******************************************************** DC.Title = LE FRANÇAIS EN HURONIE, COMÉDIE DC.Author = DUMANIANT, Antoine-Jean Bourlin dit DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 13:18:09. DC.Coverage = Canada DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/DUMANIANT_FRANCAISENHURONIE_1787.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE FRANÇAIS EN HURONIE COMÉDIE EN UN ACTE, ET EN VERS. Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 30 Avril 1787. Prix, 1 liv. 4 sols. 1787. PAR M. DUMANIANT. À PARIS, Chez CAILLEAU, Imprimeur-Libraire, rue Galande, N°.64, Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 30 Avril 1787. AVERTISSEMENT. Cette petite pièce a été mon coup d'essai dans la carrière dramatique. Il est aisé de s'apercevoir qu'elle est l'ouvrage d'un jeune homme, elle a tous les défauts de l'âge auquel je l'ai Composée. Je ne l'ai hasardée sur le Théâtre du Palais-Royal, que parce que je savais, d'après sa réussite en Province, qu'elle était de quelque effet théâtral, qu'elle offrait à plusieurs de mes camarades des rôles heureux et qu'ils ont encore embellis, et qu'enfin, si ce n'était pas ajouter une bonne Pièce à notre répertoire, elle servirait au moins à y faire quelquefois une variété. PERSONNAGES. ACTEURS. VALCOUR, jeune Officier Français. St. Clair. DORVAL, ami de Valcour, aussi officier Français. Le Bel. UN SAUVAGE. Michot. FRONTIN, valet de Valcour. Bordier. LA FLEUR, valet de Dorval. Boucher. ZAMIRE, jeune Sauvage, Amante de Valcour. Mlle. Forêt. >La Scène est dans un bois, en Huronie. Le théâtre représente un lieu sauvage; on doit voir dans le fond une montagne, sur un des côtés une caverne, et un grand arbre à la seconde ou troisième coulisse, à la droite des acteurs. SCÈNE PREMIÈRE. Frontin, Valcour. Ils sortent de la caverne. FRONTIN. C'est un triste séjour, Monsieur, que l'Huronie,Oh ! vous avez beau dire en ces lieux je m'ennuie,On est mieux à Boston ; tâchons d'y retourner.Tenez, je me fais fort de vous y ramener. VALCOUR, inquiet, sans écouter Frontin. Zamire ne vient point. FRONTIN, à part. Ô Ciel ! toujours Zamire. Peste soit de l'amour ! VALCOUR. Ah ! quel cruel martyre ! FRONTIN. Martyre est bien le mot. Je me meurs de frayeur. VALCOUR. Poltron ! FRONTIN. Oh ! Poltron soit. Je voudrais de bon coeur,Vous voir enfin défait de l'amour qui vous lie ;Cet amour tous les jours expose votre vie : Au milieu de ces bois, sans amis, sans secours ;Ah ! que prétendez-vous ? VALCOUR. L'idolâtrer toujours,Jusqu'au dernier soupir lui conserver ma flamme. FRONTIN. Mais vous ne voulez point en faire votre femme ? VALCOUR. Quelle autre peut jamais à la noble candeur Réunir plus d'attraits pour m'offrir le bonheur. FRONTIN. Vous ! Épouser Zamire ? Ah ! quelle extravagance !Vous voulez donc, Monsieur, renoncer à la France,Habiter ces climats et devenir Huron !L'amour jusqu'à ce point trouble-t-il la raison ! VALCOUR. Peux-tu donc oublier que l'air que je respire,Est un bienfait, hélas ! de la tendre Zamire.Égarés dans ces bois, sans ses soins généreux,Sans ses secours, Frontin, nous périssions tous deux.À sa compassion je dois mon existence. Étouffant dans mon coeur toute reconnaissance,Je pourrais la trahir, la fuir, l'abandonner ?Sont-ce là les conseils que tu dois me donner ?Si j'en avais conçu la fatale pensée...Mais non, de trop d'amour mon âme est embrasée. Ces rochers menaçants, l'épaisseur de ces boisPlaisent plus à mes yeux que le palais des rois.Je n'y vois que Zamire, elle est partout présente,Tout ici sait m'offrir mon adorable amante.Ses bienfaits sont partout tracés en ce séjour, Et j'y suis à jamais enchaîné par l'amour. FRONTIN, à part. Ô ciel ! Haut.Quittons des lieux à nos voeux si contraires.Où nous ferions, je crois, assez mal nos affaires ;Où l'on estime peu l'esprit et les talents,Où le mérite seul est de courir les champs, De traverser les lacs, de gravir les montagnes,Où l'on ne fait l'amour qu'au milieu des campagnes,Parmi le froid, la neige, entouré