******************************************************** DC.Title = SILVIE, TRAGÉDIE DC.Author = LANDOIS, Paul DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 26/07/2023 à 05:54:23. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/LANDOIS_SILVIE.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1084994 DC.Source.cote = BnF LLA YF-6707 DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** SILVIE Tragédie en prose, en un acte. Le prix est de vingt sols. M. DCC XLII. Avec Approbation et privilège du Roi. IMP. F. JOURDAN, 36, 38, rue de la Goutte d'Or, PARIS/ Représenté pour le première fois le 17 août 1741 au Théâtre des Fossés Saint-Germain. ACTEURS DU PROLOGUE. L'AUTEUR. LE COMMANDEUR. LA MARQUISE. LE CHEVALIER. MONSIEUR GROSSET. ACTEURS. DES FRANCS. DES RONAIS. SILVIE. UN LAQUAIS. PROLOGUE. SCÈNE PREMIÈRE. Le Commandeur, L'Auteur. LE COMMANDEUR. Je viens de chez vous inutilement, et je me suis rendu de bonne heure ici, comptant vous y trouver. Ma présence vous embarrasse sans doute ? L'AUTEUR. Monsieur... LE COMMANDEUR. Pourquoi donc avoir donnée votre pièce aux Comédiens, sans me l'avoir dit ? L'AUTEUR. J'ai craint que vous n'en fissiez un crime. LE COMMANDEUR. Je l'eusse fait, sans doute. Hé quoi, ne pouviez-vous tomber par les voies ordinaires, sans chercher tant de secours étrangers ? Silvie, tragédie bourgeoise, en un acte, en prose ; toutes choses, donc une seule est capable de révolter ! L'AUTEUR. J'en conviens ; je vous le répète, j'ai craint que vous ne missiez obstacle à mon dessein. Cependant, ce n'est pas à cause des éloges que vous lui avez donnez, et de ce que vous n'y avez peint trouvé cet héroïque guindé sur le ton de la tragédie ordinaire, que je me suis hasardé à la donner. LE COMMANDEUR. Prétendez-vous, parce que je l'ai louée dans le particulier, m'aller associer à la honte qui vous en reviendra en public ? L'AUTEUR. N'appréhendez pas cela. D'ailleurs, quelle honte voulez-vous qu'il vous en revienne ? LE COMMANDEUR. Écoutez donc ce que je dis. Je viens exprès du café pour l'entendre. Tous ces petits faiseurs de vers sont intrigués. Une tragédie en prose, disent-ils, quelle entreprise ! On démontre dogmatiquement qu'une tragédie, qui n'est point en vers, ne peut être que pitoyable, et digne de sifflets. L'AUTEUR. Mais pourquoi cela ? LE COMMANDEUR. Est-ce à moi que vous faites cette question ?... Retirez-vous ; voilà le Chevalier que vous connaissez, avec Monsieur Grosset et la Marquise qui viennent à vous : vous ne pourriez manquer de vous déceler. L'AUTEUR. Ho non, je vous jure. LE COMMANDEUR. Retirez-vous, vous dis-je. Mais non : restez ; vous jugerez par vous-même. Cependant gardez-vous de proférer un seul mot, qui puisse... L'AUTEUR. Ne craignez rien ; vous verrez si j'entends raillerie. SCÈNE II. Le Chevalier, La Marquise, Grosset, La Commandeur, L'Auteur. GROSSET. Bonjour, Commandeur. LE COMMANDEUR. Bonjour. LE CHEVALIER. Ah, ah, Commandeur, tu es curieux des tragédies en prose, à ce que je vois ? La crainte qu'il n'y en ait pas de seconde représentation, t'attire à la première ? LE COMMANDEUR. La singularité du genre m'attire. LE CHEVALIER. Es-tu de ceux qui prétendent qu'il fera fortune ? LE COMMANDEUR. Pourquoi non ? LE CHEVALIER. Ah, ah, le réponse est bonne ! Tu plaisantes ? LE COMMANDEUR. Non, assurément. LE CHEVALIER. Comment tu prétendrais ?... Allons, allons, tu te donnes un ridicule... LE COMMANDEUR. Cela peut être : mais je ne vois pas sur quoi fondé. LA MARQUISE. Mais, Chevalier, c'est vous qui n'y pensez pas. Si elle est bonne en prise, peut-on faire un crime à l'auteur de ne l'avoir point faire en vers ? LE CHEVALIER. Ah ! Si elle est bonne, décide la question. Mais Madame me permettra de lui dire, que c'est supposer l'impossible. LE COMMANDEUR. Tu as, sans doute, d'excellentes raison pour le croire. LE CHEVALIER. En as-tu jamais vu ? LE COMMANDEUR. La conséquence est juste. LE CHEVALIER. Sans doute. N'imagines-tu pas que quelques-uns de nos grands génies aient voulu courir une pareille carrière ? Quelle misérable auteur a tenté l'aventure. GROSSET. Je vous écoutez-là. Je suis venu sans trop savoir ce qu'on joue. Mais qu'importe ? Je suis fou de la tragédie, moi. Qu'est ce que c'est que cette tragédie en prose ? LE COMMANDEUR. Monsieur, c'est une tragédie qui n'est point en vers. GROSSET. Comment, cela ne rimera point ? LE COMMANDEUR. Non. GROSSET. Serviteur. LE COMMANDEUR. Pourquoi donc cela, Monsieur ? GROSSET. Ah oui, pourquoi cela ? Vous me jouez de ces tours ! Je restai l'autre jour par complaisance à votre prose, puisque prose y a ; mais vous ne m'y attraperez plus. Je n'entendis débiter que des sornettes. LE CHEVALIER. Monsieur Grosset a raison. GROSSET. Vous diriez de gens qui viennent-là parler tout uniment de leurs affaires : cela ne sent rien. Mais dans le tragique, vous voyez un héros s'avancer gravement du fond du théâtre ; de l'autre côté, une princesse qui pleure. On est tout d'un coup ému. Vous entendez qu'il lui adresse la parole avec poids et mesure ; et la princesse lui répond de même des choses dont je ne me souviens plus. LE COMMANDEUR. Nous y perdrons sans doute, Monsieur Grosset. GROSSET. Et puis, viennent ces maximes, ces rêves, ces beaux traites de morale, ces portraits ; car chaque chose a son tour : et ce qui m'en