******************************************************** DC.Title = LE DÉNIAISÉ, COMÉDIE DC.Author = GILLET DE LA TESSONNERIE DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 06/07/2022 à 14:13:40. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/GILLET_DENIAISE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k71635z DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE DÉNIAISÉ COMÉDIE M. DC XLVII À PARIS, Chez TOUSSAINCT QUINET, au Palais, sous la montée de la Cour des Aides.Achevé d'imprimer pour la première fois le 28 Mai 1648. Les exemplaires ont été fournis. Représenté pour la première fois en 1647 au Théâtre du Marais. PERSONNAGES ARISTE, est le Déniaisé, Amant d'Olympe. CLIMANTE, celui qui veut jouer Ariste, Olympe. ORONTE, mari prétendu d'Olympe. JODELET, valet d'Ariste. PANCRACE, Intendant d'Oronte amoureux de Lisette. OLYMPE, fille de Provence enlevée par Oronte. LISETTE, servante d'Olympe amoureuse de Jodelet. UN EXEMPT. UN VIEIL CAPORAL. PREMIER VIOLON. SECOND VIOLON. TROISIÈME VIOLON. TROUPE DE Violons. TROUPE d'ARCHERS. La Scène est à Paris devant la maison d'Oronte. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Ariste, Climante, Jodelet. CLIMANTE, regardant Ariste jusques aux pieds. Certes, c'est renchérir dessus les plus galants,Cette confusion de noeuds et de rubans,Ne témoignent que trop ce dont aucun ne douteQu'un amant est prodigue, et que rien ne lui coûte. ARISTE, répondant d'un air ingénu. Vous me raillez toujours ... CLIMANTE. Que vos gants sentent bon ! [Note : Martial : Se disait autrefois, en chimie et en pharmacie, des substances dans lesquelles il entre du fer. [Ac. 1884].][Note : Frangipane : Parfum fort exquis qu'on donne à des peaux pour faire des gants, des poches, des sachets. [F].]Est-ce de Martial ou Frangipane ? ARISTE. Non,Ce sont des peaux d'Espagne. CLIMANTE. Elles en sont plus chères. ARISTE. L'ambassadeur pourtant m'en donna deux cents paires. CLIMANTE. Dans Rome ? ARISTE. Point du tout. CLIMANTE. Où donc ? ARISTE. Dedans Paris. CLIMANTE. Ne vous étonnez pas cher ami si je ris, Était-ce depuis peu ? ARISTE. La semaine passée. CLIMANTE. Votre langue à ce coup précède la pensée,Et vous n'y songiez pas en me parlant ainsi. ARISTE. Pourquoi ? CLIMANTE. D'ambassadeur il n'en vient point ici,Et l'Espagne, ARISTE. Ah ! Voyez à quoi je me hasarde, J'en aurais dit autant. CLIMANTE. Au moins prenez y garde,Il fait bon d'en donner, mais c'est un grand malheur[Note : Hâbleur : Grand parleur, grand menteur, grand prometteur. [F]]Quelque habile qu'on soit de passer pour hâbleur,Si lorsqu'on s'introduit dedans les compagnies,On ne concerte bien toutes ses menteries, Et si l'on n'a l'esprit de les faire avouer,Ce n'est qu'un beau talent pour se faire jouer.Pour moi qui comme vous en revenant de Rome, Partout où je pouvais en donnais en jeune homme,Et voulais tout risquer pour faire le plaisant, [Note : Faible : Faiblesse.]Je reconnais fort bien mes faibles à présent :Et puis en me voyant dans un autre moi-mêmeVous tirer aujourd'hui d'un embarras extrême. ARISTE. Mais quoi ! Vous me disiez qu'on peut parfois mentir. CLIMANTE. Oui, mais il faut avoir l'adresse d'en sortir. ARISTE. Combien un honnête homme en ses galanteries,Peut-il de fois par jour donner des menteries ? CLIMANTE. Il faut selon les gens régler la quantité,Apprendre leur humeur, savoir leur qualité ;[Note : Cassade : Bourde qu'on invente pour se défaire des opportunités de quelqu'un. [F]]Mais lorsque vous voudrez donner quelque cassade, Consultez-moi devant pour régler la boutade,Le feu que vous avez a besoin de leçonAprès vous hablerez de la bonne façon :En voulez-vous donner ? ARISTE. L'affaire est devinée.Je voudrais bien mentir, CLIMANTE. Quand ? ARISTE. Cette après-dîner. CLIMANTE. Où ? ARISTE. Chez le rare objet dont mes sens sont charmés. CLIMANTE. Je m'y rendrai tantôt... ARISTE. Au moins si vous m'aimez... CLIMANTE. Ah ! Que vous êtes bien auprès de cette belle. ARISTE. Je vous dois les faveurs que je recevrai d'elle,Et de quelque progrès dont je me sois flatté, J'en dois remercier votre dextérité. CLIMANTE. Il faut quand vous trouvez parfois l'heure opportune,Lui vanter en passant quelque bonne fortune. ARISTE. Qui pourrait réussir sans ces enseignements ? CLIMANTE. Nous en avons besoin dans les commencements, Quoi qu'on sache beaucoup on doit apprendre encore,Mais dedans les ardeurs du feu qui vous dévore,Ne m'avouerez-vous pas que vous êtes ici,Étant absent d'Olympe avec un grand souci,Je m'en vais la quérir : en faut-il davantage ? ARISTE. Ah ! C'est trop m'obliger. SCÈNE II. Ariste, Jodelet. ARISTE. Le galant personnage !Il croit trouver sa dupe. JODELET. [Note : Falot : Fat, homme ridicule, et qui sert de jouet aux autres, mauvais plaisant. On dit par injure, Vous êtes un plaisant falot, à celui qui est fort méprisable. [F]]Ah ! Le plaisant falot. ARISTE. Il faut tout endurer, et ne lui dire mot,Il n'est pas encor temps de lui faire nos plaintes,Et puisque mon bonheur consiste dans ces feintes, Il faut passer plus outre, et faisant l'ingénu,Me maintenir au point où je suis parvenu,Donc, mon cher Jodelet, réponds à mon attente,Et ne dédaigne point cette adroite suivante,[Note : Argus : Nom propre d'un homme fabuleux de la mythologie, qu'on dit avoir eu cent yeux. Ce mot est venu en usage dans la langue pour signifier un homme prudent et clairvoyant. [F]]Qui servant d'un Argus à ma divinité Alors qu'elle te suit nous laisse en libertéSes sanglots font pitié... JODELET. Monsieur, c'est qu'elle tousse. ARISTE. Mais... JODELET. Quand vous le voudrez je la rendrai plus douce[Note : Chevrotin : Peau de chevreau (petit de la chèvre) préparée pour faire des gants et plusieurs autres choses où 'on a besoins d'une peau délicate. [F]]Et plus souple cent fois qu'un gant de chevrotin. ARISTE. Tu l'entends, Jodelet. JODELET porte le doigt à sa bouche. [Note : Mâtin : Gros chien de cuisine, ou de basse-cour. Su dit aussi des homme grossiers, mal-bâtis de corps ou d'esprit. [F]]Je suis un faux mâtin, Sans moi dans vos amours vous auriez votre compte,Car Lisette m'a dit que l'Intendant d'OronteSans elle nous allait envoyer à vaux l'eau,Mais que de quelque espoir flattant le jouvenceauElle avait empêché qu'on nous envoya paître. ARISTE. Mais ce n'est qu'un rêveur, JODELET. Il est cru de son maîtreQui le tient fort savant, et le croit fort discret,Mais de Climante aussi dites moi le secret,Aimerait-il Olympe ? ARISTE. Oui, Jodelet, il l'aimePour elle son amour passe jusqu'à l'extrême, Et j'ai bien reconnu qu'il trouve les moyensD'expliquer ses désirs en débitant les miens. JODELET. Qu'a cela de commun au feu qui vous consommeDe vous faire introduire à titre de jeune homme,Et pourquoi ne peut-il haranguer ses amours Sans vous faire parler et chercher ces détours ? ARISTE. Tu sais bien que d'Oronte elle fut enlevéeQue partout de ce lâche on la voit observée,Et qu'enfin ce jaloux l'ayant en son pouvoirSans sa permission l'on ne la saurait voir. JODELET. Mais d'où vient que Climante est de l'intelligence,Et comme a-t-il sitôt fait cette connaissance ? ARISTE. Tu peux t'en étonner avec juste raison,Toi qui ne songes pas qu'il loge en leur maison. JODELET. Mais comment a-t-il fait pendant ce grand voyage, Qu'il n'a pu la contraindre au moins au mariage ?Que lui peut dire Olympe, et comment, et pourquoi ? ARISTE. Ce secret est encor trop raffiné pour toi. JODELET. Climante donc... ARISTE. Croyant jouer d'un tour d'adresse,Et m'ayant mené voir cette belle maîtresse, Me traitant d'innocent auprès de ce jaloux,Lui dit qu'ils en auraient un plaisir assez doux,Pourvu qu'Olympe sut railler, et se contraindre,Écoutant des soupirs qui n'étaient pas à craindre.Qu'on en pourrait tirer des divertissements Qui leur feraient passer d'agréables moments,Que je leur donnerais concerts et sérénades,Comédie et ballets, festins et promenades. JODELET. Mais en si peu de temps vous vouloir tant de bien,Elle étant provençale, et vous parisien. ARISTE. Quand l'amant est voisin de la personne aiméeUne forte habitude est aisément formée. JODELET. Mais Oronte l'aimant, et même étant jaloux,Comment s'accroche-t-il de Climante et de vous ? ARISTE. Il croit qu'étant trop fat je ne lui saurais nuire. JODELET. Mais de Climante... ARISTE. Il croit qu'il ne veut m'introduireQue pour rire avec eux des cadeaux que je fais,Puis il veut divertir Olympe à peu de frais,Et trouve qu'elle vit avec plus de franchiseDepuis qu'il l'apprivoise avecque ma sottise, Que sa colère passe, et qu'il peut l'adoucir. JODELET. Climante cependant... ARISTE. Croit fort bien réussir,Et ne pouvant souvent entretenir la belle Se croyant le plus fin est d'accord avec elle,Que ce qu'elle dira pour flatter mon ennui Soit en secret ou non, doit s'adresser à lui. JODELET. Il se tient donc heureux alors qu'elle vous aime. ARISTE. Sans doute... JODELET. Si bien donc qu'il est le fat lui-même. ARISTE. Oui, car ma chère Olympe ayant bien reconnuQue pour son seul sujet, je faisais l'ingénu, Et m'ayant honoré de quelque bienveillanceM'a dit qu'il prétendait me jouer d'importance,Et se servir de moi pour tromper son jaloux,Et pour être plus libre. JODELET. Ah, par la mort ! ARISTE. Tout doux. JODELET. Ah ; Monsieur, permettez que ma lame enrouillée Soit teinte de son sang. ARISTE. Elle en serait souillée ;Garde bien le secret, et tais-toi. JODELET. Mais au moinsSouffrez qu'avecque lui je fasse à coups de poings,Et que de ces cinq doigts plus pesants qu'une meuleJe lui casse le nez ou lui paume la gueule. ARISTE. Je me vengerai bien sans exposer tes jours. JODELET, faisant le grave. Qu'il aille vous railler au royaume des sourds. ARISTE. Va, va, conserve toi pour ta chère Lisette. JODELET. Ah ! Je ne puis aimer cette jeune chouette.Je suis inexorable. ARISTE. Est-il vrai, Jodelet, Elle est pourtant passable. JODELET. Ah ! Je suis son valet. ARISTE. Mais voici mon Olympe, ah, divine merveille ! SCÈNE III. Ariste, Climante, Oronte, Olympe, Pancrace, Jodelet, et Lisette. CLIMANTE. Pour un ami qui dort toujours quelqu'autre veilleRendez grâces au soin que j'ai pris d'amenerCette rare beauté qui se vient promener. ARISTE. Je ne saurais payer de si puissantes dettes ;Mais Climante achevez le bien que vous me faites,Et m'ayant approché de ce bel oeil vainqueur,Adoucissez un peu son extrême rigueur. CLIMANTE. Oronte le fera, j'en ai quelque assurance, Et puisque cette belle est dessous sa puissance,Et qu'il est son époux, vous reconnaîtrez bienQu'en la priant pour vous il n'épargnera rien. OLYMPE. Oronte le voulant je vous suis tout acquise. ARISTE. De grâce donc, Monsieur, excusez la franchise, Et trouvez bon qu'ici j'ose vous supplier,En la priant pour moi de ne rien oublier,Je ne demande pas d'entrer dedans sa couche,De prendre des baisers sur cette belle bouche,Et d'obtenir un bien aussi cher que le jour ; Je voudrais seulement qu'elle sût mon amour ;Et forcer ces beaux yeux de remarquer la flammeQu'avecque votre aveu j'allumai dans mon âme. OLYMPE, à Oronte. Ô qu'il est ingénu ! ORONTE. Monsieur, il ne faut pasLa forcer pour souffrir un objet plein d'appas, Et toute sa rigueur ne consistant qu'en mine,Sans doute elle vous aime, et fait ici la fine. OLYMPE, d'un air gai. Vous pensez-vous railler, mais... ORONTE. J'en suis peu jaloux,Vous l'aimez... OLYMPE. Il est vrai. ORONTE. Tout de bon, OLYMPE. Plus que vous. ORONTE. Quelqu'autre se pendrait après cette parole. OLYMPE, en riant. Que ne le faites vous ? ORONTE. Un seul point me consoleC'est que Monsieur est sage, et n'entreprendra rienEn cette occasion qui ne soit pour mon bien.Comme il est généreux. CLIMANTE. Il faut tout dire, Oronte,Ne vous y fiez pas, vous auriez votre compte, Il n'est dans ses amours généreux qu'à demi,Autrefois il aimait la femme d'un ami. ARISTE, comme voulant le faire taire. Au moins... ORONTE, à Ariste. Serez vous fourbe ? ARISTE. Il vous en fait accroire. CLIMANTE, en particulier à Ariste. N'en faites point le fin, et comptez leur l'histoire,Quand Oronte saura que vous aimez ailleurs, Il en aura pour vous des sentiments meilleurs,Et vous l'exempterez de cette jalousie,Qui peut être pourrait troubler sa fantaisie. ORONTE. Hé bien, s'y résoud il ? ARISTE. Je veux ce qu'il vous plaît. ORONTE. Mais au moins dites nous la chose comme elle est. ARISTE. Si je vous mens d'un mot que le Ciel m'extermine ;Étant donc amoureux d'une jeune voisineDont le mari jaloux me souffrait par bonheur,Et ne voyait que moi de tous les gens d'honneur,Je pouvais à mon gré voir cet ange visible, Mais de l'entretenir il m'était impossible,Car enfin ce mari ne me quittant jamaisMe suivait au manège, au tripot, au Palais,En affaire, en emplette, à la campagne, en ville,Encore que partout je lui fusse inutile ; Si j'allais promener le bonhomme y venait ; [Note : Garder : rester.]Si je gardais la chambre, alors il s'y tenait. PANCRACE, bas. Ce zèle est paradoxe et ces soins incommodes. JODELET. Monsieur que n'alliez vous pour voir aux antipodes. ARISTE. Tais-toi. JODELET. Les bons vieillards ne sont jamais méchants. ARISTE. Un soir prenant le frais en sa maison des champsSur le bord d'un étang nous vîmes cette belleQui sauta tout d'un coup dedans une nacelle,Où craignant pour ses jours de tristes accidentsPresque tout aussitôt je me jetai dedans Quand le mari pour rire en ayant pris la cordeSe vantait de nous voir à sa miséricorde,Qu'il nous ferait noyer, mais l'amour le trompa,Et de ces faibles mains la corde s'échappa ;Lors insensiblement les vagues se frisèrent, Le vent se redoubla, les ondes nous poussèrent,Et les jeunes zéphyrs des lieux des environs Y vinrent nous servir de rame et d'avirons :Mille amoureux oiseaux par leur battement d'aileFaisaient un petit vent qui poussait la nacelle, Et flattant de leur bec la surface des eauxNous poussèrent enfin en un fort de roseaux ;Où du monstre jaloux les ardentes prunellesNe purent éclairer ce miracle des belles,Là pleins d'un beau désir qu'on ne peut exprimer Tout riait à nos yeux, et tout parlait d'aimer. PANCRACE, bas. [Note : Grecs : Il y a plusieurs auteurs grecs antiques auteurs de fables dont Esope en Grèce et Phèdre à Rome.]Cet homme a lu les Grecs, et possède les fables. OLYMPE. N'a-t-il pas des moments qui sont assez passables ? ORONTE. Tous les fols font ainsi pour se mettre en crédit. CLIMANTE. Dites qu'il sait par coeur l'histoire qu'il vous dit. ARISTE. Entrant comme en triomphe en ces palais humidesNous en fîmes lever mille nymphes timides,Qui fuyant par respect autant que par amourPour nous quitter leur lit, changèrent de séjour. JODELET. Ah ! Monsieur, de regret encor je m'en chagrine, Les nymphes en fuyant craignaient notre cuisine,Et se doutaient fort bien qu'en ne s'enfuyant pas Elles rencontreraient leurs tombeaux dans nos plats. ARISTE. Que dit cet insolent ? JODELET. Que ces nymphes volages[Note : Piéton : Fantassin, soldat qui est à pied. [F]]N'étaient foi de piéton que des canards sauvages Que vous sûtes du lit si bien effaroucherQue jamais du depuis ils n'y vinrent coucher. ARISTE. Sors. Alors le jaloux par des cris lamentablesFaisait hurler l'Echo de ces lieux délectables,Et d'un torrent de pleurs ayant grossi les eaux, Croyait voir des esprits à travers des roseauxQui voulant nous traîner sur les rivages sombresAvaient déjà compté nos corps au rang des ombres,Ce pendant possédés par des transports divinsMa bouche s'expliquait dessus ses belles mains, Et par de longs regards pris et rendus sans nombreNous goûtions des plaisirs qui n'avaient rien de l'ombre ;Et qui faisaient savoir à mon coeur enflammé,Que le souverain bien est de se voir aimé.