d'animaux,Tous moins cruels encor que messieurs vos rivaux,Gens fort mal éduqués, qui par galanterie, Avant de s'expliquer nous arrachent la vie,Qui nous ayant hachés comme chair à pâtés,Dans nos crânes après boivent à nos santés.Hier au soir encore, à travers le feuillageJe vis roder, Monsieur, un grand et gros sauvage, Dont l'air rébarbatif me glaça de terreur. VALCOUR. Poltron ! FRONTIN. J'entends du bruit. Si c'est lui par malheur !Sauvons-nous. VALCOUR. Malheureux ! FRONTIN. Hélas ! quelqu'un s'avance.On vient à nous. Ô ciel ! prends-nous en ta puissance. VALCOUR. N'es-tu point avec moi ? FRONTIN, se cachant le visage avec ses mains. C'est mon dernier moment. VALCOUR. Que vois-je ! des Français ? FRONTIN. Se peut-il ? Oui vraiment. SCÈNE II. Frontin, Valcour, Dorval, La Fleur. LA FLEUR, de loin, voulant empêcher son maître d'avancer. Oui, ce sont des Anglais, abandonnons la place. DORVAL, courant embrasser Valcour. Est-ce toi, Chevalier, est-ce toi, que j'embrasse ? VALCOUR. Dorval ! DORVAL. Valcour ! FRONTIN, examinant La Fleur, qui se tient éloigné. La Fleur ! ne me trompé-je pas ? DORVAL. C'est donc toi, mon ami, que je tiens dans mes bras ! Toi, que j'avais cru mort, dont j'ai pleuré la perte. LA FLEUR, après avoir bien examiné. Mais parbleu ! c'est Frontin. L'heureuse découverte ! Ils courent s'embrasser, et un moment après chacun passe à côté de son maître. DORVAL. Je te revois encor, j'en rends grâce au hasard,Un jour de plus sans doute il eût été trop tard.Mais quel bonheur, Valcour, que vers ce lieu sauvage, Pour tromper l'ennemi nous cherchions un passage.Quel moment pour ton oncle ! Il a jusqu'à ce jour,Pour te faire chercher, différé son retour. VALCOUR. Quoi ! Nous allons partir ? DORVAL. Le combat qui s'apprête,Jusqu'à demain encor dans ces lieux nous arrête. VALCOUR. Jusqu'à demain ! Ah ciel ! si tu m'aimas jamais. DORVAL. Quel langage ! Ah Valcour, tu sais si je t'aimais.Mon coeur n'est point changé. Qu'as-tu ? parle sans crainte. VALCOUR, avec feu. Je me reprocherais un seul moment de feinte.Toi qui connais si bien ce qu'on doit à l'honneur, Sois mon juge, Dorval, j'en appelle à ton coeur,Ma vie est en ces lieux pour jamais enchaînée. DORVAL. Cher Valcour, qu'as-tu dit ? VALCOUR. Connais ma destinée.Je sortis de Boston pour chasser dans ces bois.Je m'égarai bientôt, et réduit aux abois, Après trois jours entiers d'une marche inutile,J'attendais le trépas comme mon seul asile.Un matin, accablé de peines, de douleurs,Couché sur le gazon, je le mouillais de pleurs,Quand j'entendis soudain du bruit dans le feuillage, Je me levai rempli de dépit et de rage.Qui que tu sois, viens, dis-je, et perce moi le coeur :Je suis ton ennemi, crains tout de ma fureur,Préviens mes coups : j'allais dans mon délire extrême,Hors de moi, massacrer tout ce que mon coeur aime. Mon bras était levé, je veux donner la mort ;Mais je trouve un vainqueur plus puissant et plus fort.Un coup d'oeil me désarme ; étranger, me dit elle,Que t'a donc fait Zamire et quelle ardeur cruelleTe portait à vouloir lui déchirer le flanc ? Parle ! Qui t'a donné cette soif de mon sang ?Interdit, étonné, je ne sais que répondre.Tout, dis-je, en ce moment, tout sert à me confondre,Zamire, pardonnez, je suis un malheureux ;Mais je vais m'en punir, ce fer. ? Vis, je le veux, Dit-elle, avec douceur : dans ce climat horrible,Étranger, crois qu'on peut trouver un coeur sensible.Née au milieu des bois et sur ces bords lointains,Je connais le premier des devoirs des humains,La sensibilité, l'amour de son semblable. Je tombe à ses genoux. Ô femme respectable !M'écriai-je, reçois l'hommage d'un mortel.Est-on si généreux pour n'être point cruel,Dit-elle ? Lève-toi, trop heureuse sans doute,Si j'adoucis les maux que ton malheur te coute. Que te dirai-je encor ! Je sentis dans mes sensNaître un amour vainqueur de l'absence et du tems,Je sentis qu'à jamais je lui serais fidèle ; Pour moi dans l'univers tout disparut, hors elle.L'aimer est mon seul bien. Depuis cet heureux jour, Tout