******************************************************** DC.Title = L'AMOUR FANTASQUE OU LE JUGE DE SOI MÊME, COMÉDIE DC.Author = FIOT, Albert Henri DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:19. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/FIOT_AMOURFANTASQUE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k857206n DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** L'AMOUR FANTASQUE OU LE JUGE DE SOI MÊME COMÉDIE EN TROIS ACTES M. DC. LXXXII. Par A. H. FIOT. À ROUEN, Chez JEAN-BAPTISTE BESONGNE, rue écuyère, vis à vis la petite rue Saint-Jean, au Soleil Royal.Achevé d'imprimer pour la première fois le vingt-sixième jour de janvier 1682, avec permission. Monseigneur, Il faut que je suis bien persuadé de vos bontés pour oser vous dédier une comédie sans avoir jamais eu l'honneur d'être connu de vous loin d'en prétendre de la gloire, je suis toujours dans l'appréhension d'en recevoir du blême ; outre que le présent que je vous fait a si peu de rapport à vos grands mérites, que je n'ose qu'en tremblant mettre votre illustre nom à la tête d'un si petit ouvrage. J'avoue que s'il m'était permis de vous dire les approbations que plusieurs personnes de qualité lui ont données, et avec combien d'avantage pour moi on a remarqué que j'avait suivi avec beaucoup de justesse, le fil de la véritable histoire dont j'ai composé cette comédie, vous en excuseriez plus aisément les défauts qui ne pourront s'échapper à la délicatesse de votre esprit. C'est à ces personnes, dis-je, que j'aurais recours, si la chose en réussissait pas comme on me l'a fait espérer ; vu que sans leurs persuasions je n'eusse osé jamais la produire, et encore moins emprunter une si fameuse protection que la vôtre pour le faire. J'espère toutefois que la vôtre pour le faire,. J'espère toutefois que vous ne m'en saurez pas mauvais gré ; puisque j'apprends de la bouche de tous ceux même qui ont l'honneur d'approcher de vous, que si votre mérite vous a extrêmement élevé , vous avez une bonté généreuse qui en sait accommoder la grandeur à la portée de ceux qui vous présentent leurs soumissions. Vous en donnez des marques tous les jours ; et c'est pour ce sujet MONSEIGNEUR, que dans une des plus belles et des plus importantes charges du Royaume, où vos vertus vous ont fait monter, vous vous attirez en même temps l'estime et d'amitiés d'un grand Roi, le respect et la crainte des ses Peuples ; ce qui fait publier avec juste sujet à la renommée, que pour les affaires de l'État, vous êtes un des plus grands hommes de ce siècle. Votre éloquence que a tant de fois parlé pour notre grand Monarque, et qui a tant servi pour maintenir ses intérêts ravis tous les esprits ; c'est elle qui engage toute la France à se félicités de la gloire de vous posséder, et particulièrement le célèbre parlement de Rouen, dont vous êtes la base et l'appui. Souffrez donc, MONSEIGNEUR, que cette production, qui est mon coup d'essai fasse connaître à la postérité ces éclatantes vérités. J'attends de votre Générosité la bonheur de vous voir Protecteur de cette petite pièce, que je vous consacre comme le prémice de mes travaux ; Peut être que dans la suite je pourrai faire quelque chose qui méritera mieux de vous être présenté. J'ai fondé kà-dessus l'espoir de vous plaire ; étant presque assuré que quand vous aurez appris le sujet qui m'a fait faire cette comédie que je vous présenté, et qu'enfin son dénouement n'a rien que de très véritable, vous vous plairez encore d'avantage à l'entendre. Surtout je vous supplie de croire que le plus grand motif qui m'a fait résoudre à vous la venir présenter était de vous témoigner que je suis avec tout le respect imaginable, MONSEIGNEUR, Votre très humble et très obéissant serviteur FIOT. AU LECTEUR Le sujet qui m'a fait composer cette comédie, a tant fait de bruit dans tout ce pays-ci, que je crois qu'il est inutile de vous avertir qu'il n't a rien que de très véritable dans cette pièce, et que si toutes les autres n'ont rien de fabuleux, celle-ci est entièrement fondée sur la vérité d'une aventure arrivée ces jours passés ; je veux seulement vous faire savoir qu'on me la fait imprimer malgré moi, et que si j'eusse osé jamais aspiré à la qualité d'auteur, j'aurais voulu débuter par un autre ouvrage que celui-là pour me mettre d'abord en estime ; mais mes remontrances n'ont eu aucun effet, et une infinité de personnes se veulent contenter plutôt que moi, et en veulent des copies à toute reste. J'ai eu beau leur remontrer qu'ne moins de huit jours elle fut conçue et achevée : parce qu''une personne de considération qui m'en avait prié, m'avait obligé de me dépêcher. L'approbation que la multitude lui a donné me la fait exposer aux yeux d'une si grande ville toutefois avec bine de la crainte ; mais j'espère que vous excuserez l'empressement qu'on m'en a fait, et le peu de temps que j'ai eu à me reconnaître, vu qu'il a fallu en passer par là, et croyez que m'ayant eu pour tout sujet que le contrat qu'une fille signa par raillerie, qu'on voulut faire passer pour effectif était une matière fort maigre pour avoir diversifié la scène comme elle est dans toute la suite de la pièce. SONNET. Qui ne voit ce sujet qu'à la superficie Ne porte pas les yeux sur la solidité, Il faut pour le goûter, un esprit allaité DE toutes les douceurs de la Philosophie. Si Molière vivait, il porterait envie Au savoir de Fiot qui l'a seul inventé, Avecque tant d'esprit et de naïveté Qu'on n'en saurait assez admirer le génie. Le théâtre reçoit, de ce divin auteur Toute sa vanité, sa gloire et son bonheur, Pour l'avoir honoré d'une heure de ses veilles. Mais en revanche aussi, publiant ce tableau Qui fait voir au public tant de rares merveilles, Il montre que son nom ne crains pas le tombeau. P. LE COINTE. ÉPIGRAMME Si FIOT nous fait voir dans son Amour Fantasque, Trois amants bien sensés, l'autre dispose en basque ; C'est pour nous assurer qu'il n'ignore