******************************************************** DC.Title = OSARPHIS ou MOÏSE, TRAGÉDIE DC.Author = NADAL, Augustin DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 21/08/2023 à 06:43:19. DC.Coverage = Egypte DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/NADAL_OSARPHISMOISE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** OSARPHIS ou MOÏSE TRAGÉDIE. M. DCC. XXXVIII. Avec Approbation et privilège du Roi. de MONSIEUR L'ABBÉ NADAL, de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. À BRUXELLES, De l'Imprimerie de George Frick, Libraire, rue de la Cour. 1738. Avec permission des Supérieurs. LETTRE du R. PÈRE R. ** JÉSUITE, à l'Auteur d'Osarphis. Monsieur, Des affaires pressées et des distractions importunes n'ont pu m'empêcher de lire Osarphis avec tout l'empressement qu'inspire un ouvrage reçu de votre main, et qui porte votre nom. Le plaisir que m'a donné cette lecture a égalé la curiosité et l'impatience que je tentais de la faire. Osarphis est un personnage de nouvelle espèce pour le Théâtre Français ; un Héros sans amour, un conquérant sans ambition, à qui la singularité de son caractère n'ôte rien du mérite propre à paraître avec éclat sur la Scène. Vous avez remplacé par les situations vives et intéressantes, par les grandes images, par les sentiments sublimes, par la forte expression de ces instincts précieux, que la nature grave si avant dans les bons coeurs et dans les âmes les plus élevées ; par le merveilleux enfin que fournit la Religion : vous avez, dis-je, remplacé par ces puissants ressorts le jeu des passions tendres ou cruelles, si nécessaire au commun des Poètes pour attacher et émouvoir le Spectateur. La terreur et la pitié, ces deux grandes sources du vrai tragique, ne sont cependant pas négligées chez vous. La terreur commence avec la pièce et survit encor à l'action théâtrale et à la représentation. On retrouve partout, ramenée à propos, l'effrayante idée de ces désastres dont l'Égypte incrédule est menacée, et Moïse en quittant la scène ne fait qu'ajouter à ces terribles peintures de nouvelles horreurs. Les périls réciproques de Moïse, d'Aron, et des Hébreux d'un côté, d'Aménophis et de Tharbis de l'autre, réunissent aux sujets de terreur ceux de la plus vive compassion ; et l'effet naturel de presque tous vos incidents, c'est d'effrayer ou d'attendrir, et de produire souvent ces deux effets à la fois. Au plaisir que m'ont donné ces beautés, s'est joint encore celui de la surprise. Je ne parle point ici de ces surprises irrégulières et mal ménagées, ressource trop ordinaire de plus d'un Auteur pour soutenir l'intrigue mal digérée d'une pièce dont l'action languit et s'éteint dès les premiers Actes. Je ne parle pas même de celles qui sont le fruit du génie et l'art, qui naissent naturellement du fonds du sujet ou des incidents qu'on y a liés avec justesse. On en trouve chez vous de cette dernière espèce : mais ce n'est point à votre invention que je suis proprement redevable de celle qui m'a le plus frappé dans la lecture d'Osarphis. C'est à la peinture peu fidèle, qu'on m'avait tracée de cette pièce. Je ne crains point de vous l'avouer, on m'avait donné du rôle que vous faisiez jouer à votre Héros, une idée bien éloignée de la réalité. Je m'attendais à vous voir démentir par la fiction, le portrait que les historiens sacrés et profanes nous ont laissé du Libérateur des Hébreux. Je comptais ne trouver dans le Héros de votre Tragédie qu'un homme, d'abord dominé par l'amour ou l'ambition, ou également en proie à ces deux passions ; et que le seul éclat des plus étonnantes merveilles, et les impressions de la grâce les plus fortes, avaient contraint en quelque sorte de se prêter aux desseins que la Providence avait formés sur lui ; et je craignais ce contraste, oserai-je le dire ? Non pour la Religion, dont les intérêts n'en pouvaient souffrir, mais pour votre ouvrage qui en eût été défiguré. Des excès qui auraient précédé la vocation d'Osarphis, n'auraient point déshonoré la sainteté d'un Ministère qui en les faisant cesser leur aurait substitué les plus éclatantes vertus. Sa conversion eût été un triomphe de plus pour la Religion, un nouveau prodige égal à ceux que le Ciel avait mis en oeuvre pour fléchir l'opiniâtreté de l'indocile Égyptien, et animer la confiance des timides Hébreux. Cette supposition d'ailleurs n'aurait contredit ni le Pentateuque, ni Josèphe. Les éloges que l'un et l'autre donnent à la vertu de Moïse, ne regardent que le temps où il était le conducteur du peuple de Dieu. Leur silence sur ses moeurs avant cette époque, laissait en ce genre une libre carrière aux fictions propres à embellir votre sujet ; et sans déroger au respect dû à la révélation, ou à la fidélité qu'exige l'histoire, vous auriez pu, au besoin, répandre avec art quelques ombres sur le brillant portrait que l'une et l'autre tracent de votre Héros. Mais ce que l'autorité semblait vous permettre, les lois du Théâtre vous l'interdisaient. Docile à ses règles vous avez sagement renoncé à un mélange qui, sans dégradé la vertu de Moïse, aurait déparé son rôle. Cette duplicité de moeurs dans le principal personnage, aurait produit une espèce de duplicité d'intrigue et d'action, et vous aurait conduit nécessairement à une conversion brusque, à un de ces dénouements postiches, sans préparations dans les moeurs, dans les incidents de votre pièce ; ouvrage enfin d'un miracle subit dont la machine est toujours employée bien plus pour suppléer à l'invention de l'Auteur et pour le tirer d'embarras, que pour décorer son héros ou intéresser le Spectateur. Vous mettez, il est vrai, en oeuvre le miracle ; mais c'est en vous conformant à la nature de votre sujet où tout est miraculeux ; c'est en ajoutant habilement ensemble le merveilleux et le vraisemblable. Le Spectateur est dès les premières scènes préparé, sans les prévoir, aux prodiges qui couronnent les dernières. Fidèle au précepte d'Horace, Servetur ad unum Qualis ab incoepio processeris, et sibi constet ; Votre héros toujours semblable à lui-même, soutient partout la dignité de son caractère. Les premiers traits d'Osarphis annoncent déjà Moïse, et l'on aperçoit d'avance dans le Monarque d'Égypte, les semences des vertus qui doivent former le Chef du peuple d'Israël. Ses qualités naturelles disposent insensiblement l'esprit du Spectateur, et en quelque sorte le coeur même de ce Héros, aux révolutions qu'y opèrent enfin la grâce de sa vocation par une gradation presque imperceptible, et comme de nuance en nuance, vous l'amenez à cette généreuse docilité qui lui fait sacrifier sa gloire et sa couronne à l'obscur espoir de devenir par les périls, les souffrances, les opprobres, le Libérateur d'une nation chérie de Dieu. Le spectateur se livre de lui-même aux transports de l'étonnement que causent ces merveilles, sans être arrêté par les embarras d'une surprise précipitée. Ses desseins sur Tharbis ne sont point un écueil pour son héroïsme. Si Osarphis aspire à l'alliance de cette Princesse, c'est en Roi et non pas en Amant. Il ne vient point en Amadis ou en Héros de l'Astrée ramper à ses pieds, et démentir puérilement auprès d'elle, comme Alexandre auprès de Cléofile, ou Pyrrhus auprès d'Andromaque, cette fierté farouche qui dans tous les siècles, et même encore de nos jours, mêle ses hauteurs aux transports les plus tendres des Monarques les plus polis de l'Orient. Mais pour tracer avec uniformité et avec décence le caractère de Moïse, ce n'était point assez d'en bannir les fadeurs et les ridicules, il fallait encore en exclure les passions et leurs fougues. Aussi n'ont-elles point de part chez vous aux sentiments qui font souhaiter à Osarphis d'unir son sort à celui de Tharbis, et de l'emporter dans le coeur de cette Princesse sur son rival Aménophis. Le seul intérêt d'État, la foi des Traités, la nécessité d'assurer à l'Égypte ses conquêtes en Éthiopie, et à Osarphis lui-même le Trône sur lequel il devait monter, sont les ressorts de ses empressements pour ce mariage. Pas la moindre étincelle d'amour, dans les procédés ou dans son langage. La raison règle ses goûts comme la politesse inspire ses manières et ses discours. L'ambition ne le domine pas plus que l'amour. C'est méconnaître la nature de cette passion, que de confondre avec elle le désir qu'a Osarphis de monter sur le Trône, où l'ordre de la succession, les voeux de l'Égypte entière, et le succès de ses victoires l'appelaient. L'ambitieux est un homme qui cherche à étendre son autorité ou à élever son rang au-dessus des limites que la providence et l'ordre de la société semblent avoir prescrit à l'une et à l'autre. Osarphis éloigné de ces prétentions, borne les siennes à disputer à Aménophis une Couronne dont les titres les plus légitimes le mettaient en droit de s'assurer ; la vertu la plus pure permet de défendre un bien que la justice rend notre partage. Osarphis est donc partout un sujet propre à l'espèce d'héroïsme que la Religion fait enfin éclater chez Moïse. L'uniformité, la vraisemblance, la décence ne sont point les seuls mérites de son caractère ; à ces traits qui forment les beautés régulières, vous unissez les sentiments et les situations qui y joignent les grâces. Que vous en faites éclore de nobles et d'élevées dans son rôle, et que cet enthousiasme qui règne dans le langage de l'Écriture se fait sentir avec énergie dans la bouche d'Aaron, de Jocabel et de Moyse ! En Maître de l'art vous avez gardé les plus beaux traits pour la fin : les deux derniers Actes renchérissent sur les précédents. Le sort de Moïse demeure en suspend jusques au bout, le dénouement ne se présente qu'avec les derniers vers. Le reconnaissance de Moïse et de Jocabel, de Moïse et d'Aaron, de Moïse et d'Aménophis ; la simplicité et le naturel avec lequel ces incidents se développent ; la vision prophétique où l'avenir et toute la suite des desseins de Dieu se dévoile aux yeux de Moïse, le récit où il retrace à Aaron et à Jocabel ces sublimes objets ; sa renonciation à la possession de Tharbis et du Trône d'Égypte ; la générosité avec laquelle oubliant leurs injures il couronne des dons les plus magnifiques, et la résistance que cette Princesse avait opposée à ses recherches, et les complots et les trahisons d'Aménophis qui lui disputait le coeur de Tharbis et la Couronne d'Égypte ; la généreuse confiance avec laquelle en les rendant maîtres de l'Égypte il renonce aux précaution nécessaires pour mettre son sort et sa personne à l'abri de leurs ombrages et de leurs ressentiments : Tu me connais, Adieu ; poursuis-moi, si tu l'oses. La surprise a adroitement préparé ce que fait naître la prompte révolution du sort d'Aménophis ; et son rapide, mais naturel, passage des horreurs de l'échafaud à la félicité du Trône : tous ces traits remuent vivement le coeur d'un Spectateur né avec quelque élévation dans les sentiments. L'obstacle le plus marqué que puisse, ce me semble, rencontrer une pièce de cette nature, aux succès qu'elle mérite, c'est que le personnage d'Osarphis a dans l'éclat et dans le rang que vous lui donnez, avant que d'en faire le chef des Israélites, quelque chose d'opposé au caractère que les préjugés d'éducation forment de Moïse dans un certain public. Le rôle de ce grand Législateur commence, pour eux, au temps où errant et fugitif, la crainte des persécutions auxquelles il eût été exposé en Égypte, le réduisit à garder les troupeaux de son beau-père Jéthro ; et son histoire sous ce point de vue n'offre d'autre idée à leur esprit, que celle d'un Pâtre élevé par le choix du Seigneur, du sein de la poussière à la plus sublime des dignités. Une connaissance médiocre des Auteurs anciens rectifierait ce préjugé, et vous disculperait sans peine. Josèphe au livre second, chapitre cinquième de son histoire, vous a fourni tous les traits qui forment chez vous le portrait de Moïse conquérant, vainqueur des Éthiopiens, époux de Tharbis, fils adoptif de Thermutis. Vous avez puisé dans la même source les personnages du second ordre que vous mettez sur la Scène, et jusques aux noms que vous leur donnez. Tharbis, Thermutis, Jocabel sont les mêmes dans l'histoire que dans votre Tragédie. Vous n'aviez pas même besoin du témoignage de Josèphe pour prêter à Moïse le rôle que vous lui faites jouer avant sa vocation, l'Écriture seule vous suffisait. Elle dit en termes exprès au chapitre 2. de l'Exode, que Moïse dans un âge formé, Adultum, avait été adopté comme fils par la fille de Pharaon : dès lors la fiction seule pouvait chez vous remplacer l'histoire sur les suites naturelles de cette adoption. Cet événement donne aux situations les plus brillantes où vous pouviez placer Moïse, toutes les vraisemblances qu'exige le Théâtre le plus régulier et