Ô charmante beauté qu'êtes vous devenue, En vous croyant venger je vous ai donc perdue ?Mais malgré la prison où vous tient un jaloux, Du coeur et de l'esprit je suis auprès de vous !Charmé de vos beaux yeux je les crois voir encore,Soit absente, ou présente, en fin je vous adore, Et jusques à l'instant que je dois expirer,Soit absent ou présent je vous veux adorer.J'aime sans intérêt, et ma plus grande envieN'est que de vous servir, aux dépens de ma vie,Et de trouver moyen de vous tirer des mains Et des pièges trompeurs du pire des humains. OLYMPE. En fin vous m'oubliez en vous souvenant d'elle. ARISTE. Je devais ces soupirs à ma flamme fidèle :Et vous me haïriez si j'étais inconstant,Et croiriez que pour vous j'en pourrais faire autant. ORONTE. Madame, apaisez-vous, et cachez votre haine,[Note : Apostrophe : Est aussi une figure de rhétorique par laquelle l'orateur adresse sa parole à ses auditeurs, ou à sa partie même, à d'illustres morts, ou même à des choses inanimées ; comme à des tombeaux, et autres monuments. [F]]L'apostrophe est plaisant, étant de longue haleine,Et vous nous priverez d'un entretien fort doux,Si Monsieur le retranche, et se contraint pour vous. CLIMANTE. En vain vous redoutez qu'il se veuille contraindre Pour l'Empire du monde, il ne pourrait pas feindre :Et si par la franchise on se rend criminel, Il est vain de son crime, et voudra mourir tel. ARISTE, à Climante. Ami, pourquoi dis-tu que je ne sais pas feindre ?Hélas ! combien de fois m'as-tu vu me contraindre ? Quand voyant cet objet sourire à son jaloux,Je voulais, et n'osais lui dire, arrêtez-vous ;Contraignant les ardeurs de mon amour extrême,J'ai cent fois été prêt de dire, je vous aime :Mais tout prêt de parler je me suis retenu, Et si bien déguisé, qu'ils ne m'ont pas connu. OLYMPE, à Climante. Il est fin. CLIMANTE. Tout de bon c'était le méconnaître :Voyez-vous, il est fourbe autant qui le faut être. OLYMPE. Je ne m'y fierai pas, ORONTE. Ma foi vous ferez bien. ARISTE. Quoi qu'ils puissent vous dire il ne faut craindre rien Si je vous aimais moins je cacherais la flamme Que je veux qui s'exhale en vous ouvrant mon âme,Et je l'augmenterais en voulant retenirQuelques mourants soupirs qui sont prêt de finir. ORONTE. En tout cas vous pourrez en aimer deux ensemble, Un inconstant ... ARISTE. Je suis autre qu'il ne vous semble. ORONTE. Mais vous disiez tantôt que jusques au tombeauVous vouliez adorer un chef d'oeuvre si beau. ARISTE. Je l'ai dit, et de vrai, je mets toute ma gloire,D'en adorer l'esprit, d'en chérir la mémoire, Et d'ôter à l'amour le nom de passion,Alors qu'il perd l'espoir de la possession. OLYMPE. Cet accommodement est assez difficile. ORONTE. Pour faire encore plus il n'est que trop habile ;Mais qu'il explique ARISTE. En vain je voudrais m'en piquer, Je perdrais bientôt terre en voulant m'expliquer ;Je conçois assez bien les choses qu'il faut dire,Mais pour les éclaircir ce m'est un grand martyre. LISETTE. Monsieur on a servi. ORONTE. Notre dîner cesséVous nous achèverez le récit commencé, Et nous ferez savoir d'où vint votre disgrâce. SCÈNE IV. Jodelet, Pancrace. JODELET. Tandis qu'ils vont dîner, un petit mot, Pancrace,Dirais-tu qu'une fille eût de l'amour pour moi ? PANCRACE. C'est qu'elle a reconnu quelques appas en toi. JODELET. Qu'est-ce que des appas, est-ce une belle chose ? PANCRACE. C'est le visible effet d'une agréable cause,C'est un enthousiasme, un puissant attractif,Qui rend individus le passif et l'actif,Et qui de nos esprits, domptant la tyrannie,Forme le plus farouche au goût de son génie. JODELET. Je m'en étais douté, mais... PANCRACE. Les doutes sont grandsPour définir s'il est des appas différents.[Note : Ensemble d'auteurs antiques sans ordre ni préséance.]Pythagore, Zénon, Aristote, Socrates,Philostrate, Bias, Eschyle, Zenocrates,Aristippe, Plutarque, Isocrates, Platon, Démosthene, Luculle, Hesiode, Caton,Ésope, Eusebe, Erasme, Ennius, Aulegelle,Epictète, Cardan, Boëce, Columelle,Ménandre, Scaliger, Aristarque, Solon,Homère, Buchanan, Polybe, Cicéron, Ausone, Lucian, Xenophon, Teucidide,Diogène, Tibulle, Appian, Aristide,Anacreon, Pindare, Horace, Martial, Plaute, Ovide, Lucain, Catulle, Juvenal.Carneade, Sapho, Théopraste, Lactance, Sophocle et Sénèque, Euripide et Térence,Crisippe... JODELET. À quel besoin nommer tous ces démons ? PANCRACE. C'est des Dieux des savants dont je t'ai dit les noms,Et j'en ai mille encor que manque de mémoire. JODELET. Ah ! ne m'en nomme plus, je suis prêt à te croire. PANCRACE. Donc tous ces vieux savants n'ont pu nous exprimer,D'où vient cet ascendant qui nous force d'aimer !Les uns disent que c'est un vif éclair de flamme,Qu'un être indépendant alluma dans notre âme,Et qui fait son effet malgré notre pouvoir Quand il trouve un objet propre à le recevoir. JODELET. Les autres ... PANCRACE. Éclairez d'une moindre lumièreEnveloppent sa force au sein de la matière,Et nomment un instinct ce premier mouvementQui nous frappe d'abord avec aveuglement, Et qui prenant du temps des forces suffisantesEn forme dans le sens des images pressantes,Qui n'en font le rapport à notre entendementQu'après s'être engagé sans son consentement. JODELET, levant la main pour parler. Ainsi donc ... PANCRACE, l'interrompant. Nous perdrions le droit du libre arbitre. JODELET veut parler. Mais ... PANCRACE. Il n'est point de mais, c'est notre plus beau titre. JODELET encore de même. Quoi ... PANCRACE. C'est parler en vain, l'âme a sa volonté. JODELET encore de même. Il est vrai ... PANCRACE. Nous naissons en pleine liberté. JODELET, voulant parler. C'est sans doute ... PANCRACE. Autrement notre essence est mortelle. JODELET voulant parler. D'effet... PANCRACE. Et nous n'aurions qu'une âme naturelle. JODELET. Bon ... PANCRACE. C'est le sentiment que nous devons avoir. JODELET. Donc ... PANCRACE. C'est la vérité que nous devons savoir. JODELET. Un mot ... PANCRACE. Quoi, voudrais-tu des âmes radicalesOù l'opération pareille aux animales. JODELET, en lui voulant fermer la bouche. Je voudrais te casser la gueule... PANCRACE, en se débarrassant. On a grand tort De vouloir que l'esprit s'éteigne par la mort,Il faut pour en avoir l'entière connaissance,Savoir que l'âme vient d'une immortelle essence,Et qu'en nous animant il est tout évidentQu'elle est une substance et non un accident, Ayant des attributs du maître du tonnerre,Elle n'est pas de feu, d'air, d'eau, ni moins de terre,Ni le tempérament des quatre qualitésQui renferme dans soi tant de diversités. JODELET s'apprête à parler. Enfin... PANCRACE. Les minéraux produits d'air et de flamme Ont un tempérament, mais ce n'est pas une âme.L'âme est encore plus que n'est le mouvement,Plusieurs choses en ont sans avoir sentiment,Et qui sur les objets agissent avecque force D'un arbre mort, le fruit, ou la feuille, ou l'écorce, Donnent à nos humeurs un secret mouvement,L'ambre attire des corps, ainsi que fait l'aimant. JODELET, lassé. Ah ! PANCRACE. L'âme n'est donc pas cette aveugle puissanceQui se meut ou qui fait mouvoir sans connaissance. JODELET, jetant son chapeau à terre. J'enrage... PANCRACE. Elle n'est pas le sang, comme on a dit. JODELET, en le regardant de colère. Parlera-t-il toujours ? Mais... PANCRACE. Ce mais m'étourdit. JODELET, fermant les poings. Peste. PANCRACE. Nous pouvons voir des choses animées,Qui sans avoir de sang avaient été formées.Il est des animaux qui n'en répandent pas Après le coup fatal qui cause leur trépas. L'âme n'est pas aussi l'acte ni l'énergie,[Note : Entelechie : Perfection d'une chose. [T]]C'est au corps qu'appartient le mot d'entelechie. JODELET. Hola ! PANCRACE. Prête l'oreille à mes solutions,L'âme n'ayant donc point ces définitionsPour te faire savoir comme elle est immortelle. Écoute les vertus qui subsistent en elle,Par un divin génie, et des ressorts diversTrois âmes font mouvoir tout ce grand univers :Aux plantes seulement est la végétative,La sensitive au corps, l'âme a l'intellective, Et donne l'existence aux deux qu'elle comprendAinsi qu'un petit nombre est compris au plus grand.Des trois, la corruptible est jointe à la matière,La seconde approchant de sa clarté premièreAgit dans les démons sans commerce des corps ; Et la troisième enfin par de divins effortsPour faire un composé sut renfermer en elleLa nature divine avecque la mortelle,Aussi l'âme à l'arbitre. JODELET. Ah ! c'est trop arbitré Au diable le moment que je t'ai rencontré. PANCRACE. [Note : Pendard : Par exagération, celui, celle qui est digne de pendaison, qui ne vaut rien du tout. [F]]Au diable le pendard qui ne veut rien apprendre. JODELET. Au diable les savants, et qui les peut comprendre. PANCRACE. Va, si tu m'y retiens on y verra beau bruit,Mais ... JODELET. Encor me parler, bonsoir et bonne nuit. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Ariste, Olympe. ARISTE. Madame, j'ai donné le paquet à Léonce, Qui dans peu par la poste apportera réponse ;Et quand de vos parents l'ordre sera venu,Je me ferai connaître à qui m'a méconnu,Et vengerai l'affront que vous fait un infâmeQui vous contraint par force à vous dire sa femme. OLYMPE. Attendez donc ce temps, et faites comme moi,Pour détourner le cours des maux que je prévois,Si je n'eusse donné quelque vaine espéranceÀ celui qui m'enlève avecque violence,Il aurait hasardé par de derniers efforts De me ravir aussi le plus beau des trésors,L'honneur qui m'est cent fois bien plus cher que la vie,Mais en lui promettant de plaire à son envie,Par ces détours adroits j'ai trouvé les moyensDe retourner bientôt entre les bras des miens, Et de sauver l'honneur où je devais tout craindre. ARISTE. Sa mort ... OLYMPE. Ah ! Sur ce point tâchez de vous contraindreEn m'ôtant de ses mains, c'est le punir assez,Et vous devez songer si vous me chérissez,Que les soins qu'il a pris pour m'avoir conservée Méritent le pardon de m'avoir enlevée. ARISTE. Pour nous venger tous deux j'immolerai ses jours. OLYMPE. Me pouvez-vous aimer et tenir ce discours. ARISTE. Une si longue feinte est une ardente preuveDe l'état misérable où mon âme se trouve : Et tant de vérités se doivent appuyer Par les divers affronts qu'il me faut essuyer. OLYMPE. Il faut donner au temps ces lâches déférencesQu'il exige de nous pour finir nos souffrances. ARISTE. Aussi vous me verrez d'un esprit résigné Satisfait, et confus, content et dédaigné.Mais je crois voir venir Oronte avec Climante. ARISTE. Évitons leur rencontre elle est trop déplaisante,Comme en nous promenant marchons négligemment,Nous reviendrons... SCÈNE II. Climante, Oronte. ORONTE. Olympe en rit à tout moment, Mais qui croirait jamais une telle innocence ? CLIMANTE. [Note : Créance : Opinion, sentiment, foi. Voir Croyance. [F]]Elle passe au delà de toute la créance. ORONTE. Enfin vous connaissez l'esprit du pèlerin. CLIMANTE. Je ne l'aurais pas cru, ni si sot, ni si vain. ORONTE. Mais fut-il encor pis, Olympe le désire, Et trouve en le jouant tant de sujets de rire,Qu'elle est de belle humeur à le voir seulement !Ce qui pour l'adoucir me sert infiniment. CLIMANTE. Mais il faut lui jouer des pièces d'importancePour lui donner plaisir de son extravagance. ORONTE. Il m'est venu trouver dedans le cabinet,Où nous entretenant des grâces du sonnet,Par des galimatias d'une assez longue haleineIl m'a voulu produire un effort de sa veine ;De qui les meilleurs vers sont pleins de mauvais mots Et de raisonnements ridicules et sots.Pour, je me ressouviens, il met je me recorde,Et rime hallebarde avec miséricorde,Les voyelles chez lui sont en confusion, Il dit que l'on s'en sert dedans l'illusion [Note : Sans confusion du personnage-poète entre céruse et césure, et entre mystique et hémistiche.]Comme dans la céruse et dedans le mystique,Sans que ce soit alors licence poétique.Mais enfin le meilleur est qu'il m'a conjuréDe lui faire des vers pour un désespéré ;Qui peut voir tous les jours le sujet de sa flamme Sans lui pouvoir parler des troubles de son âme.Parce que d'un jaloux les regards odieux,Comme ceux d'un Argus l'éclairent en tous lieux.Puis croyant réparer ce discours ridicule,Et m'ôter tout sujet d'avoir aucun scrupule, Il m'a deux ou trois fois juré dessus sa foiQue ce mot de jaloux n'était pas dit pour moi,Qu'Olympe n'était pas le sujet de sa rime,Et qu'il n'avait pour elle autre amour que l'estime. CLIMANTE. Mais qu'avez vous promis ? ORONTE. Pour nous jouer de lui, [Note : Stance : C'est un certain nombre réglé, de vers graves et sérieux, qui contiennent un sens, au bout duquel il se fait un repos. Il y a des stances 4, 6, 8, 10 vers. On fait aussi des stances de nombres impairs de 5,7, 9 t de 13 vers.]J'ai promis de lui faire une Stance aujourd'hui,Cependant je ne sais si je tiendrai parole ;Mais vous en savez faire, et cela me console. CLIMANTE. Les vers me coûtent trop, et je veux désormais,Hors pour un bel objet n'en écrire jamais. ORONTE. Si les seules beautés échauffent votre muse,Vous ne pourrez trouver de légitime excuse,Olympe pour qui c'est ne manque point d'appas. CLIMANTE bas la moitié du vers. Feignons, elle en a trop. Mais je ne l'aime pas. ORONTE. Puisqu'il faut vous résoudre à prendre cette peine, Et qu'amour seul a droit d'animer votre veine,Croyez pour m'obliger en cette occasionQu'Olympe est le sujet de votre affection ;Pensez à ces beaux yeux, conservez en