******************************************************** DC.Title = LE CARNAVAL ET LA FOLIE, COMÉDIE BALLET DC.Author = LA MOTTE, Antoine Houdart de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie ballet DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 02/12/2021 à 06:17:27. DC.Coverage = Pays mythologique DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/LAMOTTE_CARNAVALFOLIE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE CARNAVAL ET LA FOLIE COMÉDIE BALLET. Représentée pour la première fois, par l'Académie Royale de Musique, le Jeudi vingt-septième jour de Décembre 1703. Musique de M. DESTOUCHES M. D. CC. LII. par M. Houdart de La Motte de l'Académie française Représentée pour la première fois, par l'Académie Royale de Musique, le Jeudi vingt-septième jour de Décembre 1703. AVERTISSEMENT. lE titre de cet Ouvrage n'annonce qu'une bagatelle, et peut-être même tout Opéra n'est-il autre chose ; cependant, à ne parler que des miens, c'est celui-ci que je crois le plus raisonnable. Erasme, ce savant si rare par l'agrément de son esprit, m'a fourni la scène et presque tous les Personnages de ma pièce, dans son éloge de la Folie. Il l'a fait Fille de Plutus et de la Jeunesse : On sent d'abord la vérité de cette Fable, et il serait puérile de s'amuser à la démontrer. Il feint de plus, que la Folie habite une île abondante où le Fleuve d'Oubli prend sa source, ce qui est encore également juste et ingénieux ; car si la raison se perfectionne par l'expérience, l'Oubli qui la rend inutile ne doit guère abandonner la Folie. On me dira peut-être que le Léthé est connu pour un Fleuve des Enfers, et que l'imagination d'Erasme ne m'autorise pas à le déplacer : Je réponds que je n'ai fait aucune violence à la Fable ; et qu'en déclarant que le Léthé porte ses eaux chez les morts, j'ai pu supposer sa source sur la terre. Les poètes mêmes ne l'ont pas pré tendu autrement, et l'on connaissait la source de la plupart des Fleuves qu'ils ont fait couler aux Enfers. Voilà ce que j'ai emprunté d'Erasme ; tout le reste est de mon invention. J'attendrai, pour m'en applaudir, ou pour me la reprocher, le suffrage, ou la censure du Public. On a toujours tort de n'avoir su lui plaire, puisque c'est la fin qu'on se propose. Mais on me permettra en attendant, de répondre à deux objections qu'on m'a fait prévoir. La première, est que la Folie ne serait pas assez extravagante. J'avoue que ceux qui entendraient par Folie ce dérangement de cerveau qui exclut les hommes de la société, ne trouveraient pas leur compte au caractère de ma Déesse ; mais aussi ce n'est pas là ce que j'ai du peindre ; c'est seulement l'excès des passions, le caprice, la légèreté et pour ainsi dire, la folie courante. Il faut que le plus sage s'y puisse reconnaître, du moins à quelque trait. Sans cette imitation de l'Homme, la Comédie demeure sans sel et sans agrément. Je me la suis toujours proposée dans le cours de cet ouvrage ; et mon dessein a été que la Folie ne fît rien de raisonnable, mais qu'ellene fit rien dont on ne pût trouver des exemples dans le commerce des hommes. La seconde Objection est que le Carnaval ne devrait pas être amoureux. À n'entendre par le Carnaval que la Saison des Festins dans quelque pays que ce soit, il est toujours célébré par des extravagances particulières. Il est donc tout naturel de marier le Carnaval et la Folie ; mais il ne l'est pas moins, pour parvenir à cette alliance, de rendre le Carnaval amoureux de cette Déesse ; c'est même une passion qui le caractérise autant que ses retours fréquents à la bonne chère ; outre que le Carnaval n'est guère plus la saison des Festins que le règne des Amours, et qu'il fallait le personnifier avec tous ses attributs. Ces raisons m'ont contenté jusqu'ici : mais quelques bonnes qu'elles m'aient paru, la contradiction du Public me convaincrait bientôt qu'elles n'étaient qu'apparentes. PERSONNAGES DU PROLOGUE. JUPITER. VÉNUS. MOMUS. MERCURE. LES DIEUX ET LES DÉESSES. PERSONNAGES DU BALLET. PLUTUS, Dieu des Richesses. LA JEUNESSE. LA FOLIE, fille de PLUTUS et de la JEUNESSE. LE CARNAVAL. MOMUS. SUITE DE PLUTUS ET DE LA JEUNESSE. CHEF DES MATELOTS. TROUPE DE MATELOTS. UN MUSICIEN. UN POÈTE. TROUPE DE MATASSINS. JUPITER. VÉNUS. BACCHUS. . FEMME DÉGUISÉE. TROUPE DE PEUPLES MASQUÉS. La scène est dans l'île de la Folie. PROLOGUE. Le Théâtre représente les Cieux, où les Dieux sont en festin. SCÈNE I. JUPITER , VENUS, et LE CHOEUR, en se faisant servir le Nectar. Qu'à nos voeux ici tout réponde ;Versez-nous, versez-nous