le plus scrupuleux. Rien de plus naturel que de voir un homme d'un mérite distingué, fils adoptif d'une puissance Princesse, remplir les premières places, et à portée d'aspirer et de parvenir à tout, chez une nation où un esclave hébreu, un des ancêtres de Moïse, le vertueux Joseph, était quelque années auparavant sorti des cachots pour devenir en quelque sorte le Dieu de l'Égypte ; et dans les climats et l'imagination fougueuse des peuples, ne laisse qu'un pas à faire de la servitude au Trône, ou du Trône à la servitude. Voilà, Monsieur, ce que je pense du fonds de votre pièce. Le détail de l'exécution offre encore un grand nombre de traits brillants et de vers heureux à mes justes éloges. Que n'ai-je autant de loisir pour en peindre toutes les beautés, que j'ai eu de plaisir à les sentir ! Si le Théâtre n'en présentait jamais que de semblables, les maîtres de la morale chrétienne, loin de le proscrire comme une source féconde de vices, le recommanderaient à leurs disciples comme une école des plus sublimes vertus. Ne regardez point, Monsieur, ce jugement comme l'ouvrage de mon amitié ; il est le fruit de mon discernement. J'ai jugé de cette pièce par son propre mérite, et non par celui de l'Auteur. En donnant à votre personne tous les sentiments qui lui sont dûs de la part de ceux qui ont l'honneur de vous connaître aussi bien que moi, je me réserve toujours la liberté de la critique pour vos écrits, comme je prétends que vous en fassiez, à bien plus juste titre, usage pour les miens. Ces dispositions, bien loin qu'à augmenter le tendre attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être, Monsieur, À Poitiers, le 14. de décembre 1736. Votre très humble et très obéissant Serviteur, R. **, Jésuite. PRÉFACE. Les Préfaces que l'on a accoutumé de mettre à la tête des poèmes dramatiques, ne roulent le plus ordinairement, que sur l'éclaircissement du sujet, sur la conduite de l'Auteur dans la confection de son ouvrage, sur la réponse aux objections qui se sont élevées dans le Public contre lui et enfin sur le plus_ou_moins de libertés qu'il a prises. La Tragédie d'Osarphis n'a point été jouée, quoique reçue des Comédiens, et même avec acclamations et quoique approuvée d'un Censeur public. L'Auteur lui-même a respecté les considérations que le ministère a opposées à la représentation de la Pièce. Le respect des Sujets sacrés est si grand et si auguste, qu'il n'est presque pas possible de n'en pas abuser, et j'ai avancé moi-même dans la préface de Saül, la première de mes Tragédies, « Que ceux qui ont traité de sacrilège, la moindre altération des circonstances tant soit peu considérables de l'Écriture sainte, nous ont appris par leur exemple à négliger quelquefois leurs préceptes.» Ce n'est pas que les considérations d'État ne puissent, sans blesser la Religion, porter le ministère public à glisser un peu sur cela et à se relâcher de sa première sévérité à l'égard des spectacles. Cette conciliation du moins à l'égard des Acteurs, ce qui revient à peu près au même, n'est pas sans exemple dans des conjonctures encore plus délicates. Dans les premiers temps du Christianisme, il était défendu à celles des comédiennes qui s'étaient converties à la foi, de continuer dans l'exercice de leur profession. Des raisons de politique obligèrent Honorius et Théodose de lever cette difficulté, et l'on vit alors au sortir du Baptême reparaître sur la Scène plusieurs actrices que la sagesse et l'autorité des lois arrachait des bras même de l'Église. Ad proprium Officium summa instantia revocari decernimus. Cette Préface de la Tragédie d'Osarphis, dès qu'elle n'a point été représentée n'est point susceptible de la même forme que celle des autres Préfaces. Je n'ai point à y répondre au Parterre, surtout à cette partie du Parterre, sur qui le plaisir et l'émotion prévalent quelquefois aux intérêts des moeurs : non que le Spectateur prenne le change sur cela autrement par une illusion momentanée, ni que le triomphe d'un Auteur qui se plaît à nous surprendre soit réel et durable : sa Pièce dépouillée de la représentation et exposée à une lecture froide et éclairée perd bientôt des avantages qu'elle doit bien moins au génie du Poète, qu'en général, à la corruption du coeur humain. Je me renfermerai donc dans l'éclaircissement du titre de ma pièce, et dans la réponse à quelques objections particulières de personnes éminemment respectables, et qui en les faisant, n'ont eu pour principe que la délicatesse de leur piété et des vues d'une décence et d'une édification, qu'il est moins possibles aux Auteurs de sauver au Théâtre, qu'au Ministère de lui interdire de pareils sujets et d'abattre si j'ose ainsi parler, ces Autels que quelques Poètes élevèrent insensiblement à l'impudicité sous le nom de l'étendard même de la Religion. Si je n'ai point donné à ma Pièce le nom de Moïse, c'est parce que ce nom Hébreu qui veut dire sauvé des eaux eût anticipé sa reconnaissance et découvert pour ainsi dire le secret de sa destinée et que d'ailleurs les Hébreux donnaient à Moïse avant sa reconnaissance le nom d'Osarziph ou d'Osardiph, que pour rendre plus doux et plus conforme au Pays, j'ai changé en celui d'Osarphis. « On m'objecta d'abord que je me servais du nom de Juif, quoiqu'il n'eût été donné aux Israélites que beaucoup de Siècles après.» Je n'ignorais pas que ce n'était en effet que depuis la captivité, que le mot de Juif était devenu le nom général de la nation ; mais j'aurais cru pouvoir suivre l'usage. St. Paul lui-même sous le nom de Juifs et sans aucune distinction des temps, avait confondu toutes les Tribus, lorsqu'il avait dit nos natura Judai, et non ex gentibus. C'est dans ce même esprit que Racine fait dire à Joad dans Athalie : N'êtes-vous pas toujours sur la montagne sainte Où le Père des Juifs sur son Fils innocent Leva sans murmurer son bras obéissant ? Cela ne m'a pas empêché d'ôter le mot de « Juifs, pour y substituer celui d'Hébreux ou d'Israélites : mais on m'a reproché que je mettais ceux-ci dans le nombre des Troupes qui servaient les Égyptiens : ce qui est entièrement, dit-on, contre les moeurs de cette Nation. » À quoi je réponds que les Israélites ne sont point ici un corps de cette Nation ; qu'il ne doivent être regardés que comme quelques particuliers d'entre les Hébreux, ou comme gens affidés que la prudence de Jocabel avait trouvé moyen de placer auprès de Moïse, pour plus grande sûreté de sa personne. Si le service des Troupes des Égyptiens eût souillé la Religion d'un Hébreu, comment concilier dans la personne de Moïse, le caractère de sa naissance et le commandement des Armées de Pharaon ? Que devenaient alors la délicatesse et la piété de Jocabel ? Et s'il faut s'appuyer d'un grand exemple, Mardochée, c'est-à-dire celui de tous les Juifs qui était le plus attaché aux moeurs de sa Nation, n'était-il pas un des principaux Officiers de la garde d'Assuérus ? « D'ailleurs on ne veut pas que Moïse ignore sa naissance, son sort et sa Religion, sa mère, dit-on, était toujours auprès de lui, et peut-on supposer qu'elle ne l'en aurait pas instruit pour le garantir des fausses erreurs des Égyptiens. Il est bien dit dans l'Écriture qu'il était instruit dans la science des Égyptiens ; mais non pas qu'il fût imbu de leurs erreurs. La Providence qui avait destiné la mère de Moïse pour sa nourrice, ne l'avait fait qu'afin de lui apprendre de bonne heure sa Religion.» L'Écriture ne marque nullement à quel âge de Moïse sa mère lui apprit quels étaient son état et sa famille. C'est ce silence de l'Écriture qui m'a donné lieu de placer dans des convenances théâtrales ce détail d'instructions qui a dû exciter dans l'âme de Moïse tant de mouvements différents. Il m'a paru qu'il était de la dignité de la Religion que Dieu rompit le sceau qui doit avoir été mis d'abord sur les lèvres de Jocabel, et qu'il déterminât lui-même le moment de la reconnaissance qui a son fondement dans la vérité. J'ai pu à l'égard de cet incident me servir de tous mes avantages et former cet enchaînement de circonstances, qui si j'ose le dire, rend le moment de sa reconnaissance plus marqué et plus intéressant. Voici un reproche sur lequel on a beaucoup appuyé, « rien n'est plus indécent, continue-t-on, à me dire que d'entendre parler Moïse des faux Dieux et de leur culte, quoique Moïse soit supposé ignorer son état et sa Religion.» Il paraît cependant dans les premiers Actes de la pièce avoir pris sur les instructions secrètes de Jocabel de grandes idées du Dieu d'Israël, il n'en parle qu'avec magnificence et dans le sublime de l'Écriture, et au contraire c'est toujours légèrement qu'il parle des faux Dieux des Égyptiens. J'ai cependant profité de l'observation et supprimé totalement les endroits où il échappait à Moïse de faire quelque mention du culte et des Dieux du Pays. « Il n'est pas moins indécent, à ce qu'on ajoute, de voir représenter Moïse, le plus doux de tous les hommes, vindicatif, amoureux et ambitieux.» Il s'en faut bien que la difficulté de répondre à cette objection soit aussi forte que le reproche. Il est dit en effet que Moïse était le plus doux de tous les hommes erat enim Moïses vir mitissimus. L'Écriture par cet éloge exalte cette modération que Moïse garda dans le murmure élevé contre lui dans sa famille même, et qui cependant n'empêcha pas que Marie sa soeur ne fut frappée d'une lèpre terrible et ecce Maria apparuit candens lepra quasi nix. Ces mouvements d'ambition et de vengeance qui paraissent dans Moïse ne sont en lui que l'effet d'une prudence supérieure et d'une élévation de courage si digne des desseins de Dieu et de l'exécuteur de sa justice. Sans ces deux titres comment concilier en lui avec cet Esprit d'égalité et d'attendrissement qu'on lui donne, les grands exemples que nous avons de sa sévérité, la terre s'ouvre à sa prière et engloutir Coré et ceux de sa faction. Quel ordre sanglant ne donna point Moïse aux enfants de Lévi, et chacun d'eux ne crut-il pas avoir consacré l'épée qu'il enfonça dans le coeur de son fils ou de son frère. Dans quel étrange massacre n'engagea point l'exemple de Phinées, lorsque pour en exécuter les volontés il poignarda Zamri le Chef de la Tribu de Siméon. Mon intention n'a donc point été de faire Moïse ambitieux ou vindicatif. J'en ai ramené le caractère aux traits même dont il avait plu à Dieu de le former selon ses vues. J'ai encore moins songé à le faire amoureux. J'ai senti avant que de commencer ma Pièce de quel inconvénient il serait de donner au Législateur des Juifs le langage et les faiblesses d'un amant, quelque avantage même que je puisse prendre à ce sujet de la révolte de sa famille contre lui à l'occasion de son mariage avec une fille Éthiopienne. Propter uxorem ejus Æthyopissam. « D'ailleurs continuait-on, le songe que vous lui supposez par avance ressemble trop à la vision qu'il eut dans le pays de Madian.» La vision que je donne à Moïse est en effet la même qu'il eut dans le Pays de Madian sur la montagne d'Horeb, je n'ai fait que me servir en cela du privilège de la Poésie. J'ai rapproché les temps et les lieux. Cette supposition n'a rien pris sur le caractère de Moïse ni sur la dignité de l'événement. « On a fini par me mander comment je prétendais accorder le dénouement de ma Pièce avec la fuite de Moïse dans le Pays de Madian après avoir tué quelques Égyptiens pour la défense des Hébreux.» J'ai pris ma réponse dans Josèphe 2 c. 5. Le soupçon que les prêtres Égyptiens donnèrent à Pharaon de l'ambition de Moïse lui fit connaître le danger où il était et le porta en même temps à prendre le parti de la retraite. C'est sur ce passage de Josèphe que j'ai pris les motifs secrets de sa sortie d'Égypte, j'ai cru même devoir sauver à sa gloire le meurtre de l'Égyptien qu'il ensevelit dans le sable, et c'est assez de l'intrigue et du mouvement des ennemis de Moïse, pour donner au vrai dénouement de ma Pièce, le caractère de cette vraisemblance qui est une des plus grandes ressources de l'art et la Rivale même de la vérité. À l'égard de la liberté de traiter les sujets sacrés et d'en exposer les mystères avec attachement aux règles prescrites, j'ai surtout devant moi les exemples de deux de nos poètes que l'on doit regarder comme les plus grandes lumières du Théâtre Français. La grâce elle-même dans la Tragédie de Polyeucte n'agit-elle pas en spectacle pour la conversion de Pauline ? Je vois, je sais, je crois, je suis désabusée, De ce bienheureux sang tu me vois baptisée. Ce n'est point la douleur que par là je fais voir ; C'est la grâce qui parle et non le désespoir. L'Esprit Saint ne parle-t-il pas sur la Scène, dans cette énumération prophétique où Joad s'écrie dans Athalie, Mais d'où vient que mon coeur frémit d'un saint effroi ? Est-ce l'esprit de Dieu qui s'empare de moi ? C'est lui-même, il m'échauffe, il parle, mes yeux s'ouvrent ? Après de pareilles autorités, j'ai estimé pouvoir traduire le Législateur des Juifs sur le Théâtre. Il ne me reste plus qu'à ajouter ici, que toutes les parties essentielles de mon sujet sont tirées de l'Histoire de Josèphe, des Annales de Cedrenus, et de l'Épître de St. Paul aux Hébreux ; que je ne me suis servi même qu'avec circonspection des inductions naturelles des faits et du silence de l'Écriture ; que je n'ai fait que rapprocher sous le même coup d'oeil le gloire de toutes les vertus militaires de Moïse et le merveilleux de la révélation Judaïque, et que, si j'ose le dire, c'est avec quelque sorte de magnificence que j'ai rendu le sacrifice que la foi a fait dans la personne de Moïse, de toutes les richesses et toute la gloire de l'Égypte. MADAME, Je ne puis mettre la Tragédie d'Osarphis sous une protection plus éclatante que celle de Votre Altesse Sérénissime, mais je ne puis aussi lui rien présenter qui soit plus digne d'Elle, qu'un concours d'événements dont l'Esprit Saint lui-même a réglé la disposition. Oui Madame, dans ces grands traits de l'accomplissement du Très-haut, Votre Altesse Sérénissime, adorera le bras qui par tant de ressorts cachés conduit le secret de nos destinées ; et dans l'enchaînement des parties du Poème, aussi bien que dans la préparation de ses incidents, Elle trouvera quelque trace de l'ancien Tragique, qui ne saurait manquer de faire son impression sur Elle, par l'analogie secrète du merveilleux en tout genre avec une âme telle que la sienne, c'est à dire une âme de premier ordre. C'est là, Madame, le principe de cette justesse qui règne dans toutes vos idées ; de ce goût qui se porte rapidement sur toutes choses, et avec une précision aussi juste que si elle était le fruit d'une longue méditation : de là ce feu d'une imagination également brillante et réglée, ces traits de vivacité toujours nouveaux, ces images si riantes et auxquelles pour être sublimes, l'enjouement même ne devient point un obstacle ; de là cet Esprit d'ordre et d'arrangement dans l'exécution des vues les plus vastes ; ces ressources de génie, qui dans les conseils les plus importants naîtraient des difficultés même, et s'entrouvriraient toujours les voies les plus simples. Avec de pareils avantages, et surtout lorsqu'ils se trouvent mêlés à la splendeur du sang, qu'il est beau à votre Altesse Sérénissime, de ne se souvenir de tout ce qu'elle est, et de tout ce qui entre dans la dignité de son caractère, que pour se communiquer aux autres avec plus de bonté, que pour leur aider même à lui plaire, que pour leur rendre doux et léger le joug de la subordination, tourner en sentiments les respects qui lui sont dûs, et ne régner parmi tout ce qui l'approche, que par le charme de l'humeur, et les grâces de l'Esprit ! Que de considérations puissantes pour assurer à votre Altesse Sérénissime, les hommages sincères de tous ceux qui cultivent les Belles Lettres, et dans la profession est de discuter, si j'ose ainsi parler, ces qualités intérieures où Dieu, selon sa parole éternelle, a attaché la principale gloire des filles des Rois. Déjà, Madame, il vous a fait trouver le prix de tant de vertus, dans la personne d'un jeune Prince qui dès sa première campagne est devenu l'amour des Troupes. Elles ont dit de lui devant Kehl, ce qui avait été dit de son Aïeul à Steinkerque : Conti, le magnanime Conti accourut y planter un Drapeau entre le feu de l'ennemi et le nôtre, il se fit longtemps remarquer et presque seul, parmi la foudre et les éclairs, et le soldat alors s'écria, qu'il voyait dans les flammes l'âme du grand Condé. Son petit-fils marche à pas de Géant sur ses traces et lui-même vient de recueillir, dans le Prince qui lui est né, la plus précieuse rétribution que le Ciel puisse accorder à une race auguste et belliqueuse. Au reste, Madame, de quel heureux présage ne doit point être pour moi cette conformité qui se trouve entre la destinée de ma Pièce et celle de son Héros ? Une Princesse du sang des Sésostris l'a sauvé des périls où venait de l'exposer la proscription générale de tous ceux de son âge : ce même Enfant vient en quelque sorte se reproduire aux pieds de votre Altesse Sérénissime, et son salut ne dépend que de ses augustes regards ; puisse-t-elle en jeter de favorables, sur le berceau où il est renfermé et qui le tient encore flottant parmi les Roseaux du Nil ! Je suis avec tout le respect et toute la soumission que je dois, MADAME, de V. A. Sérénissime, Le très humble, et très obéissant Serviteur, l'Abbé Nadal. ACTEURS MOÏSE, sous le nom d'Osarphis, fils de Jocabel et cru fils de Thermutis Reine d'Égypte. AMÉNOPHIS, Roi d'Égypte, frère de Thermutis qui avait usurpé la Couronne sur lui. JOCABEL, Mère de Moïse, autrement, d'Osarphis. THARBIS, Reine de Sepa et Amante d'Aménophis. AARON, autre fils de Jocabel et frère d'Osarphis. PHANÉS, grand Prêtre d'Osiris. ISÉRIDE, Confidente de Jocabel. ISMÈNE, Confidente de Tharbis. ASAPH, Confident d'Osarphis. GARDES. La scène est à Memphis, dans le Palais des anciens Rois d'Égypte. ACTE I SCÈNE PREMIRE. Aménophis, Phanés. AMÉNOPHIS. Je te cherchais, Phanés. Oui, c'est dans ce grand jour Que tu dois me montrer ton zèle et ton amour. Tu sais que Pharaon m'a donné la naissance, Et qu'une injuste soeur ravit à mon enfance Le Sceptre qu'après elle et l'armée et Memphis Contre les droits du sang vont remettre à son fils. Il arrive. La paix vient d'être déclarée Et c'est par cette paix entre vingt Rois jurée, Que retenant Tharbis sous un joug inhumain D'indignes alliés disposent de sa main. PHANÈS. Je sais que par son père en ces lieux amenéeAu lit d'Aménophis, Tharbis fut destinée. Héritière d'un Sceptre et fille de nos Rois, Elle y portait pour dot et leur gloire et ses droits. Tout semblait vous promettre et l'un et l'autre Empire : Mais les temps sont changés, et si j'ose le dire, Les exploits d'Osarphis ont séduit les esprits Et du trône en effet vous disputent le prix. AMÉNOPHIS. Comblé de tous les voeux que sa victoire entraîne, La fortune entre nous peut-elle être incertaine ? Osarphis triomphant va l'emporter sur moi Et le Peuple à genoux en recevra la loi ; Par combien de faveurs l'une à l'autre enchaînées Le sort... PHANÈS. Ce grand jour doit fixer ses destinées. Ma voix même parmi des honneurs éclatants Doit le proclamer Roi : mais c'est où je l'attends. AMÉNOPHIS. Quoi lui-même aujourd'hui trouverait des obstacles ? PHANÈS. Rappelez-vous, Seigneur, cet avis des oracles Par qui de tant d'horreurs tout le peuple surpris Remplit Memphis de trouble et le Ciel de ses cris. Tremble, Égypte, un enfant va naître :De tes Rois l'ennemi fatal : Du vil sang d'un esclave, on te suscite un maître. Entre tes Dieux et toi l'effroi doit être égal ; Songe à le découvrir et crains de le connaître. AMÉNOPHIS. Ô Ciel ! Un reste impur de ce sang odieux Menacerait encor et l'Empire et nos Dieux ? Cet arrêt si sanglant que donnèrent nos Pères, Loin d'en borner le cours accroîtrait nos misères ? Et ce fatal enfant à leurs coups échappé... PHANÈS. N'en doutez point, Seigneur, cet espoir fut trompé Et l'Égypte a perdu le fruit de ses vengeances. Je ne sais quel démon, quelles intelligences Au destin d'Israël ont prêté leur appui ; Mais quant à cet Hébreu qu'on nous cache aujourd'hui, En vain sur ses Tribus mon soupçon se promène, Toujours au même objet ma terreur me ramène. Du Superbe Osarphis l'ami, le compagnon Et de tous ses conseils l'âme... AMÉNOPHIS. Qu'entends-je ? Aron ? Lui cet enfant ? PHANÈS. Autant que ce soupçon m'éclaire, Non, je ne le vois point comme un homme ordinaire : Je ne sais quel orgueil se mêle à sa vertu ; Les malheurs d'Israël ne l'ont point abattu. AMÉNOPHIS. Oui, Phanés, ta querelle à la mienne est pareille. Un Hébreu d'Osarphis aura lui seul l'oreille, Tandis qu'ici prêtant ta voix aux immortels, On t'ose reléguer aux pieds de leurs Autels ? PHANÈS. C'est dans ce jour aussi, qu'avec la voix publique Sur tant de droits sacrés il faut que je m'explique. C'est par là que j'arrête Osarphis aujourd'hui. Je vais mettre les Dieux entre le Trône et lui. Il faut, pour parvenir au dessein qui l'anime ; Qu'il me livre aujourd'hui cette grande victime. Qu'un sang pour lui si cher par mes mains répandu Ait arrosé l'Autel où je suis attendu. AMÉNOPHIS. Ah ! Je n'en doute point. Eux-mêmes dans ton âme Ces Dieux versent pour moi le courroux qui l'enflamme ; Et par là garanti d'un pouvoir inhumain À cet auguste effort, je reconnais leur main. Je vois que ton devoir s'accorde avec ton zèle. Mais Jocabel paraît, je te laisse avec elle, Songe que tout dépend du succès de tes soins. PHANÈS. Allez, Seigneur, allez, bientôt je vous rejoins. SCÈNE II. Jocabel, Phanés, Iséride. PHANÈS. L'enfance d'Osarphis par vos soins élevée À d'illustres destins paraissait réservée ; Mais sa valeur nous tient plus qu'elle n'a promis. L'Égypte devient libre et n'a plus d'ennemis. Ces monstres dont le Nil vit couvrir ses rivages. Domptés par son adresse, ont cessé leurs ravages. Si lui-même du sort subissant la rigueur Le trépas de la Reine a troublé son grand coeur, La Douleur d'une mort qui suivit sa victoire Se tait dans son triomphe et se perd dans sa gloire. JOCABEL. D'un Dieu qui nous éprouve et ne fait rien en vain, Dites plutôt, Seigneur, qu'il respecte la main. De puis qu'à son berceau par la Reine attachée J'ai vu sur ses destins sa tendresse épanchée, Ce fils à son amour toujours si précieux Était entre ses mains comme un dépôt des Cieux Qui de la terre un jour par ses soins gouvernée Devait avec éclat régler la destinée. Le Ciel d'affreux périls prompt à le préserver, S'il prépara sa gloire est prêt à l'achever. PHANÈS. Bientôt dans ce Palais, Madame, il va paraître. Le Peuple pour son Roi prêt à le reconnaître Va voir et son salut et sa gloire en ses mains ; Mais lui-même en doit compte au reste des humains. C'est à lui de remplir un espoir légitime : Pour affermir l'État s'il faut une victime, Quelque effort qu'il en coûte à son coeur combattu, L'Égypte, l'Univers l'attends de sa vertu. Honoré dans ces lieux du sacré Ministère, J'oserai lui donner un conseil salutaire. Il doit le suivre, et moi pour m'en acquitter mieux Je vais sur leurs Autels interroger les Dieux. SCÈNE III. Jocabel, Iséride. JOCABEL. Iséride, pour nous dans ce climat barbare, Tu crois donc que du Ciel la faveur se déclare : Qu'à ses exploits brillants, je puisse me flatter ? Qu'au Trône de l'Égypte, Osarphis va monter. Non, tu n'ignores point quel trait dans son bas âge D'un sort bien différent nous forma le présage. Le Roi dans des transports qu'il ne comprenait pas Admirait son enfance, il le prit dans mes bras, Le baigna de ses pleurs, et de sa main lui-même Sur son front faible encor posa le Diadème. Sans doute de mon fils, Dieu conduisait l'esprit. Tout à coup enflammé de honte et de dépit Et tournant ses regards vers le séjour céleste, On lui vit arracher cet ornement funeste, Le fouler à ses pieds, et dans l'âme du Roi Jeter subitement et le trouble et l'effroi. Mais toi-même tantôt n'as-tu pas dû comprendre Ce que Phanés ici m'a voulu faire entendre ? La nature et le sang prompts à se révolter M'apprennent qu'un orage est tout prêt d'éclater. De ce fils aujourd'hui toi seule as connaissance, C'est toi-même... ISÉRIDE. Je sais qu'il vous doit sa naissance ; Que des flots en courroux Moïse préservé Sous le nom d'Osarphis alors fut élevé Et que de Pharaon la vertueuse fille Comme un enfant divin l'admit dans sa famille. Tout le favorisait, veuve de Thermestris, Au berceau même alors elle perdit un fils ; Et dans l'espoir secret d'adoucir sa disgrâce Osa substituer Osarphis à sa place. Plus éblouie encor de ses derniers exploits Memphis croit voir en lui le pur sang de ses Rois. Aron est de retour, vous l'avez vu, Madame, C'est à ce fils si cher qu'il faut ouvrir votre âme. Il peut seul en ces lieux dissiper votre effroi ; Mais surtout montrez-lui son frère dans son Roi. JOCABEL. Il n'est pas temps encor et sur sa destinée Iséride, le Ciel tient ma langue enchaînée. Aron sait seulement par des rapports confus Qu'Osarphis est Hébreu ; mais ne sait rien de plus ; Son père sur le reste attentif à se taire Ose lui révéler la moitié du mystère ; S'appuya dans sa foi des motifs les plus saints, Et Zaram de son Dieu crut servir les desseins. ISÉRIDE. Ah ! S'il faut avec vous bannir toutes contraintes Quel temps choisissez-vous, Madame, pour vos plaintes ? Qu'est-ce qu'en vous déjà la foi n'a point osé ? Sur le Nil par vous-même un fils fut exposé... SCÈNE IV. Jocabel, Aaron, Iséride. JOCABEL. Hé bien Aron ? Memphis s'apprête à voir son Maître ? AARON. Ses drapeaux ont paru, Madame ; le Grand-Prêtre Se dispose à venir recevoir ses serments, Et fera bientôt place à vos embrassements. JOCABEL. Et comment, ô mon Fils ? Avec tant de miracles Du Père d'Israël accorder les oracles ? Sur ce qu'il a prédit est-ce donc à Memphis Qu'il faut chercher la gloire annoncée à ses Fils, Et que de nos Tribus aux travaux condamnées, Se doivent accomplir les hautes destinées ? Memphis, quoi que nous offre un jour si solennel, N'est pour nous que le lieu d'un exil éternel. Aux progrès d'Osarphis, Ciel ! Puis-je reconnaître Ces augustes desseins pour qui tu l'as fait naître ? À ces honneurs promis, ouvrage de tes mains, Un triomphe profane ouvre-t-il les chemins ? Je sens à tant de gloire accroître mes alarmes ; J'arrose malgré moi ses lauriers de mes larmes ; Et quel que soit l'espoir dont vos voeux soient flattés, Je crains bien moins nos maux que ses prospérités. AARON. Quoi, Madame, aujourd'hui votre foi s'intimide Dans ces mêmes sentiers où son zèle vous guide ; Et ne sentez-vous pas par quels enchaînements Dieu conduit à leur fin ces grands événements ? Les moyens qu'il emploie ont des faces diverses. Tout nous mène à son but, la gloire et les traverses. Hé, quoi ? De la promesse est-il quelque garant Plus sûr que le destin d'un jeune Conquérant D'un Hébreu notre espoir, notre unique défense ? L'Éternel à vos soins confia son enfance. Si depuis qu'en vos mains on remit ce trésor, Le Ciel n'a pas voulu lui révéler encor Le secret de sa gloire et de sa destinée, Peut-être touchons-nous à l'heureuse journée Où des desseins d'un Dieu va s'accomplir le cours. Vous savez à quel point frappé de nos discours, Osarphis, de ce Dieu se retraçant l'Histoire, En admire en secret la puissance et la gloire Sans en vouloir percer les augustes secrets, Laissez-lui le fardeau de ces grands intérêts. Contemplez quel triomphe est le prix de vos veilles, Madame, et jusqu'ici par combien de merveilles, Par quels degrés au Trône il conduisit Osarphis. De Thermutis, enfin l'Égypte le croit Fils, Et cette grande Reine au moment qu'elle expire L'affermit dans ses droits, seul l'appelle à l'Empire, Le confie à ses Dieux, les ombres de la mort Tiennent enseveli le secret de son sort. JOCABEL. Encor tout déchiré d'un barbare spectacle, Mon coeur se calme peu sur ce fatal Oracle, Dont le bruit nous coûta tant de sang et de pleurs. AARON. Je sais qu'enveloppé dans de cruels malheurs, Un Frère à peine ouvrant les yeux à la lumière, A péri sous l'effort d'une main meurtrière. Sans cet Oracle, hélas ! Cet enfant aujourd'hui Serait de sa famille et l'honneur et l'appui. JOCABEL. Et se peut-il qu'aux yeux d'une odieuse Race, Un Dieu de ses décrets laisse voir quelque trace ? À des Prêtres impurs et par lui rejetés, Accorde-t-il le don des célestes clartés ? J'ai cru qu'avec l'espoir de leur saint héritage, Des enfants de Jacob c'était là le partage. AARON. Ne portons point si haut nos regards curieux. Des décrets du Seigneur l'ordre échappe à nos yeux. Dès que l'esprit humain ose en demander compte : Qu'un orgueil inquiet jusques-là nous surmonte, L'homme reçoit le prix de son effort altier, Et sorti du néant, y rentre tout entier. JOCABEL. À vos conseils, mon Fils, c'est à moi de me rendre. Mais du Peuple en ces lieux, quels cris se font entendre ? AARON. C'est Osarphis, bientôt dissipant votre ennui... JOCABEL, à part. Juste Ciel ! Tout mon sang se trouble devant lui. SCÈNE V. Jocabel, Osarphis, Aaron, Iséride, suite d'Osarphis. OSARPHIS, après avoir fait signe à ceux de sa suite de se retirer. C'est vous, c'est Jocabel ! Dans ma douleur amère Le Ciel plus doux pour moi me rend une autre mère. Si Thermutis n'est plus, du moins dans mes douleurs, Qui lui ferma les yeux peut essuyer mes pleurs. JOCABEL. Dans ce cruel devoir que j'ai versé de larmes ! Par vos vertus, Seigneur, j'ai conçu vos alarmes. Je sais en de tels coups tout ce que l'on ressent, Et ce qu'éprouve alors un coeur reconnaissant. OSARPHIS. Sa mort m'a dérobé le fruit de ma victoire. Le Ciel n'a pas voulu dans le cours de ma gloire Que des Peuples vaincus, des Rois humiliés, Je puisse déposer la dépouille à ses pieds. Mais je puis m'acquitter d'un respect légitime. De la Reine pour vous je sais la haute estime, Et rendre à vos vertus leur véritable prix, C'est honorer sa cendre et calmer mes esprits. JOCABEL. Ah ! Seigneur, les grandeurs que le Ciel vous dispense, Vos triomphes, ses dons, voilà ma récompense. Et quel objet pour moi plus doux, plus glorieux Pourriez-vous en effet présenter à mes yeux ? S'il est quelque autre voeu qu'au Ciel mon âme adresse, Vivez, honorez-moi d'une égale tendresse ; Contente pour tout bien de rappeler le cours Des soins que m'a coûté le salut de vos jours, Laissez en liberté ma joie et mes alarmes, Et souffrez mes conseils, et quelquefois mes larmes. OSARPHIS. Ah ! Des transports si chers, ces pleurs versés pour moi, Vos conseils, sont autant de gages de ma foi. Je ne sais... mais les soins d'une amitié si pure Usurpent dans mon coeur les droits de la nature ; Et l'honneur qui m'attend ne saurait me flatter Qu'autant que ma tendresse en peut mieux éclater. AARON. Dans ce nouveau degré de gloire et de puissance Portez ailleurs, Seigneur, votre reconnaissance. Parmi tant de hasards et de périls pressants, Eh ! Qu'auraient fait pour vous nos secours impuissants ! Ce n'est point au combat vos troupes animées, Ni vos propres efforts, c'est le Dieu des Armées, Le Souverain des Rois, le seul être immortel, C'est le Dieu des Hébreux, celui de Jocabel, À qui doit Osarphis, sa gloire et sa défense : Vos conquêtes, Seigneur, annonçaient sa puissance, Par lui les Nations ont péri sous vos coups : Vous serviez ses desseins, il combattait pour vous. OSARPHIS. Aron, qu'osez-vous dire ? AARON. Ah ! Sur ce grand mystère, Si Jocabel et moi nous avons su nous taire, Si jusqu'à vous encor il ne s'est point transmis ; Sur nos lèvres, Seigneur, le doigt d'un Dieu fut mis ; Et cette vérité dont votre âme s'étonne Pour se faire écouter vous attendait au Trône. Et vous parlant du ton dont elle parle aux Rois, Va dans un si beau jour reprendre tous ses droits. OSARPHIS. Du culte d'Israël j'ai percé les mystères. Je sais de votre Dieu tout ce qu'on dit vos Pères ; Que dans les temps marqués dans ses décrets divers, Un seul mot de sa bouche enfanta l'Univers ; Fit mouvoir à son gré sa puissance secrète ; Que la terre, dit-il, se fasse, elle fut faite. Le jour perça la nuit. Adoré des humains, L'Astre qui luit sur nous fut un jeu de ses mains ; Sa voix forma des cieux l'éternelle structure, Et du sein du néant fit sortir la nature. Mais de pareils discours demandent d'autres temps : Aron vous aura dit quels exploits éclatants, Déjà m'avaient soumis toute l'Éthiopie, Sous quels débris sa gloire était ensevelie. Seba de tant d'efforts le redoutable écueil, Où des Rois mes aïeux s'alla briser l'orgueil, Seul espoir de Tharbis s'est rendue à mes armes, Prémices d'une paix qui finit tant d'alarmes. Son hymen doit bientôt en serrer les liens : Je l'épouse, et le Ciel joint ses États aux miens ; Elle arrive en ces lieux et dans vos mains remise... JOCABEL. Aux voeux d'Aménophis depuis longtemps promise, Au joug d'un autre hymen croit-on la disposer ? OSARPHIS. Sur la foi des traités on peut s'en reposer. Dans votre appartement il est temps de vous rendre. Chargez-vous des honneurs qu'elle a droit de prétendre. Et moi suivi d'Aron, je vais dans cet instant Me présenter aux yeux d'une Cour qui m'attend. Heureux si déplorant le trépas d'une mère Je répands ma douleur dans les bras de son frère ? JOCABEL. Ah ! Craignez bien plutôt que ses prétentions Ne replongent l'Égypte en ses dissensions : Qu'appuyé de Phanés son aveugle imprudence N'écoute trop un sang né pour l'indépendance. OSARPHIS. S'il croit avoir pour lui l'avantage des Lois, L'Égypte en moi du moins voit le Fils de ses Rois : C'est peu que de leur Trône excitant mon audace, L'Ombre de Thermutis y marque encor ma place, Fier du débris pompeux de cent murs abattus Un grand coeur peut compter ses droits par ses vertus. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Tharbis, Ismène. THARBIS. C'est ici le Palais où je fus amenée, Où dans le doux espoir d'un auguste Hyménée, D'une pompeuse Cour j'attachais tous les yeux. Déjà l'Égypte entière en rendait grâce aux Dieux ; Mais chère Ismène, hélas ! La fortune contraire M'enleva tout à coup cet espoir et mon père ; Son trépas imprévu changea tous les traités, Et les troubles derniers en furent excités. ISMÈNE. Dans ce même Palais, ainsi donc la fortune Jette encore à vos pieds une foule importune ? Le Ciel vous y destine aux honneurs souverains ; Il vous unit au sort du plus grand des humains, Par vous cent Rois vaincus sortent de l'esclavage, D'une éternelle Paix vous devenez le gage, Lorsque de Thermutis en épousant le Fils... THARBIS. Tu ne me parles point encor d'Aménophis. À l'offre de sa main crois-tu que destinée, On dispose de moi quand je me suis donnée ; Que bravant leur pouvoir tant de fois attesté, Je démente les Dieux qui me l'ont présenté ? Me voici dans Memphis : j'ignore encore Ismène Ce qu'y prétend de moi le Destin qui m'amène ; Mais du moins ne crois pas que mon coeur combattu Jusqu'à trahir ma gloire abaisse ma vertu. Quelques maux que souvent un noble orgueil s'apprête, On ne m'obtiendra point à titre de conquête. Je saurai m'affranchir d'un injuste pouvoir, Et ne connaître ici de loi que mon devoir. Ne crois pas toutefois qu'un aveugle caprice Aux exploits d'Osarphis fasse quelque injustice ; Que mes ressentiments règnent assez sur moi Pour ne lui rendre pas tout ce que je lui dois. Toi-même juge mieux du transport qui m'anime. La haine en moi pour lui n'ôte rien à l'estime. Cette même fierté, pour te dire encor plus, S'applaudit de sa gloire, et croît par ses vertus. ISMÈNE. À l'hymen d'Osarphis par le sort réservée, Songez que sur ses pas dans Memphis arrivée, Le Héros doit bientôt vous conduire à l'Autel. Qu'attendez-vous ? Du moins passez chez Jocabel. THARBIS. J'y consens ; mais en vain tout fléchit devant elle, Ne crois pas qu'en ces lieux soumise à sa tutelle, J'aille lui déférer par delà mon devoir. SCÈNE II. Tharbis, Osarphis, Ismène. OSARPHIS. Un Peuple impatient brûle de vos revoir, Madame, et son amour vous place au rang suprême : Mais je ne veux devoir votre main qu'à vous-même. Ainsi que dans Seba, maîtresse dans Memphis, C'est à vous d'ordonner du destin d'Osarphis. THARBIS. De tels discours, Seigneur, ont droit de me surprendre. Par tout ce que je vois j'ai peine à les comprendre.Le sort qui sur vos jours jette un nouvel éclat, Ne me livre en ces lieux qu'en victime d'État. Du Fils de Thermutis je sais quelle est la gloire. Mais eût-il à son char enchaîné la victoire, Cette gloire pour moi n'est qu'un titre odieux S'il ne faut consulter ni Tharbis, ni les Dieux. OSARPHIS. Madame, à votre hymen le Ciel vient de souscrire. C'est lui seul qui vous ouvre un chemin à l'Empire, Et vous devez laisser aux vulgaires Amants Le soin de consulter ces secrets sentiments, Ces penchants dont souvent le retour est funeste. Le destin nous unit : la vertu fait le reste. THARBIS. Et c'est cette vertu qui dans les changements D'un coeur tel que le mien règle les mouvements ; Qui dans le triste état où le Destin me livre, Seule me prescrira les lois que je dois suivre. Si ma main tient sa place entre vos intérêts, C'est un don de ce coeur et non point de la paix : Je compte en rougissant tout ce qu'on en raconte, Et de mes sentiments s'il faut vous rendre compte, S'il faut me déclarer, je dépends de ma foi, Aucun respect forcé ne peut agir sur moi. Mon devoir m'est prescrit et ma gloire m'est chère, Toujours devant les yeux j'ai les conseils d'un père, Tous les droits de son sang qui m'étaient confiés, J'ai son ombre, ses Dieux : voilà mes alliés. Elle sort. OSARPHIS. C'est de ce même orgueil qu'excite la naissance, Que j'espère... SCÈNE III. Osarphis, Ismène, Asaph. ASAPH. Seigneur, le Grand-Prêtre s'avance, Devant lui d'Osiris marche l'auguste Loi. Tout un Peuple le suit et demande son Roi. C'en est fait, vous montez au trône de vos Pères. OSARPHIS. Si j'en recueille, Asaph, des dépouilles si chères, C'est pour mieux affermir et leur sang et leurs droits. ASAPH. Seigneur, voici Phanés. SCÈNE IV. Osarphis, Phanés, Asaph, Assistants de la Cérémonie. PHANÈS. Digne Fils de nos Rois La mort de Thermutis, et nos Lois souveraines De ses vastes États, te remettent les Rênes. Mais de la Royauté quand on ceint le Bandeau, Autant que sa splendeur connais-tu son fardeau ? Ne crois pas qu'abusés du pouvoir qu'elle donne, Tous les coeurs à l'envi volent autour du Trône, Ni que le Ciel