******************************************************** DC.Title = LA MESSE DE GNIDE. DC.Author = GRIFFET DE LABAUME, Antoine Gilbert DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/02/2021 à 07:00:09. DC.Coverage = Pays mythologique DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/LABAUME_MESSEDEGNIDE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6129391n DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LA MESSE DE GNIDE L'an deuxième de la République Française, une et indivisible À PARIS, Chez les Marchands de Nouveautés. ACTEURS LE PRÊTRE. LA PRÊTRESSE. LE CHOEUR. La liste des personnages et la découpe des scène ne sont pas dans l'édition originale. LA MESSE DE GNIDE INTROÏT. L'INGÉNIEUX écrivain qui nous a rapporté de son pèlerinage à Gnide une relation si charmante des beautés de ce séjour, des prix qu'on y décerne, et du temple qui en fait le principal ornement, a négligé de s'appesantir sur les détails du culte qu'on y rend à Vénus et à son fils. Nous nous sommes fait un devoir de remplir cette lacune. Nous avons copié sur les lieux les oraisons de la Messe Gnidienne, et pris note de ses cérémonies, afin que dans tous les pays du monde , les amants qui la célèbrent dans leurs chapelles particulières , soient à portée de n'y rien, omettre, et s'unissent d'intention avec les pontifes de la métropole. On voit à Gnide , devant l'autel de Vénus, un superbe lit, du genre de ceux qu'on nomme en France lits à la polonaise, vers lequel on monte par quinze gradins. La statue de la déesse, antique offrande de Praxitèle, domine ainsi sur la couche sacrée, dont les rideaux toujours ouverts, la laissent voir dans tout son éclat. Environ cinq heures après le lever du soleil, le son réuni des flûtes, des sistres et des cymbales, annonce au peuple le moment du sacrifice. Un jeune désservant, nu et couronné de myrte, s'avance au pied des gradins. Une jeune fille, aussi sans vêtements, et couronnée de roses, va se placer à ses côté, et ils commencent en ces termes : LE PRÊTRE ET LA PRÊTRESSE. Au nom de l'Amour, de sa mère ; LE PRÊTRE. Et de la beauté qui m'est chère ; LA PRÊTRESSE. Et de l'amant que je préfère ! LE PRÊTRE. J'entrerai dans le sanctuaireDu Dieu qui parle à tous mes sens. LA PRÊTRESSE. J'irai vers ce Dieu tutélaireQui réjouit le matin de mes ans. LE PRÊTRE. Dieu des coeurs, juge-moi sur le rapport des belles ;Distingue-moi des infidèles, Et des avantageux, et des indifférents. Délivre-moi des pièges de l'Envie,Et fais que mes rivaux, quels que soient leurs talents,Ne m'effacent jamais du coeur de mon amie. LA PRÊTRESSE. Amour ! Je ne puis rien sans toi.Pourquoi m'avoir si longtemps repoussée ? Pourquoi me laisses-tu, de chagrins oppresséeAu pouvoir des jaloux qui s'arment contre moi ? LE PRÊTRE. Fais briller ta lumière à ma vue incertaine,Et conduis-moi sans dangerAu plus joli des monts, placés dans ton domaine, À ce mont fait d'albâtre et couronné d'ébène,Où tu te plais à siéger. LA PRÊTRESSE. J'entrerai dans le sanctuaireDu Dieu qui parle à tous mes sens.Je m'offrirai moi-même à ce Dieu tutélaire Qui réjouit le matin de mes ans. LE PRÊTRE. Sur mon luth, accordé par la volupté même.Je chanterai l'Amour et ses faveurs.Mais je tremble ; j'éprouve un embarras extrême.