la céleste liqueur.Versez, que le Nectar enchante notre coeur,Qu'il y porte une paix profonde. VÉNUS, se levant de table. C'en est assez ; goûtons des plaisirs plus parfaits, Et que le tendre Amour à son tour nous inspire.Régnez, Amour, régnez, rassemblez vos attraits;Triomphez, sur nos coeurs étendez votre empire.Mais, qu'à son gré chacun soupire ;Laissez-nous le choix de vos traits. LE CHOEUR. Régnez, Amour, régnez, rassemblez vos attraits ;Triomphez, sur nos coeurs étendez votre empire. JUPITER et VÉNUS. Mais, qu'à son gré chacun soupire ;Laissez-nous le choix de vos traits. MOMUS, à Jupiter. Ne vous faites point violence : [Note : Samos : île de la mer Égée. ]Junon est encor à Samos,Profitez bien de son absence. JUPITER. Téméraire Censeur, laisse-nous en repos.Que l'on chante ici, que l'on danse.Livrons-nous à tous nos désirs ; Sur notre puissanceRéglons nos plaisirs. NEPTUNE danse avec THETIS, APOLLON avec DIANE, MARS avec PALLAS, et BACCHUS avec CÉRÉS. VÉNUS. Heureux un coeur que l'Amour blesse.Ah ! Que ses chaînes ont d'appas !Mettons tous nos plaisirs à lui céder sans cesse : Le pouvoir des Dieux ne vaut pasUne si charmante faiblesse. MOMUS. Vous ne vous lassez point de plaisirs, ni d'amour;Quand cesserez-vous donc de suivre leur empire ! VÉNUS. Quand vous cesserez de médire. MOMUS. Ah ! Vous voulez aimer toujours. JUPITER et VÉNUS. Que de nos chants tous les Cieux retentissent.Que les Jeux, que les Ris signalent ce beau jour.Chantons Bacchus, chantons l'Amour ;Qu'ils sont charmants quand ils s'unissent ! On danse. VÉNUS. Dieu d'Amour, réserve-nous tes charmes,C'est pour nos coeurs que tes plaisirs sont faits ;Fais-nous sans alarmesGoûter leurs attraits.Doux moments, Doux transports des amants,Ne pouvez-vous naîtreQu'après les tourments ?Aimons tous.Tendre Amour, blesse-nous : Qui peut craindre pour maîtreUn Vainqueur si doux ?Tes biens trop aimablesSont trop peu durables ;Fixe-les pour nous. CHOEUR DES DÉESSES. Viens, Amour, avec tous tes charmes,Que les Jeux viennent sur tes pas.Nous aimons tes douces alarmes ;Tes chaînes, tes feux sont remplis d'appas.Prends tes traits, prépare tes armes, Et viens te venger des coeurs qui n'aiment pas. VÉNUS danse avec MARS, et VULCAIN se mêle avec eux pour les observer. SCÈNE II. Mercure, et les Personnages de la scène précédente. MERCURE. Quittez, quittez ces Jeux, en faveur de l'Amour :Que de nouveaux soins les suspendent.Dans un moins superbe séjourDe plus doux plaisirs vous attendent. J'ai volé, j'ai servi vos feux ;Et mille charmantes mortellesN'aspirent qu'au moment heureuxDe vous voir soupirer près d'elles. MOMUS, aux Dieux. Suivez, suivez Mercure, abandonnez les Cieux. Livrez-vous aux plaisirs ; qu'en vain la Gloire gronde,L'Amour est un plus digne objet :Aimez ; il est un Roi qui prend le soin du monde ;Jouissez du loisir qu'un mortel vous a fait. JUPITER. De tes ris outrageants c'est trop souffrir l'injure, Cesse, Momus, de troubler nos désirs ;FuiS, va chez les mortels exercer ta censure ,Et laisse ici les Dieux maîtres de leurs plaisirs. MOMUS. Le Destin m'a soumis au Maître du tonnerre,J'obéis à ses lois, et je vous quitte tous ; Mais j'espère bientôt vous revoir sur la terre,Sous des formes dignes de vous. LE CHOEUR DES DIEUX. Allez, Amours, conduisez-nous ;Sous divers changements, trompons les yeux jaloux. Les Amours volent pour conduire les Dieux. ACTE I Le Théâtre représente un Bois fleuri s consacré à la Jeunesse. SCÈNE PREMIÈRE. MOMUS. Cessez, Mortels, cessez l'honneur que vous nous faites, Ne perdez plus d'encens pour nous.Vous adorez, insensés que vous êtes,Des Dieux encor plus insensés que vous.Ils n'ont pu soutenir ma censure importune,Ils m'ont chassé de leur séjour ; Cherchons le Carnaval, c'est lui qui dès ce jourPeut réparer mon infortune.Mais il paraît. SCÈNE II. Momus, Le Carnaval. LE CARNAVAL, sans voir Momus. Bacchus, laisse-moi soupirer ;Amour, laisse-moi boire Mon coeur entre vos mains se plaît à se livrer ;Entre vous deux partagez la victoire.De tendresse et de vin je me veux enivrer,L'Amour fait mes plaisirs, et Bacchus fait ma gloire.Bacchus, laisse-moi soupirer ; Amour,laisse moi boire. MOMUS, s'approche du Carnaval. Tu vois l'Objet de la haine des Dieux,Dans le Censeur de leurs caprices ;Ils m'ont banni du Ciel, et le Maître des CieuxVeut jouir en paix de ses vices. C'est toi désormais que je sers.Souffre que sur tes pas pour jamais je m'engage ;Et que du Nectar que je perds,Ton vin charmant me dédommage. LE CARNAVAL. Que mes biens désormais soient