au Sceptre attache un bien si doux, C'est souvent un présent que nous fait son courroux. À ce superbe joug mesure au moins tes forces. La Couronne n'a plus de puissantes amorces, Pour qui de mille soins justement combattu, Veut autant que ses droits consulter sa vertu. Je vais te revêtir de la grandeur suprême. Maître d'un Peuple entier, deviens-le de toi-même. Songe que l'équité doit régler mes conseils ; Qu'entre ton peuple et toi les devoirs sont pareils ; Que le Ciel vous a fait dépendre l'un de l'autre. Ta puissance te lie, et ton droit est le nôtre, Et cet ordre sacré d'une immuable loi, Ne peut agir sur nous, s'il ne règne sur toi. Il doit te rendre tel que l'Égypte l'espère. Tu n'en es point le Roi, si tu n'en es le père, Et pour en réunir les titres glorieux, Tiens à nous d'une main et de l'autre à nos Dieux. Voilà le Livre saint, c'est la Loi de l'Empire, Où de ces mêmes Dieux la Majesté respire, Où leur esprit repose et se plaît d'habiter, Jure-moi d'y souscrire et de l'exécuter. OSARPHIS. Oui, par le Ciel auteur de nos destins prospères, J'espère d'obéir à la Loi de mes Pères : Je sais que le premier je dois m'y conformer. PHANÈS. Selon l'usage au Temple il faut le proclamer. Mais pour le faire encor sous de plus saints auspices ; Pour rendre à tes projets les Dieux toujours propices, Daigne entendre nos cris ; un Hébreu dans ces murs, Enfant d'un Peuple vil, et d'esclaves obscurs, Y doit de sa valeur consacrer la mémoire, Et de sa Nation y relever la gloire, Humilier l'Égypte, et par de grands exploits Marcher impunément sur la tête des Rois : Avec lui de son Dieu, tel fut, dit-on, le pacte. Ordonne qu'on en fasse une recherche exacte, Que ses jours immolés dissipent notre effroi. Voilà ce que ton peuple exige encor de toi. Par ce sanglant tribut viens confirmer ta gloire, Et satisfaire aux Dieux auteurs de ta victoire. OSARPHIS. Je sais que sur la foi des Prêtres d'Osiris, D'une vaine frayeur Pharaon fut surpris. Une sanglante loi par lui-même ordonnée, De tout Hébreu naissant tranchait la destinée, Et tel, dont la pitié l'eut soustrait à la mort, Sur lui, sur tous les siens en détournait le sort. Le Nil vit en courroux dans ses flots moins perfides, Les Pères et leurs Fils devenir homicides ; Une Mère éperdue à ces objets nouveaux, D'une tremblante main les plonger dans les eaux. Un Peuple tout entier cédait à sa disgrâce. Et c'était en effet en éteindre la race, Si bientôt Pharaon rejetant ses terreurs, N'eut lui-même arrêté le cours de tant d'horreurs. Et qu'a fait Israël à ses superbes Maîtres ? Ne se souvient-on plus de l'un de se ses ancêtres, Que jadis parmi nous le sort avait jeté Entre Hébron et Sichem jeune esclave acheté ? Que ne peut la vertu dans le coeur qu'elle inspire ? Il approcha vos Rois, il gouverna l'Empire, D'une longue famine il détourna le cours. Hé, quel fut pour les siens le prix de ses secours ? On n'a point encor mis de bornes à leurs peines. L'injuste autorité les accabla de chaînes, Elle aigrit leur misère, à des tourments nouveaux Ajouta le mépris pire que les travaux. Mais dans leurs maux toujours quelque espoir se retrouve, Et tout semble servir un Dieu qui les éprouve : Sans que la main qui tient chacun d'eux abattu, Tente leur patience ou lasse leur vertu. PHANÈS. Toi-même contre toi quelle pitié t'inspire ? Parmi ce peuple enfin ton ennemi respire. À l'ombre de ce Trône en secret élevé, C'est peut-être en ton sein que tu l'as conservé. OSARPHIS. Le Dieu du Ciel, ce Dieu qui marche sur les nues Ouvre à tous ses conseils des routes inconnues. Dès qu'il voudra sauver cet Hébreu du trépas, Par quels efforts, comment l'arracher de ses bras ? Le Ciel d'ailleurs veut-il de pareils sacrifices ? Quoi, de mon règne ici, ce seraient les prémices : Sur la foi d'un Oracle ardent à m'engager Dans le sang innocent je pourrais me plonger ? PHANÈS. Des Dieux dans leurs décrets respecte la colère. Garde-toi de vouloir en percer le mystère. Songe, dans le pouvoir dont ils t'ont revêtu, Que le crime les sert autant que la vertu. OSARPHIS. Ne sonde point ici la Sagesse éternelle, Et d'accord avec toi, si ce n'est avec elle, Ministre des Autels, c'est à toi de savoir Qu'elle est de tes pareils la gloire et le devoir. Ce n'est point sur leurs pas que l'orage doit naître, À l'esprit seul de paix ils se font reconnaître ; Un zèle toujours pur animant leurs projets, Donne aux Rois des leçons et l'exemple aux Sujets. De tes desseins, crois-moi ; j'entrevois le mystère, Et quant à cet avis que tu crois salutaire, Sans en faire l'objet d'un plus long entretien, Je ferai mon devoir ; songe à remplir le tien. PHANÈS. Ah ! Je saurai du moins prévenir ta vengeance. SCÈNE V. Aménophis, Phanés. PHANÈS. Oui, Prince, tout dépend de notre intelligence ; Et sans doute Osarphis prêt à nous soupçonner, À quelque coup d'éclat peut se déterminer. Vous savez de quel oeil lui-même il envisage Cet avis de nos Dieux, ce terrible présage... AMÉNOPHIS. Je respire, Phanés. Ton zèle et tes secours Sauront de mes malheurs interrompre le cours. Ah ! Sans prendre pour lois son rang ni son audace Va de l'Oracle au peuple annoncer la menace. Le peuple en son effroi ne connaît plus de frein : De l'injuste Osarphis peins-lui le coeur d'airain, Ose-lui donner même une âme Israélite. Et moi de mes amis j'assemblerai l'élite. Du moins je puis au nombre opposer la vertu. L'espoir dans un grand coeur ne peut être abattu, Et ces extrémités dont tu me peins l'image, Avec elles toujours portent leur avantage. Non, qu'en aveugle ici je cherche à m'exposer ; Mais on peut tout, Phanés, quand on peur tout oser. PHANÈS. Le succès ne dépend que de votre prudence... Vous connaissez la cour, combien sa dépendance... AMÉNOPHIS. De l'orgueil d'Osarphis déjà la Cour se plaint. Autant qu'elle l'admire, autant elle le craint. Trop de gloire lui pèse, et lassant son hommage D'un pouvoir tyrannique offre à ses yeux l'image. Que sais-je ? Sous ce joug qu'elle porte à regret Peut-être mon malheur l'attendrit en secret. Tout doit favoriser le zèle qui le presse. PHANÈS. Le Ciel vous assura des voeux de la Princesse : Moi-même ici pour vous j'en reçus les serments : On sait quel noble orgueil entre ses sentiments, Quelles hautes vertus Tharbis eut en partage, Elle est chez Jocabel, sans tarder davantage, Seigneur, il faut le voir. AMÉNOPHIS. Oserais-je penser Qu'entre le Trône et moi son coeur pût balancer ? PHANÈS. N'en doutez point, fidèle à sa première flamme... Mais la voici, Seigneur, je vous laisse. SCÈNE VI. Tharbis, Aménophis. AMÉNOPHIS. Ah ! Madame, Quel que soit le traité qui vous offre en ces lieux, Je ne puis vous y voir sans rendre grâce aux Dieux. Mes pleurs, mon désespoir, mes regrets, mes alarmes Dans ce moment tout cède au pouvoir de vos charmes : J'en oppose l'aspect au destin irrité. Mais, hélas ! Jocabel a-t-elle mérité D'être de vos projets seule dépositaire ? Cet hymen que rompit la mort de votre Père, Ne vous a-t-il de moi laissé nul souvenir ? De mes propres malheurs venez-vous me punir ? L'excès de mon bonheur excita seul l'orage. Mes cruels ennemis en prirent trop d'ombrage : Au bruit de cet hymen on les vit éperdus, Ils craignirent vos droits dans les miens confondus ; Ah ! De quels déplaisirs j'ai senti les atteintes ! Ce Palais doit encor retentir de mes plaintes. Aux Autels de nos Dieux mes cris furent portés : J'implorai leur justice et l'honneur des traités ; J'osai semer le trouble et crus dans ma disgrâce Pouvoir de mes amis intéresser l'audace. Mais je fus jusques-là persécuté du sort, Qu'on ne me permit point d'aller chercher la mort, Ni de remettre un coeur dans les bras de la gloire Plein de mon désespoir et de votre mémoire. THARBIS. Prince, rassurez-vous. Je n'ai point oublié Par quels serments mon coeur au vôtre était lié. Les Dieux dans mon malheur soutiennent mon courage, Et pour les conjurer d'achever leur ouvrage, De joindre nos destins par des noeuds immortels, Tharbis allait au Temple embrasser leur Autels. Je n'aurai point en vain imploré leur puissance ; Ils m'ont déjà rendu le prix de ma constance. Je vous revois, Seigneur, et moi-même je puis Exposer devant vous ma flamme et mes ennuis. L'un de l'autre écartés, combien dans mes alarmes Vos desseins, vos périls m'ont arraché de larmes ! Si c'est par les tourments que se maintient la foi, Nos devoirs sont remplis. Contre vous, contre moi J'ai vu par des succès qu'à peine on pourrait croire, S'élever l'injustice et même la victoire. J'ai vu l'Éthiopie et ses Rois réunis, Esclaves en secret du fils de Thermutis, Et toujours à son gré terminant leur querelle, N'en assurer pour moi qu'une paix plus cruelle : On m'en fait la victime ; un pouvoir souverain Comme de mes États dispose de ma main. Par mon Père, Seigneur, elle vous fut promise. D'un Héros tel que lui la gloire en moi transmise, Rendant d'un sang si cher les noeuds encor plus saints, Comme aux Arrêts des dieux m'attache à ses desseins : Que le succès en soit favorable ou funeste, Je les suivrai, Seigneur, et vous charge du reste. AMÉNOPHIS. Ah ! Vos moindres désirs sont des ordres sacrés, Madame, et c'est assez qu'ils me soient déclarés. Ils m'ouvrent vers la gloire une route éclatante. Commandez, et je vais répondre à votre attente. Ou par un beau trépas terminant mes malheurs, Au prix de tout mon sang justifier vos pleurs. Mais, que dis-je, à travers tant d'injustes querelles, Au sang de Sésostris des coeurs encor fidèles, Sauront, n'en doutez point, seconder votre foi. Mes droits vous sont connus, et Phanés est pour moi. Ministre de nos Dieux, il approuve ma flamme. Vous vous rendez au Temple, il y sera, Madame, Et le peuple appelé doit l'y suivre à grands flots. Non, que Phanés se prête à d'injustes complots. Un plus noble motif le conduit et l'inspire. Il s'agit du salut des Dieux et de l'Empire, De ce grand jour enfin quels que soient les apprêts... THARBIS. Écoutez-moi, Seigneur, vous agirez après. Vous suivrez les transports de cette illustre haine. Dans les murs de Memphis le destin me ramène, J'y suis, tous vos malheurs, l'état où je vous vois Sont les titres sacrés, les garants de ma foi. La piété, l'amour, mon devoir et ma gloire, Tout parle ici pour vous, et vous devez m'en croire. Mais de mon sort aussi, l'ascendant inhumain En vous donnant mon coeur suspend encor ma main. Il est vrai que Tharbis, quoi que la paix ordonne, Ne pouvant être à vous ne doit être à personne. Mais il vous faut régner, et le Trône est l'Autel Où je puis confirmer cet amour immortel, Autorisez la foi que je vous ai donnée, L'Amour seul peut lutter contre la Destinée. Et le Trône aux grands coeurs de si beaux feux épris, Doit en être l'objet, s'il n'en est pas le prix ? Aux yeux de l'Univers lui seul me justifie : Irais-je en ses projets troublant l'Éthiopie, Pour fruit de tant d'efforts, vil spectacle aux humains, Sans Sceptre et sans États me remettre en vos mains ? Cet Empire jaloux de sa première gloire, Des Héros de ma race aime encor la mémoire, Sur son Trône affermi par leurs bras redoutés, Me verrait avec joie assise à vos côtés. Osez tout pour fixer son bonheur et le nôtre : Allez, poursuivre l'un, je vous réponds de l'autre. Où ce coeur par ma main percé de mille coups, Prononcera bientôt entre Osarphis et vous. SCÈNE VII. AMÉNOPHIS, seul. Ah ! D'un zèle si beau je dois du moins l'exemple. Allons... SCÈNE VI.I. Aménophis, Phanés. PHANÈS. Prince, venez, et rendez-vous au Temple. Venez, j'ai différé d'y proclamer le Roi ; Et du pied des Autels ému d'un saint effroi, Au Peuple qui du Temple inonde les portiques, J'ai rendu les secrets de nos fastes antiques ; Dit que prêt à subir le joug d'un Étranger,Le culte d'Osiris, l'Empire est en danger. Le Peuple que saisit un effroi légitime Aussitôt à grands cris demande la Victime, Dans ses voeux réunis il veut le sang d'Aron, Le nomme ; mais, Seigneur, l'Autel tremble à ce nom. Du fond du Sanctuaire il sort des cris funèbres. Le Ciel gronde, le jour se couvre de ténèbres. L'air s'allume d'éclairs. Du Nil en ce moment Les flots ont répondu un mugissement, Et livrant nos esprits à des terreurs plus grandes, Les Dieux épouvantés rejettent les offrandes. Pour implorer moi-même, et hâter vos secours, Des mystères sacrés j'ai suspendu le cours : Je ne sais ; mais mon âme en soupçons contrainte Doute de la Victime, et porte ailleurs sa crainte. Dans cette incertitude où d'un peuple inégal... AMÉNOPHIS. Viens, suis-moi, profitons de ce trouble fatal. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Osarphis, Asaph. ASAPH. Quel que soit le péril, Seigneur, qui le menace Aron semble ignorer encor ce qui se passe. OSARPHIS. Va-t-il venir ? ASAPH. Il vient plein d'un noble courroux. Mais s'il faut vous le dire, il ne craint que pour vous Et lorsque pour ses jours votre âme est alarmée... OSARPHIS. Il sait que je l'attends, il suffit. Que l'Armée Instruite du parti qui m'ose traverser Aux portes de Memphis commence à s'avancer ; Qu'autour de ce Palais à mes ordres rendue Ma Garde Israélite, Asaph, soit répandue ; Digne de me servir sous un Chef tel que toi Tu vois jusqu'à quel point je compte sur sa foi. Mais souviens-toi surtout d'avertir la Princesse. Je veux la voir. Tu sais que cet entretien presse. SCÈNE II. Osarphis, Aaron. OSARPHIS. Dans ces lieux où je viens à peine d'arriver Vous voyez quel orage est prêt à s'élever. J'entrevois le projet qu'Aménophis médite : Non que pourtant, Aron, j'en craigne aucune suite. Mais à ma gloire ici ce trouble injurieux Peut surprendre Tharbis et lui blesse les yeux. Songeons à lui sauver ces secrètes alarmes. Renfermons dans Seba ses vertus et ses charmes Jusqu'à ce que le Ciel ait réglé mes destins Et calmé de l'État les troubles intestins. Du moins c'est la remettre au sein de son Empire. Et j'ai fait choix de vous, Aron, pour l'y conduire. Vous pouvez mieux qu'un autre adoucir ses regrets. Allez, j'ai déjà su par des ordres secrets Assurer jusques-là sa retraite et la vôtre. Je vous laisse à regret éloigner l'un et l'autre. Mais sans perdre en discours de précieux instants, Je dois la disposer... AARON. Seigneur je vous entends ; Et connais à ces soins ce qui peut vous contraindre. Ce n'est point pour Tharbis que vous avez à craindre. Pour elle dans ces lieux tout conspire à la fois. Trop de prudence ici nous offense tous trois. Ce n'est que contre moi que s'élève l'envie. Voilà l'oracle seul qui demande ma vie. Immolez-la. Du moins, cette fatale erreur Va de vos ennemis détourner la fureur : Votre propre intérêt demande qu'on l'accorde. Par là dans sa naissance étouffant la discorde, Tout prétexte finit. Mon sang va cimenter La puissance et le Trône où vous allez monter. OSARPHIS. Et quels biens à ce prix pourraient jamais me plaire ? Quel reproche à mon tour n'ai-je point à vous faire ? Qui moi ? Que jusques-là de ma gloire jaloux Le soin de la sauver retombe ainsi sur vous, Que jusques à ce jour à l'amitié fidèle Une aveugle terreur me rende indigne d'elle ? Je ne sais, sans vouloir en rappeler le cours, Quel intérêt m'anime et m'attache à vos jours, Quel mouvement secret et m'agite et me presse, Si j'en dois consulter ma gloire ou ma tendresse ; Mais au seul bruit du coup que l'on veut vous porter ; J'ai senti tout mon sang prêt à se révolter. Le Ciel me charge enfin du soin de votre vie : Je ne souffrirai point qu'elle vous soit ravie. En vain vos ennemis s'arment de toutes parts. Je vais mettre entre vous d'invincibles remparts. Leur courroux va rentrer dans de justes limites Je vais vous confier à ces Israélites Qui toujours sûrs de vaincre en combattant sous vous Ont fondé sur vos jours leur destin le plus doux. AARON. Quel que soit le danger, Seigneur, qui me regarde, Dieu me voit, c'est assez, laissez-moi sous sa garde. S'il faut mourir, ma mort importe à ses desseins. Aussi bien que vos jours ma vie est dans ses mains : Peut-être en la perdant je sauverai la vôtre. Peut-être nos destins sont liés l'un à l'autre Et dans l'ordre éternel de ses justes décrets La main du Tout-puissant forma des noeuds secrets. Dans tous ses mouvements j'adore sa sagesse. Incertain de mon sort, mais sûr de sa promesse, J'attendrai près de vous qu'il dispose de moi. Il ne veut bien souvent qu'éprouver notre foi. Cet Hébreu qui d'Aram jadis obtint la fille, Ce chef d'un Peuple issu de sa seule famille, Des Princes ses voisins avait réglé les droits, Il revenait chargé des dépouilles des Rois. Ses jours étaient nombreux et lui couvert de gloire Des bienfaits de son Dieu rappelait la mémoire, Quand tout à coup du Ciel il entendit ces cris : Lève-toi. Qu'attends-tu ? Viens immoler ton fils, Ce fils de ma faveur et l'objet et le gage. Sans trop examiner où cet ordre l'engage, Abraham dresse en hâte, un bûcher, un Autel ; Isac est à ses pieds ceint du bandeau mortel. La nature est muette ainsi que la victime ; Mais prompt à couronner la foi qui les anime, Dieu détourna le fer qu'arme un zèle cruel, Et dans un seul enfant sauva tout israël. OSARPHIS. Hé bien ! Sachez du moins quel parti je vais prendre. Tharbis que j'ai mandée en ce lieu doit se rendre ; Ma Garde dans le Camp va conduire ses pas. Ce sera là le Temple où des mains des soldats Je prétends qu'elle et moi recevions la couronne, Où je lui jurerai la foi que je lui donne, Où nos coeurs s'unissant par les noeuds les plus beaux, Le fer étincelant tiendra lieu de flambeaux ; Et c'est là qu'à l'aspect des Troupes animées J'attesterai leur gloire à ce Dieu des Armées Par vous, par Jocabel invoqué tant de fois. Mais quelqu'un vient, allez. C'est Tharbis que je vois. SCÈNE III. Tharbis, Osarphis. OSARPHIS. Madame, pardonnez si je vous ai mandée. On veut troubler la paix tant de fois demandée. De la Religion le voile spécieux Couvre ici les complots de quelques factieux. Je pourrais cependant, quoique Phanés ordonne, Du pied de ses Autels vous élever au Trône. Rejeter sur lui-même un injuste courroux, Et partager le Peuple entre ses Dieux et vous.Mais non, et dans un Camp que la foudre environne Venez avec ma main recevoir la Couronne. J'y veux du moins, j'y veux confier vos attraits Et remettre en dépôt le trésor de la paix. THARBIS. Moi, Seigneur, qu'au mépris des Autels que l'on brave, Je sorte de Memphis et vous suive en esclave ? Arrachée à regret du sein de mes États, C'est dans l'horreur d'un Camp et parmi des soldats Que l'on croit m'assurer un destin plus tranquille ? On me flattait d'un Sceptre où j'ai besoin d'asile. Je ne trouve à Memphis en dépit des traités, Que des Peuples mutins, et des droits contestés. On dépouille pour moi l'héritier légitime. Si l'on m'offre le Trône, on m'associe au crime ; Je n'ai pour y monter que les débris des lois Et les Dieux n'osent plus faire entendre leurs voix. D'un Empire à ce prix, je ne suis point avide. J'attendrai qu'en ces murs le destin se décide. Je puis me garantir contre tout autre effort Et ce n'est plus à vous d'ordonner de mon sort. OSARPHIS. Madame à ce discours, je n'ai pas dû m'attendre. Mais du moins Osarphis commence à vous entendre Et parmi les transports d'un esprit combattu Croit voir quel intérêt surprend votre vertu. Mais pour Aménophis, soit pitié magnanime, Soit qu'un autre motif vous touche et vous anime, Épargnez-vous le soin d'examiner ses droits. De pareils différents sont au-dessus des lois. Sur quoi qu'il fonde ici ses plaintes éternelles, Ma dernière victoire a tranché nos querelles. De là ces grands projets et ces engagements Que de tant d'Alliés confirment les serments. Aujourd'hui votre main règle leur destinée, C'est peu d'être promise, elle me fut donnée. Tout m'en répond, Madame, elle est tout à la fois Le lien de la paix, le prix de mes exploits. Dans le coeur de Tharbis trouverais-je un obstacle ? Voudrait-elle à son tour m'opposer quelque oracle ? Permettez que mon coeur ose ici s'épancher. Il est peu d'intérêts qui doivent vous toucher. L'honneur de terminer les horreurs de la guerre, De régler à son gré le destin de la terre, L'hommage de vingt Rois, tout un Peuple à genoux, Voilà les seuls objets qui soient dignes de nous. THARBIS. Pour ma gloire, pour moi trop de soin vous anime, Et ce conseil prudent marque au moins peu d'estime. L'instruction offense ; un grand coeur doit savoir, Seigneur, jusqu'où s'étend la loi de son devoir. Il sait du moins, il sait sans qu'on l'en avertisse Que la gloire des Rois dépend de leur justice ; Qu'elle n'est pas toujours bornée à leurs exploits. C'est par moi qu'on commence à violer les lois. On a fait de Seba le prix de la victoire. Sur ma propre dépouille, on établit ma gloire. Sue les débris du mien un Trône m'est offert, Et je dois tenir tout de la main qui me perd. OSARPHIS. Quels que soient les soupçons où votre âme s'abuse, Un homme tel que moi ne cherche point d'excuse : Et, si dans ses devoirs il pouvait s'oublier, Balancerait peut-être à se justifier. J'ose en faire l'aveu ; mais gardez-vous de croire Que je prétende user des droits de la victoire Et ne plaçant que là ma gloire et mon appui Je tyrannise un coeur qui n'est plus même à lui. THARBIS. Dites que cette main plutôt où l'on aspire, À des droits plus sacrés en a remis l'Empire. Du moins s'il faut un choix à ma gloire assorti Quand il en sera temps, je prendrai mon parti. Elle sort. SCÈNE IV. OSARPHIS, seul. Non, je ne vois que trop jusqu'au fond de son âme Les traits encore empreints de sa première flamme ; Mais à ma gloire ici qu'importe la rigueur ? L'amour ne règle point le destin d'un grand coeur. Que de ses Alliés rejetant l'assistance Tharbis poursuive ici le prix de sa constance ; Que réglant sur ses feux tant de droits discutés... SCÈNE V. Osarphis, Asaph. OSARPHIS. Mes ordres, cher Asaph, sont-ils exécutés ? ASAPH. Seigneur, dans tous les coeurs jamais ardeur plus belle Ne parût s'élever contre un parti rebelle : Mais Ciel ! Dans quel terrible et subit embarras Lui-même... OSARPHIS. Achève... ASAPH. Aron s'est sauvé de nos bras, Dans les mains du Grand-Prêtre il vient de se remettre : Phanés de son trépas ose tout se promettre, Le peuple qui tantôt admirait sa vertu, Hâte le sacrifice. OSARPHIS. Ô Ciel ! Que me dis-tu ? Quoi Phanés dans sa crainte injuste et légitime, Phanés ne frémit pas au nom de la victime ? En vain sur ses Autels, il s'ose reposer ; Moi-même de son sang je cours les arroser. ASAPH. Ah ! Gardez d'exposer une tête sacrée. Quoi donc oubliez-vous quelle est cette contrée ? Peuple en effet ingrat et superstitieux ! Je ne sais dans ces murs quel Oracle des Dieux Suscitant de la terre une injuste puissance, De la Religion exerce la licence ; Mais tout est à craindre ; et surtout quand l'erreur Marque des mêmes traits le zèle et la fureur. Alors du châtiment qui semble légitime, L'exemple est dangereux encor plus que le crime ; L'ombre seule en excite un soudain changement, Et la moindre étincelle un vaste embrasement. OSARPHIS. Dis plutôt que du Ciel je connais la justice ; Qu'il ne permettra point un si noir sacrifice ; Mais que sans trop d'égards pour ce peuple insensé, Je dois venger du moins mon honneur offensé. C'est trop tarder. Allons... SCÈNE VI. Jocabel, Osarphis, Iséride. JOCABEL. Quel transport vous inspire ? Arrêtez. OSARPHIS. Votre Fils m'est plus cher que l'Empire. Je sais dans quels périls lui-même il s'est jeté ; Et le Trône à ce prix serait trop acheté. Dans le fond de mon coeur j'ignore quel murmure, Dans ses transports confus étonne la nature, J'ai peine à concevoir tout ce que je ressens. JOCABEL. Calmez du moins, calmez des troubles si pressants. Aron dans nos malheurs n'est pas le plus à plaindre, Et ce n'est plus pour lui que nous avons à craindre, Il n'est plus au pouvoir de ses fiers ennemis, Seigneur, et dans nos mains il vient d'être remis. OSARPHIS. Ah ! Laissez-moi du moins punir leur insolence. Est-ce à vous... JOCABEL. C'est à moi de rompre le silence. Cet Oracle terrible, et par vous rejeté, Cet Oracle s'accorde avec la vérité. Un Enfant d'Israël qui parmi nous respire, D'un déluge de maux doit couvrir cet Empire, Et doit avec son peuple en sortir triomphant. Phanés a dans Aron méconnu cet Enfant, Et vient d'en rejeter par là le sacrifice. Nos malheurs sont comblés, s'il faut qu'il s'éclaircisse ; S'il faut que ce secret trop prompt à s'échapper, Lui désigne le coeur où sa main doit frapper. OSARPHIS. Reposez-vous sur moi, j'écarterai l'orage ; Et quant à cet Hébreu qui cause tant d'ombrage, Madame, c'est un bruit conçu sans fondement Qu'un peuple trop crédule embrasse avidement. Je vais, n'en doutez point, l'arrêter dans sa course : Je puis sans trop d'effort remonter à sa source. Comme un avis du Ciel cet Oracle vanté, Madame, contre moi n'est qu'un piège inventé. Sans doute, en factions l'Égypte se partage, On veut me disputer ce superbe héritage. Que dis-je ? En punissant ces premiers attentats, J'étouffe un feu tout prêt d'embraser ces États. Ah ! Lorsque pour tenter une haute aventure, Ces Ministres des Dieux dirigent l'imposture, Je ne sais quel démon par de secrets ressorts, De leurs projets hardis marque tous les dehors, Prête à la pitié ses cruelles maximes, Toujours sous de beaux noms nous présente les crimes, Sous un modeste front nous cache un coeur d'airain Et parlant en Esclave, agit en Souverain. JOCABEL. Seigneur, il est trop vrai, quoi que l'on entreprenne L'intrigue des méchants ne se perce qu'à peine : Mais la vérité sainte étend partout ses droits, D'une bouche étrangère elle emprunte la voix, Du sein de l'erreur