l'image. CLIMANTE, bas. Il est bien malaisé d'y penser davantage. ORONTE. Songez à son beau teint, à son esprit charmant,À sa taille, à son port. CLIMANTE, bas. J'y songe à tout moment. ORONTE. Ayant devant les yeux un si parfait modèle,Vous nous ferez au moins une stance assez belle,Et quand devant Olympe Ariste les dira, C'est pour moi seulement que le fat parlera. CLIMANTE, bas. Ou plutôt pour moi seul. ORONTE. S'il n'était nécessaireQue d'écrire à Bordeaux, que par l'autre ordinaire,Je vous épargnerais la peine de rimer,Et de feindre qu'Olympe aurait pu vous charmer. CLIMANTE. Je sais ce qu'elle vaut. ORONTE. C'est un astre visible. CLIMANTE. Vous parlez en amant. ORONTE. Et vous en insensible. CLIMANTE. J'ai des yeux qui sont bons, et connais ses appas. ORONTE. Vous les connaissez mal ! CLIMANTE. Vous ne m'entendez pas.Et ne comprenez point de quel air je l'honore. ORONTE. C'est peu que l'honorer, il faut que l'on l'adore. CLIMANTE. M'en dussiez vous haïr, je puis vous assurer,De ne dire jamais que je veux l'adorer.Sachons plutôt comment je ferai mon ouvrage. ORONTE. Mais la voici qui vient avec le personnage. SCÈNE III. Climante, Oronte, Olympe, Ariste. ORONTE. Vous trouver sans Lisette, et de plus avec lui ? OLYMPE, d'un air enjoué. Je voudrais y pouvoir être tout aujourd'huiEn est-ce assez ? ORONTE. C'est trop ; mais dans la promenade,De quoi vous parlait-il ? OLYMPE. [Note : Sérénade : Concert que l'on donne la nuit sous les fenêtres d'une maîtresse.]De donner sérénade. ORONTE. Quand ? ARISTE. Un de ces matins. ORONTE. Sans faute ? ARISTE. C'en est fait. ORONTE. S'il n'a dit que cela, je reste satisfait ;Mais il a l'autre jour promis la comédie,Et ne s'en souvient plus, il faut que je le dise. ARISTE. Ne tâchez point par là de me perdre d'honneur,Je m'en dois souvenir si j'en fais mon bonheur [Note : Rodogune : Tragédie de Pierre Corneille, représentée la première fois au Théâtre du Marais en 1644. ]Si vous voulez demain venir voir Rodogune ;Les vers en sont fort beaux, l'intrigue peu commune,Et surtout cette mère a de grands mouvements. OLYMPE. Encor dites nous en quelques beaux sentiments. ARISTE. Il ne m'en souvient plus. OLYMPE. Mais encore ? ORONTE. De grâce. ARISTE. Je sais bien qu'elle dit mes enfants prenez place. ORONTE. Au moins je la veux voir et Pancrace avec moi. ARISTE. Allez je vous réponds de la loge du RoiVous verrez mon crédit. ORONTE. Surtout la sérénade. ARISTE. Vous m'y verrez moi-même ou je serai malade. SCÈNE IV. Oronte, Olympe, Climante. ORONTE. Ces vers pour un jaloux ... OLYMPE. Il me les a promis.Hé bien ! ORONTE. Pour vous louer on trouve des amis.Climante prend sur lui cette charge agréable, D'autant plus aisément que l'objet est aimable. CLIMANTE. Que dirai-je pour être en tous vos sentiments, Dites moi... ORONTE. Nommez vous le Phoenix des amants ?[Note : Jouer : Tromper autrui afin de s'en moquer.]Et pour jouer Ariste avec un peu d'adresse,Traitez moi de jaloux auprès de ma maîtresse,Dites que ma présence est cause quelquefoisQue vous avez perdu l'usage de la voix : Et que mourant d'amour auprès de cette belle,Vous n'osez témoigner la moindre ardeur pour elle ;Mais surtout que ce soit sous des noms empruntés. CLIMANTE. A la fin je conçois ce que vous souhaitez,Je dois parler ainsi faisant parler Ariste Qui récitant ces vers sous le nom de Caliste,Croyant parler pour soi fera l'amour pour vous,Et sera par ce trait l'amant et le jaloux. ORONTE. D'une mauvaise adresse avec celle que j'aime,En me croyant jouer, il se jouera lui-même. OLYMPE. Quel plaisir de lui voir contrefaire le fin ? ORONTE. Au moins nous en rirons. CLIMANTE. J'y vais mettre la main,Un tour dans cette allée achèvera l'ouvrage.L'agréable travail où mon rival m'engage ! SCÈNE V. Oronte, Olympe. ORONTE. Hé bien commencez vous de respirer ici, Et pour moi votre esprit n'est-il pas adouci ? OLYMPE. Dans la mélancolie où vous m'aviez plongée,Je confesse qu'enfin je vous suis obligée ;Et pour me divertir tant de bons traitements,Ont bien droit d'effacer mes mécontentements. ORONTE. Après l'enlèvement que l'amour me fit faire,Mon respect est si grand, qu'il n'est pas ordinaire,Et loin de vous presser, OLYMPE. Je le reconnais bien.Aussi ne pensez pas qu'il ne serve rien,Et tenez assuré qu'une âme généreuse En payant un bienfait se tient toujours heureuse.Vous prenez trop de soin pour chasser mon ennuiAriste... ORONTE. Il faut lui faire une pièce aujourd'hui.Dites lui que ce soir je dois souper en ville,Que de vous voir la nuit il sera très facile ; S'il veut entrer chez vous sous l'habit d'un archerPendant Climante et moi nous irons nous cacher,[Note : Conciergerie : Bâtiment de l'île de la Cité à Paris dans lequel se trouvait une prison.]En ces logis voisins de la Conciergerie,Où des gens apostez pour cette raillerieDe ce déguisement lui demandant raison Feindront de le vouloir mener dans la prison ;Et nous qui paraîtrons dedans cet intervalleL'ayant tiré des mains de ceux de la cabale,Le bernerons d'avoir hasardé son trépas, Pour vous aller trouver lorsque je n'y suis pas. OLYMPE. Mais archer ? ORONTE. Dites lui que c'est le mieux du mondePuisque dans ce quartier le Guet faisant sa ronde,Il peut roder ici sans être reconnu. OLYMPE. Mais ces archers... ORONTE. Sauront ce qu'est cet ingénu. SCÈNE VI. Olympe, Oronte, Climante. OLYMPE. Climante vient. ORONTE. Hé bien la Stance est-elle faite ? CLIMANTE. Non, j'ai trouvé là bas Pancrace avec LisetteQui se parlaient si haut que troublant mon objetJe n'ai pu seulement qu'en tracer le projet.À peu près en ces mots, j'exprimerai sa flamme,Il n'est rien de si beau que les yeux de Madame, Ces charmants ennemis de notre libertéSont les divins auteurs de ma captivité,Et tout ce que la Terre a de plus admirableNe saurait égaler ce chef-d'oeuvre adorable :Aussi mes seuls respects, mes pleurs, et mes soupirs Seront les confidents de mes brûlants désirs,Et par quelques endroits que mon coeur soit sensible,Je souffrirai mon mal sans le rendre visible,Et dévorant les feux dont je suis consomméMourrai sans m'expliquer devant l'objet aimé ! Trop heureux ! Si l'amour dérobait à ma vueUn jaloux obligeant dont le regard me tue,Qui d'un zèle importun et d'un soin odieuxM'accompagne sans cesse, et m'observe en tous lieux,C'est le supplice affreux dont un destin contraire Punit les beaux excès d'un amour téméraire,C'est l'obstacle éternel qu'oppose à mes désirsLe mortel ennemi de mes plus doux plaisirs,Et dedans les transports de l'ardeur qui m'enflamme,C'est l'effroi de mes yeux et l'horreur de mon âme ! ORONTE. Nous en aurons tantôt un plaisir assez doux ;Mais redonnez encor quelque touche au jaloux. OLYMPE. D'effet, redonnez lui quelque nouvelle touche. ORONTE. L'arrêt est prononcé d'une trop belle bouche,Tenez donc pour certain que vous m'obligerez D'en dire plus de mal que vous n'en jugerez,Plus vous lui donnerez moyen de nous en dire,Plus vous nous donnerez sujet de nous en rire. OLYMPE. Il croira vous jouer sous ce nom de jaloux. ORONTE. C'est en quoi le plaisir en doit être assez doux. CLIMANTE, à Olympe. En effet nous verrons travailler sa finessePour dire je vous aime, avec un peu d'adresse,Et pour accompagner ces discours amoureuxD'un geste et d'un regard qui vous parlent comme eux. ORONTE. Passant pour le plus fin dedans sa fantaisie, Quel plaisir de lui voir blâmer la jalousie,Et de notre équivoque ignorant tous les noeuds Se jouer de lui-même en riant de nous deux ? CLIMANTE, à Olympe. Je le crois déjà voir pour peu qu'il réussisseDevenir glorieux d'un mauvais artifice Alors qu'il vous dira, j'adore vos appas.Je vous parle d'amour, et l'on ne m'entend pasDans les divers efforts du feu qui me dévore,Je puis en liberté dire, je vous adore,Et mon bonheur enfin va jusqu'au dernier point, Puis qu'un rival m'écoute, et ne me comprend point.Ce sont les mêmes mots que je veux qu'il vous die. OLYMPE. L'équivoque en plairait dans une Comédie. ORONTE. Mais souvenez-vous en, et ... CLIMANTE. Je vous le promets. ORONTE. La Dupe s'en rira. CLIMANTE. Le trait n'est pas mauvais. OLYMPE. Ce pendant que dirai-je à cet amant fidèle ? ORONTE. Que d'une forte ardeur vous payerez son zèle,Et récompenserez ses amoureux désirsDe tout ce que l'honneur vous permet de plaisirs. OLYMPE. bas. En tenant ces discours que sa prudence est forte ! CLIMANTE, bas. Qu'elle m'obligera lui parlant de la sorte ! ORONTE. Dieux ! Que j'aurai de joie en l'entendant parler ! OLYMPE, haut. Que j'aurai du plaisir à bien dissimuler ! CLIMANTE, bas. Que de ces mots adroits je lui suis redevable ! ORONTE. Mais allez commencer cet intrigue agréable, Cependant que flatté d'un assez bon succès J'écrirai pour savoir l'état de mon procès. CLIMANTE. Puisque mon rival veut que je parle, et que j'ose,Il aura beau plaider, je gagnerai ma cause. OLYMPE. Et de tout ce que j'aime ayant eu l'entretien Vous pourrez tout gagner sans que j'y perde rien. CLIMANTE. Enfin je puis parler, et mon bonheur ... OLYMPE. De grâce,Ne continuez point, je vois venir Pancrace,Que pour me délivrer il vient bien à propos ! CLIMANTE. Faut il que ce brutal traverse mon repos ? SCÈNE VII. Pancrace, Lisette. LISETTE. Quoi, pour moi ta folie est toujours sans pareille. PANCRACE en la poursuivant. Ah ! Cruelle ! Ah ! Bacchante ! Ah ! Scythique merveille ![Note : Bacchante : personnage infernal de la mythologie, nymphes nourrices du Dieu Bacchus.][Note : Scythique : du peuple scythe d'Europe centrale réputé cruel.]De l'élément nitreux le monstre le plus fierSe rendrait plus sensible en m'écoutant prier,Le discourtois Sarmathe, et le froid Sycophage Auprès de ton humeur n'ont rien qui soit sauvage ;[Note : Carydbe : célèbre gouffre, situé sur la côte N.E. de le Sicile, au S.O. de elui de Scylla dans le détroit de Messine. [B] Un des obstacles que franchit Ulysse lors de don Odyssée.]Le Sipille, ou Niobé, à l'âme de rocher,[Note : Scylla : nymphe aimée du dieux marin Glaucus. Circé, sa rivale, la changea en un rocher qui avait le forme d'un d'une femme. [B]]Du vent de mes soupirs se laisserait toucher.Ô Carybde amoureux ! Où je prévois l'orage.Ô Scylla dangereux où je ferai naufrage ! [Note : Lestrygon : peuple qui selon la fable , habitait la Sicile orientale, voisin des cyclopes. On en a fait des géants et des enthropophages. [B]][Note : Briarée : Un des géants qui attaquèrent le ciel, avait selon la Fable, cent bras et cinquante têtes. Il fut terrassé par Neptune et emprisonné sous l'Etna. [B]]Ô bel oeil sanguinaire ! Aimable Lestrigon,Qui surpasses en force et Briare, et Typhon,Aspre aimant de mon coeur, adorable Cyclope !Qui n'eut pas épargné l'amant de Pénélope,[Note : Typhon : Dieu égyptien frère d'Osiris, était le principe du mal, des ténèbres et de la sétrilité. [B]]Et veux ensanglanter les myrtes glorieux [Note : Ulysse est l'amant de Pénélope, compris comme celui qui l'aime.]Que cueille dans Paphos un coeur victorieux,À la fin tu me vois loin des ports et des rades. [Note : Paphos : Ville de l'île grecque Cypre, près de laquelle serait née Vénus.]À travers des écueils au dessous des PléiadesSans que j'y puisse avoir de plus doux réconfort,[Note : Auxilié : barbarisme signifiant aidé, assisté.]Que d'être auxilié par les traits de la mort, Cruelle, arrête un peu ! Ces regards homicides.[Note : Cocyte : ruisseau d'Epire aux eaux noires, considéré comme un des fleuves de l'Enfer.][Note : Euménides : nom donné aux Furies par antiphrase. [B]]Sont bons dans le Cocyte aux yeux des Euménides,Mais toi ? LISETTE. Le bel amant avec son poil grison ! PANCRACE. [Note : Éson : Père de Jason, chassé par son frère du trône d'Iolchos, fut rajeuni par Médée, femme de Jason. [B]]Je puis me rajeunir mieux que ne fit Éson,Et domptant la rigueur des fières destinées [Note : Cloton : (Clotho) le plus jeunes des trois Parques ; elle tient la quenouille et file la destinée des hommes. [B]]Dérober à Cloton le fil de mes annéesPar la rare vertu d'un savoir dominant,[Note : Altitonant : Jupiter.]Je confondrai mon être avec l'Altitonant :Et joignant le principe à sa cause première,J'emprunterai d'un Dieu l'éclat et la lumière Et devenu divin par sa réflexion,N'irai jamais de l'être à la privation. LISETTE. Tu n'es qu'un cajoleur avec tes balivernes ! PANCRACE. Je suis sot en effet souffrant que tu me bernes,Mais Ovide m'apprend dedans son art d'aimer Qu'au véritable amant rien ne doit être amer :Aristote m'a dit que notre âme enflamméeDoit bien moins vivre en nous que dans la chose aimée.