communs entre nous, Qu'à jamais l'amitié nous lie.Pour commencer des noeuds si doux,Écoute, c'est à toi que mon coeur se confie.Tu vois ce séjour enchanté :Le Repos règne sur ces rives. L'Abondance y nourrit la molle Volupté.Du rocher que tu vois le paisible LéthéRépand jusqu'aux Enfers ses ondes fugitives.Plutus et la Jeunesse en ce charmant séjourGoûtent un sort exempt de peines : Dès longtemps le fidèle AmourLes a liés de ses plus douces chaînes,Et l'aimable Folie en a reçu le jour. MOMUS. Quoi ! Quel secret enfin va suivre cette image ? LE CARNAVAL. Cher Momus, la Folie est l'Objet qui m'engage. MOMUS, en riant. Que votre choix est beau ! Que vos liens sont doux.Vous ne pouviez trouver de Maîtresse plus belle :Elle seule est digne de vous,Et vous seule êtes digne d'elle. LE CARNAVAL. Tel se moque de mes ardeurs, Qui suit ses lois sans la connaître ;Par des charmes secrets elle enchante les coeurs,Et j'ai mille rivaux qui ne pensent pas l'être. MOMUS. Malgré tous vos rivaux, l'Amour doit réunirDeux coeurs où le Destin mit tant de ressemblance ; Trop digne de la préférence,Vous êtes sûr de l'obtenir. LE CARNAVAL. Momus, je suis aimé de l'objet qui me blesse,Et l'Hymen va bientôt par ses aimables noeudsAchever de me rendre heureux, Si j'y fais consentir Plutus et la Jeunesse. On entend une symphonie.Mais ils viennent au bruit de ces concerts charmants.Le temps n'affaiblit point leur flamme :Il semble que l'Amour lance à tous les momentsQuelque trait nouveau dans leur âme. SCÈNE III. Plutus et La Jeunesse, Momus, Le Carnaval, Suite de Plutus et de La Jeunesse. PLUTUS et LA JEUNESSE. Vous m'aimez, je vous aime,à Que notre sort est doux ! PLUTUS. Pour vous ma constance est extrême. LA JEUNESSE. Je n'aimerai jamais que vous. PLUTUS et LA JEUNESSE. Vous m'aimez, je vous aime, Que notre sort est doux !Non , non, l'Amour lui-même,Ne peut aimer plus tendrement que nous. PLUTUS. Jeunesse brillante,Tous les plaisirs suivent vos pas ; Sans vous rien ne me contente, rVous donnez à tout mille appas :Il n'est point dans les Cieux de Déesses si belles.Le charme de la nouveautéAccompagne toujours vos grâces immortelles ; Vous êtes la seule beauté,Qui peut faire des coeurs fidèles. LA JEUNESSE. Aimable Dieu, de qui la main dispenseCe qui rend les mortels heureux,Votre vaste puissance Réunit pour vous tous les voeux :En vous cherchant la peine devient chère,On se fait de vous voir le plus charmant plaisir ;Le bonheur même de vous plaireEn irrite encor le désir. PLUTUS et LA JEUNESSE. Amour, de notre flamme accroît la violence,Vole, viens resserrer nos noeuds ;Pour le prix de notre constance,Nous ne voulons qu'être plus amoureux. PLUTUS. Que tout vous parle ici de l'ardeur qui m'enchante : Déesse, voyez en ces lieuxS'élever à ma voix puissanteUn Palais digne de vos yeux. Le Théâtre change, et représente le Palais à Plutus. PLUTUS. Vous,qui suivez mes pas, servez l'amour extrêmeOù mon coeur s'est abandonné ; Venez offrir à ce que j'aimeTout ce que le Sort m'a donné. Les suivants de PLUTUS viennent offrir de riches présents à LA JEUNESSE. Ils lui rendent leurs hommages, et la suite de LA JEUNESSE se mêle avec eux. SCÈNE IV. La Folie et les Acteurs de la scène précédente. LA FOLIE. Cessez, Jeux indiscrets, ou manquait la Folie ;Qu'ici tout se taise à ma voix.Je ne veux point souffrir de Fête où l'on m'oublie, Et l'on ne doit ici rire que sous mes lois. PLUTUS et LA JEUNESSE. Quoi ! Vous osez.... LA FOLIE. En vain ce discours vous offense.Je dois la vie à votre amour,Mais ne me comptez pas sous votre obéissance ;L'honneur de m'avoir mise au jour Vous paye assez de ma naissance.Abandonnez cette île, ou m'y laissez régner. PLUTUS et LA JEUNESSE. Enfin il faut céder à votre violence ;Puisque de vous guérir nous perdons l'espérance,La raison doit nous éloigner. LA FOLIE. Demeurez, il suffit de votre obéissance.Rappelons les plaisirs que j'avais écartés,Que tout à m'obéir s'apprête ;Ne craignez rien ; loin de troubler la Fête,Je veux vous attendrir par mes chants ; écoutez ; Que votre règne commence ;Revenez, doux Plaisirs ; Plaisirs, revenez tous ;Mais revenez encor plus doux ;Vous languissiez sans moi, brillez par ma présence. On danse. CHOEUR. Chantons, du Dieu de l'Or célébrons les appas, Chantons la Jeunesse et ses charmes. UNE PARTIE DU CHOEUR. Tous les coeurs lui rendent les armes. L'autre Partie. Tous les coeurs volent sur ses pas. Les Premiers. Pour mériter son secours favorable,On brave la fureur et des vents et des mers. Les Seconds. Elle seule embellit les