******************************************************** DC.Title = TYL L'ESPIEGLE, COMÉDIE. DC.Author = HUGUES, Clovis DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:07:46. DC.Coverage = Belgique DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/HUGUES_TYL.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5567490t?rk=21459;2 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** TYL L'ESPIEGLE COMÉDIE 1906. Tous droits réservés. Par M. CLOVIS HUGUES SOCIÉTÉ ANONYME D'IMPRIMERIE DE VILLEFRANCHE DE ROUERGUE, Jules Bardoux, Directeur. PERSONNAGES. TYL L'ESPIÈGLE. NICOLAS, père de Tyl. ANNA., mère de Tyl LE COMTE D'HEVERLÉ. LA COMTESSE D'HEVERLÉ. VAN BOCK, intendant du Comte. DOCTEURS DE L'UNIVERSITÉ. HOMMES D'ARMES DU COMTE. La scène se passe au château d'Heverlé, en Flandre, au treizième siècle. Extrait de "Les Joujoux du Théâtre, comédie enfantine, illustration de Louis Bailly", 1906. pp 114-211 TYL L'ESPIEGLE. Une salle du château d'Heverlé. Panoplies, fauteuils armoriés, portraits d'ancêtres, etc. SCÈNE PREMIÈRE. Nicolas, Anna. NICOLAS. Oui, monsieur notre fils est un fou réussi,Et je suis furieux de voir... ANNA. Mais non ! NICOLAS. Mais si ! ANNA. Bah ! Puisque c'est ainsi que chacun le préfère,Riez de ses bons tours, passez et laissez faire. NICOLAS. [Note : Hervelé est un commune de la banlieue sud de Louvain en Belgique à une trentaine de kilomètres de Bruxelles.]Le Comte d'Heverlé, notre maître et seigneur, Ne se plaît guère aux traits de son esprit moqueur. ANNA. Il est le Benjamin de notre châtelaine,Et c'est lui seul qui tient sa pelote de laine. NICOLAS. Alors il la tient peu, je te le dis tout bas. ANNA. J'en conviens, car au lieu de tricoter des bas. De coudre, de filer, de veiller au ménage,Ainsi que le faisaient les dames de l'autre âge,La dame de ces lieux court par monts et par vaux,Chassant et bataillant, éreintant ses chevauxEt montrant ce caprice entre mille caprices De leur faire au galop franchir les précipices.Tyl l'accompagnerait sans doute chaque jour,S'il était moins souvent perché sur cette tourD'où son cornet, ainsi que cela se rencontre,Doit sonner, aussitôt qu'un ennemi se montre. NICOLAS. C'est un bonheur pour nous qu'il ne la suive point.Elle a si bonne mine, un faucon sur le poing,Qu'il l'accompagnerait, pour un sourire d'elle,Jusque dans le pays où l'ombre est éternelle.Le Comte est batailleur, querelle ses voisins, Et traite en assiégés ses plus petits cousins.Jamais, tout vieux qu'il est, notre pays de FlandreN'avait vu sous le ciel tant de châteaux en cendre,Et Tyl, du haut des tours sondant le grand chemin,Y restera longtemps, son cornet à la main. ANNA. [Note : Georges de Lydas : martyr chrétien de la fin du IIème siècle, qui aurait triomphé d'un dragon. Saint patron des chevaliers.]Plaise à Monsieur Saint-George ! NICOLAS. Ah ! Quel énorme ciergeJe veux faire brûler à Madame la ViergeSi notre fils, plus vain que les petits oiseaux,Perd son espièglerie en conservant les os !Mais, le voici... Qu'a-t-il à chantonner encore ? SCÈNE II. Nicolas, Anna, Tyl. TYL. AIR de la Branche cassée.Mon père et ma mère m'ont misUn rayon de soleil en tête ;Tous les rieurs sont mes amis ;La sainte gaîté, c'est ma fête.Mon gosier est plein de chansons, Mon regard est plein d'étincelles ;Et pour les nobles demoisellesJe danse de mille façons. Il danse. NICOLAS. Qu'avez-vous à danser ? ANNA. Quelle guêpe vous blesse ? TYL, parlant. Il était une fois une belle princesse... Reprenant le chant.Bien que mon nid soit une tourBâtie exprès pour le vautour,Le caprice est ma règle ;Je m'amuse à plus d'un bon tour, Et je suis Tyl l'espiègle.Est-il rien de plus gai, vraiment,Dans le coin du monde où nous sommes,Que de faire éternellementDes niches à ces pauvres hommes ? Êtes-vous enragé ?La fleur au jour naissant sourit,Les grands chênes ont le délire,Et c'est dans un éclat de rireQue les oiseaux font de l'esprit. Il rit. NICOLAS. Êtes-vous enragé ? ANNA. Pourquoi rire sans cesse ? TYL, parlant. Or, un troubadour vint qui charma la princesse... Reprenant le chant. Bien que mon nid soit une tour Bâtie exprès pour le vautour, Le caprice est ma règle ; Je m'amuse à plus d'un bon tour, Et je suis Tyl