******************************************************** DC.Title = LE TEMPÉRAMENT, TRAGI-PARADE DC.Author = GRANDVAL, Charles-François Racot de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragi-parade DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 16/07/2023 à 05:18:25. DC.Coverage = Pays fantaisiste DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/GRANDVAL_TEMPERAMENT.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k97367619 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE TEMPÉRAMENT TRAGI-PARADE TRADUITE DE L'ÉGYPTIEN en vers français et réduit en un acte. À CHARLOTTE DE MONTMARTRE en octobre 1755 M. DCC. LVI. ACTEURS IMPIAS. FESSARIDE, Reine Douairière d'Egypte. BÉLENDRAPS, fille de Fessaride, couronnée reine d'Egypte depuis la mort du feu roi. RATANPHOR, prince syrien, couronné Roi d'Egypte, et marié nouvellement à Bélendraps. LE CAPITAINE DES GARDES. GARDES. La scène est dans le palais des rois de Toutybande. LE TEMPÉRAMENT. SCÈNE PREMIÈBE. Ratanphor, Bellendraps; surm. RATANPHOR. Arrêtez, Bellendraps ! BELENDRAPS. Ratanphor, laissez-moi.À vos propos d'amour je n'ajoute plus foi,Je suis trop courroucée, et j'ai sujet de l'être.Mariée avec vous par les mains du Grand-Prêtre,Je suis, depuis huit jours, brûlante de désir, Sans éprouver par vous ce que c'est que plaisir ?Vos mains avec ardeur me parcourent sans cesse ;Mais vous en restez-là ; votre faible tendresse,Quand vous venez au lit près de moi vous coucher,Se contente avec moi simplement du toucher. N'est-ce donc que pour ça que l'amour nous rassemble ? N'est-ce donc que pour ça que l'on se couche ensemble ?Je suis fort ignorante en amour, en hymen ;Mais de tout votre corps quand j'ai fait l'examen,J'ai vu, quand vous dormiez, la forme singulière Dont un homme partout d'une femme diffère ;Et j'ai dit, en voyant votre sexe et le mien,La nature n'a pas mis tout ça là pour rien.Quoique j'en sois encore à mon apprentissage,Je sais bien qu'il s'agit d'un étroit assemblage Qui nous cause un plaisir qui n'est pas assez long,Et se répand en nous de la tête au talon. RATANPHOR. Vous, que j'ai toujours vue aussi simple que sage,Vous en savez beaucoup, Madame, pour votre âge. BELENDRAPS. Si cela vous surprend, n'en soyez plus surpris ; Apprenez a présent qui m'en a tant appris.'Dans les bois consacrés à la chaste Diane,Me promenant un jour, j'aperçus un grand âne,Une docile ânesse auprès de lui paissait ;Quand l'âne nous montra bientôt ce qu'il portait. Je me plaisais à voir sa brillante structure :Dans ses productions j'admirais la nature,Je sentis en mon coeur naître un certain désir,Qui me fit frissonner tout le corps de plaisir.Neuf fois de ses talents l'âne faisant usage, Consomma devant moi neuf fois son mariage.J'enviais le bonheur de ce couple amoureux ;Je désirais tout bas d'être au moins l'un des deux ;De l'ânesse en secret je me sentais jalouse,Quand je fus destinée à me voir votre épouse. À vos ambassadeurs le Conseil m'accorda,Je consentis à tout en victime d'État ;Mais lorsque je te vis, ton aimable présenceEffaça de mon coeur et l'âne et sa puissance ;Et pour la force, au moins, te croyant son égal, Je te sacrifiai mon goût pour ce rival.Juge si c'est à tort que je fais la grimace ;Je suis toute de feu, tu n'es jamais que glace.J'ai beau tout employer ; ma violente ardeurNe te peut faire naître une ombre de chaleur. Croyant te mettre en train, je me mets toute nue,Et de tous mes appas je régale ta vue.De cent mille façons je te prodigue au litEt ma bouche, et