Ô mon âme ! Pourquoi ce trouble, ces frayeurs ? LA PRÊTRESSE. Espérez en l'Amour ; c'est en lui que j'espère.L'Amour qui nous appelle à ses jeux enchanteurs,Vous fera surmonter la crainte de déplaire,Émoussera pour moi l'aiguillon des douleurs. LE PRÊTRE. Gloire à l'Amour ! Gloire à Vénus sa mère ! LA PRÊTRESSE. Qu'ils soient glorifiés maintenant, à jamais ,Ainsi qu'aux premiers jours du monde.Où leur activité fécondeTriompha du chaos épais ! LE PRÊTRE. J'entrerai dans le sanctuaire Du Dieu qui parle à tous mes sens. LA PRÊTRESSE. Je m'offrirai moi-même à ce Dieu tutélaireQui réjouit-le matin de mes ans. LE PRÊTRE. Son nom me rend hardi, LA PRÊTRESSE. Son nom me rend docile. LE PRÊTRE. Dieu bienfaisant, aimable Dieu, De nos fautes reçois l'aveu. LE CHOEUR. Qu'à vous les pardonner il se montre facile !Et tous deux à la fois vous fasse parvenirAu suprême bonheur, à l'excès du plaisir ! LA CONFESSION. LE PRÊTRE. Je me confesse à Vénus toujours belle Au Dieu d'amour, le plus fêté des Dieux, À l'Hymenée, à ce Trio fidèleDe qui Vénus se fait suivre en tous lieux.Je me confesse aux timbres amoureusesDu jeuhé Hylas,' d'Anchise et d'Adonis, ; Ainsi qu'à vous , amantes malheureuses ,Phèdre, Didon, Ariane, Biblis !Je me confesse au courageux Léandre,À Pénélope, à tous les vrais amants ;À vous enfin, l'objet de mes serments, Le digne objet de l'ardeur la plus tendre.Si quelquefois j'ai péché contre vous, Envers l'Amour si-je devins coupable,C'est par ma faute,C'est par ma faute, C'est par ma faute,Et j'implore à genouxNon seulement le bonheur d'être absous,Mais du pardon le gage inestimable.Priez pour moi, vous tous que j'ai nommés Et vous aussi, vous, apôtres de Gnide,Anacréon, Sapho, Tibulle, Ovide,Rousseau, Bernard, mes auteurs bien-aimés ! Le Prêtre monte à l'autel.Descends, Amour, descends embellir notre vie. LA PRÊTRESSE. Descends, et tu verras la terre réjouie. LE PRÊTRE. Amour ! Répands sur nous tes biens ! LA PRÊTRESSE. Vénus, remplis-nous de ta flamme ! LE PRÊTRE. Amour, entends mes voeux ! LA PRÊTRESSE. Vénus, souris aux miens ! LE PRÊTRE. L'Amour soit avec vous ! LA PRÊTRESSE. Qu'il règne dans votre âme ! ENSEMBLE. Vivez pour bénir ses liens. LE PRÊTRE, en s'inclinant sur le lit. Au nom des baisers innombrablesQu'a vu donner ce lit voluptueux ;Au nom des plaisirs ineffablesQue mes prédécesseurs ont goûtés dans ces lieux,Vénus, Amour, soyez-nous favorables ! Divinités des plaisirs,Regardez-nous sans colère. LE CHOEUR. Divinités etc. LE PRÊTRE. Vous entendez nos soupirsDes bocages de Cythère. LA PRÊTRESSE. Venez d'un couple sincèreFavoriser les désirs. LE CHOEUR. Divinités etc. LE PRÊTRE ET LA PRÊTRESSE. Si jamais, Dieux des plaisirs,Vous éprouvez la colère, Gardez-la pour l'homme austère,Qui met un frein aux désirs. LE CHOEUR. Divinités etc. LE PRÊTRE. Une frayeur téméraireNe cause point nos soupirs. LA PRÊTRESSE. Notre hommage est volontaire ; LE PRÊTRE. Et nos lois sont vos désirs. LE CHOEUR. Divinités etc. LE CHOEUR, continue. [Note : Pendant l'hymne suivant, le Prêtre et la Prêtresse ; se tenant par la main, sont assis aux deux extrémités du lit mystique, le corps à demi-tourné vers l'autel.]Gloire à Vénus dans la cour éthérée !Paix sur la terre aux fidèles amants ! Nous te louons, ô belle Cyrhèrée ;Nous bénissons tes triomphes charmants.