raffermit, redouble et nourrit mon amour. DORVAL. Tu ne la perdras point cette amante si chère.Ton oncle est généreux, il te chérit en père.Et tes jours qu'il lui doit, me sont un sûr garantQue de ton hyménée il hâtera l'instant. La douleur dans la tombe entraînait sa vieillesse,Viens, vole dans ses bras, et que sa peine cesse,Avec son régiment il est près de ces lieux,Viens, Valcour, viens tarir les larmes dans ses yeux. VALCOUR. Zamire dans ce bois devait bientôt se rendre, L'heure approche, Dorval, et laisse-moi l'attendre. DORVAL. Veux-tu quand le combat va bientôt s'engager,Que l'on t'accuse, ami, d'éviter le danger ?Laisse ici ton valet, qu'il attende Zamire. FRONTIN. Laissez plutôt La Fleur. LA FLEUR. Cela te plaît à dire, Tu connais les chemins, je ne les connais pas. FRONTIN. Mais toi, tu viens du camp. DORVAL. Pour finir vos débats,Restez-y tous les deux. Aussi tôt que ZamireParaîtra, vous viendrez LA FLEUR. Oui, j'irai vous le dire. FRONTIN. Ah ! Nous irons ensemble. VALCOUR. Ah ! Dis-lui bien, Frontin, Que vivre son amant fait toujours mon destin.Peins-lui tous les transports de ce coeur qui l'adore,Dis-lui que pour la voir j'ai devancé l'aurore,Dis-lui que je m'arrache à regret de ces lieux,Et que bientôt l'amour va me rendre à ses yeux. SCÈNE III. Frontin, La Fleur. LA FLEUR. Depuis que dans ces bois tu fais ta résidence,Avec quelques Hurons as-tu fait connaissance ? FRONTIN. Oui, parbleu ! Mons la Fleur, même par le bon bout. LA FLEUR. On dit que ces messieurs nous trouvent de leur goût ? FRONTIN. Pas mal ; hier encore à cette même place De deux de ces goulus j'ai remouché l'audace.Ils voulaient me happer pour me croquer rôti ;Ils en ont eu, mon cher, le plus fier démenti. LA FLEUR. Hélas ! Je crains toujours que quelqu'un ne m'accroche. FRONTIN. Ne crains rien avec moi. LA FLEUR. Frontin, quelqu'un approche. FRONTIN, à part. Ô ciel ! que devenir ? Où nous cacherons-nous ? LA FLEUR. Le parti le plus sûr serait de filer doux.Ne fais pas le méchant, et tempère ta bile,Je t'en prie. FRONTIN, à part. Oh ! cela n'est pas fort difficile. LA FLEUR. S'il leur faut de l'argent, tiens, voilà tout le mien. FRONTIN, allant de côté et d'autre. La Fleur, tu t'es trompé, pour moi je ne vois rien.S'il faut te l'avouer, je ne suis point tranquille.Ah ! Que j'aime bien mieux le séjour de la ville.Là dans une antichambre assis au coin du feu,On attend le patron en s'amusant au jeu ; On caresse Lisette, on rit, on boit, on danse ;Mais dans ces tristes bois, ah ! quelle différence !On y rencontre à peine un minois gracieux.La mort de tous côtés s'y présente à vos yeux.On voit que Hurons, Iroquois, et leur clique, Qui n'ont jamais pitié que d'un humain étique ;Qui d'un oeil en dessous lorgnent un garçon gras.Et pour l'escamoter le suivent pas à pas.Pour toi, de ce côté tu ne crains pas grand-chose,Tu n'as point comme moi ce teint couleur de rose, Cet air frais et vermeil, cet embonpoint charmant. LA FLEUR. Hélas ! pour mes péchés, je suis trop ragoutant.Je me passerais bien d'une santé si belle. FRONTIN. Je voudrais être sec comme une sauterelle ;Mais on est beau garçon, on a quelques appas. En se retournant il aperçoit quelqu'un, et fait un grand mouvement de frayeur. LA FLEUR. Mais Frontin, qu'as-tu donc ? FRONTIN. Comment, tu ne vois pas ? LA FLEUR. Et quoi ? FRONTIN. Regarde ! LA FLEUR. Qui ? FRONTIN. Vois-tu ce grand Sauvage ? LA FLEUR. Il vient de ce côté, ranime ton courage,Bats-toi, moi je m'enfuis. FRONTIN. Ah ! Je meurs de frayeur. LA FLEUR. Ah ! Frontin, je me sens enchaîné par la peur. Je ne peux m'en aller. FRONTIN. Il traverse la plaine. LA FLEUR. Ciel ! Il court droit à nous. Huchons-nous sur ce chêne,Peut-être il passera sans regarder en haut.Je ne saurais grimper, aide-moi donc. FRONTIN, déjà sur l'arbre. Nigaud !Tu me feras pincer avec ta maladresse. Mets-toi dans un fossé, cache-toi, le temps presse. LA FLEUR. Enfin, m'y voilà donc. FRONTIN. Il redouble le pas,Sans doute il nous a vus. LA FLEUR. Eh ! Parle donc plus bas,Ton