ma gorge, et tout ce qui s'ensuit ;Rien ne paraît en toi ; toujours lâche, immobile, Tout ce que tu as vu te devient inutile ;Trop insipide époux, quelqu'un me vengera ;Ce que tu ne fais pas, un âne le fera. RATANPHOR. Oui ; vous avez raison de me faire la moue ;Mais que votre courroux un moment s'amadoue, Et ne me faites pas le chagrin sans égalDe vous voir me donner un âne pour rival.Des plaisirs de Cythère effrénément avide,Soir, matin, jour et nuit vous abhorrez le vide.Auprès de votre corps blanc, poli, fait au tour, Je suis sans mouvement, mais non pas sans amour.Se peut-il qu'à vingt ans, à la fleur de mon âge,Je laisse à mes côtés bailler un pucelage ?Je vois un crocheteur, un moine, un savetier,Travailler, sans relâche, à ce joli métier ; Mon peuple se repeuple ; à la cour, à la ville,C'est à qui se pourra montrer le plus habileÀ ce jeu qui servit à nous créer tous deux,Et moi, Roi, je ne puis faire cela comme eux !Ah ! Que de tout mon coeur je couperais la langue Au premier Orateur, qui crachant sa harangue,Me dira trente fois, « Roi puissant, puissant Roi »,En croyant m'honorer, on se moque de moi.Je ne fus pas toujours dans l'état malhonnêteQui malgré mon ardeur, me donna sur la crête. De l'amour, à douze ans, je sentis les désirs ;Et bientôt j'en connus les plus secrets plaisirs.La gouvernante, hélas ! que me donna ma mère,M'apprit à me servir du sceptre de Cythère ;Je fus en deux leçons un élève excellent, Et tout enfant enfin, je lui fis un enfant.Mais que me sert ici de vanter ma prouesse ?Quand je n'ai près de vous que honte et que faiblesse.Il n'en faut point douter, on m'a joué d'un tour.Quelque ennemi secret, plus méchant qu'un vautour, M'empêche de jouir de vous et de vos charmes ;J'en ai déjà versé plus de cent vingt-cinq larmes.Oui, c'est un maléfice, un sort, un guet-à-pens.On ne veut pas me voir sur vous un seul instant,Vous faire ce qu'on fit lorsqu'on vous a faite ; Et quelqu'un sûrement m'a noué l'aiguillette.J'ai fait secrètement venir Cucufécien,Fameux apothicaire, excellent pharmacien,Il n'a jamais trouvé qu'obstacle sur obstacle.De Priape, à la fin, j'ai consulté l'oracle J'ai retenu ces mots, et j'en suis confondu ;Écoutez, car voici ce qu'il m'a répondu : « La jeune épée ira dans le jeune fourreau, Quand cette même épée Sur un cadavre bien groupée Sortira brillamment d'un antique tombeaux. » Quel sens puis-je donner à pareille réplique ?L'oracle nettement en commençant s'explique,Et je comprends très bien qu'en cet obscur tableau,C'est moi qui suis l'épée, et c'est vous le fourreau ; Mais je ne puis, Madame, interpréter le reste.Ce tombeau.... ce cadavre... ô doute trop funeste !Dieux ! Qui croyez avoir bien plus d'esprit que nous,Donnez-nous donc celui de vous deviner tous ! BELENDRAPS. Un oracle toujours a fait son thème double, Et vouloir l'éclaircir, c'est pêcher en eau trouble.Mais je vous vais, pour moi, dire mon sentimentFranchement, clairement, intelligiblement.Me voici votre femme, et je suis encore fille ;Mais de cesser de l'être en un mot je pétille. Si dans un heure au plus vous ne terminez pasL'anéantissement qui fait tous nos débats,Je vous ferai bien voir, qu'au point où nous en sommes,On fait cocus les Rois comme les autres hommes.Je vous laisse y penser. Grenadiers, suivez-moi. Elle sort. SCÈNE II. RATANPHOR, seul. Ciel ! Que va-t-elle faire ? Et qu'ai-je entendu ! Quoi ?J'aurais donc le destin dont elle me menace ?De me faire cocu la Reine aura l'audace ?Belendraps recevra mille gens dans ses bras ;Et