AURORE. Comment donc ! Et quel est ce lugubre équipage ? MERCURE. Il vous paraît tous des plus sérieux,Aussi l'est-il. L'AURORE. Et de mauvais augure. MERCURE. Il est vrai, vous avez raison :Mais il faut malgré moi prendre cette figure, [Note : Pluton : nom romain du dieu grec Hadès, dieu des Enfers.]Toutes les fois que chez PlutonJe vais des morts conduire la voiture[Note : Caron : Divinité de l'enfer dont la charge était de faire passer aux morts dans une barque le fleuve du Styx. [L]]Jusques à la barque de Caron.Pour aujourd'hui m'en voilà quitte. L'AURORE. Mais des défunts le discret conducteur, [Note : Cocyte : Ruisseau d'Epire aux eaux noires, considéré comme un des fleuves de l'Enfer.]Au retour des bords du Cocyte,Eût pu changer d'habits pour me faire l'honneurDe me venir rendre visite. MERCURE. Je n'ai pas eu le temps d'aller chez le baigneur,Jupiter m'a chargé de faire diligence, Et d'aller au plutôt lui faire le récitDe tout ce que vous m'aurez dit. L'AURORE. Moi ? MERCURE. Vous. L'AURORE. À quel propos ? MERCURE. Un peu de patience. L'AURORE. C'est tenir en suspens trop longtemps mon esprit. MERCURE. Vous apprendrez la chose encore trop tôt, je gage, Et vous allez trouver l'habitMoins lugubre que le message. L'AURORE. Ceci commence à me lasser.Qu'avez-vous donc de si funeste,Seigneur Mercure, à m'annoncer ? MERCURE. Au conseil de la Cour célesteOn a porté des plaintes contre vous :L'orgueilleuse Junon, et la bonne Cybèle,Et la prude Pallas ont par excès de zèle,Mis le grand Jupiter dans un fort grand courroux. L'AURORE. À quel sujet ? MERCURE. Pour une bagatelle,Un bruit mal à propos peut-être répandu.Une jeune prude d'AthènesQue depuis peu de temps l'Hymen tient dans ses chaînes,Et qui se targue fort d'une austère vertu, Fait un vacarme affreux pour un mari perdu :C'est je crois, Procris qu'on la nomme,Et le mari Céphale, un fort joli jeune homme.Connaissez-vous cela ? CALLITÉE. Si nous le connaissons ? L'AURORE. Callitée ? MERCURE. Hem, plaît-il ? L'AURORE. Hé, mais? MERCURE. Que de façon, Parlez. CALLITÉE. Il est un peu de notre connaissance. MERCURE. J'en ai jugé d'abord ainsi sur l'apparence. CALLITÉE. Mais connaître les gens, ce n'est pas les aimer,Il en faut, s'il vous plaît, faire la différence ;Sur un sincère aveu n'allez pas présumer. MERCURE. Non, non, j'en sais la conséquence :[Note : Minerve : Nom propre d'une Déesse de l'Antiquité païenne. On la nommait aussi Pallas, et en Grèce Athéné. Minerve était fille de Jupiter ; elle était sortie de son cerveau. Hésiode dit pourtant que Métis, première femme de Jupiter, l'avait conçue, mais Jupiter enferma Métis dans son sein lorsqu'elle était sur le point de mettre Minerve au monde, qui sortit ensuite de son cerveau. Minerve était la Déesse des beaux arts. [T]]Mais Minerve a là-haut fait entendre aujourd'huiQue vous le reteniez en ces lieux malgré lui.[Note : Suranné : Qui est d'une année précédente. Un committimus ne vaut rien, quand il est suranné. On le dit aussi de ce qui est vieux, ou passé. [F]]Quelques Déesses surannéesTraitent cela d'enlèvement, Et contre vous sont très fort déchaînées,De vous voir à leur barbe ainsi prendre un amant.Jupiter prend le fait très sérieusement,Et de sa part je viens vous direQue sans retardement À ses ordres il faut souscrire. L'AURORE. Hé bien ses ordres sont ? MERCURE. Que très diligemmentVous ayez à lâcher le beau Monsieur Céphale ;Faute de quoi, dût-on causer quelque scandale,Et supprimer l'aube du jour, Les souterrains de la cabaleVous feront éloigner du céleste séjour.À vous perdre elle est animée,Si vous n'obéissez vous serez enfermée. L'AURORE. Me bannir du Ciel, moi ? CALLITÉE. Vous enfermer ! Comment ? Il est bon là, Madame, quelle injure ?Si j'étais comme vous déesse, assurémentVotre cabale impunémentNe m'outragerait pas, c'est moi qui vous le jure. L'AURORE. Voilà sans doute un joli compliment Que me fait le Seigneur Mercure. MERCURE. Ne confondons rien, s'il vous plaît,Ce compliment vient de la part du maître :Je ne sais comme il vous paraît,Mais je sais bien comme il doit vous paraître ? L'AURORE. [Note : Cybèle : Nom propre d'une Déesse Phrygienne. Cybele. On l'appellait encore la Grande Mère, Magna Mater, la Mère des Dieux. [T]]Si sur les temps passés CybèleVoulait être de bonne foi,Elle réfléchirait sur elle,Et n'aigrirait point tant Jupiter contre moi :Il lui sied bien de jouer un tel rôle, [Note : Mont Ida : Petite chaîne de montagne en Asie mineure. De l'Ida sortait le Scamandre, le Rhésus et le Granique. Troie était située au pied du mont Ida. [B]]Elle qu'on vit jadis autour du mont Ida,Pour son Atys courir comme une folle. MERCURE. Vous vous souvenez de cela ?Ce sont égarements que le temps doit prescrire. L'AURORE. Et qu'on s'attache à ne point oublier ; À l'égard de Junon j'ai peu de chose à dire,Et ce qu'elle est l'autorise à crier.Femme et jalouse elle s'opposeAux faiblesses que l'amour cause ;Elle a raison : mais elle aurait bien pu Passer en ma faveur quelque petite chose.Sans trop blesser sa farouche vertu ;Dans le besoin fort aise qu'on la serve,Chez elle le bienfait n'est pas toujours nouveau.Quand Jupiter de son cerveau S'avisa de tirer Minerve,Junon voulut, pour s'en venger,De son côté, sans lui, faire pareille affaire,Sans son secours devenir mère :Je m'empressai de l'obliger, Mars par mes soins naquit d'elle sans père.Et cela lui fit un honneurQu'elle n'eût jamais eu peut-êtreSans le secours d'une certaine fleurQue mes regards avaient fait naître. MERCURE. Junon a tort assurément,Comme Déesse bonne et sage,En faveur d'une fleur d'un si charmant usage,Elle eût pu vous passer celui d'un jeune amant. L'AURORE. [Note : Pallas : (Minerve) Déesse de la sagesse, des arts et de la guerre, était fille de Jupiter : selon la Fable elle sortit toute armée de du cerveau de ce Dieu. [B]]Pour Pallas c'est une guerrière, À qui sans doute il sied d'être fière,Et de blâmer les erreurs de l'amour ;Elle y serait sujette elle-même à son tour,Si quelque aimable amant s'efforçait de lui plaire.Mais comme en terre et dans les Cieux On néglige assez de le faire,Qu'entre les mortels et les Dieux,[Note : Vulcain : le nom romains du dieu grec Héphaïstos, dieu du feu, de la forge et des volcans. Il épousa Vénus qui lui fut infidèle, et s'abandonna au Dieu Mars. [T]]Vulcain seul a brûlé pour elle.Je ne vois pas que sa fiertéDoive tirer beaucoup de vanité, Pour un tel soupirant d'avoir été cruelle. MERCURE. Je suis bien aise en véritéDe vous voir ainsi penser d'elle. CALLITÉE. Nous pensons assez sensément,Et nous nous conduirons de même assurément. Céphale est en votre puissance,Vous l'aimez, on le sait, prenez votre parti ;Nous en avons fait la dépense,Madame, il n'en faut pas avoir le démenti MERCURE. La petite Nymphe est gaillarde. L'AURORE. N'a-t-elle pas raison ? Qu'est-ce que je hasarde ?Conseillez-moi, qu'en dites-vous ? MERCURE. Je disQue je suis porteur d'ordre, et non donneur d'avis :S'il vous en faut pourtant donner un pour vous plaire,Je ne sais s'il vous conviendra : Mais je vous conseille de faire,Sans beaucoup réfléchir, tout ce qu'il vous plaira. CALLITÉE. Voyez quel excès de prudence,De politesse et de discrétion,De nous donner sans remontrance Un conseil si conforme à notre intention,Que nous suivrons sans répugnance !Madame, que Mercure est bon,Et que ce n'est pas sans raison,Que l'on le reconnaît pour Dieu de l'Éloquence ! Je le sens bien dans ce moment,Qu'il nous persuade aisément !Pour lui marquer la déférence,Que nous avons pour ses sages avis,Faisons-lui voir en sa présence Avec quel zèle ils sont suivis.Restez ici, Seigneur Mercure. MERCURE. Je ne saurais, je vous assure. L'AURORE. Elle a raison, demeurez parmi nous,Vous passerez ici les moments les plus doux. CALLITÉE. On vous régalera de friande ambroisie,Nous avons quantité de nectar excellent,Force glace surtout, et bonne symphonie. MERCURE. Vous me tentez très fort : mais Jupiter m'attend. CALLITÉE. Il vous attend, mais sans impatience : L'intérêt de Procris ne le touche pas tant,Qu'il exige de vous si grande diligence.Le fait n'est pas fort important,Vous pouvez lentement conduire cette affaire,Et nous donner le temps de faire Ce que Jupiter nous défend.Lorsqu'en ces lieux on vous arrête,Vous jugez bien que c'est de bonne foi,Et jamais Mercure, ni moi,N'avons gâté de tête à tête. MERCURE. Ce n'est pas mon défaut de me faire prier,Je suis trop facile, au contraire. CALLITÉE. Bon, tant mieux, aujourd'hui c'est la grande manière :L'inspirer est votre métier,Et ce qu'aux autres on fait faire, Par soi-même il est bon de le justifier. MERCURE. Mais enfin s'il s'impatiente ? CALLITÉE. Le grand malheur ! Il est le maître? MERCURE. Hé bien,Je reste : mais enfin si l'on trouvait moyenPour quelques jours de faire taire Cette braillarde de Procris,Et d'interrompre au moins ses plaintes et ses cris,Ce serait une bonne affaire. CALLITÉE. Sans contredit. L'AURORE. Assurément.Ne vous vient-il rien dans l'idée ? MERCURE. Cela vient-il dans le moment ? L'AURORE. Imagine un peu Callitée,Toi qui penses si finement. CALLITÉE. Ma foi, Madame, imaginez vous-même :Vous aimez, et de tous les Dieux Si l'Amour est le plus ingénieux,L'esprit doit venir inventif quand on aime. MERCURE. Par ma foi, sans être amoureux,Il me vient dans la tête un petit stratagème.Attendez? Non? si fait. Le tour serait heureux : C'est le meilleur qu'on puisse imaginer sans doute. CALLITÉE. Céphale vient dans cette route. L'AURORE. Que je sache. MERCURE. Évitez-le, entrons dans ces bosquets :Il ne faut pas qu'on nous écoute,Et je ne crains rien tant que les mauvais caquets. L'AURORE, à Calithée. Demeure ici, toi, je te prie,Et par de doux amusements,Tâche de le distraire, au moins