plaît ; c'est qu'on sait à quoi s'en tenir. C'est presque toujours de même. Oh : Vous avez beau dire, votre prose ne dit point les choses comme cela. LE COMMANDEUR. Je le crois. GROSSET. Oh mais, j'aime surtout la fin, lorsque paraît leur acteur au récit, qui vient apprendre quel est celui duquel les affaires ont mal tourné. LE COMMANDEUR. C'est à merveille, Monsieur Grosset, l'on peut dire que les beaux endroits s'échappent point à la justesse de votre discernement ; mais par une fatalité, dont je ne suis pas garant, ces beautés qui vous charment se trouvent dans la pièce dont il 'agit. LA MARQUISE. Vous la connaissez, Monsieur ? L'AUTEUR. L'auteur est de ses amis. LE CHEVALIER. Ah, l'auteur est de ses amis. LE COMMANDEUR. [Note : Rodomontades : Propos fanfarons, attitude prétentieuse et ridicule. [CNRTL]]L'auteur, ami de la nature, regardant le pompeux galimatias tragique, comme un mauvais moyen pour exprimer ses sentiments, a eu soin de le supprimer. Les choses y sont nommées par leur nom. Le matin n'est point le blond Phoebus qui va sur son char lumineux fournir sa brillante carrière ; c'est tout uniment le matin ; et le soir n'est pas plus le même Phoebus qui va se reposer dans le sein de Thétis. Il y est question de boire, de manger, d'habits, de meubles. L'arme qui se trouve sous la main, sert à la catastrophe : enfin c'est l'intérieur d'une maison, dans laquelle des gens, affectés de passions, peut être assez vives, s'expriment confortablement à leur situation, ne se mêlent de ce qui les touche ; n'abandonnent point l'intérêt principal, pour venir sur le devant du théâtre, débiter des lieux communs de morale, ou de rodomontades héroïques. Il a même recommandé aux acteur de ne pas sortir de son familier. L'AUTEUR. Sur cette exposition, je le décide tombée. LE COMMANDEUR, bas à l'auteur. Vous le méritez bien. GROSSET. Et moi, de même. L'AUTEUR. Cela sera pitoyable. LE COMMANDEUR. Pourquoi cela, Monsieur ? L'AUTEUR. Pourquoi ? N'eut-elle pas d'autre défaut que de n'être pas de vos usages. Monsieur, nous partons de trop loin au théâtre, pour espérer d'y ramener les hommes au raisonnable : et cette pièce leur paraître ridicule, à proportion qu'elle s'écartera du genre qui est en possession de leur estime. LE COMMANDEUR. C'est avoir trop mauvaise opinion des hommes, Monsieur ; si vous connaissiez le théâtre , vous devez savoir que le vrai n'y paraîtra jamais en pure perte : le parterre a de trop bon juges pour s'y méprendre. L'AUTEUR. [Note : Bouffissure : Fig. Vanité poussée à l'extrême, au point d'être ridicule. [CNRTL]]Personne ne porte plus haut que moi le degré d'estime qu'on doit faire de ses décisions ; mais, Monsieur, il y en a bien à qui la nature n'a donné que la présomption de se croire infaillibles, et qui abusant de l'honneur que leur fait la place, étouffent la voix de ceux de ceux qui seuls devraient prononcer. Habituez à cette enflure, à cette bouffissure, qu'on appelle du pompeux, cette simplicité avec laquelle vous la peignez, leur paraîtra de la froideur ; le naturel, du bas ; et je craindrais bien que les habits, les meubles, n'occasionnassent quelque mauvaises plaisanteries, dont l'auteur appellera en vain, si elle fait rire. LE CHEVALIER. Non, non, Monsieur, cet ouvrage est un petit prodige qui va en imposer, et mettre sur le côté nos grands auteurs ! LE COMMANDEUR. Doucement, Chevalier ; ne vois dans ce que je dis, que ce que je dis. L'auteur pourrait avoir évité les défauts du genre qu'il condamne, et avoir donné dans tous ceux, dont celui qu'il embrasse, est susceptible. Ainsi tu vois qu'en pensant de cette façon sur son ouvrage, je suis bien obligé de la croire un petit prodige. Il est lui-même si éloigné de la penser, (je connais ses sentiments comme les miens) il présume si avantageusement de la sublimité du Génie de ceux qu'il admire, qu'il est étonné qu'ils aient pu se résoudre à en asservir la justesse sous le ridicule préjugé du faire parler les gens en vers. LE CHEVALIER. C'est aussi contre les vers que tu déclames ? LE COMMANDEUR. Oui, et non. Il y a des cas où je les tolère, où je les admire, et même où je les approuve. Mais ce ne sera jamais dans la représentation d'une scène de la vie humaine, qu'on ne met sous les yeux que pour faire illusion, et où elle ne subsiste qu'à proportion que les choses font exactement dans le vraisemblable. Et quelque chose y est-il moins que de faire parler les gens en vers ? LE CHEVALIER. Mais... LE COMMANDEUR. Permets moi de te faire une question. Supposons pour un moment que sans qu'on le sût, tu fusses assez proche de la chambre de ton Prince, et qu'à travers quelques ouvertures ignorée, tu fusses témoin des actions, et entendisses les discours de plusieurs courtisans qui conspirassent sa perte, qu'il vint parmi eux sans aucun soupçon, que tu visses lever le poignard, qu'enfin il fut prêt à périr ; que ferais-tu ? LE CHEVALIER. J'enfoncerais la porte et me jetterais, l'épée à la main... LE COMMANDEUR. À Merveille. J'approuve le zèle. Remets-toi à ton poste. Je t'y replace pour les mêmes circonstances, à cela près seulement, qu'en te supposant d'ailleurs instruit des autres usages, tu ignorasses cependant qu'il y eût Tragédie, vers, etc. Si ces mêmes conjurés menaçaient ses jours jours en termes mesurés, avec ces rimes, ce