plus affreux déserts ,Et sans elle il n'est point de séjour agréable. TOUS LES CHOEURS. Non, non, tout l'universN'a rien de plus aimable. On danse. LA FOLIE. Souffrez que l'Amour vous lie, Jeunes coeurs, cédez à ses feux :Sans l'Amour et la Folie,Il n'est point de moments heureux.L'Amour m'a prêté ses armes,C'est à moi de lancer ses traits ; Ne craignez point ses alarmes,J'y répands les plus doux attraits.Souffrez que l'Amour vous lie,Jeunes coeurs, cédez à ses feux :Sans l'Amour et la Folie, Il n'est point de moments heureux.Suivez une erreur charmante,Jouissez d'un bonheur constant ;La tendre Folie enchante,La Sagesse en fait-elle autant ? Souffrez que l'Amour vous lie,Jeunes coeurs, cédez à ses feux :Sans l'Amour et la Folie,Il n'est point de moments heureux. CHOEUR. Au Dieu d'Amour livrez votre âme, Le Plaisir naît de ses ardeurs :Qu'il triomphe, qu'il vous enflamme,Qu'il enchaîne à jamais vos coeurs. LE CARNAVAL, à Plutus et à La Jeunesse. Vous voyez la Déesse à qui je rends les armes :Dieux charmants, de ma flamme accordez moi le prix. Elle est la Déesse des Ris,Et je suis l'ennemi des Chagrins et des Larmes,Si par un doux hymen nos destins sont unis,Que vos neveux auront de charmes ! PLUTUS et LA JEUNESSE. Tout flatte vos désirs,nous approuvons vos feux. LA FOLIE s'en va avec un signe de moquerie. LE CARNAVAL. Belle Déesse... Ô Ciel : elle a quitté ces lieux !De votre aveu sa pudeur s'est blessée,Elle a fui des discours qui l'ont embarrassée ;Allons faire éclater mes transports à ses yeux. CHOEUR. Au Dieu d'Amour livrez votre âme, Le plaisir naît de ses ardeurs :Qu'il triomphe, qu'il vous enflamme,Qu'il enchaîne à jamais vos coeurs, ACTE II Le Théâtre représente une campagne fertile. On voit sur le devant d'un des côtés du théâtre le Fleuve Léthé endormi sur son urne, et au fonds la scène. SCÈNE PREMIÈRE. LE CARNAVAL. Sous les lois de l'Hymen je me range sans peine,Mon coeur y trouve des appas ; Dieu du vin, n'en murmure pas,Tu dois t'applaudir de ma chaîne.Les doux plaisirs qu'il prépare pour moiMettront le comble à ta victoire :Les fruits de mon hymen ne naîtront que pour toi, Bacchus, je les voue à ta gloire, SCÈNE II. Le Carnaval et La Folie. LE CARNAVAL. Enfin la Beauté que j'adoreVa s'unir avec moi par les noeuds les plus doux :L'Hymen va soulager le feu qui nous dévore ;Que nous serons d'heureux époux ! LA FOLIE. Nous ne le sommes pas encore. LE CARNAVAL. Plutus et la Jeunesse approuvent mon ardeur,Quel autre peut encore me nuire ? LA FOLIE. Moi. LE CARNAVAL. Vous ? LA FOLIE. J'allais sans eux faire votre bonheur ;Leur aveu vient de le détruire. LE CARNAVAL. Vous voulez rire ? LA FOLIE. Non, non, apprenez une foisÀ connaître mieux la Folie.Je ne suis point soumise aux loisDe ceux qui m'ont donné la vie ;Le contraire de leur envie Détermine toujours mon choix, LE CARNAVAL. Quoi ! Malgré les plaisirs où l'Hymen nous convie.... LA FOLIE. Cet hymen, ces plaisirs ne sont plus de saison. LE CARNAVAL. Vous changeriez, Perfide ! Et par quelle injustice !... LA FOLIE. Je vous aimais sans raison, Et je change par caprice. LE CARNAVAL. Ciel, me réserviez-vous à ce cruel supplice ! LA FOLIE. J'entends votre coeur soupirerDe l'excès de votre martyre :Goûtez, si vous voulez, le plaisir d'en pleurer, Mais laissez-moi celui d'en rire. LE CARNAVAL. Non, non, n'espérez pas jouir de mes douleurs. LA FOLIE. Ne cachez point les alarmesQue vous causent mes rigueurs :Versez du moins quelques pleurs, Pour la gloire de mes charmes. LE CARNAVAL. Non, non, n'espérez pas jouir de mes douleurs.Je dégage mon coeur et je vous rends le vôtre,Ce n'est plus qu'au dépit que je [m]e veux livrer,Amour, celle de m'assurer Que nous étions faits l'un pour l'autre :Ce n'est plus qu'au dépit que je me veux livrer. LA FOLIE. Vous pouvez éprouver le charmeDes ondes dont ce fleuve arrose ces coteaux.Ne croyez pas que votre oubli m'alarme, Ma beauté me promet mille esclaves nouveaux. LE CARNAVAL. Vous serez contente, Inhumaine ;J'éteindrai tous les feux dont mon coeur est rempliIndigne d'Amour et de haine,Vous ne méritez que l'oubli. Fuyons ; souffrons enfin que la raison me guide,Je vais loin de vos yeux briser d'indignes fers :Je vais entre nous deux, Perfide,Mettre tout l'espace des mers.Allons... LA FOLIE. Ah ! N'ayons pas l'affront que l'on me quitte. Neptune, tu me dois l'hommage des mortels ;C'est moi qui par leurs mains ai dressé tes Autels,Refuse ton onde à sa fuite. La mer se soulève et les vents grondent. LA FOLIE. Vous voyez mon pouvoir ; tous les vents furieuxOnt