******************************************************** DC.Title = LE HURON, COMÉDIE-VAUDEVILLE DC.Author = MARMONTEL, Jean-François DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/02/2021 à 07:00:10. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/MARMONTEL_HURON.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE HURON COMEDIE, EN DEUX ACTES ET EN VERS, MÊLÉE D'ARIETTES. Représentée pour la première fois par les Comédiens Italiens, ordinaires du Roi. Le prix est de 30 sols. M. DCC. LXVIII. Avec Approbation et Permission. À PARIS, Chez MERLIN, Libraire rue de la Harpe, à Saint Joseph. ACTEURS. LE HURON MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. MONSIEUR DE SAINT-YVES, son père. MADEMOISELLE DE KERKABON. MONSIEUR DE KERKABON, son frère. LE BAILLI. GILOTIN, son fils. UN OFFICIER. UN CAPORAL. TROUPE DE SOLDATS. TROUPE DE GENS DU BAILLI. La Scène est une place de village. ACTE PREMIER Le Théâtre représente un Village. SCÈNE PREMIÈRE. Mademoiselle de Kerkabon, Mademoiselle de Saint-Yves. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Quoi ! Déjà le Huron est parti pour la chasse ? MADEMOISELLE DE KERKABON. Bon ! Dès le point du jour il était dans les champs.Ho ! les Hurons sont diligents ;Ils ne tiennent jamais en place,Je les connais, j'avais un frère en Canada. Il mourut dans ce pays-là,Aussi bien que sa femme, à la fleur de son âge.Mais parlons de notre Sauvage :Comment le trouvez-vous ? MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Bon enfant tout-à-fait. MADEMOISELLE DE KERKABON. Bon ensant : l'éloge est modeste.Il est charmant ! Comme il est fait !Comme il est gai ! Comme il est leste !Il cherche à plaire ; il est galant à sa façon,Mon frère l'aime avec tendresse ; En l'instruisant il le caresse.Moi, je lui fais aussi quelquefois la leçon.Il rit de si bon coeur ! Il a dans son langageTant de candeur et d'ingénuité ! MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Oui, c'est la simple vérité. MADEMOISELLE DE KERKABON. Qu'il aimera mieux qu'un Français, Modestement.Moi, je ne m'y connais pas : mais...Je crois que pour aimer, rien n'est tel qu'un sauvage.Et par exemple, quel dommageQue le fils du bailli ne lui ressemble pas ! Vous seriez bien moins difficile. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Ah ! Je l'ai vu, cet imbécile. MADEMOISELLE DE KERKABON. Vos pères hier au soir se sont parlé tout bas,Et je crois l'affaire conclue, MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Non, à le refuser je suis bien résolue. AIR. Si jamais je prends un époux, Je veux que l'amour me le donne ; Qu'à la fête il vienne avec nous, Et que sa main nous y couronne. Un choix contraire à nos désirs Devient une source de larmes. La liberté seule a des charmes ; Elle est la source des plaisirs, Si jamais je prends un époux, Je veux que l'amour me le donne ; Qu'à la fête il vienne avec nous, Et que sa main nous y couronne. N'est-ce pas au coeur à choisir L'objet qu'il doit aimer sans cesse : On voit bientôt l'amour s'enfuir, S'il sent que sa chaîne le blesse. Si jamais je prends un époux, Je veux que l'amour me le donne ; Qu'à la fête il vienne avec nous, Et que sa main nous y couronne. SCÈNE II. Mademoiselle de Saint Yves, Mademoiselle de Kerkabon, Gilotin. MADEMOISELLE DE KERKABON. Vous voilà, Monsieur Gilotin ?D'où venez-vous donc si matin ? GILOTIN. Vraiment, je viens de voir chasser l'homme sauvage :Il met en l'air tout le village. MADEMOISELLE DE KERKABON. Chasse-t-il de bon coeur ? GILOTIN. Ah ! C'est un vrai lutin. AIR.Comme il y va !Comment il détale !Quel chasseur que ce Huron-là !Il saut le voir dans ces vallons :Il a des ailes aux talons. Il tire à balle.Pan, pan , pan, il tue à tous coups.Les pauvres lièvres en sont tousComme des sous.Feinte ni ruse, Rien ne l'abuse :Il fait leurs toursEt leurs détours.Ah ! Quel coureur !Il vous les lasse. Ah quel tireur !.Il les terrasse.Pan, pan, pan, il tue à tous coups.Tout d'une haleineIl court la plaine, Sans être jamais las.Si celui-là n'est pas alerte,Certes,Je ne m'y connais pas.À la course, au vol, à cent pas, Il tire, et la pièce est à bas.Comme il y va, etcIl sera de la noce, il chassera pour nous. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. De quelle noce ? GILOTIN. De la nôtre. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. De la nôtre ! GILOTIN. Oui, c'est moi qu'on marie avec vous. Ils sont d'accord. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Qui donc ? GILOTIN. Qui ? Mon père et le vôtre. MADEMOISELLE DE KERKABON. Je m'en doutais. GILOTIN. Hé quoi ! L'on ne vous l'a pas dit ?Ce soir on mande le Notaire. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Ce soir ! MADEMOISELLE DE KERKABON. Il est pressé ! - GILOTIN. Cela vous étourdit ?Oh ! Nous allons vite en affaire. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Mais comment se peut-il ? GILOTIN. Comment ? La chose est claireUn jour que je rêvais, j'étais là comme un sot,Mon père est physionomiste ;Et comme il entendit que je ne disais mot,Il devina que j'étais triste. Il me regarde entre deux yeux.Qu'as-tu donc, me fit il ? Moi ! je n'ai rien, lui fis-je.Tu mens : quelque chose t'afflige,Fit-il. Vous l'avez dit : j'ai de l'amour. Tant mieux !Voyons, qui t'a donné dans l'aile ? Je dis que c'était vous. Oui-da, fit-il, c'est elle ?Et tu t'affliges pour cela ?Va, tu n'es qu'un benêt. (Il est badin mon père.)Hé bien, fit il, demandons-la.Sitôt dit, sitôt fait. Voilà tout le mystère. Gaiment.Ma future, allons , touchez-là. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Ô ciel ! GILOTIN. Vous en êtes bien aise,N'est-ce pas ? MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Point du tout, Monsieur, ne vous déplaise GILOTIN. Vous ne m'aimez donc pas ? MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Non. GILOTIN. Non ! Vous badinez. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Rien n'est plus sérieux. GILOTIN. Oui da ! Vous m'étonnez, Je croyais pourtant bien vous plaire. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Il n'en est rien. GILOTIN. N'importe, allez, laissez-moi faire. DUO.Ne vous rebutez pas,Voilà que je vous aime. Cela vient pas à pas, Cela vient de soi-même.Vous m'aimerez aussi,Vous m'aimerez de même.Cela vient de soi-même,Du soir au lendemain. Pour obtenir le coeur, il saut avoir la main, MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Non, ne vous flattez pas :Il n'en est pas de même.Non, cela ne vient pas ,Ne vient pas de soi-même. Je n'aime pas ainsi.Je n'aime pas de même.Non, non. GILOTIN. Si, si. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Ne croyez pas qu'on aime , Du soir au lendemain.Il faut avoir le coeur, pour obtenir la main. SCÈNE III. Les Acteurs précédents, Le Huron. MADEMOISELLE DE KERKABON, vivement. Ah ! Voici le Huron. LE HURON. Bonjour, Mesdemoiselles.Voilà ma chasse. Elle est à vous. GILOTIN, bas à Mademoiselle de Saint-Yves. C'est pour la noce. MADEMOISELLE DE SAINT YVES, avec impatience. Ah ! Laissez-nous. LE HURON. Les lièvres sont vivants. Comme ils n'avaient point d'ailes,À la course je les ai pris.Mais j'ai tiré sur les perdrix,Ne pouvant pas voler comme elles. GILOTIN, approchant d'un lièvre. Voyons ... Il remue ! Il recule. LE HURON. As-tu peur ? MADEMOISELLE DE KERKABON. Un lièvre l'épouvante. LE HURON. Approche : allons, courage. GILOTIN, n'osant approcher. Le voir de loin c'est le plus sage. LE HURON. Cela s'appelle avoir du coeur. MADEMOISELLE DE KERKABON, d'un air d'amitié. Allons, reposez-vous, vous êtes tout en nageVous chassez avec trop d'ardeur. Moi, je veux que l'on se ménage. LE HURON, en s'asseyant. Le repos me satigue. Agir est un besoin,Que j'ai senti toute ma vie. GILOTIN. Il a le diable au corps. MADEMOISELLE DE KERKABON. Comment vous prit l'envieDe venir voyager si loin ? LE HURON. Je suis né curieux ; j'étais libre de soin ;Et l'occasion nous convie. MADEMOISELLE DE KERKABON. Avez-vous pu, si jeune, hélas !Quitter père et mère ? LE HURON. On n'a guère De regret à quitter ce qu'on ne connaît pas. GILOTIN. Est-ce que les Hurons n'ont ni père ni mère ? MADEMOISELLE DE KERKABON. Nous vous en servirons. LE HURON. Je m'en passe fort bien,À mon âge un Huron se suffit à lui-même ;Et, grâce à la nature, il ne me manque rien. Regardant Mademoiselle de Saint-Yves.Qu'un objet, fait pour moi, qui me plaise et qui m'aime, D'un air caressant.Asseyez-vous là. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES, avec douceur. J'aime à me tenir debout. LE HURON. Nous serons plus près l'un de l'autre,Oui-da ! MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Non. LE HURON. Pourquoi, non ? GILOTIN. Le drôle est de bon goût ! MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Ce ne serait pas bien. LE HURON. Quel pays que le vôtre !On y croit voir du mal à tout. MADEMOISELLE DE KERKABON. Chez vous on est moins difficile,N'est-ce pas ? LE HURON. Difficile ? On ne l'est point du tout.Si vous saviez combien votre sexe est docile, Et combien par l'amour le nôtre est adouci !Ah ! Si dans nos forêts, où règne la nature,J'avais pu rencontrer ce que je trouve ici,J'y serais encor, je vous jure. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Vous n'aimez pas ce pays-ci ? LE HURON. S'il me laissait aimer, je l'aimerais aussi. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Voyagez-vous encor ? LE HURON. Non. Je courais le monde,Pour voir un peu comme il est fait.Mais ce qu'il a de plus parfait,Je l'ai vu ; j'ai fini ma ronde. MADEMOISELLE DE KERKABON. On connaît donc l'amour au pays des Hurons ? LE HURON. Ah ! Comme vous, nous l'adorons.Où ne connaît-on pas sa puissance infinie ? MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Je voudrais bien savoir, quelle est en HuronieLa façon d'exprimer son inclination. LE HURON, d'un air noble et tendre. C'est de faire, en aimant, quelque belle action,Qui plaise à ce qui vous ressemble. MADEMOISELLE DE KERKABON. Cet amour là vaut bien le nôtre, ce me semble. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES, d'une voix timide. Avez-vous aimé ? LE HURON. Oui, la belle Abucaba.Elle chassait un lièvre, à vingt milles du gîte ; Un Algonquin le prît, et le lui déroba.J'attrapai l'Algonquin ; je l'amenai bien viteTout tremblant à ses pieds. Elle lui pardonna,Et devant lui me couronna. MADEMOISELLE DE KERKABON. Et vous l'aimiez à la folie ? LE HURON. Vivement.Oui, de toute mon âme. Elle était si jolie ! AIR.Les joncs ne sont pas plus droits :Elle en avait la souplesse,De la biche la vitesse ,De l'hermine la finesse Et la blancheur à la fois.La colombe est moins fidèle ;L'aigle n'est pas plus fier qu'elle ;Et les agneaux sont moins doux.Aussi fraîche que la rose, Elle eut même quelque chose,Oui, quelque chose de vous. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Qu'est-elle devenue ? LE HURON. Un ours me l'a mangée. GILOTIN. C'est dommage ! LE HURON. Je l'ai tué ce vilain ours.Mais je la plains encore, après l'avoirvengée. MADEMOISELLE DE KERKABON. Vous ne la plaindrez pas toujours. LE HURON, en regardant Mademoiselle de Saint-Yves. Oh ! non. Je sens déjà ma douleur soulagée. MADEMOISELLE DE KERKABON. Mais quel bijou frappe mes yeux ? LE HURON, avec vivacité et sentiment. Ah ! S'il vous paraît curieux,Recevez-le des mains de la reconnaissance. Je n'ai rien de plus précieux. MADEMOISELLE DE KERKABON. Que vois-je ! Quelle ressemblance ! Vivement.Et d'où tenez-vous ces portraits ? LE HURON. Je les avais dès ma naissance. MADEMOISELLE DE KERKABON. Plus j'en examine les traits... Oui, c'est elle, c'est lui. Ciel ! MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Voyons. MADEMOISELLE DE KERKABON, vivement. Je vous quitte ;Je vais trouver mon frère, et reviens au plus vite. SCENE IV. Le Huron , Mademoiselle De Saint-Yves, Gilotin. LE HURON. Quel trouble est venu la saisir ?Si ce bijou lui fait plaisir,Elle peut le garder. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Qu'est-ce ? LE HURON. Une double image. Dès l'enfance on m'a dit qu'en la portant sur moi,Je serais heureux : je vous vois ;Vous accomplissez le présage. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Mais, vous me dites des douceurs. LE HURON. Que vous dirais-je, hélas ? Pour vous de tous les coeurs Tel sera toujours le langage. AIR.Vous me charmez :Vous enflammezJusques à l'air que je respire.Absent de vous, je ne sais quoi, Plus fort que moi,Vers vous m'attire.Je jouis dès que je vous vois ;Mais en jouissant je désire.Quel est ce désir : D'où naît ce plaisir ?C'est un délire,Le vrai délire,L'heureux délire du plaisir,Ah ! Si votre coeur pouvait lire, S'il pouvait lire dans le mien...Ce qu'un Sauvage ne sait dire,Croyez, croyez qu'il le sent bien. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES, un peu émue. Mais... Voyez donc ma bonne amie ;Qui me laisse avec vous. Je ne sais pas pourquoi. GILOTIN, d'un ton grave. J'y suis. N'ayez pas peur. LE HURON, voulant la retenir. Un moment. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Laissez moi.je vais la retrouver. Elle est bien étourdie ! SCÈNE V. Le Huron, Gilotin. GILOTIN. J'espère au moins que ce n'est pasDe l'amour, que tu sens pour elle. LE HURON. De l'amour ! Pourquoi non ? Je suis jeuneV; elle est belle : Ah ! Peut-on sans amour avoir vu tant d'appas ? GILOTIN. Oh ! Ce n'est pas ici comme dans l'Huronie.C'est à moi, s'il vous plaît, qu'elle doit être unie ;C'est à moi de l'aimer. LE HURON. Que dis-tu ? GILOTIN. Que demainSon père me donne sa main. LE HURON. Elle y consent ! GILOTIN. Pour elle, elle en a peu d'envie ;Mais les pères chez nous disposent des enfants. LE HURON. Et moi, vois-tu, je te défendsD'y jamais penser de ta vie. GILOTIN. Est-ce de vous que je dépens ? LE HURON. Non ; mais tu dépens d'elle. Il faut savoir lui plaire,Ou lui laisser choisir l'époux qui lui plaira. GILOTIN. Et si je plais à son père ? LE HURON. Son père t'épousera.Pour elle, c'est une autre affaire : Quelque choix qu'elle fasse, il sera volontaire,Et son coeur en décidera. AIR.Qu'on mette à prix le coeur d'Hortence ;Je désirai tous mes rivaux.Il n'est ni dangers ni travaux Qui puissent lasser ma constance.Fallût-il repasser les mers ;Franchir les torrents à la nage ;Braver la rigueur des hivers ;Affronter les vents et l'orage ; À son amant tout sera douxPour obtenir le nom d'époux. GILOTIN. Tout cela m'est égal. Je vais trouver mon père ;Et nous verrons si l'on préfèreUn nouveau venu, comme toi, Au fils d'un bailli, comme moi. SCÈNE VI. Monsieur et Mademoiselle de Kerkabon, Mademoiselle de Saint-Yves, Le Huron. MONSIEUR DE KERKABON, transporté. Venez, embrassez-moi, mon neveu ; car vous l'êtes. LE HURON. Moi ! Votre neveu ! MONSIEUR DE KERKABON. Ces portraits,Votre pays, votre âge, et les temps, et les faits,Tous s'accordent : preuves complètes. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Ciel ! MONSIEUR DE KERKABON. Vous n'avez jamais vu vos parents ? LE HURON. Jamais. MONSIEUR DE KERKABON. Justement. LE HURON. Ils m'avaient délaissé. Ma nourriceNe me trouva que cet indice. MONSIEUR DE KERKABON. Hélas ! Il me rappelle un frère que j'aimais. QUATUOR. MONSIEUR DE KERKABON. Il a les traits de son père. MADEMOISELLE DE KERKABON. Il a les yeux de sa mère. MONSIEUR et MADEMOISELLE DE KERKABON. Voilà ses yeux, voilà ses traits,Ces traits de caractère.Il est Français. LE HURON. Je suis Français. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Il est Français. MONSIEUR et MADEMOISELLE DE KERKABON. Voilà ces traits de caractère. LE HURON. N'ai-je pas encor quelques traitsDe caractère ? MONSIEUR et MADEMOISELLE DE KERKABON. Voilà tes yeux, voilà tes traits. LE HURON. Ah ! Quel bonheur ! Je suis François. MONSIEUR et MADEMOISELLE DE KERKABON, et MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Ah ! Quel bonheur ! Il est François. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Oui, ce sont les traitsDe ces portraits LE HURON. Ah ! Cela semble fait exprès. MONSIEUR DE KERKABON. Oui, ce sont les traitsDe ces portraits. MADEMOISELLE DE KERKABON, avec plus d'attention. Cependant, mon cher frère,Regardez bien ses yeux.Il les a beaucoup mieux. Je vois, je crois,Je ne sais quoi. MONSIEUR DE KERKABON, brusquement. Chimère !Il a les traitsDe ces portraits. MADEMOISELLE DE KERKABON, se rétractant. Ah ! Oui. Ce sont les yeux de sa mère. MONSIEUR DE KERKABON. Ce sont les traits de son père. TOUS ENSEMBLE. Ah ! Quel bonheur ! Il est Français. LE HURON. Ah ! Quel bonheur ! Je suis Français. MONSIEUR DE KERKABON. Mon neveu, pour voir nos amis, Il faut demain être bien mis,Et t'habiller à la Française. LE HURON. Pourquoi ? Je suis fort bien, car je suis à mon aise.Mon habit m'est commode, et j'y suis attaché. MONSIEUR DE KERKABON. Mais que dirait-on ? LE HURON. Quoi qu'on dise, Comme je vis pour moi, je veux vivre à ma guise ;Et je le mets dans mon marché.Chacun son goût : c'est ma devise. MONSIEUR DE KERKABON. Mais il n'est pas possible. LE HURON. Écoutez, parlons clair :Je suis né libre comme l'air, Et partout je veux être en pays de franchise.Me voulez-vous tel que je suis ?Simple, honnête, faisant tout le bien que je puis ?Voyez. N'ayez pas peur que jamais je m'aviseDe vous gêner sur rien. Pleine aisance entre nous. MONSIEUR DE KERKABON. Du pays où l'on est, il faut suivre les goûts. LE HURON. Chez les singes, fort bien, mais non pas chez les hommes.À quoi bon se ressembler tous ?Nous naissons différents ; soyons ce que nous sommes. MONSIEUR DE KERKABON. Je suis ton oncle, et. LE HURON. Oui, j'y donne mon aveu ; Et j'aime bien autant que ce soit vous qu'un autre.Mais suivons librement, moi mon goût, vous le vôtre ;Sans quoi plus d'oncle et de neveu. MONSIEUR DE KERKABON. Parlez, Mademoiselle, et lui faites entendre. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES, avec modestie. À le persuader je n'ose pas prétendre. Au Huron, avec douceur.Vous êtes obstiné ! LE HURON. Non, je suis libre. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES, timidement et en baissant les yeux. Eh quoi !Vous ne seriez donc pas quelque chose pour moi ? LE HURON, vivement. Ah ! Parlez, commandez. À vos lois je me livre.Dites comment je dois agir, penser et vivre ;Comment je dois être vêtu, À la Huronne, à la Française ;Tout me devient égal, pourvu que je vous plaise MONSIEUR DE KERKABON. Eh bien, te détermines-tu ? LE HURON, très vivement. Tout ce qu'elle voudra , mon oncle ; elle est charmante. À part.Mais sera-t-elle à Gilotin ? Il dit qu'on la lui donne ; et cela me tourmente. MONSIEUR DE KERKABON, à part. Je crois qu'on peut lui faire un plus heureux destin.Son père est mon ami ; viens que je te présente. SCÈNE VII. Mademoiselle de Kerkabon, Mademoiselle de Saint-Yves. MADEMOISELLE DE KERKABON, à demi-sichée. Mon frère est enchanté ; mais, moi ?Je suis bien aise aussi , je ne sais pas pourquoi. Le beau plaisir que d'être tante ! MADEMOISELLE DE SAINT-YVES, avec une joie naïve. Quoi ! Vous n'en êtes pas dans le ravissement ! MADEMOISELLE DE KERKABON. Vous en parlez bien à votre aise. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Tantôt vous le trouviez charmant. MADEMOISELLE DE KERKABON. Oh ! Ce n'est pas qu'il me déplaise ; Mais tout a bien changé de face en un moment ! MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. AIR.Ma bonne amie, est-il possibleD'avoir un plus joli neveu ?Son air est doux, son coeur sensible ;Il est tout âme, il est tout feu. De sa bonté touchanteJ'ai déjà vu cent traits.Ah ! Si j'étais sa tante ,Ah ! Que je l'aimerais. MADEMOISELLE DE KERKABON. Vous l'aimez sans cela : c'est moi qui vous l'assure MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Moi ! MADEMOISELLE DE KERKABON. N'en rougissez pas. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. C'est donc sans le savoir. MADEMOISELLE DE KERKABON. Vous le savez fort bien ; et lui-même, j'augureQu'il a pu s'en apercevoir. AIR.L'amour naissant n'a pas encoreAppris à garder son secret. C'est au moment qu'il vient d'éclore,Qu'il fait le moins être discret.Il part toujours quelque étincelleD'un feu qui vient de s'allumer.Tout le trahit, tout le décèle , Jusqu'au soin de le renfermer.Coup d'oeil rapide,Regard timide,Soupirs échappés,Mots entrecoupés : À quoi ne reconnaît-on pasUn coeur qui soupire tout bas ? MADEMOISELLE DE SAINT-YVES, confuse. On croit voir ce qu'on imagine. MADEMOISELLE DE KERKABON. Ah ! Vous dissimulez ! Hé bien,Vous ne saurez donc pas ce que je sais. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Quoi ? MADEMOISELLE DE KERKABON. Rien. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES, vivement. Ah ! de grâce, parlez. MADEMOISELLE DE KERKABON. Non. C'est que je badine. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Vous m'impatientez. MADEMOISELLE DE KERKABON, d'un ton ironique. Vous ne l'aimez donc pas ? MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Et si je l'aimais ? MADEMOISELLE DE KERKABON. En ce cas,Mon frère aurait peut-être envieDe faire à Gilotin préférer son neveu ; Mais cela vous touche si peu ! MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Ah ! Vous ne doutez pas que je n'en sois ravie. MADEMOISELLE DE KERKABON. L'avais-je dit ? MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Je l'aime, il le faut avouer. MADEMOISELLE DE KERKABON. Je vous servirai. Mais j'enrageDe me voir réduire à jouer Le rôle de tante à mon âge. SCÈNE VIII. Le Huron, les Acteurs précédents. LE HURON, impatienté. Quelles gens ! Je suis aux abois,Je ne sais plus auquel entendre.Tous m'interrogent à la fois.J'ai beau leur répéter que je n'ai qu'une voix ; Aucun n'a le bon sens d'attendre. AIR. Il les contrefait.Dans quel cantonEst l'Huronie ?Est-ce en Turquie ?En Arabie ? Hé non, non, non.En Laponie ?Hé non, non, non.Dans l'HuronieComment vit-on : S'amuse-t-on ?Y parle-t-onLe bas Breton ?Hé non, non, non.Les époux Sont-ils jaloux ?Les jeunes fillesGentilles ? Et oui, et non ; mais c'est selon.Dans l'Huronie Comment vit-on ?S'amuse-t-on :Boit-on du vin ? Fait-on l'amour ?Fait-on l'amour dans l'Huronie ?Quelle manie ! Ah ! Je suis sourd.Messieurs ! Messieurs ! Dans l'HuronieChacun parle à son tour. MADEMOISELLE DE KERKABON. Mon neveu, tout cela ne doit point vous fâcher,Pour vous l'aventure est heureuse. Il ne vous manque plus ici qu'une amoureuse ;Et je vous laisse la chercher. SCÈNE IX. Le Huron, Mademoiselle de Saint-Yves. LE HURON, vivement. Je n'irai pas bien loin, si j'en crois mon envieEnfin me voila libre, Hé bien ? Je suis Français ;En êtes vous bien aise ? MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Avec ma bonne amie, Quand vous êtes venu, je m'en réjouissais. LE HURON. Je vous aime ; et si je vous plais,Je suis sûr à présent du bonheur de ma vie. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Savez-vous que votre oncle est occupé de nous ?Qu'il veut nous marier ? LE HURON. Oui, mon oncle, ma tante, Je suis sûr qu'ils le veulent tous. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Et croyez-vous aussi que mon père y consente ? LE HURON. Il le faut bien. Et puis, qu'avons-nous besoin d'euxLe bonheur est en nous, il dépend de nous deux On entend un bruit de guerre. SCÈNE X. Le Huron, Mademoiselle de Saint-Yves, un Officier et des Soldats. L'OFFICIER. AIR.Vaillants Français, courez aux armes : Les Anglais menacent vos ports.Si la gloire a pour vous des charmes,Volez à sa voix sur ces bords.Quand on sert un Roi que l'on aime,C'est une fête qu'un combat. Chacun s'enrôle de soi-même ;Et tout sujet devient soldat.Vaillants François , etc. Pendant cet air le peuple s'assemble et prend les armes. SCÈNE XI. UN CAPORAL ET GILOTIN, Les Acteurs précédents. LE CAPORAL, menant Gilotin. Allons, marche. GILOTIN, tremblant. [Note : Bailli : Officier royal d'épée qui rendait la justice dans un certain ressort, et avait droit de commander la noblesse quand elle était convoquée pour l'arrière-ban. [L]]Messieurs, je suis fils du Bailli. LE CAPORAL. Tu trembles, lâche ! GILOTIN. Oui, j'ai la fièvre Pour avoir approché d'un lièvre,Tantôt le coeur m'a défailli. L'OFFICIER. Prends cette épée. GILOTIN. À moi ! Juste Ciel ! Une épée !Et qu'en ferais-je, hélas ? L'OFFICIER. Nous le verrons dans peu. GILOTIN. De frayeur j'ai l'âme frappée ; Et ce serait bien pis si je voyais le feu. L'OFFICIER. Prends. GILOTIN. Quelle contrainte inhumaine ! LE HURON, fièrement. Donnez-la moi, mon Capitaine. L'OFFICIER. À toi ? LE HURON. Sans doute, à moi. Renvoyez ce poltron. L'OFFICIER. Va-t-en. GILOTIN, enchanté et s'enfuyant bien vite. Ah ! Le charmant Huron ! SCÈNE XII. Mademoiselle DE SAINT-Yves, Le Huron, L'Ossicier, le Caporal, les Soldats. L'OFFICIER. Es-tu Français ? LE HURON. On dit que j'ai l'honneur de l'être,Et sur parole je le crois ;Mais Hortence est Française, et ma patrie à moi ;C'est le pays qui l'a vu naître. L'OFFICIER. Ton nom ? LE HURON. Hercule Kerkabon. L'OFFICIER. Ce nom promet beaucoup sans doute. LE HURON. J'espère vous tenir ce que promet mon nom.Une seule chose me coûte ;C'est de me séparer de cette aimable enfant. L'OFFICIER. Bon ! ce soir tu viendras la revoir triomphant LE HURON, à Mademoiselle de Saint-Yves. C'est pour ton Roi que je m'engage ;Tu me le permets ? MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. J'y consens.Tu me sais trembler ; mais je sensQue je t'en aime davantage. MARCHE GUERRIÈRE. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES, seule. AIR.Toi, que j'aime plus que ma vie,Fais ton devoir, signale-toi ;Et que tout le monde m'envie,Le coeur qui m'a donné sa foi.Je chéris jusqu'aux alarmes Que me cause ce beau jour.La gloire essuiera les larmesQu'aura fait couler l'amour. SCÈNE II. Gilotin, Mademoiselle de Saint-Yves. GILOTIN. Victoire ! Ils sont partis. Nous en voilà défaits. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. On s'est battu ? GILOTIN. Pour être brave, Ma foi, vive le Français ! MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Vous étiez là ? GILOTIN, naïvement. Moi, non, j'étais dans notre cave,En attendant le succès.Mais c'est le bruit du village :Les ennemis attaqués Ont déjà plié bagage.Les uns se sont rembarqués,D'autres s'en vont à la nage. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Et le Huron ? L'a-t-on vu ? GILOTIN. Tout au milieu du carnage Il donnait à corps perdu ;Et s'il est mort, c'est dommage. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES, avec effroi. Ah ! Je m'applaudissais d'un excès de valeurQui peut-être a fait son malheur. Vivement.Allez, voyez, sachez, s'il revient , s'il respire, S'il est blessé, s'il est. Je tremble de le dire.Allez, vous dis-je. GILOTIN. Un moment.Ce Huron là vivement Vous touche et vous intéresse !On dirait d'une maîtresse . Qui tremble pour son amant. Il sort. SCÈNE III. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES, seule. Il est trop vrai : l'essroi de plus en plus me presse. RÉCITATIF OBLIGÉ.Ah ! Quel tourment ! Peut-être il est blessé.Parmi les morts peut-être on l'a laissé.Sa faible voix appelle son amante ; Sa faible voix m'appelle à son secours.Ah ! Je l'entends, cette voix défaillante.Oui, cher amant, je t'entends et j'accours...Où m'emportent mes alarmes ?Moi ! Seule ! Au milieu des armes ! M'exposer aux yeux de tous !...Il n'est point mon époux,Et je dépends d'un père,Devoir, honneur sévère,Pourquoi, m'enchaînez-vous ? Que dis-je, hélas : cruelle !Peut-être mon amantExpire en ce moment. Je l'entends qui m'appelle :Viens me fermer les yeux, Je meurs, je meurs fidèle.Viens, reçois mes adieux... AIR.Ah ! Mon coeur se déchire.C'est un trop long martyre.Je cède à mon effroi. Je dois à ce que j'aime,Je dois plus qu'à moi-même ;Et la douleur extrêmeNe connaît point de loi.Mon père lui-même Aura pitié de moi. SCÈNE IV. Le Huron, Mademoiselle de Saint-Yves. LE HURON, d'un air triomphant. Eh bien ? Le savons-nous renvoyés lestement ? MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Te voilà ! je succombe à mon ravissement. Elle tombe pâmée dans les bras du Huron. LE HURON. Hortence !... Ô Ciel ! Est-il possibleQue tu m'aimes si tendrement ! Hélas ! Tu n'es que trop sensible.Respire, ouvre les yeux, rassure ton amant. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES, reprenant ses esprits. Tu m'es rendu ! Mon coeur se livreAu plus délicieux transport. LE HURON. Du péril échappé, je rends grÄce à mon sort ; Car pour toi, mon Hortence, il est bien doux de vivre ! DUO.Ah ! Que tu m'attendris !Quoi ! Tu me chérisAutant que je t'aime : MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Ah ! Tes périls passés, Tous mes sens glacés,Te l'ont fait voir assez. LE HURON. Bonheur suprême :Nous aimons de même. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Crois que je t'aime Bien plus que moi-même. LE HURON. Ton coeur est fait pour le mien.>Que d'attraits ce lienRassemble ! MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Je vois nos jours Couler toujoursEnsemble ! MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Ah quel heureux accord !Nous voir, et d'abordTous les deux entendre ! LE HURON. Oui, j'ai senti d'abordCet heureux accord.T'aimer était mon sort. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. J'aurais dû me défendre. LE HURON. Quoi : d'un amour si tendre ? MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Me seras-tu fidèle ? LE HURON. Ma flamme est éternelle.Oui, non coeur t'est connu : Ce coeur ingénuN'a jamais su feindre. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Ah ! Ton coeur m'est connuJe cesse de craindre. LE HURON. Moi ! Je les briserais...Ces noeuds pleins d'attraits,Ces noeuds qu'Amour a faits ! MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Ah ! Qu'on nous laisse en paix,Jouir de ses bienfaits... TOUS DEUX. Qu'il nous enchaîne pour jamais. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. On vient ; je ne veux plus qu'avec moi on te voit. SCÈNE V. Monsieur et Mademoiselle de Kerkabon, Le Huron. MONSIEUR DE KERKABON. Mon neveu ! MADEMOISELLE DE KERKABON. Mon neveu ! MONSIEUR DE KERKABON. Quel bonheur ! MADEMOISELLE DE KERKABON. Quelle joie ! Oui, me voilà frais et dispos,Prêt à recommencer si ces gens là reviennent. MADEMOISELLE DE KERKABON, avec frayeur. Ah ! Que plutôt ils s'en souviennent,Et qu'ils nous laissent en repos. SCÈNE VI. Monsieur de Saint-Yves, les Acteurs précédents. MONSIEUR DE SAINT-YVES. Monsieur de Kerkabon, que je vous félicite. Vous avez un neveu dont je suis enchanté. LE HURON. Quel suffrage, Monsieur ! Et que j'en suis flatté ! MONSIEUR DE SAINT-YVES. Je le dois à votre mérite. MONSIEUR DE KERKABON. Allons, raconte nous tout ce qui s'est passé. MADEMOISELLE DE KERKABON. Mais il doit être las. Non, je suis délassé.Vous voyez d'ici le rivage ?L'ennemi s'était rangé là.Il nous