À t'honorer nous travaillons sans cesse ;Nous adorons ta douce volonté ;Des plaisirs de notre jeunesse Nous-remercions ta bonté.Fils de Vénus, Dieu puissant, Dieu propice, Dont la présence efface nos ennuis,Étends sur nous une aile protectrice.Fils de Vénus, dans la longueur des nuits Si parfois nous cédons au sommeil qui nous presse,Pardonne, hélas ! À l'humaine faiblesse.Fils de Vénus, à ses côtés assis,Partage notre encens et ta gloire avec elle.C'est à vous deux que le monde est soumis ; Sois toujours le plus grand, comme elle est la plus belle. Le Prêtre et la Prêtresse se lèvent. LE PRÊTRE. L'Amour soit avec vous ! LA PRÊTRESSE. Reposez sous son aile. COLLECTE. LE PRÊTRE. Je te rends grâce, Amour, des plaisirs de ma nuit,De ma vigueur, de mon ivresse,Du sommeil bienfaisant qui n'en a point détruit L'impression enchanteresse.Je te rends grâce encor d'avoir loin de mes yeuxÉcarté les songes sinistres, Qui, pour persécuter l'avare et l'envieux,Les tyrans, leurs lâches ministres. Des morts ensanglantés revêtent les lambeaux,Marchent accompagnés d'orages,Et parmi les poignards, les débris, le chaos,Hurlent d'effroyables présages.Au lever de l'astre du jour, Quand toute la nature émueLe félicite à son retour,Je m'éveille et pense à l'Amour ;Il est l'astre que je salue.Amour, je t'adore aujourd'hui, Comme j'ai fait toute ma vie.Et toi que j'ai toujours servie,Vénus, je t'adore avec lui.Au sentiment gloire immortelle!Hommage insigne à la beauté ! Que leur pouvoir soit exaltéPar la louange universelle !Et si leur douce autoritéTrouve ici-bas un seul rebelle,Puisse-t-il, en voyant mon zèle, Abjurer son impiété.Accueille les serments de mon âme embrasée,Amour, je t'asservis mes sens et ma pensée.Je me dévoue à ton culte, à ta loi ;Je veux n'appartenir qu'à toi. Couvre mes yeux d'ombres impénétrables,Si je daigne entrouvrir ces livres méprisablesQui de tes jeux ne m'entretiendraient pas.Ma volonté n'adressera mes pasQue vers ton temple, aux réduits solitaires Ou désignés, ou faits pour tes mystères :Sur tes commandements je réglerai toujoursMes travaux, mes plaisirs, mes voeux et mes discours. LA PRÊTRESSE. Elle met sous les yeux du Prêtre un livre qui renferme l'histoire et la doctrine du Dieu d'amour.Lisez, pénétrez-vous de la loi de Cythère,Des exemples divins que tout amant révère. LE PRÊTRE. Il ouvre le livre et le baise.Alors que l'univers, enveloppé d'horreur,N'était qu'un vil monceau de vapeurs et de fange,Dieu d'amour, ton flambeau vainqueurDes éléments confus épura le mélange.Viens de même épurer mes lèvres et mon coeur. Puissai-je, dignement annoncer tes oracles,Parcourir avec fruit ce livre fortuné,Monument de ta loi, dépôt de tes miracles ;Et n'être jamais condamnéÀ l'éternel remord de l'avoir profané ! LES COMMANDEMENTS DE L'AMOUR. Le Prêtre lit deux passages du livre saint, au choix de la Prêtresse. Ne pouvant copier ce livre en entier, nous en avons extrait les morceaux suivants, pour donner une idée de ces lectures édifiantes. LE PRÊTRE. Un seul objet tu choisirasEt aimeras parfaitement.L'amour en vain n'attesteras,Ni sa mère pareillement.Les douces nuits tu chômeras, Servant l'Amour dévotement.L'art d'aimer tu méditeras ;Qui sait aimer vit doublement.Infidèle point ne serasDe fait ou volontairement. Au plaisir t'abandonnerasDe corps et de consentement.Les droits d'autrui n'usurperas,Ce qui t'est cher fut-il absent.Fausse ardeur ne déclareras, Ni mentiras aucunement.L'oeuvre de chair désirerasAvec un objet seulement.Prix d'amour ne convoiterasQue pour en user dignement. LES COMMANDEMENTS DE VÉNUS.Les agréments rechercherasQui te sont de commandement.