babil à présent n'est pas fort nécessaire. FRONTIN. C'est Zamire, parbleu ! LA FLEUR. Frontin, veux-tu te taire ? FRONTIN. Que crains-tu ? Montrons-nous ! LA FLEUR. Attendons quelque temps,Il pourrait bien venir quelqu'un de ses amans. SCÈNE IV. Zamire, La Fleur, Frontin, sur l'arbre. ZAMIRE. Je ne vois point Valcour. Où pourrait-il donc être ?Eh bien ! voilà Zamire, accours, ose paraître ;Mais je le cherche en vain. Qu'est-il donc devenu ? J'éprouve un sentiment à mon âme inconnu.S'il pouvait m'oublier ? Valcour serait perfide ?Non... Vole rassurer une amante timide.L'heure est déjà passée où j'aurais dû venir.Chaque jour mon amant a su me prévenir ; Il me cherche peut-être : eh bien ! je vais l'attendre. FRONTIN, à La Fleur. Montrons-nous. LA FLEUR. Attends. ZAMIRE. Qu'est-ce ? et que viens-je d'entendre ?Serait-ce toi, Valcour ? Mais je n'entends plus rien.Je me trompe : écoutons... Quel tourment est le mien ?Je ne sentis jamais émotion plus vive. Des bataillons français ont paru sur la rive.Quel odieux soupçon vient effrayer mon coeur !Il les aura rejoints, il trompait ma candeur.Cruel, si dans l'Europe une amante outragéeD'un lâche séducteur ne se voit point vengée Et reste sans secours en proie à son chagrin ;Apprends qu'ici jamais on ne l'offense en vain.Ne crois point te soustraire aux regards de Zamire. FRONTIN. Oh ! Sa douleur me peine et je vais tout lui dire.Zamire. ZAMIRE. Non, cruel. FRONTIN. Zamire, écoutez-moi. ZAMIRE, sans voir Frontin. Qui vient de m'appeler ! Cher amant, est-ce toi ?Viens, cours, vole, parais. Mais quelle erreur cruelleVient d'abuser mes sens ? FRONTIN, paraissant alors et descendu de dessus l'arbre. Votre amant est fidèle,Il vous aime toujours et je suis son garant. ZAMIRE. Qu'est-il devenu ? Dis ? FRONTIN. Écoutez un moment. Je vais tout vous conter. ZAMIRE. Quelle crainte m'agite ? FRONTIN. Comme nous attendions ici votre visite,Ainsi que vous pensez en discourant tous deuxFort amoureusement sur l'objet de ses feux,Des Français tout d'un coup s'offrent à notre vue. À leur aspect, j'ai cru que j'avais la berlue,M'étant frotté les yeux j'ai reconnu La Fleur. ZAMIRE. Qu'ont-ils fait, ces Français ? Dissipe ma frayeur.Les aurait-il suivis ! Tu crains de me le dire.Je vois tout mon malheur. FRONTIN. Rassurez-vous, Zamire, De perdre votre amant n'ayez aucun souci,Il reviendra bientôt. Je l'attendais ici.Et pour pouvoir plus loin découvrir dans la plaine,Nous avions tous les deux monté sur ce vieux chêne. Il montre La Fleur qui est aussi descendu. ZAMIRE. Affreux pressentiments que je ne peux bannir. FRONTIN. Ne craignez rien, vous dis-je, il va bientôt venir.Lorsqu'il quittait ces lieux, pour lui si pleins de charmes,Que n'avez-vous pu voir sa douleur et ses larmes !Il poussait des soupirs qui me perçaient le coeur.Ah ! Frontin, m'a-t-il dit, peins-lui bien mon ardeur, Dis-lui... tout ce qu'on dit quand, d'un amour extrême,On aime une personne encor plus que soi-même ;Mais il s'est vu contraint à partir sans délais,Il va revoir un oncle et battre les Anglais ;Mais pour voler bientôt aux genoux d'une amante. ZAMIRE. Ah ! ne m'abuse point. Vaine et frivole attente !Tout me l'annonce, hélas ! Je ne dois plus le voir. FRONTIN. Eh ! Doit-on sur un rien ainsi perdre l'espoir !Chassez cette frayeur, votre amant vous adore.Je suis sa caution. Faut-il plus faire encore, Faut-il pour rassurer votre coeur éperdu,Hâter l'heureux instant qu'il vous sera rendu.Parlez, dites un mot. Je vais tout d'une haleine,Le chercher et soudain à vos pieds je l'amène. ZAMIRE. Ah ! tu me rends le jour. FRONTIN, bas à La Fleur. La Fleur, tu me suivras, Tirons-nous de ce lieu. ZAMIRE. S'il ne revenait pas ? FRONTIN. Il viendra ; mais chassez la crainte qui vous glace,Tenez, je reviendrais plutôt prendre sa place. SCÈNE V. ZAMIRE, seule. Non, non, rien ne saurait dissiper mon effroi.Tout m'épouvante, hélas ! Valcour est loin de moi. Le cruel ! S'il m'aimait tout autant que je l'aime,Pourrait-il un instant causer ma peine extrême ?Il connaît bien Zamire, il sait bien que sans lui,Mon coeur faible et craintif languit privé d'appui.Ah ! S'il m'abandonnait, y pourrais-je survivre ? Je ne vois plus Frontin. Ah ! J'aurais dû le suivre,Voler vers mon amant, l'entraîner en ces lieux,Le toucher, le fléchir ou mourir à ses yeux. SCÈNE VI. Zamire, Frontin. FRONTIN, de derrière le théâtre. Au secours, au secours ! ZAMIRE. Ciel ! Qu'entends-je ? FRONTIN vient en courant du haut de la Montagne aux pieds de Zamire. Zamire !Daignez me protéger, me défendre, ou j'expire. SCÈNE VII. Frontin, Zamire, Le Sauvage. LE SAUVAGE, une massue à la main. Va, tu cherches en vain un asile en ces lieux,Et je vais sans pitié t'immoler à ses yeux. FRONTIN. Daignez le retenir. ZAMIRE. Parle ? Quel est son crime. LE SAUVAGE. Ma haine, ton amour. Ma rage est légitime.Il va périr. FRONTIN. Hélas ! Très illustre Huron, Tremblant à vos genoux, je demande pardon.Je n'eus jamais dessein de vous faire une injureAcceptez mon argent, mes meubles, mon armure,Renvoyez-moi tout nu, mais laissez-moi la peau.Ah ! Je serais pour vous un trop mauvais morceau, Je suis trop maigre encor, je serais coriace. Priez pour moi Zamire, obtenez-moi ma grâce. LE SAUVAGE, avec dédain. Voilà donc ce Français qui l'emporte sur moi,Celui pour qui Zamire a dédaigné ma foi ? ZAMIRE. Ce n'est point mon amant. FRONTIN. Non, le diable m'emporte. Je ne l'aimai jamais. C'est mon maître... LE SAUVAGE. Qu'importe ! FRONTIN. Tout. Car vous n'en voulez qu'au rival adoré,Et je n'ai pas l'honneur d'être le préféré.C'est mon maître qu'on aime. ? Oh ! Demandez ! LE SAUVAGE. Ton maître ?Parle ? Qu'est-il ! Qu'il vienne ! FRONTIN. Il va bientôt paraître, C'est un jeune seigneur, beau, vermeil, bien portant Je cours vous le chercher. Il se lève pour s'enfuir. LE SAUVAGE, lui barrant le passage. Non, demeure un moment. FRONTIN, retombant à genoux. Que voulez-vous de moi, chétive créature ? LE SAUVAGE. Tu n'es pas son amant ! FRONTIN. C'est la vérité pure.Je vous l'ai déjà dit, c'est un autre que moi. ZAMIRE. D'où vient cette fureur ? Eh ! que t'importe à toi ?Quels sont tes droits enfin ? Ma foi t'est-elle acquise ? LE SAUVAGE. Mes droits sont mon amour, l'amour que l'on méprise,L'amour au désespoir, indigné, furieux.Sans l'immoler verrai-je un rival odieux M'insulter, me braver, me ravir mon amante ?Si sa flamme est égale à ma flamme brûlante,Qu'il vienne, qu'il paraisse et dispute ton coeur,Et que Zamire enfin soit le prix du vainqueur.Mais il est sans amour, puisqu'il est sans courage. FRONTIN. Vous êtes dans l'erreur, il l'adore à la rage. LE SAUVAGE, d'un ton menaçant. Tu l'oses dire ? FRONTIN. Hélas ! je réponds toujours mal.Ce n'est pas moi du moins qui suis votre rival.Quel serment voulez-vous ? LE SAUVAGE, avec mépris. Va, j'en crois ta bassesse.Un coeur aussi rampant connaît-il la tendresse ? Mais cet autre Français qui m'a ravi sa foi,Aussi lâche, aussi vil s'enfuyait avec toi. FRONTIN, tremblant. Ah ! Ce n'était pas lui, vous vous trompez sans doute.Cet autre était La Fleur. ZAMIRE, fièrement. Mon amant fuir ! Écoute,Il faut quelque vertu pour enchaîner ce coeur : Valcour sut me charmer par ses traits, sa candeur,Pour me plaire, il n'eut pas besoin d'une victoire.Mais s'il l'avait fallu, Zamire aime à le croire,Valcour tout comme un autre, eût su vaincre ou mourir. LE SAUVAGE. S'il t'aime, en cet instant, qui peut le retenir ? Dis ? ZAMIRE. Qui le retient ? Tout, l'honneur et la nature. FRONTIN. Il sera bientôt là, c'est moi qui vous l'assure,Des Français, ce matin, ont paru sur ce bord. LE SAUVAGE, avec une sorte de joie. Il les a joints ? FRONTIN. Seigneur, il reviendra d'abord. LE SAUVAGE, avec fureur. Il reviendra ? ZAMIRE, avec force. Sans doute. FRONTIN, vite. Il me l'a dit lui-même. LE SAUVAGE, à Zamire. Va, va, l'Européen ignore comme on aime.Reconnais-tu l'amour à ce trait odieux ?Il t'adore et te laisse ! Ouvre à la fin les yeux. À Frontin.Et toi, vil imposteur, n'abuse plus Zamire.Avoue, ou cette main... FRONTIN, à part. Grand