Phoebus éternel enfin qui règne dans les vers, etc que ton Prince arrivât et se mit à discuter avec eux ses intérêts dans le même jargon ; que dirais-tu ? LE CHEVALIER. Mais je dirais... Hé qu'est ce qui a jamais fait de pareilles questions ? LE COMMANDEUR. Ce n'est pas là ta réponse ? LE CHEVALIER. Que veux-tu que je te dise ? LE COMMANDEUR. Ton courage et ton zèle ont dicté ta réponse dans le premier cas. Dans le second, sans crainte de passer pour sujet téméraire; ce même zèle te ferait faire des voeux au Ciel pour qu'il fit recouvrer la raison à ton Prince ; car tu dirais ; Si ce n'est point une mascarade, dans laquelle il s'est engagé, il est fou ; et sa Cour est folle. LE CHEVALIER. Tu prétendais donc que ces héros parlassent comme nous ? Que ces grands sentiments que nous admirons, fussent rendus en prose ? LE COMMANDEUR. Sans doute. L'AUTEUR. Cela ne se peut pas. GROSSET. Cela serait pitoyable. LA MARQUISE. Je crois, Messieurs, que cela nous serait aussi facile qu'à ceux de qui nous croyons les tenir, et qui, je pense, ne les exprimaient point en vers. LE COMMANDEUR. Hélas ! Madame, je ne sais si pour certaines gens la chose n'est point douteuse. L'AUTEUR. Monsieur, quoi qu'il en soit, jusqu'ici ces ouvrages que vous blâmez, ne vous ont-ils pas affecté ? Qu'importe que ces plaisirs naissent du préjugé, s'ils opèrent sur nous les mêmes effets que ceux que pourrait nous offrir la raison ? Les réels sont en si petit nombre, et de si peu de durée, que nous ne pouvons avoir trop d'obligation à qui nous en a crée d'imaginaires. Travailler à les détruire d'une façon directe, même en réussissant, est une méprise ; c'est joindre au regret de na les avoir plus, le honte de les avoir chéris. Les hommes veulent qu'on respecte leurs préjugés ; et les plus habiles n'ont osé hasarder de nouvelles vérités qu'à proportion qu'ils ont su les présenter sous la forme des anciennes erreurs. GROSSET. Voilà justement ce que j'allais lui dire. LE COMMANDEUR. Si quelque chose me faisait présumer avantageusement, sinon de la pièce du moins de l'auteur, ce serait de ce qu'il a osé s'écarter des usages qu'il a cru vicieux, sans conserver ces bas ménagements insultants pour la raison. LE CHEVALIER. Écoute, Commandeur ; je ne viens pas à la Comédie pour y disserter, mais pour m'y amuser, en voyant le monde qui s'y trouve : et toi, tu n'y viens que pour juger si le pièce est bonne, ou mauvaise. LE COMMANDEUR. Il est vrai que cela ne m'est pas absolument aussi indifférent qu'à toi, parce que le plaisir que je cherche ici, dépend beaucoup de la beauté de la pièce. LE CHEVALIER. Dans ce cas, je crois que tu en auras peu, et je soutiens qu'une tragédie bourgeoise ne peut être qu'un sujet bas et ignoble. LA MARQUISE. Et moi, Messieurs, je crois qu'au lieu de s'amuser ici à disputer d'une pièce que vous ne connaissez pas, il vaut mieux aller prendre nos places, et l'entendre, pour en juger. LE CHEVALIER. C'est bien dit, Madame, je vais avoir l'honneur de vous conduire à votre loge. GROSSET. Je vais avoir celui de vous y suivre. Nous nous aiderons réciproquement de nos lumières. SCÈNE III. Le Commandeur, L'Auteur. LE COMMANDEUR. Vous voyez, Monsieur, que si je n'approuve pas votre projet, je le défends du moins. Eh bien, vous voyez un échantillon du public ; qu'en dites-vous ? L'AUTEUR. Que je ne vois rien de si effrayant. La Marquise qui a de l'esprit et du jugement, consent à m'entendre avant de ma juger. Le Chevalier est un étourdi qui ne pense point. Et Monsieur Grosset est un sot qui aura le sentiment de son voisin. LE COMMANDEUR. En voici la conséquence ; le sentiment des personnes raisonnables ne fait pas grand bruit ; les étourdis décident fort haut, et les sots les répètent.D'ailleurs, vous avez pu remarquer que le grand reproche qu'on vous prépare, est celui d'avoir traité un sujet bas. L'AUTEUR. Je vous avoue, Monsieur, que ces termes de bas et de nobles sont fort équivoques. Ne peut-on jamais mettre que des Princes sur la scène ?Une pièce dramatique est une représentation de la vie ; et sans vouloir interdire la scène aux Héros, j'imagine qu'on peut y faire paraître des personnages, dont la vie ayant un peu plus de de rapport avec celle des spectateurs, devraient naturellement intéresser davantage. Mais bien loin de mettre les moeurs des particuliers sur la scène tragique, je ne désespère pas qu'on ne prennent dans la suite parmi les gens de qualité, les personnages comiques les plus ridicules. LE COMMANDEUR. Vous croyez plaisanter ; mais ce serait presque un moyen de réussir. La jalousie et la malignité du bourgeois en seraient flattées ; les Gens du monde trouveraient fort bon qu'on ne fût jamais occupé que d'eux ; et l'orgueil de chacun lui ferait toujours rejeter sur une de ses amis le ridicule, dont il serait l'original. L'AUTEUR. Enfin, Monsieur, la chose est faite, et la pièce va se jouer. Si elle est sifflée, elle aura sans doute mérité par d'autres endroits que ceux que vous m'objectez. Les personnes éclairées blâmeront l'ouvrage, sans condamner le projet. Quelque auteur, plus habile que moi, sentira dans son génie des ressources pour réussir dans un genre où j'aurai échoué. La public lui devra son plaisir ; mais ce sera à moi qu'il en aura l'obligation. Enfin, quelque soit son jugement; je ne m'en plaindrai point, pourvu que je sois entendu. Un auteur est ridicule de demander grâce ; mais il est en droit d'exiger d'être écouté. LE COMMANDEUR. Allons prendre nos places, et attendre le succès. SILVIE Le théâtre représente l'intérieur d'une chambre où l'on de voit que les murs ; une table sur laquelle est une lumière, un pot à l'eau et un pain ; un habit d'homme et une mauvaise robe de femme. SCÈNE I. Des Francs, en habit de campagne, se promenant comme un homme furieux, Un Laquais, portant un miroir. DES FRANCS. Hé bien, est-ce fait ? LE LAQUAIS. Il n'y reste que très peu de chose. LE LAQUAIS. Ôte exactement tout. Que ne puis-je à mon gré rendre ce lieu affreux, en augmenter l'horreur... Il rappelle le laquais.