troublé le repos de l'onde, La terre tremble, le ciel gronde,Les flots s'élèvent jusqu'aux Cieux. CHOEUR de gens qui font naufrage. Ciel ! ô Ciel ! LA FOLIE et LE LÉTHÉ. Quels malheureux périssent ! CHOEUR. Mille abîmes profonds s'offrent à nos regards ;Les ondes et la mort entrent de toutes parts : Dieux ! ô Dieux ! Que nos cris, que nos voeux vous fléchissent, Une troupe de Matelots descendent d'un vaisseau échoué. SCÈNE III. La Folie, Le Carnaval, Le Léthé, Le Chef des Matelots, et les Choeurs. LA FOLIE, au Carnaval. Ce sont mes favoris que vous voyez venir,L'orage sur ces bords les contraint de descendre :Ne vous éloignez pas ; ils pourront vous apprendreÀ perdre un triste souvenir. LE CHEF DES MATELOTS. Nos compagnons victimes de l'orage,Ont souffert à nos yeux un trépas plein d'horreurs ;Privés au fond des eaux des funèbres honneurs,Leurs mânes vont errer sur le fatal rivage.Ne nous exposons plus à de pareils malheurs. CHOEUR. Que les vents loin de nous exercent leur ravage,Évitons à jamais les écueils et l'orage. LE LÉTHÉ. Ô vous que le Sort livre à des maux déplorables !Venez chercher ici la fin de vos malheurs :Avec mes ondes favorables, J'en répands l'oubli dans les coeurs. CHOEUR. De ce Dieu secourable éprouvons les faveurs. Les matelots vont boire des eaux du fleuve pendant son récit. LE LÉTHÉ. Je calme en un instant les chagrins les plus sombres.En vain le doux Nectar fait le bonheur des Dieux :Il est encor moins précieux, Que ces paisibles eaux qui coulent pour les Ombres. LE CHEF DES MATELOTS avec LE CHOEUR. Embarquons-nous, tout rit à nos désirs ;Le vent propice nous seconde :La Fortune et tous les plaisirsNous attendent au bout du monde. LA FOLIE. Arrêtez, Ingrats, arrêtez ;Et du moins en partant rendez-moi votre hommage.C'est moi qui vous trace l'imageDes biens et des plaisirs que vous vous promettez,Et votre espoir est mon ouvrage. Arrêtez, Ingrats, arrêtez,Et du moins en partant rendez-moi votre hommage. Les Matelots lui rendent leur hommage. Elle les touche de sa Marotte, ce qui leur donne une nouvelle ardeur. LA FOLIE. L'orage en amour présage un doux sort,Le plus cher des plaisirs nous attend au port.Un beau jour s'apprête, Tout sert nos désirs :Voyez la tempêteCéder aux Zéphirs.L'orage en amour présage un doux sort,Le plus cher des plaisirs nous attend au port. Passez au rivageL'hiver de vos ans,Craignez moins l'orageDans votre printemps ;Voguez en paix et bravez la rage Des flots et des vents.L'orage en amour présage un doux sort,Le plus cher des plaisirs nous attend au port. On danse. LA FOLIE. Jeunesse trop timide,Venez vous embarquer ; L'amour est votre guide,Rien ne peut vous manquer :Voguez, malgré l'orage,Au gré de vos désirs ;Laissez sur le rivage Les soins et les soupirs ;Et mettez du voyage,Les jeux et les plaisirs. Les danses continuent. LA FOLIE et LE CHOEUR. Vents qui ne troublez point les flots,Régnez sur les humides plaines : Fuyez, Vents orageux , laissez l'onde en repos :Éole, resserre leurs chaînes. Les Matelots se rembarquent. SCÈNE IV. Le Carnaval et La Folie. LE CARNAVAL. La raison contre vous n'a que de faibles armes ;Je ne puis vaincre mon ardeur ;Les efforts que je fais pour oublier vos charmes, Les gravent encor mieux dans le fonds de mon coeur.Il est temps qu'à mes feux votre caprice cède,Commencez mes plaisirs, et terminez mes maux. LA FOLIE. Je vous laisse avec le remède,Vos yeux vous ont appris le pouvoir de ces eaux. SCÈNE V. LE CARNAVAL. Oui, Perfide, il est temps que mon dépit éclate:Puisons ici l'oubli de mes folles amours.Mais non, pour oublier l'IngrateLe vin est le plus sûr secours.Éteins mes feux, brise ma chaîne, Dieu du vin, guéri ma langueur :Verse, verse à longs traits ta charmante liqueur ; Et pour me venger de ma peine,Viens noyer l'Amour dans mon coeur.Je vais chercher Momus ; je veux qu'à tasse pleine Il m'aide à triompher de mon indigne ardeur.Bacchus, rends aujourd'hui ma victoire certaine,Verse, verse à longs traits ta charmante liqueur ;Et pour me venger de ma peine,Viens noyer l'Amour dans mon coeur. ACTE III Le Théâtre représente le Palais de LA FOLIE. SCÈNE PREMIÈRE. MOMUS. À de nouveaux transports mon ami s'abandonne ;La table et mes conseils n'ont pu l'en garantir.Pour servir son amour il m'en a fait sortir :Du moins dans l'emploi qu'il me donne,Cherchons de quoi m'en divertir. Mais la Déesse vient. SCÈNE II. Momus et La Folie. MOMUS. Cruelle, à quel tourmentAvez-vous livré votre amant !Ce n'est plus cet aimable MaîtreQui savait nous instruire à noyer nos chagrins ;Au milieu même des festins, Il sent son désespoir s'accroître ;Le verre lui tombe des mains,L'Univers va le méconnaître, LA FOLIE. Quoi, Momus ! MOMUS. Votre trahisonL'a mis dans un trouble effroyable. LA FOLIE. Ah ! S'il en perdait la raison ,Que je le trouverais aimable ! MOMUS. Si pour vous sa folie est un charme si doux,Il est depuis longtemps digne de votre flamme :Le jour qu'il soupira pour vous, La raison sortit de son âme, LA FOLIE. Cessez donc de plaindre des feuxQui l'ont débarrassé d'une raison cruelle :N'est-il pas encor trop heureux,D'être délivré d'elle ? MOMUS. Insultez-vous encore à son trouble amoureux ? LA FOLIE. La raison pour un coeur n'est qu'un bien rigoureux,Et sa perte est un avantage.Vous-même, seriez-vous heureux,Si vous étiez plus sage ? MOMUS. Quittons des détours superflus,C'est assez éprouver votre âme :Si vous m'aviez paru trop sensible à sa flamme,Je vous aurais caché qu'il ne vous aime plus. LA FOLIE. Quoi !... MOMUS. De son coeur l'Amour n'est plus le maître, Ces eaux que vous-même. ... LA FOLIE. Ah ! Le Traître ! MOMUS. Elles ont fini son tourment. LA FOLIE. Juste Ciel ! Puis-je croire un si grand changement ? MOMUS. l'oubli succède aux feux que vous aviez fait naître ;Affranchis désormais d'amour et de chagrin, Nous pourrons, du soir au matin,Boire à longs traits, chanter et rire :Belles, le verre en main nous braverons vos coups ;Et nous ne songerons à vous,Que pour le plaisir d'en médire. LA FOLIE. C'en est donc fait, tu n'es plus sous ma loi ;Ingrat, tous tes serments sont autant de parjures ;Si j'avais outragé ta foi,Qui t'empêchait, Cruel, d'éclater en murmures ?Il fallait m'accabler d'injures ; C'aurait été du moins te souvenir de moi.Je ne me connais plus dans ma douleur profonde.Que tout sente avec moi mes déplaisirs cruels,Abandonnons le soin du monde,À la triste Raison livrons tous les mortels. Déchirons, déchirons le voile salutaire,Qu'au devant de leurs yeux je déployais toujours ;Et que privés de mon secours,Ils sentent, comme moi l'excès de leur misère. Elle jette sa Marotte.Vous, allez sceptre vain, dont j'impose mes lois : Vous n'êtes plus pour moi qu'un inutile poids.Que sert tout cet éclat ? Que sert mon rangs suprême,Quand l'ingrat que j'aimais m'ose sacrifier ?Ah ! Puisqu'il a pu m'oublier,Je voudrais m'oublier moi-même ! Elle se laisse tomber. MOMUS. La joie et la douleur, tout en elle est extrême, Prenant la marotte de LA FOLIE.Cet ornement peut servir mes désirs.Mais j'ai pitié du trouble où son âme se livre.Vous, qu'elle a choisi pour la suivre,Venez, et dans son coeur rappelez les plaisirs. SCÈNE III. Momus, La Folie, Suite de La Folie. CHOEUR DES SUIVANTES DE LA FOLIE. Craignez de vous faireUn triste destin ;Si vous voulez plaireChassez le chagrin :Dès que l'on s'y livre On perd ses appas.Eh ! Qui voudrAit suivreDésormais vos pas ?Est-il doux de vivre,Quand on ne plaît pas ? LA FOLIE, se relevant. Quoi ! Je verrais mes appas s'effacer !Non, non, à ma douleur j'aime mieux renoncer.Qu'avec moi le Plaisir tienne ici son empire,Que tout le ressente et l'inspire.Vous, mes chers compagnons, paraissez, venez tous, Un Rideau s'ouvre au fond du Théâtre, et laisse voir un Salon rempli de musiciens, auxquels un Maître de musique bat la mesure : Il paraît en même temps un Professeur de Folie, suivi de plusieurs écoliers. LA FOLIE et LE CHOEUR. Qu'en ces lieux chacun chante ;Que l'Echo chante avec nous.Tout nous rit, tout nous enchante ;Goûtons les biens les plus doux.Heureux un coeur qui s'oublie ! Devenons encor plus fous ;De notre aimable folieRendons les sages jaloux. LE PROFESSEUR DE FOLIE. Son Professor di pazzia ;Volate, Scholari ; Sarete DottoriNell'arte d'allegria. CHOEUR DE LA SUITE DE LA FOLIE. Volate, Scholari ;Sarete DottoriNell'arte d'allegria. LE PROFESSEUR, donnant un papier de Musique à un Musicien. Cantate, cantate. Il chante avec l'écolier.Amorosi sospiriSon il canto di cuori. LE PROFESSEUR. E la prima lettione.La secunda ballate. Un danseur et une Danseuse dansent autour de lui. LE PROFESSEUR, à un Poète. La terza, rimate. LE POÈTE, se frottant le front et se rongeant les ongles. L'ardore ....D'Amore ... . LE PROFESSEUR. Bene , bene. LE POÈTE. L'ardore, D'Amore....Egoia d'el cuore. LE PROFESSEUR. Bene, bene, bene. À Tous.Cantate, ballate, rimate :E d'ella pazzia la perfettione, CHOEUR. Cantate, ballate, rimate.E d'ella pazzia la perfettione. LE MUSICIEN et LE CHOEUR. Amour, fais-nous ressentir tes feux,Triomphe, triomphe, viens nous rendre heureux.Que tes faveurs soient