quelques moments,De l'objet de sa rêverie. CALLITÉE. J'aurai soin de vos intérêts : Par votre ordre en ces lieux comme vous je commande,Et les plaisirs sont toujours prêtsAu moment que je les demande. DIVERTISSEMENT. Plusieurs Faunes et Nymphes avancent sur le Théâtre, et chantent les couplets qui suivent. UNE NYMPHE chante. Au Dieu qui fait aimer tout fait ici la cour,[Note : Zéphyr : Le zéphyr souffle ; le Zéphire voltige et folâtre. Le zéphyr échauffe ou rafraîchit l'air, selon la saison ; le Zéphire caresse Flore, et fait éclore les fleurs.]Le Zéphyr et Flore, Amis de l'Aurore,S'y caressent nuit et jour ;Et les fleurs qu'en ce beau séjourÀ chaque instant on voit éclore,Sont les doux fruits de leur amour. UN FAUNE, chante. Les Dieux des bois sous ces ombragesFolâtrent sur les verts gazons,Et leurs amoureuses chansons,Font retentir tous ces bocagesDes plus tendres, des plus doux sons. ENTRÉE UN FAUNE ET UNE NYMPHE chantent. Aimez, aimez, heureux Céphale,Hâtez-vous d'être inconstant ;Quel sort égaleL'heureux destin qui vous attend ?Aimez, aimez, heureux Céphale, Hâtez-vous d'être inconstant. ACTE II SCÈNE I. Céphale, Philacte. PHILACTE. Nous avons entendu d'assez bonne musique,Et l'on nous a donné des conseils excellents ;Mais si vous négligez de les mettre en pratique,Cela ne fera pas d'honneur à vos talents. CÉPHALE. Crois-tu donc que toujours à Procris trop fidèle,Aux charmes d'une ardeur nouvelle,Mon coeur soit pour jamais fermé.Philacte, ce coeur est charméDe voir celui d'une Déesse Des feux les plus vifs enflammé,Je goûte avec transport, avec délicatesse,Tout le bonheur d'en être aimé.À quel excès en moi par sa vive tendresse,L'ambition, la vanité, L'amour-propre est flatté ! PHILACTE. L'agrément de cette aventure,M'est pour le moins sensible autant qu'à vous,Quoiqu'à parler franchement entre nous,J'y fasse moins bonne figure, J'espère m'en tirer pourtant avec honneur.Tout ce qui pourrait m'en déplaire,C'est que je crois, dans cette affaireSi nous sommes heureux, que sur notre bonheur,On exigera du mystère, Et franchement j'ai quelque peurD'avoir grande peine à me taire.Naturellement, moi, je suis un peu jaseur ;C'est ce qu'on trouve d'incommode,En aimant les Divinités : Elles ont la sotte méthodeDe cacher leurs fragilités,Et parmi de simples beautés,Vous savez, comme moi, qu'aujourd'hui c'est la modeDe faire éclat de ses félicités. À garder un secret je souffre le martyre,Est-ce être heureux que de ne l'oser dire ;Mais vous redevenez rêveur. CÉPHALE. Quel trouble règne dans mon coeur !De tout ceci quelle sera la suite ? PHILACTE. Elle est facile à concevoir,Par avance déjà je vous en félicite,Et je crois aussi m'en devoirUn petit compliment. Tous deux pleins de mérite,Jeunes, galants, ben faits, nous n'avons qu'à vouloir. Mais réglez-vous sur ma conduite,Ne nous faisons point trop valoir :Que servent les talents à moins qu'on en profite ?À nous laisser aimer ici tout nous invite :Rendez-vous, et je vous imite, Ou je me rends, moi, vous n'avez qu'à voir. CÉPHALE. Conçois-tu bien le désespoirOù peut-être Procris est à présent réduite ? PHILACTE. Il est bien maintenant question de cela,Toujours Procris ; oubliez-la, M'embarrassé-je, moi, de ce que fait ma femme ? CÉPHALE. Par combien de discours, de soupçons de ma foi,On tâche de jeter dans son âme,Des dispositions à douter de ma flamme,Pour me ravir un coeur qui doit n'être qu'à moi ? PHILACTE. Ce n'est pas chose bien facile ;De quoi diantre vous alarmer ?On ferait pour s'en faire aimerUne tentative inutile ;Votre épouse a trop de vertu, Quelque effort que l'on fasse, et quelque soin qu'on prenne,Son coeur est pour vous seul de bontés revêtu,Plût au Ciel en pouvoir dire autant de la mienne. CÉPHALE. Je fais peut-être en ce momentL'entretien de toute la Grèce, Et d'un si prompt éloignementOn fait mille contes sans cesse. PHILACTE. Que diable nous doit importerOu qu'en parle, ou qu'on s'en taise,Tandis qu'ici-bas à notre aise Nous pouvons rire et caqueter. CÉPHALE. Peut-être sait-on que l'AuroreA fait choix en moi d'un amant,Et l'on se garde bien de dire assurément,Que mon coeur lui résiste encore. PHILACTE. Parbleu comment le dirait-on ?Il n'est personne au monde assez fou que je pense,Pour avoir un tel soupçon ;Comment pour s'obstiner à tant de résistance ?Et négliger un sort si doux, Il faut être aussi fou que vous. CÉPHALE. Que tu pénètres mal le fond de ma pensée,Philacte, et de combien de divers mouvementsJe me sens l'âme embarrassée ! PHILACTE. J'entre assez dans vos sentiments. CÉPHALE. De l'Aurore, crois-moi, je connais tous les charmes,Mon coeur est prêt à lui rendre les armes ;Mais de Procris outrageant les appas,Perfide époux, insensible à ses larmes? PHILACTE. Procris est femme forte, et ne pleurera pas, Courage, allons. CÉPHALE. Des plus cruelles peinesAccabler le coeur de Procris !Oser briser avec méprisLes noeuds d'hymen, les saintes chaînesDont pour garants nous avons pris Les Dieux protecteurs d'Athènes ! PHILACTE. [Note : Neptune : Terme du polythéisme latin. Divinité présidant à la mer, et l'un des douze grands dieux. [L]]Hé bien soit. Pensez-vous que Neptune et PallasDe Procris prendront la querelle,Et qu'ils ne se prêteront pasAux faiblesses d'une Immortelle ? [Note : Gens de qualité : Noblesse distinguée. Un ancien gentilhomme d'une maison illustrée se nomme un homme de qualité. [L]]Comme entre gens de qualité,On aime entre les Dieux à se rendre service ;Le faible a pour lui la justice,Mais dans sa plainte il n'est guère écouté. CÉPHALE. En cédant à l'amour quel blâme je m'attire ! Que ferai-je penser de moi,Et d'un pareil manque de foi,Dans la Grèce que va-t-on dire ? PHILACTE. Ce n'est donc plus que sur ce qu'on dira,Seigneur, qu'à présent vous en êtes ? Les affaires sont bientôt faites.Quand la Déesses paraîtra,Un regard, un souris, votre coeur se rendra. SCÈNE II. Céphale, Philacte, Callitée. CALLITÉE. Je viens vous avertir, Seigneur, que la DéesseVous cherche avec empressement, C'est pour vous dire apparemmentQuelque secret qui l'intéresse. CÉPHALE. Où pourrai-je la rencontrer ?Dites-le-moi, Nymphe charmante :Du bien de la revoir mon âme impatiente Le voit à regret différer,Je brûle de savoir ce qu'elle me veut dire. PHILACTE, à Callitée. Ne vous l'avais-je pas bien dit,Que tôt ou tard je saurais le réduire ?Sur son coeur et sur son esprit Nous avons, grâce au Ciel, quelque peu de crédit ! CALLITÉE. Je m'en réjouis fort. CÉPHALE. Oui, belle Callitée,Je sens de mon bonheur à présent tout le prix.Et dans les doux transports dont j'ai l'âme agitée,De mon aveuglement et confus et surpris, Je ne puis assez tôt aux pieds de la DéesseTâcher d'expier la faiblesseQui dans un coeur encor trop vivement épris,A par scrupule, ou par délicatesse,Soutenu trop longtemps l'intérêt de Procris. CALLITÉE. À parler franchement, une pareille offenseÀ des Divinités, Seigneur, ne convient pasQuand elles font les premiers pas,Tant pis pour qui fait résistance. PHILACTE. Oh ! La nôtre n'a pas duré : Par un prompt repentir une offense s'efface,Et tout sera bien réparé.Belle Nymphe, allons, grâce, grâce,Un mot à la Déesse agréablement dit? CALLITÉE. Ce n'est nullement son dépit Qui m'inquiète et m'embarrasse ;Le plus grand mal de tout ceci,C'est que Procris vient d'arriver ici. CÉPHALE. Procris ! PHILACTE. Voilà, ne vous déplaise,Un contretemps assez fâcheux, Dont la suite à coup sûr ne peut qu'être mauvaise.Je vous plains. CÉPHALE. Procris en ces lieux,Philacte ! PHILACTE. C'est la jalousieQui sur vos pas l'a fait ainsi courir :Quand une femme en est saisie, L'époux en a diablement à souffrir,[Note : Tout coup vaille : Au trictrac, coup et dés, veut dire que la primauté appartiendra à celui qui amènera le dé le plus fort. Tout coup vaille, arrive ce qu'il pourra. [L]]Mais tout coup vaille, il faut faire tête à l'orage ;Plus on est mal? CALLITÉE. Te crois-tu mieux,Philacte ? PHILACTE. Moi ? CALLITÉE. Ta femme est aussi du voyage. PHILACTE. Quoi ma femme ? CALLITÉE. Oui, Dione. PHILACTE. Ah, Dieux ! CALLITÉE. Pour toi sa tendresse est extrême,De te venir chercher avec tant de transport ;Et la tienne est pour elle apparemment de mérite ? PHILACTE. Oh oui, nous nous aimons très fort :Elle aurait cependant pu m'épargner la peine. Maudit soit qui nous les ramène. CALLITÉE. Ciel ! PHILACTE. Vous voilà fâché vous-même : mais enfin,Pourquoi mal-à-propos se livrer au chagrin ?Renvoyons-les, Seigneur. Hé quoi donc ! Les DéessesNe sont-elles pas maîtresses ? Oui, l'Aurore n'a qu'à parler :Il serait beau qu'une mortelleLa relançât jusques chez elle,Et que dans ses plaisirs elle osât la troubler. CALLITÉE. L'entreprise est assez hardie. PHILACTE. Nymphe, allez, qu'on les congédie. CÉPHALE. Amour, vous implorer est tout ce que je puis :Venez à mon secours, et daignez me prescrireTout ce que je dois faire, et comment me conduirePour me tirer de la peine où je suis. SCÈNE III. Céphale, l'Aurore, Philacte, Callitée. L'AURORE. Je ne puis pour Procris blâmer votre constance :Sensible à votre éloignement,Inquiète de votre absence,Elle vient d'arriver ici dans le moment.Pour une épouse et si jeune et si belle, On ne saurait assurémentTrop louer votre attachement :Vous seriez criminel de n'être pas fidèle. PHILACTE. Elle plaisante, au moins, Seigneur, gardez-vous d'elle. CÉPHALE. Vous avez dans ces lieux un absolu pouvoir, Madame, et quand Procris en approche sans peine,Il est aisé de concevoirQu'en s'y rendant elle est certaineDe l'aveu de la Souveraine. L'AURORE. Vos yeux ont été les témoins De l'état de mon coeur, Céphale :Hé ! Pouvez-vous penser que je donne mes soinsPour vous rejoindre à ma rivale ?Mais peut-être quelqu'un des Dieux,Qu'elle a touché par sa douleur extrême, Par