Écoute, laisse ce miroir. Le laquais s'en va.Je veux que lui présentant sans cesse son image, la perfide ait horreur de son crime... Oui, la crainte que j'eus hier de pousser trop loin ma vengeance ; te sera funeste ; c'en serait fait, tu ne serais plus ; mais elle ne serait point assouvie, je t'apprête des tourments... Ciel ! Que ne puis-je te les faire sentir, sans les partager... Non, ils ne seront que pour moi, la perfide les verra d'un oeil tranquille... Silvie ne m'aime plus, Silvie ne m'aime plus ! Ah sort trop accablant ! Moi qui faisait ma joie, mon bonheur, ma vie de l'aimer... Allons, n'y pensons plus. Au laquais.Hé bien ? Tout est-il fait ? LE LAQUAIS. Oui, Monsieur. DES FRANCS. Dis à Silvie que je l'attends ici. LE LAQUAIS. À Madame ! DES FRANCS. Oui, à Madame... Attends, avant tout chose, dis là-bas que je défends absolument qu'on laisse entrer qui que ce soit, et que j'ordonne qu'on dise à ceux qui me demanderont, qu'une affaire de la dernière important m'a fait partir dès le matin avec Silvie pour le Campagne : et surtout, garde-toi bien de parler de ce que tu vois. LE LAQUAIS. Monsieur vous connaissez mon attachement. DES FRANCS. Va. LE LAQUAIS. Mais, Monsieur, si Monsieur des Ronais et Monsieur Galoüin viennent, leur dirai-je... DES FRANCS. Galoüin ! Que dis-tu ? LE LAQUAIS. Monsieur vous n'avez qu'à ordonner ; mais vous savez que vous défendez souvent qu'on laisse entrer qui que ce soit, sans que cet ordre soit jamais pour eux, et comme j'ai déjà eu l'honneur de vous le dire, ils convinrent hier en soupant avec Madame, qu'ils viendraient ici dès le matin. DES FRANCS. Il n'y viendra pas. Retiens bien ce que je vais te dire. L'ordre comprends aujourd'hui tout le monde, et particulièrement de[s] Ronais, c'est surtout pour lui que je ne veux pas y être. Entends-tu ? SCÈNE II. Des Francs, Des Ronais, qui entend ces dernières paroles. DES RONAIS. Comment ! C'est surtout pour moi que vous n'y voulez pas être ? Je vous avoue que j'ai quelque sujet d'être surpris. DES FRANCS. Monsieur. Excusez-moi... Si vous saviez... Peut-être que... DES RONAIS. Si je savais ? Je ne puis rien apprendre. Mon coeur est pour vous de façon... C'est surtout pour moi que vous n'y voulez pas être ! Je vous le répète, ma surprise est sans égale... Des Francs se promène comme un homme troublé, sans lui répondre.Enfin, Monsieur, j'aurais cru mériter que vous me parlassiez... Ce procédé devient trop outrageant, sans soute ; je vais en instruire une personne aux reproches de laquelle vous ne serez peut-être pas insensible, et quand vous ne serez peut-être pas insensible, et quand je devrais troubler le repos de Silvie... DES FRANCS. C'est pour jamais fait entre nous si vous y allez. DES RONAIS. Et soupçonnez-vous, Monsieur, que cela puisse être autrement ? DES FRANCS. Oui, mes sentiments sont pour vous tels qu'ils ont toujours été ; mais si vous saviez !... Je vous le dirai un jour... Non, ma mort vous l'apprendre. Il se laisse aller dans un fauteuil. DES RONAIS. Hé bien, mon cher ami, qu'avez-vous, vous pleurez ? DES FRANCS. J'ai honte de paraître en cet été devant vous. DES RONAIS. Ah ! Monsieur, ne devrait ce point être de ce que vous m'en cachez le cause ? Parlez, soupçonnez-vous que je ne suis plus votre ami ? DES FRANCS, se lève. J'ai tout perdu , et mon sort est affreux ? DES RONAIS. Hé bien, mon cher ami, ouvrez moi votre coeur, ne puis-je rien apprendre... DES FRANCS. Écoutez-moi, Des Ronais, vous sentez-vous capable de me rendre un service ? DES RONAIS. Est-ce vous qui me faites cette question ! Est-il quelque chose que je ne fisse... DES FRANCS. Un moment. Jurez-moi que lorsque je vous aurai dit le sujet de ma peine, vous me laisserez seul. DES RONAIS. Mais... DES FRANCS. Point de réplique. DES RONAIS. Hé bien, je vous le jure. DES FRANCS. Souvenez-vous de me tenir parole. DES RONAIS. Je vous la tiendrai. DES FRANCS. Silvie m'est infidèle. DES RONAIS. Silvie ! DES FRANCS. Oui, Silvie. DES RONAIS. écoutez, mon ami, je vous sais raisonnable : la passion que je vous connais pour elle, m'est un sûr garant que vous ne l'accusez point sur le légers soupçons ; mais souvent trop d'amour fait que nous prenons... DES FRANCS. Monsieur, me laissez-vous ? DES RONAIS. De grâce encore un mot. Silvie vous est infidèle, vous avez sans doute de bonnes raisons pour le croire, et je vous crois ; mais ne refusez pas à mon amitié de me les apprendre, je connais Silvie ; peut-être prévenu... DES FRANCS. Je l'ai vu. DES RONAIS. Vous l'avez vu ? DES FRANCS. Quel supplice ? DES RONAIS. Hé bien, mon ami, vous l'avez vu ; mais depuis