de rien, Et que tous les cacher sous un même visage. Tout autre génie que le sien Aurait perdu peine et courage. P. LE COINTE. ÉPIGRAMME Qui fait dans sa comédie Connaître la Terre et les Cieux, La Sagesse, est langue des Dieux Et qui d'une bravoure hardie Triomphe d'un bras en tous lieux, Est le favori quoi qu'on die D'Appollon le plus glorieux. P. DE SAINT BLAISE. SONNET. La comédie d'ordinaire Est un aimable amusement, Qui se passant en un moment Ne peut pas longtemps satisfaire Mais ici l'on ne saurait taire, Qu'un solide contentement; Ne nous oblige incessamment À dire partout le contraire Son auteur, l'illustre FIOT, Qui n' jamais bu de piot Que celui de l'Hypocrène Fait voir qu'on ne peut faire mieux, Et que rien n'égale sa veine Pour le comique, ou sérieux. DE QAINT BLAISE. ANAGRAMME. Albert, Henri Fiot, Toi né fort habile, change R en O Cette remarque dans ton nom Fait bien voir un fils d'Appollon, Et que telle est des cieux, l'influence secrète. Qu'on devient Orateur et que l'on naît poète. Agréable torrent de vers, La musse grecque, et le latine, T'ont fait sur tant d'esprits divers Triompher à PAris, ce temple de Doctrine ; Ce Parnasse de l'Univers ; La Science en tes vers que surtout on admire, Donna depuis matière à ce feu glorieux, Qui des Arts libéraux sortant victorieux Jusques au Ciel son centre, éleva ton Empire Cette source jamais qu'on ne verra sécher, Te fera partout rechercher. Ton esprit qui s'est fait, les Muses pour amies Si propre à bine vanter le plus grand des guerriers, Te prépare à sa Cour de solides lauriers, Et ta place au plutôt dans les Académies. D. C. ACTEURS ANGÉLIQUE. LYSANDRE, Amoureus d'Angélique. CEPHISE, cousine d'Angélique. PADILLE, valet de Lysandre PHILINTE, ami de Lysandre. ORONTE, ami de Lysandre. VALÈRE, ami de Lysandre. DAMON, ami de Lysandre. POLIDORE, président, autre ami de Lysandre. PREMIER CONSEILLE. SECOND CONSEILLER. LE GREFFIER. PERSONNAGES [de la Supposition véritable] DOM PEDRE, de Stambole. ANGÉLIQUE, maîtresse de Dom Pedre. DOM ALVARE, rival de Dom Pedre. DOM SANCHE, rival de Dom Pedre. DOM DIEGUE, père d'Angélique. LE NOTAIRE. La scène est dans une petite ville de la Normandie. ACTE PREMIER SCÈNE PREMIÈRE. Lysandre, Padille. PADILLE. Vous verrai-je toujours un visage si blême ?Qu'avez vous donc, Monsieur ? LYSANDRE. Mon chagrin est extrême. PADILLE. Pourquoi vous chagriner : Aristote nous dit,Que jamais le chagrin n'apporte aucun profit. LYSANDRE. Si comme moi, Padille avait une maîtresse. PADILLE. Hé bien ? LYSANDRE. Que sa fierté méprisant ta tendresse,Tu dirais comme moi. PADILLE. Je ne suis pas si fou,J'aurais le coeur pour elle aussi dure qu'un caillou. LYSANDRE. Si sa haine pour toi devenait effroyable ? PADILLE. Je la détesterais tout comme on fait le diable. LYSANDRE Ah ! Tu n'es pas amant. PADILLE. Et pourquoi l'êtes-vous ?Savez-vous pas, Monsieur, que les amants sont fois. LYSANDRE. Que ta plaisanterie est de mauvaise grâce !Conseille moi plutôt ce qu'il faut que je fasse,Et trouve un prompt remède à ma vive douleur. PADILLE. Faut-il un médecin, donne ordre à ce malheur ? LYSANDRE. Si mon maître te touchait tu ne voudrait pas rire. PADILLE. J'écoute tout de bon, vous n'avez rien qu'à dire. LYSANDRE. Tu sais bien qu'Angélique avait charmé mes yeux,Que de tous mes rivaux, j'étais reçu le mieux, Mais depuis peu pour moi cette beauté si rarePar je ne sais quel sort a l'esprit si bizarre,Que moi, ni mes rivaux n'osons plus approcherDe l'unique beauté que je veux rechercher. PADILLE. Vous dis-je pas ce sexe au sujet à la Lune, Car tantôt on lui plaît, tantôt on l'importune. LYSANDRE. Ce qui me fâche, plus c'est que je perds l'espoir.Après ce qu'elle a dit, de jamais la revoir,Son amour ne veut plus d'ne amant gentilhomme,C'est le bel esprit seul à présent qu'on renomme, Dit-elle, et celui-là pourra m'appartenirQui le plus savamment pourra m'entretenir,Ce fantastique objet tient son âme obsédée,Ce qui fait que la mienne est moins possédée. PADILLE. Si ce n'est que cela, Monsieur, Tout ira bien. LYSANDRE. Emploie tout pour moi je n'épargnerai rien. PADILLE. J'ai, vous avez parfois plus d'esprit qu'une bête,Il faut, puisqu'à ce point de doctrine l'entête,La frapper par l'endroit qu'elle veut en tâterEt si prendre si bien qu'on aille rien gâter, Déguisons nous tous deux, vous prendrez la figureD'un philosophe, et moi d'un brave l'encolure.Croyez-moi, nous ferons un essai glorieux,Et nous verrons celui qu'elle aimera le mieux.Si ces deux ne sont pas suffisants pour lui plaire Deux amis attitrés pourront après le faire.L'un faisant l'astrologue, et raisonnant fort bien.D'un art, où cependant il ne connaître rien.L'autre pour rendre enfin sa passion complète,Comme abrégé de tout, se dira grand poète, Avisez aux moyens de vous bien travestirEt croyez que le tout nous va bien divertir,Étudiez vous à faire une parfait philosophe. LYSANDRE. Mais il faudrait un homme ici d'une autre étoffe;Car comment m'élever sur de beaux arguments, Sans en avoir devant consulter les savants.De me faire enseigner peu soigneux fut mon pèreDe nobles de province enfin c'est la misère,Ce n'est pas dans le fonds que j'ignore de rien,Et de tout, Dieu merci, je raisonne assez bien, Je sais mieux me tirer d'une affaire pressée,Que d'un philosophe atteindre la pensée;Padille, là-dessus je te laisse à songer,Suis-je propre à cela ? PADILLE. Faut-il tant ménagerCombien en voyons nous dans le siècle où nous sommes Par un hardi discours, passer pour de grands hommes ?D'ailleurs ne craignez rien échauffé par l'amourVous ne passerez pas pour un savant du jour. LYSANDRE. Je vois à tes discours quelque peu d'apparenceUn seul point seulement choque mon espérance Pas un de mes amis n'est astrologue. PADILLE. Qu'il lise avant cela l'Almanach tout du longMille mots inconnus feront bientôt connaître,Que dans l'Astrologie il s'est fait passez maître.Là, les termes de l'Art rangés, ou mal ou