ses prières, par ses voeux,Ou que dans les transports d'un coeur bien amoureuxVous avez imploré vous-même,Se sert de son pouvoir suprêmePour vous la rendre dans ces lieux. PHILACTE. Elle a mal pris le moment du voyage,Et mon maître est devenu sage. L'AURORE. De deux amants unis des plus parfaits liens,Je ne veux point par ma présenceTroubler les tendres entretiens. Voyez pour vous quelle est ma complaisance. PHILACTE. Elle est trop grande, par ma foi. L'AURORE. De ce Palais je vous laisse le maître,À mes Nymphes ici vous donnerez la loi ;Des Sylvains la troupe champêtre Vous obéira comme à moi :Tous à l'envi s'efforceront de plaireÀ la beauté qui vous est chère,Et peut-être son coeur sera-t-il satisfaitDu sacrifice que lui fait Un époux qui pouvait mieux faire. PHILACTE. On se moque de vous, je vous en avertis. CÉPHALE. J'ai mérité ces reproches, Déesse :Mais je ne rougis point de mes feux pour Procris ;À son mérite, à sa tendresse, Je dois les plus tendres égards.Mais hélas ! Dans quel temps la fortune cruelleLa vient offrir à mes regards ! L'AURORE. Au moment que toujours fidèleVous faites vanité de l'aimer constamment CÉPHALE. Que je crains de la voir en ce fatal moment !Le devoir me parle pour elle :Mais l'amour s'explique autrement. L'AURORE. Si sa beauté vous la rendit aimable,N'en est-il point qui lui soit comparable ? Et si cette fidélitéQui vous tient dans ses fers par devoir arrêté,À l'abri des discours que le mensonge invente,À jusqu'à ce moment étéDe certains soupçons exempte, Pensez-vous qu'aux voeux d'un amant,Son coeur pour vous fidèle, à tout autre inflexible,Piqué de votre éloignement,Eût tant de peine à devenir sensible ? CÉPHALE. Madame ? L'AURORE. Je vous parle ici confidemment. Je crois Procris aussi sage que belle ;Mais l'incertitude est cruelle ;Et quand on peut savoir les choses sûrement?À Procris vous n'osez, Céphale, être infidèle,Aurait-elle pour vous le même attachement. PHILACTE. Peste, quel éclaircissement ! CÉPHALE. En ce moment j'ai peine à me croire,Je souffre tout ce que l'on peut souffrir :Ces soupçons de la foi. Ciel ! L'AURORE. Je ne les fais naître,Céphale, que pour les guérir. PHILACTE. Fort bien. L'AURORE. Contre Procris vous présumez peut-êtreQue mon coeur cherche à vous aigrir ?À vous mettre pour elle en quelque défiance ? PHILACTE. On le croirait. L'AURORE. Vous-même en ce PalaisVous en pouvez par vous faire l'expérience CÉPHALE. Par moi ! L'AURORE. Par vous. Trouverez-vous jamaisPlus belle occasion d'éprouver sa constance ?Procris croit retrouver Céphale dans ces lieux ;Sous des traits différents qu'il paraisse à ses yeux,D'un seul mot à l'instant, sans forcer la nature, Je puis pour les regards humainsVous donner une autre figure ;Je puis remettre dans vos mainsTous les trésors dont je suis la maîtresse,Et de cette immense richesse, De tant de biens des mortels si chérisVous ferez hommage à Procris.Rival alors, et rival de lui-même,Sous d'autres traits Céphale ainsiDe son sort peut être éclairci, Et savoir sûrement à quel point Procris l'aime.Vous balancez ? Votre front obscurci?De quel crime envers moi ce trouble vous accuse ?Vous craignez de ne plus aimerL'objet qui sût trop vous charmer, Et ne méritez pas que je vous désabuse. CÉPHALE. Hélas, Déesse, hélas ! Ordonnez, disposez,De mon destin vous êtes la maîtresse :Mais regardez l'état où vous me réduisez. L'AURORE. Autant que vous votre sort m'intéresse, Et mon unique objet est de le rendre heureux :Mais il faut que pour vous mon pouvoir se signale.Donc cessez d'être Céphale,Paraissez au gré de vos voeuxTout ce que vous voudrez paraître, Qu'aucun mortel surtout ne vous puisse connaître. CÉPHALE. Quel mouvement se fait en moi ! PHILACTE. Seigneur, holà donc : par ma foiCe changement pour moi n'était pas nécessaire. L'AURORE. Dans l'instant que vous le voudrez Vous reprendrez votre forme ordinaire,Et pour Procris vous paraîtrezTel que vous le souhaiterez. SCÈNE IV. Céphale, Philacte. PHILACTE. Comment donc, vous voilà tout autre !Malepeste, quel changement De ce nouveau visage au vôtre !Tournez-vous, s'il vous plaît, tenez-vous un moment.À cette physionomieIl faut un peu m'accoutumer.[Note : Parbleu : Sorte de jurement. Altération de par Dieu. [L]]Parbleu, vous êtes à charmer ; Je n'ai rien vu de pareil en ma vie :Un front ouvert, des yeux vifs, bien fendus,Le nez bien fait et la bouche vermeille.Pour cela, c'est une merveille ;Et l'on ne se peut trop récrier là- dessus ; Pour raccommoder un visage,La Déesse a, Seigneur, des secrets excellents.Combien de coquettes du tempsVoudraient avoir de son ouvrage,Et mettre à profit ses talents ! Quelque part qu'elle ouvrit boutique,Je puis vous être cautionQu'elle aurait bien de la pratique. CÉPHALE. Dans quelle situationPhilacte, est-ce que je me trouve ! PHILACTE. Elle est délicate, et j'approuveQue vous vous conduisiez avec précaution. CÉPHALE. Tromper Procris ! Chercher à la surprendre ! PHILACTE. Il est tard de vous en défendre,Vous connaîtrez à fond son coeur. CÉPHALE. Je sais ce que j'en dois attendre,Elle a pour moi la plus sincère ardeur,Un coeur tout entier à Céphale. PHILACTE. Si l'on en croit ce que dit sa rivale,Rien n'est sûr : mais on peut douter. CÉPHALE. En ce moment je me sens agiterD'un trouble affreux que rien n'égale.Ah ! Curiosité qui me sera fatale,Et que pourtant je ne puis surmonter,Si sous ces traits nouveaux je venais à lui plaire ! PHILACTE. Le grand malheur ! Vous la planterez-là,Et l'Aurore pour vous seraLe pis-aller de cette affaire. CÉPHALE. Et si je fais d'inutiles efforts ? PHILACTE. Oh, l'embarras pour vous sera plus grand alors. CÉPHALE. De quel front la trahir en la trouvant fidèle ? PHILACTE. De quel front, de quel front ? Plaisante bagatelle !Cela doit-il vous arrêter si fort ?Livrez-vous sans scrupule au feu qui vous enflamme,Et comptez qu'avec une femme, Quelque raison qu'elle ait d'abord,Dans la suite un mari ne saurait avoir tort. SCÈNE V. Céphale, Philacte, Callitée. CALLITÉE. La Déesse, Seigneur, m'a chargée de vous direQue Procris vient de ce côté. CÉPHALE. Soumis aux lois qu'elle a su me prescrire, Je ferai tout ce qu'elle a souhaité.Je vais employer l'artificePour toucher le coeur de Procris,Heureux de n'y trouver que froideur et mépris,Pour faire à la Déesse un plus grand sacrifice. PHILACTE. Un petit mot de conversation. CALLITÉE. Qu'est-ce ? PHILACTE. Madame Callitée,Tout à l'heure en rêvant j'ai fait réflexion,Que faute de précaution,L'affaire par hasard pourrait être gâtée. CÉPHALE. Quel soin prends-tu dans cette occasion ? PHILACTE. J'ai mes raisons, laissez faire, et pour cause. CALLITÉE. Hé bien ? PHILACTE. Si l'on me connaît, moi,En qui vous n'avez point fait de métamorphose ?Là, croyez-vous, de bonne foi, Que ce ne serait point un obstacle à la chose. CÉPHALE. Il pense juste. CALLITÉE. Il faut te métamorphoser,Tien en ceci ne périclite encore :Du changement sur moi tu peux te reposer,J'ai le même pouvoir pour cela que l'Aurore. PHILACTE. Métamorphosez donc, je m'abandonne à vous,Point de malice, au moins, ni de supercherie ;À ma femme je veux faire aussi les yeux doux,C'est pourquoi, travaillez promptement, je vous prie.La malepeste, quels efforts ! La peau du visage me tire,Et je ressens par tout le corpsCertains frémissements que je ne saurais dire?Charmante Nymphe, s'il vous plaît,Faites ici de bon ouvrage, Il y va de votre intérêt ;Et si par cas fortuit j'engageMa femme à cesser d'être sage,En bonne foi je vous prometsQue je suis à vous pour jamais. CALLITÉE. La promesse est fort engageante. PHILACTE. J'ai, comme vous voyez, l'âme reconnaissante. CALLITÉE. Adieu, le charme est accompli. SCÈNE VI. Céphale, Philacte. PHILACTE. Suis-je beau ? CÉPHALE. Non, mais fort joli. PHILACTE. Fort joli ! CÉPHALE. Tout de bon, tu n'es pas connaissable ? La taille fine et le visage aimable,Un port noble, un air dégagé. PHILACTE. [Note : Sur ce pied là : Sur le pied où sont les choses, et, absolument, sur ce pied, sur ce pied-là, c'est-à-dire les choses étant ainsi, avec ces conditions... [L]]Parbleu, sur ce pied-là je ne suis point changé. CÉPHALE. Je vois Procris. PHILACTE. Et moi, Dione. CÉPHALE. Un reproche secret et m'alarme et m'étonne. PHILACTE. On me reconnaîtra, Seigneur. CÉPHALE. Rassure-toi,Tu ne dois là-dessus avoir aucune crainte,Mais pour quelques moments éloignons-nous, suis-moi :Disposons mon coeur à la feinte,Puisqu'on m'en impose la loi. SCÈNE VII. Procris, Dione. PROCRIS. Quelle peine, Dione, à la mienne est égale ?C'est pour amuser ma douleurQue l'amour a flatté mon coeurDe l'espoir qu'en ces lieux je reverrais Céphale. DIONE. À se laisser amuser par l'amour On ne perd rien, je vous assure,Il arrête nos pas ici dans un séjourLe plus charmant qui soit dans la nature :Voyez de ce Palais la noble architecture,De ces jardins admirez la beauté. Ah ! C'est ici, sans doute un pays enchanté :Et pour moi de cette aventureJe conçois un heureux augure,L'amour a pour vous des desseinsQui s'éclairciront dans la suite. PROCRIS. Je viens ici sous sa conduite,Ma chère Dione, et je crains.Un noir pressentiment me saisit et m'agite ;De tout ce qui s'offre à tes yeuxDe beau, de grand, de gracieux, Je ne vois rien, l'absence de CéphaleOccupe seule mon esprit. DIONE. Rare et charmant effet de l'amour conjugale,Elle est trop vive en vous, et je vous ai prédit? PROCRIS. Suis-je en état ni de voir, ni d'entendre ? Céans certains moments sur ce que l'on nous ditEst-ce qu'un coeur prévenu réfléchit ? DIONE. Pour un absent votre coeur est trop tendre,Non que je blâme en vous un pareil sentiment,Mais vous traitez cela trop sérieusement ; Que ne m'imitez-vous ? Ma conduite est toute autre ;Mon mari s'est perdu, dit-on, avec le vôtre,Est-ce lui que je viens chercher ?Et pour le retrouver ai-je fait afficher ?Comme vous m'a-t-on vue étaler mes faiblesses ? Depuis qu'ils sont partis employer mal mon tempsÀ fatiguer Dieux et Déesses ?Et près de ces Dieux sourds, ou peut-être impuissants,Prendre mes voeux et mon encens ?Ce ne sont point là mes allures ; Mon coeur est droit, mes intentions pores.Mon mari part sans m'en parler,Il faut bien le laisser aller,N'est-il pas maître du ménage ?Suis-je en droit de le retenir ? Mais s'il lui prend un jour en gré de revenir,Je serai peut-être en voyage. PROCRIS. Philacte après un tel aveuNe doit pas trop compter sur l'excès de ta flamme. DIONE. Ce n'est pas mon défaut, Madame, D'aimer beaucoup les gens qui m'aiment peu. PROCRIS. On t'aime plus que tu ne penses ;Mais finissons ces vains discours. DIONE. C'est fort bien dit. Ho, ça, voulez-vous donc toujoursDans les pleurs et les doléances Passer les plus beaux de vos jours ?Depuis un certain temps, sensible à votre peine,Je partage votre douleur :Livrez-vous à ma bonne humeur,Que le penchant du sexe au plaisir vous entraîne. PROCRIS. Ah ! Vous extravaguez, Dione, en vérité. DIONE. Oui, vous commencez à sourire ?