attend, et nous voilà.Nous marchons ; le combat s'engage. RÉCITATIF OBLIGÉ.Sur nos étendards flottantsDe ses vaisseaux l'airain gronde.Cent tonnerres éclatantsS'élancent du sein de l'onde.L'ardeur s'anime, et j'entends : Feu ! Feu ! Feu ! qu'on leur réponde.Des deux côtés c'est le même fracas.Et puis, silence !Doublez le pas.Ne tirez pas ! Doublez le pas.Avance, avance.C'est là, quand le fer peut agir,C'est-là, c'est-là le carnage.Le feu n'est qu'un badinage ; C'est quand le fer peut agirC'est-là, c'est-là le carnageOn voit les sables rougir.Et dans le sang la mort nageNous avançons ; Nous enfonçons ;Les ennemis balancent ;Les uns sont renversés,Les autres dispersés ;Dans les eaux ils s'élancent. Et nous, le verre en main,Sur le champ de la gloire,Nous chantons la victoire,Et nous buvons leur vin. MONSIEUR DE KERKABON. Mon neveu, rendez grâce à Monsieur de Saint-Yves. vous nous avez causé des alarmes bien vives ;Il les partageait avec nous. MONSIEUR DE SAINT-YVES. Je ne le cache point, j'ai tremblé pour sa vie. LE HURON. Ah ! Monsieur, il dépend de vousDe la rendre digne d'envie. MONSIEUR DE SAINT-YVES, à part à Monsieur de Kerkabon. Je le souhaite. Allons, me voilà décidé :Venez. SCÈNE VII. Mademoiselle de Kerkabon, Le Huron. MADEMOISELLE DE KERKABON. Réjouis-toi. LE HURON. Comment ? MADEMOISELLE DE KERKABON. Il a cédé.Il t'accorde sa fille. LE HURON. Oui ? MADEMOISELLE DE KERKABON. Je viens de l'entendre. LE HURON. Vous me comblez de joie. Ah l'amant le plus tendreEst donc le plus heureux ! MADEMOISELLE DE KERKABON. Il hésitait d'abord : Mais, ma foi, ta valeur vient de lui gagner l'âme,Ainsi tout le monde est d'accord ?Allons. MADEMOISELLE DE KERKABON. Où vas-tu ? LE HURON. Voir ma femme. SCÈNE VIII. Mademoiselle de Kerkabon, Gilotin. GILOTIN. AIR.Me prend-on pour un sot ?Et suis-je fait pour l'être ? Croit-on m'envoyer paître,Sans que je sous le un mot ?Je suis fils d'un bailli,Oui.Je ne suis pas Huron, Non.On connaîtra mon père.Quand il est en colèreIl est pis qu'un démon.Nous sommes gens de plume ; Nous savons la coutume,Et la forme et le fonds.S'il faut plaider, plaidons... MADEMOISELLE DE KERKABON. Mais l'on ne t'aime point. GILOTIN. Ah ! J'en sais bien la cause :C'est qu'on trouve l'autre mieux fait, Plus beau que moi ; voilà le fait.Mais à tout cela je m'oppose.Oui, vous n'avez qu'à dire à votre beau neveu,Que ce n'est pas pour lui que se fera la fête ;Qu'un bailli n'est pas une bête ; Et que nous allons voir beau jeu. SCÈNE IX. Mademoiselle de Kerkabon, Le Huron. LE HURON. AIR.Qu'ai-je donc fait qui les offense ?N'est-elle pas à moi ?N'a-t-elle pas ma foi ?Pourquoi cette défense ? Moi ! Ne plus la revoir ?Ne plus revoir Hortence !Ma belle Hortence !Ma chère Hortence !Je suis au désespoir. On est d'accord ;Elle est femme ;Je lui porte un coeur tout de flamme ;Et l'on blâmeCe transport ! Qu'ai-je donc fait ? etc.Tremblante aux genoux de son père,Elle pleurait,Et l'implorait ;Mais rien n'a fléchi sa colère. Sans pitié, comme sans raison,Il m'a chassé de la maison.Qu'ai-je donc fait ? etc. SCÈNE X. Mademoiselle et Mademoiselle de Saint-Yves, Le Huron, Mademoiselle de Kerkabon. MONSIEUR DE SAINT-YVES, irrité. Quoi ! je te vois encore! Ote-toi de mes yeux. LE HURON. Je n'ose l'aborder ! Je tremble. Ah ! je redoutais moins tous ces marins ensemble. SCÈNE XI. Monsieur et Mademoiselle de Saint-Yves, Mademoiselle de Kerkabon. MONSIEUR DE SAINT-YVES. A-t-on jamais rien vu de plus audacieux ?Chez moi-même, à mes gens venir parler en maître !Sans moi, sans mon aveu, demander à vous voir,S'annoncer votre époux ! ( il est bien loin de l'être. ) Et parce que mes gens, qui savent leur devoir,Refusent de le recevoir, Oser les menacer d'entrer par la fenêtre ! MADEMOISELLE DE SAINT-YVES, tremblante et suppliantes. Mon père ! MONSIEUR DE SAINT-YVES. On l'a flatté d'un inutile espoir : J'ai trop appris à le connaître. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Mon père ! MONSIEUR DE SAINT-YVES. Quel emportement !Et moi, j'allais imprudemment !.Je suis trop faible et trop facile ;Mais cela peut se réparer. Ma fille, il faut nous séparer,Et pour toi le Couvent est le plus sûr asile. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Le Couvent ! MONSIEUR DE SAINT-YVES. Obéis. Tu le dois. Je le veux. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES, à Mademoiselle de Kerkabon. Ah ! Consolez ce malheureux. SCÈNE XII. Le Huron, Mademoiselle de Kerkabon. LE HURON, vivement. Est-il apaisé ? MADEMOISELLE DE KERKABON. Non. Et dans le moment même Il l'envoie au Couvent. LE HURON. Le Couvent ! Qu'est cela ? MADEMOISELLE DE KERKABON. Un séjour où l'on est invisible. LE HURON. Et c'est-làQu'on veut enfermer ce que j'aime ! MADEMOISELLE DE KERKABON. Je vais trouver ton oncle : il peut tout apaiser.Mais toi, ne vas pas t'aviser De faire encore ici quelque tour de SauvageSi tu veux être heureux, sois sage. SCÈNE XIII. LE HURON, seul. AIR.Que ne suis-je encor dans nos bois,Loin de ces funestes rivages !C'est vous, cruels, vous et vos lois, C'est vous qu'on doit nommer sauvages.Que ne suis-je encor dans nos bois,Loin de ces funestes