l'espiègle. J'ignore si mon lendemain Doit répondre à mon espérance, Et je m'en vais sur le chemin, Heureux de mon insouciance. À moi les folâtres discours ! À moi toutes les douces choses ! Printemps, couronne-moi de roses : Je veux vivre et danser toujours ! Il danse et rit à la fois. NICOLAS. Arrêtez, arrêtez. ANNA. Quelle folle allégresse ! TYL, parlant. Alors le troubadour épousa la princesse... Reprenant le chant.Bien que mon nid soit une tourBâtie exprès pour le vautour,Le caprice est ma règle ; Je m'amuse à plus d'un bon tour,Et je suis Tyl l'espiègle. Parlant.Bonjour, papa ! Il embrasse sa mère. ANNA. Bonjour, mon fou ! TYL, embrassant son père. Maman, bonsoir ! NICOLAS. Fils, ne pouvez-vous pas montrer votre savoirSans dire une folie ou sans faire parade De vos légèretés qui me rendront malade ? ANNA. Votre père a raison. TYL. Quelle raison a-t-il ?Le papillon qui vole est plus léger que Tyl ;La feuille qui dans l'air frissonne est plus légèreQue Tyl, ce pauvre diable englué sur la terre ; Et pourtant chacun aime et feuille et papillon.M'a-t-on vu, soulevé par quelque tourbillon,Faire là-haut l'espiègle ? Ah ! père, je vous prieLaissez pousser son aile à mon espièglerie :Elle pousse si peu que j'en suis offense. NICOLAS. Fils, que sera-ce donc quand elle aura poussé ? TYL. Oh ! Ne vous fiez pas à tout ce que l'on conte !Les tours que d'autres font, on les met à mon compte ! ANNA. C'est donc un parti pris ? TYL. Jugez-en par vos yeux.Le comte avec ses gens arrive dans ces lieux. Nous allons devant lui, sans rompre le silence,Tous les trois à la fois faire la révérence ;Je serai comme vous plus muet qu'un poisson.On n'en dira pas moins : « Voyez ce polisson ! » SCÈNE III. Nicolas, Anna, Tyl, Le Comte d'Heverlé, Van Bock, Hommes d'armes. LE COMTE. AIR de la Vieille Chanson, de Darcier.J'ai dans mes veines un sang pur Comme le sang des vignes ;Mes lacs sont des nappes d'azurOù s'attablent les cygnes ;Ma bannière au vol souverainEst un aigle qui plane ; Et je m'en vais, le front serein,Faisant sur les casques d'airain[Note : Pertuisane : Ancienne arme d'hast, dont le fer présente une pointe à la partie supérieure, et, sur les côtés, des pointes, des crocs, des croissants. [L]]Sonner ma pertuisane. NICOLAS. Mon fils, c'est le moment, puisque le Comte est là. ANNA. Marchez derrière nous dans l'ordre que voilà. Ils s'inclinent tous les trois devant le Comte ; mais Tyl gesticule d'une façon comique derrière Nicolas et Anna, qui ne peuvent le voir. LES HOMMES D'ARMES. Même lorsqu'il se prétend sage,Il a tout juste la raison[Note : Gnome : Nom des esprits qui. dans le système des cabalistes, président à l'élément de la terre et à tout ce qu'elle renferme dans son sein, comme les ondins à l'élément de l'eau, les sylphes à celui de l'air et les salamandres à celui du feu. [L]]Du gnome qui la nuit voyageSur le dos d'un colimaçon...Voyez, voyez ce petit polisson ! bis. NICOLAS. C'est injuste ! Il n'a pas dit un seul mot. ANNA. J'enrageQue Tyl, en se taisant, s'attire cet orage ! LE COMTE. Sur mes donjons que bat le ventVeillent trois mille gardesDont le soleil en se levant [Note : Hallebarde : Arme d'hast, garnie par en haut d'un fer long, large et pointu, traversé d'un autre fer en forme de croissant. Les suisses d'église portent la hallebarde. [L]]Dore les hallebardes ;Mon cheval de guerre hennitComme la foudre tonne,Et je me suis dans le granitConstruit superbement un nid Que l'orage environne. NICOLAS. Fils, marchez devant nous : tout à l'heure, je crois,Vous faisiez certain geste avec le bout des doigts. Ils défilent devant les hommes d'armes, mais Tyl leur fait des grimaces que Nicolas et Anna ne peuvent pas voir davantage. LES HOMMES D'ARMES. Même quand il se prétend sage,Il a tout juste la raison Du gnome qui la nuit voyageSur le dos d'un colimaçon...Voyez, voyez ce petit polisson ! bis. TYL, sur un ton tragique. Ah çà ! Jusques à quand souffrirai-je, mes drôles,[Note : Quolibet : Question de philosophie ou de théologie. Aujourd'hui, et par une extension péjorative, propos trivial, mauvaise plaisanterie. [L]]Ces mesquins quolibets pleuvant sur mes épaules ? Jusques à quand, Seigneur ? Seigneur, jusques à quandVos gens poursuivront-ils