À la droite raison nous saurons vous réduire ;Contre elle votre coeur n'est pas si révolté,Qu'il ne se laisse enfin conduire Au plaisir, ou du moins à la tranquillité. PROCRIS. Céphale seul peut me la rendre. DIONE. S'il est ici nous l'y verrons,S'il ne s'y trouve pas nous nous en passerons :Mais l'endroit est du moins commode pour attendre ; PROCRIS. Ces jardins sont délicieux,Et ce Palais paraît superbe et magnifique. DIONE. Vous retrouvez l'usage de vos yeux ;C'est une marque spécifiqueQue votre esprit se porte mieux. PROCRIS. Que tout me charmerait, Dione, en ces beaux lieux,Si toujours sûre d'être aimée,Les Dieux m'y rendaient mon époux !Mais dis-moi, chez qui sommes-nousNe t'en es-tu point informée ? DIONE. Pour cela non. L'Amour s'est bien voulu chargerDe nous conduire ici : j'y viens en confianceQu'il aura soin de nous logerChez quelqu'un de sa connaissance ;C'est à lui de nous héberger, Quelle que soit l'hôtellerie,Il faudra s'en accommoder ;Mais on cherche à vous aborder.Quel air ! Quel port ! Regardez, je vous prie. PROCRIS. Ah, Dione, je suis trahie ! Céphale, que je cherche de toutes parts,Ne s'offre point à mes regards. SCÈNE VIII. Procris, Céphale, Dione, Philacte. CÉPHALE. Je ne m'offense point, Madame,Que dans ces lieux où tout est sous ma loi,Vous cherchiez un autre que moi. Je sais pour votre époux quelle ardeur vous enflamme. PROCRIS. Je vois que mon malheur, seigneur, vous est connu,Et je ne puis cacher le trouble de mon âme.Hélas, Céphale, hélas ! Qu'êtes-vous devenu ! PHILACTE, à Dione. Vous cherchez Philacte, peut-être ? Ce n'est pas moi, sur mon honneur. DIONE. Il est aisé de le connaître. PHILACTE, à Céphale. Courage, tout va bien, Seigneur. CÉPHALE. Belle Procris, (car la douleurN'a rien altéré de vos charmes,) Su d'un époux qui fait couler vos larmesVous pouviez pour un temps perdre le souvenir,Et que dans ce Palais on put vous retenir,Que ne ferait-on point pour calmer vos alarmes ? PROCRIS. Vos soins, Seigneur, m'offrent un vain secours ; L'excès de mes malheurs permet-il que j'espèreQu'aucun mortel en suspende le cours ?À mes justes désirs le sort est trop contraire.Ah ! Si jamais l'amour a touché votre coeurD'une ardeur vive et mutuelle, Si vous avez senti sa charmante douceur,Concevez la peine cruelleQue souffre un coeur bien enflammé,Quand le sort injuste et barbarePeut-être pour jamais l'écarte et le sépare D'un objet tendrement aimé. CÉPHALE. Je suis touché de votre peine,Vous m'en voyez pénétré comme vous :Mais cessez la recherche vaineQue vous faites de votre époux. PROCRIS. Vous condamnez, Seigneur, un soin si légitime,Et je le prends, dites-vous, vainement ? CÉPHALE. Ah ! Que de cet époux je plains l'aveuglement ?S'il s'éloigne de vous sans crime,Qu'il est coupable en ce moment ! PROCRIS. Seigneur. CÉPHALE. Possesseur de vos charmesAutant aimé peut-être qu'amoureux,Il a gémi d'abord, il a versé des larmes,L'absence a redoublé ses feux ;Mais? PROCRIS. Achevez, Seigneur. CÉPHALE. Une flamme nouvelle A saisi son coeur malgré lui,Et le rend moins digne aujourd'huiDes tendres soins d'une épouse fidèle. PROCRIS. Ah ! De quel coup mortel venez-vous me frapper ?L'ingrat? Mais non, Dione, on cherche à me tromper. Pardonnez aux transports d'une épouse insensée,L'injurieux soupçon qu'elle prend contre vous :Mais enfin, d'un perfide épouxQui vous a donc, Seigneur, expliqué la pensée ?Où le retient-on ? En quel lieu Se cache-t-il ? Quelle est cette beauté qu'il aime ?Ah ! Si son coeur brûle d'un nouveau feu,Ose-t-il l'avouer ?... N'êtes-vous pas un DieuQui pénétrez ses secrets par vous-même ?Si vous êtes, Seigneur, une Divinité, Comme j'ai tout sujet de le penser? CÉPHALE. Madame. PROCRIS. Car un simple mortel avec facilitéNe sait point lire au fond d'une âme.Hé qui peut vous avoir apprisQue trop d'amour pour un perfide Près de vous en ces lieux me guide,Que je cherche Céphale, et que je suis Procris ?Protégez une infortunée,Servez-vous de votre pouvoirPour adoucir ma destinée. Que je parle à l'ingrat, que je puisse le voir,Qu'il me rende son coeur, et dans l'instant j'oublieLes maux qu'il m'a causés par son éloignement ;Ou s'il s'obstine au changement,De grâce punissez, Seigneur, sa perfidie. CÉPHALE. Si vous saviez à quels remordsCette infidélité l'expose,Vous modéreriez les transportsQue son égarement vous cause.D'un trouble égal au vôtre il se sent agiter ; Vous l'aimez, Madame, il vous aime,Quels reproches secrets il se fait à lui-même ! PROCRIS. Hé ! Devrait-il les mériter ? CÉPHALE. C'est une puissance suprêmeQui le force de vous quitter. PROCRIS. Ainsi, le Ciel auteur de l'injustice,Approuve l'infidélité :Il permet donc qu'avec impunitéL'ingrat Céphale me trahisse :C'est lui que je cherche en ces lieux, Je ne l'y trouve point ; souffrez que dans AthènesJ'aille cacher à tous les yeuxMa honte et l'excès de mes peines. CÉPHALE. Non, Madame, dans ce PalaisC'est l'Amour qui vous a conduite, Ce Dieu n'approuve pas une si prompte fuite,Il veut de votre sort prendre soin désormais. PROCRIS. Prendre soin de mon sort ? Quelle pitié fatale !Ah ! Pour le rendre heureux qu'il me rende Céphale. CÉPHALE. Je ne pénètre point les desseins de l'Amour : Mais, Madame, dans ce séjourDaignez vous arrêter, c'est lui qui vous en prie,À vos peines, à vos tourments,Vous trouverez ici plus d'adoucissementQu'au milieu de votre Patrie. Par de tendres amusementsLes hôtes de ces bois chercheront à vous plaire :Heureux si pour quelques momentsDe vos chagrins ils pouvaient vous distraire. PROCRIS. Dans l'état où je suis, Seigneur, Le devoir et la bienséance,Mon repos même et mon honneurEn d'autres lieux demandent ma présence. CÉPHALE. Et moi, Madame, et moi, j'ose exiger de vousQue vous différiez de vous rendre, En des lieux, qui de votre épouxPourraient vous rappeler un souvenir trop tendre ;Pour l'oublier demeurez parmi nous,La raison, tout vous y convie ;Dans ce Palais vous ne serez servie Que par des Nymphes, dont le soin,L'unique objet, la principale étudeSeront de vous sauver la moindre inquiétude. DIONE. De ce soin-là nous avons grand besoin,Nous pouvons l'accepter sans trop de complaisance. PROCRIS. Seigneur. CÉPHALE. Souffrez qu'en ma faveurJ'ose expliquer votre silence,Et qu'ici tout s'empresse à mériter l'honneurD'y jouir de votre présence. SCÈNE IX. Procris, Dione, Philacte. PHILACTE, à part. La Princesse Procris, où je m'y connais mal, Ne sera pas inconsolable,Et sous de nouveaux traits devenu plus aimable,Céphale est pour lui-même un dangereux rival :Les suites de ceci pourront être funestes.Pour mieux éclaircir mes soupçons, Caché derrière ces buissonsÉcoutons leurs discours, ou devinons leurs gestes. SCÈNE X. Procris, Dione. DIONE. Que dites-vous de ce jeune Seigneur,Qui s'éloigne à regret de l'endroit où nous sommes ?Peut-être suis-je dans l'erreur : Mais je le crois d'un rang fort au-dessus des hommes.Avez-vous remarqué certain air de grandeurQui règne en toute sa personne !Une fierté qui plaît au moment qu'elle étonne ?Quelle douceur ! Quel charmant entretien ! Son abord seul est d'un heureux présage,Et pour moi j'augure très bienDes suites de notre voyage. PROCRIS. Et moi, je fais, Dione, un effort impuissantPour calmer les chagrins que mon âme ressent : Dans Athènes ma peine était bien moins cruelle,J'y regrettais Céphale absent,J'ignorais qu'il fût infidèle. DIONE. Oui : mais avec quel art on vous a révéléTout ce qui dans son coeur se passe ? Avec quelle prudence, avec combien de grâceCet hôte si charmant vous en a-t-il parlé !Il cherchait une excuse à sa nouvelle flamme ;De peur de vous trop irriter,Attentif à vous arrêter, Quel prétexte obligeant il a saisi, Madame !Quelle politesse ! Quel tour !C'est dit-il, l'ordre de l'Amour.Si ce n'est qu'un mortel, les aimables manières !Et si c'était un Dieu, je crois qu'il n'en est guères, N'en déplaise pourtant à tous les autres Dieux,De si charmant, ni de si gracieux.Tout cela, comme moi, ne vous a point frappés ? PROCRIS. Non, Dione. DIONE. Mais là, parlons de bonne foi. PROCRIS. De ma seule douleur je suis toute occupée. DIONE. Ouais, je me suis donc trompée.En le voyant j'ai senti, moi,D'abord je ne sais quoi,Qu'il me semblait que vous sentiez de même,Pas tout à fait si fort pourtant, Mais presque dans le même instant.Examinez-vous bien. PROCRIS. Ton erreur est extrême. DIONE. Hé bien, j'avais d'abord compris,Quoique pour un volage un coeur soit trop épris,Qu'il est des pertes dans la vie Qu'on peut aisément réparer,Que souvent des plaisirs la tristesse est suivie,Qu'il est bon d'être lente à