pour les plus fous. Fuyez, Sagesse,Fuyez, Vieillesse,Nos tendres plaisirs ne sont pas faits pour vous?Amour, fais-nous ressentir tes feux,Triomphe, triomphe, viens nous rendre heureux. Puni les cruellesEt les inconstants ;Attendri les belles,Fixe les amants ;Qu'ils soient tous fidèles, Qu'ils soient tous contents. LA FOLIE, en menant le Branle. Venez poursuivre ailleurs cette réjouissance ;Le changement de lieux plaît à mon inconstance. SCÈNE IV. MOMUS. Il faut qu'avec cet ornement,J'aie encor le plaisir de tromper son amant. SCÈNE V. Momus et Le Carnaval. LE CARNAVAL. Qu'apprendrai-je, Momus, de l'objet de mes voeux ? MOMUS. Je viens d'en triompher sans peine,L'Amour a dans son coeur fait renaître ses feux ;Et pour éterniser sa chaîne,Elle veut que l'hymen y joigne encor ses noeuds. LE CARNAVAL. Ah ! Momus, cher Momus, que tu me rends heureux ! MOMUS. Du nouvel amour qui l'engageElle suivra toujours la loi :Son coeur désormais moins volage,M'a juré de n'aimer que moi. LE CARNAVAL. Que vous ? MOMUS, lui montrant la Marotte. Reconnaissez ce gage de sa foi. LE CARNAVAL. Ô Ciel ! MOMUS. Épargnez-vous une plainte frivole.Que le Dieu du vin vous consoleDu coeur d'une ingrate beauté.Que pour ce Dieu charmant votre ardeur se réveille ; Venez, courez au vin que vous avez quitté ;Vous trouverez au fond de la bouteille,Le repos et la liberté. Il sort. LE CARNAVAL. Le suivrai-je ?... Mais quoi ! Laisser une volageS'applaudir en repos de m'oser outrager ? Non, il faut la punir : c'est mériter l'outrage,Que de n'oser pas s'en venger.Toi, sombre et triste Hiver, Divinité puissante ;Si jamais sur tes pas j'ai conduit les Plaisirs ;Si par mes soins ton règne enchante, Plus que le règne heureux de Flore et des Zéphirs :Reconnais mes faveurs au gré de mes désirs ;Rends aujourd'hui ma vengeance éclatante.Volez, volez, rapides Aquilons,Faites sur ce Palais les effets de la foudre ; Qu'il se brise, qu'il tombe en poudre :Élevez en ces lieux d'horribles tourbillons.Que cette île devienne un séjour effroyable,Faites-y déborder les flots ;Qu'elle soit à jamais l'image épouvantable De l'horreur du premier chaos. Les vents brisent le palais. ACTE IV Le Théâtre représente les Jardins de PLUTUS et de la JEUNESSE, désolés par les vents. SCÈNE PREMIÈRE. LA FOLIE. Mon amant dans mes fers est toujours arrêté,Au trouble de ces lieux je vois trop qu'il m'adore.Malgré le secours du Léthé,Puisqu'il se venge, il m'aime encore. Quel triomphe pour mes attraits !Ah ! Que sa vengeance m'enchante !L'air mugissant, l'onde grondante,Les arbres arrachés dans le sein des forêts,Les rochers renversés, et la terre tremblante, Ah ! Que ce spectacle m'enchante !Quel triomphe pour mes attraits ! SCÈNE II. Le Carnaval et La Folie. LA FOLIE. La guerre qu'en ces lieux les vents ont déclarée,Est donc l'effet de vos transports ?[Note : Borée : Un des dieux des vents.]En croirons-nous l'impétueux Borée ? Il jure qu'il vous sert en ravageant ces bords. LE CARNAVAL. N'en doutez point ; il venge un amour qu'on outrage. LA FOLIE. Quoi ? vous m'aimez encore ! LE CARNAVAL. Eh ! Puis-je vous haïr !Vainement je m'excite à la haine, à la rage : Ce coeur, ce lâche coeur ne saurait m'obéir.Bacchus me suit et Momus m'abandonne.Silène rit de mes voeux superflus ;Moi-même je m'oublie et ne n'enivre plus,Que d'un amour qui m'empoisonne. LA FOLIE. Que ces transports charment mes yeux ! LE CARNAVAL. Faut-il ne les sentir que pour une infidèle ?Perfide, reconnais les lieuxoù tu m'avais promis une ardeur éternelle. LA FOLIE, s'asseoit et s'assoupit au récit suivant. Tu vois dans ces jardins cette eau suivre son cours, Nos soupirs s'y mêlaient au murmure de l'onde.Regarde ces sombres détours,Nos amours y croissaient dans une paix profonde :Ces arbres, ces rochers sont témoins de ta foi ;Dans ce lieu même où mon amour te blesse, Mille fois les Échos m'ont redit après toi,Je jure de t'aimer sans cesse. LA FOLIE. Plaignez toujours ainsi la rigueur de vos maux.Non, le sommeil n'a point de si puissants pavots.C'est vainement que mes yeux s'en défendent. Les vents m'ont ôté le repos,Vos tendres plaintes me le rendent. LE CARNAVAL. Ciel ! Quel est donc pour moi ce mépris obstiné !Vous ajoutez encor l'outrage à vos parjures. LA FOLIE. Pourquoi m'éveillez-vous ? Contraignez vos murmures, Respectez le repos que vous m'avez donné. LE CARNAVAL. C'en est trop, Déesse inhumaine,Craignez le désespoir où vous m'avez jeté.De mille affreux transports mon coeur est agité,Et la Rage y confond et l'Amour et la Haine. LA FOLIE, se