d'un refrain provocantUn page sans égal dont le rire sonoreDans votre vieux château voltige dès l'aurore ? SCÈNE IV. Les précédents, La Comtesse d'Heverlé. LA COMTESSE, entrant brusquement en scène, une arquebuse au poing, les cheveux dénoues, l'allure guerrière Bravo, messire Tyl ! Eh quoi ! L'on vous aurait En mon absence encor décoché quelque trait ?Heureusement pour vous que vous avez la langueBien pendue. LE COMTE. Il allait nous faire une harangue. TYL. Berner ma seigneurie ! A-t-on rien vu de tel ? VAN BOCK. [Note : Missel : Nom du livre ecclésiastique qui contient les messes propres aux différents jours et fêtes de l'année, et qui sert aux prêtres à l'autel. [L]]Ce petit homme-là parle comme un missel. LA COMTESSE. Voici mon bon plaisir : je veux, moi, châtelaine,Qu'on l'écoute, dût-il parler une semaine.Approchez-vous un peu, mon page bien-aimé ! ANNA, à Nicolas. Vous avez entendu comme elle l'a nommé. NICOLAS. L'attention qu'elle a pour notre Tyl me flatte. UN HOMME D'ARMES, à part. Quel piètre favori ! LE COMTE, à part. La comtesse le gâte. TYL, aux genoux de la comtesse. Ô madame, merci ! Désormais, grâce à vous,J'ai le droit d'être espiègle et fou parmi les fous,De chanter, de danser, de rire jusqu'aux larmes,De mettre un bonnet d'âne à tous vos hommes d'armes, De taquiner chacun, de cribler de bons motsLe savoir des savants, la sottise des sots,Et de crier partout, sans craindre qu'il me morde,Que messire Van Bock a mérité la corde. VAN BOCK. Et pourquoi voulez-vous dire cela de moi ? TYL. La belle question ! LA COMTESSE. Pourquoi ? LE COMTE. Pourquoi ? TOUS. Pourquoi ? TYL, se levant. [Note : Bouge : Plus souvent, logement obscur et malpropre. [L]]Parce qu'il est râpé comme un gueux dans son bouge,Qu'il porte mal sa toque et qu'il a le nez rouge. TOUS, riant. Ah ! Ah ! LE COMTE. Pauvre Van Bock ! VAN BOCK. L'affreux petit brigand ! TYL. [Note : Jeter son gant : défier un adversaire en duel. [L]]Autorisez-moi, Comte, à lui jeter mon gant ! LE COMTE. Non : les débats sont clos. VAN BOCK, a part. Si jamais je l'accoste !... LE COMTE. Maintenant, compagnons, tout le monde à son poste ! LES HOMMES D'ARMES. À table ! LA COMTESSE. À table ! TYL, se dirigeant vers la table. À table ! LE COMTE. Après nous, maître Tyl !À cette heure ton poste est sur la tour. TYL. Plaît-il ? LA COMTESSE. Allons, ne boudez pas, beau page : le service Est ainsi partagé. TYL. Mais c'est une injustice !J'ai terriblement faim. LE COMTE. Tu mangeras plus tard. TYL. Puisque vous l'ordonnez, je retourne au rempart,Et je sonne du cor à fendre les muraillesSi je vois une pique à travers les broussailles. Bon appétit ! À part.Je crois fort qu'on a préparéCe dîner pour moi seul. Le beau gâteau doré !Comme il attire l'oeil ! Ah ! Messire l'espiègle,Vous allez cette fois faire une farce en règle ! NICOLAS. J'espère, mon enfant, que tu seras enfin Sérieux maintenant... TYL, a part. Il fait diablement faim ! ANNA. Plus grave... NICOLAS. Moins léger... TYL. Je le suis trop, que diantre !Depuis hier au soir je n'ai rien dans le ventre. ANNA. Et contente toujours les maîtres du château. TYL, embrassant sa mère. Oui, mon petit papa. À part.C'est un bien beau gâteau ! Anna, Nicolas et Tyl sortent, celui-ci par la gauche, ceux-là par la droite. Le comte, la Comtesse et leur suite s'attablent. Van Bock occupe le bout de la table, à gauche. SCÈNE V. Le Comte d'Heverle, La Comtesse, Van Bock, Les Hommes d'Armes, Tyl pendant un instant. TOUS. AIR : Evohe ! que ces déesses...Buvons à la châtelaineQui partage nos combats,Et dans notre coupe pleineNoyons les maux d'ici-bas ! LA COMTESSE. Venue au monde guerrière, J'aime les grands étendardsQui flottent dans la lumièreSur la crête des remparts. Pendant que le chant continue, Tyl, marchant sur les mains, vient se placer derrière Van Bock et l'attache sur sa chaise par un pan de son vêtement ; après quoi, il se retire avec les mêmes précautions. TOUS. Buvons à la châtelaineQui partage nos combats, Et dans notre coupe pleineNoyons les maux d'ici-bas ! LA COMTESSE. À moi la victoire ailée !