******************************************************** DC.Title = L'ILLUSTRE THÉÂTRE, COMÉDIE DC.Author = DES ESSARTS, Emmanuel DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 10/05/2021 à 11:31:59. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/DESESSARTS_ILLUSTRETHEATRE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5468767p DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** L'ILLUSTRE THÉÂTRE COMÉDIE EN UN ACTE 1900 EMMANUEL DES ESSARTS IMPRIMERIE ANTH[OIN]E BOUCHER, RUE DES BONS ENFANTS, n°34. Comédie en un acte, représentée au Théâtre national de l'Odéon, le 15 janvier 1900, à l'occasion du 278e anniversaire de la naissance de Molière. PERSONNAGES, Artistes de la création. MOLIÈRE, M. Coste. LÉONARD DE POURCEAUGNAC, M. Frère. JEAN-GASPARD TRUFALDIN, hôtelier. M. Berthier. BÉJART, comédien. M. Caillaud. MADELEINE BÉJART, comédienne. Mme Sinly. MADEMOISELLE DU PARC, comédienne. Melle Mitzi-Dalti. La scène se passe en l'Hôtellerie du « Soleil d'Or », à Limoges, en 1658. L'ILLUSTRE THÉÂTRE SCÈNE I. Léonard de Pourceaugnac, Trufaldin. POURCEAUGNAC. Reconnaissez enfin que j'ai l'esprit subtil. TRUFALDIN, à part. Quand ce maudit bavard me délivrera-t-il ? POURCEAUGNAC. Avouez que je suis vraiment un habile hommeEt que dans leur cerveau tous les docteurs de RomeN'auraient pu concerter meilleur tour de renard. Pour se débarrasser des gens, que LéonardDe Pourceaugnac. TRUFALDIN, à lui-même. Il est superbe d'impudence. À Pourceaugnac.Je me serais passé de votre confidence,Mais je vous répondrai qu'en cette occasionVous n'avez pas commis une belle action. Sur de pauvres acteurs, pleins de verve fantasque,Vous avez déchaîné les sifflets en bourrasque,Sournoisement, feignant d'être leur bon ami ;Et moi, qui ne dis pas les choses à demi,Moi, Gaspard Trufaldin, simple hôtelier, je juge Que vous fûtes l'auteur d'un très vilain grabuge,Et ne voudrais pour rien entrer dans ce mic-mac,Messire Léonard, baron de Pourceaugnac. POURCEAUGNAC. Ça, maître Trufaldin, pas de mot qui mal sonne!Lorsque je me confie à vous-même, en personne, Sachez-le bien, monsieur le serveur de repas,Je vous offre un honneur... TRUFALDIN. Que je n'accepte pas. POURCEAUGNAC. Holà ! patientez. Ecoutez donc la suite,Quand moi je vous soumets mon plan et ma conduite.C'est l'amour qui me rend de la sorte inventif, Et j'ai fait le trompeur pour le plus doux motif.Sinon, aurais-je pu surmonter cette épreuve ?J'aime, et bientôt je pense épouser une veuve,Madame de Meilhan, qui me trouve accompli.Tout allait pour le mieux, sans obstacle, sans pli ; Mais, parmi les ardeurs d'une flamme idolâtre,J'apprends que les acteurs de VIllustre Théâtre,Comédiens errants venus de l'AngoumoisÀ Limoges, joueront ici tout un grand mois...Un siècle! C'était trop pour mon humeur jalouse ! TRUFALDIN. Mais quel péril avant la noce. POURCEAUGNAC. Mon épouseProchaine, et que j'estime aussi pure qu'un lis,Autrefois, sous le nom d'Estelle de Surlis,Fut une actrice en vogue et vraiment non pareille.Une actrice à Bordeaux. TRUFALDIN, à lui-même. C'est un nom qui réveille Ma mémoire. POURCEAUGNAC. La troupe où brilla mon amourEst celle qui chez nous rêvait ce long séjourEt que mon piège hier fit tomber dans la nasse. TRUFALDIN. D'un bois anticipé craigniez-vous la menace ? POURCEAUGNAC. Non ! Mais j'avais grand'peur que ces comédiens Ne pussent ramener aux souvenirs anciensMon infante, et troubler d'une vague penséeDu noble Léonard l'auguste fiancée.J'ai juré le départ de tous ces suborneursD'impertinents conseils malencontreux donneurs. Redoutant à bon droit leur humeur cavalière,Pour sauver mon hymen j'ai fait siffler Molière. TRUFALDIN, à part. La troupe de Molière ! Et