bien, On les admirera, sans y connaître rien,Si pour ce haut savoir votre belle maîtresseÀ l'astrologue seul témoigne sa tendresse,À l'astrologue attitré, de son titre demiVous mettant en ces droits fera le coup d'ami Ainsi vous vous ferez aimer de votre dame. LYSANDRE. Par tes plaisants discours tu me réjouis l'âme,Je brûle en vérité d'en venir les effets ;Padille est par ma fois, la perle des valets.Oui mais si par ta bravoure, et ma philosophie Lui plaisent aussi peu comme l'Astrologie,Nous nous trouvons en vain, et nous perdons nos pas,Le science en trois arts ne se renferme pas,Sans quelque rôle encore la pièce est imparfaite. PADILLE. Il faut qu'un autre ami fasse... LYSANDRE. Hé quoi ? PADILLE. Le poète. LYSANDRE. Où le trouver. PADILLE. Comme dans le vaste universOn ne voit plus, Monsieur, que des faiseur de vers ;C'est une fléau de Dieu dont le siècle fourmilleL'un en fait de bons ou non, s'il n'en fait il en pilleÀ toute reste il veut pas un méchant écrit De rimeur dans le monde usurper le crédit,Sans cesse de leurs vers j'ai la tête étourdie,Et crois que de rimeurs il a fait une pluie. LYSANDRE. Tu te fais fort de tout Padille mais j'ai peur,DE ne pouvoir trouver une assez bon rimeur. PADILLE. À tout hasard, Monsieur, dedans cette occurrencePadille le fera, j'ai une certaine science. LYSANDRE. Padille, on vient à nous ; c'est Angélique, vaSonge à bien rencontrer ces personnages là,Et d'un grand fanfaron va prendre le visage. PADILLE. J'y vais, et songez à votre personnage. SCÈNE II. Angélique, Lysandre. LYSANDRE. Malgré tous vos mépris, je viens à vos genoux,Demander pour ma flamme un traitement plus doux,Madame, et si jamais Lysandre a su vous plaire,Veuillez ne prendre pas un sentiment contraire. Si d'un savoir exquis les sublimes appasDans ma personne enfin ne rencontrent pas;Toujours fidèle amant au moins fais-je connaîtreLe beau feu qu'ne mon coeur vos charmes ont fait naître. Et près de vous jamais aucun homme vivant Sur un pareil sujet ne sera si savant. ANGÉLIQUE. Je conçois assez bien ce que vous voulez dire,Et je vois bien, Monsieur, que vous voulez rire,Si le savoir m'a plus, vous avez un grnad tortPour m'en désabuser de faire aucun effort. LYSANDRE. De grâce écoutez-moi, sans vous mettre en colère. ANGÉLIQUE. Dans le monde jamais peut-on se satisfaire,Sans contempler à fond et la Terre, et le sCieux,Et ces beaux mouvements qui ravissent nos yeux.Je ne suis qu'une fille, et si j'ai dans mon âme, De savoir toute chose un invisible flamme.Les termes de savants ont pour moi tant d'appas,Que je meurs de regret de ne le savoir pas.Je pâme quand j'entends ce qu'on dit de la SphèreEt ces doctes raisons que partout on révère, Et je veux là-dessus, pour contenter mon coeur,Qu'un savant sur ce point devienne mon vainqueur. LYSANDRE. Amour, seconde-moi dedans mon entreprise,La résolution, Madame, en est donc prise ?Et vous préfèrerez un orgueilleux savant À la sincérité d'un si parfait amant ?Vous, qui vous plaisiez tant à voir croître ma flamme ;Que tous deux bien unis nous de faisions qu'une âme,Craignez qu'un repentir que produira l'amour,Vous donne mais trop tard du déplaisir un jour, Quelquefois des plus fiers ce Dieu prend la vengeance. ANGÉLIQUE. Je crains peu votre amour, j'ai pour moi la science. LYSANDRE. Les seuls savants pourtant font éclater ses lois. ANGÉLIQUE. Pour se faire admirer ils le font quelquefois. LYSANDRE. Je n'ai pas un esprit pour répondre à vos pointes Trop de subtilités à vos discours sont jointes. ANGÉLIQUE. Quand vous dites cela, vous vous moquez de nous. LYSANDRE. C'en est assez, Madame ; adieu, souvenez-vousQue dans tous vos amants rien ne sera si tendre,Que l'amour qu'à pour vous le malheureux Lysandre, D'un philosophe allons vite prendre l'habit ;Inspire la science, Amour en mon esprit. Il sort. SCÈNE III. Angélique, Padille déguisé en Capitan. PADILLE, à part. J'entrevois Angélique, ah ! C'est ici, Padrille,Qu'il faut comme un soleil que ton esprit brille. ANGÉLIQUE. C'est homme en veut à nous, que voulez-vous Monsieur. PADILLE. Madame, vous voyez le fils de la Terreur ;Ou, pour mieux m'expliquer dans ma bravoure extrême,M'étant créé tout seul, je suis la terreur même,Sans me servir d'un bras qui tua le dieu Mars,Je soumis l'univers d'une seul de mes regards, Tel que vous me voyez, j'ai forgé le TonnerreDes géants qu'enfanta le Ciel contre la Terre.Les gages que par an je donne à mes valetsSont les sceptres dorés des rois que je soumets J'ai vaincu les Césars, défait les Alexandres J'ai pillé leurs États, mis leur trônes en cendre,La Chimère, et Méduse ont senti ma fureur,Quoiqu'à Bellérophon on en donne l'honneur.J'ai fait plus, comme en moi le genre humain se fonde,De cent montres affreux, j'ai délivré le monde. Mais qui pourrait encor croire, après tout cela,Que j'ai d'un souffle éteint les feux du mont Etna ?J'en ai tant faits qu'enfin les Jasons, les Hercules, Près de moi, s'ils vivaient, paraîtraient ridicule.Après avoir sur terre essuyé ces travaux, non content, j'ai noyé Neptune dans ses eaux,Pour avoir sans mon ordre élevé la tempêteQu'Enée a ressenti poursuivant sa conquête.Ma voyant enfin maître et du monde, et des mersJe fi descendre aussi descendre ma valeur aux Enfers. Là, malgré de Pluton l'insolence brutale,Je fis sceller Sysiphe, et reposer Tantale.Je brisais touts leurs fers, et pour parler aux Dieux.Des Enfers où j'étais je montais dans les Cieux.Jupiter, pour donner à mes fers récompense, Ordonna que sur tout j'aurais pleine puissance,Que je pouvais user des célestes beautés,Les prendre, et les choisir selon mes volontés,Mais rine ne m'y plaisant, j'en sortis à grand erreEt cous voyant du ciel briller dessus la terre ; Je me crois trop heureux ; Madame, si je visPour voir votre beauté de mes travaux le prix. ANGÉLIQUE. Pourquoi finissez vous . Vos discours m'ont charmé. PADILLE. La bravoure, Madame, est par vous estimée. ANGÉLIQUE. Ce n'est pas ce