À moi le rapide éclairDes casques dans la mêlée Où le fer heurte le fer ! TOUS. Buvons à la châtelaineQui partage nos combats,Et dans notre coupe pleineNoyons les maux d'ici-bas ! Le cor de Tyl sonne trois fois : tous les convives se lèvent, à l'exception de Van Bock, qui fait de vains efforts pour se séparer de sa chaise. LA COMTESSE, reprenant son arquebuse. L'ennemi nous environne :Debout à l'appel du cor !Et que la foudre éperonneMon coursier harnaché d'or ! TOUS, l'arme au bras. Nous ne voulons, châtelaine, Venir qu'après les combatsAu fond de la coupe pleineNoyer les maux d'ici-bas. Ils sortent précipitamment. SCÈNE VI. Van Bock ; Tyl, d'abord dans la coulisse. VAN BOCK, toujours attaché. Sapristi ! C'est encor ce méchant petit pageQui m'a joué ce tour ! Oh ! j'enrage, j'enrage ! Quel rôle ridicule il me fait remplir là !C'est mal de se moquer des gens comme cela !Quoi ! Berner de la sorte un intendant du comte !Quoi ! M'avoir attaché par l'habit, quelle honte !Comme si je n'étais qu'un enfant, qu'un vieux fou ! Ah ! Si je le tenais, je lui tordrais le couEt je lui ferais voir, selon les vieilles règles,A quels beaux traitements s'exposent les espiègles.Si du moins je pouvais dénouer mon pourpoint !Mais le bandit m'a fait un noeud comme le poing : Impossible ! Je suis vissé sur cette chaise.[Note : Saint-Blaise : Martyr chrétien arménien du IVèème siècle. Il fut év^que et médecin.]Me voilà bien logé ! Par mon patron Saint-Blaise,Je jure qu'il sera châtié celte foisEt qu'il conservera la marque de mes doigtsPendant plus de huit jours au bout de son oreille ! On n'aura vu jamais une danse pareille !Je le corrigerai devant tout le château !Quand j'y pense ! Je suis comme dans un étau,Je suis cloué ! Je veux qu'il me demande grâce.Outrager à ce point un homme de ma race ! [Note : Castel : S'est dit pour château. [L]]Un Van Bock ! Mon grand-père était dans ce castelIntendant de la coupe et pourvoyeur du sel ;Mon père avec des ducs chassait à l'arbalète.Je suis déshonoré, ma disgrâce est complète,Si quelqu'un me surprend dans l'état où je suis. Palsambleu ! J'aimerais mieux être au fond d'un puitsQue d'être à cette chaise attaché de la sorte.Comme ce noeud est dur ! Que le diable t'emporte,Abominable Tyl, effronté garnement !Et si les assaillants entraient ici ! Comment Me cacher ? Comment fuir ? Je suffoque, je tremble.Hé ! Par là-bas ? Qui vient par là-bas ? Il me sembleQue l'on a remué derrière ces piliers. Il roule à terre avec sa chaise, en faisant un effort pour se mettre à genoux.Ayez pitié de moi, messieurs les cavaliers !Je suis un intendant honnête ; je me nomme Van Bock, et croyez bien... TYL, masqué, un casque sur la tête, une grande pique à la main, entrant brusquement et faisant la grosse voix. Trêve aux discours, bonhomme !Nous avons sur ces murs planté notre drapeau.Le duc est pris. Tu vas, si tu tiens à ta peau,Me remettre les clés du trésor. VAN BOCK. Sainte-Vierge ! TYL, montrant sa pique. Je suis mal disposé. Tu vois cette flamberge.. VAN BOCK. Je la vois, doux seigneur. TYL. Eh bien ! Je te la metsÀ travers le corps, si les clés du trésor... VAN BOCK. Mais,Je ne sais pas où sont ces clés qu'on me demande. TYL. Tu m'interromps, je crois. VAN BOCK. Ma frayeur est si grandeEt je suis si troublé ! TYL. Quel butor réussi ! L'examinant avec soin.Ah çà ! Maître intendant, que fais-tu donc ici,Dans un accoutrement à ce point ridicule ?[Note : Chaise curule : Terme d'antiquité romaine. Chaise curule, fauteuil d'ivoire sur lequel les premiers magistrats de Rome s'asseyaient et qui avait les pieds courbes et des ornements d'ivoire. [L]]Pourquoi t'es-tu vissé sur ta chaise curule ?À la manière antique attendrais-tu la mort ? VAN BOCK. C'est Tyl, ce méchant fou... TYL. De plus fort en plus fort ! C'est Tyl qui t'a cloué sur ce siège ? Ah ! Le drôle ! VAN BOCK. Vous le connaissez donc ? TYL. Tu me plais dans ce rôle ! VAN BOCK. Un petit scélérat ! TYL. Un aimable garçon !Moi, j'ai toujours aimé les tours de sa façon.Quand on a de l'esprit, il faut bien qu'on le montre ! Est-ce un mal de berner les badauds qu'on rencontre ? VAN BOCK. Je ne dis pas. TYL. Fort bien. Tu comprends comme moiQue Tyl a cent raisons de se moquer de toi ? VAN BOCK. Je le comprends. TYL. D'ailleurs, si ta dure cervelleNe se l'expliquait pas d'une façon formelle, Je te