quand ? Quel est celui sur lequel tombe vos soupçons ?... DES FRANCS. Sur qui tombent mes soupçons ? Grands Dieu ! Je vous dis que je l'ai vu : qu'arrivant cette nuit de la Campagne, sans être attendu, je l'ai surprise avec le traître. DES RONAIS. Et quel est-il ? DES FRANCS. Galoüin. DES RONAIS. Vous êtes-vous parlé ? DES FRANCS. J'ai couru pour arracher la vie à ce traître, il a saisi son épée ; mais les traîtres sont toujours lâches ; quoique je n'eusse que cette arme, il a prix la fuite. J'ai cherché à lui porter quelque coups ; mais le malheureux s'est sauvé presque nu par l'escalier dérobé, qui conduit à la porte de derrière de ma maison, dont il avait le clef. DES RONAIS. Mais vous êtes vous informé ? Hier nous étions... DES FRANCS. J'ai tout appris. Croyez que je n'ai pas oublié de m'informer de toutes les circonstances qui pouvaient aggraver mon malheur ; je sais que vous soupâtes tous deux avec ma perfide, que ne comptant pas que je serais sitôt de retour, vous fîtes partie de la venir prendre ce matin pour me surprendre à la campagne, et qu'enfin impatiente de satisfaire ses désirs elle feignit se succomber à une envie de dormir, qui vous fit retirer. DES RONAIS. Galoüin sortit avec moi. DES FRANCS. Et c'est ce qui prouve leur intelligence. En douterez-vous encore lorsque je vous aurai dit que j'ai trouvé dans le poches de son habit des brouillons de lettres, où il exagère sa passion ; que sa femme de chambre, cette fidèle confidente que j'ai sut intimider, m'a avoué ne s'être prêtée à son intrigue, que sur ses instances réitérées ; mais ce coup, tout accablant qu'il est, n'est rien en comparaison de ce que nous allez entendre ; je suis rentré dans l'appartement, j'allais percer le sein de la perfide, j'en frémissais d'horreur. La perfide affecta de jouir de cette tranquillité que donne le plus profond sommeil : ma rage fut suspendue par ce qui devait en hâter l'effet ; cette assurance dans le crime, me la fit juger indigne de ma colère ; je crus ne lui devoir que du mépris, et mon lâche coeur saisit avec avidité ce sentiment qui la dérobait à ma vengeance. Certain de sa trahison, je lui ai ôté son collier, comme un témoin que j'ai encore imaginé nécessaire, pour la convaincre que je l'avais surprise ; mais j'ai enfin rougi de tant de faiblesses, ma raison a repris le dessus, et m'a rendu tout à ma rage, je me suis enfin... DES RONAIS. Il fallait en croire votre coeur, voilà sans doute de grandes apparences contre Silvie ; mais il y a là cependant quelque chose que je ne comprends pas. DES FRANCS. Monsieur, c'en est trop. Vous disposez-vous à me tenir parole ? DES RONAIS. Non assurément. DES FRANCS. Non ? DES RONAIS. Non. Je craindrais les trop justes reproches qu'à l'avenir votre amitié... DES FRANCS. Craignez maintenant ma fureur. DES RONAIS. Je m'y expose volontiers ; je ne vous laisserai point à vous-même dans l'état où je vous vois. Que signifie cette obscurité qui règne dans le lieu où je vous trouve, qu'on n'y voit que les murs ? Ce soin de m'empêcher de voir votre femme ? En auriez-vous ordonné ? Ah ! Mon ami, l'auriez vous déjà punie d'un crime qu'elle n'a peut-être pas commis ? Quoiqu'il en soit, il faut que le la voie. DES FRANCS. Dieu ? Qu'est-ce que j'entends ! Quel intérêt si cher... Monsieur, ne me forcez pas à me méconnaître ; vous m'occasionnez des soupçons, peut-être téméraires, mais que votre obstination à rester, n'est que trop capable de justifier : retirez-vous, vous dis-je, Silvie m'a trompé. DES RONAIS. Allez, injuste ami, peut-être injuste époux, je n'ai à me reprocher que la sensibilité que je donne à votre sort, et d'avoir été si longtemps abusé par votre amitié feinte : oui, je me retire, ingrat ; croyez que s'il ne m'en restait plus pour vous, je saurais vous faire repentir de l'indigne façon dont vous la trahissez; Ah Ciel ! Est-on préparé à ces coups ? SCÈNE III. DES FRANCS, seul. L'impossibilité qu'il trouve à me croire, me prouve-t-elle assez combien mon sort est affreux ? Ciel ! S'il eut fallu qu'elle fut entrée dans cet intervalle : mais pourquoi la perfide tarde-t-elle tant à venir ? Voilà donc cet instant fatal que je n'ai reculé que par faiblesse : invente, lâche, cherche si tu ne trouveras pas encore quelque moyen pour la retarder encore. Non. SCÈNE IV. Des Francs, Le Laquais. DES FRANCS. Est-ce que tu n'as pas dit à Silvie de venir ? LE LAQUAIS. Pardonnez moi, Monsieur, elle va monter ; mais c'est qu'on a eu toutes les peines imaginables pour l'éveiller. Le laquais s'en va. DES FRANCS. Ne frissonnes-tu pas de paraître devant moi ?... Je vais donc voir Silvie coupable, et de quel crime, grand Dieu !... Hé bien, en suis-je suffisamment convaincu ? Ma surprendrais-je encore à vouloir en douter ? SCÈNE V. Des Francs, Silvie appuyée sur le bras d'un Laquais. SILVIE. Je suis encore si assoupie, que je me souviens à peine, d'où vient qu'on ne voit pas clair ici ? Elle aperçoit des Francs.Pourquoi donc, puisque vous êtes arrivé, ne me l'avez-vous pas fait dire ? DES FRANCS. J'ai craint... Laissez. Elle veut l'embrasser, et il la repousse. SILVIE. Vous avez craint ! Hélas ! Qu'avez-vous pu craindre ? Mais qu'avez-vous ? DES FRANCS. Je ne sais. SILVIE. Vous m'inquiétez ! Hélas ! Qu'avez-vous pu craindre ? Mais qu'avez-vous ? DES FRANCS. Je ne sais. SILVIE. Vous