Dieu ! que faut-il dire ? Hélas ! ce diable d'homme a juré mon trépas. LE SAUVAGE, à Zamire. Ose le croire encor. Vois-tu son embarras ? FRONTIN. Je suis embarrassé, je ne puis vous le taire,Pour vous plaire, seigneur, quel aveu faut-il faire ?Ordonnez, prescrivez. LE SAUVAGE. M'avouer à instant La fuite et le forfait de son perfide amant. FRONTIN, à part. Puisqu'à mentir, hélas ! il veut donc me contraindre,Mentons pour nous sauver. Haut.S'il faut cesser de feindre, Je vous dirai, seigneur, qu'il est vrai que ValcourPour n'y plus revenir a quitté ce séjour. ZAMIRE. Ô Dieu ! qu'ai-je entendu. Malheureuse Zamire !Le barbare, il me fuit ! Tout mon coeur se déchire. LE SAUVAGE, à Zamire. Oublie un vil parjure. À Frontin. Et toi, fuis loin d'ici. FRONTIN, à part. Ô trop heureux mensonge ! Haut.Ah ! seigneur, grand merci. SCÈNE VIII. Zamire, Le Sauvage. ZAMIRE. Que vais-je devenir ! le cruel me délaisse, Est-ce donc là le prix de toute ma tendresse !Je lui sauvai la vie, il m'arrache le jour.Ne crois pas m'échapper, infidèle Valcour,Je te suivrai partout, et même en ta patrie.Aux Français étonnés, contant ta perfidie, Je leur inspirerai ce mépris, cet effroi,Cette horreur que fait naître un monstre tel que toi. LE SAUVAGE. Laisse ces vains projets et songe à la vengeance.D'un rival que je hais, d'un ingrat qui t'offense,Ce bras avec plaisir ira percer le coeur. Je vole dans son camp guidé par ma fureur,Et bientôt à tes pieds sa dépouille sanglante... ZAMIRE. Arrête, qu'as-tu dit ? LE SAUVAGE. Ma rage impatienteBrûle d'avoir puni ce farouche étranger.Adieu. ZAMIRE. Demeure. Ciel ! quoi ! tu cours l'égorger ? LE SAUVAGE. Quel sentiment pour lui peut te parler encore ? ZAMIRE. Malgré sa perfidie, apprends que je l'adore.Il peut vouloir ma mort, je peux le pardonner.Mais bientôt le remords va me le ramener.Que dis-je ? En cet instant nous l'accusons peut-être ; Non, mon coeur me le dit, Valcour n'est point un traître,On ne feint pas l'amour, il m'aime, il reviendra. LE SAUVAGE. Tu l'excuses en vain : je l'abhorre, il mourra. ZAMIRE. Qui t'a remis, cruel, le soin de ma vengeance ?Penses-tu me servir ? Quelle est ton espérance ? Si ta haine te porte à répandre son sang,Ta main du même coup déchirera mon flanc.Valcour fait mon destin. S'il perdait la lumière,Tout finirait pour moi dans la nature entière,Quels que soient ses forfaits, qu'il vive ! je le veux. Eh ! - Si loin de Zamire, il pouvait être heureux,Sans doute en l'apprenant, je serais moins à plaindre.Ses malheurs sont les seuls qui pour moi soient à craindre.Et s'il me laisse enfin en proie à mes douleurs,Je puis trouver encore un charme dans mes pleurs. LE SAUVAGE. Ce funeste étranger qu'ici l'on me préfère.Apprends-moi par quel art il parvint à te plaire ?Quels sont donc les périls qu'il a courus pour toi,Est-il plus généreux ou plus vaillant que moi ?Sait-il donc mieux aimer ? - Mais, non, je l'en défie, Je te sacrifierais et ma gloire et ma vie,Il n'est rien que pour toi je n'osasse tenter ;Mais il est des affronts que ne peut supporterCe coeur fier et jaloux qui plein d'impatienceNe désire, ne voit, n'attend que la vengeance ! Le sort en est jeté, c'en est fait, et ValcourTombera sous mes coups ou m'ôtera le jour. ZAMIRE, l'arrêtant avec force. Le hasard d'un combat peut servir ton attente ;Mais quand tu le vaincrais, crois-tu que son amanteCouronnerait en toi son odieux vainqueur ? Je t'ai plaint de m'aimer, je t'aurais en horreur.Non ; ce n'est que par lui, pour lui que je veux vivre,Par cet égarement où mon âme se livre,Par mes affreux transports, vois quel est mon amour !Prends pitié de Zamire, et sois juste à ton tour. Eh ! Dépend-il de moi de maîtriser la flammeQui brûle en même temps et déchire mon âme ? Que te reviendra-t-il d'avoir comblé mes maux ? LE SAUVAGE, avec fureur. Le plaisir que l'on sent d'immoler ses rivaux ?Plus tu me peins l'ardeur qui pour lui te dévore, Plus ma fureur s'accroît et plus mon coeur l'abhorre.Je porterai l'amour jusqu'à la cruauté. ZAMIRE. L'amour