seul, malgré mes droits, je n'en tâterai pas ? Le ciel, l'injuste ciel, ne me fait dans sa rage,Rassembler aux humains que par le cocuage ?Mais Impias paraît ; Fessaride le suit ;J'ai tout à redouter de leur méchant esprit.Ma belle-mère et lui dans ce lieu vont se rendre, Caché dans mon boudoir, je pourrai les entendre.Ils ignorent tous deux ce petit cabinet,Que j'ai fait, dans ce mur, pratiquer en secret ;J'ai trop besoin d'être homme, et j'en ai trop d'envie,Pour ne pas épier ceux dont je me défie. Il se cache. SCÈNE III. Impias, Fessaride, Ratanphor, caché. FESSARIDE. Vous, qui faites fumer l'encens sur les autelsDe ce Dieu secourable aux malheureux mortels,Vous, prêtre de Priape, et son plus cher ministre,Organe de sa voix favorable ou sinistre,Impias, vous savez que mes besoins pressants Ne peuvent plus souffrir aucuns retardements.Dans mon coeur, à quinze ans, Cupidon se fit brèche ;Il avait son flambeau, le feu prit à la mèche.Depuis, aucun mortel n'a pu jusqu'à présentÉteindre les ardeurs de cet embrasement. Plus on cherche à calmer le feu qui me dévore,Plus j'obtiens du secours, plus j'en désire encore.J'ai fatigué, depuis environ soixante ans,Tous nos princes voisins, nos sujets languissants.Le feu Roi, mon époux, que j'excitais sans cesse À me prouver l'excès de sa vive tendresse,Voulant rassasier mon bouillant appétit,À ce noble dessein travaillait sans répit ;Nerveux, trapu, robuste, ardent, plein de courage,Il ne peut résister, et creva sur l'ouvrage. De ce tempérament les Dieux m'ont fait présent :Mais ils ont dû former indubitablementUn mortel qui me puisse égaler pour la force.À le trouver en vain jusqu'ici je m'efforce.Je me fais un sérail d'hommes de tous états ; J'essaye tour à tour Rois, ministres, soldats ;C'est pitié ; je les vois renoncer à la peine.Ne vous ai-je pas mis vous-même hors d'haleine ?Voyons, cherchons encor, ne nous rebutons pas ;Oui, j'en veux essayer jusques à mon trépas. IMPIAS. Votre fille, je crois, tiendra de vous, madame. FESSARDE. Le prince son époux chatouille bien mon âme.Peut-être est-il celui que le ciel a nomméPour apaiser l'ardeur de mon coeur enflammé ;Il m'a donné dans l'oeil : je n'ai pu vous le taire. IMPIAS. Aussi j'ai bien, Madame, avancé votre affaire.D'un oracle en secret par moi-même dicté,Le Roi veut pénétrer la noire obscurité ;Sitôt que vous aurez déclaré votre flamme,Un jour, un jour nouveau descendra dans son âme ; Il vous appliquera dans son jeune cerveau,Les mots embarrassants de spectre et de tombeau ;Et verra que son corps n'a rien de mieux à faire,Apprenant vos désirs, que de les satisfaire.Instruit de votre ardeur, pour la favoriser, De peur qu'avec la Reine il n'allât s'épuiser,J'ai fait secrètement prendre au prince un breuvage,Qui malgré son amour le contraint d'être sage.Le réfrigératif que contient la liqueur,L'empêche jusqu'ici de cueillir cette fleur Dont votre fille veut se défaire à toute heure ;Elle en gémit sans cesse, elle en jure, elle en pleure ;Mais son époux forcé de prendre du repos,Sera pour vos desseins plus frais et plus dispos. FESSARIDE. Mais son terrible état dans le fond m'inquiète ; Pour moi, qui ne veux pas avec lui faire diète,Dites-moi promptement comment je ferai... pourQue ce prince avec moi ne reste pas tout court. IMPIAS. Lever cet embarras est la moindre vétille.Faites lui devant vous manger cette pastille, Ce qui languit en lui reprendra sa vigueur,Et vous pourrez tirer parti de sa valeur. FESSARIDE. Mais s'il me croit bien vieille, aura-t-il le