se désespérer,Que l'on ne doit point trop se piquer de constance :Enfin j'approuvais fort le peu de résistance Que vous avez paru faire pour demeurer. PROCRIS. Pour tes conseils j'ai de la déférence,J'espère ici revoir Céphale à tout moment. DIONE. Je donne des conseils fort bons, assurément,Et rien ne flatte tant qu'une duce espérance. PROCRIS. C'est le seul bien qui m'est resté. DIONE. D'autres viendront bientôt s'offrir à vous, je pense. PROCRIS. Tes discours sont pour moi remplis d'obscurité. DIONE. Céphale est un perfide, un ingrat, un volage ;On vous l'a dit, et c'est la vérité. Il en sera puni, je gage. PROCRIS. Vous perdez l'esprit et le sens. DIONE. Non, je ne perds ni l'un ni l'autre,Je porte un coeur comme le vôtre,Et vous sentez tout ce que je ressens. Pour moi si je courais après un infidèle,Et que je rencontre un tel hôte en chemin,Loin d'appeler la fortune cruelle,Je rendrais grâce à mon destin ;Dans une demeure si belle Je croirais ne pouvoir faire un trop long séjour,Et je ferais courir l'infidèle à son tour. PROCRIS. Votre extravagance m'étonne,De dépit contre vous je me sens enflammer :Vous vous ferez haïr, Dione. DIONE. Et vous vous laisserez aimer,Je m'y connais mieux que personne. PROCRIS. Encor ? DIONE. Point de courroux, il peut arriver pis ;Vous aimerez vous-même, et je vous le prédis. PROCRIS. Ah ! C'en est trop ; ôtez-vous de ma vue, Dione, et ne vous y montrezQue lorsque la raison vous sera revenue. DIONE. Dans peu de temps vous me pardonnerez :Mais vous l'aurez alors, vous, tout à fait perdue. SCÈNE XI. DIONE, seule. Je ne sais si l'époux voyageur Sera content de son voyage :Mais pour le nôtre, j'ai grand'peurQu'il ne soit pas fort à son avantage. SCÈNE XII. Dione, Philacte. PHILACTE. La Princesse paraît s'éloigner en courroux. DIONE. Comme à vous, c'est ce qui me semble. PHILACTE. Se serait-il passé quelque chose entre vous ?Auriez-vous eu quelque dispute ensemble ? DIONE. Ce sont de petits mouvementsQui ne durent pas d'ordinaire,Et je m'étonne peu de la voir en colère. PHILACTE. Je vous en fais mes compliments.Dans l'état où la met l'absence de Céphale,Vous vous prêtez à sa mauvaise humeur. DIONE. Elle a beau faire, il faut bien qu'elle avaleCette pilule avec douceur. PHILACTE. Je la plains ; mais pour vous, que je vous trouve heureuse !Tandis que la Princesse en pleursS'abandonne aux chagrins, aux plus vives douleurs,Vous n'en êtes pas moins joyeuse,N'est-ce pas ? DIONE. Pourquoi non ? Je le crois bien vraiment ; Entre Procris et moi grande est la différence,Procris est sensible à l'absenceD'un époux aimé tendrement. PHILACTE. Je croyais, moi, la chose égale,Je vous en demande pardon ; Le bruit courait qu'avec CéphaleVotre mari Philacte, disait-on,Avait fait aussi le voyage,Et qu'assez brusquement d'avec vous séparé? DIONE. Ah ! Je crois qu'il n'est qu'égaré, Je le retrouverai sans chercher, j'en enrage.Que mon bonheur serait parfait,S'il était perdu tout à fait ;C'est le seul bien qu'aux Dieux ma piété demande. PHILACTE. Son absence aurait beau durer, Votre douleur, je crois, n'en serait pas plus grande ? DIONE. Pour cela non, je puis vous en jurer ;C'est son retour que j'appréhende. PHILACTE. Le bon esprit, l'heureux tempérament,L'aimable petit coeur de femme ! Quoi, si comme Céphale, il ressentait dans l'âmePour quelque autre que vous un tendre mouvement ? DIONE. Pour le coup j'en rirais de tout mon coeur. PHILACTE. Comment ? DIONE. Il peut en faire la folie ;Tous les coeurs sont soumis au pouvoir de l'Amour ; Mais pour se faire aimer, et pour plaire à son tour,Oh, par ma foi je l'en défie. PHILACTE. Hé, pourquoi donc ? DIONE. C'est bien le plus grand animal,Le plus impertinent visage :Il faudrait, pour s'en faire une parfaite image, Avoir connu l'original. PHILACTE. Par les sentiments où vous êtes,Je comprends fort qu'il n'est pas regretté,Et le portrait que vous en faites? DIONE. Hé bien, c'est un portrait flatté, Le croiriez-vous ? PHILACTE. Moi, non, cela n'est pas croyable ;J'en ai ouï dire tant de bien :Il est d'un aimable entretien. DIONE. Avec des débauchés on dit qu'il brille à table,Pour se faire valoir c'est là son seul moyen, C'est un fort bon ivrogne. PHILACTE. Hé bien,Un bon ivrogne n'est-ce rien ?C'est le talent le plus aimable? DIONE. Fi donc. PHILACTE. Il a du coeur. DIONE. Pour cet article, non :Du coeur ? C'est le plus grand poltron? Quand il suit Céphale à la chasseTout lui fait peur, tout l'embarrasse ;Une feuille, une mouche, un faon de biche, un daim,Le plus faible animal qui passeL'oblige à rebrousser chemin, Tout lui paraît une bête effroyable,Quelque sanglier redoutable. PHILACTE. Bas.Elle a quelque raison? Haut.Je ne le blâme pasD'éviter des périls sans gloire ;Le bel honneur d'aller affronter le trépas Sans mériter de vivre dans l'histoire !Mais pour courir à la victoireS'il fallait de Céphale accompagner les pas,Alors comme un foudre de guerre,Ardeur au milieu des combats, Plus redouté que le tonnerre? DIONE. Lui ! Quel conte ! À l'hymen il ne s'est engagéQue pour mieux s'assurer un éternel congé. PHILACTE. Bas.Il est vrai? Que je suis en bonne renommée ! DIONE. Son emploi de la Cour nous l'avons acheté, Il en pouvait avoir un dans l'arméeQui ne nous aurait rien coûté. PHILACTE. D'accord. DIONE. À tel excès son procédé m'irrite. PHILACTE. Moi, j'approuve fort sa conduite,C'est un homme de très bon sens Qui veut se conserver pour vous, pour ses enfants,Et qui vous aime. DIONE. Oh, je l'en quitte. PHILACTE, à part. Parbleu, je m'en tiens quitte aussi, sur mon honneur. Haut.Près du Prince il est en faveur,Vous, de Procris la favorite. DIONE. C'est au hasard qu'il doit tout son bonheur,Et le hasard donne-t-il du mérite ? PHILACTE. De l'air dont vous parler de Monsieur votre époux,Ou mes conjectures sont vaines,Ou votre ménage entre nous, N'est pas le plus heureux d'Athènes. DIONE. C'est un des bons, le croiriez-vous ?Cela choque la vraisemblance :Mais vous comprenez bien que jusqu'aujourd'hui,Je n'ai point à Philacte encire fait confidence Des sentiments que j'ai pour lui. PHILACTE. C'est se conduire avec prudence. DIONE. Si par hasard il les savait, je penseQu'il ne m'en saurait pas bon gré. PHILACTE. Pour cela non, j'en suis très assuré, Mais votre coeur paraît n'être ouvert qu'à la haine,Et les femmes pourtant sont faites pour aimer :Quelque autre que Philacte aura su vous charmer. DIONE. Non, je vous l'avouerais sans peine,Vous paraissez galant homme et discret, On vous peut sans péril confier un secret :Inaccessible à la tendresse,Mon coeur jamais n'a ressenti d'amour,Et Philacte est haï sans que j'aime. PHILACTE, à part. Encore est-ce. DIONE. Cela pourrait fort bien venir peut-être un jour : Mais on a tant d'amants que le choix embarrasse,Le goût qu'on prend pour l'un par un autre s'efface,Un troisième s'offre à son tour,Quelque autre le dérange avant qu'il soit en place ;Ainsi le temps de moment en moment Dans l'incertitude se passeSans que l'on puisse, quoi qu'on fasse,Prendre un solide attachement. PHILACTE. À votre époux c'est faire grâce :Mais il faut espérer que cela changera, L'incertitude finira,Défendez-vous que l'on espère ? DIONE. Je ne défends rien, on verra.Hé, qui peut deviner ce que le coeur dira ? PHILACTE. Profitons du séjour qu'ici vous allez faire, Consultez-vous un peu sur cette affaire,Tâchez de vous armer de résolution,Et que je sache sans mystère,L'effet qu'aura produit la consultation. DIONE. Où vous reverrai-je ? PHILACTE. Ici. DIONE. Bon. Je m'y rendrai. SCÈNE XIII. PHILACTE, seul. [Note : Malencontre : mauvaise rencontre.]Que malencontre avienneÀ qui fit naître en moi la curiosité ;Si mon maître de même est payé de la sienne,Il n'en fera pas vanité.Avec Procris je le vois qui s'avance, Les Nymphes viennent rendre hommage à ses attraits,Et vont avec magnificenceLa conduire au Palais. DIVERTISSEMENT. Troupes de Faunes et de Nymphes. MARCHE. UNE NYMPHE chante. Les plaisirs, les ris et les jeuxHabitent dans ces retraites, Vénus y demeure avec eux,Le Dieu des amours les a faitesPour ceux qu'il veut rendre heureux.[Note : Philomèle : Nom propre d'une fille de Pandion Roi d'Athènes. Philomela. Elle était soeur de Progné femme de Terée, fils de Mars et Roi de Thrace : ce Prince conçut une violente passion pour Philoméle sa belle-soeur, et la satisfit ; mais afin que Philoméle ne pût déclarer la violence qu'il lui avait faite, il lui fit couper la langue, et envoya cette malheureuse Princesse à la Cour du Roi Lincée ; Loetuze femme de ce Prince trouva moyen de faire conduire Philoméle à Progné. Elles résolurent ensemble de venger le double attentat de Terée. [T]]Dans ces beaux lieux l'aimable Philomèle,De ses maux perd le souvenir, Et le deuil de la TourterelleLa plus fidèleNe tarde pas à finir. UNE AUTRE NYMPHE chante. Vos yeux ne sont point faits pour répandre des larmes,Il est pour eux un emploi bien plus doux, Belle Procris, vous avez trop de charmesPour regretter si longtemps un époux. ENTRÉE. DEUX NYMPHES chantent. Triomphez, jeune Princesse,Triomphez des Dieux et des Rois,Livrez-vous à la tendresse, Tout suivra vos lois,L'Amour s'intéresseÀ vous voir faire un nouveau choix,Aimez, changez autant de foisQu'il vous en presse. ENTRÉE. BRANLE. UNE NYMPHE chante. Qui cherche un époux volage,Et rencontre un tendre amant,Des fatigues du voyage,Se dédommage aisément. UNE AUTRE NYMPHE chante. Un perfide époux vous change, Il est doux d'en faire autant ;C'est ainsi que l'on se vengeDu mépris d'un inconstant. UNE AUTRE NYMPHE chante. Pour cette douce vengeanceSongez bien qu'il n'est qu'un temps, Prudente qui la commenceAu plus beau de son printemps. UNE AUTRE NYMPHE chante. On perd tout quand on diffère,Et rien n'est à négliger,Les moments