même annonce ses Oracles. Cependant, pour son nom, Dieu prodigue en miracles, Quelquefois nous livrant à nos propres besoins, De la prudence humaine exige tous les soins. OSARPHIS. Lui-même, son courroux plus prompt à se résoudre, Souvent avant l'éclair a fait partir la foudre. À nos fiers ennemis enlevons tout espoir, Trop de prudence ici nuirait à mon pouvoir. Un grand coeur doit toujours garder moins de mesures, Il trouve en sa fierté des ressources plus sûres, Et d'un projet trop lent écartant les apprêts, Il tente la fortune et délibère après. JOCABEL. Périsse de Phanés la sacrilège audace, Et toi qui vois le sang que l'Oracle menace, Ô Ciel ? Oublierais-tu que ton choix dans ses lieux En fit de tes décrets l'instrument glorieux ? OSARPHIS. Sur qui tombent enfin ces secrètes alarmes ? JOCABEL. Quoi, vous me demandez la cause de mes larmes, Lorsque ici tout vous livre à des périls certains ? OSARPHIS. De qui fait Jocabel dépendre mes destins ? La foi des Alliés, ma naissance, ma gloire, Tout avec son espoir sort-il de sa mémoire ? Hé quoi, me tiendrait-on de plus tristes discours, Si dans un sang proscrit j'avais puisé mes jours ? JOCABEL. Ah ! Seigneur, de ces jours source de tant de crainte, Le salut entre nous n'admet plus de contrainte. Dans les maux où je vois tout le peuple exposé, Il faut rompre le sceau sur mes lèvres posé. Il faut... sur quels secrets facile à me répandre... OSARPHIS. Ah ! Quels qu'ils soient, Madame, osez me les apprendre. Quel soupçon avec moi tient vos esprits flottants ? JOCABEL. Oui, je vais obéir. Je vois qu'il en est temps. Le Ciel dans ce mystère intéressé lui-même... SCÈNE VII. Osarphis, Jocabel, Iséride, Asaph. ASAPH. Aménophis, Seigneur, brigue le rang suprême ; Tharbis de ses traités redemande le fruit : Du danger de l'État tout un peuple est instruit ; Et bientôt appuyé d'une injuste puissance Va sous l'ombre du zèle exercer la licence. Memphis, qui mieux que vous, Seigneur, peut en juger ? Dans le sang d'Israël brûle de se plonger ; Le traite d'ennemi du culte véritable, Du courroux de ses Dieux, le rend lui seul comptable. Le Soldat, dit-on, même en ces troubles pressants Ouvre l'oreille aux cris des femmes, des enfants. Chacun porte aux Autels un trouble légitime, Prêt à les arroser du sang de la victime. Un Prêtre qui du Prince épouse l'intérêt, Du Ciel en sa faveur va détourner l'arrêt ; Semble ne voir en vous dans l'effroi qui l'inspire Que le sang d'Abraham, l'ennemi de l'Empire ; Que l'espoir et l'appui d'un peuple détesté. Qu'attendez-vous ? Veillez à votre sûreté. OSARPHIS. C'en est fait, et j'y cours, prêt à tout entreprendre ; Oui, Madame, je sais le parti qu'il faut prendre, Et plus fier des périls qu'il me reste à braver, Pour savoir mes destins je viens vous retrouver. ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Jocabel, Iséride. JOCABEL. Des Enfants d'Israël, grand Dieu ! Dans sa disgrâce Si jamais ta faveur doit protéger la race, Le moment est venu. Prodigue ton appui ; Ce n'est plus Osarphis, c'est tout un peuple en lui. C'est ton peuple choisi dont le péril éclate. Que serait-ce grand Dieu ! Si cette Égypte ingrate Découvrait de quel sang tient le jour Osarphis ? Qu'il est ce même enfant qui fait frémir Memphis ? Que d'un voile pompeux couvrant son origine, C'est lui que tes décrets chargent de sa ruine, Et de qui le pouvoir par toi-même affermi, Cache dans un esclave un si fier ennemi ? Je l'attends. Sans témoins il doit ici se rendre. Sur ses destins secrets il brûle de m'entendre. De quel oeil verra-t-il dans sa plus noble ardeur, Du sang de tant de Rois s'éclipser la splendeur. Daigne mettre, grand Dieu ! Ta prudence en ma bouche, Et fais qu'en l'éclairant ta parole le touche ; Toi seul lui peux donner dans ses prospérités Le goût de la sagesse et de tes vérités. Il est temps que ta main d'un rayon de lumière À ses hautes vertus ouvre une autre carrière ; Que sauvé par tes soins de tant d'écueils divers, Il annonce ton nom, ta gloire à l'Univers ; Que confondant ces Dieux que l'erreur a fait naître, La nature en toi seul reconnaisse son Maître, Au Dieu seul de Jacob déclare son respect. Terre tremble à sa voix ! Met fuis à son aspect. Et toi Ciel ! Devant lui sous sa main souveraine Rentre dans le néant d'où tu ne sors qu'à peine. Mais mon Fils vient, prends garde, et que de nos discours, Iséride, on ne puisse interrompre le cours. SCÈNE I.. Jocabel, Osarphis, Iséride. OSARPHIS. Madame, enfin Memphis voit l'Armée à ses portes. Des fidèles Hébreux les vaillantes cohortes, Défendent ce palais, tout est en sûreté. Le Temple est investi, le Prince est arrêté. Contre tout Israël, m'en croirez-vous, Madame ? On allait employer et le fer et la flamme. Dans le secret le coup devait être conduit Le jour eût révélé les horreurs de la nuit. De nos divisions à l'Égypte funestes, La mort d'Aménophis va dissiper les restes ; D'une brigue insolente étouffer les complots, Et doit de tout l'État affermir le repos. Déjà pour le juger tout le Conseil s'assemble... Mais, Madame, en ces lieux nous voici seuls ensemble. Il en est temps, daignez m'apprendre mon destin. JOCABEL. Je l'ai promis, il faut vous satisfaire enfin. Le Ciel même l'ordonne, et parle par ma bouche. Ces murs ; Seigneur, ces murs dont l'aspect seul vous touche Cette auguste demeure... OSARPHIS. Achevez cet aveu. JOCABEL. Ne vous ont point vu naître, et vous êtes Hébreu. OSARPHIS. Moi, juste Ciel, Hébreu ! Comment de ma naissance A-t-on pu si longtemps cacher la connaissance ? Est-ce pour me ravir à de mortels dangers Qu'on remit mon enfance en des bras étrangers ? Mais d'où vient tout à coup que votre âme est émue, Qu'étouffant vos sanglots, levant au Ciel la vue... JOCABEL. Dans leur espoir, Seigneur, tous nos Hébreux troublés, Sous le poids des travaux gémissaient accablés. Depuis longtemps déchus de l'état de leurs Pères, L'Éternel en pitié regarda leurs misères, Quand tout à coup un Prêtre, un Ministre odieux Vint trouver Pharaon, lui fit parler ses Dieux. « D'une race étrangère un Enfant vient de naître, Que cet Empire un jour reconnaîtra pour Maître, À ses pieds il verra tous les peuples tremblants. » Il dit, de là quel trouble et quels Édits sanglants ? Touché de nos malheurs votre vertueux Père ; Ce n'est qu'en toi, dit-il, que tout un peuple espère, C e n'est que de toi seul qu'il attend son secours, Grand Dieu ! De tant d'horreurs daigne arrêter le cours. Dieu lui parut en songe ému de sa disgrâce. « Tes voeux seront comblés, ce sera de ta race Que naîtra cet Enfant à l'Égypte prédit. » De joie et de douleur il demeure interdit. Dieu confond les projets de la prudence humaine, À la foi la plus simple, heureux qui se ramène ! Chargé de mille voeux et de pleurs arrosé Sur le Nil au berceau vous fûtes exposé. Quelle ressource, ô Ciel ! Contre un dur esclavage ! Mais Thermutis alors parut sur le rivage. Les yeux de la Princesse erraient de toutes parts. Dieu, sur votre berceau détourna ses regards. Elle en poussa des cris, trembla pour votre vie. D'ordres pressants bientôt sa pitié fut suivie, Et parmi les périls que le Ciel écarta Presque à ses pieds, Seigneur, le flot vous apporta. Thermutis dans ses bras longtemps vous envisage, Et de vos grands destins crut lire le présage. Mes yeux jusques alors n'avaient pu vous quitter ; Moi-même à Thermutis j'osai me présenter, Et le Ciel de vos jours confirmant la défense, Voulut que dans mes bras on remit votre enfance. OSARPHIS. Ô surprise ! Ô prodige ! Et quel heureux transport Jusque là vous pouvait attacher à mon sort ? À quoi dois-je imputer ce mouvement si tendre ? D'où vient... JOCABEL. Jusques au bout, Seigneur, daignez m'entendre, Aménophis encor n'avait pas vu le jour. Thermutis déroba ce secret à la Cour ; Perdit alors un fils et vous mit à sa place, Pharaon crut en vous voir revivre sa race, Et bientôt secondant les voeux d'un peuple entier, De l'Égypte après elle il vous fit l'héritier. La victoire depuis devançant les vos années, De l'Empire en vos mains remit les destinées. Sans les troubles cruels dont l'État est rempli, Ce secret languirait dans l'ombre enseveli : Mais il faut écarter un orage funeste, J'ai dû parler, Seigneur, vous savez tout le reste. OSARPHIS. Ah ! Madame, achevez. Du moins vous pouvez voir Que sur moi vos discours ont un secret pouvoir, Et rien n'est au-delà de ma reconnaissance. Mais de plus de clartés enfin sur ma naissance, Ce secret entretien devrait être suivi. JOCABEL. Moïse est votre nom, vous sortez de Lévi. Mais parmi nous le sang n'établit point nos Maîtres, Nous comptons les vertus et non pas les ancêtres. D'ailleurs notre esclavage en ce cruel séjour, Ne permet point... OSARPHIS. De ceux à qui je dois le jour, Le sort, sans doute, avait place en votre mémoire. JOCABEL. Ils ont vécu contents, ils voyaient votre gloire ; D'une mère éplorée, un Dieu soutint l'espoir. OSARPHIS. Je sens que mon bonheur dépendrait de la voir : Et sans plus me laisser dans mon erreur première... Hélas ! Vit-elle encore ? JOCABEL. Elle voit la lumière. OSARPHIS. C'est trop me dérober à des objets si doux. JOCABEL. Le Ciel de ses desseins jusques-là fut jaloux ; Et ces mêmes parents, du jour qu'il vous fit naître, Dans un Fils tel que vous n'ont dû voir que leur Maître. OSARPHIS. À leur amour du moins tout accès fut permis ? JOCABEL. Plus vous leur fûtes cher, plus ils étaient soumis. OSARPHIS. Ah ! Grand Dieu ! Dans l'éclat d'une pompe trop fière, Peut-être sans pitié j'ai pu voir leur misère. JOCABEL. Non, Seigneur, aux honneurs par vous-même élevé, Votre père... OSARPHIS. Qu'entends-je ! Aurait-il retrouvé Le prix de sa vertu, celui de sa tendresse ? JOCABEL. Sur vous, sur vos desseins ses yeux s'ouvraient sans cesse. OSARPHIS. Enfin, puis-je le voir ! JOCABEL. Ô respects superflus ! OSARPHIS. Que dites-vous ? Ô Ciel ! JOCABEL. Votre père n'est plus. OSARPHIS. Quel coup l'a pu ravir ! Et d'où naissent vos larmes ? JOCABEL. Lui-même à vos côtés subit le sort des armes. OSARPHIS. Ciel ! JOCABEL. Aux dépends des siens vos jours furent sauvés, Son sang vous redonna la lumière... OSARPHIS. Achevez, Et daignez éclaircir ce que je n'ose croire. JOCABEL. Osarphis paya cher sa dernière victoire. OSARPHIS. Ah ! De quelle douleur mes sens sont attendris ? JOCABEL. Tes yeux furent fermés par la main de ton fils, De tes soins paternels ce fut là le salaire, Cher Zaram ! OSARPHIS. Votre époux ? JOCABEL. Oui, lui-même. OSARPHIS. Ô ma mère ! JOCABEL. Ô mon fils ! De ce nom j'ose vous appeler : Ciel ! À des pleurs si chers quel bien peut s'égaler ? OSARPHIS reprend un son grave dans les trois vers suivants. Ce changement est grand. Mais quoi que j'envisage, J'ai fait du moins, Madame, un noble apprentissage ; Osarphis a payé l'honneur d'un si beau nom. Enfin le Ciel me rend un frère dans Aron, Lorsque dans Jocabel je retrouve ma mère. JOCABEL. Aron ignore encor que vous êtes son frère : Et sur votre naissance il n'a nulles clartés ; Mais du sang d'Israël il sait que vous sortez. Enfin, mon fils, enfin, quoi que le Ciel ordonne, Memphis n'a plus pour vous ni sceptre ni couronne. Mais, celui devant qui tout doit s'humilier, À ses vertus aussi va vous associer. Et que sont devant lui tous ces Dieux de la terre, Ces puissances qu'enfante et l'audace et la guerre ? Vous-même apprenez-leur à respecter ses lois, À ne plus pour vertus nous donner leurs exploits. Qu'ils sachent dans quel soin leur gloire les engage, Et qu'il est des devoirs dont le trône est le gage. Quelque appui cependant qui nous puissent flatter, Quoi que pour vous le Ciel soit prêt d'exécuter, C'est loin de des climats, loin de cette contrée, Que Jacob a marqué cette Terre sacrée, Canaan, qu'il promit à sa postérité, Lorsque d'un saint transport en mourant excité, L'avenir devant lui se laissait voir sans voiles. Le sable de la même, le nombre des étoiles Doit à peine égaler celui de ses enfants. Quel peuple audacieux ! Que de Chefs triomphants ! Juda comblé de gloire est ceint du Diadème, Et va porter au loin sa puissance suprême. Ô race de Jacob ! Fidèle à tes Autels, De toi doit naître un Dieu, l'attente des mortels. Dans cet espoir, mon fils, entrez dans la carrière, Laissez sur tous vos pas des traces de lumière. C'est cette même ardeur dont on vous vit brûler, Qui désormais... SCÈNE III. Jocabel, Osarphis, Iséride. ISÉRIDE. Asaph demande à vous parler. Du Conseil assemblé l'ordre, dit-il, le presse. OSARPHIS. Qu'il entre. Permettez, Madame... JOCABEL. Je vous laisse, Et quoi que le Conseil, mon fils, ait ordonné, Songez surtout, songez de qui vous êtes né. SCÈNE IV. Osarphis, Asaph. OSARPHIS. Hé bien, Asaph ? ASAPH. Seigneur, de ce Prince coupable On vient de prononcer l'Arrêt irrévocable. Mais on en voit