moi qui la logeais ! POURCEAUGNAC. Maintenant que tu sais mes intimes projets,Je m'en vais courtiser ma belle aux bras d'albâtre. J'entends venir messieurs de l'Illustre ThéâtreQui marmonnent avec leurs ramages divers ;Je ne veux rencontrer ces beaux diseurs de versQu'à l'heure où pour partir ils franchiront ta porte.Bon vêpre, Trufaldin... Il sort précipitamment. SCÈNE II. Trufaldin, puis Béjart, Madeleine Béjart, Mademoiselle du Parc. TRUFALDIN, de loin, montrant le poing à Pourceaugnac. Que le diable t'emporte ! Satan puisse étrangler le traître que tu fus !Mais voici nos acteurs : comme ils ont l'air confus !Et c'est ainsi qu'un sot peut traiter le génie. BÉJART. Bonjour, Comus. MADELEINE. Bonjour ! TRUFALDIN, avec une feinte brusquerie. Bonsoir la compagnie ! À lui-même en sortant.J'ai l'air de fuir. Je vais avec des soins loyaux Pour tous ces braves gens cuire des aloyaux. SCÈNE III. Béjart, Madeleine, Mademoiselle du Parc. MADEMOISELLE DU PARC. Cet aubergiste affecte une mine bourrue. BÉJART. Il nous ferait jeter dès ce soir dans la rueQue je n'en serais pas certes bien étonné. MADELEINE. Aussi quel insuccès ! BÉJART. J'en reste consterné ; Car nous n'étions pas faits à ces mésaventures.Quel orage ! On eût cru vraiment que les toituresS'écroulaient sur nos fronts, tant la salle en émoiCriait, hurlait ! MADEMOISELLE DU PARC. J'en suis inconsolable. MADELEINE. Et moiJe voudrais consoler de ces sottes furies Notre ami qui se perd en sombres rêveries. BÉJART. Triste ou gai, c'est toujours l'esprit contemplateur.Il ne sourcillait point, lorsque le spectateurFit partir les sifflets comme d'une volière.Son maintien assuré disait: « Je suis Molière! » Ses yeux calmes faisaient appel à l'avenir. SCÈNE IV. Les mêmes, Molière. MOLIÈRE du fond de la scène : il a entendu les dernières paroles de Béjart. Pourtant je ne veux pas, ami, vous retenir,Si l'arrêt qu'un public brutal me signifiéVenait mettre à néant votre philosophie.Pour la première fois je suis découragé. MADEMOISELLE DU PARC. Qu'est-ce à dire, patron ? Vous nous donnez congé ? MOLIÈRE. Moi vous quitter ! Non pas ! Car vous m'êtes fidèles. BÉJART. Tous, jusqu'à Ragueneau, le moucheur de chandelles. MOLIÈRE. Vous, Madeleine, et vous, du Parc, et toi, Béjart,Vous êtes à jamais les frères de mon art. Mais j'attendais bien mieux de cette vieille ville.Au renom élégant, à l'allure civile,Où pour nous accueillir le parler limousinDe notre cher Midi nous semblait le cousin.Sous ce ciel bleu soufflait une brise d'Espagne. Et maintenant pour nous quelle entrée en campagne !Comment poursuivre encore, après de tels décris,La saison qui devait nous mener à Paris ![Note : Thespis d'Icare : inventeur de la tragédie grecque.]C'est le char de Thespis qui s'embourbe en province. BÉJART. Monseigneur de Conti, ce magnifique prince, T'a promis un début au Louvre, chez le Roi. MOLIÈRE. Mais qui pouvait prévoir ce brusque désarroi,Quand plus d'une cité nous fut hospitalière ? MADELEINE. Montpellier. MADEMOISELLE DU PARC. Pézenas ! BÉJART. Où notre cher Molière,Chez le barbier loquace, assis dans un fauteuil. Observait les chalands d'un rapide coup d'oeil. MADELEINE. [Note : Contadin(e) : originaire de Comtat Venaissin, c'est à dire Avignon et sa région en tant qu'État pontifical.]Avignon qu'égayaient les brunes Comtadines ! MADEMOISELLE DU PARC. Béziers où les beautés ont des façons badines ! BÉJART. Pays de rires prompts et surtout de bons vins ! MOLIÈRE. Pays d'espoirs sans borne et de songes divins ! BÉJART. Faut-il qu'un seul échec ainsi te déconcerte ! MOLIÈRE. Du glorieux Paris la route était ouverte.Elle se ferme, hélas ! Car l'affront ressentiPeut nous aliéner le prince de