où l'on sait plaire, Sont ceux de se bien venger. ACTE III SCÈNE I. L'Aurore, Callitée. L'AURORE. Ah ! Que Procris m'a paru belle,Callitée, et pourquoi les DieuxOrnent-ils donc une simple mortelleDe leurs dons les plus précieux ? Quoi n'est-ce pas fournir des armesContre leurs propres libertés,De prodiguer ainsi tant d'attraits et de charmesQu'ils devraient réserver pour des Divinités ? CALLITÉE. Vous en parlez bien à votre aise, Et pour penser ainsi vous avez vos raisons :Mais les Dieux, ne vous en déplaise,N'ont pas si grand tort au fond.Si les Déesses en partageAvaient tous les attraits et toute la beauté, Croyez-vous qu'un tel avantageN'ajoutât pas beaucoup encore à leur fierté ?Quand par hasard quelques-unes d'entre ellesVeulent trop faire les cruelles,Sur la terre les Dieux ont de quoi s'en venger. Qu'ils font bien de se dédommager,Loin de l'Olympe, auprès des belles,L'occasion de se dédommagerDu sot orgueil des Immortelles ;Car vous savez qu'il en est entre nous De ridicules, d'intraitables ;Et sans vous flatter, comme vousToutes ne sont pas raisonnables. L'AURORE. Je pardonne à ta bonne humeurDe plaisanter ainsi de ma faiblesse : Mais trop légèrement ton zèle s'intéresseÀ l'état violent où se trouve mon coeur. CALLITÉE. Pardonnez-moi, je vous assure,Je suis très attentive à tous vos sentiments,Autant que vous j'y prends part, je vous jure : Mais enfin de cette aventureJe ne prévois pour vous que des plaisirs charmants :Sans crainte de Procris je vois briller les charmes,Les vôtres doivent lui causerPlus de soucis et plus d'alarmes. Sur la foi de l'Amour on peut s'en reposer,Puisque en faveur de votre flammeNotre ami Mercure a, Madame,Pris grand soin de le disposer. L'AURORE. Tu rassures un peu mon âme. CALLITÉE. Contre Procris tout doit vous rassurer ;Vous êtes amante, elle est femme,Quelle raison pour espérer ! L'AURORE. Il est vrai : mais enfin, ma chère Callitée,Mercure dans l'Olympe est allé faire un tour, Et je suis fort inquiétéeDe ne le point voir de retour. CALLITÉE. Avez-vous peur qu'il ne s'égare ? L'AURORE. Non : mais des mouvements de la céleste CourJe crains, je l'avouerai, quelque suite bizarre ; De Minerve, Procris a la protection :Junon dans son humeur jalouse,Sans trop savoir pourquoi, prend avec passionLe fait et cause d'une épouse. CALLITÉE. C'est un faible crédit que celui de Junon. L'AURORE. Cybèle est malfaisante, et Jupiter est bon,À te dire le vrai, tout cela m'inquiète,Callitée, et j'ai grand regretQue cette affaire-ci n'ait point été secrète. CALLITÉE. Cela serait mieux en effet : Mais comment empêcher que le bruit ne soit fait ?Le meilleur parti qu'on peut prendre,C'est de laisser faire, et d'attendre ;Vous verrez à la fin que Procris aura tort.Hé fi, c'est une tracassière, Qui près des Dieux a fait grand bruit d'abord.Jupiter a chargé Mercure de l'affaire :De concert avec nous par Mercure l'Amour,Procris dans ce palais conduite,Y fait pour elle un dangereux séjour, Dont nous verrons bientôt la suite.Son époux tend un piège à sa fidélité :Par les appas d'une feinte tendresseSon coeur frémit, ou son dépit flattéFeront succomber sa fierté. Acte aussitôt de sa faiblesse,Temples, accès fermés pour elle auprès des Dieux,Nul secours, assistance aucune ;Mercure à Jupiter fera voir clairementQu'on ne doit vous blâmer en ceci nullement ; La dolente Procris devenue importuneIra chercher ailleurs fortune ;Et son époux tranquillement,[Note : Gloser : Signifie encore, ajouter quelque chose à une histoire qu'on raconte, l'expliquer à sa fantaisie, et d'ordinaire en mauvaise part, la critiquer. [F]]Sans qu'on ose en gloser, restera votre amant.Ainsi tout ira bien, Déesse. L'AURORE. Le plaisir dans mon coeur succède à la tristesse. CALLITÉE. Voilà comme parmi les DieuxSe mènent bien souvent la plupart des affaires ;Et si chez mes mortels elles vont un peu mieux,Je pense que ce n'est de guère. Ne craignez rien, Mercure avec empressementVous apporte quelque nouvelle. SCÈNE II. L'Aurore, Mercure, Callitée. L'AURORE. Quel trouble tout-à-coup m'agite en ce moment ? MERCURE. Rassurez-vous, trop charmante Immortelle,Du haut des Cieux j'arrive à tire d'aile, Ce n'est pas pour vous faire un mauvais compliment. CALLITÉE. Je vous le disais bien. MERCURE. Tout va le mieux du monde.Le dessein que nous avons prisD'attirer en ces lieux Procris, Pour calmer sa douleur profonde,Ou pour suspendre au moins ses plaintes et ses cris,Dans l'Olympe, où d'abord parmi tous les espritsSur toute nouveauté la pétulance abonde,A fait un merveilleux effet. CALLITÉE. Hé voyez ce que c'est qu'un bon conseil ; Madame. L'AURORE. Donné par un ami parfait. CALLITÉE. Qui s'intéresse à servir votre flamme. MERCURE. Personne n'y prend tant de part ;Et pour donner un bon tour à l'affaire, Je m'y suis pris aussi de la bonne manière.Arrivé comme par hasard,De votre part pourtant j'ai d'abord été faireÀ Junon, Cybèle et Pallas,Des compliments qu'elles n'attendaient pas. L'AURORE. Elles qui contre moi sans raison déclarées ?... MERCURE. Et voilà pourquoi justementJ'ai cru qu'il était bon que pour le complimentElles fussent les préférées. CALLITÉE. Que Mercure est un bon politique ! MERCURE. Oui, vraiment. Celles qui sont de nos amiesSans soins à nous servir se laissent engager :Ce ne sont que les ennemiesQu'avec art il faut ménager. L'AURORE. Cette conduite est tout-è-fait louable : Mais enfin, quel succès est-ce qu'elle a produit ? MERCURE. Elle a produit un succès admirable,Dont j'ai la peine, et vous le fruit. L'AURORE. Mais encor dites-moi. MERCURE. Procris disgraciée,Chez les Divinités a perdu son crédit. L'AURORE. Hé ? De quelle façon ? MERCURE. J'ai mis dans leur esprit. L'AURORE. Quoi ? MERCURE. Que de leur puissance elle s'est défiée,Qu'elle a mis dans ses intérêtsVénus, les Grâces, la Jeunesse,Les Ris, les Jeux, les Plaisirs. CALLITÉE. Quelle adresse ! MERCURE. Qu'à la servir aussi les amours sont tous prêts ;Qu'enfin elle est autoriséePar toute la cabale à la leur opposée. L'AURORE. Hé bien ! MERCURE. Hé bien dans le momentLes voilà dans l'emportement. Je ne m'étonne pas, a dit d'abord Cybèle,Si je n'entends plus parler d'elle.Dans mon Temple, a repris Junon,Elle n'a depuis hier fait offrandes ni don.Ah vraiment, a crié Minerve, Cette folle prend bien son tempsPour nous retrancher notre encens ;Croit-elle donc que pour rien on la serve ?Hé ! Pensez-vous donc que ce soit votre appui ;Ai-je répondu, moi, qu'elle cherche aujourd'hui ? Loin de s'intéresser à retrouver Céphale,Éprise d'une ardeur égale,Elle court comme lui la campagne à présent. L'AURORE. Ah ! C'est être trop médisant. MERCURE. Oh ! Vous placez mal le scrupule, Madame l'Aurore ; comptez,Pour épargner le moindre ridiculeÀ certaines Divinités,Qu'il n'est médisance, impostureDont ne soit capable Mercure ; Et qu'enfin pour sauver votre honneur combattu,Il faut immoler tout, et même la vertu. CALLITÉE. Quel zèle ! L'AURORE. Il va plus loin encor que ses promesses. MERCURE. Enfin voyant les trois DéessesL'esprit aigri de colère, et le coeur À peu près au point de fureurQu'on pouvait souhaiter, c'est-à-dire, enragéesComme des prudes outragées,J'ai dans l'instant saisi l'occasion,Je me suis assuré de leur protection, Pour faire recevoir CéphaleÀ demander aux Dieux la séparation,En cas de malversationDe la part de votre rivale.Cela vaut fait. CALLITÉE. Fort bien. MERCURE. Ce n'est pas tout encor. L'AURORE. Qu'avez-vous fait de plus ? MERCURE. Plutus, le Dieu de l'or,Que vous connaissez bien, je pense,M'a de fort bonne grâce et sans nul intérêt,Malgré le temps qui court, prêté quelque finance,Que vous lui rendrez, s'il vous plaît, Et cela pour donner à quelques secrétaires,À des confidents ordinairesDe quelques Dieux de peu de poids,Mais qui pourtant dans les affairesNe laissent pas d'avoir leur voix. L'AURORE. Vous avez fort bien fait. MERCURE. Dans le siècle où nous sommes,Chez les Dieux comme chez les hommesLes présents font taire les lois. L'AURORE. D'accord. MERCURE. Quant à Momus, trois ou quatre bouteillesD'un nectar le premier cuvé, Par mon maître d'hôtel avec soin conservé,L'ont engagé pour vous à faire des merveilles :[Note : Sou : La plupart écrivent soul ou sou ; c'est du moins ainsi qu'il faut prononcer, et de même dans ses dérivés. Adj. et quelquefois subst. Qui a mangé, autant ou plus qu'il ne faut pour vivre. Satur. C'est un fort petit mangeur, il est saoul de peu de chose. [T]]Le Dieu critique en a bu tout son sou,Puis, devant Jupiter, des fausses pruderiesIl a fait cent plaisanteries ; Le grand Maître des Dieux en a ri comme un fou :Enfin ce qui d'abord chez la Troupe immortelle,Ou par malice, ou par prévention,Paraissait mériter si grande attention,Leur paraît maintenant la moindre bagatelle ; Et sur ma foi je vous fais caution,Que de Procris pour peu que la vertu chancelle,Il n'en sera plus mention. CALLITÉE. N'est-ce pas une chose étrangeDe voir qu'en terre et dabs les Cieux, Parmi les mortels et les Dieux,On soit sujet à prendre ainsi le change ? L'AURORE. Tout ceci ne méritait pasL'éclat qu'on en a voulu faire. CALLITÉE. D'accord : mais en donnant un bon tour à l'affaire, Mercure cependant nous sort d'un mauvais pas. L'AURORE. Je n'en serai jamais ingrate,Et Mercure sur moi peut compter. MERCURE. Je m'en flatte ;Mais à le mériter je suis intéressé.Voici Philacte, je vous laisse, Et vais près de Procris employer soins, adresse,Pour achever ce que j'ai commencé. SCÈNE III. L'Aurore, Callitée, Philacte. CALLITÉE. Philacte est occupé de quelque rêverie,Qui lui cause un secret ennui. L'AURORE. Faisons-le approcher, je te prie, Je veux savoir un quelque chose de lui. CALLITÉE. Philiacte. PHILACTE. Ah, ah ! C'est vous. L'AURORE. Que fait Céphale ? PHILACTE. Pour