courageDe permettre à son chat d'aller à mon fromage ? IMPIAS. Ne lui faites manger de ce trésor caché Qu'après que vous aurez bien fait votre marché,Vous n'êtes pourtant pas encor trop décrépite ;Et quoique bientôt prête à descendre au Cocyte,Vous avez le teint blanc et mêlé d'incarnat...Et le Prince voudra sortir de son état. Vous étiez autrefois aimable, belle et fraîche ;Mais le temps détruit tout ; c'est lui qui nous dépêche.Comment faites-vous donc pour feindre des appas ?Car je sais dans le fond que vous n'en avez pas ;Je sais depuis longtemps que vous êtes borgnesse ; J'ai vu vos dents pourrir et tomber pièce à pièce :Votre tête n'a plus que vingt-trois cheveux blancs ;Et je vous vois deux yeux, cheveux bruns et des dents. FESSARIDE. J'en conviens, Impias ; c'est la vérité pure ;Mais l'art est fait aussi pour aider la Nature. Mon oeil est remplacé par un autre d'émail,Si bien fait qu'on n'en peut soupçonner le travail.Pour réparer mes dents dans ma bouche je ficheAvec assez d'adresse un râtelier postiche.Je me peins les sourcils, et j'ai de faux cheveux, Je mets du blanc, du rouge, et le mets tout au mieux :Ma gorge trop pendante, en plus d'un rouleau mise,Est sur des coussinets artistement assise ;Et pour cacher mes ans, j'ai fait dans tout l'ÉtatDéfendre d'imprimer ni vendre un colombat. IMPIAS. Vous plairez, Fessaride, et je veux qu'on m'étrille,Si vous ne valez mieux cent fois que votre fille. FESSARIDE. J'ai plus d'acquis. IMPIAS. Sans doute. Il est temps qu'à mon tourJe vous dise pour qui je ressens de l'amour.Bien plus jeune que vous, mon amoureux courage Ne s'emploie à présent qu'avec un pucelage.Mais l'aimable beauté, soumise à mes plaisirs,Ne me peut qu'un seul jour exciter des désirs.Le lendemain l'ennui s'empare de mon âme,Il me faut aussitôt brûler d'une autre flamme, Et mon goût satisfait, ce feu que j'ai fait voirSi brillant le matin, s'éteint juste le soir.C'est mon tic, ou plutôt c'est ma délicatesse ;Nous sommes singuliers chacun dans notre espèce.De ce vin champenois dont j'emplis mon jabot, On ne me voit jamais sabler que le goulot :Quand je mange du lait, eh bien, c'est tout de même ;Et de tout en un mot je ne prends que la crème.La jeune Reine encore a sa virginité,J'en voudrais régaler ma sensualité. FESSARIDE. Grand-prêtre, combinez le temps de sa naissanceAvec les temps heureux de notre intelligence ;Par ce juste calcul, vous serez éclairci,Et verrez que ma fille est votre fille aussi. IMPIAS, en colère. Je ne veux point, Madame, entrer dans ce mystère ; Qu'elle le soit ou non, cette vaine chimèreNe peut mettre d'obstacle au plaisir sans égalD'écrêmer la princesse en son lit nuptial :Et pour tarir le cours de votre verbiage,Un sculpteur n'est-il pas maître de son ouvrage ? Vous voulez prendre, vous, un gendre pour amant,Moi, je veux renchérir sur votre accouplement.Oui, ma fille verra, sans que je m'en étonne,Sur le même chevet ma mitre et sa couronne.Je viens de me prêter à votre amour lascif ; Je suis prêtre, Madame, et très vindicatif ; ...Je n'en dirai pas plus. Se radoucissant. Combattrez-vous encoreL'innocente fureur du feu qui me dévore ? FESSARIDE. Impias, vous parlez avec trop de candeur.