******************************************************** DC.Title = LES AMOURS DE DIANE ET D'ENDIMION, TRAGÉDIE. DC.Author = GILBERT, Gabriel DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 13/07/2023 à 14:12:48. DC.Coverage = Grèce DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/GILBERT_AMOURSDEDIANEETDENDYMION.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k83304j DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LES AMOURS DE DIANE ET D'ENDYMION TRAGÉDIE M. DC. LVII. AVEC PRIVILÈGE DU ROI. Par MONSIEUR GILBERT, Secrétaire des Commandements de la Reine de Suède, et son résident en France. À PARIS, Chez GUILLAUME DE LUYNE, Libraire Juré, dans la Salle des Merciers, à la justice.Achevé d'imprimer pour la première fois le 29 Mai 1657. Représenté pour le première fois en 1645. MONSEIGNEUR, Ayant composé cet ouvrage en Italie par le commandement d'une personne auguste pour qui V. E. a beaucoup de respect, et ce nouvel Endimion ayant reçu la lumière dans le même pays où vous avez pris naissance : J'ai crû que vous voudriez bien lui faire l'honneur de le protéger, et de prendre quelque soin de sa destinée. Quoiqu'il paraisse sous l'habit d'un pasteur, la Grèce le conte entre ses plus grands rois, il a régné quelque temps heureusement dans l'Élide : Mais l'Amour qu'il eut pour les Lettres lui fit quitter ses États, et le fit passer d'Europe en Asie où les sciences fleurissaient alors. Pour mieux observer le cours des Astres qui était sa principale étude, il s'arrêta sur le mont Lathmos qu'il a rendu célèbre par son séjour. C'est ce qui a donné lieu aux poètes qui couvrent la vérité de fictions agréables de faire une fable de cette Histoire : en feignant qu'Endimion était amoureux de Diane, ils ont fait d'un roi un berger, et d'un sage un amant. Ce Prince qui abandonna toutes choses pour s'appliquer à la contemplation n'eût pas été obligé de quitter son trône s'il eût eu un Ministre tel que Vous sur lequel il eût pu se reposer du salut de son peuple, et de la gloire de son règne. Dés la première année du gouvernement de V. E. comme par un bon augure de la suite : Nous avons vaincu l'Espagne sur nos frontières alarmées, et encor en deuil de la perte de leur souverain, depuis votre conduite merveilleuse a été confirmée par des villes prises, par des batailles gagnées, et par toute sorte d'heureux événements. V. E. par son entremise a accordé les différents des plus Grands Princes du nord et du midi, et ses sages conseils ont acquis à notre jeune Roi dés ses plus tendres années les titres de Clément, de Victorieux, et d'arbitre de la Chrétienté. Les envieux de votre gloire, et ceux qui étaient contraires au bien de cet État, ont suscité en vain des guerres civiles, et armé la France contre elle-même. Votre prudence a tout surmonté, et malgré les ennemis domestiques et les étrangers, vous avez rendu ce Royaume triomphant au dehors, et paisible au dedans, et si les Espagnols ne s'étaient point opposez à vos desseins, vous auriez donné la paix à toute l'Europe, aussi bien qu'à la France. Enfin notre Auguste Monarque inspiré de votre divin génie pour assurer ses conquêtes et notre repos à vaincu les plus belliqueuses Nations, ou traité alliance avec elles. Mais j'ose dire a V. E. après tout ce qu'elle a fait, qu'elle n'a pas fait encore assez pour sa réputation. Pour laisser une image digne d'elle à la postérité, il ne suffit pas d'en donner la matière, et de fournir le Bronze et les couleurs : Il faut encore trouver des Phidias et des Apelles, et les exciter à prendre les ciseaux et le pinceau. Il faut qu'un grand héros souhaite avec Alexandre de voir ressusciter Homère. Il n'y a que deux choses admirables dans le monde, les belles actions, et les belles louanges. V. E. dans le cours de sa vie a fait voir la première, et il dépend d'elle de faire voir la seconde : Si elle prenait autant de soin de la République des Lettres, que de la Monarchie Françoise, elles les rendrait toutes deux également florissantes ; Mais les grandes affaires ou l'une l'occupe continuellement ne lui laissent pas assez de temps pour penser à l'autre. Cela est cause des plaintes secrètes que font les Muses que V. E. se contente souvent de les aimer dans le coeur sans leur en donner des marques extérieures. Comme il n'y a rien de plus noble qu'elles sur la terre, il n'y a rien aussi de plus fier, elles ressemblent à ces beautés ambitieuses qui ne laissent pas de vouloir être aimées, quoi qu'elles soient chastes ; Mais elles ne souffrent les caresses que des rois et des demi-dieux. Ces vierges généreuses qui se bannissent volontairement de la plupart des cours pour le peu d'estime que l'on fait de leur mérite voudraient bien quitter leur solitude pour venir quelquefois dans votre Palais charmer vos soucis au son de leur lyre, et adoucir les soins et les travaux que vous causent la conduite d'un si grand État. Si V. E. les regarde favorablement tout le monde à son exemple aura de la vénération pour elles, et le désir qu'elles auront de vous plaire polira toute la France. Ce Royaume si fertile en beaux esprits surpassera bientôt les autres Royaumes, et dans les Sciences, et dans les Arts. Ces doctes soeurs feront par tout retentir leurs célestes concerts, nos ruisseaux et nos collines se rendront plus fameux que n'ont jamais été les fleuves et les montagnes de la Grèce, les Muses ne seront pas ingrates du bon traitement que vous leur ferez ; elles seront les échos qui répéteront votre nom de siècle en siècle, elles immortaliseront votre renommée, et vous donneront un rang Illustre dans le temple de la gloire parmi la troisième race dont je parle dans ce poème, ce sont les voeux que fait, MONSEIGNEUR, Pour votre Éminence. Votre très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur, GILBERT. ACTEURS L'AMOUR fait le Prologue. DIANE. ENDYMION. APOLLON. MERCURE. L'AURORE. LA NUIT, confidente de Diane. CÉPHALE, confident d'Endymion. SCAMANDRE, berger. PHOCION, berger. ADRASTE, berger. CHOEUR DES NYMPHES DE DIANE. La scène est sur le Mont Lathmos PROLOGUE. AMOUR fait le Prologue. Je suis ce petit Dieu qui fait régner les belles,Avec cet arc fatal, et ces flèches mortelles,Et de ce feu divin qui brille dans leurs yeux,J'embrase également les hommes et les Dieux :Je fais à l'univers une amoureuse guerre, Et suis le conquérant du Ciel et de la terre :Des plus sages mortels, je trouble le repos,Et je fais des captifs des plus fameux héros ;Les trois orgueilleux fils de Saturne et de Rhée,Reconnaissent tous trois ma puissance sacrée : Neptune sent mes feux, Jupiter craint mes fers,Et je fléchis le coeur du tyran des Enfers :Ces Monarques divins esclaves de mes charmes,Me payent un tribut de soupirs, et de larmes ;Enfin les plus puissants d'entre les immortels, Languissent tous les jours au pied de mes Autels ;Mon arc n'épargne pas jusqu'à ma propre mère,Ni le Dieu des combats dont je tiens la lumière :Je les perce tous deux de traits empoisonnés,Et les tiens à mon char l'un et l'autre enchaînés : Moi-même en maniant mes armes dangereuses,Je me fais quelquefois des plaies amoureuses,Et la fille du Ciel cette rare beauté,Dans mes propres liens retient ma liberté :Le seul fils de Latone enflé de vaine gloire, Pour avoir sur Python remporté la victoire,Parlait avec mépris du pouvoir de mes dards,Et croyait surpasser ce bras qui dompte Mars,Il me traitait d'enfant, mais je lui fis connaître,Que l'enfant qu'il méprise était pourtant son maître : D'un seul trait décoché je vainquis ce vainqueur,Des beaux yeux de Daphné je lui perçai le coeur ;Mais pour le mieux punir de sa haute insolence,Et faire davantage éclater ma vengeance,Je veux que désormais il brûle pour sa soeur, Et qu'un autre à ses yeux en soit le possesseur :Je veux qu'Endymion ait l'honneur de lui plaire,Que Diane pour lui cesse d'être sévère,Qu'elle quitte le Ciel pour son Adorateur,Et qu'une déité brûle pour un pasteur. Entre amants il n'est plus ni grandeur, ni bassesse,Je sais rendre un berger digne d'une déesse,Pour montrer le pouvoir de ma divinité,Entre les inégaux je mets l'égalité :Depuis qu'Endimion est aimé de Diane, Ce n'est plus un mortel, ce n'est plus un profane :L'homme est plus qu'un héros par l'amour transformé,Et l'amant devient Dieu, sitôt qu'il est aimé :Pour combler de bonheur ce beau pasteur d'Asie,Je veux que le Ciel même en prenne jalousie, Et que le mont Lathmos, où je forge mes traits,Par ces nobles amours soit célèbre à jamais. ACTE I Diane paraît dans son char, et la Nuit dans le sien avec le choeur des Amours qui chantent cet air. SCÈNE  I. Diane et la Nuit descendent de leurs chars. [CHOEUR DES AMOURS.] Diane, n'est plus si sévère,Son coeur est brûlé de nos feux,Elle se plaît parmi nos jeux, Et suit le char de notre frère,Nous la forçons d'aimer un mortel dans ces lieux,Et venons triompher de la terre et des Cieux. DIANE. Voici le sacré mont où mon Berger repose,Sur un lit de jasmin, d'hyacinthe, et de rose : Pour voir ce beau chasseur, l'ornement de ces lieux,Je quitte sans regret la demeure des Cieux :La superbe Memphis, cette cité sacrée,Et les villes de Grèce, où je suis adorée,La forêt d'Erimanthe, et l'Isle de Délos, N'ont rien pour moi de cher, au prix du mont Lathmos :C'est-là qu'avec mon coeur Endymion habite,Ce mortel qui des Dieux surpasse le mérite,Qui d'un zèle brûlant approche mes Autels,Et n'adore que moi de tous les immortels. Les peuples de l'Asie émeus à son exemple,M'ont bâti dans Ephèse un magnifique temple,Où je reçois les voeux de cent climats divers,Et mon nom glorieux vole par l'Uniuers.Pour immortaliser une flamme si belle, Pour bien récompenser la grandeur de son zèle,Pour le combler de gloire et de contentement,De mon Adorateur, J'en ai fait mon Amant.Nuit, agréable nuit, ma chère confidente,Je suis vaincue en fin, Vénus est triomphante, Son fils de mon orgueil a voulu se venger. LA NUIT. Diane a de l'amour ? Diane aime un berger ?Ah ! C'est trop abaisser une grande déesse,Et je... DIANE. N'achève pas, car ce discours me blesse,Connaissant qui je suis, apprend que mes pareils, Incapables d'erreurs n'aiment pas les conseils :Ce berger qui nourrit une flamme divine,Fait voir par ses vertus son illustre origine :Mais sans vanter ici sa race et ses exploits,Pour prouver son mérite, il suffit de mon choix. LA NUIT. Si j'ai feint de blâmer une si belle flamme,C'était pour découvrir les secrets de vôtre âme,Pour mieux contribuer à vos félicités,Et pour vous mieux servir selon vos volontés. DIANE. Et mes volontés sont d'aimer et d'être aimée, Cet amour ne saurait blesser ma renommée,Ce berger dans l'Olympe, un jour prendra son rang,On peut l'aimer sans honte, il est d'un noble sang :Par un divin transport, une sainte furie,Il a quitté pour moi son aimable patrie, Et les rares beautés de Mycene, et d'Argos,Pour venir m'adorer au sommet de Lathmos. LA NUIT. Encor qu'il ait quitté les beautés de la Grèce,S'il est en récompense aimé d'une Déesse,De cet excès d'honneur il doit être confus. DIANE. Il m'a donné son coeur, que peut-il faire plus ?Pour toute autre que moi, cet amant est de glace,Dans les bois tous les jours il me suit à la chasse,Et lors qu'avecque toi je monte dans les Cieux,Cet amoureux chasseur me suit encor des yeux : Ces yeux dont les regards percent tes sombres voiles,Semblent suivre mon char, ainsi que les étoiles,Il m'observe sans cesse, il suit toujours mes pas :Mais son zèle est si beau qu'il n'importune pas.Pour lui de mes regards j'adoucis la lumière, Et me rends chaque jour un peu plus familière :Je quitte à son abord de ma sévérité,Pour l'obliger d'agir avecque liberté :Mais plus j'ai de bonté, plus je lui suis suspecte,Plus je suis obligeante, et plus il me respecte, Dés que je lui souris, il commence à rêver,Et croit que je veux feindre, affin de l'éprouver. LA NUIT. Vôtre amour s'accroissant doit croître son audace,Lors qu'il est si timide il a mauvaise grâce,Sa crainte doit cesser avec votre rigueur. DIANE. C'est par là toutefois qu'il a gagné mon coeur,Son respect qui s'accorde avec ma modestie,M'apprend que mon amour naît de la sympathie,Dont les noeuds sont si forts qu'on ne les rompt jamais,Endymion et moi vivrons toujours en paix. LA NUIT. Ce Berger est heureux vivant sous votre empire,Puisque vous l'estimez. DIANE. Tout le monde l'admire,Et son rare mérite est un enchantement,Qui fait qu'en tous les lieux on aime mon amant,Il excite par tout des ardeurs sans égales, Les nymphes de ces bois sont toutes mes rivales,Et chacune en secret lui conte son tourment,Toi que dis-tu de lui ? Quel est ton sentiment ? LA NUIT. Il a des qualités dignes d'une déesse,L'on vante son esprit, sa grâce, son adresse, Et sa valeur insigne éclate dans ce lieu,Avec tant de vertus, il est beau comme un Dieu ;Mais l'Amour dans votre âme a mieux peint son image. DIANE. Je connais ses vertus bien mieux que son visage,Et je n'en ai jamais bien observé les traits. LA NUIT. Diane veut railler. DIANE. Je ne raille jamais. LA NUIT. Vous avez peu d'amour, ou trop de retenue. DIANE. Quand sur Endymion je veux jeter la vue,Mes regards sont toujours empêchés par les siens,Je rencontre ses yeux qui font baisser les miens. LA NUIT. Ainsi votre pudeur à vos désirs contraire,S'oppose incessamment à ce qui peut vous plaire. DIANE. J'ai prié le sommeil cet aimable enchanteur,De venir dans ces lieux endormir ce pasteur,Ainsi je pourrai voir son image à mon aise, Qui sans doute est charmante, et n'a rien qui ne plaise,Par ce moyen qu'Amour a lui-même inventé,Je m'en vais contenter ma curiosité. LA NUIT. Pour accomplir vos voeux l'invention est belle. DIANE. Mais pour mieux contenter notre amour mutuelle, Lors que les yeux ouverts je verrai mon amant,Je veux qu'en même temps il me voie en dormant,Par mon ordre Morphé achevant cet ouvrage,D'un amoureux pinceau lui peindra mon image,Il emploiera pour moi ses plus vives couleurs, Et rendra mon portrait sensible à ses douleurs. LA NUIT. Cette ruse d'amour est tout à fait galante,Et pour son coup d'essai Diane est bien savante. DIANE. Amour est un grand maître, et quand on aime bien,Toute chose est facile, et l'on n'ignore rien. LA NUIT. Vous avez encor moins d'amour que de prudence,Si vous ne témoignez aucune impatience,De revoir ce pasteur qui fait votre souci,L'on n'aime pas beaucoup, lorsqu'on agit ainsi. DIANE. Je brûle de le voir, mais cette épaisse nue, Semble en être jalouse, et se cache à ma vue. LA NUIT. Vous n'avez qu'à tourner les yeux de son côté,Et vous en chasserez bientôt l'obscurité. DIANE, apercevant Endymion. Le voila qui repose au bord de la fontaine,Approchons nous plus près, nous le verrons sans peine, Que son visage est beau. LA NUIT. Chaque trait est charmant. DIANE. Ah ! Rien n'est comparable à mon divin amant. LA NUIT. Hyacinthe, Adonis, ni le beau Ganimède,Tous ces mignons des Dieux n'ont rien qui ne lui cède. DIANE. Il est cent fois plus beau que n'est l'Astre du jour. LA NUIT. Les yeux ainsi fermés, il ressemble à l'Amour. DIANE. Dans le sein de sa mère il n'a pas plus de grâce. LA NUIT. Puisqu'il vous plaît si fort ayez un peu d'audace,Pour lui ce petit Dieu demande une faveur. DIANE. Sois un peu plus discrète, épargne ma pudeur. LA NUIT. Prenez l'occasion cependant qu'il sommeille,Venez. DIANE. Retirons nous je vois qu'il se réveille. SCÈNE II. ENDYMION. Ah ! Diane, ah ! Diane, ah ! Ne me quittez pas,Vous me fuyez en vain, car je suivrai vos pas,Je vous suivrai partout adorable merveille : Je ne sais si je dors, je ne sais si je veille,Qu'ai-je vu ? Qu'ai-je ouï ? Qu'ai-je dit ? Qu'ai-je fait ?Suis-je heureux en idée, ou le suis-je en effet ?Ma gloire n'est qu'un songe, un bien imaginaire,Qui s'enfuit au réveil comme une ombre légère, Diane et mon bonheur s'éloignent de ces lieux,Dés le même moment que j'ose ouvrir les yeux :Mes maux sont de vrais maux, et mes biens un mensonge,Faut-il que les mortels ne soient heureux qu'en songe :Mais ce songe est plus beau que n'est la vérité, Et fait toute ma gloire, et ma félicité :Image de Diane à mes voeux complaisante,Qui me blesse, et me plaît, qui me tue et m'enchante ;Ah ! Doux ressouvenirs, ah ! Transports ravissants,Pour être de faux biens, vous être trop puissants. SCÈNE III. Endymion, Céphale. ENDYMION. Mais je vois à propos que Céphale s'avance,Je veux de mon bonheur lui donner connaissance.Ami le plus discret qui soit dessous les Cieux,À cette heure à propos vous venez dans ces lieux,Aux plaisirs, aux transports mon esprit est en proie : Mais je crains qu'un malheur ne succède à ma joie ;Que mon bonheur trop grand rende le Ciel jaloux,Je ne hasarde rien me découvrant à vous,Vous saurez bien garder ce secret qui me touche. CÉPHALE. Non, non, la mort plutôt me fermera la bouche, Que de trahir des feux dont je suis confident,Et pour vos intérêts mon zèle est trop ardent. ENDYMION. Puisque sur vos vertus ma passion s'assure,Apprenez, apprenez la plus belle aventure,Qui couronna jamais les plus heureux mortels, Depuis qu'à Cytherée on bâtit des autels.Dans le temps que la nuit rend le repos au monde,Qu'une profonde paix règne en terre et sur l'onde,Que Thétis dans son sein cache l'Astre du jour,Et que les amants seuls veillent avec l'Amour, La plus sage déesse, et la plus adorable,A daigné se montrer à mes voeux favorable,Diane s'est fait voir à mes sens enchantés,Avec toute sa gloire, et toutes ses beautés :Telle n'est point Vénus dans ses plus belles fêtes, Lorsqu'on la voit briller pour d'illustres conquêtes,Et que dans les festins qui se font dans les Cieux,Avec ses doux regards, elle enivre les Dieux :Diane n'était point superbement parée,Ainsi que l'est Junon dans la troupe sacrée ; Elle ne brillait point du feu des diamants,Et ses seules beautés étaient ses ornements :Elle était pour paraître avecque plus de grâce,Telle que l'on nous peint les Vierges de la Thrace,Le carquois sur l'épaule, en main l'arc et les traits, Et telle qu'on la voit courant par les forêts.M'apercevant de loin au bord d'une fontaine,Proche de ce grand bois qui regarde la plaine,Diane d'un ton doux m'appela par trois fois,Et l'amoureuse Écho répondit à sa voix ; Ceste voix me causant un agréable trouble,J'y cours d'un pas léger qu'Amour encor redouble :Je l'aborde en tremblant de crainte et de respect,Et suis transi de joie à son divin aspect.Pour me favoriser cette belle immortelle, Sur un lit de gazon me fait seoir auprès d'elle,Et pour mieux rassurer mes timides esprits,Mêle à son entretien d'agréables souris.Le Dieu qui me fait voir sa belle gorge nue,Et semble m'accuser de trop de retenue, Par un beau mouvement m'inspire le dessein,De lui prendre une fleur qu'elle avait dans le sein ;Ma main s'avançant trop la sienne me repousse,Mais d'un air si touchant, d'une façon si douce,Que je vis qu'elle était sensible à mon désir, Laissant en même temps échapper un soupir,Et l'amour dans ses yeux me faisant voir son âme,Je volai sur sa bouche un baiser tout de flamme,Et goûtai des plaisirs, et des ravissements,Que n'ont jamais goûté les plus heureux amants, Je suis tout transporté seulement quand j'y pense.Ce qui reste Céphale est digne du silence. CÉPHALE. Vos voeux sont accomplis, vous êtes fortuné,Et d'un myrte amoureux vous êtes couronné. ENDYMION. Ah ! C'est avec raison que le souci me ronge, Car [si] je suis heureux, hélas ce n'est qu'en songe ;Ce songe, et mes désirs ne sont pas innocents,Et j'en sens dans mon coeur des signes trop puissants.Faut-il qu'Endimion par une amour profane,Ose jeter les yeux sur la chaste Diane? Et faut-il qu'un mortel ait la témérité,D'aspirer aux faveurs d'une divinité?Quoi qu'une vaine image, un faux bien me transporte,Il ne m'est pas permis d'être heureux de la sorte ;Le songe est un tableau de notre passion, Et mon crime est égal à celui d'Ixion :Une grande Déesse à tous deux apparue,Nous a fait à tous deux embrasser une nue :Tous deux nous avons fait des voeux audacieux ;Mais j'ai mieux mérité la colère des Cieux ; Je ne me repens point comme ce misérable,Et je souhaiterais d'être encor plus coupable,Que mon crime amoureux, et plus grand, et plus beau,Fit inventer là bas un supplice nouveau.Si je t'avais, Diane, en effet possédée, Jusque dans les Enfers j'en porterais l'idée,Qui bannirait de moi tous autres sentiments,Et me rendroit heureux au milieu des tourments. CÉPHALE. J'admire le beau trait dont votre âme est blessée,Mais si j'osais pourtant vous dire ma pensée, Prévoyant les malheurs qui menacent vos jours,Je vous conseillerais d'éteindre ces amours :Si vous saviez les soins que causent les Déesses,Vous chercheriez ailleurs de plus douces maîtresses :L'expérience en fin m'en a rendu savant, On périt sur ces mers du moindre coup de vent :C'est alors, c'est alors que l'Amant le plus brave,Devient en un moment un misérable esclave,Il n'a plus de repos, ni plus de volonté,Et se fait un tyran d'une divinité : Leur humeur est altière, hautaine, impérieuse,Souvent de leurs faveurs la suite est dangereuse,Et leur coeur où l'amour règne orgueilleusement,Se gagne avecque peine, et se perd aisément. ENDYMION. Les maux sont les degrés du temple de la Gloire, Et nul n'obtient sans peine une belle Victoire,L'obstacle et le péril en augmentent le prix. CÉPHALE. L'on peut être blâmé d'avoir trop entrepris. ENDYMION. Vous qui me détournez d'aimer ce que j'adore,Je vois que sans danger vous brûlez pour l'Aurore. CÉPHALE. Pour éviter des Dieux le courroux enflammé,Je feins de n'aimer pas, quoi que je sois aimé,Et que tous les matins cette belle Déesse,Descend dans les forêts d'une grande vitesse ;Qu'elle m'enlève au Ciel dans son char malgré moi, Je feins que Procris seule a mon coeur et ma foi,Ainsi des Dieux jaloux j'évite la colère,Et je vois luire en paix le flambeau qui m'éclaire,Mais vous, vous publiez votre amour sans pareil,Et vous vous déclarez le rival du Soleil : Du sommet de ce mont ôtez votre cabane,Contemplez moins souvent les beautés de Diane,Dites qu'un autre objet arrête ici vos pas. ENDYMION. Je ferais cette injure à ses divins appas,D'en préférer une autre à ma belle immortelle? Je n'aimerai jamais, et n'adorerai qu'elle :Que le Ciel irrité m'apprête un châtiment,Je me crois trop heureux de périr en l'aimant. CÉPHALE. Il faut pourtant régler l'ardeur qui vous domine, ENDYMION. Non, non, Amour veut voir ma gloire, ou ma ruine, Dans ces extremités ma flamme me réduit.Mais puis qu'enfin Céphale est ami de la Nuit,Et que Diane en fait sa chère confidente,Allez lui découvrir le mal qui me tourmente,Et tâchez