m'inquiétez ; je ne vous vois point comme vous avez coutume d'être. DES FRANCS. Cela est vrai, je vous dis, j'ai quelque sujet de chagrin. SILVIE. Ce ne sera pas un secret pour ta femme, à moins que ce ne fut contre elle : car tu ne l'aimes point, n'est-ce pas ? DES FRANCS. Pardonnez-moi. SILVIE. Hélas ! Avec quelle froideur vous faites cette réponse, je le répète, vous m'inquiétez à un point que je ne puis vous l'exprimer. Comptez que quelque soit votre chagrin, il ne peut égaler celui que je ressens, si vous continuez à m'en cacher la cause. DES FRANCS. Je ne vous le cache point ; mais ce sont de ces chose... SILVIE. Quelles qu'elles soient, mon désir n'est point indiscret. Elle veut lui prendre la mains. Il la repousse.N'ai-je plus ta confiance... DES FRANCS. Ah Ciel ! SILVIE. D'où vient donc cette horreur ? Mais vous me surprenez à chaque instant : Quels regards vous jetez sur moi. Hé mais, dans quel lieu me vois-je, Monsieur, faites cesser mon embarras. DES FRANCS. Donnez-moi votre bague. SILVIE. Laquelle, mon anneau ? DES FRANCS. Toutes les deux. SILVIE. Les voilà. DES FRANCS. Je voudrais vos boucles. SILVIE. Mes boucles ? DES FRANCS. Oui SILVIE. Mais pourquoi ? DES FRANCS. J'ai mes raisons. Je vous prie. SILVIE. Je les tiens de vous, et les voilà. DES FRANCS. Vous n'avez pas votre collier. SILVIE. Je crois l'avoir. Elle porte le main à son col.Ah ! Se serait-il défait... Ou bien... DES FRANCS. L'aviez-vous hier quand quand vous vous couchâtes ? SILVIE. Je crois qu'oui. À moins que je ne te l'aie laissé... DES FRANCS. enfin vous ne savez pas ce qu'il est devenu ? SILVIE. Non. DES FRANCS. Cela est bien sûr. SILVIE. Comment ! Mais je ne sais que penser. Quelles sont les questions que vous me faites ? DES FRANCS. Il est entre nos mains, n'en soyez point en peine. Arrivant cette nuit de la campagne, je suis allé à votre appartement, et je n'ai pas cru devoir troubler le repos dont vous jouissez. Je vous ai cependant ôté votre collier, que j'ai emporté, comme un témoin de mes empressements, qui ne peut vous laissez soupçonner ma détresse ; le voilà??? ne reproche-t-il rien... à la vôtre ? SILVIE. Que voudriez vous qu'il lui reprochât ? Mais, de quel ton ce mot de tendresse sort-il de votre vouche ?... Ah ! Cessez d'alarmer la mienne. Instruisez-moi de ce qui peut causer... DES FRANCS. Perfide, crains que je ne le fasse. Écoute. Ce lieu sera désormais ton asile. Voilà ta nourriture, tu mettras cet habit. Il lui montre une mauvaise robe de chambre.Ces bijoux ne sont plus faits pour toi. Tu couperas tes cheveux. Qu'il ne te reste rien de ce qui fut mes délices, que la vie, que je te laisse pour te la voir détester. SILVIE. Ah Ciel ! Quel traitement. DES FRANCS. Je n'en connais point d'autre pour tes pareilles. Il sort. SILVIE. Ah ! Monsieur, ah ! Des Francs, ah ! Elle tombe évanouie. SCÈNE VI. SILVIE, seule reste quelque temps évanouir, et revenue à elle-même, elle dit. Est-ce mon époux qui m'a parlé ? Je suis perfide. Moi perfide ! Et c'est lui qui me le dit ; qui pour lui faire soupçonner me foi ; tu n'as donc pas suivi ma vie, tu n'as donc pas suivi mon amour, laisse-t-il quelque place au soupçon ? N'as-tu pas vue Silvie subir avec contrainte le joug de la Société, vouloir s'y soustraire, te reprocher tendrement les moindres dissipations, qui l'empêchait de vivre perpétuellement avec toi ? L'aurais-tu oublié ? Je m'en souviens. Dans quel temps ? J'aimais donc seule. Non, mon époux n'est point injuste, il m'aime ; quelque rapport empoisonne fait qu'il m'accuse, il en gémit. Que je le voie, je suis justifiée... Il m'a vue, et il m'a vue mourante, sans s'intéresser à ma vie. Ah ! Des Francs, vous ne m'aimez plus, avez-vous pu soupçonner Silvie d'une crime, sans l'en avoir convaincue ? Pourquoi ne pas l'entendre, ne peut-elle pas vous accuser de barbarie ?... Mais dans quel affreux lieu m'a-t-il laissée ? SCÈNE VII. Silvie, Des Francs. DES FRANCS. Ne crois pas que le peu de temps qu'il y a que je t'ai quittée, ait pu ralentir ma fureur ; ne crois pas que rien ne le puisse jamais. Tu ne me reverrais pas si je n'étais persuadé que la mienne augmente ton supplice... SILVIE. Elle se jette à ses pieds.Mon épouse. DES FRANCS. Mon épouse. SILVIE. Non, je le répète, vous ne m'en trouverez pas indigne, si vous voulez m'écouter. DES FRANCS. Levez-vous, levez-vous. SILVIE. Monsieur... DES FRANCS. Ces démonstration sont désormais superflues. Levez-vous ou je sors. SILVIE. Hé bien, j'obéis ; mais écoutez-moi. DES FRANCS. Non, Madame, c'est moi qui vous demande cette grâce. Votre douleur me paraît trop vivre, il y a sans doute de l'injustice à moi d'en être l'acteur. SILVIE. Ah ! Monsieur, l'état dans lequel vous me voyez, vous laisse-t-il la liberté de l'insulter ? DES FRANCS. Vous insulter, Madame ? SILVIE. Oui, Monsieur, et j'en suis plus surprise que de ma voir accusée ; je pourrais bien être criminelle, mais vous êtes généreux ; serait-ce pour moi que vous voudriez ne l'être plus ? Un juge plaint le sort de celui qu'il condamne... DES FRANCS. C'est qu'il n'est pas l'outragé. SILVIE. Hé bien, Monsieur, vous l'êtes. Mon coeur frémit de se voir soupçonner par vous ; mais quoi qu'il lui en puisse coûter, croyez tout ; mais écoutez-moi. DES FRANCS. Jouis de la tranquillité qui me reste encore, crois qu'elle