vous plaire, à votre rivalePar vos ordres il fait les honneurs du Palais,Comme s'il en était le maître ; Et si je sais me connaître en souhaits,Je crois qu'il voudrait déjà l'être. L'AURORE. Près de Procris il est fort empressé ? PHILACTE. Tantôt oui, tantôt non, Madame. L'AURORE. Comment ? PHILACTE. Il a d'abord assez bien commencé, Et dans l'esprit et le coeur de la DameIl m'a paru fort avancé,Puis ensuite il s'est déplacé ;Je ne sais quel remords le gêne au fond de l'âme. L'AURORE. Ainsi toujours de Procris amoureux? PHILACTE. Ce n'est point l'amour qui l'enflamme :Mais sous de nouveaux traits il est bien dangereuxDe faire l'amant de sa femme :Vous éprouvez son coeur par un terrible endroit,L'entreprise est hardie, et délicate, et grande ; Pardonnez-lui s'il appréhendeD'être aimé plus qu'il ne voudrait. CALLITÉE. La situation à coup sûr est gênante. L'AURORE. Et c'est pourtant le seul moyenDe calmer les soupçons que mon coeur a du sien. PHILACTE. Hé ! De grâce, soyez contenteD'allumer dans son coeur une flamme constante,Madame, et par-delà ne lui demandez rien.Je sais par moi ce qu'il en coûtePour certains éclaircissements. CALLITÉE. As-tu vu ta femme ? PHILACTE. Sans doute. CALLITÉE. Tu sais pour moi quels sont ses sentiments ? PHILACTE. Oh, vraiment oui, c'est bien le plus grand fonds de haine,Le plus parfait mépris. Je m'en doutais un peu :Mais, grâce à vous, la chose est à présent certaine, Et d'en douter encor je n'ai plus aucun lieu.Si par hasard mon maître allait savoir de même? L'AURORE. Non, pour lui de Procris la tendresse est extrême,Il n'en doit redouter ni haine, ni mépris,Céphale est seul objet de sa plus tendre flamme. PHILACTE. Je n'en répondrais pas, Madame,C'est son épouse, que Procris ;L'hymen fait des effets qu'on ne saurait comprendre ;Moi, qui n'ai pas sujet de m'en louer,Et qui suis fort humain, fort tendre, À la pauvre Princesse? Osai-je l'avouer ?J'ai par deux fois été tenté d'apprendreLe mauvais tour qu'on voulait lui jouer,Mais la crainte de vous déplaire. L'AURORE. À ton bon naturel je ne m'oppose pas, Tu peux en parler ou te taire,Mais il s'agit dans cette affaireDu secret, ou d'un prompt trépas. PHILACTE. Je me tairai. L'AURORE. Tu ne saurais mieux faire,Et si Procris en apprends jamais rien, Tu cesseras de vivre au même instant. PHILACTE. Fort bien. SCÈNE IV. Philacte, Callitée. PHILACTE. Tudieu, la dangereuse choseQue d'avoir le secret des Grands !Que ce soit vous, ou quelque autre qui cause,Il faut en être les garants. Ce séjour si charmant commence à me déplaire ;De grâce, donnez-moi les moyens d'en sortir,L'Aurore est un peu trop en colère. CALLITÉE. Je n'ai garde d'y consentir. PHILACTE. [Note : Faire pièce : Tromperie, moquerie, petit complot, comparé à une pièce de théâtre ; car c'est ainsi que s'explique l'emploi du mot en ce sens. Faire pièce à quelqu'un, lui faire une malice, en user mal avec lui. [L]]Quoi donc, si pour me faire pièce On va révéler le secret ? CALLITÉE. Tu sais l'ordre de la Déesse,Point de quartier. PHILACTE. Je suis votre valet,Vous donnez à son ordre un peu trop d'étendue ;Si ce n'est pas ma faute à moi ? CALLITÉE. N'importe, immuable est la loi. PHILACTE. Parbleu, pour éviter qu'on fasse une bévue,Ou laissez-moi partir, ou qu'on me garde à vue. CALLITÉE. Rien ne t'arrête donc en ces lieux ? PHILACTE. Non, ma foi ;L'amour m'y retiendrait, mais la crainte m'en chasse. Mettez-vous vous-même en ma place. CALLITÉE. À la Divinité je répondrai de toi. PHILACTE. Je demeure, et c'est une grâceQue je ressens comme je dois. CALLITÉE. Va rejoindre Céphale, et dis-lui qu'il se presse De mériter le coeur de la Déesse ;Pour rompre avec Procris qu'il ne ménage rien. PHILACTE. Quel espoir m'est permis ? CALLITÉE. Moi-même je l'ignore.Mais unissons d'abord Céphale avec l'Aurore,Leur sort décidera du tien. SCÈNE V. CALLITÉE, seule. Si je puis sainement juger de l'aventure,La Déesse et Céphale, à ce que je prévois,S'accorderont mieux que Philacte et moi.Mais que vois-je, Seigneur Mercure ?Quel est donc ce déguisement ? SCÈNE VI. Callitée, Mercure en vieille. MERCURE. Connaissez-vous les traits de Sténopé ? CALLITÉE. Oui, vraiment,Nourrice de Procris, je pense. MERCURE. Son tout, sa gouvernante aussi. CALLITÉE. Oui, justement. MERCURE. Ai-je bien pris la ressemblance ?Qu'en dites-vous ? CALLITÉE. On ne peut rien de mieux ; Voilà son air, ses traits, sa taille et son visage ;Sans être tout au moins du rang des demi-Dieux,On vous méconnaîtrait, je gage,Et ce déguisement peut tromper tous les yeux. MERCURE. Je vois de Procris la Suivante, Adieu. Comme nourrice, avec la confidente,Je vais au plutôt acheverD'abattre une fierté déjà bien chancelante. SCÈNE VII. Mercure, Dione. DIONE. Rien n'est moins naturel que tout ce que je vois,Chaque instant, chaque pas à ma surprise ajoute, Vous sommes chez un Dieu, sans doute ;Mais ne vois-je pas ? Non, si fait, pardonnez-moi :Je ne me trompe point, Sténopé ! MERCURE. C'est Dione !Que je ressens de joie en ce moment ! DIONE. Par excès d'amitié la bonne Vieille donne L'embrassade aussi vivement? MERCURE. Je suis, ma chère enfant, dans de cruelles peines.Quoi ! Sans Procris vous trouver seule ici ?Pour la chercher je viens exprès d'Athènes. DIONE. Et vous venez à propos, la voici. SCÈNE VIII. Mercure, Procris, Dione. PROCRIS. Que fais-je ? Où suis-je, infortunée ?Est-ce donc mon époux que j'attends en ces lieux ?Quelle y sera ma destinée !Mais, quel objet se présente à mes yeux !Sténopé ! Hélas ! Vous m'avez donc suivie ? En quel état me trouvez-vous ? MERCURE. Dans un état à faire envie,Si quand l'Amour vous y convieVous suiviez un juste courroux. PROCRIS. Quoi ! De concert avec Dione, Sténopé, mes chagrins par vous sont redoublés ?Est-ce donc vous qui me parlez ? MERCURE. Ce sont des conseils qu'on vous donne,Servez-vous-en si vous voulez. PROCRIS. Qu'entends-je ? Quels discours ? Leur nouveauté m'étonne ! Quoi !Lorsque la raison peut-être m'abandonne,Est-ce ainsi dans mes maux que vous me consolez. MERCURE. Ces traîtres de maris, ce parjure Céphale,C'est l'âme la plus déloyale? PROCRIS. Dit-on l'objet de son égarement ? MERCURE. Oui, l'on sait toutes ses fredaines,Il est à présent dans Athènes[Note : Prédicament : Terme de Logique. C'est une des Catégories, une division qui se fait de la nature des substances, ou des qualités des êtres. Les Philosophes ne sont pas d'accord sur le nombre des Prédicaments. On dit proverbialement, qu'une personne est en un bon, ou mauvais prédicament, selon qu'elle s'est mise en bonne, ou en mauvaise réputation. [F]]Dans un joli prédicament. PROCRIS. Sténopé, instruisez-moi de tout ce qui se passe, Pour aigrir mon ressentiment. MERCURE. Ho, c'est bien mon dessein, vraiment.Sous prétexte d'aimer la chasse,Tous les jours le perfide allait dès le matinEn rendez-vous avec l'Aurore PROCRIS. Avec l'Aurore ! DIONE. Et mon vilainNe m'en avait rien dit encore :Le double traître ! MERCURE. Autre coquin.Le drôle avait aussi ses raisons pour se taire. DIONE. Le pendard ? MERCURE. Voilà bien de quoi vous étonner ; L'exemple est dangereux, on fait ce qu'on voit faire.Il s'était laissé subornerPar une Nymphe bocagère,Dont ils empruntaient la chaumièrePour apprêter le déjeuner. DIONE. Je le reconnais bien, il ne sait qu'ivrogner,Toujours à table, ou près de quelque aventurière. PROCRIS. Mais quoi, la Déesses du jourSe rendrait-elle aussi dans ce vilain séjour ? MERCURE. En quel lieu, dites-moi, dans leurs folles tendresses Ne vont point et Dieux et Déesses ? PROCRIS. Avec Céphale de concertVotre époux nous trompait, Dione. DIONE. Vengeons-nous en de même. Hé, de quoi sertD'être fidèle à qui nous abandonne ? MERCURE. On n'en est pas mieux, car enfin,Ce que l'on n'a pas fait, on croit qu'on l'a pu le faire. DIONE. [Note : De guère : De peu. Attesté par le Dict. Littré.]Et la contrainte ainsi ne sert de guère. MERCURE. Non vraiment. Il n'est point de plus sotte manière,C'est être raisonnable en vain. PROCRIS. Quelle ardeur coule dans mes veines !Le trouble, le dépit, la fureur tour à tour?Quels avant-coureurs de l'amour !Il fallait? précautions vaines,Quand j'aurais évité ce dangereux séjour, Sténopé, suivez-moi, prenez pitié des pinesQue je ressens dans ce funeste jour. DIONE. Cette affaire-ci prend le tourQue j'ai prévu d'abord. Vous suivrai-je, Madame ? MERCURE. Non. DIONE. C'est moins le dépit que l'amour qui l'enflamme. SCÈNE IX. Dione, Philacte. PHILACTE, à part. Je ne puis retrouver Céphale dans ces lieux.Heureux amant sans se faire connaître,Et malheureux mari ; peut-êtreDe honte en ce moment il se cache à mes yeux,Mais je vois ma femme, et j'enrage, Qu'ici mal-à-propos me voilà revenu ! DIONE. Voici, je crois, mon inconnu. PHILACTE, à part. Au rendez-vous la coquine est exacte,Et par ma foi, je n'en suis point surpris. DIONE. Il est moins beau que l'amant de Procris, Mais il est bien au-dessus de Philacte. PHILACTE, à part. Philacte ! Elle parle de moi,Et n'en dit pas de bien sur ma parole.