qui fait tout mon charme pourtant, Mais le style joli d'un discours si plaisant ; Et vous avez, Monsieur, le don de l'éloquence PADILLE. Vous ne voulez donc rien qu'un homme de science ?Et le pouvoir qu'ne tout vous savez qu'à mon bras.Pour prendre un autre amant ne vous étonne pas ? Eh bien. ANGÉLIQUE. Qui peut, Monsieur, tout à coup surprendre. PADILLE, sortant. Je vais mettre aujourd'hui tous le savants en cendre. SCÈNE IV. Angélique, Lysandre déguisé en philosophe. LYSANDRE. Laissez le Capitan, Madame, écoutez-nousDéduire pour vous plaire un discours bien doux. ANGÉLIQUE. Si c'est du haut savoir, Monsieur, j'en suis ravie. LYSANDRE. Madame, c'est ici de la philosophe. ANGÉLIQUE. Mes sens sont de cet art déjà tous enchantés. LYSANDRE. J'en suis plus réjoui puisque vous les goûtez,Pour la philosophie apprenez par avance,Que ce n'est pas un Art, mais bien une science Par elle je connais tous les quatre éléments,Leur centre, leur substance, et tous les accidents,Celui qui se noya pour ne pouvoir comprendre,La refus de la mer pouvait de moi l'apprendre.D'où précédent les vents je ne l'ignore pas; Et les ai défini mieux qu'Anaxagoras.Je sais, hors Dieu, que tout à sa cause seconde,Et tous les beaux effets qu'on admire en ce monde.J'ai prouvé quand quelqu'un d'une épée on perçoit, Que c'était l'air non pas le fer qui les tuait. J'ai fait voir que ce monde est pareil dans la Lune ;Et que d'elle, et de lui la figure est commune ;Je sais très bien la Sphère, et je n'ignore pointQu'au milieu de la mer la terre est comme un point.Bref, je connais les corps tant internes, qu'externes, Et les lieux souverains d'avec les subalternes.Je sais Cause, Effet, Forme, Espèce, Mouvement ;Vide, existence, atome, idées, arguments,Enfin le résultat de cette connaissanceÀ le souverain bien pour but de la science, Et d'aimer les beautés approchantes des Dieux.Je n'en vois point que vous, Madame, dans ces lieux.Et je suis trop heureux, si ce bel oeil m'ordonneQue mon art s'incorpore avec votre personne. ANGÉLIQUE. Pour votre haut savoir, ce prix serait trop bas. LYSANDRE Mon savoir tel qu'il est ne vous mérite pas,Vous faites trop d'honneur à ma philosophie. ANGÉLIQUE. Mais la science enfin défend qu'on se marie. LYSANDRE. Au contraire, il faut joindre avec les beautésPour leur perfection les sublimes clartés. ANGÉLIQUE Ce sont des arguments qu'à loisir j'examine. LYSANDRE. Madame, si pour moi votre coeur se destine,J'attends patiemment en moment bienheureux. ANGÉLIQUE. On ne peut pas, Monsieur, se marier à deux ;Vos raions là-dessus sont de peu d'important, Excusez-moi, je veux épouser le science. LYSANDRE, bas. Voyons ; car là-dessus je l'ai bien empressé,Si notre ami fera ce que j'avais pensé.Madame ; puisqu'ici ce discours vous ennuie,Recevez les adieux de la Philosophie. Il sort. SCÈNE V. Angélique, Philinte déguisé en Astrologue, une sphère à la main. PHILINTE. [Note : Bibus : Terme de mépris, employé uniquement dans la locution de bibus, qui signifie sans valeur, sans importance. [L]]Loin de plaire à vos yeux ces savants de BibusDevraient tout, sur mon âme, essuyer vos refus ;Un savant, comme moi, Madame, sur la sphèreDoit prétendre tout seul à l'honneur de vous plaire.Étant un raccourci des sublimes savants, Qui mérite le mieux d'être de vos amants. ANGÉLIQUE, à part. De savoir quel il est je sens brûler mon âme. PHILINTE. Je suis... ANGÉLIQUE. Hé quoi, Monsieur. PHILINTE. Astrologue, Madame. ANGÉLIQUE. Cet art de tous les Arts approche plus des Dieux. PHILINTE. Mais c'est surtout pour moi qui m'y connaît des mieux Si vous me demandez à quoi sert cette sphère,J'en connais du Soleil, l'une et l'autre hémisphère,Je sais par là combine le ciel a de hauteur,Et la Terre de tour, La Mer de profondeur,Je connais chaque étoile et qu'une âme commune, Ne voit pas comme moi le Soleil, et la Lune.Je sens l'air, et la nue, et je vais quand je veuxVoir ces beaux mouvements qui sont tourner les Cieux,Mon pouvoir est très grand, par le moyen des astres,J'annonce les malheurs, je prévois les désastres, Si vous ne croyez pas mon pouvoir souverain,Pour l'expérimenter donnez moi votre main. ANGÉLIQUE. Dans un plaisir si grand, rêvé-je, ou si je veille ? PHILINTE. Donnez moi votre main, je vais faire merveille. ANGÉLIQUE, lui donnant sa main. Quoi ? Vous m'allez montrer tout ce que j'ai pensé. PHILINTE. Oui, je sais l'avenir, Madame, et le passé. Regardant dans sa main.Cet aspect de Vénus me fait bientôt comprendreQu'un amant vous en veut qui se nomme Lysandre. ANGÉLIQUE. Aurais-je pu jamais ; ô Ciel m'en défier ?Monsieur, vous êtes diable, ou pour le moins sorcier. PHILINTE. Mais cet aspect entrant dans la Lune ascendanteVous a rendu pour lui l'âme très inconstante,Mercure rétrograde occupe votre mainQui fait qu'hors les savants tout vous est à dédain.Mais je remarque ici qu'une ligne douteuse Dénote qu'en amant vous serez malheureuse ;Mais que vous le serez encor plus mille fois,Si de tous vos amants Lysandre n'est le choix.Il faut sans contredit qu'il ait la préférence,Je parle contre moi président la puissance Qu'un astre pour Lysandre annonce, en bonne fois.Mais pourriez vous aimer un homme comme moi ?J'ai comme vous savez la plus belle doctrine. ANGÉLIQUE. Je crains trop du destin la puissance Divine. PHILINTE. L'Astrologie ici, n'a donc point de pouvoir ? ANGÉLIQUE. Je veux avec plaisir vous entendre et vous voir. PHILINTE. Oui, mais de votre hymen vous me croyez indigne.Pour vous plaire il vous faut quelque savant insigne. ANGÉLIQUE. Le plus parfait, Monsieur, doit être mon époux. PHILINTE Madame, apparemment que ce n'est donc pas nous. ANGÉLIQUE. Le temps peut être enfin pourra nous y résoudre. PHILINTE. Je vous jure, pour moi, c'est un vrai coup de foudre,De dépit, je m'en vais peut être me noyer. Il sort. ANGÉLIQUE. Enfin tous les savants vous me désennuyer. SCÈNE VI. Angélique, Padille déguisé en poète. PADILLE. Laissez ce fou, Madame, avec