À la beauté regarderas,Mais encor plus au sentiment.Jeune, formé, vieux, aimeras, Soir et matin pareillementD'aucuns plaisirs ne jeûneras,Les goûtant délicatement.Douze palmes remporteras,À tout le moins une fois l'an. Nul rendez-vous ne manqueras,Ne rompras nul engagement. LES BÉATITUDES DES AMANTS.En ce temps-là, le jeune AmourQuitta le fortuné séjourOù des Dieux la splendeur réside. Au sommet d'un coteau riant,Qui termine vers l'orient,Le beau paysage de Gnide, Apparut le céleste enfant.Soudain pour le voir, pour l'entendre, et Peuple accourut à grands flots ;Et bientôt sa voix douce et tendre,Dans tous les coeurs grava ces mots :Bienheureux le mortel qui de l'aimable enfanceConserve la simplicité ! Il jouira d'une félicitéDonc les plus grands esprits n'ont pas l'expérience.Bienheureux qui sait pardonnerLes rigueurs, l'injustice et même l'inconstance !Il aura droit à l'indulgence, Si dans quelques erreurs il se laisse entraîner.Bienheureux qui verse des larmes,Fût-ce sur le tombeau d'un objet adoré !Sa douleur, ses regrets, ses plaintes ont leurs charmes,Et lui-même il sera pleuré. Bienheureux l'amant qui désirePar sentiment, et non par vanité!Au comble de la volupté,Les mêmes feux et le même délireVivront encor dans son coeur transporté. Bienheureux les amants qui d'un tuteur avareD'un rival envieux, d'un ennemi barbareSouffrent les persécutions !Je récompenserai leurs tribulations ;C'est moi qui réunis ce que l'homme sépare. Bienheureux l'ami de la paixQui des amants assoupit les querelles !Le prix de ses efforts et son premier succèsSera d'être chéri des bergers et des belles.Heureux, cent fois heureux les coeurs exempts de fiel, Au bon plaisir d'autrui toujours prêts à souscrire !Je leur réserve tout le miel ;Toutes les fleurs de l'amoureux empire. SYMBOLE DES AMANTS. Le Prêtre referme le livre, en le laissant de nouveau ; et s'avançant au milieu du lit, il entonne le premier vers du symbole qu'on va lire. Le Choeur chante le reste. LE PRÊTRE. Je crois au Dieu qui fait aimer ;Je crois à sa toute puissance, Je consens à le proclamerPrincipe de toute existence,Vainqueur de l'horrible chaos,Où dormait jadis la nature,Séparateur de tous les maux Dont on souffre ici-bas l'injure.Je crois à la belle Vénus,À sa merveilleuse ceinture,À la victoire toujours sûreDe ses charmes voilés ou nus. Je crois à l'Enfer des parjures,Au Purgatoire des jaloux,Au Paradis des âmes pures.Je crois au bonheur de l'époux ;Je crois aux loyales tendresses, À la sainteté des promesses À l'importance, des faveurs, Au doux langage des caresses,Au langage plus doux des coeurs. La Prêtresse va quérir de l'eau préparée dans un petit vase de vermeil. Elle en verse un peu sur les mains du Prêtre. LE PRÊTRE. Amour, je laverai mes mains À la Fontaine d'Innocence,Pour entrer avec confianceDans tes tabernacles divins ;Et pour oser toucher sans crimeL'offrande que je dois placer sur ton autel, Les pains du sacrifice et la tendre victimeQui du saint coutelas attend le coup mortel.J'ai de tout temps chéri le sanctuaireOù tu te plais, d'où partent tous tes feux.Encor porté dans les bras de ma mère, Avec plaisir je m'appuyais sur