À tel prix que ce soit faisons notre bonheur. IMPIAS. Adieu ; je vais au Temple où mon devoir m'appelle ;Parlez en ma faveur à la Reine pucelle ;Je ne veux qu'une nuit la tenir dans mes bras,Le lendemain mon coeur ne s'en souciera pas. Il sort. SCÈNE IV. Ratanphor, Fessaride. RATANPHOR, à part, sortant du cabinet. Quelle horreur ! Où peut-on en tramer de plus forte ? Qu'un Roi fait bien parfois d'écouter à la porte ! FESSARIDE. Mon cher Roi ! Mon bijou, vous paraissez rêveur ?Votre front s'est couvert d'une vive pâleur.Ah ! Vous broyez du noir, je n'en fais aucunjdoute. RATANPHOR. La maudite sorcière ! FESSARIDE. Écoutez ; somme toute, L'hymen ne nous rend pas également heureux ;Les uns s'en trouvent bien, d'autres mal, d'autres mieux.Il se pourrait très fort que la Reine ma filleNe fût pas à présent à vos yeux si gentille :[Note : Chêmer : Maigrir, tomber en chartre. Voilà un enfant qui se chême. Vieilli. [L]]N'allez pas pour cela, cher enfant, vous chêmer. Il est d'autres objets que vous pouvez aimer ;Et j'ai pour vous, mon fils, une telle tendresse,Que je veux vous choisir moi-même une maîtresse.Ne ferai-je pas bien ? Qu'en dites-vous, poulet ? RATANPHOR. La masque ! Tout-d'un-coup veut en venir au fait ! Mais feignons d'adorer cette infâme chenille,Pour être possesseur de l'heureuse pastille. FESSARIDE. Vous répondez si bas, que je n'entends pas bien. RATANPHOR. Vieille, vous êtes sourde, et vous n'en disiez rien. FESSARIDE. Hem ? Plaît-il ? RATANPHOR. Fessaride, il est vrai que la Reine Me donne de l'humeur, et me fait de la peine,Et je souffre auprès d'elle et la nuit et le jour. FESSARIDE. Eh bien, il faut changer et d'objet et d'amour.Il vous faudrait, je crois, une femme bien mûre,Dont toute la vertu fût beaucoup de luxure. RATANPHOR. Que vous devinez bien le secret de mon coeur !Il me la faut ainsi pour faire mon bonheur. FESSARIDE. Une femme en amour qui ne fût pas novice,Et qui mieux que Vénus en connût l'exercice. RATANPHOR. Oui ; c'est-là la maîtresse à qui j'offre mes voeux, Et vous me la peignez telle que je la veux. FESSARIDE. Eh bien, s'il est ainsi, mon fils, j'ai votre affaire. RATANPHOR. Mon choix, Madame, est fait, je n'en ai plus à faire.Et n'osant de mes feux nommer quel est l'objet,Du mieux que je pourrai, j'en vais faire un extrait ; Je pense que mon coeur, pour cette confidence,Trouvera dans ces maux tant soit peu d'élégance.Celle que je veux dire a soixante et quinze ans,Et fut belle au rapport de mille vieilles gens ;Je le crois. Son portrait, qu'on fit dans son jeune age, De vieillir nous fait voir le fâcheux avantage :Quand on met ce tableau près de l'originalC'est un ange céleste auprès d'un infernal ;Mais ses appas flétris me causent peu d'alarmes,Je n'ai devant les yeux que ses antiques charmes. Elle eut de beaux cheveux, elle est chauve à présent ;Son téton va chercher son genoux fléchissant,Elle n'a qu'un bon oeil, il est bordé de rouge ;L'autre d'émail jamais de sa place ne bouge.Son teint de gratte-cul n'est couvert que de fard. Elle achète ses dents chez Mouton et Fauchard.Mais malgré tout cela, malgré son oeil de verre,[Note : Cautère : Petit ulcère artificiel, arrondi, que l'on ouvre dans les parties où abonde le tissu cellulaire. [L]]Ses rides et ses peaux, et malgré son cautère,Admirez le pouvoir de ce Dieu fou pommé,Je l'adore et je meurs si je n'en suis aimé. FESSARIDE. Ah! c'est moi dont il parle ! Amour ! Que je suis aise !Mais je ne vois ici ni matelas ni chaise...D'un tel aveu, mon Roi, va n'appréhende rien ;Car mon coeur dès longtemps a devancé le tien. RATANPHOR, à demi bas. Ah ! comme ton vieux coeur semble mordre à la grappe ? Mais tu tiens la pastille ; il faut que je l'attrape. FESSARIDE. Ne marmotte donc point, mon fils, entre tes dents. RATANPHOR. Sachez le plus cruel de tous les accidents.