Conti.Je le sais défiant et ce doute m'atterre. MADELEINE. Un prince qui vous eût choisi pour secrétaire ! MOLIÈRE. Hier, mais aujourd'hui... S'exaltant.Paris où j'ai rêvéPar moi seul le théâtre antique relevé !Paris, ville natale, où j'espérais sans fauteRestaurer l'art profond de Térence et de Plaute, [Note : Mascaron : Terme d'architecture. Figure de tête faite en caprice, qu'on met aux fontaines, aux portes, aux clefs des arcades. [L]]Opposant le modèle humain au mascaron[Note : Scarron, Paul (1610-1660) : poète, auteur dramatique et romancier. Excella dans le style burlesque.]Que laisse grimacer l'art grossier de Scarron.Paris ! Où j'entrevis, devançant les années,Le rajeunissement des Muses surannées,L'épanouissement de la Thalie en fleur, Quand j'allais écouter comme un ensorceleur[Note : Tabarin : Bouffon très grossier, valet et associé de Mondor. Ce Mondor était un charlatan et vendeur de Baume, qui au commencement du dernier siècle [XVIIème NdR] établissait son théâtre sur des tréteaux, dans la place Dauphine(...). [Leiris]]Tabarin et saisir la gaîté qui pétille[Note : Gautier-Garguille : C'est le nom d'un fameux Baladin, d'où est venue cette façon de parler : C'est un franc Gautier-Garguille ; pour dire, Un franc sot, un franc badin. D'autres disent, C'est un fin Gautier, et entendent ce proverbe d'un homme qui fait bien son marché et ses affaires. [T]]Au jeu naïf et vrai du gros Gautier Garguille,Ou quand je m'oubliais à recueillir les sonsDes violons voisins de l'hôtel de Soissons ! C'est bien là que parmi les folles et les sagesMes vingt ans ont tenté dé francs apprentissages.On m'a prédit la gloire en plus d'un cabaret[Note : Faret, Nicolas [1596-1646] : poète médiocre, né en 1596 à Bourg en Bresse, mort en 1646 était secrétaire du Comte d'Harcourt. Il fut un des premiers membres de l'Académie française et fut lié avec Vaugelas, Saint-Amand, etc. [B] Assidu du cabaret selon Boileau.]Où trônait Saint-Amant assisté de Faret.J'étais né Poquelin, et, couronné de lierre, Les poètes buveurs m'ont baptisé Molière !Molière ! Je voulais perpétuer ce nom[Note : Lignon : Rivière du Forez en France rendu célèbre par Honoré d'Urfé, dans sa pastorale L'Astrée.]Par de fades rondeaux riverains du LignonNon pas, mais par des vers aux cadences hardies,Amples alexandrins de larges comédies, Hérauts retentissants du Bien, oui, par des versPersécuteurs des sots, punisseurs des pervers,Et proclamant enfin, sans pose doctorale,La vérité virile et la saine morale.Je faisais, dans mon rêve immense, illimité. Tenir la vie entière et la société...Et ce rêve, aspirant aux sphères éternelles,Tombe sur des tréteaux et se brise les ailes ! MADELEINE. Pauvre ami ! BÉJART. Ça, Molière, il faut te remonter,Ressaisir ta vaillance ordinaire, et dompter Par de nouveaux efforts l'inconstante fortune ! MADEMOISELLE DU PARC. Hâtons-nous de quitter une ville importuneOù rien à notre abord ne fut aimable et bon. MADELEINE. Ici pas un bouquet ! MADEMOISELLE DU PARC. Ici pas un bonbon ! MADELEINE. Pas vin jeune seigneur roucoulant sous la fraise Un sonnet dont on rit et dont on est fort aise ! MADEMOISELLE DU PARC. Pas un seul bel-esprit vous offrant le régalD'un dizain louangeur ou d'un fin madrigal ! BÉJART. Nous devons excepter de ce vaste anathèmeUn galant qui nous prise, un lettré qui nous aime, Le baron Léonard de Pourceaugnac ! En luiJ'ai pleine confiance. MADELEINE. Il respire l'ennui. MADEMOISELLE DU PARC. Il ferait fuir l'amour. MOLIÈRE. Il paraît faux et louche. BÉJART. [Note : Scaramouche : Personnage bouffon de l'ancienne comédie italienne habillé de noir de la tête aux pieds. [L]]Ce n'est pas le rival joyeux de Scaramouche,Soit, ni le