******************************************************** DC.Title = LA ROGNURE D'ONGLES, SAYNÈTE. DC.Author = MOINAUX, Jules DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Saynète DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 21/08/2023 à 06:51:38. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/MOINAUX_ROGNUREDONGLES.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5718390w DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LA ROGNURE D'ONGLES. 1881. Tous droits réservés. par JULES MOINEAUX, rédacteur de la Gazette des Tribunaux. 8517. - Paris. Imprimerie de Ch. Noblet, 13 rue Cujas. - 1881 PERSONNAGES. LE NARRATEUR. LE PRÉSIDENT. LE PRÉVENU. L'AGENT. Extrait de MOINAUX, Jules, "Les tribunaux comiques", Paris, Chevalier-Marescq éditeur, 1881. pp 375-379 LA ROGNURE D'ONGLES. NARRATEUR. La locution « justice paternelle » ne peut jamais avoir qu'un sens restreint ; un père pardonne, la justice, elle, est tenue d'appliquer la loi ; elle le fait avec plus ou moins d'indulgence et c'est ainsi qu'elle est plus ou moins paternelle. Pour Jarreton, on comprend qu'elle l'ait d'abord été plus et qu'elle soit amenée à l'être de moins en moins envers cet abonné de la police correctionnelle, qui n'est certes pas un grand malfaiteur, mais qui finit par devenir agaçant ; on ne voit que lui sur le banc des prévenus et c'est à peu près le seul moment où il ne soit pas ivre ; il a du reste, pour cela, cette excellente raison qu'au dépôt on ne lui à pas offert « un verre » ; un, est une façon de parler, bien. qu'il prétende ne jamais dépasser cette modeste ration, et, aujourd'hui, pour expliquer l'état d'ivresse dans lequel il était lorsqu'on l'a arrêté, il dit : « Je ne sais pas ce qu'on m'a mis dans mon verre. » MONSIEUR LE PRÉSIDENT. Du vin probablement. LE PRÉVENU. [Note : Quille à Mayeux : a-peu-près pour quille aux maillets, jeu de quilles en bois.]Mon Président, il paraît que de la rognure d'ongles, ça vous abat un homme comme la quille à Mayeux ; je tiens ça d'un herboriste de première classe. MONSIEUR LE PRÉSIDENT. Et vous pensez que vos amis se sont rogné les ongles dans votre verre ? LE PRÉVENU. Je ne crois pas qu'ils se rognent jamais les ongles, mais c'est un autre qui m'aura fait une farce. MONSIEUR LE PRÉSIDENT. Vous avez été arrêté en état d'ivresse manifeste. LE PRÉVENU. Ah ! M'en parlez pas ; le vin ! L'horrible vin ! MONSIEUR LE PRÉSIDENT. Pourquoi en buvez-vous ? LE PRÉVENU. Parce que je l'aime. Rires. MONSIEUR LE PRÉSIDENT. Vous avez déjà été condamné dix-sept fois. LE PRÉVENU. Le vin ! L'horrible vin ! MONSIEUR LE PRÉSIDENT. Oh ! Pas seulement pour ivresse. LE PRÉVENU. Trois fois pour sergents de ville. MONSIEUR LE PRÉSIDENT. Pour outrage à des agents. LE PRÉVENU. Pour le simple mot de mufles ; jamais autre chose, Messieurs les agents peuvent le dire. MONSIEUR LE PRÉSIDENT. Vous avez été condamné aussi pour vagabondage. LE PRÉVENU. [Note : Liard : Petite monnaie de cuivre qui valait trois deniers, le quart d'un sou, et un peu plus qu'un centime. [L]]Mon président, ça c'est pas un crime ; c'est simplement un citoyen qui se trouve être sans ouvrage et qu'on a renvoyé de son garni ; c'est malheureux, mais ça n'empêche pas les sentiments ; je suis un homme qui ne peut pas se reprocher d'avoir pris un liard sur la tête de personne. MONSIEUR LE PRÉSIDENT. Pardon, vous avez été condamné pour filouterie. LE PRÉVENU. Oh ! Jamais. Un filou et moi, ça fait deux. MONSIEUR LE PRÉSIDENT. Vous n'êtes pas allé dîner chez un marchand de vin, sans argent pour payer ? LE PRÉVENU. Ah ! Si. MONSIEUR LE PRÉSIDENT. Eh bien, c'est une filouterie. LE PRÉVENU. C'est pas de la filouterie, c'est de la faim. MONSIEUR LE PRÉSIDENT. Vous avez outragé l'agent qui vous a arrêté. LE PRÉVENU. Simplement mufle, comme les autres fois. L'agent est entendu : Le prévenu, dit-il, se battait... MONSIEUR LE PRÉSIDENT. Avec qui ? LE PRÉVENU. Avec personne ; je me fichais une pile à moi-même. L'AGENT. En effet, il était seul dans la rue à une heure et demie du matin ; il s'arrachait les cheveux, trépignait sur sa casquette... LE PRÉVENU. [Note : Bougival : Commune du département des Yvelines, à l'ouest de Paris et au nord de Versailles.]Et que je me criblais de gifle qu'on les aurait entendues de Bougival... L'AGENT. Voyant cet homme complètement ivre, je l'ai conduit au poste : il m'a traité de mufle. LE PRÉVENU. Vous voyez !... J'y fais pas dire. MONSIEUR LE PRÉSIDENT. Ah çà ! Vous étiez donc fou ? LE PRÉVENU. Je décolérais pas de rage contre moi, d'avoir encore pris un verre où y avait de la rognure d'ongles ; c'est donc de là que je me tapais dessus, en disant : Tiens ! crapule, pochard, pignouf, mufle !... Monsieur l'agent peut le dire. MONSIEUR LE PRÉSIDENT. Jusqu'ici, on s'est montré très indulgent pour vous ; les renseignements vous présentent comme un brave homme, qu'un verre de vin met en état d'ivresse. LE PRÉVENU. Si n'y avait pas de rognures d'ongles... MONSIEUR LE PRÉSIDENT. Vous n'avez jusqu'ici été condamné qu'à de faibles amendes et à quelques jours de prison ; le tribunal sera forcé de se montrer sévère. LE PRÉVENU. Eh bien, mon président, il aura raison. Le tribunal condamne Jarreton à vingt jours de prison. ==================================================