eux,Et j'attachais un oeil religieuxSur les appas qu'idolâtrait mon père.Il est de vils profanateursQui, méprisant tes lois et tes cérémonies, Emportent d'assaut les faveurs, Pressent un sein tremblant de leurs lèvres haïes,S'indigneraient d'attendre et de solliciter, Et pillent, des trésors qu'il faudrait mériter.Ta vengeance leur est promise ; Mais que ton oeil me juge, et ne confonde pasMa religieuse entrepriseAvec leurs lâches attentats.Un jour, un jour quelque vulgaire amante,Une Furie, un monstre, ou même une Laïs, Punira ces forfaits, leur rendra ces mépris Et leur fera, porter une chaîne accablante.On Les verra trembler, presser, prier, gémir ;Les bourses pleines d'or, les présenTs magnifiquesBrilleront dans leurs mains iniques ; Mais ils s'appauvriront pour ne rien obtenir.Je viens à toi d'un coeur simple et timide,Où l'audace et l'orgueil ne trouvent point d'accès :Je viens comme un enfant que l'innocence guide,Qui veut, parmi les tiens, te bénir à jamais, Et non comme un profane insolemment avide.Demandez, ô mortels qu'on dit nés pour souffrir,Le pouvoir et le temps et l'esprit de jouir. Il passe un bras autour de la Prêtresse, et dit en la soulevant un peu : Reçois, Amour, cette oblation pure ;Reçois-la, comme enfant, en mémoire des pleurs Qu'un certain jour te causa la piqure,D'un monstre ailé, nourri du suc des fleurs.Laisse-nous, comme Dieu, te l'offrir en mémoireD'un plus beau jour, de ce jour glorieux,Où tu rentras dans les palais des Dieux, Accompagné du bruit de ta victoireSur la Déesse, habitante des bois, De qui l'orgueil osait braver tes lois.Amour, nous te l'offrons encoreEn mémoire des feux dont Vénus a brûlé, Du charme qui fait qu'on l'adore,Du lait qui de son sein dans ta bouche a coulé. Il se tourne du côté du Peuple.Ô mes frères, priez que ce doux sacrifice,À nos timides voeux rende l'Amour propice ! LA PRÊTRESSE. Veuillent sa mère et lui l'accepter de vos mains, Pour leur gloire, pour vous et pour tous les humains ! LE PRÊTRE. Cyprine, Dioné, Cythérée, Aphrodise,Sous, quelque nom chéri qu'il faille t'implorer,Jusqu'au dernier soupir fais-nous persévérerDans les purs sentiments de l'amoureuse église. SECRETTE.Amour, puissant Amour, viens ranimer nos feux, Viens pénétrer les coeurs de tes sujets fidèlesMarquer, ce nouveau jour de voluptés nouvelles, Et goûter le bonheur, en faisant des heureux.Que ton souffle embaumé remplisse la nature, Des émanations de ton essence pure,Et que tes douces lois, en dépit des méchants,Ramènent l'âge d'or et les goûts innocents ! PRÉFACE.Que nos rites sacrés fleurissent d'âge en âge ! LE CHOEUR. Que notre Dieu reçoive un éternel hommage ! LE PRÊTRE. Ne songez qu'à l'Amour. LE CHOEUR. Nous sommes pleins de lui. LE PRÊTRE. Rendons-lui grâces à l'enviDes biens qu'il nous promet et de ceux qu'il nous donne. LE CHOEUR. Le plaisir le conseille et l'équité l'ordonne. LE PRÊTRE. Oui, certes. L'équité, le devoir, le plaisir, Tout nous impose, Amour, la loi de te bénir,De te bénir sans fin, sans repos, sans mesure,Au nom du vif attrait qui maintient la nature,Au nom de ces désirs, de cette volupté,Fruit d'un sixième sens, à nos sens ajouté. Vénus ! Modèle heureux de la beauté suprême,Ta gloire est son ouvrage, il t'embellit toi-même.C'est par lui que les Dieux, encensés des mortels,Font brûler à leur tour l'encens, sur tes