favori du petit dieu malin, Mais je le crois loyal. MOLIÈRE. [Note : ätelin : Nom d'un personnage d'une vieille comédie de la fin du XIVe siècle ou du commencement du XVe, qui, par ses flatteries, se fait vendre à crédit du drap, et, par de vaines paroles et des contes en l'air, échappe au payement. ]Je le sens patelin. BÉJART. En attendant, voici l'hôtelier qui dévaleVers nous, et qui sans doute à fort bref intervalle.Criant sa note avec des gestes furibonds,Nous exterminera comme des vagabonds. SCÈNE V. Les mêmes, Trufaldin. TRUFALDIN, à lui-même. Quelque mauvaise idée éclôt dans leur cervelle.Ils me jugent arabe et turc... Je me révèleAmi des arts, Aux acteurs.Salut à nos comédiens.Je craignais de troubler vos doctes entretiens.Je n'ai qu'un mot à dire et je vais disparaître. MOLIÈRE. Voilà donc ton quart d'heure, ô Rabelais mon maître ! BÉJART, à Molière. Ce roi des marmitons me paraît exigeant :Il va vous demander son dû. MOLIÈRE, à Béjart. J'ai de l'argent.Rassure-toi ! À Trufaldin.Bonhomme, apprêtez votre note ! TRUFALDIN. Pour qui me prenez-vous, Monsieur ? Une linotte Pourrait seule ignorer, méconnaître l'honneurQue j'eus de vous loger. Aucun puissant seigneur,De ses pages nombreux devançant la filière,N'obtiendrait les égards que je dois à Molière.Je suis un connaisseur et date de longtemps. J'habitais à Paris et j'ai pendant vingt ansD'applaudir les acteurs gardé le privilège. BÉJART. Que faisiez-vous TRUFALDIN. J'étais un portier de collègeEt n'ai guère changé d'offices diurnauxEn quittant les gradus pour prendre les fourneaux ; [Note : Lésine : Épargne sordide jusque dans les moindres choses.[L]]Car, avec plus de peine et surtout de lésine.[Note : Fricasser : Fig. et très familièrement. Faire périr, perdre. [L]]Je fricassais alors du latin de cuisine. MOLIÈRE. Ah ! Le plaisant compère ! MADELEINE. Oh ! L'hôtelier badin ! MADEMOISELLE DU PARC. Et tu t'appelles ?... TRUFALDIN. Jean-Paul-Gaspard Trufaldin,Pour vous servir ! MOLIÈRE. Beau nom qu'aussitôt je dédie À mon oeuvre prochaine, alerte comédieQue nous jouerons bientôt dans les murs de Lyon. BÉJART. À merveille ! Voilà le réveil du lion. MADELEINE, à Trufaldin. Nous te devons, Gaspard, ce retour de MolièreA l'espérance, à la vaillance familière. MADEMOISELLE DU PARC. Sois notre ami ! BÉJART. Partage, avec mons PourceaugnacNotre coeur. TRUFALDIN, à part. S'ils savaient tout le fond de son sac ! BÉJART, regardant à la fenêtre. Je vois venir ce cher Pourceaugnac... Quelle fête ! MADELEINE. Quel air penaud ! MADEMOISELLE DU PARC. Serait-ce une méchante bête ? MOLIÈRE, à demi voix. C'est un fourbe pris à son piège, un imposteur. Croyez en cette fois mon regard scrutateur ![Note : Cytise : Genre de plantes légumineuses, dont le cytisus laburnum est le type. [L]]Ainsi que le chevreau courant vers le cytise,Souvent l'hypocrisie attire la sottise. SCÈNE VI ET DERNIÈRE. Les mêmes, Pourceaugnac. POURCEAUGNAC, à lui-même. Ah ! Je suis furieux et viens me consoler[Note : Histrion : Nom, chez les Romains, des acteurs qui jouaient dans les bouffonneries grossières importées d'Étrurie. [L]]À voir ces histrions prestement détaler, Sans doute humiliés par la morne lacune[Note : Pécune : Terme vieilli et familier. Argent comptant. [L]]Qu'établit dans la bourse une absente pécune,Je suis furieux ; car je leur dois mon malheur. MADELEINE. Approchez,damoiseau ! MADEMOISELLE DU PARC. Beau mignon cajoleur,A faire votre cour vous ne semblez pas leste. BÉJART, avec intérêt. Qu'avez-vous, Léonard ? TRUFALDIN. Quoi ? POURCEAUGNAC. J'enrage et je peste.Oui ! J'allais épouser une veuve aux beaux yeux,Un trésor, je l'avoue, encor plus radieux,Madame de Meilhan qui fut votre compagne. TRUFALDIN, à