Épicure a voulu que l'esprit de l'amantFît voeu d'être sensible aux plaisirs seulement. Platon a souhaité que notre âme obsédéeSe donnât toute entière à cette belle idée,Et moi qui les connais, et qui vaux mieux qu'eux tousJe veux tout endurer et tout souffrir pour vous. LISETTE. Le bel ameublement qu'un amant à calotte Voyez ce qu'il veut dire avec son Aristote,Sa piqure à Ploton, et ses brides à veaux,Que croit-il attraper avec ces mots nouveaux ?Vraiment vieux Rocantin vous me la baillez bonne,Ou ne haranguez point, ou ne raillez personne, Car si je ne suis pas la perle de Paris,Vous ne devez pas croire être le beau Paris. PANCRACE. [Note : Pelée : Fils d'Eaque, roi d'Egine. Ayant tué par mégarde son frère Phocus, il expatria et vint à la cour d'Eurytion, roi de Phtiotide, dont il épousa la fille. Il eut encore le malheur de tuer sans le savoir Eurytion à la chasse de Calydon, et il lui fallut subir un nouvel exil. (..) I épousa le nymphe Thétis fille de Nérée dont il eut un fils : Achille. [B]]Celle qui descendit de la voûte étoiléePour se faire admirer aux noces de Pelée,[Note : Mont Ida : Petite chaîne de montagne en Asie mineure. De l'Ida sortait le Scamandre, le Rhésus et le Granique. Troie était située au pied du mont Ida. [B]]Et fut après porter dessus le mont Ida, Le fameux différent que ce Grec décida,N'avait pas plus que vous d'appas hiéroglyphiques Pour donner à mon coeur des coups symptomatiques,Et celle qui fuyant les bras de MénélasRéduisit Ilion à dix ans de combats, [Note : Ilion : Troie][Note : Lares : dieux ou génies domestiques des Romains, chargés de protéger chaque maison et chaque famille. [B]]Et chassant de Priam les Lares domestiques[Note : Priam : roi de Troie pendant la guerre décrite dans l'Illiade.]Attacha son génie à des destins tragiques,Eût moins fait que vos yeux d'efforts herculiens,[Note : Herculiens : Herculéens, efforts produits avec la force d'Hercule.]Et n'aurait jamais pu me donner des liens,Car ce coeur que j'ai mis au rang de vos conquêtes [Note : Hydre : serpent monstrueux, né de Typhon et d'Echidna, séjournait dans les eaux du lac de Lerne en Argolide. Il avait sept têtes et chacune repoussait à mesure qu'on le coupait, à moins qu'on ne brûlat immédiatement la plaie. [B]]En bonnes qualités est un hydre à cent têtes,Et quand de ses vertus un gros est abattu,Il en renaît un autre avec plus de vertu.Jugez s'il est aisé de lui donner la gêne,Et ce que peut l'objet qui le met à la chaîne ? LISETTE. [Note : Harlequin : Farceur, bâteleur : c'est le nom qu'on donne au bouffon à la Comédie italienne, aux valets des Dandeurs de corde, etc. et qui ont des habits bigarrés, et chargés de pièces de différentes couleurs. [F]]Moi ! Je pourrais aimer ce nez de harlequin,[Note : Bouquin : vieux débauché. [T]]Ce poil de goupillon, et cet oeil de BouquinPour attraper la miche allez à l'autre porte. PANCRACE. Aimable et cher objet, traitez moi d'autre sorte,L'ironie est choquante à l'esprit d'un amant Qui n'a pas reconnu qu'on l'aime infiniment,[Note : Catachrèse : terme de grammaire, c'est une figure de mots qui est la première espèce de métaphose. [F]]Après l'énormité de cette catachrèse,Qu'un propos moins acide en ma douleur m'apaise Et qu'un trait de vos yeux me redonne le jour.Cette vicissitude est plaisante en amour, [Note : Antithèse : figure de rhétorique qui consiste en un lien, ou oposition de mots, et de memebres de périodes. [F]]Que si vous affectez de parler par figure,Ou que vous en usiez par instinct de nature,Chérissez l'antithèse, et pour parler d'amour,[Note : Tapinose : litote, atténuation.][Note : Kacozelle : vieux mot qui signifiait autrefois un zèle indiscret et trop ardent. [T]]Prenez la tapinose, et l'énigme à son tour,Le Sarcasme est plaisant, fuyant le Kacozelle, [Note : Apophtegme : parole sentencieuse ou remarquable. L'apophtegme est un sentient vif et court sur quelque sujet, et une réponse prompte et aigue, qui cause du plaisir et de l'amdiration. [F]]L'apophtegme est savant, et l'hyperbole est belle,[Note : Hyperbole : figure de rhétorique qui augmente ou qui diminue excessivement la vérité des choses dont on parle. [F] ]Alors ... LISETTE. Adieu, Docteur. PANCRACE. Écoute ma raison.Un mot. LISETTE. Il faut aller balayer la maison. PANCRACE. [Note : Abstersif : En parlant de remède, qui est propre à nettoyer [Ac.]]Hélas ! Je voudrai bien que ton âme abstersiveChassât loin de mon coeur une douleur trop vive, Et qu'en y balayant des tristesses d'amour,Tu le fisses passer de la poussière au jour ! LISETTE. Bon, mais il faut aller faire mettre sur table. PANCRACE. Hélas, fais bien plutôt repaître un misérable !Et de mille douceurs lui faisant un festin, Fais le vivre d'amour, et change son destin ! LISETTE. Il faut que j'aille enfin ... PANCRACE. Quoi, poignarder Pancrace ? LISETTE. Faire allumer du feu dans la salle ; PANCRACE. Ah, de grâce !Ma chère Dulcinée, attends encor un peu,Et loin de t'en aller faire allumer du feu, Apaise dans mon coeur la dévorante flammeQui met mon corps en cendre, et consomme mon âme ! LISETTE, en voulant s'enfuir. Bon Dieu ! Je n'ai pas fait nettoyer le jardin,Monsieur criera tantôt. PANCRACE. Tu veux t'en fuir en vain,Et tu dois bien plutôt par ta grâce divine Arracher de mon coeur les soucis et l'épine,Et ne pas endurer qu'un chardon rigoureuxSe trouve avec le myrte, et le trèfle amoureux. LISETTE. Il faut faire apporter de l'eau de la fontaine,La rivière est mauvaise. PANCRACE. Hélas ! Belle inhumaine, Tu peux te satisfaire après tant de douleurs,Et ne prendre de l'eau qu'au torrent de mes pleurs,Mes yeux sont d'un canal l'inépuisable source :Et toi seul as pouvoir d'en arrêter la course ;Mais je ne parle plus qu'à la fille de l'air ! Elle a fermé l'oreille, et vient de s'en aller :Allons chercher l'écho de quelque antre sauvage,Et plaignons nous à lui d'un si sensible outrage. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Climante, Olympe. CLIMANTE. En vain j'ai pratiqué tout ce que la prudence,A de plus réservé dedans sa confidence ; En vain j'ai modéré toutes mes passionsPar la sage froideur des circonspections ;Et concerté mon coeur avecque mon visage,Pour ne rien découvrir de l'ennui qui m'outrage :En vain d'un jeune ami j'évente le secret, En vain je l'introduis à titre d'indiscret,Et le rends parmi nous un objet de risée ;Puis qu'enfin ma douleur n'en est pas apaisée,Et que je ne saurais trouver un seul moment,Pour vous entretenir et vous voir librement. OLYMPE. Feignons ... Quelle raison vous oblige à vous plaindre ?Ne me voyez vous pas si souvent me contraindreQuand je prête l'oreille à ce jeune innocentQui m'explique vos maux par les peines qu'il sent !C'est par votre moyen que j'apprends de sa bouche Le mal que nous souffrons lorsque l'amour nous touche !Et quand mourant du trait dont il nous sut piquer,On parle par énigme au lieu de s'expliquer !Je bénis toutefois un si beau stratagèmeQui me donne moyen de voir celui que j'aime ! Et le voir d'autant mieux que j'en prends pour témoinsCeux qui font les plus fins et qui le sont le moins.Ainsi donc puisqu'Ariste à toute heure me presse,Qu'il me suit en tous lieux et me parle sans cesse ;Pourquoi vous plaignez vous de me parler si peu Moi qui brûle au moment que vous êtes en feu ? CLIMANTE. Vous ayant fait résoudre à cette complaisance,D'ouir un ingénu parler de ma souffrance ;C'est assez en effet du bien que je reçoisLorsque j'oblige un autre à vous parler pour moi. OLYMPE. Ainsi vous agirez d'un air prudent et sageEt me donnerez lieu de vous voir davantage ;Car enfin il suffit qu'Ariste en ses discours Me parlant de ses feux m'explique vos amours.Le sot a mes faveurs pour les rendre à Climante ! CLIMANTE. L'adresse en est subtile. OLYMPE. Et n'est pas déplaisante.Donc sans faire un jaloux obligez désormais,Ariste de tout dire et ne parlez jamais ! CLIMANTE. Vous verrez mon amour dans mon obéissance. OLYMPE. Rien ne me plaît de vous à l'égal du silence. Et le profond respect que vous me témoignezDécouvre votre amour plus vous le contraignez. CLIMANTE. Voyez le donc souvent, cet Ariste ! OLYMPE. Ah Climante !Qu'il ne me quitte point et j'en serai contente ! CLIMANTE. Tout importun qu'il est, endurez ses soupirs ! OLYMPE. Je puis bien l'endurer s'il sert à mes plaisirs. CLIMANTE. C'est en quoi je vous suis doublement redevable. OLYMPE. C'est seulement à moi que je suis favorable. CLIMANTE. Que dois-je repartir à ce discours flatteur ? OLYMPE. Au moins s'il ne vous flatte, il est parti du coeur. CLIMANTE. Que je ressens de joie en ces douces contraintes ! OLYMPE. Que de douceurs amour accompagnent tes feintes ! CLIMANTE. Nous vivons sans donner aucun soupçon de nous. OLYMPE, voulant parler d'Ariste et d'elle. Nous nous aimons tous deux sans faire des jaloux. CLIMANTE. Donc pour continuer à soulager ma peine Flattez un ingénu d'une espérance vaine ;Et d'un peu de faveurs veuillez le consoler ;Afin qu'il ait toujours dessein de vous parler. OLYMPE. Pour avoir ce plaisir par une adresse extrême,Vous me verrez cent fois lui dire que je l'aime. CLIMANTE. Si vous continuez vous me rendrez confus. OLYMPE. Vous me verrez toujours la même que je fus. CLIMANTE. Ariste... Quelqu'un vient ? Rencontre déplaisante ! OLYMPE. Pour me dire le reste, envoyez-le, Climante ! SCÈNE II. Climante, Olympe, Lisette. LISETTE. Un marchand du Palais demande à vous parler. OLYMPE. Qu'il attende ! LISETTE. Il paraît pressé de s'en aller. CLIMANTE. Qu'il revienne tantôt ; ne plaignez point ses peines. LISETTE. [Note : Linger : marchand qui vend de la toile ou du lin ; ou l'ouvrier qui le fait, qui le taille qui le ourle, qui le dresse. [F]]Un linger vient d'entrer avec des points de Gênes. OLYMPE. Qu'il s'en aille ! J'irai le voir en sa maison. LISETTE. Le renvoyer cent fois c'est être sans raison ! On n'a point de pitié des pauvres gens ! OLYMPE. Lisette !J'y vais ? c'est m'épier d'une façon adroite. CLIMANTE, montrant le Docteur qui vient. Encore un surveillant ? SCÈNE III. Climante, Lisette, Omympe, Pancare. PANCRACE, à Climante. Quatre mots, s'il vous plaît.Mon maître vous expecte, et dit que tout est prêt :Qu'il a vu les archers, et qu'il est tantôt l'heure [Note : Badaud : sot, niais, ignorant. [F]]D'attendre le badaud. CLIMANTE. Nous rirons, ou je meure.Allons Madame ! OLYMPE. Allons. PANCRACE, arrêtant Lisette qui s'en va. Quoi sans amour toujours ? LISETTE. Adieu je ne veux point ni d'amant ni d'amours. PANCRACE. Mais ce grand Dieu pourtant anime toutes choses,L'être, aime son principe, et les effets leurs causes La nature l'instinct, l'astre son ascendant,La matière la forme, et le corps l'accident.Lui seul fit ce grand tout, de contraires parties,Calma les éléments dans leurs antipathies :Et formant l'union de leurs diversités, Sut faire un composé des quatre qualités. LISETTE. Mais au moins ... PANCRACE. Le soleil amoureux de la terre,En tire les vapeurs dont il fait le tonnerre ;Et la décharge ainsi des esprits empestés Qui pourraient l'infecter ou ternir ses beautés L'hiver que nous croyons l'ennemi de nature,Est de sa passion la vivante peinture.Et dessous les glaçons, la neige et les frimas,Tient en bride le feu qui s'exhale d'en bas ;Et l'ayant condensé fait germer la semence, Qui nous donne les fruits, et produit l'abondance.C'est l'esprit animant de l'être sensitif,Et du rationnel et du végétatif. LISETTE. Adieu. PANCRACE. [Note : Néréides : Divinités fabuleuses des païens, qu'ils coyaient habiter les mers. On voit leur noms, et leurs généalogies dans Hésiode en sa Théogonie. [F]]Les vents qui font trembler les Néréides,Les obligent d'aller dans leurs grottes humides, Pour y ressusciter les tritons langoureux,Et piquer les poissons d'un instinct amoureux.Les arbres aiment l'air, et leurs têtes superbes,Faisans hommage au ciel, parlent d'amour aux herbes.Bref tout ce qui subsiste, ou ce qui voit le jour, Reconnaît la nature, et conçoit de l'amour. LISETTE. Tout ce que tu me dis ne servira de guère. PANCRACE. Que s'il faut m'abaisser aux exemples vulgaires,Et me servir ici des termes triviaux,Tu connaîtras qu'en tout je n'eus jamais d'égaux. Les poissons aiment l'eau, l'oeil aime la peinture,La terre les métaux, les plantes la verdure ;L'ombre chérit la nuit, le silence les bois,Les rochers les déserts, et les échos la voix,Le dauphin la baleine, et la conque la perle, Le singe la guenon, et la grive le merle,La chienne le mâtin, la félice les chats,La fourmi son semblable, et les souris les rats,L'éperon la mollette, et le fourreau l'épée,L'écuyer son cheval, et l'enfant sa poupée ; Et moi qui suis docteur in utroque juré,Je n'aime que toi seule, ou le bonnet quarré. SCÈNE IV. PANCRACE, seul. Elle fuit ! Et je suis féru, Ma poitrine est mortiférée, Et d'Amour la flèche acérée Me va rendre l'esprit bourru; Mon étude est bouleversée. Ma capacité fracassée ; Et dedans mon individu Avec le sel et le mercure Tant de souffre s'est confondu : Que sous un zénith morfondu, J'y pourrais brûler la nature. Ce brasier est si violent Que par sa vertu spécifique, En m'échauffant d'un feu centrique Je suis un Vésuve brûlant; Hypostase : Terme de théologie. Suppôt, personne. De sa consommante hypostase Antipéristase : actions de deux qualités contraires, dont l'une augmente la force de l'autre. Se forme un antipéristase Avecque ma froide raison ; D'où vient la foudroyante flamme Qui sans espoir de guérison Produit cet amoureux poison Qui détruit mon corps et mon âme. Clair rayon plus pur que le jour Esprit de mes savants ancêtres Qui pour tant de différents êtres N'avez jamais conçu d'amour ! Souverain des Métamorphoses, Arbitre des métempsycoses, Dieu des savants et du savoir, Si dans moi ton âme est passée Que peux tu dire de la voir, Si honteusement concevoir L'accident dont elle est forcée ? Vous qui n'avouiez pour vrais biens, Que ceux qui semblent impossibles, Nobles et divins insensibles, Stoïcien : philosophe grec. Miraculeux stoïciens, Mondicant : qui est acide et piquant. [F] Qui des passions mordicantes, Réprimiez les flammes piquantes, Éclairez mon entendement D'un rayon de votre lumière ! Pour lui rendre son élément, Et le dégager noblement Des faiblesses de la matière ! Mais ô déplorable rigueur ! Il faudrait une main divine Errynies : personnages de la Myhtologie autrement nommées Furies. Pour chasser l'amoureuse Erynne Qui met tout l'enfer dans mon coeur : Cette furie est si fatale, Qu'avec toute votre cabale Vous n'y pourriez pas un fétu ; Mes poumons perdent leurs haleines. Mon coeur en est tout abattu Et mon sang restant sans vertu Coule tout nitreux dans mes veines. Mais quelqu'un vient ici, fuyons. SCÈNE V. Ariste, Olympe, Jodelet. ARISTE, seul, le nez dans son manteau et faisant signe à quelqu'un de se cacher. La nuit est sombre ;Et je puis m'introduire à la faveur de l'ombre ;Chut ; l'on ne m'entend point, hem, hem. OLYMPE. Je suis à vous. ARISTE. Hé bien ! OLYMPE. Ils sont allez faire les loups-garous,Et croient vous jouer une pièce excellente. ARISTE. Pour les contre-jouer d'une façon galante,J'ai fait au lieu de moi déguiser Jodelet,[Note : Poulet : signifie aussi un petit billet amoureux qu'on envoie aux Dames galantes, ainsi nommé, parce qu'en le pliant on y faisait deux pointes qui representaient les ailes d'un poulet. [F]]Qui loin de vous porter un amoureux poulet, Tient un écrit tout plein d'excuses ingénuesPour ne pouvoir venir à ces heures indues,Où je vous dis qu'étant fort brave cavalierJe ne veux rien de vous de si particulier :Et que craignant de voir votre amitié bornée Lorsque je ne viens pas suivant l'heure donnée,Pour rendre en ma faveur votre esprit adouci,J'ai fait des bouts rimés, que j'ai décrits aussi. OLYMPE. Ils les y surprendront. ARISTE. Par cette raillerie,J'enchéris galamment dessus leur fourberie ; Car enfin ces badauds en m'en tenant plus sot Ne me croiront pas homme à vous dire le mot ;Et me voyant aimer avec tant d'innocence,Me laisseront enfin agir sans défiance. OLYMPE. Voyant votre valet ils seront bien trompés. ARISTE. Et ceux qui le prendront encor plus attrapés. OLYMPE. Ils pensent qu'ils feront manquer la sérénade,Et qu'ils vous berneront après cette cassade. ARISTE. Je tiendrai ma parole et les duperai tous,Mais quand pour me jouer ils s'éloignent de nous, Profitons de ce temps et jusqu'à l'heure expresseQue vous savez qu'il faut, que Jodelet paraisse.Trouvez bon que mon âme en ses justes désirsDonne quelque passage à mes brûlants soupirs,Et que dans les excès du feu qui la dévore Elle vous fasse voir comme elle vous adore,Et ne soutient jamais votre divin aspect,Sans changer son amour en un profond respect. OLYMPE. À des conditions je veux vous le permettre. ARISTE. Qui sont ? OLYMPE. De me montrer les vers de votre lettre. ARISTE. Le cachet ?... OLYMPE. Mais par coeur vous le devez savoir ! ARISTE. Pour m'en ressouvenir je ferai mon pouvoir.J'y suis...les rimes sont figue, jaloux, et ligueVerrous et brigue et choux intrigue avec filousEt bête avecque fête et maison et monnaie Et les deux derniers sont oison avecque joie. SONNET. Je te dépite amour et je te fais la... figue, Depuis que j'ai trouvé pour tromper mes... jaloux, Le secret merveilleux de détruire leur... ligue En leur ôtant le droit des clefs et des... verrous ; Ils ont beau gouverner la beauté que je... brigue Leurs gardes servent moins que des feuilles de... choux, Puisque nos coeurs unis sont bien mieux dans... l'intrigue Qu'on ne voit le marais avecque les... filous. Sous le pretexte faux de jouer à la... bête Souvent du Dieu d'amour nous célébrons la... fête; Et sommes tout un jour maîtres de la... maison, Et quand mon rival vient et me voit sans... monnaie Par quelques quolibets il témoigne sa... joie, Et me croit un cheval quand il n'est qu'un... oison. Puis je mieux m'expliquer à moins que je le nomme ? OLYMPE. Je les trouve trop beaux pour sentir le jeune homme.