À quoi m'aurait servi de déclarer ma flamme ?Vous m'allez détester dans le fond de votre âme. Le destin m'a repris, tant il est irrité,Le plus bel attribut de notre humanité ;Et je me vois réduit à ne pouvoir plus faireL'office d'un amant, d'un mari, ni d'un père.Je pleure ce malheur moins pour moi que pour vous. Que ferez-vous de moi dans ces moments si doux ?...Mon corps brûle en dedans, tout le dehors est tiède. FESSARIDE. Je conçois ton chagrin, et j'en ai le remède.Tiens, dans cette pastille est ton fameux destin.On brave en la mangeant le plus brave Augustin. Tu ne devras qu'à moi le plaisir de renaître.Mais aussi je retiens tout le suc de ton être.Pour un si cher bonbon, jure-moi que d'un anD'autre que moi n'aura ton amoureux nanan. RATANPHOR. Je ne veux point jurer. Les serments sont frivoles : Il faut des actions, et non pas des paroles. FESSARIDE. Évitons les témoins, quelqu'un vient en ces lieux,Dans mon appartement nous serons beaucoup mieux. RATANPHOR. Venez donc travailler à ma métamorphose,Et de ma gratitude essuyer une dose. Ils sortent. SCÈNE V. Impias, Belendraps, suite. IMPIAS. D'être seul avec vous, Madame, j'ai besoin.Ordonnez qu'on nous laisse un moment sans témoin. Belendraps fait signe à sa garde de se retirer.Vous m'avez accepté, princesse qu'on contemple,Pour vous donner le bras au sortir de mon temple,Priape que j'y sers m'a valu cet honneur ; J'en rends grâce à ce Dieu dans le fond de mon coeur.Pour se rendre en ce jour à tous vos voeux propice,Vous lui venez d'offrir un bouc en sacrifice ;Je connais vos besoins, et dans les intestinsDe l'animal infecte j'ai lu tous vos destins. BELENDRAPS. Quoi donc ? Ce bouc fendu par un couteau de cuivre...Ses tripes, ses boyaux, Reine, voilà mon livre.Le passé, le présent, l'avenir ; je vois tout. BELENDRAPS. Hé bien, qu'avez-vous lu ? Voyons jusques au bout. IMPIAS. Des liens de l'hymen dont vous êtes bridée, Votre esprit s'était fait une plus douce idée.Vous avez un mari qui tâte à tout moment,Qui tâte, qui retâte ; et c'est tout. BELENDRAPS. Justement. IMPIAS. Fatiguée à la fin de n'être que tâtée,D'avoir un autre époux vous êtes bien tentée. BELENDRAPS. Ah ! Que le bouc et vous, vous en savez tous deux !Mon destin, Impias, est d'autant malheureux,Que si je veux aller en ville, à la campagne,De l'amour en tous lieux l'image m'accompagne.Je sais par des serins qui bâtissent leurs nids, Qu'ils ont tous travaillé pour faire des petits.Ici, ce sont lapins qui couvrent leurs femelles,Là, grimpé sur sa poule, un coq étend les ailes.Dans les champs j'aperçois l'innocente Isabeau,Secourir de sa main la vache et le taureau, Je ne vois rien enfin dans toute la natureQui ne trace à mes yeux l'amour et son allure. IMPIAS. Certain boyau du bouc, dit que du célibatJe pourrai vous guérir sous mon pontificat. BELENDRAPS. Si vous faites cesser cet état de tristesse, Mes perles sont à vous, mes bijoux, ma richesse. IMPIAS. De vos bijoux royaux le plus petit suffit.Encor, je n'en demande, hélas, que l'usufruit. BELENDRAPS. Quel est-il ? IMPIAS. C'est celui que le Roi laisse en friche. BELENDRAPS. Impias ! Avec lui vous voulez que je triche ! Ce que vous demandez est à lui, c'est son bien. IMPIAS. Mais à lui comme à vous, ce bien ne sert à rien.En faveur de quelqu'un s'il faut vous en défaire,Que vous fait que ce soit ou pour Jacque ou pour Pierre ?Croyez-vous donc pouvoir toute une éternité Conserver ce joyau de la virginité. BELENDRAPS, à part. Ah ! Que par le besoin une âme est ébranlée !Prends garde, ma vertu, de prendre ta volée. À