peut-il donner tant de férocité ?Si tu m'aimes... LE SAUVAGE. T'aimer ! non, non, je te déteste,Ma flamme s'est éteinte et ma rage me reste. Il t'est cher et je vais, en le faisant périr,Te rendre tous les maux que tu m'as fait souffrir. Il remonte le théâtre pour sortir, il voit arriver Valcour et il s'arrête au fond. SCÈNE IX. Valcour, Zamire, Le Sauvage. LE SAUVAGE. C'est lui-même. ZAMIRE. Ah ! Grands dieux ! VALCOUR, courant à Zamire. Zamire ! LE SAUVAGE, s'avançant à Valcour. Non. Arrête,À mes justes fureurs ne soustrais point ta tête.Ma haine voit en toi mon rival abhorré, De la soif de ton sang tu me vois dévoré.Viens recevoir la mort. VALCOUR. La fureur qui t'égareVa recevoir le prix que je lui dois, barbare.La haine parle seule en ton coeur irrité,Et je vais te punir de ta férocité. Approche, viens, celui que Zamire préfère,Peut braver ta menace ainsi que ta colère.Qui combat aimé d'elle est sûr d'être vainqueur. LE SAUVAGE. Qui combat dédaigné combat avec fureur.Et je vais te l'apprendre en t'arrachant la vie. Il lève sa massue, s'avance sur Valcour qui met l'épée à la main. ZAMIRE, se précipitant au milieu. De la main gauche elle retient la massue du Sauvage, et de la droite elle éloigne Valcour.Barbares, arrêtez, calmez cette furie.Ou si mes pleurs, mes cris ne peuvent rien sur vous,Prenez-moi tous les deux pour l'objet de vos coups.Frappez. VALCOUR. M'ordonnes-tu de souffrir un outrage ? ZAMIRE, à Valcour. Modère cette ardeur et ce bouillant courage. Valcour ! Est-ce l'instant où tu dois te venger ?Dans les champs de la gloire un plus pressant dangerDemande en cet instant ton bras et ta vaillance.Va de tes ennemis confondre l'arrogance :Voilà ton vrai devoir, j'ai vu tous vos soldats Abandonner leur camp et voler aux combats,Serais-tu dans ce jour si peu jaloux de gloireQue tu ne veuilles point partager leur victoire ? Au Sauvage.Et toi, brave guerrier, allié des Français,Tu leur dois ta valeur contre ces fiers Anglais : Désunis par l'amour, que l'honneur vous rassemble.Il vous parle : volez et triomphez ensemble. VALCOUR, au Sauvage. Je suspends mon courroux et mon ressentiment.L'honneur le veut. Je cours où l'ennemi m'attend.Nous nous verrons après, je te ferai connaître Si l'amant de Zamire était digne de l'être.Et je te prouverai qu'un officier françaisSait combattre un rival et ne le craint jamais. LE SAUVAGE. Viens, je vais te montrer le chemin de la gloire,Et ton trépas sera ma seconde victoire. SCÈNE X. Valcour, Zamire. VALCOUR, au Sauvage. Je te suis. Se retournant, à Zamire qui le suit.Où vas-tu ! ZAMIRE. Je ne puis te quitter. VALCOUR, la ramenant sur le devant de la scène. Non, demeure en ces lieux. ZAMIRE. Cesse de m'arrêter.Ne puis-je partager les dangers que tu braves,D'un préjugé honteux, vos Françaises esclavesN'osent accompagner leurs amants aux combats, Mais l'amour me permet d'y suivre ici tes pas,J'y veillerai sur toi, je suis sans épouvante.Valcour y défendra les jours de son amante :Ou si le sort trompait nos efforts généreux,Du moins en succombant nous péririons tous deux. VALCOUR. Laisse-moi courir seul où mon devoir m'appelleOu j'abjure à tes pieds une gloire cruelle.Ah ! je te le demande au nom de notre amour.Je l'exige de toi. ZAMIRE. Le puis-je, cher Valcour ! VALCOUR. Je tombe à tes genoux. ZAMIRE. Je t'obéis, barbare, Je reste, songe aux maux que ce coup me prépare,Songe aux tourments affreux qu'éprouvera mon coeur.Ah ! Valcour. VALCOUR. Ne crains rien, je reviendrai vainqueur,Digne enfin d'obtenir le seul bien où j'aspire,Et cueillir des lauriers, c'est mériter Zamire. SCÈNE XI. ZAMIRE, seule. Je le laisse échapper, et je reste en ces lieux !Je ne suis point ses pas ! Ô moments douloureux !Jamais l'on n'éprouva de supplice plus rude.L'horreur de ces déserts et cette solitude, Ces antres, ces rochers, ces vallons isolés, Impriment la terreur dans mes esprits troublés.Ce silence effrayant de toute la nature,De tout ce que je crains me semble être l'augure.Rien ne se fait entendre et