Ôtez les... ARISTE. C'est en vain que vous vous alarmez ! OLYMPE. Pourquoi ? ARISTE. Ne craignez rien ce sont vers imprimésEt j'avais concerté cette seconde adresse, Pour les duper encor avec plus de finesse,Et m'établir chez eux pour fat au dernier point. OLYMPE. Sans mentir votre esprit. ARISTE. Ne complimentons point.Et pendant qu'on prendra Jodelet pour son maîtreLe menant à l'endroit où les fins doivent être : Puisqu'il leur faut du temps pour aller et venir,Servons nous en du moins pour nous entretenir. SCÈNE VI. JODELET, seul sous l'habit d'un Archer. Amour jeune falot, petit monstre fantasque,Qui pour nous attraper court toujours mieux qu'un basque;Et faisant de nos coeurs un amoureux tison, Mets enfin tôt ou tard le feu dans ta maison ;N'es-tu pas satisfait de me voir de la sorte ?Ne ris-tu point de voir les armes que je porte ?Et n'es-tu pas enfin un plaisant maroquin[Note : Casaquin : petite casaque. Il n'est en usage qu'en cette phrase proverbiale : "on lui a donné sur le casaquin" ; pour dire, on l'a battu. [F]]De m'avoir engagé dessous ce casaquin ? Par toi je suis archer, mais un archer sans gage,Par toi je suis soldat, mais soldat sans courage ;Par toi je suis amant mais amant sans amour ;Et par toi je produis sans mettre rien au jour ;[Note : Donzelle : terme burlesque qui se dit pour demoiselles ; mais il est odieux et offensant ; et se prend ordiinairement en mauvaise part. [F]]D'un jeune enamouré qui va voir sa donzelle Sans être en faction je suis la sentinelle ;Et des pièces d'amour, dont il est l'inventeur,Je serai la machine alors qu'il est l'acteur :[Note : Hallebarde : arme d'hst offensive, composée d'une long fût ou bâton d'environ cinq pied, qui a un crochet ou un fer plat et échancré aboutissant en pointe, et au bout une grande lame de fer fot aigue. [F]]Je suis par le secret de cette hallebarde Caporal, et sergent, soldat et corps de garde ; Et seul faisant le tout dans un si bel emploiToute la compagnie est au-dessous de moi ;Mais sais-je bien jouer de cette arme ferréeQui chez nos bons bourgeois est si considérée ?Et que mon vieil voisin appelle un bon bâton ? Au diable, je me suis écorché le menton :Et pour peu que je veuille en faire davantageJe reconnaîtrai bien que je ne suis pas sage.[Note : Gruyer : Se dit figurément d'un homme qui est habile en son métier, en quelque profession. Il faut aller consulter ce vieux Advocat, il est gruyer en cette matière. [F]]Si faut-il toutefois faire le moulinet,Hé bien ! le tour est vite et l'écart est bien net ; J'y suis un peu gruyer, et j'en ferais la nique[Note : Courtaux de boutique : Commis marchand. [L]]Au plus mauvais garçon des courtaux de boutique.Mais à quoi m'amusai-je, amour peste aux écus[Note : Bacchus : Dieu de la mythologie, des vendanges.]Petit cousin germain du bon père Bacchus ;Qui force les clients qui voguent sous ton aile [Note : Escarcelle : grande bourse de cuir à l'antique, qui se fermait à ressort avec du fer. [F]]À prendre un vomitif qui vide l'escarcelle ;[Note : Ducat : monnaie d'or et d'argent qui est battu dans les terres d'un Duc, et qui vaut environ un écu en argent. [F]]Fais couler jusqu'à moi quelques méchants ducats !Donne moi le moyen d'aller vider les plats[Note : Dieu des pintes : Dieu des boissons, Bacchus.]Et d'aller m'esbaudir avec le Dieu des pintesEt te sacrifier des chants au lieu de plaintes Exauce mes souhaits, amour écoute moiPuisque je suis archer aussi bien comme toi ;Nous sommes compagnons et devons ce me sembleTravaillant l'un pour l'autre, aider qui nous ressemble !Nous de la ressemblance, Ah fat au dernier point ! J'ai des yeux qui sont bons, et toi tu n'en as point !D'un cocuage encor nul mari ne me blâme,Et ma mère après tout est fort honnête femme.[Note : Archerot : vieux mot, qui signifie petit archer. Les poètes donnaient autrefois cet épithète à Cupidon. [F]]Non, non je suis archer, tu n'es qu'un archerot ;Je suis fort honnête homme et tol tu n'es qu'un sot. Au diable soit l'amour, avec la hallebarde ! SCÈNE VII. Le Caporal, Jodelet. LE CAPORAL. La Verdure. JODELET, bas. [Note : Motus : injonction de se taire.]Motus. LE CAPORAL. Venez au corps de garde ? JODELET, bas. Commande à tes valets. LE CAPORAL. Si je vais jusqu'à vousDans ma mauvaise humeur je vous rouerai de coups.Ces fainéants s'en vont, et font les galants hommes. Chacun veut être maître en ce siècle où nous sommes,Il semble que le mal ne soit que pour les vieux. JODELET, bas. Ce vieillard à l'entendre est bien séditieux ! LE CAPORAL. Vous le dirai-je encor, JODELET. Qu'il aime la querelle ! LE CAPORAL s'avance avec sa lanterne. Voyons, qu'attends-tu là ? JODELET. Je fais la sentinelle. Peste ! LE CAPORAL, bas. Ce n'est pas lui, je le reconnais bien !Ton nom ? JODELET. C'est Jodelet, LE CAPORAL. Et que fais-tu là ? JODELET. Rien. LE CAPORAL. À quoi bon cet habit ? JODELET. C'est pour servir mon maître. LE CAPORAL. C'est un voleur, suis moi. JODELET. Je ne suis pas si traître.Ne vous l'ai-je pas dit, je suis en faction. LE CAPORAL. Mais nous voulons savoir quelle est ta fonction ?Et pourquoi ? JODELET. Quelque sot s'en irait vous le dire. LE CAPORAL. Ce matois fait le fol ! Il n'est pas tant de rire.Sors de là ! JODELET. J'y serais jusqu'à demain matin.A d'autre, vieil ami, vous m'éprouvez en vain : [Note : Branler : Se mouvoir en deçà et en delà, chanceler, ne pas tenir ferme. [F]]Je n'en branlerais pas pour gagner un Empire.[Note : Doint : ancienne forme du subjonctif présent du verbe donner.]Dieu vous doint tout le bien que votre coeur désire,Encor, Dieu vous assiste, et bonsoir. LE CAPORAL. Grand merci.Qu'il prenait bien son temps, pour s'évader d'ici !Il me faut suivre ami. JODELET, en le flattant. [Note : Berlaud : Nigaud bête niais, stupide.]Le Belaud, qu'il est drôle ! LE CAPORAL. Pourquoi m'as tu donné ce coup dessus l'épaule ? JODELET. Pour mon plaisir. LE CAPORAL. C'est trop endurer de ce sot.Hola, quelqu'un à moi. JODELET. Ventre, ne dites mot !Vous pourrez par ce bruit faire tort à mon maître. LE CAPORAL. Hola hé ! JODELET. Par la mort. LE CAPORAL. Qu'on saisisse ce traître ! JODELET. Ne parlez pas si haut, amis vous êtes vous.Mon maître... LE CAPORAL. Il faut marcher. JODELET. Quelle grêle de coups !Au meurtre, l'on m'assomme, on me vole, on me tue !Au diable soit l'amour, la maison et la rue ![Note : Casaquin : petite casaque qui est un manteau.]Lettres, message, ami, maîtresse, casaquin, Sentinelle, poignard, hallebarde et rouquin. ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Oronte, Pancrace. ORONTE. Je te l'ai déjà dit, fais donc ta diligence ;Je viens de recevoir nouvelles de ProvenceQue l'on se peut douter du chemin que j'ai pris.Tiens tout prêt. PANCRACE. Sans regret je quitterai Paris. Ce climat tempéré n'est bon qu'au cocuage. ORONTE. Cesse, pour engager Olympe en ce voyageDemain seul avec elle allant me promener[Note : Saint-Denis : Ville au nord de Paris.]Auprès de Saint-Denis tu nous feras menerQuatre chevaux tous prêts pour rejoindre aux deux nôtres, Puis... PANCRACE. Et moi ? ORONTE. Tu viendras après avec les autresFeras monter mes gens, prendras soin de mon train,Mettras ordre partout, et suivras mon chemin :De plus ayant besoin de déguiser l'affaireDans chaque hostellerie il te faut dire père De la jeune beauté que j'emmène avec moi ;C'est dans ces tours d'esprit que j'ai besoin de toi. PANCRACE. Comme un caméléon. ORONTE. Je t'entends cher Pancrace.Si dés lieux où je vais quelqu'un suivait la traceApprenant en l'état qu'on m'aura vu passer Par ce déguisement il peut s'embarrasser :Le nom de père enfin.... PANCRACE. [Note : Fourbe : tromperie, déguisement de la vérité. [F]]La fourbe est assez bonne. ORONTE. Moi pour ne témoigner mes desseins à personne,Je vais avec Climante encore raisonnerPour berner notre fat, qui s'apprête à donner Dans deux heures d'ici sa belle sérénade. PANCRACE. À faute de dormir vous vous ferez malade. ORONTE. N'importe, mais surtout choisis un bel habit,Pour jouer comme il faut le rôle que j'ai dit.Entre, Climante vient. SCÈNE II. Oronte, Climante. ORONTE. Hé bien ! S'en raille-t-elle ? CLIMANTE. Oui de nous voir trompés. ORONTE. Ô l'amant plain de zèle !Qui n'ose venir voir sa maîtresse le soir ? CLIMANTE. Qu'importe, il envoyait son valet pour la voir. ORONTE. Vraiment c'est un galant qui se sent des écoles. CLIMANTE. Encor que dites-vous de ces belles paroles, Dont sa lettre est remplie ? ORONTE. Et des vers imprimés ? CLIMANTE. C'est le plus grand des sots que nature a formé. ORONTE. Il le faut achever avec la sérénade. CLIMANTE. Sans doute il y fera quelque bonne incartade. ORONTE. Il s'y faut préparer. CLIMANTE. Le tour sera d'esprit. SCÈNE III. Oronte, Climante, Lisette. ORONTE. Dis nous que fait Olympe à présent ? LISETTE. Elle écrit. ORONTE. Il faut voir ce que c'est. LISETTE. Ne faisant que d'écrire,Je vous cherchais partout afin de vous le dire. ORONTE. Tu m'obliges. LISETTE. Je suis entièrement à vous. ORONTE. Allons. LISETTE, seule. Ai-je dessein de mourir de la toux ? Et la fraîcheur qui vient de l'air et de la terre[Note : Caterre : terme de médecine . Fluxion et distillation d'humeur sur la visage, sur la gorge, ou sur quelque autre partie du corps. [F]]Pourrait-elle être bonne à guérir mon cathere ?Moi chercher un valet ! Et me mettre en danger,En perdre pour le voir, le boire et le manger,[Note : Martel : vieux mot qui signifiait autrefois marteau, qui se dit encore en cette phrase. Il a martel en tête ; pour dire, il a quelque chose qui lui donne du chagrin, du souci, de l'inquiétude, de la jalousie. [F]]Avoir martel en tête, et la puce en l'oreille ; Dont le bourdonnement à toute heure m'éveille,Et m'amaigrit si fort qu'avant ce renouveauJe pense que les os me perceront la peau.Ah ! De dépit j'enrage, et de regret j'en pleure ;A-t-il le chien qu'il est résolu que j'en meure ? Ah folle que je suis d'aimer trop ce lourdaud !Encor s'il était beau : mais ce n'est qu'un badaud.Et quelque long chagrin qui m'ait défigurée,Je ne suis pas si sotte et pas tant déchirée,Que je ne vaille bien un amour mutuel. Vraiment c'est bien à lui de faire le cruel,[Note : Nasonner : Parler du nez.]Mais c'est lui que j'entends qui nasonne et qui gronde. SCÈNE IV. Jodelet, Lisette. JODELET, en lui-même songeant comme il avait été pris des archers. Oui, Jodelet sans eux tu n'étais plus au monde.Quelle commission mon maître me donna ?Et m'envoyer encor nonobstant tout cela Attendre ici des gens pour donner sérénade. LISETTE. Roder ici la nuit, tu te feras malade. JODELET. [Note : Suppôts de l'archer : probablement les violonistes.]Je viens attendre ici des suppôts de l'archet. LISETTE. Que ne viens-tu pour voir celle qui t'y cherchait ? JODELET, s'en veut séparer. Que l'on me cherche ou non, ma foi pour te le dire, Laisse-moi, l'on n'est pas toujours d'humeur à rire. LISETTE. Te priant d'arrêter tu me refuserais ? JODELET. Je voudrais t'obliger, mais je ne le saurais. LISETTE. À d'autres yeux qu'aux tiens je ne suis pas tant laide. JODELET. Pour me guérir d'amour tes yeux sont un remède. LISETTE. Si mes yeux sont ardents et sont rouges de feu,C'est de celui d'amour. JODELET. De grâce éteins-le un peu,Avec le vermillon dont ton oeil gauche éclateTu pourrais d'un regard me teindre en écarlate.Trêve de compliment. LISETTE. Ô mon cher Jodelet, Mon bedon, mon fanfan, mon poupon, mon valet. JODELET. Ah ! Ne me touche point avecque tes mains sales. LISETTE. Es-tu si délicat ? JODELET. [Note : Galles : croûtes. [L]]Peste, je crains les galles. LISETTE. Écoute encor un mot. JODELET. Parle donc ! LISETTE. Mais... JODELET. Hola.Adieu ton mot est dit. LISETTE. Pour t'arrêter donc-là, [Note : Lippées : grosse lèvre et qui avance au-dehors. Lippée signifie au propre : autant de viande qu'on en peut emporter avec la lippe sur les lèvres». [F] ]Je t'en conjure enfin par ces franches lippées,Par ces bribes de pain dedans le pot trempées,Par ces soupers gardés, quand tu venais si tard,Et que dessous mon nom je faisais mettre à part ;Par ces deux bouillons faits quand tu pris médecine Un jour que je te vis malade en la cuisine :Bref, par tout ce qui peut d'un gosier altéré,[Note : Rogue : superbe, fier, altier, méprisant, peu courtois. Il n'ets ne usage que dans le style familier. [F]]Plus que l'or et l'argent être considéré.Hélas ! pour adoucir ton humeur rogue et fière Que le ciel ne m'a-t-il fait naître sommelière, [Note : Arbois : nom d'un cepage comme le muscat.][Note : Grave : on appelle vin de grave, un certain vin d'un rouge foncé, que beaucoup de gens trouvent excellent pour la santé. Il croît dans un petit pays qui s'appelle Grave, et qui est aux environs de Bordeaux. [F]]Peut être que l'arbois, le grave et le muscatNe te permettraient pas d'être si délicat. JODELET. En as-tu ? LISETTE. Non. JODELET. Adieu, je vais coucher en ville. LISETTE. [Note : Gabatine : galimatias, promesse ambigue, et faite en se moquant, qu'on ne veut pas tenir, tromperie. [F]]La gabatine est franche, et la ruse est subtile. JODELET. Tu