me coûte ; ne cherches point à me la faire perdre par ce vains efforts pour te justifier ; songes-y bien, c'est la seule chose qui puisse ajouter à ton crime ; je t'écouterais si j'avais besoins d'en être persuadé ; mais rien ne peut ajouter à ce que j'ai vu. SILVIE. Vous avez vu ! Monsieur, qu'est-ce que j'entends ? Dites-moi que quelques rapports auxquels vous n'avez pu refuser votre confiance, sont que vous m'accusez : je respecterai votre erreur ; mais que dois-je penser, si vous dites que vous avez vu ! Monsieur, ne m'écoutez plus, que je reste à jamais marquée d'infamie ; il m'en coûterait trop pour me justifier... Mais, je m'abuse. Non, il n'arrive point de pareils changements chez les hommes, vous avez trop de probité pour soutenir la feinte, c'en est une dans laquelle vous êtes engagé. Vous avez craint votre tendresse pour moi, si je n'avais près de vous que des rapports à détruire ; vous avez cru qu'il était nécessaire de m'intimider par de plus fortes preuves, pour m'arracher l'aveu du crime dont on m'a noircie. C'est vous qui vous servez de pareils moyens, qui soupçonnez mon front d'être capable de soutenir l'imposture. Je succombe, rassurez votre épouse, je suis devant vous sans remords, vous en êtes persuadé, si je n'ai pas perdu votre tendresse. Ah ! Cela serait-il possible ? DES FRANCS. Quoi ! Tu peux... Il jette à ses pieds l'ahbit de Galoüin.Tiens, réponds. SILVIE. Hé bien ! Que signifie ? Mais quoi, l'habit de Galoüin. DES FRANCS. Oui : commences-tu à le reconnaître ? SILVIE. Monsieur, il me paraît que c'est celui qu'il portait hier lorsqu'il soupa ici. Mais par quel hasard est-il entre vos mains ? DES FRANCS. Quelle audace ! SILVIE. Les circonstances dans lesquelles vous me le montrez, me sont... Quoi ! Vous imagineriez... Ah Ciel ! Mais quoi, sur de simples soupçons, vous l'auriez tué... ! Ah ! Sauvez-vous. DES FRANCS. Perfide, à mes yeux, tu trembles pour ses jours ?... Non, rassure-toi, il vit. SILVIE. Ah Dieu ! Quelle injustice. Vous croyez que j'aime Galoüin ? DES FRANCS. Oses-tu tenter à m'en faire douter ? SILVIE. Quand vous n'auriez pas son amour pour garant de ma foi, ne vous souviens-t-il plus combien de fois je vous ai prié de l'éloigner de vous ; que vous me reprochiez mes procédés pour lui, qui allaient, disiez-vous jusqu'à manquer aux égards des plus indispensables ? Je ne vous en cachais le motif que par la crainte de vous commettre avec lui, en vous apprenant ses téméraires entreprises : enfin je ne le souffre que pour vous obéir. DES FRANCS. Hé la perfidie serait-elle complète si cela n'était ainsi ? Hé ! Que me dis-tu là ? Ces moyens dont tu pouvais te passer pour trahir un coeur qui se reposait sur le tien. Les crois-tu capables de m'en imposer aujourd'hui ? Qu'ils me feront croire que cette nuit, je ne t'ai pas surprise avec lui ? SILVIE. Vous m'avez surprise cette nuit avec lui ? DES FRANCS. Je te l'apprends sans doute ? SILVIE. Monsieur, je dis plus que ce soit une feinte dans laquelle vous vous êtes engagé. Je le répète, je le crois encore ; vous avez trop de probité, vous ne la pousseriez pas si loin... Mais vous m'avez surprise cette nuit avec Galoüin... Rappelez vos sens... Quelqu'illusion... Je me meurs... Elle se laisse aller dans le fauteuil. DES FRANCS. Quoi, Perfide, tu as l'audace... Ho Ciel ! Est-ce Silvie ? Mais moi-même, convaincu de sa trahison, excédé de cette audace, je semble encore en doute... Ce trait passe tous les autres : oui, l'incertitude où tu étais hier si j'vais surpris ton crime, semblait t'autoriser à tenter des moyens pour me le cacher : mais aujourd'hui, en être convaincue, soutenir cette assurance... Il faut... C'est moi qui suis confondu. SILVIE. Ah ! DES FRANCS. Retours impuissants. Ah ! N'espère plus attendrir un coeur que tu as trahi. Il eut pu te rester un moyen pour le faire... SILVIE. Eh, quel est-il ? DES FRANCS. Un aveu de ton crime ; le moindre repentir m'eût peut-être tout fait oublier. SILVIE. Juste Ciel ! DES FRANCS. Effrayé du sort que je te prépare, désespéré que des sujets de te punir, il me restait l'espoir de te pardonner ; mais tout est détruit, tu viens de me porter les derniers coup , ma rage est à son terme, prépare-toi à ses plus funestes effets ; tu le saurais déjà ressentis, si je n'avais horreur de fouiller main de ton sang perfide ; ou bien plutôt, s'ils ne me ravissaient le cruel plaisir de te persécuter. Tu ne me reconnaîtras plus de joie que dans l'exécution des moyens les plus barbares pour y réussir, et de douleur que dans la consistance de leur insuffisance. Perfide, quand je devrais oublier ton crime, ta scélérate adresse à l'étaler maintenant tes charmes, loin de fléchir mon coeur, me reproche ma faiblesse et l'excite à la cruauté. Habituée à me voir tout à ces charmes trompeurs, tu ne t'es abandonnée au crime que sur l'espoir de les voir triompher de mon ressentiment, n'espère plus de me voir leur esclave ; c'est en vain que tu me les prodigues ; non, rien de toi ne me touche plus, je ne t'aime plus, je ne t'ai jamais aimée. SILVIE. Ah ! Barbare, tu ne m'as jamais aimée. DES FRANCS. Moi ! Je t'aurais aimée, l'objet de ma tendresse m'aurait trahi, et je ne serais pas vengé ? Ah ! Tu ne connais pas la violence des passions des Des Francs... Ce fer m'eût... Il met la main sur son couteau de