d'obtenir par votre esprit discret, Qu'elle me fasse voir la Déesse en secret :Ses Nymphes dont le choeur sans cesse l'environne,M'empêchent d'expliquer les soins qu'Amour me donne :Je veux savoir en fin de cette Déité,Si la mort est le prix de ma fidélité : Pour pouvoir l'aborder avecque plus de grâce,Je veux me préparer pour la fatale chasse,Et pour me signaler je veux avec mes traits,Percer ce monstre affreux qui détruit nos forêts. CÉPHALE. Ce sanglier furieux, ce monstre épouvantable, Par cent illustres morts s'est rendu redoutable,Quoi qu'on vante par tout votre insigne valeur,Je crains qu'il vous arrive un semblable malheur. ENDYMION. Ne me figure point la chose périlleuse,Il n'est point de péril pour une âme amoureuse, Pour remporter le prix j'irai d'un pas léger,Attaquer la fortune, et braver le danger :A cette illustre chasse où sera la Déesse,Je ne saurais manquer, ni de coeur, ni d'adresse,Animé seulement d'un regard de ses yeux, Je suis trop assuré d'être victorieux. ACTE II SCÈNE I. Scamandre, Phocion, Céphale, Adraste, Endymion. SCAMANDRE, parlant à Endymion. Illustre favori d'une grande Déesse,L'amour de la Carie, et l'honneur de la Grèce,Par vous loin de ces lieux les maux sont écartés,Et tout va refleurir dans nos champs désertés : Les belles actions d'heureux succès suivies,Par la mort d'un seul monstre assurent mille vies. PHOCION. C'est par votre courage ô généreux héros,Que nous allons jouir d'un tranquille repos,Et par votre valeur cette illustre contrée, Va voir renouveler le beau siècle d'Atrée. CÉPHALE. Ces bergers sont charmés de vos glorieux faits,C'est un Dieu, disent-ils, qui nous fait cette paix. ADRASTE. Oui, c'est pour honorer vos vertus héroïques,Qu'on entend retentir nos concerts magnifiques. SCAMANDRE. Nous venons exalter ce bras victorieux,Et vous rendre l'honneur que nous devons aux Dieux, ENDYMION. Non, à Diane seule on doit des sacrifices,Puis que j'ai combattu sous ses heureux auspices,J'invoquai le secours de ses divins appas, Et pour ce coup fatal elle a conduit mon bras :Je dois à ses vertus ma force et mon adresse,Ainsi toute la gloire est due à la Déesse :Allez donc tous ensemble au pied de ses autels,Lui rendre les honneurs qu'on rend aux immortels, Tandis que vous irez l'adorer dans son temple,De ce Mont où mon oeil sans cesse la contemple,Dans son céleste char environné de feux,J'irai de mon côté lui rendre aussi mes voeux. SCÈNE II. ENDYMION, seul. Enfin j'en suis défait, et leur troupe profane, Ne m'empéchera plus de penser à Diane ;Mais le bien est si grand qui me fait soupirer,Qu'un mortel sans orgueil n'y saurait aspirer.Ah ! Diane je sais que je suis téméraire,Quand j'ose vous aimer, ou m'efforce à vous plaire ; Que mes voeux trop hardis ne sont pas innocents,Et qu'au lieu de soupirs je vous dois de l'encens.Je sais bien, je sais bien que j'ai l'âme trop vaine,Mais je cède au torrent dont la force m'entraine,À ces charmes puissants qui brillent dans vos yeux, Et dont l'Amour a fait mes destins et mes Dieux. SCÈNE III. La Nuit, Endymion. LA NUIT. Que pense Endimion rêveur, et solitaire ? ENDYMION. À quoi peut-il penser qu'à l'astre qui l'éclaire ? LA NUIT. Vous y pensez souvent. ENDYMION. J'y pense incessamment. LA NUIT. Vous l'aimez ? ENDYMION. Je l'adore. LA NUIT. Ah ! Parlez franchement, Vous l'aimez, vous l'aimez. ENDYMION. Lorsque mon coeur soupire,Il vous explique assez ce que je n'ose dire,Au bruit de mes soupirs, aux accents de ma voix,On entend retentir les rochers et les bois,Dans votre ombre sacrée aujourd'hui le silence, Vous a dit de mon mal l'extrême violence,Et Céphale avec lui ce confident discret,Ne vous a pas caché cet important secret,Ah ! Charmante Déesse aux amants favorables,A mon ardente amour montrez vous secourable, Ou dans peu de regret vous me verrez mourir. LA NUIT. Non, vous ne mourrez point, je veux vous secourir,Je veux vous annoncer une heureuse nouvelle,Qui récompensera l'ardeur de votre zèle,Et loin de votre coeur bannira le souci, Si vous aimez Diane, elle vous aime aussi. ENDYMION. Diane brûlerait du beau feu qui me brûle?Vous voulez éprouver si j'ai l'esprit crédule,Si jusqu'à cet excès mon orgueil est monté,D'oser croire être aimé d'une Divinité : Sans cette vanité, ah! j'ai trop d'arrogance,D'avoir osé l'aimer sans aucune espérance,De la céleste Cour le plus bel ornement,Veut un adorateur, et non pas un amant,L'on doit sacrifier aux beautés immortelles. LA NUIT. Les victimes d'Amour sont toujours les plus belles. ENDYMION. Je veux donc m'immoler sur son divin autel. LA NUIT. Songez, songez plutôt à vous rendre immortel.Car Diane vous aime. ENDYMION. Ah ! Je ne le puis croire, LA NUIT. Elle peut vous aimer sans obscurcir sa gloire : Les Déesses souvent ont aimé dans ces lieux,Par une douce lok qui joint la terre aux Cieux,Qui par l'ordre d'un Dieu rend toute chose égale,Venus aime Adonis, et l'Aurore Céphale,Et Minerve et Junon à ce que dit l'Amour, Pour de simples mortels brûleront à leur tour. ENDYMION. Une beauté céleste à ma peine est sensible ?Diane m'aimerait ? Ô Dieux est-il possible ?Ses yeux dans un mortel trouveraient des appas ? LA NUIT. Après l'avoir tant dit ne me croyez vous pas ? Oui Diane vous aime. ENDYMION. Obligeante Déesse,Continuez encor, dites-le moi sans cesse :Répétez, répétez un si charmant discours ;Dites-le mille fois, recommencez toujours :Ne vous lassez jamais de le dire et redire, Et ne finissez point jusqu'à ce que j'expire. LA NUIT. Quand vous parlez ainsi, vous parlez en amant,Je vois que vous aimez. ENDYMION. Ah ! J'aime infiniment :Mais puisqu'avec tant d'heur ce bel astre m'éclaire,De grâce apprenez-moi comment j'ai pu lui plaire, Et par quelle action sans l'avoir mérité,J'ai pu gagner le coeur d'une Divinité. LA NUIT. Toutes vos actions ont charmé la Déesse,Elle aime votre esprit, vos vertus, votre adresse :Quand on aime quelqu'un, tout ce qu'il fait nous plait, Le Dieu qui des amants prend toujours l'intérêt,Mêle à leurs actions une grâce divine. ENDYMION. Toujours de quelque chose il prend son origine,On est aimé pour être ou vaillant, ou discret. LA NUIT. Vous voulez vainement découvrir ce secret : Car la Divinité qu'on adore en Cithère,N'a jamais révélé cet important mystère :L'on donne de l'amour, et l'on devient Amant,Sans pouvoir bien savoir ni pourquoi, ni comment ;Par de fatales lois, et de secrètes causes, Amour sous son Empire asservit toutes choses,Et de tous les amants les destins glorieux,En des lettres de feu sont gravés dans les Cieux ;Par ces sacrés décrets la Déesse vous aime ;Mais elle vient ici vous les dire elle-même, Allez donc l'aborder, vous paraissez surpris. ENDYMION. Le Dieu qui me domine agite mes esprits,Et je sens dans mon coeur un agréable trouble. LA NUIT. Elle approche, allez donc. ENDYMION. Ma crainte se redouble,Mes timides respects s'opposent à mes voeux, Je veux ce que je crains, et crains ce que je veux. LA NUIT. La Déesse pour vous n'aura rien de sévère,Pour vous encourager je marche la première. ENDYMION. Amour inspire moi, montre ici ton pouvoir. SCÈNE IV. Diane, Endymion. DIANE. Levez-vous, levez-vous. ENDYMION. Je suis dans mon devoir. DIANE. Levez-vous, je le veux. ENDYMION. Adorable DéesseJe dois vous obéir. DIANE. D'où naît votre tristesse ? ENDYMION. D'en découvrir la cause, il ne m'est pas permis. DIANE. Vous n'êtes pas ici parmi vos ennemis. ENDYMION. L'on me fait trop d'honneur d'y souffrir ma présence. DIANE. Endymion y peut parler en assurance,N'appréhendez donc rien. ENDYMION. Votre divin aspect,M'imprime justement la crainte et le respect,Je ne puis surmonter une frayeur si sainte. DIANE. Quoi, le vainqueur d'un monstre est capable de crainte ? Celui qui n'a pas craint un ennemi fatal,Craint celle qui jamais ne lui fit aucun mal. ENDYMION. Encor qu'un monstre soit un objet effroyable,Une beauté divine est bien plus redoutable :Contre l'un le courage est assez animé ; Mais devant un bel oeil le bras est désarmé,Il n'est plus de courage, il n'est plus de vaillance,La raison est sans force, et le coeur sans défense. DIANE. De pareils ennemis on ne se plaint jamais,Cette guerre est bien douce, et ressemble à la paix. ENDYMION. Ah ! Si pour les vainqueurs on la croit glorieuse,On doit pour les vaincus la croire périlleuse. DIANE. L'un et l'autre souvent sont si bien confondus,Que l'oeil le plus subtil ne les discerne plus. ENDYMION. Où l'on voit les vertus, la puissance et la gloire, On voit bien que c'est-là que penche la victoire ;Mais par fois les vainqueurs ont honte d'avouer,Une victoire obscure, et qu'on ne peut louer,Et des vaincus aussi la valeur imparfaite,Montrerait trop d'orgueil d'avouer sa défaite. DIANE. Au rang de ces derniers l'on ne vous peut compter,Votre illustre valeur vient assez d'éclater,À tout ce qu'elle attaque elle est toujours fatale ;Vos traits sont plus certains que le dard de Céphale ;Ils frappent droit au coeur, ces traits victorieux ; En moi vous en avez un témoin glorieux,Endymion remporte une belle victoire. ENDYMION. Diane seulement en a toute la gloire,Pour vaincre j'ai cherché dans vos divins appas,La force et la valeur qui manquaient à mon bras, Sous leur auspice un monstre éprouve ma vaillance. DIANE. Sa victoire s'étend bien plus loin qu'il ne pense. ENDYMION. Sans votre aide ce bras n'aurait rien entrepris,Et vos seules vertus ont remporté le prix ;Puisque vous m'inspiriez une action si belle, Il n'est dû qu'à vous seule adorable immortelle. DIANE. Si le prix m'appartient je veux vous le donner,Et de ces belles fleurs je veux vous couronner,Dont de mes propres mains j'ai fait cette guirlande,Tenez. ENDYMION. Pour un mortel, la faveur est trop grande, Je suis surpris enfin si jamais je le fus,Et vos justes mépris me rendraient moins confus. DIANE. L'on doit traiter ainsi les âmes magnanimes. ENDYMION. C'est ainsi que les Dieux couronnent leurs victimes. DIANE. C'est ainsi qu'un mortel se rend égal aux Dieux. ENDYMION. C'est ainsi qu'un mortel en fait des envieux. DIANE. De tous les Dieux du Ciel, je ne crains que mon frère,De ses rayons jaloux sans cesse il nous éclaire ;Comme il brûle pour moi, tout lui devient suspect ;Pour ne l'irriter pas, pour montrer ton respect, Évite seulement sa présence fatale. ENDYMION. L'aurore m'a promis en faveur de Céphale,De venir m'avertir sans y manquer jamais,Alors qu'il descendra sur ces sacrez sommets,Comme du grand Olympe elle sort la première ; Et comme elle est du Ciel l'illustre messagère ;Que le Soleil ne peut la devancer d'un pas,Ainsi ce Dieu jaloux ne me surprendra pas. DIANE. Mais du Ciel rougissant les portes sont ouvertes,L'Aurore luit déjà sur ces montagnes vertes, Je la vois dans son char qui roule dans les Cieux. L'AURORE paraît et chante cet air. Séparez-vous heureux amants,Favoris d'Amour et des grâces,Le Soleil ennemi de vos contentements,Vient pour les interrompre, et marche sur mes traces. DIANE. Endymion va-t-en. ENDYMION. Ah ! Sort injurieux,Et que m'ordonnez-vous adorable Déesse ?Puis-je vous obéir sans honte et sans faiblesse ? DIANE. Crains de ce furieux les traits empoisonnés. ENDYMION. Les Dieux par le destin ont les bras enchaînés, Sans lui que peuvent-ils plus que la race humaine?Ainsi de sa faveur je ne suis guère en