le cri du malheurRetentit cependant jusqu'au fond de mon coeur. Que fais-je dans ces bois ? C'est donc ainsi que j'aime ?Je me borne à gémir en ce péril extrême.Mon amant l'a voulu. Qu'importe ? Si ValcourSe fût trouvé lui-même à ma place en ce jour,Aurait-il imité ma lâche complaisance ? Il aurait écouté son coeur et sa vaillance.Eh bien ! de mon amant soyons digne aujourd'hui,Secourons-le, ou du moins sachons mourir pour lui. Elle fait une fausse sortie et s'arrête au bruit qu'elle entend.Je tremble. Juste ciel ! Quel bruit se fait entendre ?D'une juste terreur je ne puis me défendre. Si Valcour ?... quel tourment ! SCÈNE XII. Frontin, Zamire. ZAMIRE. Ah ! que vois je ? Frontin,Valcour vit-il ? réponds, éclaircis mon destin ? ?Tu te tais ? ? Il est mort ! FRONTIN. Je le crains. ZAMIRE. Ah ! j'expire !Il n'est plus ? Et ce jour éclaire encor Zamire ! FRONTIN. Mon pauvre maître, hélas ! Je l'ai vu malgré moi, Parmi les ennemis s'enfoncer sans effroi.J'ai voulu quelque temps m'attacher à sa suite,Au milieu des soldats je l'ai perdu bien vite.La poussière, le vent, le fusil, le canon,Font un tapage horrible, un affreux carillon. On se mêle, on se pousse, on s'assomme, on se tue,Je ne sais trop comment parmi cette cohue,Parmi tant de battants, au milieu du fracas,J'ai pu conserver sains mes jambes et mes bras.Il faut, ou que la peur m'ait rendu plus alerte, Ou qu'un génie heureux ait détourné ma perte. ZAMIRE. Et mon amant n'est plus ! Pourquoi lorsqu'il est mort,Le coup qui l'a tué n'a-t-il fini mon sort ?Il n'est plus ! FRONTIN. En ce jour, pour prix de sa vaillance,Son oncle généreux comblait son espérance. Il consentait lui-même à sa félicité. ZAMIRE. Les pleurs, la mort. Voilà tout ce qui m'est resté.Par quels traits accablants mon âme est déchirée !Aux portes du bonheur je meurs désespérée.Hélas ! J'ai tout perdu. SCÈNE XIII, et dernière. Le Sauvage, Valcour, Zamire, Dorval, Frontin. LE SAUVAGE. Dissipe tout effroi. Reconnais ton amant, il est digne de toi. ZAMIRE. Que vois-je ? Quel prodige ! LE SAUVAGE. Écoute-moi, Zamire,Et sois fière d'aimer le héros que j'admire.Je volais au combat, furieux, égaré,Et méditant la mort d'un rival préféré, Lorsqu'un gros d'ennemis m'attaque avec furie,Assailli, renversé, j'allais perdre la vie :Aussi prompt que l'éclair, Valcour vole, et son brasDéfend, sauve mes jours, disperse les soldats. Il ranime les siens ; la terreur le précède, La victoire le suit, tout fléchit, tout lui cède ;Il combat ; il triomphe, et le Français vainqueurVoit en lui son héros, moi, mon libérateur. En disant le dernier vers, il embrasse Valcour. ZAMIRE, avec enthousiasme. Voilà quel est l'amant pour qui l'amour m'enflamme !Voilà quel est Valcour ! Voilà quelle est son âme ! Quel bonheur est le mien ! Qu'on est fière en aimantDe voir ses rivaux même admirer son amant. LE SAUVAGE. Il a dompté la haine en me sauvant la vie,Je dompte mon amour, j'éteins ma jalousie.Qu'il t'obtienne, il le faut, il était né pour toi. À Valcour.Ce n'est plus un rival que tu verras en moi,Tu m'apprends des vertus, ta grande âme m'éclaire ;Sois mon ami, Valcour, et mon guide, et mon frère. VALCOUR. J'ai rempli mon devoir et tu ne me dois rien. LE SAUVAGE. Je publierai ta gloire, et c'est remplir le mien. VALCOUR. Ton triomphe est plus beau, céder ce que l'on aime,Commander à ses sens, voilà l'effort suprême. À Zamire.La nature et l'amour, par un accord heureux,S'empressent à l'envi de combler tous mes voeux.Suis ton époux, et viens montrer à ma patrie La touchante vertu par la grâce embellie. FRONTIN. Oserais-je espérer, tombant à vos genouxDe pouvoir par mes pleurs fléchir votre courroux.Je suis un malheureux, mais vous êtes si bonne ! ZAMIRE. Va, tout est oublié. FRONTIN. Vivat, on me pardonne ! Et pour comble de biens nous quitterons ces lieux. Bois, séjour de la peur, vous, rochers sourcilleux,Je vous tire à jamais mon humble révérence :Nous allons au bonheur, nous retournons en France. FIN. ==================================================