autels,Que les fiers conquérants à tes pieds s'humilient, Que les graves Zénons auprès de toi s'oublient,Que les pasteurs d'Enna, sans maîtres, sans besoins,Du soin de t'adorer composent tous leurs seins ;Qu'en tout temps, en tous lieux , la voix de tous les êtres,S'unit pour te louer à celle de tes Prêtres. Permets qu'avec les Dieux, les héros, les bergers, Les enfants d'Apollon, les chantres bocagers,Le lion rugissant, la brebis pacifique, Notre zèle à ton fils adresse ce cantique :Saint, saint, saint, trois fois saint l'Amour, Le Dieu de paix et de délices !Quels Dieux de l'immortelle cour, Autant que lui grands et propices,Sont par autant de sacrifices,Honorés la nuit et le jour ? Louange au fils de Cythérée !Que les plaintes de la pudeur,Des baisers le bruit enchanteur,Et les cris, les chants du bonheur, S'élevant de chaque contrée, Se confondent en son honneurDans la région éthérée,Et qu'ils aillent frapper en choeurLes voûtes d'or de l'Empyrée ! CANON. LE PRÊTRE. Si d'aventure un coin de l'univers Recèle encor dans ce siècle pervers,Un couple d'amis véritables,D'une triple moisson que leurs champs soient couverts !Que les étés ingrats, les perfides hiversLeur soient constamment favorables ! LA PRÊTRESSE. Ainsi soit-il ! LE PRÊTRE. Mais, inutiles voeux!Où trouver maintenant ce couple généreux ?Douce Amitié, si nous portons tes chaînes,De nous unir l'intérêt prend le soin,Comme aux échecs, chevaliers, fous et reines Marchent d'accord, seulement au besoin.Ah ! Les amis ! Le bonheur les assemble ;Tout disparaît au signal des revers.Tels nos acteurs, dans leurs rôles divers,Frères, époux ; ils composent, ce semble, Une famille, où l'on est transplanté ;La toile tombe : adieu la parenté !Il n'en est point ainsi dans ton empire,Charmant Amour partout de jeunes coeursQue la volupté seule attire, Sentent vivement tes ardeurs.Le parjure et l'hypocrisieNe souillent jamais leurs plaisirs,Et du vil intérêt la sombre frénésieN'a rien qui flatte leurs désirs. Il s'assied à côté de la Prêtresse, et la contemple amoureusement.Il est temps que mon oeil dévore,Que ma main parcoure à loisirCes charmes que pour moi l'amour a fait éclore ;Ces charmes adorés qui vont m'appartenir ! COMMÉMORATION DES VIVANTS. LE PRÊTRE. Couples heureux, couples fidèles, Participez en ce moment,Par vos caresses mutuellesAu sacrifice peu sanglant,Dont je vais prononcer les phrases solennellesEt consommer le mystère charmant. Nymphes, Amours, Grâces, Génies,Vous tous qui prolongez sans trouble ni langueur,Vos jouissances infinies,Participez à mon bonheur.Et vous, qu'ici je représente Habitants fortunée de, ce riant séjour,Suivez de vos désirs la fougue impatiente,Fêtez aussi, fêtez le, Dieu d'amour.Accomplissez la loi qu'il daigna vous prescrire,Alors que nullement couché Auprès de la tendre Psyché,Dans un voluptueux délire,II ceignit son beau corps de ses bras caressants,Et fie à son oreille entendre ces accents :Ce beau corps et le mien ne forment qu'un seul être. Ô vous tous de ma loi prosélytes fervents,Répétez à l'envi, jusqu'à la fin des temps,Cette leçon de votre maître.Reçois, dit-il encore, après quelques instants,Reçois en jets de feu l'élixir de mon être. Ô vous tous, de ma loi prosélytes fervents,Répétez à l'envi jusqu'à la fin des temps,Ces deux leçons de votre maître. Les rideaux du lit sacré