m'as tout déchiré. LISETTE. Tu ne t'en iras point. JODELET. [Note : Racoutrer : Accomoder, rapiécer. Il se dit proprement des habits. [F]]Donne moi donc de quoi racoutrer mon pourpoint. LISETTE. Ah ! Que d'or et d'argent n'ai-je une vive source,Tu pourrais disposer du coeur et de la bourse,Et je te montrerais en te saoulant de bienQue ce qui m'appartient est absolument tien. Cruel ! Loin de m'aigrir après de tels outrages Veux tu manger encor quatorze ans de mes gages ?Il n'est présents, épargne, étrennes ni profitQue mon amour n'immole à ton grand appétit. JODELET. Pourquoi différais-tu cette belle harangue ? Je veux aimer ton corps à cause de ta langue ;Et de quelques défauts qu'on te puisse blâmerSi tu parles toujours, je veux toujours t'aimer. LISETTE le tire à part, et lui parle à l'oreille. Pancrace vient, écoute. SCÈNE V. Pancrace, Jodelet. PANCRACE seul. Elle n'est pas sortie,Mes yeux se sont trompés, j'ai mal fait ma partie. JODELET. Pancrace. PANCRACE. Qui va-là ? Que viens-tu faire ici ? JODELET. Attendre le concert. PANCRACE. Je viens l'attendre aussi.Pour aller réveiller mon maître et ma maîtresse. JODELET. Tu le peux sans sortir. PANCRACE, bas ces deux vers. Il faut jouer d'adresse,Et ne pas témoigner que l'amour me menait ; Oui ; mais l'impatience au logis me prenait. JODELET. De vrai l'impatience est une étrange chose ! PANCRACE. [Note : Apothéose : cérémonie païenne qe faisaient les idolâtres pour mettre leurs empereurs [romains] au rang des Dieux. [F]]Elle perdra l'éclat de mon apothéose ! JODELET. Sans doute, mais encor que veut dire ce mot ? PANCRACE, en frappant sur l'épaule de Jodelet. J'aime les curieux. JODELET faisant l'habile homme. Je ne suis pas tant sot. Mais si tu veux parler modère toi, de grâce,Du latin j'en sais peu, mais pour du grès j'en casse. PANCRACE. L'apothéose donc est un grand changement,Qui d'un homme mortel fait un Dieu promptement. JODELET. Et combien vendrait-on l'once d'apothéose ? PANCRACE. Si l'homme la vendait ce serait peu de chose. JODELET. S'il en est sous le Ciel notre épicier en a,[Note : Diapalma : Terme de pharmacie. Emplâtre defficatif (...) composé d'huile commune, de graisse de porc, et de litharge d'or préparé. C'est l'emplâtre le plus utilisé pour les plaies et les ulcères. [F]]Il vend bien du mercure et du diapalma. PANCRACE. En voulant t'enseigner mon erreur est extrême,Mais je n'y prends pas garde, à cause que je t'aime. JODELET. De vrai, l'on dit qu'amour aveugle les esprits,Je crois qu'il fait du mal ! PANCRACE. Tu ne t'es point mépris.C'est un ver pétillant ennemi de la joie,Qui porte un grand désordre aux régions du foie,Et qui par le venin d'un esprit sulfuré, Corrompt le meilleur sang, et le plus épuré.C'est le funeste auteur de ces tristes ravages,Qu'excitent les désirs dans le coeur des plus sages ;Et le noir séducteur des belles passions,Par où l'honneur nous pousse aux bonnes actions. [Note : Flegme : En terme de médecine est l'une des quatre humeurs, dont les anciens disaient que la masse du sang était composée, et qui en ets la patie la plus crue, froide, humide et insipide.]Par un amas confus de flegmes et de bile,En offusquant l'organe il rend l'âme inhabile,L'attache à la matière, et fait qu'elle ne peutS'en rendre la maîtresse alors qu'elle le veut.Ce sont les sentiments, qui sont les moins vulgaires. JODELET. Si tu n'en sais pas plus, ma foi tu n'en sais guère.Et sans avoir appris de Grec et de Latin,Je sais bien que l'amour n'est qu'un fils de putain,Qu'un rustre était aimé de Madame sa mère,Et qu'il ne fut jamais à feu Monsieur son père. PANCRACE. [Note : Divin forgeron : Arès dieu des enfers dans la mythologie greco-romaine.]Ce divin forgeron, ce boiteux renommé[Note : Styx : Fleuve des enfers sur lequel Charron embarque les âmes pour les champs élysées.]Qui règne auprès du Styx sur un trône enfumé,Et qui prête la force au bras nerveux de Bronthe,[Note : Forligner : dégénérer, ne pas suivre la vertu, et le bon exemple de ses ancêtres, de ce dont on est issu ; faire quelque chose digne de leur race. [F]]Vit un jour forligner la Reine d'Amadonthe,Et dedans la prison des réseaux qu'il avait Fit voir à tous les Dieux l'affront qu'il recevait :Mais je soutiens enfin à tous gymnosophistes,Cosmographes du Ciel et tous mythologistes,Que l'enfant Cupidon voyait déjà le jourQuand Mars connut sa mère, et qu'il lui fit l'amour. JODELET. Hé bien ? PANCRACE. C'est un discours digne de ma colèreD'alléguer que l'amour est né dans l'adultère ;C'est une médisance horrible aux gens d'esprit[Note : Ovide : auteur latin qui acivite entres autres L'Art d'aimer.]Qui savent mieux que toi ce qu'Ovide en écrit.Ce subtil scrutateur des affaires du monde [Note : Pythagore : mathématicien grec à qui l'on doit la géometrie des triangles.]Qui suivit Pythagore en sa route profonde,N'osa pas insérer cet étrange discoursDans le plaisant tissu de ses folles amours ;Ce Dieu des chantres Grecs, et ce thébain lyrique[Note : Pindare : le plus grand poète lyrique grec né lan 520 avant JC à Thèbes en Boétie, mort vers lan 450. [B]]Par qui nous savons l'art de l'ode Pindarique, Soutient bien le contraire à la barbe de tous, Aussi je veux dans peu confondre ces vieux fous ;[Note : Atlas : Roi de Mauritanie, fils de Japet et de Clymène, fut selon la fable, transformé en montagne pour avoir pris parti pour les Titans contre Jupiter, ou pour avoir refusé l'hospitalité à Persée et fut obligé de porter la Ciel sur ses épaules. [B] [Au Roi-106]]Et prenant comme Atlas le fardeau sur l'épaule. JODELET, se lassant. C'est assez, concluons que l'amour est bon drôle.Tu te mets en colère ? PANCRACE. Est ce mal à propos ? [Note : Chaos : mélange confus de toutes les matières élémentaires avant la formation du monde. Les poètes le personnifièrent et en firent n Dieu, le plus ancien de tous, et père de l'Erebe et de la Nuit. [B]]Et l'amour n'est-il pas fils aîné de Chaos ? JODELET. Du chaos ! Par ma foi tu m'en fais bien accroire. PANCRACE. [Note : Hésiode : célèbre poète didactique grec, originaire de Cumes en Eolie. Il a composé un grand nombre de poèmes ; on en a conservé que trois ; Les Travaux et les jours ; la Théogonie et le Bouclier d'Hercule. [B]]Hésiode t'en peut rafraîchir la mémoire,Et te faire savoir si ce sont des abus. JODELET. N'est ce pas cet auteur qui fait ces beaux rébus ? Hé bien, j'ai dit rébus au lieu de coq-à-l'âne.Voilà bien de quoi rire ! PANCRACE. Ah ! Stupide, ah ! Profane,Nommer un philosophe un faiseur de rébus ? JODELET. [Note : Phébus : autre nom d'Apollon.]Mais n'est-ce pas tout un, puisqu'il parlait Phébus ?Dis-en la vérité. PANCRACE. Respecte un philosophe. JODELET. Pourquoi le respecter s'il est de ton étoffe ? PANCRACE. Oui, mais tel que je sois, je lis dedans les Cieux,Et suis quand il me plaît dans le secret des Dieux.Je sais par quel pouvoir et par quelle aventureIls commirent le monde au soin de la Nature, Comme ils ont inspiré le pouvoir aux agents,Éclairé les esprits de feux intelligents.Soumis l'être inhérent à sa cause première,Joint la chaleur au feu, l'éclat à la lumière.De contrariétés formé les éléments, Et de diversités fait nos tempéraments.Ce qu'une étoile peut, quelle est son influence,Comme sans nous forcer elle émeut la puissance,Et donne quelque pente à l'inclinationSans la violenter dans l'opération. [Note : Carreau : se dit aussi d'une arme de trait, ou flèche carrée, qu'on tire avec une arbalète. [F]]Je sais comme se font les carreaux du tonnerre,Les éclipses de jour, les tremblements de terre :Ce que l'on peut trouver de soufre aux minéraux, Et ce qui peut entrer de sel dans les métauxJe connais les secrets des vertus harmoniques, Que l'âme renferma dans les corps organiques.Comme les embryons créez de sang et d'air,Après quarante jours se laissent informer :Comme elle donne au corps les ordres nécessaires,Comme se font les nerfs, les veines, les artères, Les fibres, les tendons, le sang, les ligaments,Muscles, os, cartilage, et chair, et filaments :Comme sont confondus par un lien utile[Note : Pituite : l'une des quatre humeurs qui sont encloses dans le corps des animaux et qui constituent leurs tempéramment. La pituite est blanche et froide. [F] ]L'esprit, la pituite, et le sang et la bile.Je sais que le poumon, le coeur et le cerveau... JODELET. Ma foi tu n'es qu'un sot ! PANCRACE. Et toi tu n'es qu'un veau. JODELET. Va-t-en le demander à cette jeune folleQui me dit tous les jours que je suis son idole,Et qui te tient un fol quoi que tu sois docteur ;Lisette... PANCRACE. Que dis-tu ? JODELET. Je ne suis point menteur. PANCRACE. Mais sachons tout de lui, Jodelet si ton âmeEst flexible aux élans de l'amoureuse flammeDis-moi ce que tu sais de Lisette et de toi !T'aime-t-elle ? JODELET. Elle m'aime. PANCRACE, bas. Ah ! JODELET. Voilà bien de quoi. PANCRACE. Ingrate ! Préférer ses services aux nôtres. Tu l'aimes ? JODELET. Point du tout. PANCRACE. Mais... JODELET. J'en ai bien vu d'autres.Ils ont beau me prier, mon honneur m'est trop cher,S'ils veulent de l'amour qu'ils en aillent chercher,Je ne suis pas payé pour souffrir leurs fredaines,[Note : Fièvre quarte : Fièvre qui ne vient ue le quatrième jour, et qui laisse deux jours de repos. [F]]Et j'aimerais bien mieux que les fièvres quartaines [Note : Collet : se prend quelquefois improprement pour le cou même. [F]]Les prissent au collet, et les vinssent serrerQue de les écouter se plaindre et soupirer.L'une en vous oeilladant d'un regard ridiculeVous vient dire, je meurs, ah ! Je pâme, je brûle,J'enrage mon amour, je suis dans les transports. [Note : Engrogner : du verbe grogner.]L'autre plus engrognée invoque mille morts,Et pour vaincre une humeur trop rebrousse et trop aigreFait la mine d'un chat qui boirait du vinaigre,[Note : Pioller : ou piauler, crier, piailler.]Et se met à pioller sur un ton si touchant,Qu'il ferait enrager la bête et le marchant. Je ne suis pas si sot que de croire Lisette,Elle a perdu son temps et sa fortune est faite ;Elle a beau me vouloir déchirer le manteau,M'arracher les cheveux, ou m'écorcher la peau ;On ne dira jamais dedans notre village Que j'aie démenti l'honneur de mon lignage,[Note : Vergogneux : Ce mot est vieux [au XVIIème] et hors d'usage et signifiait honteux.]Et que je ne sois plus un garçon vergogneux ;Je sais ce qu'on disait de Pierrot le honteuxQuand il s'amouracha de sa jeune commère. PANCRACE. Mais... JODELET. M'aime-t-elle bien qu'elle en parle à ma mère, Et ne prétende pas m'attraper comme un veau,Ariste me fera geôlier de son château,Où mon père possède un emploi fort honnête ;Un jour j'aurai du bien, et ne suis pas si bêteQue... PANCRACE. Je ne puis penser qu'elle t'estime tant. JODELET. Si je t'en dis la preuve en seras-tu content ? PANCRACE. Tu ressusciteras et mon coeur et mon âme. JODELET. Elle dit que toujours tu lui parles de flamme ;Que pour elle tes feux sont des plus élégants,Et que tous tes discours sont bien extravagants ? PANCRACE. Ne raille point ami, dis-moi tout, je te prie. JODELET. Je parle tout de bon, ce n'est point raillerie ;Elle m'a dit de plus que tu veux l'épouser,Et que sur l'escalier en la voulant baiser,[Note : Bugne : coup.][Note : Temple : Au XVIIème terme pour signifier les deux cotés latéraux du crane puis fut remplacé par « tempe ».]Tu te fis en tombant cette bugne à la temple. PANCRACE. En puis je demander une preuve plus ample ? JODELET. De plus elle m'a dit, mais au moins soit discret,Que de ton maître enfin lui fiant le secret,[Note : Faire gilles : Pour dire s'enfuir. [F] ]Tu lui dis que demain il devait faire gilles,[Note : Trousser ses quilles : idem « faire gilles ».]Qu'il emmenait Olympe, et qu'il troussait ses quilles : En veux-tu davantage ? PANCRACE. Ah Dieux ! Je suis perdu,Je voudrais de bon coeur que tu fusses pendu ! JODELET. Et moi pour te payer des souhaits si louables,Que ne te puis-je voir aller à tous les Diables ! PANCRACE. Malheureux qu'ai-je-fait ! JODELET. Au moins. PANCRACE. Éloigne-toi Ah ! mort. JODELET. Il fait le fou, le grand sot ! PANCRACE. Laisse-moi.Mais j'entends quelque bruit. SCÈNE VI. Ariste, Jodelet, Troupe de Violons, Pancrace, Climante cachés, avec une autre troupe de Violons. JODELET. Voici toute la bande. PANCRACE. Allons donc avertir mon maître qu'il descende. ARISTE à ses violons, sans faire semblant de savoir que Climante est caché. Voici le bel endroit, allons donnez ! CLIMANTE, à ses Violons. Donnez. PREMIER VIOLON, à son camarade, ne voyant pas les violons de Climante qui avaient sonné. Je ne puis m'accorder tandis que vous sonnez, Un peu de patience... enfin c'est assez dire,Messieurs, écoutons-nous, il n'est pas tant de rire. PREMIER VIOLON. Votre do-la-ré-sol. TROISIÈME VIOLON. Un peu votre Emi-la. SECOND VIOLON. Votre gé-ré-sol-ut. TROISIÈME VIOLON. Encore... m'y voilà. PREMIER VIOLON. Êtes-vous prêts, Messieurs ? Faut-il que je commence ? Allons, c'est à ce coup. SECOND VIOLON, l'arrêtant. Un peu de patience,Ma quarte se relâche au moins d'un demi-ton, Je suis bien. PREMIER VIOLON. [Note : Allemande : pièce de musique qui est grave, et de pleine mesure, qu'on joue à quatre temps sur les instruments, et particulièrement sur le luth, le théorbe, l'orgue et le clavecin. [F]]L'Allemande, allons, c'est tout de bon. ARISTE. Messieurs, ce n'est pas là ce que je vous demande,[Note : Bourrée : Espèce de danse composée de trois pas joints ensemble en deux mouvements, et commence par une noire en levant. [F]]Vous jouez la bourrée au lieu d'une Allemande SECOND VIOLON. Nous n'étions pas ici tous seuls de violons. ARISTE. Le flambeau... JODELET, apportant un flambeau. [Note : Montrer les talons : S'en aller.]Sus, Messieurs, montrez-nous les talons. ARISTE. Les coquins. JODELET. Dénichez allons, quitte la place,Ou je te casserai la tête avec ta basse. CLIMANTE, déguisé. Toi ! Si tu l'avais fait avecque ce flambeau, Je te ferais griller comme on fait un pourceau.Veux-tu voir ? JODELET. Ah ! Monsieur, écoutez moi, de grâce,Je disais qu'en courant, il casserait sa basse,Et parlais à mon maître afin qu'il s'apaisât. ARISTE. Monsieur, ne songez pas à ce que dis ce fat Et souffrez... CLIMANTE. Quoi souffrir ? La plaisante boutade !Et quel droit avez vous de donner sérénade ? ARISTE. Le droit qu'on peut avoir lorsque l'on aime bien. CLIMANTE. Moi, j'aime plus que vous. ARISTE. Et moi je n'en crois rien. CLIMANTE. Tout cela gît en preuve. ARISTE. Ah ! la grande bévue, Amis, retirez vous, votre cause est