peine. DIANE. Songe qu'il est mon frère, et lui cède un moment,Si tu veux m'obliger. ENDYMION. Ah ! Dur commandement,Ah ! Fortune cruelle, ah ! Fatale disgrâce, À l'heureux Apollon faut-il céder la place ! DIANE. Ne crains point sa visite, espère tout de moi,Va-t'en, et crois ce Dieu bien moins heureux que toi. SCÈNE V. Apollon, DIANE. APOLLON, paraît dans son char et chante cet air. Voici le sacré Mont où Diane se plaît ;Divin fils de Vénus apaise ta colère : Aujourd'hui pour ta gloire, et pour mon intérêt,Accorde la soeur et le frère :Allume de tes feux Amour,Le flambeau de la nuit, et le flambeau du jour. APOLLON, descendu de son char, dit ce vers à Diane. Que faites-vous ma soeur dans ce lieu solitaire ? DIANE. J'y trouve incessamment de quoi me satisfaire. APOLLON. Ce Mont pour vous sans doute est bien délicieux,Puisqu'il vous fait quitter la demeure des Cieux. DIANE. J'y goûte les plaisirs qu'on reçoit à la chasse ;Mais vous mon frère aussi répondez-moi de grâce, D'où vient que vous montrez un esprit si content ?Quelque charmante nymphe en ces lieux vous attend ;Vous n'avez plus au coeur ni souci ni tristesse,Je le vois dans vos yeux où brille l'allégresse. APOLLON. Je sors du clair Olympe où les Dieux assemblés, Ont redonné le calme à mes esprits troublés :Jupiter leur a fait un banquet magnifique,Sans votre absence au Ciel la joie était publique :Neptune avec Thetis y sont tous deux venus,Bacchus avec Céres, Mars avecque Venus, Saturne et Rhée assis dans les plus hautes places,Riaient de voir l'Amour jouer avec les Grâces :Les Muses sur leurs luths dans ce sacré festin,Chantaient des immortels le glorieux destin.Jupiter au milieu de la céleste troupe, Des mains de Ganimède ayant reçu la coupe,Qu'il remplit du nectar le plus délicieux,But à nous deux, ma soeur, puis fit boire les Dieux,Et voulut qu'Hymenée ornant de fleurs sa tête,But le dernier de tous, et finit cette fête, Il fit connaître aux Dieux ainsi ses volontés,Et je vais être heureux si vous y consentez ;Par ce noeud glorieux, cette grande alliance,Nous ferons révérer notre double puissance,Nous forcerons le Ciel à nous faire la cour, Vous régnez sur la nuit, je règne sur le jour,J'ai pouvoir sur les airs, et vous l'avez sur l'onde,Vous et moi commandons à la moitié du Monde,Et dans tout l'univers nous avons plus d'autels,Qu'on n'en dressa jamais à tous les immortels, Et notre Hymen rendra notre gloire accomplie. DIANE. Le sang nous lie assez sans que l'Hymen nous lie,Je ne souhaite point de nouvelles grandeurs. APOLLON. Pour la gloire, et pour moi d'où naissent ces froideurs ?Avec tous mes respects ne vous saurais-je plaire ? DIANE. Je vous chéris autant qu'on doit chérir un frère,Si je fais mon devoir de quoi vous plaignez-vous ? APOLLON. Pour moi le nom d'amant est un nom bien plus doux,Mais Diane rougit, et paraît étonnée,L'Amour n'est point honteux qui tend à l'Hymenée, Sans ternir votre gloire, et blesser la pudeur,Vous pouvez par vos feux répondre à mon ardeur :Vous avez les beautés, les grâces, la sagesse ;Mais Apollon est Dieu, si Diane est Déesse,Et puisque Jupiter vous destine un époux, Je suis seul dans le Ciel qui soit digne de vous ;Oui je puis vous aimer, et sans vous faire injure,J'ai la valeur de Mars, et l'esprit de Mercure,J'égalerai bientôt Jupiter en pouvoir ;[Note : Neuf soeurs : les muses.]Aux neuf savantes soeurs j'inspire le savoir, Du Dieu qui fait aimer je possède les charmes ;J'ai ses lois dans mon coeur, et dans mes mains ses armes,Comme lui l'on m'adore en cent climats divers ;Mes feux comme les siens conservent l'Uniuers.Je suis des immortels l'artisan le plus sage, Pallas me doit céder, le jour est mon ouvrage,Je le trace dans l'air à longs filets dorés :Les hommes et les Dieux par moi sont éclairés,C'est moi qui rajeunis, le Ciel, la terre et l'onde,C'est moi qui fais fleurir les beaux arts dans le Monde ; Qui repens a splendeur dans les divins écrits,Et sur ma douce lyre enchante les esprits ;Enfin j'ai tous les dons et les vertus galantes,Capables d'échauffer les plus froides amantes. DIANE. Vous avez tous les dons, vous aimez tout aussi. APOLLON. Vos célestes beautés causent tout mon souci. DIANE. Non, non, vous soupirez pour toutes les Déesses,L'Olympe enfin pour vous manquera de maîtresses,La jeune Hébé vous blesse avec des traits bien doux,Hercule à cause d'elle a querelle avec vous, Vous jettez bien souvent des oeillades à Flore,Vous courez dans le Ciel sans cesse après l'Aurore,Pour pouvoir adoucir vos amoureux ennuis,Vous allez chez Thétis passer toutes les nuits. APOLLON. Je n'aimais ces beautés que par galanterie. Mais votre seul mérite a borné mon envie. DIANE. Si j'ose librement vous découvrir mon coeur,Je condamne l'Hymen du frère et de la soeur,Le Ciel qui les sépare au point de leur naissance,Ne les peut réunir qu'avecque répugnance, Et les mortels aussi par un saint mouvement,Ont séparé les noms, et de frère, et d'amant,Et n'ont jamais permis avec grande sagesse,Qu'une soeur usurpa celui d'une maîtresse :Cette loi que l'on suit dans les climats divers, Est la plus nécessaire au bien de l'univers,Par elle l'étranger s'allie à l'étrangère,Qui deviennent plus cher que la soeur et le frère ;Par cet ordre sacré tout ce qui voit le jour,Est uni par les noeuds de Nature et d'Amour. APOLLON. Le Maître des humains et de la destinée,Est joint avec sa soeur par un noble Hyménée ;Et l'exemple divin du Monarque des Dieux,Doit régler ce me semble et la terre et les Cieux, DIANE. Quoi que de Jupiter l'exemple soit auguste, Il fait ce qu'il lui plaît, moi ce que je crois juste,J'abhorre cet Hymen, n'y prétendez donc pas. APOLLON. Peut-être un plus heureux a pour vous des appas ;Il court un certain bruit qui nuit à votre gloire,Mais un bruit ridicule, et que je ne puis croire ; Ce faux bruit toutefois est venu jusqu'aux cieux. DIANE. Quoi ? APOLLON. Qu'un simple berger vous arrête en ces lieux,Comme vous honorant, et comme votre frère,Je vous en donne avis, et n'ai pu vous le taire, DIANE. Vous m'obligez beaucoup. APOLLON. Puisqu'il vous peut blesser, Je vous offre ma soeur de le faire cesser,Le bruit qui dure trop à la fin se fait croire. DIANE. Laissez m'en le souci j'aurai soin de ma gloire. SCÈNE VI. APOLLON. La cruelle s'enfuit, et rit de mes soupirs,Elle me laisse seul avec mes déplaisirs : Pour augmenter encore l'ennui qui me surmonte,Pour croître ma douleur, et redoubler ma honte,Avec tous les mépris qu'elle fait de mes feux,De mon rival obscur elle reçoit les voeux.Ah ! Trop injuste soeur, amante trop ingrate, Il est temps, il est temps que ma colère éclate ;Une juste fureur embrase mes esprits,Un Dieu n'est plus un Dieu qui souffre des mépris.Mais dois-je croire aussi que la chaste Diane,Dans son pudique sein loge une amour profane ; Qu'elle ait des sentiments si lâches et si bas,Je suis aveugle aussi, si je ne le crois pas.Sitôt que dans mon char je suis sur l'Hemisphere,Les vois-je pas tous deux dans ce lieu solitaire.Endymion la suit dans les bois tout le jour, Se voit-on si souvent quand on n'a point d'Amour ?Depuis que ce Berger est dans sa confidence,Diane n'a rien fait contre la bien-séance,Je crois qu'elle a gardé la pudeur jusqu'ici ;Mais je veux toutefois être mieux éclairci : Ils ont beau se cacher sous ces feuillages sombres,De mes regards jaloux je percerais leurs ombres ;J'observerai bien tout, et si je m'aperçois,Qu'il entreprenne rien contre elle, ou contre moi,Doublement offensé, comme amant, comme frère, Mon rival sentira les traits de ma colère,De ce jeune insensé je bornerai les jours,Et dans son propre sang j'éteindrai ses amours. ACTE III SCÈNE I. La Nuit, Endymion. LA NUIT. Je croyais sur ce front voir luire l'allégresse,Mais d'où vient ce chagrin, d'où naît votre tristesse ? Puis que vous avez vu la Déesse en secret,Vous devez ce me semble être plus satisfait,A-t-elle froidement reçu votre visite? ENDYMION. Diane m'a reçu mieux que je ne mérite. LA NUIT. Quels étaient ses discours ? ENDYMION. Obligeants, généreux. LA NUIT. De quoi vous plaignez-vous, si vous êtes heureux ?Avez vous découvert le secret de votre âme ? ENDYMION. Par mes profonds respects, elle a connu ma flamme :J'ai dit en mots obscurs le trait qui m'a blessé,Et ses beaux yeux ont veu le coeur qu'ils ont percé. LA NUIT. Le sien a vos discours a-t-il paru de glace ? ENDYMION. Non. LA NUIT. A-t-elle parlé de votre illustre chasse ? ENDYMION. Comme un victorieux elle m'a couronné,Avec ces belles fleurs. LA NUIT. Vous êtes fortuné,Je vois que tout vous rit, tout vous est favorable, La Déesse à vos voeux se montre secourable,D'où naissent donc vos maux ? ENDYMION. De sa grande bonté,Plus redoutable encor que n'est sa cruauté :J'aurais à ses rigueurs opposé ma constance ;Mais contre ses attraits je fus sans résistance ; Ses doux souris mêlés à ses brûlants regards,Me percèrent le coeur d'un million de dards,Et l'amour secondant cette beauté divine,Dans un fatal moment acheva ma ruine :Ce coeur prêt d'expirer fut tout percé de coups, Hélas ! Je n'en puis plus. LA NUIT. Vos tourments sont bien doux. ENDYMION. Il n'est point de supplice, il n'est point de torture,Qu'on puisse comparer aux tourments que j'endure. LA NUIT. Ils finiront bientôt Diane en a pitié,Pour les diminuer, elle en prend la moitié. ENDYMION. Depuis qu'en ma faveur cette belle immortelle,A fait de son amour reluire une étincelle ;Que par un doux espoir elle a flatté mes sens ;Je ne puis exprimer les peines que j'endure,Ma joie est un Vautour qui me déchire l'âme, Des désirs infinis, et des torrents de flamme,Roulent incessamment dedans mon souvenir,Et le coeur d'un mortel ne les peut contenir. LA NUIT. Ayant plus de sujet d'espérer que de craindre,Dans cet heureux état vous n'êtes pas à plaindre. ENDYMION. Lors que mon espoir croît, ma flamme croît aussi,Chaque instant la Déesse augmente mon souci ;Je ne reconnais plus dans le soin qui me tue,De mal que son absence, et de bien que sa vue :Je meurs de mille morts absent de ses appas, Mon enfer est partout où Diane n'est pas. LA NUIT. Je vois bien, je vois bien que l'amour vous transporte,C'est savoir bien aimer, que d'aimer de la sorte. ENDYMION. Dans mes tristes regards, sur mon teint languissant,Contemple les ennuis que mon âme ressent : Après avoir bien veu les peines que j'endure,Va-t-en à la Déesse en faire la peinture.Pour lui bien exprimer l'excès de mes tourments,Peins-lui les plus grands maux que souffrent les Amants ;Peins-moi parmi les feux, peins-moi parmi mes larmes, Dis-lui le triste état où m'ont réduit ses charmes,Dis-lui que je ne fais que plaindre et soupirer,Et qu'à chaque moment je suis prêt d'expirer :Généreuse Déesse accomplis mon envie. LA NUIT. Je m'en vais la prier de vous sauver la vie. SCÈNE II. ENDYMION. Impatient Démon qui m'ôte le repos,Qui ne doit point entrer dans l'âme d'un héros,Supplice des amants, infâme jalousie,Pourquoi veux-tu venir troubler ma fantaisie,L'Amour agite assez mes sens et ma raison, Sans y mêler encor ton dangereux poison :Ah! n'espère jamais lâche et perfide hôtesse,De loger dans un coeur où loge une Déesse.Le soupçon peut blesser un esprit généreux ;Mais sans être jaloux, peut-on être amoureux ? Peut-on aimer sans crainte une amante si belle,Et laisser