Éloignons-nous d'ici, je croisQue j'y jouerais un assez mauvais rôle. DIONE. Vous semblez vouloir m'éviter,Ma présence vous embarrasse,Vous qui tantôt dans cette même placeAvec plaisir paraissiez m'arrêter. PHILACTE. J'appréhende de vous distraire, Et de troubler des occupationsQui, comme je présume, ont plus de quoi vous plaireQue l'entretien que nous aurions. DIONE. Je consultais mon coeur sur la petite affaireDont tantôt vous m'avez parlé. PHILACTE. Aux conseils volontiers un bon esprit déferreQuand il se croit bien conseillé. DIONE. Avec plaisir vous apprendrez peut-êtreLe résultat de la réflexion,J'ai pris ma résolution. PHILACTE. Ne me la faites point encore sitôt connaître.Et dans mon coeur laissez durerLa charmante douceur de pouvoir espérer? DIONE. Ah ! Puisqu'à cet espoir vous êtes si sensible,Apprenez pour le mieux flatter, Que mon traître m'a fait un outrage terrible. PHILACTE. Philacte ? DIONE. Je le sais à n'en pouvoir douter. PHILACTE. Lui ? Quel conte ? DIONE. Par l'infidèleLe coeur d'une Nymphe surpris,Hé, quelle Nymphe, encore. PHILACTE. Chansons. DIONE. Non. PHILACTE. Bagatelle. DIONE. Je vous dis qu'il est aimé d'elle,Plus encore qu'il n'en est épris. PHILACTE, à part. J'en tiens. Pour ne se pas contraindre,[Note : Masque : Terme familier d'injure dont on se sert quelquefois pour qualifier une jeune fille, une femme, et lui reprocher sa laideur ou sa malice. [L]]La masque est sans sujet la première à se plaindre,Et voilà le prétexte pris. DIONE. Je vous trouve rêveur, inquiet, et surpris. PHILACTE. Sur mon compte par CallitéeChemin faisant n'a-t-elle rien appris ? DIONE. Je suis à tel point irritée? PHILACTE. Tranquillisez un peu vos sens. DIONE. Contre moi de l'ingrat vous prenez la défense ? PHILACTE. Non pas vraiment : Mais la prudenceNe permet pas sur des faits importantsDe trop croire la médisance ;La plupart des époux sont de si bonnes gens, Qui méprisent d'entrer dans de certains mystères ;Si comme vous ils étaient pétulants,On verrait de belles affaires. DIONE. Je souffrirai qu'avec impunité[Note : Magot : Gros singe sans queue du genre des macaques. Fig. et familièrement. Un magot, un homme fort laid. [L]]Ce vilain, ce magot m'outrage ? PHILACTE. Oui, vous êtes et bonne et sage. DIONE. Moi sage ! Je l'ai trop été,Je crèverais plutôt que de l'être davantage. PHILACTE. Bon, voilà mon fait arrêté ;[Note : Hom : Qui exprime le doute, la défiance. [L]]Hom, chienne. DIONE. Quel discours ! L'impudence m'étonne,Hé, qui vous autorise à me parler ainsi. PHILACTE. Vous le saurez bientôt, mignonne,Pour moi je ne veux pas être plus éclairci ;Je m'en tiens là. Procris s'avance. DIONE. Quelle confusion ? Que faut-il que je pense ? SCÈNE X. Céphale, Procris, Philacte, Dione. PROCRIS. Quoi donc, seule avec vous, Seigneur,Sténopé en ces jardins me laisse ? CÉPHALE. N'en appréhendez rien qui blesseLa bienséance ni l'honneur : Mon respect est pour vous égal à ma tendresse,Et quand on aime infinimentOn aime avec délicatesse.Je me suis aperçu de son éloignement,Madame, et depuis ce moment À mon coeur j'ai fait violence.Timides pendant son absence,Mes feux ont craint de s'exhaler,J'ai forcé ma bouche au silence,Et mes yeux seuls ont osé vous parler Du plus ardent amour dont on puisse brûler. PROCRIS. Ce langage pour moi n'est point intelligible,On ne m'a point instruite à l'expliquer, Seigneur,Et les yeux, la bouche et le coeurÀ qui porte une âme sensible, Parlent en vain de la plus vive ardeur. CÉPHALE. Ainsi donc tout espoir m'est interdit, Madame ?Pour vous faire approuver ma flamme,Je fais des efforts superflus ?Parlez. PROCRIS. Qu'exigez-vous, et que puis-je vous dire, Seigneur ? Je ne me connais plus,Tout est nouveau pour moi dans votre empire,Mon esprit y pense autrement,C'est un autre air que j'y respire,Mon coeur agit différemment, Il me semble que tout conspireÀ me faire sentir ce fatal changement.À mes intérêts si fidèle,Sténopé si prudente et si sage autrefois,Par des conseils indignes d'elle, Irrite encore le trouble où je me vois :Sa complaisance criminelle,Prête aux traits que j'évite une force nouvellePour m'asservir sous de funestes lois.Fuyons, n'attendons pas qu'un Dieu cruel s'unisse À tant d'efforts que l'on fait contre moi.Quoique Céphale me trahisse,Souvenons-nous de ce que je me dois :Il est parjure, il me manque de foi,Que ma fidélité fasse un jour son supplice. CÉPHALE. Mérite-t-il, Procris, ce tendre attachement ?Malgré ses ardeurs insenséesVous l'aimez toujours constamment,Toujours présent à vos pensées? PROCRIS. Qu'il les occupe en ce moment. CÉPHALE. Instruit de sa perfidie,Que lui-même partout prend soin de publier,Vous savez qu'il vous a trahie,Et vous ne pouvez l'oublier ? PROCRIS. Ce serait manquer à ma haine, Que d'oublier qu'il a pu me trahir ;Laissez-moi cet objet dont ma mémoire est pleine,Je ne l'y retiendrai que pour mieux le haïr. CÉPHALE. Dans cette haine encore mal assurée,Le haïssez-vous tant, Procris ? PROCRIS. Cette haine, seigneur, aura peu de durée,Elle fera bientôt place au mépris. CÉPHALE. Le mépris : quoi déjà? PROCRIS. C'est la seule vengeanceQue contre lui se permet ma douleur :N'est-il pas temps qu'elle commence Au moment que je sais l'offense ?Je contrains mon dépit et ma juste fureur ;Et n'opposer à l'inconstanceQue mépris et qu'indifférence,C'est se venger avec douceur. CÉPHALE. Ah ! De quel doux espoir je sens flatter ma peine !La haine succède à l'amour,Le mépris va suivre la haine,Et ce grand changement est l'ouvrage d'un jour.Que la trahison de Céphale Mérite bien le sort que vous lui préparer ! PROCRIS. Hélas, Seigneur ! CÉPHALE. Vous soupirez. PROCRIS. À mon repos trahison trop fatale,À quels tourments vous me livrez ?Seigneur, soyez sensible à mon malheur extrême, Souffrez que je me rende à la Grèce, moi-même. CÉPHALE. Vous préférez, Procris, le Palais odieuxD'un époux volage et parjureÀ cet asile glorieux ?Vengez-vous ainsi votre injure ? Les pleurs qui coulent de vos yeux,Font trop voir à quel point il vous est cher encore,Cet infidèle époux, cet Amant de l'Aurore. PROCRIS. Seigneur ? CÉPHALE. Que pouvez-vous souhaiter en ces lieux ?Demi-Dieux, Nymphes, tout s'empresse à vous y plaire. Comme soumise et tributaireDe ces dons précieux,La nature cherche à vous faireUn hommage digne des Dieux.Je ne veux qu'un seul mot, et pour vous satisfaire J'assemble en ce Palais mille trésors diversQu'enferment dans leur sein et la terre et les mers,Ils sont à vous, Procris, permettez que j'espère. PROCRIS. Les richesses ne touchent guère,Seigneur, un coeur comme le mien, Et c'est mal en juger de croireQu'aux offres des trésors il soit sensible. CÉPHALE. Hé bien,Si du moins il l'est pour la gloire,Peut -être dépend-il de moiDe vous mettre au-dessus du sort d'un e mortelle. PROCRIS. Vous pouvez tout, et je le crois ;Mais pour nous rendre heureux la grandeur suffit-elle ?Non, l'immortalité, Seigneur, me déplairait,Si l'amour de celui qui me l'assureraitComme lui, comme moi n'était pas éternelle. CÉPHALE. Ah ! Je ne cesserai jamais d'être constant. PROCRIS. Céphale m'en jurait autant. CÉPHALE. Par quels serments faut-il qu'on vous rassure ?Qui peut mieux garantir la foi de ces serments,Que l'adorable objet de mes empressements ? C'est par vous-même que j'en jure. PROCRIS. Et mon perfide époux, Seigneur,Verrait-il à regret ma gloire et ma grandeur ?La honte et le remords de m'avoir outragée,Troubleraient-ils son infidèle coeur ?, CÉPHALE. Que vous doit importer sa joie ou sa douleur,Pourvu que vous soyez vengée ? PROCRIS. Hé ! Puis-je l'être sans savoirQue je lui cause un mortel désespoir ? CÉPHALE. Et vous le haïssez ? Malgré son inconstance Que Céphale est encore heureux !Et moi, je ne devrais le succès de mes voeuxQu'à ce seul désir de vengeance ? PROCRIS. Ne suffirait-il pas qu'ils fussent écoutés ? CÉPHALE. Non, ce n'est pas assez, et ma délicatesse Voudrait devoir toute ma tendresse,Procris, à vos seules bontés. PROCRIS. Que vous êtres cruel ! Que mon trouble est extrême !Pourquoi réduire un coeur à le nécessitéDe vous avouer, s'il vous aime, Que vous le devez moins à l'infidélitéD'un volage époux, qu'à vous-même ? CÉPHALE. Procris, sortez de votre erreur ;Céphale balançait à vous être infidèle,Et s'il n'eût point connu votre perfide coeur, Il n'aurait point brûlé d'une flamme nouvelle.Reconnaissez-le cet époux,Fuyez, évitez son courroux. PROCRIS, fuyant. C'est Céphale. Grands dieux ! Ah ! Qu'ai-je fait, Dione ? DIONE. C'est lui, Madame ? PHILACTE. Et moi, Madame la friponne, Qui suis-je, s'il vous plaît ? DIONE. Mon traître de mari !Ah ! PHILACTE. Nous ferons un jour un beau charivari :Aujourd'hui, doucement, il faut boire la chose.Ma foi, Seigneur, nous nous serions tous deuxFort bien passés de la métamorphose. CÉPHALE. Ah, Déesse ! À quel prix vous me rendez heureux. SCÈNE XI. L'Amour, L'Aurore, Céphale, Philacte. L'AMOUR. Aux doux plaisirs qu'on vous offre en ces lieux,Vous pouvez vous livrer sans scrupule et sans crainte,Céphale, Procris de ses plaintesN'importunera plus les Dieux. L'AURORE. Jupiter approuve nos feux,Jouissez de la gloire où mon choix vous appelle,Et rendons tous deux grâce à Mercure, à l'Amour,Dont l'adresse et les soins vous ont fait en ce jourConnaître à fond le coeur d'une infidèle. DIVERTISSEMENT. Plusieurs Faunes et Nymphes. MARCHE. UNE NYMPHE chante. Petits Oiseaux, courtisans de l'Aurore,Chantez le glorieux destinDu Prince charmant qu'elle adore ;Et pour lui plaire mieux encore,Ne l'éveillez plus si matin. BRANLE.Une autre Nymphe chante.Les faveurs d'une Déesse,Font un Mortel égal aux Dieux :L'amour n'est point une faiblesse,Quand il s'élève jusqu'aux Cieux. Deux Nymphes chantent.Est-ce un grand bonheur de vivre,Si l'on ne vit pas heureux ?L'est-on si l'on ne se livreÀ ce qui flatte nos voeux ? Pour engager les plaisirs à nous suivreIl faut aller au-devant d'eux. BRANLE. UNE NYMPHE chante. Ne traitons point de folieTout ce qui mène au plaisir :Trop heureux qui peut s'en saisir, C'est le seul plaisir de la vie.Sans l'amour Jupiter mêmeS'ennuierait au haut des Cieux.Dans l'Olympe, en terre, en tous lieuxOn n'est heureux qu'autant qu'on aime. UN FAUNE chante. Les plaisirs que l'amour donneTouchent faiblement nos sens ;Ce sont des plaisirs languissantsSi Bacchus ne les assaisonne. PHILACTE. Aux plaisirs sans préférence, Sans dispute livrons-nous ;Et quand nous les aurons pris tous,Nous en ferons la différence. ==================================================