Madeleine. Il ne possédera ses châteaux qu'en Espagne. POURCEAUGNAC. Cette veuve, autrefois Estelle de Surfis,Que je m'habituais à nommer ma Philis,À l'instant, par un mot formel, me congédie.Un traître, dont je veux punir la perfidie,M'aurait, dans un poulet à ma belle adressé, D'un je ne sais quel crime en secret dénoncé,Et je suis un coupable aux yeux de la marquiseQui faisait de mon coeur une place conquise.Moi qu'elle avait si vite accueilli comme un preux,Elle me chasse ainsi qu'un gothique lépreux. [Note : Chopper : Fig. Se tromper lourdement. [L]]Mon coursier choppe au but, ma nef échoue en rade,Et je suis expulsé par votre camarade. MOLIÈRE. Le pauvre homme ! POURCEAUGNAC. Plaignez-moi ! Je cours au trépas.J'ai dit... BÉJART. L'infortuné ! TRUFALDIN. Mais ce qu'il ne dit pas,Ô Molière promis à la gloire immortelle, C'est le sens du billet reçu par son EstelleEt qui fut à coup sûr un bon avertisseur.Ce billet justicier décelant sa noirceurFut rédigé par moi d'après sa confidence. MOLIÈRE. Je l'eusse parié ! POURCEAUGNAC. Lamentable imprudence ! TRUFALDIN. Cet homme qui vous a choyés, ce LéonardQui, flatteur, vous a pris dans son lourd traquenard.Était votre ennemi. Par lui fut déchaînéeD'aboyeurs à sa solde une meute effrénée.Il vous aurait offert de l'encens et des fleurs, Mais c'est lui qui paya la clique des siffleurs,[Note : Cabale : Fig. Les menées secrètes de gens qui s'entendent pour un même dessein. [L]]C'est lui qui soudoya l'éphémère cabale. BÉJART, à Pourceaugnac. Visigoth ! MADELEINE, de même. Ostrogoth ! MADEMOISELLE DU PARC, de même. [Note : Lestrygon : Fig. Un Lestrygon, une personne barbare. [L]]Lestrygon ! TRUFALDIN, de même. Cannibale ! MOLIÈRE, de même. Fourbe ! Tu ne vaux pas nos trop justes mépris[Note : Pilori : Poteau où l'on attachait le criminel avec un carcan au cou, pour l'exposer à la vue du peuple ; à Paris, c'était une tour de pierre, au milieu de laquelle était un pivot de bois, portant une machine qui avait des trous pour passer la tête et les bras. [L]]Et pourtant je te dois ta place aux piloris. BÉJART. Il la mérite bien, car, sans cet aubergiste,Nous étions victimes par ce moderne Egisthe. POURCEAUGNAC. Être ainsi bafoué devant tous ces témoins ! MADELEINE. Allez courir la veuve ! MADEMOISELLE DU PARC. Allez manger vos foins ! POURCEAUGNAC, effaré. Je fuis... MOLIÈRE. Ne fuyez pas avant que je n'imprime Sur ce front orgueilleux le stigmate d'un crime :Car une forfaiture est un crime éternel.Vous nous aviez offert votre appui fraternel ;Vous nous avez trompés... Je me charge du reste ! Se tournant vers les comédiens.Je veux le châtier comme un nouvel Oreste, Un Oreste bouffon pour qui j'inventeraiNon l'antique Euménide au fouet exaspéré,Mais, lancés à sa piste en guise de sicaires,[Note : Matassins : Nom qu'on donnait autrefois à certains danseurs, qui portaient des corselets, des morions dorés, des sonnettes aux jambes et l'épée à la main avec un bouclier. Une entrée de matassins. [L]]Des matassins vengeurs et des apothicaires. À Pourceaugnac.De notre éloignement vainement tu te ris. Je saurai te reprendre, ô traître, dans ParisEt t'immortaliser par d'étranges postures,Gentillâtre promis aux seringues futures ! Pourceaugnac sort, affolé. BÉJART. [Note : Ardélion : Homme qui fait l'empressé et se mêle de tout. Inusité. [L]]Il faut donner la chasse à cet ardélion. MOLIÈRE, l'arrêtant du geste. Non ! Maintenant, amis, en route pour Lyon ! Là nous réparerons notre échec de LimogesPar une ample moisson de lauriers et d'éloges.Et je ferai jaillir de mon front enhardi,Tout prêts à s'envoler, les vers de L'Étourdi !... RIDEAU. ==================================================