sans soupçon un rival auprès d'elle ?Il est aimable, il l'aime, il la suit en tout lieu,Tout parle en sa faveur, je suis homme, il est Dieu :Mais Diane s'explique en faveur de ma flamme, Ces mots incessamment sont présents à mon âme,Ne crains point Apollon, espère tout de moi,Va-t-en et crois ce Dieu bien moins heureux que toi.Ce discours obligeant qui me comble de gloire,Semble sur mon rival me donner la victoire ; Mais ce n'est pas assez pour finir mon ennui,Il faut triompher d'elle aussi bien que de lui :Il faut dans le beau feu dont l'amour me transporte,Découvrir jusqu'où va celui qu'elle me porte,Et par des sentiments tendres et généreux, Achever de me perdre, ou de me rendre heureux. SCÈNE III. Endymion, Mercure. ENDYMION. Mais quelqu'un vient ici de la troupe immortelle. MERCURE. Où vas-tu téméraire ? ENDYMION. Où la gloire m'appelle. MERCURE. Je suis le messager fidèle et glorieux,Qui porte dans les airs l'ordre sacré des Dieux ; Le Monarque éternel de la céleste bande,Par la voix de Mercure aujourd'hui te commande,D'étouffer dans ton coeur tes orgueilleux souhaits,Et d'adorer ma soeur sans l'oser voir jamais ;Obéis en tremblant aux décrets de mon père. ENDYMION. Deux grandes déités que lui-même révère,Le destin et l'amour dont il ressent les lois,M'empêchent d'obéir à ta divine voix. MERCURE. Le dernier des mortels ose avoir l'arrogance,De mépriser du Ciel la suprême puissance, Berger crains le courroux du monarque des Dieux. ENDYMION. Porte lui ma r"ponse, et me laisse en ces lieux. SCÈNE IV. ENDYMION. Je vois bien, je vois bien d'où me vient ce message,À mon rival jaloux j'ai donné de l'ombrage,Apollon contre moi fait agir Jupiter ; Mais en vain par Mercure il croît m'épouvanter :Lors que de voir sa fille il me fait la défense,Loin d'augmenter ma crainte, il croit mon espérance,Il monstre qu'à Diane Endymion est cher,Que mon ardente amour enfin l'a pû toucher, Et du grand Jupiter la fureur vengeresse,S'explique en ma faveur bien mieux que la Déesse :Plus il peint à mes yeux l'image du malheur,Et plus il me fait voir proche de mon bonheur ;Si d'un coup de tonnerre il menace ma vie, C'est parce que le Ciel la voit d'un oeil d'envie :Quoi qu'il puisse arriver mon destin est bien doux,Une Déesse m'aime, et les Dieux sont jaloux.Que l'air donc désormais noircisse de tempête,Que la foudre en grondant s'allume sur ma tête, L'univers ébranlé ne m'ébranlerait pas,Vers l'Astre qui me luit je conduirai mes pas,Amour est mon pilote, et malgré cet orage,Ce Dieu me conduira jusques sur le rivage.Rien ne peut obscurcir la gloire de mon sort, Je ne puis plus périr, si ce n'est par le port. SCÈNE V. Endymion, Diane. ENDYMION. Mais Diane paraît mon âme est toute émue. DIANE. D'où vient qu'Endymion se trouble à ma venue ? ENDYMION. Qui ne serait troublé de vos divins attraits,Si vous voulez qu'on puisse en soutenir les traits, Ne vous faites plus voir qu'au travers d'un nuage. DIANE. Je voudrais éclater encore davantage,Et je souhaiterais quand je viens dans ces lieux,Que Vénus me prêtât ses attraits glorieux. ENDYMION. Elle en a moins que vous adorable Déesse, Et vous cède en beautés aussi bien qu'en sagesse ;Faites donc moins briller de grâces et d'appas,Épargnez un mortel, et ne l'accablez pas,Mon coeur qui n'est formé que pour vous rendre hommage,Se plaindrait s'il osait d'un glorieux outrage, Dans l'éclat déplorable où vos beaux yeux l'ont mis. DIANE. Je condamne mes yeux s'ils sont les ennemis,Endymion m'est cher, qui l'offense m'offense,Même contre les Dieux je prendrais sa défense. ENDYMION. C'est trop grande Déesse obliger un Pasteur, C'est trop faire de grâce à votre adorateur. DIANE. Ton mérite en inspire une plus grande encore :Depuis que tu m'as vu, n'as-tu point vu l'Aurore ?Ne t'a-t-elle point dit ce qui se passe aux Cieux,Et ce que le Soleil conspire avec les Dieux ? ENDYMION. J'aimerais mieux savoir ce qui se passe en terre,Et si dans votre coeur quelqu'un me fait la guerre. DIANE. Ce qui se passe au Ciel te touche bien autant,Je te veux découvrir ce secret important :Apollon à l'Amour oppose l'Hymenée, Il voudrait en tyran régir ma destinée :Il voudrait me contraindre à vivre sous sa loi,Il voudrait devenir mon époux malgré moi :Il a toutes les voix de la troupe sacrée,Junon, Thétis, Vulcan, Pluton, Saturne, Rhée : Et même Jupiter veut qu'il soit mon époux,Tous les Dieux sont pour lui, l'Amour seul est pour nous,Voila ce qui se passe, et ce que l'on conspire ;D'où vient que tu pâlis, et que ton coeur soupire ? ENDYMION. Le péril le plus grand ne saurait m'émouvoir, Si vous daignez d'un mot soutenir mon espoir. DIANE. Espère, et ne crains point qu'au coeur d'une immortelleIl s'allume jamais une flamme infidèle ;L'aimable Endymion m'est plus cher que les Dieux :Si j'ai quitté pour toi la demeure des Cieux, Cette pompeuse Cour où je suis révérée,Et si je te préfère à la troupe sacrée,Tu vois bien que je t'aime. ENDYMION. Ah ! Que m'avez-vous dit,Ce discours obligeant me rend tout interdit,Vous voulez m'accabler et de joie et de gloire, Vous m'aimez, sans orgueil je ne vous saurais croire ;Si je ne vous crois pas je vous offense aussi,Rendez donc mon esprit un peu mieux éclairci,Parlez. DIANE. Vois la pudeur qui luit sur mon visage,Et ne m'oblige pas d'en dire davantage, Je t'ai trop découvert mes secrets sentiments. ENDYMION. Je suis le plus heureux d'entre tous les amants,Et le Dieu qui préside aux passions humaines,Jamais si noblement n'a couronné les peines ;Endymion après ce qu'il vient d'écouter, Dispute du bon-heur avecque Jupiter ;Si le coeur de Diane en ma faveur soupire,Je possède des biens plus grands que son empire.Venez donc à la fois, héros, hommes et Dieux,Venez tous contempler mon destin glorieux, Venez voir un mortel auprès d'une Déesse,Abîmé dans la gloire, et comblé d'allégresse :Venez voir, venez voir ce qu'on ne vit jamais,Venez voir un bonheur plus grand que les souhaits. DIANE. Il n'est pas toutefois plus grand que ton mérite. ENDYMION. Je l'ai pu mérité si le Ciel s'en irrite,Et j'aurais trop d'audace et trop de vanité,De vouloir vous priver de la félicité,Pour témoigner mon zèle et mon ardeur extrême,Je dois penser à vous, et m'oublier moi-même, Je vois que tous les Dieux s'irritent contre vous,J'en fais vos ennemis en les rendant jaloux. DIANE. Quoi dans le beau péril où ma flamme t'engage,Pouvais-tu bien manquer d'amour ou de courage ?Un héros, un amant aurait-il de l'effroi ? ENDYMION. Je n'appréhende rien si Diane est pour moi,Qu'Apollon me menace et que Jupiter tonne,Les Pôles trembleront sans que mon coeur s'étonne,Animé seulement d'un regard de vos yeux,Comme un nouveau Titan j'attaquerais les Dieux. DIANE. Je vois qu'Endimion a l'âme magnanime,Sa générosité répond à mon estime,S'il ne craint pas les Dieux qui pourrait l'émouvoir ? ENDYMION. Après, après avoir augmenté mon espoir,Vous devez désormais modérer mon audace, Ce coeur ambitieux vous demande une grâce,Pour charmer les ennuis dont il est combattu ? DIANE. Je t'ai donné mon coeur, que me demandes-tu ? ENDYMION. Que voudrait un amant lors qu'il brule. DIANE. Je tremble. ENDYMION. Peut-on voir, peut-on voir tant de beautés ensemble, Sans être audacieux, et former des désirs ?Voyez couler mes pleurs, écoutez mes soupirs,Ils expliqueront mieux ce que je n'ose dire ;Languissant à vos pieds permettez que j'expire,Belle Diane. DIANE. Hélas ! ENDYMION, en lui baisant la main dit. Vous soupirez aussi. DIANE. Arrête que fais-tu mon frère vient ici. SCÈNE VI. Apollon, Endymion. APOLLON. Berger présomptueux, quelle est ton arrogance?Oses-tu de ma soeur soutenir la présence?Et n'as-tu pas reçu l'ordre sacré des Dieux?De détourner loin d'elle, et ton coeur et les yeux N'as-tu pas vu Mercure. ENDYMION. Oui. APOLLON. Quoi donc téméraire,Qui te fait violer les décrets de mon père?Ne respectes-tu pas son nom et son pouvoir? ENDYMION. Je sais ce que je dois, et je fais mon devoir. APOLLON. Si tu ne le sais pas, on saura te l'apprendre. ENDYMION. Ce serait vainement. APOLLON. Tu veux trop entreprendre,Tu dois quitter ce mont les Dieux l'ont résolu,Au lieu de mépriser leur pouvoir absolu,Tremble en les adorant. ENDYMION. De la troupe immortelle,Je ne sers que Diane, et je n'adore qu'elle. APOLLON. N'as-tu pas eu l'orgueil de lui baiser la main ? ENDYMION. Puisque vous l'avez vu, je le nierais en vain,Diane l'a souffert, et m'a fait cette grâce. APOLLON. Fut-il jamais un crime égal à ton audace ?Tu t'en vantes encor après l'avoir commis. ENDYMION. Vous en feriez autant s'il vous était permis. APOLLON. La passion te trouble, et ta raison s'égare,Un aveugle mortel avec moi se compare,Croit égaler les Dieux, s'estime autant que nous. ENDYMION. Il doit s'estimer plus s'il en fait des jaloux. APOLLON. Hé quoi le fils du Dieu qui lance le tonnerre,N'est pas plus qu'un mortel, qu'un enfant de la terre,Sujet à l'infortune, aux erreurs, à la mort ?Oses-tu comparer ton sort avec mon sort,Mettre avec mes vertus tes défauts en balance ? ENDYMION. Diane de nous deux a fait la différence. APOLLON. Elle voudréit quitter, afin de t'obliger,Le Ciel pour la cabane, un Dieu pour un berger ? ENDYMION. Mais elle a décidé l'intérêt qui nous touche. APOLLON. Son coeur devant les Dieux démentira sa bouche, Oui, ce coeur généreux s'expliquera pour nous. ENDYMION. Si vous n'en doutez point qui vous rend donc jaloux? APOLLON. J'ai du mépris pour toi, non de la jalousie,Ce soupçon n'a jamais troublé ma fantaisie :Je ne te conte pas au rang de mes rivaux, Quand je dispute un coeur c'est entre mes égaux. ENDYMION. Je ne souhaite pas aussi que l'on m'y compte,Ainsi que moi l'Amour en rougirait de honte,Il ne vous blesse pas de ses plus nobles traits,Parmi les vrais amants il ne vous mit jamais ; Vous devez l'avouer, puis que Diane même,Ne vous met pas non plus au rang de ce qu'elle aime. APOLLON. Endymion est-il dans ce rang glorieux ? ENDYMION. Vous ne m'en croiriez pas n'en croyant pas vos yeux. APOLLON. Quoi tu penses qu'à moi Diane te préfère ? Glorieux immortels que ma splendeur éclaire ;Admirez, admirez un prodige en ces lieux,Un mortel qui se croit plus parfait que les Dieux. ENDYMION. Leur nombre de chacun témoigne la faiblesse,Un seul suffit-il pas s'il a de la sagesse ; Et c'est être crédule et dépourvu de sens,Que d'adresser des voeux à des Dieux impuissants.Ne vantez donc point tant votre race Divine ;Je connais bien les Dieux, je sais leur origine :C'étaient des conquérants, des Héros et des Rois, Qu'on a déifiez pour leurs fameux exploits :L'éclat de leurs hauts faits par le cours des années,A fait jusques au Ciel monter leurs destinées,Et la nécessité qui presse les mortels,Leur a fait en tremblant élever des autels. Si la peur fait les Dieux, et leur sacré mystère,La générosité pourra bien les défaire,L'aise en les corrompant rend leur règne odieux,Et la terre rougit d'avoir peuplé les Cieux. APOLLON. Que leur reproche-t-on insensé téméraire ? ENDYMION. Le meurtre, le larcin, l'inceste, l'adultère,Quelque chose de pis que je n'ose nommer,Ce sont-là les vertus qui les font renommer,Pour des crimes affreux, d'exécrables exemples,Vous doit-on justement, et des voeux et des temples, Que me répondrez-vous contre ces vérités ? APOLLON. La foudre doit