rivages ! Récitatif obligé.Que dis-je ! Chère amante, hélas !Pardonne à ma douleur, pardonne. Moi ! Que jamais je t'abandonne !Moi ! Vouloir être où tu n'es pas !...Mais on l'enlève, on m'en sépare !Non, non, père injuste et barbare,Non, non, je suis partout ses pas... Ah ! Mon malheur est à son terme.Amis, accourez à ma voix.Forçons les murs, brûlons les toitsDe la prison qui la renferme...Mais si je brûle ta prison, Toi-même au milieu de la flamme...Hélas ! J'ai perdu la raison ;Un trouble affreux règne en mon âmeQue ne suis-je encor dans nos bois, etc. Il sort. SCÈNE XIV. Mademoiselle de Kerkabon, Monsieur de Kerkabon, Monsieur de Saint-Yves. Ils ont vu le Huron sortir désespéré. MADEMOISELLE DE KERKABON. Vous voyez sa douleur. Pardonnez son offense. Il a commis une imprudence ;Mais il ne connaît point nos usages, nos moeurs. MONSIEUR DE SAINT-YVES, irrité. Oui, j'ai tort ; je devais choisir sans doute ailleursUn homme qui connût les égards, la décence,Qui sut respecter ma maison. MONSIEUR DE KERKABON. Vous êtes bien sévère ! MONSIEUR DE SAINT-YVES. Et n'ai-je pas raison ? MONSIEUR DE KERKABON. Ah ! Monsieur, croyez-moi, s'il manque de lumières,Il a des sentiments, que j'estime encor plus.On donne aisément des manières ;On ne donne point de vertus. Il est vaillant, honnête ; il pense avec noblesse ;L'ombre du mensonge le blesse ;La nature l'a fait sensible et bienfaisant ;L'amour est sa seule faiblesse ;Et je crains qu'il ne perde en se civilisant. MONSIEUR DE SAINT-YVES. Mais il est d'une pétulanceQui va jusqu'à l'extravagance, MADEMOISELLE DE KERKABON. Hélas ! Il est bien corrigéDes imprudences de son âge !Ah ! Si vous le voyez, comme il est assligé ! Et comme il promet d'être sage ! SCÈNE XV. Gilotin et les acteurs précédents. GILOTIN. À L'aide ! À l'aide ! Au ravisseur ! MONSIEUR DE SAINT-YVES. Qu'entends-je ? GILOTIN. Du Couvent, comme on ouvrait la porte,Il arrive, et s'y prend de sorte Qu'il l'enlevait. MONSIEUR DE SAINT-YVES. Ma fille ! Ô ciel ! GILOTIN. N'ayez pas peur,Il est pris, et l'on va l'enfermer en douceur. SCÈNE XVI. Les Acteurs précédents, Le Huron, Mademoiselle de Saint-Yves, L'Officier, Troupe des gens du bailli. LE HURON. Aux Gens du Bailli.Laches ! Retirez-vous, ou mon bras vous assomme. MONSIEUR DE SAINT-YVES. Téméraire ! L'OFFICIER. Pourquoi désoler ce jeune homme ? Vivement.Et savez-vous ici ce que vous lui devez ? . Savez-vous que peut-être il vous a tous sauvés ?Et qu'il a plus de part aux succès que moi même ?Il est Français ; il est bien né :Monsieur, à votre fille, il était destiné ;Pourquoi lui ravir ce qu'il aime ? LE HURON, vivement et tendrement. Et reprendre le bien que vous m'avez donné ? MONSIEUR DE SAINT-YVES, avec chaleur. Ah ! C'est un jeune sou. L'OFFICIER, sièrement. Je connais sa folie,Monsieur : c'est la gloire et l'amour.Partagez tout l'honneur que lui fait ce beau jour :Et vers lui, s'il se peut, acquittez la patrie. SCÈNE XVII ET DERNIÈRE. Le Bailli et les acteurs précédents. LE BAILLI. Je t'arrête de par le Roi. L'OFFICIER, d'un ton imposant. Monsieur ! LE BAILLI. Son crime est manifeste :C'est un enlèvement ; tout le monde l'atteste ;Et je ne fais ici qu'exécuter la loi. MONSIEUR DE SAINT-YVES, d'un air noble et tranquille. La loi ne punit point ce qu'autorise un père. Personne ici que moi n'a droit d'être sévère ;Et je veux bien dans ce momentPardonner à l'époux le crime de l'amant. LE BAILLI. Quoi ? C'est donc là ? MONSIEUR DE SAINT-YVES. Point de colère,J'avais d'autres desseins, mais nul engagement. Croyez-moi, laissez là votre ressentiment.L'ennemi vous dira pourquoi je le préfère. Le bailli et Gilotin se retirent. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Ah ! Mon père ! LE HURON et MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Ah ! Monsieur ! MONSIEUR DE SAINT-YVES. Ma fille, le dangerTe regarde : tu vois quelle mauvaise tête ! MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Mon père, son coeur est honnête ; Et tout le reste peut changer. DUO et CHOEUR. MADEMOISELLE DE SAINT-YVES et LE HURON. Plus de larmes.Amour, tes charmesDu sein de nos alarmesFont naître les plaisirs, Sensible à nos soupirs.Ta main couronne nos désirs.Que de plaisirs !Non, plus de larmes, etc, CHOEUR. Dans l'Empire de l'Amour Il n'est plus de Sauvages ;L'air de ce charmant séjourLes rend doux et sages LE HURON et MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. D'aimer autant que je vivraiJ'ai l'heureuse assurance. De plaire autant que j'aimeraiJ'ai la douce espérance.Nous plaire et nous aimer toujours !Pour nous que d'heureux jours. CHOEUR. Dans l'empire de l'amour Il n'est plus de Sauvages. -L'air de ce charmant séjourLes rend doux et sages.Tout s'apprivoise en un jourSous les lois de l'amour. LE HURON et MADEMOISELLE DE SAINT-YVES. Le sort nous menace ;Et le danger nous glace ;L'orage fait placeAu souffle des Zéphirs.Sensible à nos soupirs ; L'Amour couronne nos désirs.Que de plaisirs !Non, plus de larmes, etc. CHOEUR. Plus de larmesAmour, tes charmes Du sein de leurs alarmesFont naître les plaisirs; ==================================================