sa planète ; Et venez écouter un céleste poètePar un intime secret que j'ai reçu des Cieux,Je parle habilement le langage des Dieux,Favori d'Apollon, j'ai dans le Mont Parnasse,Malgré mes envieux, la plus insigne place ; Et je bois à mon gré de ces saintes liqueurs,Qui sont, comme je suis les illustres auteurs.Seul, je vis des lauriers, je loge au mont CaucaseJ'ai pour valet ma muse, et pour cheval Pégase,Poète fidèle au grand Dieu que je sers, Ma prose a son congé, je ne parle qu'en vers,Je sais l'art de bien dire, et la philosophie :Et la mathématique, avec l'astrologieJ'entends bien toute langue, et l'on ne peut trouver,Rien que très doctement, je ne puisse prouver, Et de vous mériter j'ai lieu plus que personne,Si c'est au plus savant que votre main se donne. ANGÉLIQUE. J'avoue en vérité que vous me charmez plusQu'un tas de beaux esprits qu'on nomme superflus,Et pour cela, Monsieur, vous avez l'air de plaire. PADILLE, bas. Padille l'a trouvé, ma foi, voici l'affaire.Je puis donc espérer, Madame, la bonheurD'être choisi par vous pour votre serviteur ? ANGÉLIQUE. Qui vous a dit cela ? Craignez de vous méprendre. PADILLE. Vous ne voulez donc pas à mon savoir vous rendre. ANGÉLIQUE. Si je veux un mari ce n'est pas encor vous. PADILLE, bas. Voyez donc l'abrégé des folles et des fous.Mais sans tant de raisons voulez vous toujours taire,Celui qui pour époux pourra jamais vous plaire. ANGÉLIQUE. Comme au plus éclairé de ceux que je connais, Je veux bien vous montrer celui que j'aimeraisJe prétends que l'époux que je peux reconnaîtreSoit en galante humeur, des plus savants le Maître,En un mot de tout il raisonne si bien,Qu'il charme tout le monde avec son entretien Et que de son esprit la gentille nature,Dans l'adresse, et dans tout soit semblable à Mercure,Adieu ; cherchez ailleurs à vous entretenir. PADILLE. Bon, je vois à propos mon maître revenir. SCÈNE VII. Lysandre, Padille. LYSANDRE. Hé bien, t'a-t-elle fait encore quelque frasque ? PADILLE. Non, je ne vis jamais un amour si fantastique. LYSANDRE. Cette bizarre humeur me met au désespoir. PADILLE. Ne cous souciez point, je saurai bien l'avoir. LYSANDRE. Quoi ? Tu pourrais trouver quelque ombre d'apparence. PADILLE. Je la tiens dans vos vers, Monsieur, en assurance. LYSANDRE. Dis donc vite, je cède à cet espoir si doux. PADILLE. Il faut avant cela que nous allions chez vous. LYSANDRE. Je brûle de savoir ce que tu me veux dire. PADILLE. Allons, chemin faisant, je vais vous en instruire. LYSANDRE. D'où conçois tu Padille un si charmant espoir. PADILLE. Retirons nous vous dis-je, vous l'allez savoir. ACTE II. SCÈNE PREMIÈRE. Angélique, Céphise. CÉPHISE. Enfin j'entends partout que ta bizarreriePour les hommes savants va jusqu'à la folie.D'où vient donc que partout on dit cela de toi ?Tu perdras ton renom, Cousine, en bonne foi. Je t'en viens avertir comme étant ton amie. ANGÉLIQUE. Vous prenez trop de soin, j'en suis toute avertie,Et pourriez vous passer, sans vous faire un grand tort,De me traiter de folle, et vous me fâchez fort. CÉPHISE. Si vous le prenez là, je vais bientôt me taire Puis-je retenir, moi, la langue du vulgaire ?On m'a fait ce rapport, j'ai de vous avertirInnocemment pensé vous faire un grand plaisir. ANGÉLIQUE. Mais vous croyez aussi que c'est une folieD'aimer tant les savants. CÉPHISE. J'en crois une partie. ANGÉLIQUE. Vous avez là-dessus de très beaux sentiments !L'ignorance vous plait comme à beaucoup de gens. CÉPHISE. Voulez-vous après tout que l'esprit d'une femme... ANGÉLIQUE. Brisons-là, s'il vous plait, je vous quitte, MadameEt ne puis avec vous plus durer un moment. CÉPHISE. On vient à nous ; adieu, voilà quelques savant. SCÈNE II. Angélique, Padille, très bien mis. PADILLE. J'entends de tous côtés que vous seriez bien aiseDe rencontrer, Madame, un amant qui vous plaise.Je viens mal à propos m'offrir pour ce sujet,Mais vous excuserez peut-être mon projet. ANGÉLIQUE. J'admire avec plaisir votre aimable génie. PADILLE. Je vous amène ici mauvaise compagnie. ANGÉLIQUE. J'étais seule portant. PADILLE. Seule avec votre esprit,Vous valez mieux cent fois qu'un cercle de crédit. ANGÉLIQUE. La pointe à vos discours est partout énergique. PADILLE. Vos yeux seuls ont sur moi la pointe qui me pique.Madame, et mon amour fait parler mon esprit. ANGÉLIQUE. Avec peine je crois ce que vous m'avez dit,Quoi ? Votre liberté serait elle asservie. PADILLE. Oui, Madame, que n'est un esclave en Turquie Et je crois me voyant brûler si fortement,Votre esprit un Soleil, votre oeil miroir ardentDe grâce, modérez ce rayon qui me tue. ANGÉLIQUE, à part. Par ces charmants discours mon âme abattue ;Et s'il était offert pour être mon amant, Mon coeur résisterait assez mal aisément. PADILLE. J'adore la science, et je soutiens, Madame,Qu'une homme sans savoir n'est rien qu'on corps sans âme.J'aime les beaux esprits, les vers, et les romans,Et ces productions que font tous les savants. ANGÉLIQUE. Nous avons pour cela d'étroites sympathies. PADILLE. Mais aimez vous aussi ces belles comédies. ANGÉLIQUE. Je prends à les entendre un extrême plaisir. PADILLE. Tant mieux ; j'en ai fait une, avez-vous le loisirQue dedans un moment on vous le représente. ANGÉLIQUE. Dites m'en le sujet ; est-elle bien plaisante ? PADILLE. On va vois la jouer, les rôles sont appris.Sept ou huit bons acteurs depuis peu les ont pris. ANGÉLIQUE. J'y voudrais bien aussi faire mon personnage. PADILLE. Quel rôle feriez vous ? ANGÉLIQUE. Fait-on un mariage ? PADILLE. Je m'en souviens, Madame, un rôle est à donner,Une fille au contrat vient simplement signer,Vous la ferez, il faut paraître, et ne rien dire.