répondre à tes impiétés,Les Dieux se feront craindre en te mettant en poudre. ENDYMION. Quand la raison leur manque, ils menacent du [?] foudre,Mais ils ne peuvent pas avancer notre fin, Puisqu'ils sont comme nous dépendants du destin,Sans son ordre fatal ils ne sauraient rien faire. APOLLON. Demain quand je serai monté sur l'Hémisphere,Tout percé de mes traits, expirant et confus,Tu sauras mon pouvoir, et n'en douteras plus. ENDYMION. Et bien je l'attendrai dans cette même place. APOLLON. Tu verras les effets répondre à la menace. ENDYMION. La frayeur n'entre point dans l'âme d'un héros,Prépare ma ruine, et me laisse en repos. SCÈNE VII. ENDYMION, seul. Heureux Endymion, quelle est ta destinée? Vois d'un oeil satisfait ta dernière journée :L'on ne te peut souffrir dans ces aimables lieux,Où tu jouis d'un sort qu'on croit trop glorieux :Quoi que fassent les Dieux excités par l'envie ;Ta mort sera toujours plus belle que leur vie, D'un trait lancé du Ciel tu peux être percé,Mais le Ciel ne peut pas révoquer le passé ;Qu'il traite Endymion, d'impie, et de profane,Il ne peut empêcher que la chaste Diane,N'ait tourné devers lui ses pensées et ses yeux, Et ne l'ait plus aimé, qu'elle n'aime les Dieux :Ils peuvent m'envoyer dans la nuit la plus noire ;Mais ils ne sauraient plus obscurcir ma mémoire ;Amour me bâtira malgré les immortels,Un tombeau plus fameux que ne sont leurs autels : Rien ne m'ébranle aussi, quoi que l'on me prépare,Le sort de Phaéton, et le destin d'Icare ;Je vois d'un oeil jaloux ces coeurs audacieux,Il est beau de tomber quand on tombe des Cieux. ACTE IV SCÈNE I. Iere Nymphe, 2ème Nymphe, 3ème Nymphe, 4ème Nymphe, Diane, La Nuit. PREMIÈRE NYMPHE. La Déesse est chagrine, et me semble inquiète, DEUXIÈME NYMPHE. Du jaloux Apollon elle est mal satisfaite. TROISIÈME NYMPHE. Endymion la peut consoler d'un jaloux. DIANE. Que disiez vous tout bas, et de quoi parliez vous ? PREMIÈRE NYMPHE. Nous parlions du berger dont le coeur vous adore. DIANE. De ce divin berger que disiez vous encore? Sans rien appréhender chacune librement,En peut bien devant moi dire son sentiment,Que trouvez vous en lui qui vous plaît davantage ? PREMIÈRE NYMPHE. Pour moi par dessus tout j'admire son courage,Qu'il a fait hautement éclater en ce lieu. DEUXIÈME NYMPHE. Avecque sa valeur il est plus beau qu'un Dieu. TROISIÈME NYMPHE. On ne peut trop louer sa grâce et son adresse. QUATRIÈME NYMPHE. Pour moi si je savais ce qu'en croit la Déesse,Mon esprit là dessus ne se tromperait pas,Je pourrais mieux parler de son mérite. DIANE. Hélas ! Mais qu'on me laisse seule, et que l'on se retire. Les nymphes s'en vont et Diane parle à la Nuit.Toi qui sais le sujet qui fait que je soupire ;Qui sais tous mes secrets, et qui lis dans mon coeur,Va trouver ce Berger qu'Amour rend mon vainqueur ;Je l'ai tantôt laissé seul avecque mon frère, Endymion est fier, Apollon est colère,Leur rencontre en ce lieu me donne du souci. LA NUIT. Endymion est sage, Apollon l'est aussi,S'ils faisaient éclater leur amour ou leur haine,Ils vous offenseraient, et votre crainte est vaine. DIANE. Ah ! Que tu connais mal les esprits des amants ;Ce n'est que jalousie, et rien qu'emportements :Rarement un rival avec l'autre s'accorde,Et Vénus est pour eux la Déesse discorde,Qui ne les laisse pas un moment en repos : Va donc voir ce Berger, ou plutôt ce Héros,Tu le rencontreras dans l'antre du silence,Témoigne lui mes soins, et mon impatience. LA NUIT. Lui-même dans ce lieu doit venir vous trouver, DIANE. Fais ce que je te dis, et me laisse rêver. SCÈNE II. DIANE, seule. Doux enchanteur des sens, Tyran des belles âmes,Qui brûles l'univers de tes Divines flammes ;Aveugle qui régis et la terre et les Cieux,Et troubles le repos des hommes et des Dieux ;Démon qui nous séduis par des promesses vaines, Qui promets tant de biens, et causes tant de peines :Amour, cruel amour retire un peu tes traits ;Ne peux-tu me laisser un seul moment en paix ?Pourquoi viens-tu me suivre en cette solitude ?Tires-tu tes plaisirs de mon inquiétude ? Traite-moi désormais avec plus de douceur,Barbare, et souviens-toi que ta mère est ma soeur.Tu me fais voir en vain tes attraits et tes charmes,Ils coûtent trop de soins, ils coûtent trop de larmes :Aucun plaisir n'est pur en l'empire amoureux, Tes regards sont mortels, tes souris dangereux,Et toutes tes douceurs qui sont empoisonnées,N'ont servi qu'à troubler mes belles destinées :Si tu me donnes moins que tu ne m'as ôté,Rends-moi tyran des coeurs, rends-moi ma liberté. Si ma chaste pudeur a depuis ma naissance,Avec un noble orgueil méprisé ta puissance,Avec tant de fureur fallait-il se venger?Fallait-il m'asservir sous les lois d'un Berger ?Sans par un trait obscur voir ma gloire étouffée, Tu pouvais t'élever un plus digne trophée ;Pour montrer ton pouvoir ; et ton ressentiment,Tu pouvais dans le Ciel me donner un amant :Mais toujours en tyran tu régis ton empire,Comme il te plaît chacun y gémit, y soupire ; Tes esclaves n'ont plus la liberté du choix,Mais je veux m'affranchir de tes injustes lois :Pour bannir de mon coeur les soucis et les peines,D'une superbe main je veux rompre tes chaînes ;Pour éteindre à jamais le feu de mes amours, Honneur, vertu, raison, venez à mon secours ;Venez, venez m'aider à gagner la victoire,À remonter au Ciel dans le char de la gloire.Mais que ferai-je au Ciel où mon bonheur n'est pas ?Toute sa vaine pompe est pour moi sans appas ; En vain je me verrais dans la troupe sacrée,De tous les immortels chérie et révérée ;Je ne puis sans regret m'arracher de ces lieux,Où je vois un mortel plus charmant que les Dieux.Quand nous avons au coeur le souci qui nous ronge, Les honneurs qu'on nous rend ne sont qu'un bien en songe :Lorsque Jupiter souffre un tourment amoureux,Tout couvert de splendeur, n'est-il pas malheureux ?N'estime-t-il pas lors le ciel moins que la terre?Et ne quitte-t-il pas son trône et son tonnerre, Pour chercher dans le sein des mortelles beautés,Des plaisirs plus parfaits et des félicités ?Lors qu'on a de l'amour, l'encens, la renommée,Ne sont rien qu'un vain bruit, une sombre fumée.Notre gloire dépend, des belles actions, Et notre heur du succès des grandes passions.À la félicité tous les vivants aspirent,Les hommes et les Dieux après elle soupirent,C'est vers elle toujours que tendent tous nos voeux,La sagesse et l'amour la promettent tous deux ; L'une pour la vertu seulement nous enflamme,Calme les passions, et met la paix dans l'âme,En bannit le souci, la crainte, et le mal-heur,Mais elle est sans plaisir, comme elle est sans douleur.Si l'amour quelquefois nous fait verser des larmes, Et s'il nous fait sentir la pointe de ses armes,Toujours d'un doux espoir il flatte les amants,Et les sait rendre heureux au milieu des tourments ;Il mêle des plaisirs à leurs plus grands supplices,Il accroît leurs douleurs pour croître leurs délices, Il paye en un moment un siècle de travaux,Et tous les autres biens ne valent pas ses maux.Plus on sonde son coeur, et tant plus on y pense,Plus on sent que l'Amour emporte la balance,La raison, le combat avec un vain effort, Car avec notre coeur il est toujours d'accord,Aimable Endymion, puis qu'il faut que je t'aime,Mon coeur sans résister se veut donner lui-même :Pour jouir avec toi de la félicité,Sur les autels d'Amour j'immole ma fierté. SCÈNE III. Diane, La Nuit. DIANE. As-tu vu mon Berger, viens me tirer de peine ? LA NUIT. Je l'ai vu qui rêvait au bord de la fontaine ;Mais j'ai bien autre chose à vous faire savoir. DIANE. Et quoi ; je sens mon coeur dans mon sein s'émouvoir. LA NUIT. J'ai vu Mercure enfin de la pointe des nues, Comme un aigle fondant sur ces cimes chenues,Apollon l'attendait proche d'un petit bois,Ne pouvant pas de loin bien discerner leurs voix,Et brûlant de savoir ce qu'ils disaient ensemble,Je me suis approchée. DIANE. Achève donc, je tremble. LA NUIT. Je n'ai peu rien ouïr qu'assez confusément,Ils parlaient d'un arrêt et d'un bannissement,Pour le reste jamais je n'ai pu bien l'entendre,Mercure vient ici qui pourra vous l'apprendre. SCÈNE IV. Diane, Mercure. DIANE. Viens-tu pour m'annoncer l'arrêt fatal des Cieux ? MERCURE. Je viens vous déclarer la volonté des Dieux,Le conseil assemblé de la troupe immortelle,A choisi pour Diane un amant digne d'elle,Par un ordre immuable il veut que dès demain,Apollon ait l'honneur de lui donner la main. DIANE. Thémis tient dans le Ciel la balance inégale,Tout s'y fait par faveur, par ruse, et par cabale. MERCURE. D'un équitable arrêt, pourquoi vous plaignez-vous?Qui fait que le Soleil deviendra votre époux,Qui veut qu'à l'amitié, l'Amour enfin succède, Que le plus beau des Dieux par l'Hymen vous possède ;On traite Endymion aussi bien doucement,Sa patrie est le lieu de son bannissement. DIANE. De ce cruel arrêt je connais la malice,Et le subtil Mercure en voit peu l'injustice, Apollon est l'objet de mon aversion,Et le Ciel veut forcer mon inclination,Ses juges corrompus, et pleins de jalousie,Ont banni ce héros qu'on adore en Asie ;Exiler la vertu, forcer la volonté, Est-ce faire sur terre éclater l'équité ?Le Ciel ne fit jamais une action si lâche,Elle le couvrira d'une éternelle tâche :Mais de cette injustice Apollon est l'auteur ;Ce n'est plus mon amant, c'est mon persécuteur ; Aussi je le fuirai jusqu'en l'autre Hémisphère,Et jure par le Styx que la soeur et le frère,Jamais des feux d'Hymen ne seront éclairés,Et le jour et la nuit seront moins séparés. MERCURE. Si votre coeur résiste à cet ordre céleste, Je crains que ce mépris vous devienne funeste.Si le plus beau des Dieux n'a pu vous mériter,Est-il quelque mortel qui vous doive tenter ?Chacun avec raison doit aimer son semblable. DIANE. Chacun ne doit aimer que ce qu'il croit aimable. MERCURE. Un Dieu plus qu'un mortel a de quoi nous charmer,Et s'il est plus aimable on le doit plus aimer,L'Olimpe dans son sein tous les trésors enserre,Et c'est de ses sauveurs que s'enrichit la terre. DIANE. Si le Ciel possédait les plus charmants appas, Ses heureux habitants ne le quitteraient pas,Mais l'on voit tous les jours les Dieux et les Déesses,Faire choix ici bas d'Amants et de maîtresses,La mère des amours qui peut tout enflammer,Qui doit servir d'exemple à lors qu'on veut aimer, Et qui connaît si bien ce qu'un coeur doit élire,Quittant les immortels pour un Berger soupire ;Et la fière Thétis qui dédaigne les Cieux,Vient d'épouser Pelée à la honte des Dieux. MERCURE. Cette Déesse a fait une indigne alliance, Des hommes et des Dieux on sait la différence. DIANE. Les Dieux dedans le Ciel ont semé les erreurs,L'aise, l'indépendance ont corrompu leurs moeurs,Et comme ils sont sans peur des lois et des supplices,Leurs esprits déréglés s'abandonnent aux vices. MERCURE. Et les hommes ma soeur, sont-ils moins vicieux ? DIANE. Ils pensent faire bien en imitant les Dieux ;Une troisième race entre l'homme et la nôtre,Exempte des défauts, et de l'une et de l'autre,Fait fleurir ici bas la paix et l'équité, Et reprend le chemin que les Dieux ont quitté ;Elle fait éclater les qualités divines,Et peuple l'univers d'héros et d'héroïnes ;Des vices, des erreurs leur esprit est vainqueur,Tel est l'illustre Amant qui règne dans mon coeur ; Qui suit les beaux sentiers de l'immortelle