chasse.Mais je commence à sentir quelque joie, le comble de tes trahisons vient de changer mes fureurs en mépris. Que dis-je, je passe jusqu'à l'indifférence ; je sens que je suis maître de moi, je ne me reproche plus qu'un courroux qui te faisait honneur. C'en est fait. Il s'assit.Et me voilà tranquille. Il se lève.Ho, très tranquille,. Tu n'imaginais pas que je pusse en venir là . Et je veux cependant bien encore te l'avouer ; ce n'est pas sans quelque fondement, car je t'aimais, oui, je t'aimais. SILVIE. Vous m'aimiez. DES FRANCS. Ho cela est fini. SILVIE. Non. Le charme en est trop puissant. Tu m'as aimée : Tu m'aimes encore. Méfie-toi d'une tranquillité qui trahit ta vengeance, rappelle toutes tes fureurs ; mais plutôt, ne viens tu pas de les épuiser ? Cruel, tu ne m'as jamais aimée ! Dis-moi que je t'ai trahi, tu le crois ; mais ne me dis pas que tu ne m'as jamais aimé. Tu ne le crois pas, tu m'aimes, tu veux que je t'aime encore, tu veux que je te dis, tu veux même le croire. Ah ! Sans cet espoir qui soutient mon coeur... Mais tu mourrais du même coup. Elle se jette à ses pieds.Cher époux, l'espoir de te désabuser, m'attache seule à la vie. Reconnais si tu peux dans cette assurance le caractère de l'innocence, tu me rendras volontairement ta tendresse ; c'est alors que tu estimeras la mienne, mon coeur ne te reprochera jamais ces soupçons. Ah ! Ses plus vives expressions puissent elles être assez puissantes sur le tien, pour l'arracher au désespoir que te causera le souvenir de m'avoir injustement outragée. DES FRANCS. Ta perte est décidée... Choisis... Il lui présente d'une main une boîte de poison, et de l'autre son couteau de chasse qu'il a tiré. SILVIE. Le plus prompt. DES FRANCS. Tu vas périr... Silvie. SILVIE. Tu crois que je vis pour un autre, et semble frémir du coup ? DES FRANCS. Tiens, épargne m'en l'horreur. SILVIE. Ah donne. DES FRANCS. Silvie... Non, s'il te sert, que ce soit pour percer le coeur d'un désespéré. Hé bien oui, je t'adore. Triomphe, Barbare, ce n'est point assez de m'avoir trahie, je vais te donner les moyens de me mépriser. Porte-moi de nouveaux coups, ne crains point de me voir le courage de venger mon infamie : la violence de mon amour est à toutes épreuves. Que ce sincère aveu que te fait mon coeur, ranime la cruauté du tien. Il est encore des degrés pour sa barbarie. Tu ne m'as pas dit que tu l'aimes, combien il t'était doux de vivre avec lui que je suis le montre qui t'en sépare ; reproche-le moi comme un crime que tu vas punir. Frappe. SILVIE. Cruel ! Ces horreurs me glacent le sans. Pourquoi l'épargnes-tu ? Je n'ai jamais aimé que toi. DES FRANCS. Tu m'aimes. Hé bien, répète-le, j'aime à te l'entendre dire, tu nourris mes horreur en rappelant mes délices, tu le lui disais de même. Rends-moi compte de ces instants, il te trouvais belle ? SILVIE. Donnez-moi la mort par pitié. DES FRANCS. Silvie... Pourquoi ne me percez le sein ? Qui t'arrête ? Assure tes plaisirs. Jouis de cet instant où je le veux, ma fureur pourrait te méconnaître... Mais je vais t'en délivrer, vis contente. Je meurs. Il veut se frapper, elle l'arrête. SILVIE. Ah ! Cruel, hé bien, mourons tous deux ; mais frappe-moi la première. DES FRANCS. Retire-toi. SILVIE. Non. SCÈNE VIII ET DERNIÈRE. Silvie, Des Francs, Des Ronais. DES RONAIS. Ah ! Barbare, que vas-tu faire ? SILVIE. Monsieur, arrêtez-le, il veut se poignarder. DES FRANCS. Laissez-moi. SILVIE. Monsieur, vous qui connaissez mon amour... DES RONAIS. Madame, de grâce, mon cher ami. DES FRANCS. Hé bien, ami cruel, que veux-tu ? DES RONAIS. Rendre le calme à ton esprit, Silvie n'est point coupable. DES FRANCS. Silvie n'est point... DES RONAIS. Non, je te rends cependant d'en douter jusqu'à ce que tu n'aies entendu ; mais écoute-moi. DES FRANCS. Silvie n'est point coupable ! DES RONAIS. De grâce, écoutez-moi. La façon dont je suis sorti ce matin n'a rien refroidi de mon zèle. J'ai couru chez Galoüin. Plaignez son sort, je l'ai trouvé baigné dans son sang, percé d'un coup que vous lui avez porté. Des Francs soupçonne l'honneur de Silvie, lui ai-je dit. Je meurs, m'a-t-il répondu d'une voix faible, en me montrant une lettre qu'il s'efforçait d'achever. La voici. « De quelque façon qu'aient vécu les hommes, ils meurent la vérité à la bouche. Si mes assiduités eussent pu toucher Silvie, je n'eusse point eu recours à la trahison ; la femme de chambre de Silvie, m'avait livré sa maîtresse par le soin d'un breuvage qui l'avait endormie, votre retour m'a empêché de consommer mon crime, et c'est la seule consolation... » Galoüin n'a pu poursuivre, et il est mort entre mes bras, avec toutes les marques du repentir le plus sincère. J'ai couru vers vous, pour justifier et sauver de vos fureurs, la plus respectable de toutes les femmes. DES FRANCS. Silvie... Ah ! Je suis trop coupable. Il se jette aux pieds de Des Ronais.Cher ami, dis-lui combien je l'aime. SILVIE, en l'embrassant. Cher époux, je n'en ai jamais douté. DES RONAIS. Levez-vous, mes amis. DES FRANCS. Non. Regarde ce poison, ce fer, l'horreur de ce lieu : ma barbare avait tour préparé... SILVIE. Il m'est cher, il me rend mon époux. DES RONAIS. Sortons-en, oublions ce qui s'y est passé. Puissiez-vous l'un et l'autre ne vous en jamais souvenir. ==================================================