se ferment sur le Prêtre et sur la Prêtresse. Intervalle de silence qui n'est interrompu que par le bruit des soupirs et des baisers. LE CHOEUR. Répétons à l'envi, dans nos embrassements,Cette double leçon de notre divin maître. LE PRÊTRE. Ce beau corps et le mien ne forment qu'un seul être. Pause.Reçois en jets de feu l'élixir de mon être. LE CHOEUR. Ô vous tous fortunés amants,Répétez à l'envi, jusqu'à la fin des temps,Cette double leçon de notre divin maître, COMMÉMORATION DES MORTS. LE PRÊTRE. Mânes prédestinés, favoris des Amours,Priez que toujours j'aime, et qu'on m'aime toujours !Allié de la cour suprême,Époux qu'il suffit de nommer, Pour dire à qui défend d'aimer : On s'égale aux Dieux quand on aime !Noble époux de Thétis, ombre chère aux Amours,Priez que toujours j'aime et qu'on m'aime toujours !Vieillard fameux par tes prouesses,Savant prophète qui reçus La communion de VénusTour-à-tour sous les deux espèces,Sage Tirésias, ombre chère aux Amours, Obtiens que toujours j'aime et qu'on m'aime toujours !Vous qui traversant à la nage Une mer qu'agitaient les vents, Mourûtes loin des yeux charmantsPour qui vous affrontiez l'orage,Infortuné Léandre, ombre chère aux Amours,Priez que toujours j'aime et qu'on m'aime toujours ! Ô toi qui pour ta belle-mèreD'un secret amour dévoréPensas, martyr prématuré,Mourir d'une fièvre exemplaire,Aimable Antiochus, ombre chère aux Amours, Obtiens que toujours j'aime et qu'on m'aime toujours !Bel Adonis, pieux Anchise, Céphale, Endimion, Paris, Tendre et malheureuse Biblis,Pauvre Io, fidèle Artémise ! Mânes prédestinés, favoris des Amours,Priez que toujours j'aime et qu'on m'aime toujours !Andromède , Atalante, Hélène,Calisto, Mitra, Pholoë,OEnone, Europe, Danaë, Et toi l'honneur de Mitylène !Mânes prédestinés, favoris des Amours,Priez que toujours j'aime et qu'on m'aime toujoursToi qui par pitié , par tendresse ,Immolas aux restes vivants Du plus malheureux des amants,Tes sens, ton coeur et ta jeunesse,Courageuse Héloïse, ombre chère aux Amours,Obtiens que toujours j'aime et qu'on m'aime toujours !Toi qui bravas les fers, l'outrage, L'abaissement et l'abandon,Pour ta séduisante Manon,Toujours tendre et toujours volage,Sensible Desgrieux, ombre chère aux Amours,Obtiens que toujours j'aime et qu'on m'aime toujours! Rancé, Faldoni, Lavalière,Rosemonde , Inès, Thérésa ;Comminge, Yarico, Nina, Carlos, Couci, Labedoyère,Mânes prédestinés, favoris des Amours, Priez que toujours j'aime et qu'on m'aime toujours ! L'ORAISON DOMINICALE. LE PRÊTRE. Divin Amour, père de tous les êtres !Qu'en ce fortuné jour, les Dieux et les humains,Deviennent pour jamais tes vassaux et tes Prêtres !Que ton nom ,célébré par des cantiques saints. Au pied de chaque autel et dans chaque idiome,Résonne en même-temps aux bords les plus lointains!Que la Terre et les Cieux s'appellent ton.royaume!Verse aujourd'hui sur nous tes biens accoutumés,Et comme en pardonnant nous sommes mieux aimés, Deviens plus cher au monde, à force d'indulgence.Aux pièges des tentationsNe livre pas notre constance ;Mais épargne à nos coeurs le tourment des soupçons.L'Amour soit avec vous ! LA PRÊTRESSE. L'Amour vous récompense ! LE PRÊTRE. Adorable Vénus, qui seule réunisLa beauté sans défauts et la grâce accomplie L'Amour, est avec toi ; soyez tous deux bénis :Si vous délaissiez l'homme, il