Impias.Vous pensez qu'en l'état où mon sort est réduit,Je puis mettre sans crime un second dans mon lit. IMPIAS. Oui, croyez-moi, Madame, une princesse sagePeut introduire un tiers au sein de son ménage,Et pour vous le prouver, écoutez un moment.Vous n'avez pas sur vous pour un seul vêtement ;[Note : Simarre : Habillement long et traînant, dont les femmes se servaient autrefois. ]Vous portez la simarre, et l'écharpe et la veste ; Vous mettez un manteau pour couvrir tout le reste :Voilà comme il en faut user entre nous trois ;Sous les lois d'un mari soyez cent et cent fois,De ce titre avili mon âme est peu jalouse ;C'est un manteau qu'on prend qu'un homme qu'on épouse, Qu'il soit donc le manteau, mais sans tant de mic mac,Je vous servirai, moi, de pièce d'estomac. BELENDRAPS, à part. Grands Dieux ! Que son discours prend sur moi de puissance !Je ne sais pas pourquoi si longtemps je balance. IMPIAS. Rien ne vous servira de vouloir reculer ; Ce n'est pas d'aujourd'hui que je sais violer. BELENDRAPS. Violez-moi, pour voir. À part. Ah ! Mon âme troublée,N'aspires-tu pas trop à te voir violée ? À Impias.Mais enfin, je ne dois aimer que mon époux ;Il faudra donc aussi que je vous aime, vous ? Car ce bijou caché que votre amour implore,Ne s'accorde, dit-on, qu'à ceux que l'on adore. IMPIAS. J'ai de l'amour assez Bellendraps pour nous deux ;Non, madame, être aimé n'est pas ce que je veux,Vous pourriez me taxer de trop de suffisance, Et je ne veux de vous qu'un peu de complaisance. BELENDRAPS, à part. Que par sa modestie il sait plaire à mon coeur !Je ne puis résister à faire son bonheur.Raison, vertu, devoir, prudence, bienséance,Sortez tous de mon âme, ou bien faites silence. À Inzpias.Tenez voilà la clef de mon appartement,Dans ma chambre à coucher venez secrètement,Auprès de mon époux, pendant son premier somme,Je saurai cette nuit si vous êtes un homme. IMPIAS, se jetant à ses pieds. Ah ! Souffrez qu'Impias embrasse vos genoux : Ne fermez pas ce soir votre porte au verrous,Et vous verrez tantôt si votre époux de neige,De l'amour, mieux que moi, sait faire le manège. BELENDRAPS. Pour moi cette promesse est un grand avant-goût ;Adieu... N'oubliez pas votre passe-partout. SCÈNE VI. Ratanphor, Impias, Belendraps, Gardes. RATANPHOR, surprenant lmpias aux genoux de la Reine, lui baisant la main. Impias à vos pieds ? Ne lui laissez rien faire ;Ce monstre, ce coquin, ce prêtre est votre père. BELENDRAPS. Lui ? IMPIAS. Moi ? RATANPHOR. Toi. IMPIAS. Moi ? RATANPHOR. Toi. BELENDRAPS. Lui ? RATANPHOR. Par Fessaride et toiJ'ai su tous les complots machinés contre moi.Dans l'avenir, dis-tu, tu sais lire à merveilles ; Devine-tu le sort qui te pend aux oreilles ? BELENDRAPS, à part. Il semble que le ciel n'occupe son loisirQu'à mettre à tout moment obstacle à mon plaisir. RATANPHOR, à ses gardes. Qu'on l'ôte de mes yeux. J'ordonne qu'il subisseDans la place au charbon un trop juste supplice. À Impias.Tu seras empalé, prêtre sans foi, ni loi,Qui veut faire porter des cornes à ton Roi,Je veux que Fessaride à travers sa fenêtreRegarde avec douleur embrocher son grand prêtre. BELENDRAPS. Arrêtez, suspendez un ordre rigoureux Qui fait sur tout mon corps hérisser mes cheveux.Mais comment se peut-il, Seigneur, qu'il soit mon père ? RATANPHOR. C'est, Madame... en couvrant la Reine, votre mère. BELENDRAPS. Eh bien, je vous défends de le faire périr.Dans un cachot plutôt qu'on le laisse pourrir. RATANPHOR, se tournant vers au garde qui emmène Impias. J'y consens. À la Reine. À ses voeux