l'expliquerais au moyen de l'outilQue voilà. Il lui montre sa pique.Par Caron ! Je suis l'ami de Tyl ;Je ne souffrirais pas qu'un sot de ton espèce... VAN BOCK. Mais, monseigneur... TYL. Je veux que l'on m'appelle Altesse. VAN BOCK. Mais, Altesse ! Je n'ai rien dit. Tyl est charmant. Je l'aime. TYL. Un peu ? VAN BOCK. Beaucoup. TYL. Et passionnément ? VAN BOCK. Et passionnément : c'est ce que je veux dire.Mon Altesse... TYL. Je veux que l'on m'appelle Sire ! VAN BOCK. Sire ! Tyl est charmant, je vous le dis encor ;Mais vous devinez bien... TYL, brusquement. Et les clés du trésor ? Où sont-elles ? J'attends depuis plus d'un quart d'heure. VAN BOCK. Je ne sais... TYL. Palsambleu ! je les veux. VAN BOCK. Que je meureSi je les ai ! TYL, allant sur lui. Je vais te servir de ton plat. VAN BOCK. Je suis à vos genoux, je me fais aussi platQue possible. Pitié ! La gloire serait mince D'avoir tué ce vieux Van Bock. TYL. Je suis bon prince.Écoute. Je consens à t'épargner, ma foi,[Note : Chape : Sorte de manteau long, sans plis et agrafé par devant, que portent l'évêque, le célébrant, les chantres, etc. durant l'office ; se dit aussi de l'habit à capuce fourré d'hermine des cardinaux, et du grand manteau de drap ou de serge des chanoines. [L]]Si tu jures par la chape de Saint-ÉloiDe ne pas te venger de Tyl. VAN BOCK. Je vous le jure. TYL. De ne pas dire au Comte un mot de l'aventure. VAN BOCK. Je le jure. TYL. D'avoir de l'amitié pour Tyl,De ne pas lui tirer les oreilles. VAN BOCK. Plaît-il ? TYL. De ne pas lui tirer les oreilles. VAN BOCK. J'admire ! TYL. Jure : cela vaut mieux. VAN BOCK. Je vous le jure, Sire. TYL. Et tes serments sont sûrs ? VAN BOCK. Aussi fermes qu'un roc ! TYL, se démasquant. Et maintenant, comment ça va-t-il, cher Van Bock ? VAN BOCK. [Note : Avorton : Par mépris, homme petit et mal fait. [L]]Quoi ! Méchant avorton, tu me jouais encore ! TYL. Je te jouais. C'est bien amusant. VAN BOCK. Je t'abhorre. TYL. Je t'aime. VAN BOCK. Je ferai quatre morceaux de toi. TYL. Et ton serment par la chape de Saint-Éloi ? VAN BOCK. Ton casque me trompait, tu me prenais en traître :Le serment n'était pas valable. TYL. Ah çà, mon maître !Depuis quand un serment qu'on fait ne vaut-il rien ?Parbleu ! Je te ferai brûler comme un païen. VAN BOCK. Je casserai sur toi les bâtons de la chaise Où tu m'as attaché. TYL. Vraiment ! J'en suis fort aise.Comment t'y prendras-tu, si tu restes vissé ? VAN BOCK. Tu me laisseras là ? TYL. Je ne suis pas pressé. VAN BOCK. Mais moi je suis pressé diablement. TYL. J'imagine[Note : Échine : Épine du dos, longue colonne située entre la tête et le bassin. [L]]Que le régal de coups promis à mon échine Ne me poussera guère à te délivrer. VAN BOCK. Quoi !Tu crois que j'oserais te maltraiter ? TYL. Ma foi !Je l'ai cru tout d'abord. Tu n'es pas mauvais diable ;Mais ce maudit serment qui n'était pas valable,Ces coups que tu devais sur moi faire pleuvoir, Cette noble fureur... VAN BOCK. Bah ! Tu vois tout en noir. TYL. J'avais tort, j'en conviens. VAN BOCK. On est parfois maussade. TYL, emplissant un verre de vin. Soyons deux bons amis. Il présente le verre à Van Bock.[Note : Rasade : Vase rempli jusqu'aux bords. [L]]Tiens, bois cette rasade ! Au moment où Van Bock va saisir le verre, Tyl le boit d'un seul trait.Comment l'as-tu trouvé ? VAN BOCK. Boire ainsi le vin vieuxDu Comte ! TYL. N'est-ce pas qu'il est délicieux ? Il emplit un nouveau verre.Nous allons, si tu veux, jouer cet autre verre. VAN BOCK. J'aime ce petit vin. TYL. Et moi, je le révère.Endormons-nous. VAN BOCK. Pourquoi ? TYL. Pour dormir. VAN BOCK. En effet. TYL, couvrant le verre avec son chapeau. Et celui qui pendant son sommeil aura faitLe rêve le plus beau boira le verre. VAN BOCK. Certes ! Je dors. Il ferme les paupières. TYL, sans fermer les paupières. Je dors aussi. VAN BOCK, à part. L'aimable découverte !Je ne puis pas dormir, hélas ! Mais en fermantLes yeux, j'inventerai quelque rêve charmant,Éblouissant, exquis, adorable, céleste,Et je duperai Tyl, qui se croit malin ! TYL. Il boit le verre de vin et le recouvre avec le chapeau.Peste ! À travers le gosier ça vous fait un velours. Secouant Van Bock.Hé ! Van Bock ! Hé ! Van Bock ! Van Bock ! VAN