vie,Et que l'injuste Ciel a banni par envie :Mon coeur longtemps d'Amour n'a méprisé les lois,Que pour avoir loisir de faire un si beau choix.Mais si le seul Mercure a l'âme généreuse, Et ne condamne point mon amour vertueuse,Il me permettra bien de le voir en ce lieu,Et de lui pouvoir dire un éternel adieu. MERCURE. Je ne puis refuser ce service à Diane,Il est proche d'ici dans sa triste cabane, Qui m'attend pour du Ciel exécuter les lois,Et vous allez le voir pour la dernière fois. SCÈNE V. DIANE, seule. Nulle félicité n'est de longue durée ;Mais celle de l'Amour est la moins assurée,Il verse dessus nous les maux comme torrents, Et nous fait voir les biens comme des feux errants,Qui brillent à nos yeux, et qui nous réjouissent,Qui flattent notre espoir, et puis s'évanouissent.J'aime et l'on me ravit l'objet de mon amour,Et mon bonheur commence, et s'achève en un jour. C'est en vain qu'on m'adore, en vain je suis Déesse,Si mon coeur est troublé d'ennuis et de tristesse,Et je jouis en vain d'un destin glorieux,Si je ne puis plus voir ce que j'aime le mieux,Et si l'injuste Ciel par un arrêt barbare, De mon fidèle Amant à jamais me sépare ;Mais je vois ce berger qui cause mon souci,Mercure tient parole, et me l'envoie ici. SCÈNE VI. Diane, Endymion. DIANE. Hé bien Endymion, sais-tu l'arrêt funesteQu'ont donné les tyrans de la troupe céleste. Et l'extrême malheur qu'il nous vient annoncer ? ENDYMION. Hélas ! Mercure vient de me le prononcer. DIANE. A-t-il troublé ton coeur ? Réponds. ENDYMION. Un coup de foudreM'aurait été moins rude en me mettant en poudre. DIANE. Cet arrêt te bannit de ces sacrés sommets. ENDYMION. Cet arrêt loin de vous m'exile pour jamais,Et me fait éprouver le plus cruel supplice ;Mais je ne m'en plains pas, puis qu'on me fait justice :Le Ciel en me perdant semble vous obliger,Puisqu'il vous donne un Dieu vous ôtant un berger. DIANE. Ah ! Le Ciel m'est encor plus cruel qu'à toi-même :Il prive seulement ton coeur de ce qu'il aime ;Mais pour m'être plus rude et plus injurieux,Non content de m'ôter, ce qui plaît à mes yeux,Son injuste décret pour redoubler ma peine, Veut m'unir pour jamais à l'objet de ma haine. ENDYMION. Voulez-vous obéir à leur injuste arrêt ? DIANE. Je suis libre et Déesse, et fais ce qui me plaît,Mais toi que les destins, et les Parques cruelles,Ont fait naître ici-bas dessous des lois mortelles, Exposé sur la terre aux injures des Cieux,N'appréhendes-tu point la colère des Dieux,Et veux-tu me quitter ? ENDYMION. Ah ! C'est me faire outrage,De me croire manquer d'Amour ou de courage :Et si vous l'ordonnez je trainerai mes fers, Jusques dedans l'Olympe, ou jusques aux Enfers. DIANE. Prépare-toi plutôt d'aller aux champs d'Elide,Où Mercure aujourd'hui te doit servir de guide :Pour te mieux témoigner mon amour et ma foi,Je promets de m'y rendre en même temps que toi, Et sitôt que la Nuit aura tendu ses voiles,Je veux dessus mon char environné d'étoiles,T'emmener en triomphe en l'Isle de Delos,Où nous irons jouir d'un éternel repos ;Nous goûterons tous deux la plus heureuse vie, Et nos biens serviront de supplice à l'envie. ENDYMION. Hélas ! Pour un mortel cet espoir est bien doux :Mais le mal est plus grand qui m'éloigne de vous. DIANE. Tes ennuis cesseront bientôt par ma présence. ENDYMION. D'Élide jusqu'ici que je vois de distance : Et que la Grèce est loin des sommets de Lathmos,Ce penser seulement agite mon repos. DIANE. Mais il faut obéir à cet arrêt barbare :Si le Soleil jaloux pour un jour nous sépare,L'Amour sera plus doux, et nous réunira, Cet espace est bien court, et dans peu finira. ENDYMION. Qui juge sa longueur de si courte durée,N'était pas amoureux quand il l'a mesurée ;Un moment m'est un siècle absent de vos beautés,Et les jours les plus courts sont des éternités ? DIANE. Penses-tu que mon coeur soit sans inquiétude ? ENDYMION. Plus le désir est grand, et plus l'absence est rude,Et je souhaiterais qu'en quittant vos appas :Apollon à l'instant me donnât le trépas. DIANE. Pourquoi former ainsi des voeux contre toi-même ? D'où naît ce désespoir, si tu sais que je t'aime ? ENDYMION. Je me connais mortel, et je prévois ma fin,Les Dieux sont mes rivaux, et je cède au destin,La puissance d'Amour, ni le cours des années,Ne peuvent pas plus haut porter mes destinées, Ni donner à ma flamme aucun éclat nouveau ;J'ai de la gloire assez pour descendre au tombeau,Et puisque vous m'aimez trop aimable immortelle,Ma vie est longue assez, et ma mort assez belle. DIANE. Non, non, tu m'es trop cher pour voir tes jours éteins, Tes voeux sont criminels voulant ce que je crains ;Si tu sais révérer ma puissance suprême,Peux-tu sans mon congé disposer de toi-même?Ta vie est longue assez pour la gloire et pour toi ;Mais je veux désormais que tu vives pour moi. ENDYMION. Obligeante Déesse, adorable immortelle,Commandez seulement que je vous sois fidèle,Il est en mon pouvoir, mais ma vie et ma mort,Sont dans les mains des Dieux, et dans les mains du sort.Si ces injustes Dieux remplis de jalousie, N'ont pas pu me souffrir dans un coin de l'Asie,Ni me laisser en paix dans ces lieux écartez,Me pourront-ils souffrir auprès de vos beautés ?Me verront-ils passer sur les villes de Grèce,Dans un char de triomphe avec une Déesse? Verront-ils mon bon-heur sans en être jaloux,Et sans que leur fureur me sépare de vous ? DIANE. L'Aurore tous les jours ravit au Ciel Céphale,Et jamais sa faveur ne lui devient fatale. ENDYMION. Les attraits de l'Aurore aux vôtres inégaux, Ne lui suscitent pas de si fameux rivaux,Et comme son amour n'est pas si glorieuse ;A son heureux Amant elle est moins périlleuse.Mais quand je vois briller des charmes si puissants,Je crois que tous les Dieux sentent ce que je sens ; Que l'Olympe est en feu de même que mon âme,Que Jupiter n'est pas exempt de cette flamme ;Qu'il est secrètement mon rival dans son coeur,Et qu'il aime sa fille aussi bien que sa soeur :Pourquoi m'envoie-t-il observer sur la terre ? Pourquoi me menacer des éclats du tonnerre ?S'il n'avait pas pour vous un amoureux souci ? DIANE. L'intérêt d'Apollon le fait agir ainsi,Tu n'as point dans le Ciel de rival que mon frère,Mais n'appréhendes point sa jalouse colère, Quand les Dieux s'uniraient, afin de le venger,Moi seule contre tous je veux te protéger. ENDYMION. Tant plus vous témoignez avoir soin de ma vie,Et plus vous excitez leur haine et leur envie ;Mais rendez-les encor plus cruels, plus jaloux, Augmentez vos faveurs pour croître leur courroux,Et pour les obliger à me réduire en poudre,D'un regard amoureux allumez donc la foudre,Pour me combler d'honneur faites malgré les Dieux,Que je meure d'un trait décoché de vos yeux. DIANE. Tu ne m'obliges pas de tenir ce langage. ENDYMION. Je ne puis désormais éviter le naufrage. DIANE. Ah ! Mon coeur souffre assez quand tu quittes ce lieu,Sans augmenter mes maux par ce funeste adieu,Témoigne ta constance, et banni ces alarmes, Si tu veux m'épargner des soupirs et des larmes. ENDYMION. Faites plutôt rentrer ces soupirs et ces pleurs,Et je m'efforcerai de vaincre les malheurs :Je ferai voir enfin par un coup magnanime,Ce que peut la vertu lors que l'Amour l'anime, Mais Mercure paraît qui nous vient séparer. DIANE. Adieu, mais souviens-toi de vivre et d'espérer. ACTE V SCÈNE I. Apollon, Mercure. APOLLON. Quoi vous avez permis que ce berger profane,Ce mortel insolent ait été voir Diane,Et qu'il l'ait vue encor seul à seul dans ce lieu, Pour lui dire en secret un amoureux adieu,Contre l'arrêt du Ciel, son expresse défense ?Je croyais que Mercure avait plus de prudence. MERCURE. Pouvais-je refuser cette grâce à ma soeur ? APOLLON. Vous deviez à l'Amour préférer son honneur : Vous deviez lui montrer que vous étiez son frère,Et mieux executer les ordres de mon père. MERCURE. S'il est encore temps, pourquoi me blâmez-vous? APOLLON. Non, non, ils auront pris ensemble un rendez vous :S'il la voit en Europe en sortant de l'Asie, Ai-je moins de sujet d'en avoir jalousie ?Et ce célèbre arrêt ne sera-t-il pas vain ?S'ils peuvent accomplir leur amoureux dessein,Diane assurément l'ira chercher en Grèce.Car de sa passion elle n'est plus maîtresse : Ce téméraire ainsi ne sera point puni,Si je ne la vois plus, c'est moi qui suis banni.Mais pourrai-je souffrir qu'un mortel me surmonte,Et ma soeur avec lui se rire de ma honte ? MERCURE. Elle appréhendera de fâcher Jupiter. APOLLON. Elle a peu témoigné craindre de l'irriter,Caressant à ses yeux un berger sur la terre,Bien moins digne d'Amour que d'un coup de tonnerre :C'est un esprit impie, un monstre furieux,Qui parle avec mépris de la race des Dieux. MERCURE. Tous les autres amants quand l'Amour les transporte,Dans leur aveuglément blasphèment de la sorte,Et leur seule maîtresse est leur Divinité. APOLLON. Amour sert-il d'excuse à leur impiété ? MERCURE. Oui, puisque des Enfers les juges implacables, Qui si sévèrement punissent les coupables,Et savent aux forfaits régler les châtiments,N'en ont point ordonné pour punir les amants. APOLLON. Quoi le Ciel d'un mortel souffrira le blasphème ? MERCURE. Il n'est pas criminel, puis que Diane l'aime, Et personne ne doit refuser son bonheur. APOLLON. Il ne jouira pas longtemps de cet honneur :Il faut dissimuler ma vengeance et ma haine,Hé bien qu'il soit heureux, je n'en suis plus en peine ;Puisqu'avec mon respect mes soins sont superflus, J'abandonne Diane, et je n'y pense plus,Qu'un mortel la possède, et qu'il prenne ma place,Je m'en vais de ce mont sur le mont de Parnasse,Apaiser de l'Amour les jalouses fureurs,[Note : Apollon préside la destinée des neuf muses.]Parmi les doux concerts des neuf savantes soeurs. SCÈNE II. Diane, Mercure. DIANE. Que disait Apollon ? MERCURE. Il use de menace,Il blâme Endymion de sa trop grande audace :Ce berger n'est pas seul l'objet de son courroux,Il se plaint de nous trois, de lui, de moi, de vous. DIANE. De toi, c'est sans raison, car Mercure l'oblige, Lorsqu'il vient prononcer un arrêt qui m'afflige,Il doit vouloir du bien, loin de vouloir du mal,À celui qui conduit en exil son rival :De quoi t'accuse encor ce jaloux ? MERCURE. Il s'irrite,De ce que j'ai permis sa dernière visite, Et c'est-là le sujet de son ressentiment. DIANE. Quoi, pour m'avoir permis de le voir un moment,Lors qu'un injuste arrêt pour jamais nous sépare,C'est pis qu'être jaloux, car c'est être barbare ;Mais de moi, que dit-il, ose-t-il m'outrager ? MERCURE. Il se plaint que sa soeur lui préfère un Berger. DIANE. Apollon qui soupire après mon hyménée,Ne peut voir d'un mortel la flamme fortunée,Ni souffrir qu'un rival ait droit de se vanter,De posséder un coeur qu'il n'a pu mériter : Lui-même doit rougir qu'un berger le surpasse,Qu'il ait plus de vertus, et d'adresse, et de grâce. MERCURE. Il dit que votre flamme et votre aveuglement,Vous font voir des vertus que n'a point votre amant, DIANE. Le vice et la vertu font que l'on les renomme, Cet homme est plus qu'un Dieu, mais ce Dieu moins qu'un homme,Et l'aveugle destin avec peu d'équité,Partage entre eux la mort et l'immortalité,Je veux au plus parfait donner la préférence,Et je veux que mon coeur emporte la balance ; Qu'Apollon en murmure, et s'aille plaindre aux Cieux,Mes mépris le rendront confus devant les Dieux,Mais si pour la vertu