relevant. Est-ce donc là l'effet qu'a produit le Léthé.Ses eaux n'ont pas éteint l'ardeur qui vous possède ;Mes traits de votre coeur ne sont pas effacés.L'eau vous est un fâcheux remède,Vous n'en aurez pas pris assez. LE CARNAVAL. Ah ? Chaque mot accroît le courroux qui m'entraîne ! LA FOLIE. Il faut aux amants plus d'un jourPour briser une aimable chaîne :Et l'oubli ne prend pas sans peineLa place d'un premier amour. LE CARNAVAL. Perfide, vous avez éprouvé le contraire.En moins d'un jour vos feux se sont éteints MOMUS, paraît. Et voilà désormais le Dieu qui sait vous plaire. LA FOLIE. Ciel ! Qui peut avoir mis mon sceptre dans ses mains ! SCÈNE III. La Folie, Le Carnaval ; et Momus. LA FOLIE reprend sa marotte. Quittez cet ornement que je tiens des Destins Et par qui tout se range à mon obéissance.Quoi ! Vouliez-vous sur les humains,Usurper ma puissance ? LE CARNAVAL. Eh ! N'est-ce pas de vous que Momus en ce jour A reçu ce gage d'amour ! MOMUS. Je vous ai trompé l'un et l'autre :Mais c'est assez jouir de son trouble et du vôtre.Nous n'avons plus de regrets à former,Et chacun a suivi le penchant qui l'inspire :Le vôtre était de vous aimer, Le mien était d'en rire. SCÈNE IV. Plutus, La Jeunesse ; Le Carnaval, Le Folie et Momus. PLUTUS et LA JEUNESSE. Ah ! Cruel, fuyez de ces lieux :N'êtes-vous pas content de cet affreux ravage !Fuyez, n'offrez plus â nos yeuxUn ennemi qui nous outrage. LE CARNAVAL. Ah ! Pardonnez l'effet d'un transport amoureux. PLUTUS et LA JEUNESSE. Non , non, perdez toute espérance :Allez porter ailleurs votre rage et vos voeux :Nous ne voudrons jamais, après ce trouble affreuxD'une si funeste alliance. LA FOLIE. Vous ne le voulez plus ? PLUTUS et LA JEUNESSE. Non. LA FOLIE. Et moi je le veux,Pour couronner sa flammeEt trouver nos liens charmants,Voilà les sentimentsOù j'attendais votre âme. On entend une symphonie, et JUPITER descend sur des nuages avec VÉNUS, BACCHUS et MERCURE. PLUTUS et LA JEUNESSE. Mais, quels nouveaux concerts et quels brillants nuages !Les Dieux de leur présence honorent ces rivages. SCÈNE V. Jupiter, Vénus, Bacchus, Mercure, et les Acteurs de la scène précédente. JUPITER à PLUTUs et à la JEUNEssE. Ne combattez plus leurs désirs :Le Sort veut que l'Hymen et l'Amour les unissent ;Et qu'à ce noeud charmant, par de nouveaux plaisirs, Le Ciel et la Terre applaudissent ;Que ce jardin se change en un palais pompeux ;Qu'un trône s'élève pour eux,sQu'ils y goûtent en paix une douce victoire, Le théâtre représente le Palais du CARNAVAL. VÉNUS. Volez, Amours, volez, aimables Jeux ; Venez combler nos plaisirs et leur gloire. JUPITER et VÉNUS. Vous, Mortels, accourez ; tout ici vous engagezÀ célébrer de si beaux noeuds ;Que vos plaisirs soient votre hommage,Le Sort ne les unit que pour vous rendre heureux. Troupe de différents Peuples qui viennent rendre hommage au CARNAVAL. Ils prennent de sa main des Masques, et de celle de LA FOLIE des Marottes; et reviennent masqués se placer sur des gradins. CHOEUR. Rassemblons-nous, dansons, folâtrons, chantons tousCélébrons par nos chants une chaîne si belle,Que leur flamme soit éternelle. JUPITER, au Carnaval. J'exerce à l'avenir un pouvoir glorieux,Viens recevoir les dons des Dieux. À Momus.Toi, prends part à nos Jeux. Je te promets de rire.Mais sois moins téméraire et contrains-toi pour nous. MOMUS. La Fête et leur hymen sont si dignes de vous !Le moyen d'en médire ! MOMUS, fait approcher le Carnaval. Viva, viva, sempre viva, Il Dio d'ell'allegria Deux Matassins apportent une robe couverte de masques. On la met au Carnaval, tandis que Jupiter et Vénus chantent. JUPITER et VÉNUS. Sùsù pigliateQuella divina veste,Quando è come vi piacera,Ogni volto si cangiera. CHOEUR. Viva, Viva, sempre viva,Il Dio d'ell'allegria. BACCHUS, donnant au Carnaval une coiffe de pampre et de lierre. Ti corona il pampino ,Sarai sempre Dio dél vino. CHOEUR. Viva, Viva, sempre viva, Il Dio d'ell'allegria. MERCURE, donne au Carnaval un Sceptre d'or, terminé d'un Momon. Quel scettro che ti doTi fa il Re del Joco. LA FOLIE et LE CHOEUR. Viva, viva, sempre viva,Il Dio d'ell'allegria. On danse. LE CARNAVAL. Folâtrez, folâtrez, rien ne doit vous contraindre.La charmante Folie est toujours de saison :Qui perd une fois la raison,N'a plus que son retour à craindre. LA FOLIE et LE CHOEUR. Tendres haut-bois, douces musettes, Par vos sons amoureux célébrez ce grand jour :Battez, Tambours, sonnez, Trompettes :Mars me doit son hommage aussi bien que l'Amour. ==================================================