BOCK. Je dors toujours. TYL, riant. Éveille-toi. Qu'as-tu rêvé ? VAN BOCK. J'ai fait un songeSi beau, si merveilleux qu'il a l'air d'un mensonge !J'ai rêvé que j'étais là-haut, dans le ciel bleu : J'ai vu les légions des anges du bon Dieu ;Saint-Pierre m'a parlé d'une façon civile ;[Note : Sainte-Cécile : Patronne des musicien, fêtée le 22 novembre. ]J'ai joué de la harpe avec Sainte-Cécile...Et toi, qu'as-tu rêvé pendant ce temps ? TYL. Oh ! Moi,Quand je t'ai vu si haut, je me suis dit : « Ma foi ! Il ne reviendra plus, tant il doit pour la terreAvoir un saint mépris ! » Et, clam ! J'ai bu le verre. Il soulève le chapeau et montre le verre vide. VAN BOCK. Tu n'es qu'un scélérat indigne des bontésDu comte. TYL. Mon ami, pas d'excentricités ! VAN BOCK. Faquin ! Drôle ! Impudent ! Buveur du vin des autres ! TYL. Et dire que tu viens de voir les saints apôtres ! VAN BOCK. Garnement ! Effronté ! TYL. Ton coeur est plein de fiel :Il faut être plus doux quand on revient du ciel. VAN BOCK. Je ne veux pas rester cloué sur cette chaise !Défais vite ce noeud, ou gare ! TYL. À Dieu ne plaise ! Tu m'as fait oublier de croquer ce gâteau :Je te punis... VAN BOCK. Il retombe en gesticulant.Coquin ! Opprobre du château ! SCÈNE VII. Les mêmes, Le Comte, La Comtesse, Les hommes d'armes. LE COMTE. [Note : Algarade : Vive sortie contre quelqu'un, insulte brusque, inattendue. [L]]Quelle est cette algarade ? LA COMTESSE. Est-ce qu'on vous assiège ? VAN BOCK. [Note : Pourpoint : Nom qu'on donnait autrefois à l'habit français qui a précédé les juste-au-corps, et qui couvrait le corps depuis le cou jusqu'à la ceinture. [L]]Il m'a par le pourpoint attaché sur ce siège ! LES HOMMES D'ARMES, riant. Oh ! Le pauvre Van Bock ! TYL. Il m'a dit qu'il avait Avec les séraphins dormi dans le duvetDes lits du paradis. VAN BOCK. Il a bu deux bouteillesDe vin vieux. LE COMTE, à Tyl. Je devrais te tirer les oreilles.Délivre ton captif. TYL, il détache Van Bock. J'obéis, Monseigneur. LA COMTESSE. Il est bien amusant, ma parole d'honneur ! TYL. Cet enragé vantard m'a juré par la chape[Note : Saint-Éloi : Orfèvre, Evêque du Noyon au Vème siècle, ministre du roi Dagobert.]De Saint-Éloi qu'il est cousin germain du pape. VAN BOCK. As-tu bientôt fini ? TYL. J'avais un peu serré... VAN BOCK. À nous deux, maintenant que je suis délivré ! Il court après Tyl.Je te ferai payer... TYL, se réfugiant derrière le Comte. Vous me défendrez, Comte ! Van Bock lance le pied. Tyl s'efface. Le comte reçoit le coup de pied de Van Bock. LE COMTE. Aie ! Aie ! VAN BOCK. Excusez-moi, Monseigneur. LA COMTESSE. Quelle honte ! VAN BOCK. C'est la faute de Tyl ! LES HOMMES D'ARMES. C'est la faute de Tyl ! LE COMTE. Je te condamne... TYL. À quoi, Monseigneur ? LE COMTE. À l'exil[Note : Cologne : ville d'Allemagne située à moins de 200 kilomètres à l'est d'Heverlé.]Et tu fileras vers les terres de Cologne,Tout de suite. TYL. J'ai fait une belle besogne. À la Comtesse, le genou en terre.Madame, je m'en vais, je vous baise la main. LA COMTESSE. Espérez. TYL, se relevant. Comme on doit s'ennuyer en chemin ! VAN BOCK. Tyl, bon voyage ! TYL. Avant de partir, je veux croireQue vous me laisserez vous conter une histoire. LE COMTE. Conte. TYL. Comte vous-même ! LA COMTESSE. Est-il gentil ! TYL. Le jour Où je naquis, le sort me fit l'aimable tour[Note : La Fée Urgèle est une personnage de Cendrillon, comédie en un acte du même auteur.]De me donner la fée Urgèle pour marraine,Tout comme si j'avais été fils d'une reine.Elle me fit cadeau d'un chapeau merveilleux,Le voilà. Il montre son chapeau.Ce chapeau ne dit rien pour les yeux ; Mais, si pauvre qu'il semble, il me fournit des piastres,Il est plein de sols d'or, et le ciel a moins d'astres !Quand j'ai bien déjeuné chez la mère Goton,Je n'ai qu'à le frapper du bout de mon bâtonEn lui disant trois fois : « Petit chapeau, travaille ! » Et les écus luisants pleuvent. VAN BOCK. Quelle ripailleJe ferais, si j'avais ce Crésus des chapeaux ! TYL. Je te l'offre. Je t'ai berné mal à propos.J'ai du regret. VAN BOCK, prenant le chapeau. Merci. Je te pardonne. TYL, la tête baissée. En route ! Il sort. VAN BOCK, parlant au chapeau. Toi, tu vas chez Goton me payer ma choucroute ! Il sort. SCÈNE VIII. Le Comte, La Comtesse, Les hommes d'armes, puis Nicolas et Anna. LA COMTESSE. J'espère qu'il n'est pas pour toujours exilé. LE COMTE. Je le ferai rentrer au château d'Heverlé,Avant huit jours. Anna et Nicolas entrent, suppliants. ANNA. Pitié ! Je vous demande grâcePour mon fils. NICOLAS. Monseigneur, frappez-nous à sa place. LE COMTE. Il vous sera bientôt rendu. ANNA. Quelle bonté ! NICOLAS. Merci. UN PAGE, entrant. Douze docteurs de l'UniversitéDemandent, monseigneur, à vous faire l'hommageDe leurs civilités. LE COMTE. Introduis-les, beau page. Le page sort. Les docteurs entrent, en chapeaux pointus, trois par trois, s'arrêtant à chaque pas pour saluer le Comte et la Comtesse. SCÈNE IX. Les précédents, Les docteurs, puis Tyl. LES DOCTEURS. AIR : Au clair de la lune. Nous sommes l'utile Sénat des docteurs ; Nous fouillons le style Des anciens auteurs ; Et dans nos harangues, Sans mots superflus, Nous parlons des langues Qu'on ne parle plus. Dans l'ombre nocturne Prenant notre essor, Nous guettons Saturne Et ses anneaux d'or ; Devins et prophètes, Nous savons quel jour Vous viendrez, comètes, Faire au ciel un tour ! La Science blême, Mère des vertus, A pris pour emblème Nos chapeaux pointus. Sauve de tout piège, O Dieu de bonté, Quiconque protège L'Université ! LE COMTE. Soyez les bienvenus, savants hommes de Flandre ! 1er DOCTEUR. [Note : Alexandre le Grand, conquérant grec du IVème siècle avec JC. Ici métaphore du conquérant invincible.]Vous êtes, Monseigneur, un moderne Alexandre :Vous servez Apollon et Bellone à la fois. 2e DOCTEUR. Le vieil aveugle Homère eût chanté vos exploits. 3e DOCTEUR. Amo Deum. 4e DOCTEUR. Rosa, la rose. 5e DOCTEUR. La syntaxeEmbellit la pensée et la phrase. 6e DOCTEUR. Elle est l'axe,L'âme, le contrepoids du discours. 7e DOCTEUR. Le phénixEst l'oiseau qui renaît de ses cendrés. 8e DOCTEUR. Félix Qui potuit rerum... 9e DOCTEUR. [Note : Catachrèse : Trope par lequel un mot détourné de son sens propre est accepté dans le langage commun pour signifier une autre chose qui a quelque analogie avec l'objet qu'il exprimait d'abord ; par exemple, une langue, parce que la langue est le principal organe de la parole articulée ; une glace, grand miroir, parce qu'elle est plane et luisante comme la glace d'un bassin ; une feuille de papier, parce qu'elle est plate et mince comme une feuille d'arbre. [L]]Vive la catachrèse ! 10e DOCTEUR. [Note : Litote : Figure de rhétorique consistant à se servir d'une expression qui dit moins pour faire entendre plus. [L]]La litote a du bon 11e DOCTEUR. J'ai soutenu la thèseDu libre arbitre. 12e DOCTEUR. L'air est peuplé d'animaux. TOUS LES DOCTEURS, parlant à la fois. Les hommes pour parler ont inventé les mots.Les mots font le discours, les épis font la gerbe. Le verbe est grand. Comment s'exprimer sans le verbe ?Timeo Danaos et dona ferentes.[Note : Teutatès : Un des dieux auxquels les Gaulois offraient des victimes humaines. [L]]Les Gaulois adoraient le divin Teutatès.Archimède a trouvé la force cylindrique,Les lois de l'équilibre et de l'hydrostatique. Ego sum. Dominus, domini, domino. Tyl entre en faisant un saut sur la scène II a le corps dans un sac lié sous ses bras. TYL. Amen. LE COMTE. Encore toi ! LES DOCTEURS. D'où vient cet étourneau ? TYL, aux docteurs. Messieurs, vous me comblez, votre faveur m'honore. LE COMTE. Je t'avais exilé. TYL. Mais je le suis encore ! LE COMTE. Explique-toi. LA COMTESSE, riant. Ce sac l'habille drôlement. LE COMTE. Je t'écoute. TYL. Suivez bien mon raisonnement.Vous m'avez-banni sur les terres de Cologne :Eh bien ! J'y suis, mon maître et je fais ma besogneDe proscrit, sans songer à vous désobéir.Voici. Le mois passé, vous avez fait venir De Cologne des fleurs dans de grands pots bizarres. LE COMTE. Après ? Je m'en souviens. J'aime les plantes rares. 1er DOCTEUR. Flos, floris. 2e DOCTEUR. C'est un goût qui vous fait grand honneur. TYL. Les vases étaient pleins de terre, Monseigneur. LA COMTESSE, riant. La terre avait été de Cologne apportée. Je devine. TYL. J'en ai mis une pelletéeDans ce sac, et voilà : je foule sous mes piedsLes terres de Cologne. S'apprêtant à sortir du sac.Ah ! Comte, vous riez !Vous allez donc me rendre à la douce patrie ?L'exilé souffre, hélas ! Et dans sa rêverie... 