ta pitié s'intéresse,Conduis en sûreté ce Berger dans la Grèce,Sans aux traits d'Apollon le voir abandonné, Exécute l'arrêt que les Dieux ont donné. MERCURE. À ce jeune Héros je servirai de guide,Je m'en vais sûrement le conduire en Élide ;Vous cependant, ma soeur, n'irritez point les Dieux,Et si vous me croyez, remontez dans les Cieux. DIANE, seule. Ah ! Que j'ai de tourments, que j'ai d'inquiétude,Et que l'impatience est un supplice rude :La Nuit peut elle seule alléger mon souci ?Qu'elle tarde longtemps, mais elle vient ici ? SCÈNE III. Diane, La Nuit. DIANE. Trop paresseuse Nuit, va-t-en tendre tes voiles : Va d'un pas diligent faire hâter les étoiles :Va[,] prépare mon char, attelle mes chevaux,Pour revoir mon amant malgré tous ses rivaux ;Je veux l'aller trouver en dépit de mon frère. LA NUIT. Mais le Soleil paraît encor sur l'Hemisphere. Je ne puis, je ne puis obéir à vos voeux,Que dans le sein des eaux il n'ait caché ses feux ;Voudriez-vous troubler l'ordre de la nature? DIANE. Je ne puis exprimer les peines que j'endure. LA NUIT. Vous allez dedans peu voir vos désirs contents. DIANE. Je voudrais bien pouvoir hâter les pas du temps, LA NUIT. De ces ombrages verts les aimables demeures,Vous peuvent-elles pas divertir quelques heures ? DIANE. Depuis qu'Endymion est sorti de ces lieux :Ils n'ont plus rien pour moi qui soit délicieux, Ce mont n'est qu'un désert, son sommet est aride,Mes yeux et mes pensers sont tournés vers l'Élide :Tous les lieux qu'il traverse ont pour moi des appas,Mon coeur le suit par tout, et marche sur ses pas ;Mercure avecque lui dans la Grèce m'emmène, Avecque mon amant en exil il m'entraine,Sans cesse je voudrais le voir, et lui parler. LA NUIT. Sa présence bientôt vous pourra consoler,Vos désirs violents, et votre char rapide,Vous conduiront bientôt dans les plaines d'Élide, Vous reverrez bientôt ce généreux héros. DIANE. D'effroyables soucis agitent mon repos ;Apollon n'a pu voir notre adieu sans envie,Je crains pour s'en venger qu'il n'attente à sa vie ;Il est vindicatif, soupçonneux, et jaloux, Et je dois redouter les traits de son courroux.Tout le Ciel qui se vient de couvrir de nuage,A mes esprits troublez est de mauvais présage :Amour qui pourrait seul soutenir mon espoir ;Pour charmer mes ennuis devait me venir voir, Mais au besoin ce Dieu m'a manqué de promesse. LA NUIT. Il est allé conduire Endymion en Grèce,Il aura soin de lui n'appréhendez donc rien. DIANE. Peut-on être sans crainte alors qu'on aime bien ? LA NUIT. Si mon amant m'aimait je paraîtrais contente. DIANE. Je vois bien que la Nuit ne fut jamais amante.Amour est un beau champ toujours semé de fleurs,Mais qu'éternellement on arrose de pleurs,Qui viendrait me troubler dans cette solitude ? SCÈNE IV. Diane, La Nuit, Céphale. LA NUIT. On vient vous divertir de votre inquiétude, C'est le berger Céphale. CÉPHALE. Ô Dieux, injustes Dieux! DIANE. D'où vient qu'il jette ainsi ses regards vers les Cieux ? CÉPHALE. Ah ! Funeste accident, ah ! Fortune cruelle. DIANE. Il me vient apporter quelque triste nouvelle. CÉPHALE. Ah ! Malheureux amants. DIANE. Que viens-tu m'annoncer ? CÉPHALE. Un crime où sans horreur je ne saurais penser. DIANE. Parle donc. CÉPHALE. La douleur m'empêche la parole,Avec Endymion mon triste esprit s'envole. DIANE. Endymion, ô Dieux, achève. CÉPHALE. Je ne puis. DIANE. Ton silence cruel augmente mes ennuis, Dis moi cet accident sans tarder davantage. CÉPHALE. Ah ! Le désespoir peint sur mon triste visage,Ne vous fait que trop voir son déplorable sort,Endymion n'est plus. DIANE. Il est mort ? CÉPHALE. Il est mort.Apollon transporté d'une jalouse envie, À votre illustre Amant vient d'abréger la vie. DIANE. Hélas ! LA NUIT. Le sais-tu bien, ne te trompes-tu pas ? CÉPHALE. La chose est très certaine, il est mort dans mes bras. DIANE. Il est privé du jour. CÉPHALE. Oui son rival perfide,À la honte du Ciel a fait cet homicide, Et la pourpre du sang de ce jeune héros,Peint encor en cent lieux les sommets de Lathmos. LA NUIT. L'exil devait calmer sa fureur vengeresse,Mais achève. CÉPHALE. Je crains d'affliger la Déesse,Et d'augmenter encor sa haine et sa douleur, Par le triste récit de ce sanglant malheur. DIANE. Conte-moi si tu peux cette tragique histoire,Qui de ce lâche Dieu doit ternir la mémoire. CÉPHALE. L'illustre Endymion après l'arrêt fatal,Que lui fit devant vous prononcer son rival, S'en allant sur ce mont par des routes connues,Jusques où son sommet se cache dans les nues,D'où dans les temps heureux de ses félicités,Il contemplait souvent vos célestes beautés,Sans se plaindre des Dieux, ni de leur injustice, Ni blâmer Apollon de sa noire malice,Il me contait en paix dans ce mortel séjour,Les périls glorieux où le portait l'Amour ;Que malgré son exil il nourrirait la flamme,Que vos divins regards allumaient dans son âme, Et prenant à témoins les nymphes de ce lieu,S'apprêtait de leur dire un éternel adieu ;Lors qu'Apollon caché sous un épais feuillage,Les esprits transportés d'une jalouse rage,Connût Endymion aux accents de sa voix, Que l'amoureux écho répétait dans les bois :Il sort en même temps de ces sombres demeures,Il monte dans son char attelé par les heures,Et l'oeil étincelant de ce Dieu furieux,Fait rougir en montant et la terre et les Cieux ; Ses chevaux immortels qui soufflent la lumière,Vont à perte d'haleine au haut de l'hémisphère :Phoebus les arrêtant droit sur le mont Lathmos,Bande son arc fatal pour tuer ce héros :J'avertis votre amant de ce péril extrême, Et le conjure en vain d'avoir soin de lui-même,De se mettre à couvert dans l'épaisseur du bois,Il méprise sa vie aussi bien que ma voix.Voudrais-tu, me dit-il, que par ma fuite honteuse,J'évitasse une mort qui m'est si glorieuse ? Il est beau de périr par un si noble sort,Et l'immortalité vaut moins que cette mort,Et puis vers le Soleil loin d'avoir de la crainte,Il tourne son visage où l'allégresse est peinte,Apollon, ce dit-il, perce, perce ce coeur, Déjà tout transpercé des beaux yeux de ta soeur ;Au même instant du Ciel une flèche fatale,Lui transperce le sein. DIANE. Ah ! Qu'as-tu dit Céphale ? CÉPHALE. Une autre en même temps lui vient ouvrir le flanc,D'où sort à gros bouillons son héroïque sang ; Lui bien loin de se plaindre, ou faire aucuns murmures,Voit d'un oeil satisfait ses mortelles blessures,Dit qu'il est trop heureux de les souffrir pour vous,Et des coups qu'il reçoit, rend son rival jaloux :Le Soleil s'en irrite, et d'un regard d'envie, Voit les derniers moments de cette belle vie,Pour hâter son trépas épuisant son carquois,Il laisse Endymion et sans force et sans voix,Et ce Dieu tout confus après ce lâche outrage,Pour ne paraître plus se cache d'un nuage. DIANE. Ah barbare ! CÉPHALE. En plaignant ce héros glorieux,J'attire par mes cris les nymphes de ces lieux ;De prolonger ses jours chacune en vain essaye,L'une arrête son sang, l'autre bande sa plaie,L'autre par les vertus des herbes et des fleurs, Veut de son teint mourant ranimer les couleurs ;Leur zèle est inutile, et leur puissance vaine,Il reste pâle et froid sans pouls et sans haleine.Chryseis, Oriane, et la jeune Armion,Chacune à haute voix appelle Endymion. Pour voir s'il conservait quelque reste de vie,Mais il ne répond rien à leur pieuse envie.Pour nous tirer de peine, et savoir son destin,Par votre nom sacré je le conjure enfin ;Il répond à nos voeux, à ce nom qui le touche, Son esprit qui s'enfuit s'arrête sur sa bouche,Ce beau nom plus puissant que le trait de la mort,Le redonne à la vie, et prolonge son sort,Un reste de chaleur de sa divine flamme,Dans ses regards éteints rappelle encor son âme, Il rentrouvre ses yeux à la clarté du jour,Et prononce ces mots que lui dicte l'Amour,Céphale va-t'en dire à ma belle immortelle,Que je suis trop content, puisque je meurs pour elle,Qu'aux enfers son amant sera plus glorieux, Que son rival jaloux triomphant dans les Cieux ;Pourvu qu'après ma mort son fatal hyménée,Ne trouble point là bas ma belle destinée :Après ces mots jetant un soupir amoureux,Son âme s'envola dans les champs bienheureux. DIANE. Ah ! Trop fidèle Amant, et trop perfide frère,L'aimable Endymion ne voit plus la lumière,Contre le désespoir qui me peut secourir,S'il est vrai, s'il est vrai, que tu l'as vu mourir.Mercure n'a-t-il pu s'opposer à sa rage ? CÉPHALE. Il est venu trop tard pour détourner l'orage,Tout ce qu'il a pu faire est de plaindre son sort,Quand il est arrivé votre amant était mort. DIANE. Je n'en saurais douter, et ne le saurais croire. CÉPHALE. Ce berger ne vit plus que dans votre mémoire, Ce bien le consolait, lorsqu'il perdit le jour,C'est beaucoup pour sa gloire. DIANE. Et peu pour mon amour,Mon coeur sera troublé d'éternelles alarmes,La mort m'a tout ôté me privant de ses charmes,Je ne puis plus rien voir que des objets de deuil, Les Grâces avec lui sont dedans le cercueil,La terre pour jamais de vertus est déserte,Les siècles ne sauraient réparer cette perte.Jupiter qui vois tout du haut du firmament,L'as-tu vu sans horreur descendre au monument ? Si du lâche Apollon tu n'es point le complice,Ta fille contre lui te demande justice ;Fais que mon amant vive en dépit du trépas : Elle parle à la Nuit.Toi noire Déité qu'on révère là bas,Va d'un pas diligent sur le rivage sombre, Va dans ces lieux heureux où l'on voit sa belle ombre,Va-t-en dans les Enfers, va-t-en dire à la mort,Que je ne puis souffrir cette injure du sort,Qu'il faut qu'Endymion revive et me revoie,Dis lui, dis lui qu'il faut qu'elle rende sa proie. LA NUIT. Vers la mort vainement je conduirais mes pas,Car les arrêts du sort ne se révoquent pas,On n'en doit espérer, ni pitié, ni justice. DIANE. [Note : Orphée est l'amant d'Euridice qui vint la sortir - en vain - aux Enfers.]Il a fait cette grâce à l'amant d'Euridice ;Mais si l'injuste sort ne veut pas m'obliger, Qu'il vienne m'enlever avecque mon berger,Et me fasse descendre en la nuit éternelle,Où son ombre plaintive incessamment m'appelle ;Je veux l'aller trouver chez ces peuples sans jour,Dans ces sombres palais où la mort tient sa Cour : Mon oeil avec horreur contemple la lumière,Je ne puis plus souffrir que le Soleil m'éclaire,Fuyons les feux jaloux de ce cruel rival,L'ennemi de mon bien, et l'auteur de mon mal. LA NUIT. Que son coeur agité souffre un supplice rude. CÉPHALE. Nul tourment n'est égal à son inquiétude,Amour sur les amants prend un trop grand pouvoir ;Mais je vois sur son front reluire quelque espoir. DIANE. Il est temps de finir cette plainte amoureuse,J'ai trouvé le secret qui me peut rendre heureuse, En dépit du destin, des Dieux, du monument,Je veux revoir encor mon généreux amant,Et sous les sacrés noms et d'amante et d'Hécate,Je veux parmi les morts que mon amour éclate,Je veux sans différer, je veux aller là bas, Où mon berger habite, où mon frère n'est pas ;Je veux dans la demeure éternellement sombre,De mes divins regards réjouir sa belle ombre,Et malgré le jaloux qui nous a séparés,Que ses yeux de mes yeux soient encor éclairés : Parmi l'horreur le deuil, les tourments et les chaînes,Dans le séjour des maux je veux finir mes peines,Et jouir aux Enfers malgré mes envieux,D'un bonheur plus parfait que le bonheur des Cieux. ==================================================