perdue. CLIMANTE. Ne riez pas encore, et prouvez seulement. ARISTE. J'ai pleuré mille fois. CLIMANTE. Et moi pareillement. ARISTE. J'ai souffert des rigueurs sans espoir de salaire. CLIMANTE. J'ai souffert des mépris sans me mettre en colère. ARISTE. Quoi qu'une amante ait fait je n'ai point murmuré. CLIMANTE. J'ai trouvé tout fort bon de l'objet adoré. ARISTE. J'ai couché sur sa porte. CLIMANTE. Et moi dedans sa rue. ARISTE. J'ai fait la sentinelle. CLIMANTE. Et moi le pied de grue. ARISTE. J'ai fait mille sonnets. CLIMANTE. Et moi mille rondeaux. ARISTE. J'ai payé des festins. CLIMANTE. J'ai donné des cadeaux. ARISTE. J'ai fait un grand voyage. CLIMANTE. Et moi cent promenades. ARISTE. J'ai donné des concerts. CLIMANTE. Et moi des sérénades. ARISTE. J'ai donné mille écus pour porter un poulet. CLIMANTE. J'en ai dépensé deux pour gagner un valet. ARISTE. J'ai tiré pour Doris cinquante fois l'épée. CLIMANTE. La mienne pour Philis fut cent fois occupée. ARISTE. J'ai tué pour Caliste un faiseur de oui-da. CLIMANTE. J'en bâtis dans le cours qui disaient « La voilà ». ARISTE. J'ai presté de l'argent au mari d'Isabelle. CLIMANTE. Je me suis laissé perdre en jouant avec elle. ARISTE. J'ai donné des galants. CLIMANTE. J'ai donné des bouquets. ARISTE. J'ai donné cent guenons. CLIMANTE. Et moi cent perroquets. ARISTE. J'ai donné pour le moins sept à huit cents Cassandre. CLIMANTE. Moi cinq cents Ibrahims, et trois cents Polexandre. ARISTE. [Note : Héraclius : tragédie de Pierre Corneille (1647).]J'ai fait voir à Daphnis dix fois Héraclius. CLIMANTE. [Note : Thémistocle : tragédie de Du Ryer (1646).]Moi vingt fois Thémistocle, et peut-être encor plus. ARISTE. J'ai donné du jasmin dans le mois de décembre. CLIMANTE. Dans le mois de Janvier j'en semais une chambre. ARISTE. À la foire en un jour j'ai donné cent bijoux. CLIMANTE. Moi pour un soir au bal deux mille citrons doux. ARISTE. En cent lieux de Daphné j'ai la belle peinture. CLIMANTE. Je l'ai de sa hauteur fait peindre en mi-nature. ARISTE. En frisure par jour dix écus... CLIMANTE. Arrêtez,En échelle de corde il me les a coûtés, Et pour les rendez-vous. ARISTE. Trêve de raillerie.Mais puis que par l'amour ou la galanterie,Nous ne pouvons finir un combat si douteuxJe sais un bon moyen pour nous régler tous deuxVous veniez divertir une jeune merveille Là dedans. CLIMANTE. Oui. ARISTE. J'y viens pour affaire pareille.Oronte apaisera cette noise entre nousCet homme est fort commode. CLIMANTE. On dit qu'il est jaloux. ARISTE. Point du tout, la franchise est telle dans son âmeQu'il se tient honoré quand on aime sa femme. CLIMANTE. Hé bien... ARISTE. Sachons de lui lequel demeurera. CLIMANTE. Mais... ARISTE. Je le connais bien. CLIMANTE. Tout ce qu'il vous plaira PANCRACE. Exhibez vous, Monsieur, et par quelques adages[Note : Ambage : Vieux mot qui signifiait autrefois, un amas confus et obscur de paroles, dont on a de la peine à deviner la signification. [F]]De ces périclitans, dissipez les ambages. SCÈNE VII. Ariste, Climante, Oronte, Pancrace, Jodelet, Les deux troupes de Violons. ARISTE, appelant Oronte. Ami ? ORONTE. Que vous plaît-il de votre serviteur ? CLIMANTE. Apaiser un débat dont Monsieur est l'auteur. ARISTE. C'est... CLIMANTE. Laissez-moi conter comme s'est fait la chose. ARISTE. Je la dois réciter, puisque je la propose. CLIMANTE. Je parlerai pourtant le premier s'il vous plaît. ARISTE. Je dirai le premier la chose comme elle est. CLIMANTE. De grâce. ARISTE. Mais Monsieur. CLIMANTE. Mais vous avez beau dire. Le valet est présent à cette scène mais son rôle est muet. ORONTE. Ce plaisant différend me fait crever de rire.Qu'est ce donc ? CLIMANTE. C'est... ARISTE. Monsieur... ORONTE. Écoutez-vous enfin,Ce débat durerait jusqu'à demain matin. ARISTE. En ces beaux jours d'été... PANCRACE. [Note : Exorde : Entrée, préambule, commencement d'un discours, d'une harangue pour préparer les auditeurs à ce qu'on va dire. [F]]L'exorde n'est pas fade. ARISTE. Voulant me divertir à donner sérénade,Monsieur est survenu, qui dans le même instantSans me considérer en voulait faire autant :Nous étant abordés pour finir la querelle,Nous demeurons d'accord qu'enfin le plus fidèle Et le plus vieil martyr de l'Empire amoureuxDemeurerait... ORONTE. Et bien lequel l'est de vous deux ! CLIMANTE. Nous nous sommes trouvez tous deux d'égale force. ORONTE. Attendez pour finir cet aimable divorce ;Il faut avoir recours à de bonnes raisons, Veniez vous divertir quelqu'un dans ces maisons ?J'entends un bel objet qui vous chatouille l'âme. CLIMANTE. Oui, Monsieur une fille. ORONTE. Et vous ? ARISTE. C'est une femme. ORONTE. Cette fille a son père, et qu'est-il ? CLIMANTE. Avocat. ARISTE. Il vous fourbe. ORONTE. La vôtre est de plus grand état ? ARISTE. Elle est ou le sera femme d'un Gentil homme. ORONTE. Il n'en est point ici ? ARISTE bas à Oronte. Plutôt que je le nomme,Jugez en ma faveur, ce Gentilhomme est vous ;Et lui qui ne sait pas comme on vit entre nous,Penserait que d'amour je serais bien malade ; Olympe étant l'objet de cette sérénade ;Je le dis en ami, cela vous ferait tort. CLIMANTE. Ah ! C'est trop parler bas. ORONTE. Vous serez tous d'accord. CLIMANTE. Peut-on ouïr parler d'une telle sottise ? ORONTE. Monsieur me fait l'honneur d'agir avec franchise ; Et songeant à ma femme et la nuit et le jour... ARISTE voulant le faire taire. Oronte... ORONTE. Il l'aime enfin sans lui parler d'amour. CLIMANTE. On est souvent trompé pour être trop facile. ORONTE. Je ne crains point l'amour dans un esprit tranquille,Et je distingue bien le bon et le mauvais : Mais allez je vous laisse. CLIMANTE. Adieu vivez en paix. ARISTE. Que de bontés ! Monsieur. CLIMANTE. Le fat. ORONTE. Qui peut le croire ? ARISTE, à Climante qui s'en va. Vous voyez de quel air j'emporte la victoire. CLIMANTE, revient. N'en ayez point d'orgueil, vous ne lui devez rien,Et ne présumez pas qu'il vous fasse du bien ; Puisque ce démêlé n'étant fait que pour rireToujours à vos avis vous m'auriez vu souscrire ;Et sans que cet arrêt intervienne entre nousConnaissez qui je suis ? ARISTE. Ah ! Climante est-ce vous ? CLIMANTE. C'est par l'ordre d'Olympe à qui l'affaire touche, Par cette fausse barbe, et cette balle en bouche,J'ai caché mon visage et déguisé ma voix. ARISTE. Ma foi j'y serais pris une seconde fois. ORONTE. Mais c'est perdre le temps il faut que l'on commence,Olympe nous écoute et meurt d'impatience. ARISTE. Elle pardonnera ce long retardement.Elle en est cause. ORONTE. Allons. CLIMANTE. Qu'il parle ingénument.Il se croit obligé de ce que l'on le joue. ORONTE. Il n'en est pas au monde un plus sot. CLIMANTE. Je l'avoue. ARISTE. Je te rends grâce Amour, je les tiens au filet, Les fourbes sont dupés, fais jouer Jodelet. ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. Ariste, Olympe. ARISTE. Madame, bénissons l'amour de Jodelet,Je devrai ma fortune aux soins de ce valet,Vous partiez... OLYMPE. Sans pouvoir vous apprendre peut-êtreNon plus qu'à mes parents où me tiendrait ce traître. ARISTE. Il n'en est plus le temps on s'en douterait bien.Mais le déguisement du docteur... OLYMPE. Ce n'est rien.Il est fait à jouer de pareils personnages. ARISTE. Tout est prêt pour punir de si cruels outragesSurtout un peu de coeur pour en venir à bout. OLYMPE. Je connais votre zèle et me résous à tout. ARISTE. Madame, je voudrais que vous pussiez comprendreQuels seraient les devoirs que je voudrais vous rendre,Et qu'enfin votre esprit en peut être informé,Au moment que mon coeur se sent tout consommé, Mais c'est vouloir tenter une chose impossible,Que de rendre d'amour le bel excès visible,Puisque celui qui sait parfaitement aimer,Le ressent beaucoup mieux qu'il ne peut l'exprimer,Oui, lorsque d'un beau feu notre âme est enflammée Le respect seul en parle à la personne aimée,Et des brûlants soupirs la forte expressionEst le seul truchement de notre passion,Ainsi je ne saurais que par un long silenceExprimer de mes feux la forte violence, Et mes tristes regards à travers de mes fersOnt droit seuls de parler des maux que j'ai soufferts. OLYMPE. Un si profond respect est certes admirable. ARISTE. On n'en peut trop avoir pour un objet aimable :Et de quelques ardeurs que nous soyons pressés Quand on peut dire j'aime, on dit toujours assez. OLYMPE. Ces concertations en un coeur tout de flamme,Ne peuvent compatir qu'avec une belle âme. ARISTE. Et les beaux sentiments que vous nous inspirez,Ne peuvent allumer que des feux épurés. OLYMPE. Un coeur si généreux sensiblement me touche. ARISTE. Que la louange plaît dans une belle bouche !Et que le plus modeste en le désavouantPaye mal les bontés qu'on montre en le louant. OLYMPE. Qu'il est doux de louer, ce qu'on juge louable ! ARISTE. Qu'il est aisé d'aimer ce que l'on trouve aimable ! OLYMPE. C'est offenser l'honneur que ne vous aimer pas ! ARISTE. C'est suivre la vertu que marcher sur vos pas. SCÈNE II. Olympe, Ariste, Climante caché. OLYMPE. Que Climante m'oblige alors qu'il vous envoie ! CLIMANTE, caché, bas. Elle parle de moi, je vais mourir de joie. ARISTE. Puisque par son moyen j'ai le bien de vous voir,Il m'oblige en un point qu'on ne peut concevoir. CLIMANTE bas. Tu ne sais pas le noeud de notre stratagème. OLYMPE. Dites-lui que cent fois j'ai dit que je vous aime ! CLIMANTE bas. Je te rends grâce, amour ! ARISTE. Que je suis satisfait ! CLIMANTE bas. Il se croit obligé du bien qu'elle me fait. OLYMPE. Dites lui que j'ai dit que je m'impatiente.Quand je ne vous vois pas. CLIMANTE bas. Ô bienheureux Climante ! OLYMPE. Qu'il me fera plaisir, s'il trouve le moyenDe me faire souvent avoir votre entretien. CLIMANTE bas. Plus elle le verra, plus son adresse extrême,M'apprendra par Ariste à quel point elle m'aime. ARISTE. Je trouve en vous voyant un trop puissant secoursPour ne le prier pas de m'envoyer toujours. CLIMANTE bas. Et j'ai trop de plaisir d'un si plaisant message Pour ne te faire pas jouer ce personnage. OLYMPE. Que je sens de plaisirs alors que je vous vois ! CLIMANTE bas. Le fat ne connaît pas qu'il fait l'amour pour moi. OLYMPE. En lui parlant, surtout gardez de vous confondre. CLIMANTE bas. La raillerie est fine, il n'y pourra répondre. OLYMPE. Et ne hasardez pas sa perte et mon appui. CLIMANTE bas. Comment ne voit-il pas qu'elle se rit de lui ? ARISTE. Je saurai ménager cet amant misérable. CLIMANTE bas. Ce nom d'amant me choque, et n'est point agréable. OLYMPE. Vous n'avez plus longtemps à souffrir ce rival. ARISTE. Peut-être avant demain je perdrai ce brutal. CLIMANTE bas. Tout ceci me déplaît, et j'ai peur de sa suite. OLYMPE. Vous ne pouvez manquer d'esprit et de conduite. ARISTE. Au moins tant qu'il ira de prendre loi de vous. CLIMANTE bas. Quelque important myst-re est caché là-dessous. Il parle avec chaleur, elle répond de même,L'aimerait-elle ? ARISTE. Au moins songez que je vous aime.Dessus ces belles mains je puis vous le jurer ; CLIMANTE bas. Hélas ! Ce seul baiser me doit désespérer ! ARISTE. Le traître... OLYMPE. L'insolent. ARISTE. Le fourbe. CLIMANTE bas. L'infidèle Il n'en faut plus douter, il est adoré d'elle.Ah Dieux ! En quel malheur je suis embarrassé ? ARISTE. Il se repentira de m'avoir offensé. OLYMPE. Ne vous exposez point quoique le traître fasse ! CLIMANTE bas. Je ne puis plus souffrir l'excès de leur audace, Sortons vite d'ici de peur d'être surpris,Et sans leur témoigner que j'aie rien appris OLYMPE voyant Climante. Écoutait-il ? CLIMANTE. Trouvons quelque adresse nouvelle,Pour découvrir leur fourbe ou pour me venger d'elle.Mais j'aperçois Oronte. JODELET tout essoufflé. Ah ! ARISTE. Qu'être. JODELET. Promptement, Vite, l'exempt, Monsieur. ARISTE. Parle distinctement,Mais écoute on nous suit. SCÈNE III. Oronte, Climante. ORONTE, bas. Feignons avec adresse.Hé bien ! CLIMANTE. Ils sont là-bas. ORONTE. Jouons leur quelque pièce. CLIMANTE, froidement. Mais quelle ? Je me trouve au bout de mes leçons ! ORONTE. D'effet l'on l'a joué de toutes les façons. CLIMANTE. Enfin... ORONTE. Si vous feigniez de voir d'un oeil d'envieQu'il passe avecque nous trop doucement sa vie,Et qu'Olympe l'aimant, et même plus que vous,Quel ami qu'il vous soit vous en êtes jaloux. CLIMANTE. Mais... ORONTE. Cela produirait trois effets agréables, L'un de le voir penser qu'il est des plus aimables,Et qu'Olympe pour lui soupire tous les jours,L'autre de me croire homme à souffrir ces amours,Et le troisième enfin de penser que votre âmeBrûle indiscrètement d'une pareille flamme. CLIMANTE, bas. Ainsi je puis tout haut me venger d'un rival. ORONTE, bas. Si prêt de mon départ je ne l'entends pas mal.La pièce est assez bonne. CLIMANTE. Et sera bien menée,Pourvu qu'Olympe essaye à faire l'étonnée,Et feigne adroitement de vous croire jaloux Pendant que vous feindrez de vous mettre en courroux. ORONTE. Et vous ? CLIMANTE. Du ton de voix et de l'air du visageVous me verrez si bien jouer mon personnage,Qu'enfin vous avouerez que le plus délicatS'y pourrait laisser prendre aussi bien que ce fat. Mais il faudrait qu'Olympe en peut être avertie. ORONTE. Un clin-d'oeil la pourra mettre de la partie :Et la correspondance est telle entre nous deuxQu'un regard la dispose à tout ce que je veux. CLIMANTE. Allons vers ces jardins, c'est là qu'ils s'entretiennent. ORONTE. Ne sortons point d'ici, je les revois qui viennent. SCÈNE IV. Oronte, Climante, Olympe, Ariste. CLIMANTE. Cajoler ce qu'on aime et ne le point quitter,C'est n'avoir à mon gré plus rien à souhaiter. ORONTE. Aussi je ne veux plus souffrir tout ce mystère. CLIMANTE. Ni moi passer pour sot à force de me taire, Puisque de la façon que l'on vous voit agir,Vous maltraitez Oronte, et me faites rougir. OLYMPE, à Oronte. De quoi l'accusez-vous ? D'où vient votre colère ? ARISTE, à Oronte. En quoi sans y penser ai-je pu vous déplaire ?Sans doute que tantôt il m'avait écouté. CLIMANTE. De nous priver du bien de voir cette beauté,Que vous voulez contraindre à trop de violence. OLYMPE, à Climante. Vous en faites bien plus en rompant le silence,Mais sans vous informer s'il m'importe ou non,Apprenez seulement que je le trouve bon ; Et n'embarrassez pas votre esprit de chimères,Qui n'ont pas le secret d'avancer vos affaires. ORONTE. Il m'oblige, Madame, en vous parlant ainsi. OLYMPE. Vous me ferez plaisir en vous taisant aussi.Car quoi que vous disiez afin de le détruire Je tiens pour ennemi quiconque lui veut nuire,Et tel que vous soyez ne croyez pas jamais,Me contraindre à changer, l'aimant comme