3e DOCTEUR. Nos patrise fines... LE COMTE. Ne sois pas si pressé 'Écoute. Je ne veux oublier le passéQu'après t'avoir ouï sans tournure suspecteRépondre aux questions de ces docteurs. TYL. J'accepte. 1er DOCTEUR. Je commence. Combien de tonneaux faudrait-il Pour contenir la mer ? UN HOMME D'ARMES. Que va répondre Tyl ? TYL. [Note : Tyl répond aux énigmes par la raillerie et le détournement comme Esope le fit.]Il en faudrait six cents millions trente milleHuit cent quarante-deux. Il est d'ailleurs facileDe le prouver : on n'a qu'à tarir tout exprèsLes fleuves, les ruisseaux, et qu'à compter après. Mon Dieu ! C'est tout au plus s'il manque une chopine. NICOLAS. Le docteur est pincé ! UN HOMME D'ARMES. Quel gaillard ! 2e DOCTEUR, à part. J'imagineQu'il répondra moins bien à cette question... Haut.Combien, depuis le jour de la création,S'est-il passé de jours ? TYL. Oh ! Bien peu : sept à peine. 2e DOCTEUR. Sept ! Vous raillez, garçon. TYL. Sept qu'à chaque semaineNous voyons revenir ! ANNA. Comme il vous dit cela ! 4e DOCTEUR. Où donc est le milieu de la terre ? TYL. Il est làOù vous êtes. J'attends que l'un de vous mesure Sautant a pieds joints, de long en large.Messieurs, je vous provoque en musique, en peinture, En ce que vous voudrez. Regardez mes tableaux ! Il montre les murs nus.Ceci vous représente un étang, des bouleaux,Une montagne, un ciel d'automne, une rocaille !Sur cette toile-là j'ai peint une bataille ! 5e DOCTEUR. Mais nous ne voyons rien que des murs et des murs ! TYL. Vous verrez mes tableaux quand vous serez plus purs.Ils ne se laissent voir que par les hommes graves. Van Bock entre, tenant le chapeau de Tyl d'une main et son bâton de l'autre. SCÈNE X. Les précédents, Van Bock. VAN BOCK, à Tyl. Je te romprai les reins. TYL. Je crois que tu me braves. VAN BOCK. Je te rends ton chapeau. TYL, reprenant le chapeau. Déjà ? Que t'a-t-il fait ? VAN BOCK. [Note : Piastre : Monnaie d'argent qui se fabrique en différents pays (...) [L]]Il devait me donner des piastres à souhait. TYL. Eh bien ? VAN BOCK. Il ne m'a rien valu que des misères.[Note : Margoton : Nom de femme, diminutif de Margot, et pris presque toujours en mauvaise part. [L]]Je vais chez Margoton, je m'offre quelques verresD'un petit vin blanc sec, à bon droit renommé,Une bonne choucroute, un jambon enfumé,Quelques pieds de cochon : bref, je me ravitaille. Mais, hélas ! quand j'ai dit : « Petit chapeau, travaille ! »Le chapeau ne m'a pas craché le moindre sou :On m'a mis à la porte en me traitant de fou... TYL. As-tu de ton bâton frappé le chapeau ? VAN BOCK. Certes !Pan, pan. Voici comment j'ai fait... en pure perte ! Il frappe le chapeau trois fois avec son bâton. TYL. Tu t'es trompé, mon cher. Ce n'est pas ça du tout.Il faut frapper ainsi, mais avec l'autre bout. Il prend le bâton, le retourne, et frappe le chapeau avec l'autre bout. Des sous tombent à terre. VAN BOCK, se baissant. Je ramasse. TYL. Tu peux aller le dire à Rome ;Mais je reprends mon bien sous ton nez. UN HOMME D'ARMES, riant. Le pauvre homme ! LA COMTESSE. Comte, il faut gracier l'espiègle. LE COMTE. Pourquoi Le gracier ? Il va recommencer. TYL. Ma foi,Je suis bien décidé.. LA COMTESSE. Bon coeur et tête folle ! TYL. À ne plus taquiner Van Bock. VAN BOCK. Bien vrai ? TYL. Parole.À ne plus l'attacher sur sa chaise. LE COMTE. Parfait. ANNA. Tu parles bien, mon fils. VAN BOCK. Pas trop mal, en effet. TYL. À rester dans mon coin, à ne plus jamais rireAux dépens du prochain. NICOLAS. Cette fois, je t'admire ! LE COMTE. Eh bien, soit. Je fais grâce à notre aimable Tyl. TYL, se dépouillant de son sac et répandant la terre aux pieds du Comte. Monseigneur, je répands à vos pieds mon exil. VAN BOCK, à Tyl. Et maintenant, rends-moi ton chapeau. Je caresse Un projet de ragoût, une vieille faiblesse !Ton chapeau me serait utile, en vérité. TYL, à part. Ce serait amusant. Diable ! Je suis tenté. VAN BOCK. J'ai senti le fumet de certaine poularde...Quelle noce ! Rends-moi le chapeau. TYL, après avoir regardé tout le monde, sourit et remet le chapeau sui sa tête. Je le garde ! ==================================================