À tout ce qu'on dira vous n'avez qu'à souscrire,Vous ferez votre rôle assez facilement. Vous n'avez, s'il vous plaît, qu'à songer seulement,Que vous ne paraissez qu'en la scène dernière. ANGÉLIQUE. Je vais me réjouir de la bonne manièreMais de tous les acteurs est le favori. PADILLE. Je fais celui qui doit être votre mari. Vous signez ce contact que je viens de vous dire, ANGÉLIQUE. Je signerai fort bien ; Ciel ! Que nous allons rire ! PADILLE. Je vois tout à propos venir tous mes amis. SCÈNE III. Angélique, Philinte, Oronte, Valère, Damon, Padille. ANGÉLIQUE. Je vois déjà l'effet que l'on m'avait promis,Messieurs, et me faisant l'honneur que vous me faites Il faut que vous soyez extrêmement honnêtesC'est à vous seul que j'ai cette obligation. PADILLE. Ces messieurs n'ont pas moins pour vous de passion. ANGÉLIQUE. Vous venez tout à temps pour notre comédie. PHILINTE. Madame il faut qu'ici, Monsieur, vous la dédie Votre esprit, et vos yeux font partout bien du bruit,Mais je vois qu'il en est plus qu'on n'en a dit. ANGÉLIQUE. Monsieur, vous avez trop pour moi de complaisance. PADILLE. Messieurs, si vous voulez que la pièce commenceIl est temps, s'il vous plait, de s'aller travestir. Quelqu'un de ces Messieurs reste à vous divertirJe m'emmène avec moi que Philinte et Valère. ANGÉLIQUE. Revenez donc bientôt. PADILLE. Nous ne tardons guère. SCÈNE IV. Angélique, Oronte, Damon. ANGÉLIQUE. Dans la pièce, Messieurs, quels rôle faites vous ? ORONTE. À vos charmants appas nous ferons les yeux doux Mais vous aimerez mieux un amant ridicule. ANGÉLIQUE. Il faut donc là-dessus que je me dissimule,Car je ne puis souffrir que de rares esprit... ORONTE. Mais vous vous tromperiez, si vous nous aviez pris. ANGÉLIQUE. Je parle, en bonne foi, du profond de mon âme. ORONTE. Vous avez mille fois trop de bontés, Madame. ANGÉLIQUE. Laissons les compliments, je n'ai que le désir,De connaître la pièce. ORONTE. À ce plaisir léger,Madame, préférez celui de la surprise. ANGÉLIQUE. De savoir ce que c'est mon âme est toute éprise. Mais d'une comédie on fait peu de façon.Avant que la jouer d'en annonce le nom,Dites-moi, Monsieur. ORONTE. Je veux bien vous le dire.Quand on m'a lu la pièce, enfin je l'ai pu lireLe titre est... Vous savez que ce titre est nouveau? La supposition véritable. ANGÉLIQUE. Il est beau.On nomme ces écrits, poèmes dramatiques ; Dont les uns sont plaisants, et les autres tragiquesJ'entends du bruit, nos gens vont bientôt revenir,Entrez tous deux ici moi je vais m'y tenir. Je parais seulement dans la scène dernière. ORONTE, à Angélique. Quand on vous le dira, vous viendrez la dernière. Ils entrent tous deux, et Angélique prend un siège au côté du théâtre pour entendre la comédie, et les violons jouent une ouverture. LA SUPPOSITION VÉRITABLE. PETITE COMÉDIE EN UN ACTE. SCÈNE PREMIÈRE. Dom Alvare, Don Sanche. DOM SANCHE. Angélique, Monsieur, qui vous chérissait tant.Vous préfère aujourd'hui ce ridicule amant ?Ce sot original Dom Pedre de Stambole ? DOM ALVARE. Oui ; j'ai dans mon chagrin besoin qu'on me console. DOM SANCHE. Vous fûtes mon rival, je fut le vôtre aussi,Consolons-nous tous deux, soyons amis ainsi. DOM ALVARE. Je le veux ; toutefois mon coeur se désespère. DOM SANCHE. Mais puisque sa folie à ce foi vous préfère, Le bon sens dans ce choix n'est pas fort recherchéEt vous ne devez pas en être trop fâché. DOM ALVARE. Je ne puis aisément délaisser ce que j'aime. DOM SANCHE. Avec moins de raison on vous quitte vous-même. DOM ALVARE. Comme elle, je ne puis la quitter tout d'un coup Que cela ne m'étonne et m'afflige beaucoup. DOM SANCHE. Il faut vaincre ce faible, et s'en rendre la maître. DOM ALVARE. Dans le trouble où je suis je ne me puis connaître,Le souvenir charmant de ses divins appasFait qu'ne un même temps je veux, et ne veux pas, Malgré moi, dans mon coeur je sens régner un tendreQue je voudrais chasser, et ne puis m'en défendre ;Et je mourrai, Monsieur, si sa charmante mainPar ce fol que vous dites a changé son dessein.Ce que je vous ai dit, Monsieur, est véritable ; Et me rend aussi bien que vous fort misérable.Mais, sans vous chagriner tous deux que n'allons nous Parler un peu de près à ce maître des fous ?Je lui ferai sentir ma valeur offensées. DOM ALVARE. Il ne faut pas, Monsieur, avoir cette pensée. Il faut qu'un gentilhomme obéisse à son Roi,Et si vous m'en croyez, vous serez comme moi,Puisqu'enfin pour nous deux Angélique est contraire,Ne le contraignons point, Monsieur, laissons la faireÀ ce choix ridicule on ne peut s'opposer. DOM SANCHE. Mais ce fol doit venir aujourd'hui l'épouser. SCÈNE II. Dom Pedre, Dom Diègue, Dom Alvare, Dom Sanche. DOM PEDRE. De quel fol veut parler ce couple de pécores ?Je vous l'ai dit, beau-père, et vous le dit encore. À Dom Alvare, et Dom Sanche qui s'arrêtent à la regarder.M'avez-vous assez vu ? Suis-je bien fait ? Badauds.Hé ! Morbleu, décampez, peste soit des nigauts, Avez vous jamais vu deux plus sottes figures. DOM ALVARE. Nous sortirons assez, sans toutes vos injures. DOM PEDRE. Mais vous ne branlez point ! Les avez-vous mandés,Beau père ? Dites donc. Il est sourd, répondez. DOM DIEGUE. Moi ? Non. DOM PEDRE. Moi ? Non. Qui donc ? Ce stupide beau-père Est comme une statue à les regarder faire. DOM DIEGUE. Croyez-vous voir ma fille, étant si mal appris ! DOM PEDRE. Vous êtes par ma foi le plus sot des espritsFaites les donc sortir. DOM DIEGUE. Voulez-vous que je fasse... DOM PEDRE. Hé, radoteur vieillard faites leur la grimace. DOM ALVARE. Sur le pavé du Roi pouvez vous nous gêner ? DOM PEDRE, mettant la main à l'épée. Vous voulez donc, marauds, me faire dégainer ? Il donne plusieurs coups de plat d'épée à Dom Diègue. DOM ALVARE, s'en allant. Vous m'avez maltraité, de votre violenceJe m'en vais informer les Maréchaux de France. SCÈNE III. Dom Pedre, Dom Diègue. DOM DIEGUE. Ciel ! Comme vous frappez : Je suis presque abattu. DOM PEDRE. Ces deux petits cadets sentaient le vieux battu.Mais sans tant reculer montrez moi votre fille ;Afin que pour la noce ou plutôt je m'habille.Je prétends toutefois voir dans mon museau,S'il est laid, je la laisse, et la prends s'il est beau, Au diable, s'il répond. Quelle peste de mineFait ce vieux foi ! Je crois que toujours il