maudirait la vie. À la Prêtresse.Jeune et caressante brebis, Ornement, de ces pâturages,Je ne veux d'autre ParadisQue les liens où tu m'engages.Douce et complaisante brebis,Ornement de ces pâturages, Sois toujours à mes sens ravis,Ce que Zéphyr est aux herbages !Jeune et caressante brebis,Ornement de ces pâturages,Il n'est point d'autre Paradis Que les liens où tu m'engages.Puissants maîtres des coeurs, écartez loin de nousLes poignards de la Calomnie,Les sombres visions de la Mélancolie,Les fureurs de la Haine, et les soupçons jaloux! Dieu d'amour, dans ton sanctuaire,Je n'étais pas digne d'entrer ;Tu m'as permis d'y pénétrer,Et tu sais si j'ai dû m'y plaire.Dieu d'amour, dans ton sanctuaire Je n'étais pas digne, d'entrer ;Tu m'as permis d'y pénétrer,Et tu sais si j'ai dû m'y plaire.Dieu d'amour, dans ton sanctuaireJe n'étais pas digne d'entier ; Tu m'as permis d'y pénétrer,Et tu sais si j'ai dû m'y plaire.Que rendrai-je à l'Amour, que rendrai-je à sa mèrePour de telles faveurs ?Tout ce que peut leur rendre un enfant de la terre : Je leúr payerai sans cesse un tribut volontaireDe respects, d'encens et de fleursEt je surpasserai par mon zèle sincèreLeurs plus fidèles serviteurs. La Prêtresse offre au Prêtre des vêtements légers et gracieux qu'elle va chercher à la droite de l'autel, avec ses propres atours qu'elle y a déposés avant le sacrifice. LE PRÊTRE, en s'habillant. Puissent ces vêtements, qu'exige la décence, Disposés avec grâce, avec goût assortis,Sans gêner mes contours, leur être assujettis,Unir la propreté, la souplesse et l'aisance,Irriter les désirs sans les effaroucher ;Ombrager la nature et non pas la cacher ! Je vous chéris, couleurs dont je me pare,Nuances qui plaisez à l'objet de mes feux.Je veux que tout en moi déclareLa conformité douce et rareDes âmes, des penchants que nous tenons des cieux. Répétez-lui sans cesse, ô couleurs préférées,Que mon choix en tout temps est dicté par le sien ;Pour flatter ses regards s'il ne vous manque rien,Il m'importera peu de vous voir censurées ;Mais peut-on censurer ce qui lui parait bien ? Il se tourne du côté des assistants.Retournez folâtrer dans vos riants bocages ;Le sacrifice est consommé. LE CHOEUR. Retournons folâtrer dans nos riants bocages ;Mais que ton Temple, Amour, soit ouvert ou fermé,À toute heure, en tout lieu, compte sur nos hommages. LE PRÊTRE. Avant la naissance des temps.L'Amour existait par lui-même.Tous les principes agissants Formaient son essence suprême.L'ordre et la vie étaient dans lui ; Lui-même était l'ordre et la vie;Âme, Dieu, Lumière, Harmonie,Sans émule dans l'infini.Des êtres la famille immense,Éclose à sa douce chaleur, Maintient par lui son existence, Doit sa beauté, doit son bonheurÀ son éternelle influence ;Plus d'une fois il est venuDans ce monde à l'erreur vendu Propager, sa pure doctrine :Mais l'homme a toujours méconnuSa voix, sa présence divine.Nos pères disent avoir vuDes mortels pleins de sa vertu, Dont l'âme était son plus beau temple,Prêcher de parole et d'exempleLeur siècle aveugle et corrompu.On n'entendit pas leur langage ;Et le généreux témoignage Qu'ils rendaient à la véritéLeur valut pour tout héritageUn vain renom trop achetéPar le funeste apprentissageDes pleurs et de l'adversité. Pour nous qui fêtons leur mémoire. ==================================================