je fais. ORONTE, bas. Il croit ce qu'elle dit. CLIMANTE, bas. Elle entend mal la feinte,Et devrait témoigner davantage de crainte, Il serait déféré si chacun le quittait. ORONTE. Ce coup d'oeil la va rendre autre qu'elle n'était. OLYMPE. Vous me faites en vain signe de la prunelle ;Vous n'avez pas affaire à quelque âme infidèle.Qui change à tout moment, et brûle de tout feu. ORONTE. Elle n'a pas compris quel était votre jeu,Et croit le bien jouer par cette complaisance. OLYMPE, à Ariste. Des soupçons qu'il avait il veut prendre vengeance,Et sous ces mots couverts il veut m'embarrasser,Mais en termes adroits il faut les repousser. Feignez, il n'est pas temps... ARISTE. N'en parlez plus ensembleOronte, il n'en sera que ce que bon vous semble.Et sans vous amuser de discours superflus,Lorsque vous le voudrez je ne la verrai plus.Mais je ne puis comprendre à quel propos Climante, Étant le protecteur de ma flamme innocente,Pour la rendre suspecte a fait tout ce qu'il peut ! CLIMANTE. Les choses vont souvent plus loin que l'on ne veut ;Et quand je reconnais quelles sont vos pensées,Je voudrais rappeler mes actions passées. ARISTE. Après tant d'amitié, cher Climante, je croisQue l'amour seulement vous fait rompre avec moi,Et qu'Olympe étant belle et disposant d'OronteVous vous persuadez d'y trouver votre compte. ORONTE. Tout au moins il agit plus franchement que vous ! OLYMPE, en montrant Climante. Oronte, il parle ainsi parce qu'il est jaloux,En se servant de vous dedans ce stratagème,Il croit m'épouvanter. ORONTE. Je veux bien qu'il vous aimeÉtant sage et discret. OLYMPE. Il y perdra ses pas. CLIMANTE. J'aurais juste sujet de ne vous aimer pas. Et vous devez rougir du feu qui vous consomme, Et d'écouter enfin les soupirs d'un jeune hommeDont l'indiscrétion me fait son confident ;Ayant rendu partout son amour évident :Je vous aime, il est vrai, mais votre ingratitude Combat ma passion d'un traitement si rude,Que vous me réduisez en l'état où je suisDe recourir enfin à tout ce que je puis,D'éventer les secrets qu'une aimable contrainteRetenait dans mon coeur en sa plus vive atteinte Et qu'un profond respect m'eût forcé de celerSi vous ne m'eussiez pas obligé d'en parler. ORONTE. Qu'il feint bien ! CLIMANTE. Vous devez mourir ici de honte,D'enfler d'orgueil Ariste, en l'aimant plus qu'Oronte,Et de voir qu'un ami ne m'est pas assez cher Pour laisser faire un mal que je puis empêcher. ARISTE, bas. Le lâche. ORONTE, bas à Climante. Vous jouez trop bien ce personnage,Gardez de la fâcher. CLIMANTE, tout haut. Ce n'est qu'une volage. ORONTE, bas. Elle ne comprend pas quel est notre dessein.Épargnez-les. CLIMANTE, tout haut. Il est trop avant dans son sein. OLYMPE. À la fin je me trouve au bout de ma finesse. ARISTE. Puis qu'Oronte le sait, ce n'est qu'un tour d'adresse,Et puisqu'il est d'accord qu'il vous parle d'amour,C'est pour faire pièce, et vous jouer d'un tour. ORONTE. Je vous suis obligé, mais demeurez. CLIMANTE, haut. L'ingrate ! ORONTE. C'en est assez. CLIMANTE, haut. Il faut que ma colère éclate. ARISTE. Qu'il a bien pris son temps pour se plaindre de vous !Mais notre tour viendra pour nous mettre en courroux. ORONTE, en le voulant retenir un peu loin d'eux. Je ne puis l'arrêter, il est trop en colère. OLYMPE. Laissez le aller chercher les moyens de me plaire ! Il sait que son absence en est le seul moyen,Et qu'autant qu'un jaloux je hais son entretien ;Quoi ! Climante est bourru quand je chéris Ariste ?Le reste de ses jours il peut donc être triste,Et pendant que je veuille en dire les raisons [Note : Petites maisons : nom donné autrefois à un hôpital de Paris où l'on renfermait les aliénés. Il est à mettre aux Petites-Maisons c'est un échappé des Petites-Maisons, c'est un homme sans raison, qui fait ou dit des choses folles. [L]]S'assurer d'une place aux petites maisons.Allez beau bilieux, amant trop colériqueModérer ce chagrin qui vous rendrait éthique,Soyez de belle humeur, reprenez l'embonpoint,Dormez, riez, chantez, et surtout n'aimez point : L'amour échauffe trop notre sang dans les veines,Et puis à dire vrai vous y perdrez vos peines,Vous avez des défauts, Ariste a des appas,Je ne vous aime point, et je ne le hais pas :Du feu que j'ai pour lui loin de rougir de honte, Si je fais bien ou mal laissez agir Oronte. ORONTE. Arrêtez... CLIMANTE. Je lui veux montrer ce que je puis. ARISTE, bas. Dans deux heures d'ici tu sauras qui je suis.Adieu. CLIMANTE. Je ne puis plus enfin, c'en est trop dire. ORONTE. Je ferai votre paix, ce n'était que pour rire. OLYMPE, en riant. Ce jeu quoi qu'il ait dit ne m'était point caché. ORONTE. N'a t il pas tout de bon fort bien fait le fâché ? OLYMPE, en riant. Fort bien, et vous voyez qu'Ariste en rêve encore. ORONTE. Que faites vous ? ARISTE. Je songe à tout ce que j'abhorre. ORONTE. À quoi donc ? ARISTE. À sortir promptement de ces lieux N'y pouvant plus souffrir d'y voir des envieux. ORONTE. Était-ce le sujet de votre inquiétude ? ARISTE. C'est à quoi je rêvais dedans ma solitude. ORONTE. Qui croirait que je songe à m'éloigner d'ici ?Reposez-vous sur moi, n'ayez aucun souci : C'était pour divertir une mélancolique,Que cet ami feignait de faire le critique ;De grâce, apaisez-le cependant que j'iraiCourir après Climante, et le ramènerai. SCÈNE V. Ariste, Olympe. ARISTE. Il croit adroitement vous avoir offensée. OLYMPE. Mon appréhension n'est pas encore passée.Je crains tout d'un secret qui peut être éventé. ARISTE. Je vous avais bien dit, il avait écouté. OLYMPE. Sans doute que le traître y trouverait son compte,Si de sa jalousie il informait Oronte, Ah ! Que le temps est long. ARISTE. Ah ! Qu'il me dure aussi.Mais dans une heure au plus mes gens seront ici,Le rendez-vous est pris, l'heure même est donnée ;Les archers dispersés, la requête signée,Et Léonce a laissé vos parents en chemin Qui pour nous appuyer seront ici demain ;Et ne faut seulement que se saisir du traître. OLYMPE. Climante a du crédit, et ce lâche peut-êtrePrésentant le malheur qui lui doit arriverDétournera le coup qui me doit conserver. Il ne faut qu'un moment pour détruire l'affaire. ARISTE. Il peut ici beaucoup. OLYMPE. Hélas ! J'en désespère. ARISTE. S'il sait notre dessein, tout est perdu pour nous.Mais... OLYMPE. Oronte revient, et paraît en courroux. SCÈNE VI. Ariste, Olympe, Oronte, Climante. ORONTE. Non, je n'en doute plus, leur flamme est toute claire, Cachez vous, et voyez l'effet de ma colère. ARISTE. Feignez bien ! OLYMPE, en riant. Qu'avez-vous ? Vous semblez éperdu ! ORONTE. J'ai regret à l'honneur que je vous ai rendu. OLYMPE. Et moi qui tiens de vous les respects pour injure,Je ne puis concevoir comment je vous endure. ORONTE. Si vous vous offensez de l'excès de ma foi,Vous n'aurez pas longtemps à vous plaindre de moi. OLYMPE. Et pourvu que l'effet suive cette menace,Ce coup de désespoir me doit être une grâce. ORONTE. Pour un fâcheux objet qu'il faut abandonner La grâce qui l'éloigne est facile à donner. OLYMPE. Vous vous repentirez d'avoir été trop sage. ORONTE. Je me suis repenti d'aimer une volage,Dont l'âme trop sensible aux feux d'un insensé. ARISTE. Monsieur ... ORONTE. Retirez-vous, votre temps est passé. OLYMPE. Si c'est le seul sujet de l'ennui qui vous touche,Vous pourrez bien mourir le reproche à la bouche. ORONTE. Et si vous ne vivez avecque plus d'honneur,Je vous verrai mourir sans gloire et sans bonheur. OLYMPE. J'en aurai toujours trop pourvu qu'Ariste m'aime. ARISTE, bas. Feignez jusqu'à la fin. OLYMPE. Ah ! Ma crainte est extrême. ORONTE. Oui, c'est trop abuser de ma facilité. OLYMPE. Il ne faut donc jamais dire la vérité ? ORONTE. Chérir un innocent ! OLYMPE. En suis-je condamnable ?Et ne m'est-il permis que d'aimer un coupable ? ORONTE. Pour railler avec moi prenez mieux votre temps ! OLYMPE. Et vous ne tâchez point de rire à mes dépens. ORONTE. Je ne ris point, Madame, et n'en ai point d'envie. OLYMPE. Vous me voulez jouer, mais je vous en défie. ORONTE, bas. Croit-elle que je fais semblant d'être en courroux ? Et que pour l'attraper je feins d'être jaloux.Mais... OLYMPE. Vous n'entendez rien à vous mettre en furie. ORONTE. Le dépit où je suis passe la raillerie,Et mon ressentiment va jusqu'au dernier point. OLYMPE. Ne vous contraignez plus vous ne m'y prendrez point. ARISTE, voyant Oronte le dos tourné. Bon... ORONTE. Vous le prenez mal, et votre esprit s'abuse. OLYMPE. Que vous seriez ravi si j'en restais confuse,Et que me faisant craindre un désordre nouveau ;Vous me fissiez en fin donner dans le panneau.Il suffit, reprenez votre humeur ordinaire. ORONTE. Ah ! C'est trop. OLYMPE. Tout de bon, êtes-vous en colère ? ORONTE. J'y suis avec raison ! OLYMPE. Ce soupir est adroit !Et tout autre que moi sans doute s'y prendrait. ORONTE. Trêve de raillerie à la fin je m'en lasse. OLYMPE. Vous me bernez pourtant avec assez de grâce. ORONTE, bas. Sur de pareils discours Climante assurémentA pu prendre d'Olympe un mauvais sentiment.Cet esprit trop léger se dupe par l'oreille. OLYMPE. Enfin n'y pensez plus, vous avez fait merveille.Si je vous ai montré que je ne craignais rien, Ce n'est pas qu'en effet vous ne feignez fort bien,Et que votre courroux n'ait beaucoup de finesse. ORONTE, bas. Climante n'a pas vu que c'est un tour d'adresse,Et croyant me venger en troublant mon repos,Il s'est joué lui-même assez mal à propos. OLYMPE. Confessez moi la dette, et m'aimez davantage ! ORONTE, bas. Il faudrait être fol pour la croire volage ! OLYMPE. Vous fâchez vous encor ? ORONTE, bas. Climante n'est qu'un sot. OLYMPE. Jaloux ? ORONTE, bas. Il eut mieux fait de ne m'en dire mot. OLYMPE. Être cruel alors que l'on vous prie. ORONTE, bas. Certes il entend mal la belle raillerie.Vous avez vu Climante, et l'avez bien joué. OLYMPE. Feignons avec esprit... vous l'a-t-il avoué. ORONTE. Il m'est venu trouver tout rêveur et tout triste,Pour me donner avis que vous aimiez Ariste, Et qu'en le caressant il vous avait surpris. OLYMPE. Hé bien ! Sais-je en donner, même aux plus fins esprits ? ORONTE. Si je le vois tantôt, je lui donnerai bonne. OLYMPE. Au moins conseillez-lui de ne jouer personne. SCÈNE VII. Olympe, Ariste, Oronte, Pancrace. ARISTE. Voici quelque nouvelle ! PANCRACE, arrive en désordre. Ha Monsieur, écoutez ! OLYMPE, à Ariste bas. Il s'épouvante ! ORONTE. Ah ! Dieux mes chevaux arrêtés. ARISTE, à Olympe bas. Le temps vient. OLYMPE, à Oronte. Qu'avez vous ? ORONTE, sans l'écouter. Mes pistolets, quel trouble ! LISETTE. Monsieur la foule croit, et le bruit se redouble ! ORONTE. Ariste sauvez la, je vais descendre en bas. ARISTE. Allez je vous réponds qu'elle n'en mourra pas. PANCRACE, suivant son maître. Dans ces anxiétés il faut que la prudence... ORONTE. C'est trop... SCÈNE VIII. Olympe, Ariste, Oronte, Climante, un Exempt, Pancrace, Jodelet, Lisette, Troupe d'Archers. L'EXEMPT, ayant l'épée de Climante qui s'était voulu mettre en défense en l'endroit où il était caché par où l'Exempt vient la porte étant ouverte. Faire le brave et se mettre en défense.Obéit-on ainsi dans les ordres du Roi ? Je vous fais prisonnier. ORONTE. Qui ? L-EXEMPT. Vous, Oronte. ORONTE. Moi ? L-EXEMPT. Oui, rendez votre épée. ORONTE, voulant tirer l'épée. Ah ! Je la veux défendre. Ariste sans branler me la laissez vous prendre ? ARISTE. Comment peux-tu prétendre aucun secours de moi ?Ayant tant de sujet de me plaindre de toi.Dis lâche, n'es-tu pas ce ravisseur infâme,Qui contraignit Olympe à se dire ta femme, Elle qui s'abaissa jusques à te flatter,Dans les extrémités que tu voulais tenter :[Note : Aix : Aix-en-Provence dans les Bouches-du-Rhône à 33 km de Marseille.]Dedans la ville d'Aix ne l'as-tu pas ravie ? OLYMPE. Mais vous m'avez promis de lui sauver la vie. ARISTE. Madame, vos parents seront ici demain ! S'il obtient un pardon ce sera de leur main.Pour lui notre bonté serait trop criminelle. ORONTE. Ah Dieux ! CLIMANTE. Mais vous pourquoi prendre ces soins pour elle ? ARISTE. Pour la tirer des bras qui lui faisaient horreur,Et la mettre en état de braver ta fureur. ORONTE. Ah ! Lâche si j'étais en état. ARISTE. Hé bien traître.Que ferais-tu ? ORONTE, en regardant Climante. Climante... ARISTE. Apprends à me connaître. CLIMANTE. Tu ne parleras pas toujours si hardiment. ARISTE. Tu ne joueras plus au moins impunément,Si j'ai passé pour sot enfin j'ai l'avantage, De te voir aujourd'hui jouer mon personnage,Et le voir d'autant mieux que ton esprit rusé,Ne peut plus m'empêcher d'être déniaisé,Si j'ai voulu manquer d'esprit et de courage,J'en vais faire paraître à ton désavantage ; Va dedans les prisons quérir ton châtiment,Toi va chercher du coeur dans ton ressentimentPour soustraire à mes veux cette rare merveille,Ne le retenez point. ORONTE. Ah ! Douleur sans pareille. PANCRACE, à Jodelet. Quelle vicissitude ! OLYMPE, à Oronte et Climante du ton colère. À ne vous rien celer. ARISTE, en interrompant. Ah ! Ne leur faites point l'honneur de leur parler. CLIMANTE. Tu te repentiras de ce que tu hasardes. L-EXEMPT. Madame, je leur vais faire donner des gardes.Messieurs, il me faut suivre, allons, sortons d'ici. ORONTE. Faut-il donc que d'Olympe il soit le maître ainsi. ARISTE. Jusqu'à demain matin par un respect extrême,Je ne la verrai point encore que je l'aime ;C'est devant ses parents que j'attends... JODELET, à Pancrace. Qu'en dis-tu ? ARISTE. Cet éclaircissement se doit à sa vertu,Non à vous. PANCRACE, à Jodelet. [Note : An climatérique : Année funeste aux critiques (tout âge qui est un multiple de 7), année dangereuse à passer et où on est en danger de mort aux dires des astrologues. [F]]Il touchait son an climatérique. ORONTE, en s'en allant. Ah ! Trop cruelle Olympe. PANCRACE. Ah ! Destin tyrannique. OLYMPE. Je réponds de nos jours. ORONTE. Ah ! OLYMPE. Je vous le promets. CLIMANTE, en sortant avec menace. Dieux ! ORONTE. Je pars sans espoir de la revoir jamais. PANCRACE. Adieu, suivons mon maître, et dans son sort funesteImitons le destin de Pilade et d'Oreste. ARISTE, à Olympe. À la fin nos malheurs... JODELET. Sans le prendre si hautDonnez nous notre fait, ayant ce qu'il vous faut.Lisette... ARISTE. Je t'entends. LISETTE, en pleurant. Ah ! Monsieur. OLYMPE. Pauvre Amante ! ARISTE, en montrant Jodelet. Va nous te le donnons et cent écus de rente. JODELET. Et les frais de la noce. ARISTE. Oui. JODELET. Ce mot n'est pas fat. ARISTE, à tous deux. En êtes-vous d'accord ? LISETTE. Ainsi soit-il. JODELET. Vivat. ==================================================