rechigne.Il est muet et sourd, ou je parle trop basBeau père extravagant ne m'entendez vous pas.J'y perdrai mon latin, vieillard, que Dieu confonde, Réponds, ou fait pour toi que quelqu'un me réponde,Veux-tu bailler ta fille, ou ne pas la bailler ! DOM DIEGUE. Pour la prendre, Monsieur, vous n'avez qu'à parler. DOM PEDRE. Allez, si ma moitié vous ressemble, beau-pèreEt que tout comme vous elle ne parle guère Les cornes sur ma tête auront peine à sortir,Qu'elle vienne donc vite ou je m'en vais partir. PHILINTE, à Angélique dans une aile du théâtre dit ce vers et se retire. Venez vite, Madame, il est temps de paraître. Angélique s'avance sur la scène. SCÈNE IV. Angélique, Dom Pedre, Dom Diègue. DOM DIEGUE, à Angélique. Ma fille, pour époux vous pouvez reconnaître,Monsieur, le voulez-vous ? DOM PEDRE. Elle ne répond rien. DOM DIEGUE. Je crois pourtant, Monsieur, qu'elle voudra du bien,Acceptez-vous, Monsieur ? ANGÉLIQUE, à qui on souffle de derrière le théâtre. Je le veux bien mon père. DOM PEDRE. Pour de l'esprit, je vois que vous n'en avez guère,La Belle ; mais enfin j'en suis peu soucieux,Et je crois que mon front s'en portera bien mieux. Mais ne parlez jamais quoi qu'un homme vous dieQuels sont donc vos plaisirs ? Le bal ? La comédie ?Aimez-vous bien les vers ? Ou ces écrits galants ?À quoi songez vous donc ? Faites vous des romans ?Si vous ne répondez, je ne parle plus guère. Mais quand donc procéder à notre hymen, beau-père ? DOM DIEGUE. Je notaire venu, vous n'avez qu'à finir. DOM PEDRE. Qui vous empêche donc de la faire venir. DOM DIEGUE. Je ne sais pas pourquoi si longtemps il demeure ?Mais je voici, Monsieur, qui vient à la bonne heure. SCÈNE DERNIÈRE. Dom Pedre, Dom Diègue, Angélique, Le Notaire. LE NOTAIRE, tenant un contrat dans ses mains. Je viens tard, mais aussi le contrat est écrit. DOM PEDRE, à bas au Notaire. Avez-vous mis les noms comme je vous ai dit ? LE NOTAIRE. Le contrat est en forme, et de bonne manière. DOM PEDRE, à Angélique. La belle, il faut pour moi, quitter votre humeur fière,Car le contrat signé, dans une heure d'ici Je dispose de vous comme votre mari.Nous allons par les lois du Ciel, et de NatureProcéder, comme il faut, à la progéniture.Et comme au mariage il faut bien des apprêts,Voyons si pour cela tous nos meubles sont prêts Pour le ménage il faut quantité d'ustensiles. DOM DIEGUE. Monsieur, j'en ai fait faire à des maîtres habiles. DOM PEDRE, à Dom Diègue. Que faut-il faire de plus ? Donnez donc votre seing. LE NOTAIRE, à Dom Diègue. Vous devez commence comme auteur du dessein. DOM PEDRE. Signons donc, je le veux. C'est ains qu'on s'explique. LE NOTAIRE, à Angélique. Madame, votre nom. ANGÉLIQUE, à qui on souffle toujours. Je me nomme Angélique. LE NOTAIRE. Signez. ANGÉLIQUE, à qui on souffle toujours. Je veux bien. Elle signe. DOM PEDRE, à part. Je vous tiens, par ma foi,Me voilà maintenant plus content que le Roi.Allons donc consommer vite le mariage. LE NOTAIRE. Ici, je n'ai plus rien à faire davantage. Je sors. Il sort avec les autres. DOM PEDRE. Adieu Messieurs. DOM ALVARE. Adieu : soyez content. Fin de la petite comédie. SCÈNE V. Angélique, Padille qui jouait le rôle de Dom Pedre. ANGÉLIQUE. Pourquoi nous quittent-ils ? Se moquent-ils des gens ?Ne me dires-vous point quel est tout ce mystère ? PADILLE, lui montrant le contrat qu'elle vient de signer. Oui : Madame ; il est temps de ne vous plus rien taire,Il n'est plus de dédit, le contrat est signé. ANGÉLIQUE. Quoi le même contrat que vous m'avez donné. PADILLE. Oui, vous achèverez avec moi, sur mon âme,La supposition véritable, Madame. ANGÉLIQUE. De tout ce qu'il me dit déjà la cour me bat. PADILLE. Vous avez cru jouer en signant ce contrat ; Mais sachez qu'il est fait de la bonne manière ;Et que sous nos deux noms la clause est toute entière,Il est en bonne forme, et prétends aujourd'huiEn qualité d'époux terminer mon ennui.Vous avez refusé, dans le siècle où nous sommes, Des nobles, des savants, et toutes sortes d'hommes.Moi, plus subtil que ceux qui vous venaient chercher,J'ai su qu'un bel esprit pouvait seul vous toucherDont la gentille humeur fut semblable à Mercure :J'ai du mieux que j'ai pu contrefait sa figure ; Et dedans cette pièce attirant des amis,J'ai dressé le beau piège, où je vous ai mis. ANGÉLIQUE. Je ferai tout casser par les lois de justice,Disant que le contrat est fait par artifice. PADILLE. Je vais chez un sergent pour vous faire assigner Sur le contrat qu'ici vous venez de signer.On n'entend point de jeu sur de telle matière,Et quand vous y serez ce n'est pas la première. ANGÉLIQUE. Je périrai plutôt que tu sois mon époux. PADILLE. J'espère toutefois cet honneur malgré vous. ANGÉLIQUE. Un fourbe ! PADILLE. Vous feriez vingt fois mieux de vous taireLe juge ordonnera de toute notre affaire. ANGÉLIQUE, bas. Juste Ciel ! Que je suis malheureuse en amants ?Embrouillant mon esprit avec tous mes savants ?Mais que faire après tout, si je suis condamnée ? Si je perds mon procès qu'elle est ma destinée.Il faut aller bientôt me tendre à la maison.Afin d'y recevoir cette assignation. Elle sort. PADILLE. Allons, devant qu'enfin la cause aille paraître,De tout ce qu'il faut faire avertir votre maître. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Polidore, Lysandre. Le théâtre représente un parquet. POLIDORE. Quoi ? Ton valet tout seul aurait joué ce tour. LYSANDRE. Il a fait tout cela pour servir mon amour. POLIDORE. Tu railles un peu fort bien cette belle maîtresse. LYSANDRE. Je ne puis autrement m'acquérir sa tendresse. POLIDORE. Fort bien ; mais puis-je enfin soulager ton souci. LYSANDRE. On t'a fait depuis peu juge de ce lieu-ci,Et comme devant toi notre affaire est remise,Je souhaiterais fort pour la rendre surpriseQu'avec tes conseiller, prenant ta place,, moiJe décide l'affaire, et juge au lieu de toi. La robe et le bonnet, et l'air que je vais prendreÀ ses yeux aisément déguiseront Lysandre,Ainsi je la guérie de ses entêtements,Et parviens au bonheur des plus heureux amants. POLIDORE. Je crains de mesurer des droits de la justice, Et qu'on ne me démettre après de mon office. LYSANDRE. Au contraire un chacun trouverait à proposDe mettre là dessus son esprit en repos. POLIDORE. Je n'examine rien, et quoi qu'il en puisse être,Fais ce que tu voudras, je t'en laisse le maître, Je ne puis refuser un ami tel que toi. LYSANDRE. Ami, je te rendrai la pareille, crois moi. POLIDORE. Allons donc avertir nos gens en diligence ;Car il faut avec nous avoir mon assistance,Tu ne saurais juger sans cela ; les voici Je vois mes conseillers, et mon greffier aussi. SCÈNE II. Polidore, Lysandre, Premier conseilleur, Second conseiller, le Greffier. POLIDORE, aux conseillers. Messieurs, je vous supplie ici, qu'en mon absence,Vous acceptiez, Monsieur, pour juge en l'audiance,Laissez-le, s'il vous plait, pour un sujet pressantPrésider au barreau comme mon lieutenant. Vous me ferez, Messieurs, un faveur entière. PREMIER CONSEILLER. Commandez-nous, Monsieur, sans user de prière. POLIDORE. Il est fort entendu, bien expert sur la loi. PREMIER CONSEILLER. Sans nous en dire, à son air je le vois. POLYDORE, à Lysandre. Venez vite changer votre robe à la mienne? Messieurs, prenez séance attendant qu'il revienne. LYSANDRE, sortant avec Polidore. Je m'en vais revenir, Messieurs, dans un moment. Les conseillers se rangent aux deux côtés de la chaise du président, et le greffier au dessous d'eux. SCÈNE III. Angélique, Padille, Premier Conseiller, Second Conseiller, La Graefier./ ANGÉLIQUE, au Greffier. Qu'attend-on pour plaider ? LE GREFFIER. Monsieur le président. ANGÉLIQUE, bas. Quel procès ai-je là ? Que je suis malheureuse. PADILLE, à Angélique. Vous voilà donc ici, Madame la plaideur ? ANGÉLIQUE. Fourbe, j'y viens pour toi. PADILLE, à Angélique. Voilà votre contrat. ANGÉLIQUE. Je le récuserai. PADILLE. Peste, à bon chat, bon rat. LE GREFFIER. Qu'on se taise là, paix. Le président entre. SCÈNE DERNIÈRE. Lysandre, avec la robe de président, Premier Conseiller, Second Conseiller, Le Greffier, Angélique, Padille. LYSANDRE, assis dans la chaise de Président. Appelez quelque cause. LE GREFFIER, appelle à haute voix. Angélique, Padille. PADILLE, s'avance et plaide. Ici c'est une chose,Dont vous allez, Messieurs, être en étonnement. Ma partie a voulu que je sois sont amant.Pour légitime époux elle accepte à ma prendre,Présence de témoins, ce qui va vous surprendre. ANGÉLIQUE, voulant l'interrompre. Messieurs, c'est... LYSANDRE. Attendez. PADILLE. La chose en cet état,De notre mariage elle signe un contrat ; Qui dit que pour époux, Angélique ici fille,Ses père et mère morts veut bien prendre Padille.Le notaire et les témoins ont sur ce signé tous.Et c'est la cause qu'on plaide devant vous,La consommation de notre mariage ? ANGÉLIQUE. Oui ; mais, Messieurs ; j'apprends que ce n'est qu'un valet. PADILLE. Vous l'avez bien voulu, pourquoi l'avez-vous fait ? ANGÉLIQUE. Il est vrai, j'ai signé dans une Comédie ;Non effectivement pour prendre ma patrie.Sous un nom de roman j'ai signé le contrat, C'est ce qui le fait récurer tout à plat. PADILLE. Voyez la vérité de ce qu'elle a pu dire,Et dans notre contrat ce qu'elle a fait écrire. Il donne le contrat au greffier. LE GREFFIER, lit la clause du contrat. Angélique, suivant le coutume et la loi ; prend pour époux Padille, et lui donne sa foi. À Angélique.Le contrat est en forme étant fait de la sorte.Vous serez condamnée. ANGÉLIQUE, toute éperdue. Ah, mon Dieu, je suis morte ! De grâce, modérez, Messieurs, mon jugement.Mais hélas ! C'en est fait, j'en ai plus qu'un moment. Les conseillers se lèvent, et délibèrent avec le Président.Malheureusement ! Pourquoi ne voulait pas me rendreÀ mon premier amant, à mon très cher Lysandre ?D'un bizarre destin je me vois le jouet ; Et je vais être enfin la femme d'un valet. LYSANDRE, assis avec ses conseillers prononce. Sur la cause d'aujourd'hui devant nous énoncéeLa cour veut qu'Angélique ici soit condamnéeÀ prendre, sans appel, Padille pour époux,Et de vivre avec lui dans un accord bien doux, Greffier, je me permets d'en délivrer l'instance. Le greffier écrit. ANGÉLIQUE. Juste ciel : Modérez, s'il vous plait, la Sentence.Prendrai-je pour mari par votre autoritéUn valet, moi, qui suis fille de qualité ?Si tu savais Lysandre, où mon âme est réduite ? Amant infortuné, tu t'y rendrais bien vite.Mais il en est trop loin, ô désirs insensés. LYSANDRE, descendant de sa chaire, et se faisant connaître. Non, Madame, il n'est pas si loin que vous pensez,Modérez vos frayeux, il est temps de vous direQu'enfin c'est moi qui suit Lysandre. ANGÉLIQUE. Je respire. LYSANDRE. Pardonnez, si voyant mon amour prévenu.À ces extrémités, Madame, on est venu.Tout mon dessin n''était que de vous faire rendreEt le Ciel aux amants laisse tout entreprendre.Loin de vous commander, je demande à genoux Votre consentement pour être votre époux,Oublions tout, Madame, et qu'un doux mariageNous assemble tous deux, sans tarder davantage. ANGÉLIQUE. Je ne sais où j'en suis, tant mes plaisirs sont grands,C'est vous qui m'avez fait venir tous ces savants. LYSANDRE. De tous ces incidents souffrez que l'on vous dieQue nous en pourrions bien faire une comédie.Messieurs, venez aussi, faites nous cet honneur. LE CONSEILLER. Vous nous faites vraiment trop de grâce, Monsieur. PADILLE. Je joue un plaisant rôle aujourd'hui sur mon âme, Donc Padille, Monsieur, est le mari sans femme ?De ma démarier avez-vous le pouvoir ? LYSANDRE. La bouteille vin console ton espoir. PADILLE. Mais j'ai plaidé pour vous quel sera mon salaire ? LYSANDRE. Padille, pour cela, sera mon secrétaire. PADILLE. Le secrétaire me va bien, sur ma foi ;Et l'on ne vit jamais rien plus secret que moi. LYSANDRE. Changeons notre chagrin dans une joie extrême,Et faisons vois la fin du juge de soi-même. ==================================================