vous n'étiez point contraire. BELENDRAPS. Mais... je penchais pour lui... parce qu'il est mon père.Ne vous étonnez point si son discours vainqueur,Me passant par l'oreille, allait droit à mon coeur ;Dans le brouillamini d'une telle aventure, L'Amour avait prêté son masque à la Nature. RATANPHOR. Ma princesse, apprenez que je suis en étatDe pouvoir vous prêter le collet du combat. BELENDRAPS. Ah ! S'il est vrai, Seigneur, prouvez-le à votre épouse. RATANPHOR. Oui, je vais vous prouver que neuf et trois font douze. Fessaride paraît, laissons-là dans ces lieuxExhaler ses transports, et chanter pouille aux Dieux. Ils sortent. SCÈNE VII. FESSARIDE, seule. J'étouffe, je me meurs, j'enrage, je suffoque.Vénus ! Peux-tu souffrir que de moi l'on se moque ?Qui plus que moi jamais encensa tes autels ? Venge-toi, venge-moi du plus vil des mortels.Auprès de Ratanphor sur mon lit je me couche,Je lui mets de ma main la pastille à la bouche,Il l'avale, et je vois changer en un clin d'oeil,Au gré de nos souhaits, la cause de son deuil ; Ce doux présent des Dieux, d'une vitesse extrêmeS'élève audacieux au-dessus de lui-même ;Mais ce Roi trop ingrat, en s'enfuyant avec,Me passe insolemment la plume par le bec.Je saute et cours après, de peur qu'il ne m'échappe ; Furieuse, égarée, aux cheveux je l'attrape ;Mais il prend ses ciseaux, et ce coup malheureuxNe me laisse de lui qu'un toupet de cheveux.Il fuit, ferme la porte, et pour comble d'injure,Il me dit mille horreurs au travers la serrure. Ô désespoir affreux ! Fatal revers du sort !Je ne vaux pas, dit-il, le pet d'un âne mort. Elle tombe dans un fauteuil. SCÈNE VIII et DERNIÈRE. Le Capitaine des Gardes, Fessaride, Gardes. LE CAPITAINE DES GARDES, donnant une lettre à Fessaride. C'est de la part du Roi. FESSARIDE. Quel que soit ce message,Il ne peut renchérir sur son dernier outrage. Elle lit.« Je prétends à jamais que votre appartement Vous serve de prison ; c'est votre châtiment.Vous n'aurez près de vous qu'une vieille ridée,Esclave, dont toujours vous serez obsédée ;Et pour mettre en gaîté votre corps décharné,Rien n'entrera chez vous qu'il ne soit chaponné. Je vous écrit au lit, Madame, où votre filleRecueille tout le fruit que produit la pastille.Cette occupation ménageant nos souliers,Nous donnera dans peu bon nombre d'héritiers. » Elle mord et déchire la lettre. Au Capitaine des Gardes.Tiens, tiens, voilà le cas que je fais de son ordre, Dis que tu me l'as vu déchirer, cracher, mordre ;Et rapporte à ton Roi les sincères souhaitsQue je lui fais ici pour prix de ses bienfaits.Exaucez-moi, grands Dieux ! Et que sa tabatièreQuand il prend du tabac, se renverse par terre, Qu'il ne puisse un moment être seul quand il veut ;Qu'il ne trouve jamais de fiacre quand il pleut,Que quinze fois par mois sa montre se dérange,Qu'il ne puisse gratter où cela le démange,Que toujours constipé, jamais un lavement Ne se puisse glisser jusqu'à son fondement ;Que sa poitrine soit tous les jours enrhumée,Que sa chambre l'hiver soit pleine de fumée,Qu'il ne puisse jamais voir mûrir ses raisins,Qu'il soit toujours piqué de puces, de cousins, Que la foudre du ciel tombe sur sa perruque,Qu'il soit cocu sans cesse, et mille fois eunuque. LE CAPITAINE DES GARDES. Madame, si le Roi vous entendait parler,Un tel discours suffit pour vous faire empaler. FESSARIDE. Empaler, j'y consens ; si pour grâce dernière, On ne m'empale pas au moins par le derrière. Les Gardes entourent Fessaride, et l'emmènent. ==================================================