encor, qu'avec plus de fierté De ses aîeux en lui briller la Majesté. C'est à vous de prévoir tout ce que l'on hasarde, Et tout proscrit qu'il est, s'il... Osarphis quoique déjà ébranlé par la reconnaissance qui vient de se faire, couvre encore ici ses sentiments intérieurs ; c'est à l'acteur à savoir prendre les tons de convenance à sa situation, dans cette scène et dans la suivante. Redouble sa garde ; De sa mort dans Memphis que l'apprêt soit dressé, Et que dans ce palais à l'instant exhaussé Un trône où de vos Rois éclate l'opulence, À des peuples mutins annonce ma puissance. Va, ne diffère point, le temps est précieux. Mais, que vois-je ? SCÈNE V. Tharbis, Osarphis, Ismène. THARBIS. C'est toi que je cherche en ces lieux. OSARPHIS. Moi ? THARBIS. Parle. As-tu dicté l'Arrêt qu'on vient de rendre, Par qui d'Aménophis le sang va se répandre ? OSARPHIS. À qui dois-je aujourd'hui compte... THARBIS. À qui tu le dois, À moi-même, à ta mère, aux Dieux, à tous les Rois. OSARPHIS. Ainsi vous prétendez qu'aux droits de sa naissance ? Un Prince criminel doit placer sa défense, Et qu'à l'abri du trône avec impunité Il pourrait de son sang souiller la dignité ? THARBIS. Ah ! Sous quelques couleurs qu'aujourd'hui tu l'opprimes, C'est ton ambition qui lui prête des crimes. Dans tout ce qu'il a fait, que lui reproches-tu ? Que n'ait autorisé le sang ou la vertu. Il te faut ordonner encor d'autres supplices, Et tu peux me compter au rang de ses complices. Achève tes projets, loin de te retenir, J'ai tout fait, et c'est moi surtout qu'il faut punir. Tu n'as point oublié que pour notre hyménée, Dans ce même palais ma foi lui fut donnée ; Que ma gloire aujourd'hui m'attache à ses malheurs ; Que je lui dois mon sang, c'est trop peu de mes pleurs. Et les Dieux qui tantôt l'ont offert à ma vue, Ménageaient ce moment à mon âme éperdue. Je ne me préviens point de leur auguste appui ; Mais écoute un serment qu'il emporte avec lui : « Je n'accepterai point, quoi qu'ici l'on ordonne ; Ni le trône sans toi, ni ta main sans le trône Règne si tu le peux ; règle-toi là-dessus. S'il faut que tes efforts, que mes voeux soient déçus ; Je sauverai mon nom d'une indigne mémoire. La main qui t'est promise aura soin de ma gloire. Je mourrai toute à toi ; voilà de quels discours, Et l'amour et la Gloire autorisaient le cours. » J'ai mis seule en son coeur le transport qui l'anime, C'est à toi de juger si j'ai part à son crime. OSARPHIS. Je vois de quelle ardeur votre coeur est épris : De pareils sentiments en montrent tout le prix, On doit quelque respect au courroux qui l'enflamme Mais de votre équité j'attendais plus, Madame, Le peuple ne voit point comme un lâche attentat, Ce que mon bras a fait pour sauver cet État, C'est à lui de juger du prix de ma victoire... THARBIS. Oui, je sais que le peuple est tout plein de ta gloire, Mais pour le sang des Rois l'amour a ses degrés. L'héritier légitime a des titres sacrés ; Dans le coeur des sujets, c'est un dépôt suprême, Un ordre que des Dieux a gravé la main même. Juge donc si Memphis verra devant ses yeux Répandre de ce sang le reste précieux, Et de leur gloire antique encor accompagnées, Frémir de tant de Rois les Ombres indignées. Ah ! S'il est vrai qu'un Dieu répande ici l'effroi, On en doit imputer la colère qu'à toi. C'est par ses mains qu'il va renverser un Empire. Cet ennemi commun, c'est en toi qu'il respire. Pourquoi l'aller chercher au milieu d'Israël ? Que pourrait dans ces murs tenter de plus cruel, Cet Enfant, quel qu'il soit, d'une odieuse race, Ce redoutable Hébreu dont le Ciel vous menace, À l'Égypte alarmée annoncé tant de fois ? Mais prêt à te baigner dans le sang de tes Rois, Peut-être ton destin, quoi que ton parti fasse, Avant la fin du jour va prendre une autre face. De haine ou de faveur du Ciel a ses instants. Adieu. Je vais me joindre au peuple, et je t'attends. SCÈNE VI. OSARPHIS, seul. Qu'au gré de tes désirs Memphis éclate et tonne, Sa vaine inimitié n'est pas ce qui m'étonne : Mais Dieu d'Isac, quel est l'état où je me vois ? Il me faut décider entre un Empire et toi. Le moment est terrible ensemble et respectable. Ô de l'orgueil humain puissance redoutable ! Espoir flatteur du trône, objet de tant de voeux, Et vous tyrans des coeurs, préjugés dangereux, Fiers Enfants de l'exemple, égarements funestes Qui de vos droits sur nous traînez longtemps les restes, Et souvent consacrez mille objets odieux, Défendez-vous encore et l'Égypte et ses Dieux ? Et toi qui que tu sois Dieu des Israélites ! Dieu terrible, et par qui les nations proscrites Verront devant ton nom s'abaisser leur pouvoir Seul tu peux m'arracher à mon premier espoir. Son charme encor m'abuse et règne sur mon âme, Daigne la pénétrer d'un rayon de ta flamme ; Que la foi verse en moi ses dons victorieux. Mais un nouveau spectacle ici frappe mes yeux, Et les voûtes du Ciel s'ébranlent et s'entrouvrent. Où suis-je ? Dieu puissant ! Tes grandeurs se découvrent ; Mai quoi ! Pour t'annoncer le jour pâlit d'effroi, La terre se confond, elle fuit devant toi. De l'oeuvre de tes mains laisse au moins quelque trace. Comment seul avec toi soutiendrai-je ta face ? Un mot seul de ta bouche appuyant ta fureur, Sur les ailes des vents promène la terreur. Tu franchis d'un seul pas les limites du monde. Mais quel jour tout à coup perce la nuit profonde ? À travers mille feux je l'entends, je le vois. Il m'appelle, c'est lui, le Ciel tremble à sa voix ; Des morts dans le tombeau la cendre est ranimée. Qu'attendons-nous ? Perçons cette route enflammée, Redoutable sentier qu'il a mis entre nous, Et servons à son gré sa gloire et son courroux. ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. Jocabel, Aaron. AARON. Quoi, Madame, déjà tombe notre espérance ? Les ordres d'Osarphis nous cachent sa présence ; Et de ses volontés moins que vous éclairci, N'ayant pu lui parler, je viens l'attendre ici. JOCABEL. Et quel courroux encor peut régner dans son âme ? AARON. Du sort d'Aménophis ce que je sais, Madame, C'est que de son supplice on dresse l'appareil ; Que parmi les horreurs d'un spectacle pareil, Dans son appartement on garde la Princesse. JOCABEL. Pour le sauver, mon fils, du péril qui le presse, Au Dieu que nous servons suffisent les moments. Le jour annonce au jour de grands événements. D'Osarphis en ses mains ce Dieu tient l'âme altière ; Mais il faut vous ouvrir la mienne toute entière. Zaram vous a parlé de ces jours ténébreux, Où Dieu sembla jurer la perte des Hébreux ; Où de ces tristes flancs qui vous ont donné l'être, Vint un enfant proscrit, même avant que de naître. AARON. Je sais ce que devint ce fruit de votre amour. JOCABEL. Ô mon fils ! Il respire, il voit encor le jour... AARON. Quels climats reculés, quelle terre étrangère A gardé le dépôt d'une tête si chère ? Pourquoi d'un long exil ne pas finir le cours ? JOCABEL. Ah ! Si le Ciel, mon fils, veut conserver ses jours, Qu'est-il besoin qu'au loin sa sagesse l'exile ? La Cour d'un Tyran même en deviendrait l'asile. AARON. Je vous entends. JOCABEL. Memphis va l'offrir à vos yeux. AARON. Ciel ! Confirme un espoir si doux, si glorieux. Non, ce n'est point en vain que mon âme éperdue À cet espoir si cher tout à coup s'est rendue. Ce frère m'est connu. JOCABEL. N'en doutez point, mon fils, C'est lui, c'est cet enfant sauvé par Thermutis. Par moi de ses desseins il a su le mystère, Et tantôt... Mais on ouvre. SCÈNE II. Jocabel, Osarphis, Aaron. OSARPHIS. Embrassez-moi mon frère. AARON. De quels transports divers mes sens sont combattus ? OSARPHIS. J'ai dû vous reconnaître à vos seules vertus. Mais les moments son chers. Écoutez l'un et l'autre. Je porte dans mes mains mon destin et le vôtre. Le Très-haut m'a parlé, sa redoutable voix De la nature encor trouble ou sus pend les lois. Ce n'est point un fantôme, une ombre qui s'efface, Un songe, c'était lui, je l'ai vu face à face. Son aspect n'est point fait pour les faibles humains. L'Éclair est dans ses yeux, la foudre dans ses mains, Et j'ai vu sur son front l'Éternité terrible. C'était sur le sommet d'un mont inaccessible. Son Trône était en flamme et sans se consumer, D'un feu toujours nouveau semblait se rallumer. Va, pars, et d'Israël par de nouveaux miracles Confirme, il en est temps, la foi de mes Oracles. C'est toi que j'ai choisi pour annoncer ma loi. La terreur et la mort marcheront devant toi. Déjà de ma justice attendant les victimes, La terre ouvre son sein, et la mer ses abîmes. Des arides rochers vois jaillir les torrents, Et partout devant toi les dons du Ciel s'offrant. De ce peuple d'élus la gloire s'est remise, Ouvre-lui Canaan cette terre promise, Lieux sacrés, que déjà dévorait son espoir, Et que Jacob mourant n'avait fait qu'entrevoir. Il dit, et devant moi sur deux augustes Tables, J'ai vu se déployer ces arrêts redoutables, Ces préceptes tracés d'une immortelle main, Qu'il grava dans nos coeurs bien plus que sur l'airain : Monuments comme lui d'éternelle durée. J'ai même recueilli de sa bouche sacrée L'ordre et l'enchaînement de ces décrets divers, Formidables trésors d'un voile affreux couverts ! JOCABEL. Ô combien de raisons d'espérer et de croire ! Dieu lui-même à nos yeux vous couvre de sa gloire. Sa présence s'annonce à ces traits de splendeur, Et parmi nous, mon fils jette une sainte horreur. AARON. Seigneur, car dans l'état où je vous considère, Il ne m'est plus permis de vous nommer mon frère, Entre le Ciel et nous, arbitre glorieux... OSARPHIS. Le dessein en est pris. J'abandonne ces lieux. Dans ce départ, Madame, où l'Éternel m'engage De sa faveur en vous je vais sauver le gage. Je vais vous délivrer d'un injuste pouvoir, Et vous rendre en des lieux plus chers à votre espoir. JOCABEL. Ah ! C'est trop de soin que votre amour m'honore. Partez. Sauvez-vous seul, il n'est pas temps encore, Mon fils, que Jocabel s'écarte de ces lieux ; Et c'est assez pour moi que vos jours précieux À Dieu seul confiés, dans une autre contrée, Se trouvent à l'abri de son aile sacrée. Laissez-moi des Hébreux partageant les destins, Être un garant pour eux de vos secours certains, Soutenir leur espoir parmi tant de misères, Esclaves dans l'Égypte, et toutefois nos frères. OSARPHIS. Du salut d'Israël fiez-vous à ma foi, Et laissez ce secret entre le Ciel et moi. Il est temps qu'en ces lieux son ordre s'accomplisse, Madame, il m'a remis le glaive et la justice. C'est par là qu'en quittant les remparts de Memphis, C'est à moi d'ordonner du sort d'Aménophis, Et mettant dans l'Égypte un terme à nos disgrâces, J'y dois de ma sortie au moins laisser des traces Dignes de mes destins et d'un projet si haut, Et déjà... SCÈNE III. Osarphis, Jocabel, Asaph. ASAPH. Tout est prêt, le trône et l'échafaud. Le fer brille partout, et Memphis alarmée, Dans ses Places déjà voit les Chefs de l'Armée. Une nombreuse Garde occupe le Palais. OSARPHIS. Non, ma justice, Asaph, n'admet plus de délais, Qu'Aménophis éprouve un sort qu'il doit attendre. Mais avant tout, je veux et le voir et l'entendre Il s'agit de ma gloire et des droits les plus saints. Asaph sort.Va le chercher, cet ordre importe à mes desseins. SCÈNE IV. Jocabel, Osarphis, Aaron. OSARPHIS. Ne perdons point de temps, et sous votre conduite, Aron, que cette nuit tout soit prêt pour la fuite ; Que ma Garde s'assemble autour de l'étendard, Et vole sur nos pas au signal du départ. Je saurai vous soustraire au tumulte des armes, Madame, on vient. Allez. JOCABEL, en s'en allant. Toi ! Pardonne à mes larmes. Ô Ciel ! SCÈNE V. Aménophis, Osarphis, Asaph, Pamène, Gardes. AMÉNOPHIS. Dans ta vengeance un barbare pouvoir Me réservait encor la douleur de te voir. Ce trait, ce dernier trait le fruit de ta victoire, Manquait à mon supplice aussi bien qu'à ta gloire. Prêt à subir le coup par toi-même ordonné, Tu veux voir si je porte un visage étonné. Tu veux que dans l'éclat d'une poursuite ouverte Je puisse comparer ton triomphe et ma perte. OSARPHIS. Ne crois pas qu'abusant ici de mon pouvoir Ce soit pour t'insulter que j'ai voulu te voir. Je saurais affranchir d'une indigne colère, Même en te punissant respecter ta misère. Juge mieux, tu le dois, de mon inimitié. AMÉNOPHIS. Épargne-moi ta plainte, encor plus ta pitié. Laisse-moi sans tarder subir ma destinée. De toutes les horreurs qui l'ont environnée Celle-ci réunit tous les maux différents, Et le plus grand supplice est l'aspect des Tyrans. J'ignore si ma mort va t'assurer l'Empire ; Mais ce qui me console au moment que j'expire, Les Dieux n'ont point encor confirmé ton projet, Je mourrai ta victime et non pas ton sujet. Osarphis doit garder un milieu dans les tons qu'il doit prendre dans cette scène, attendu que son parti est pris intérieurement de remettre le sceptre à Aménophis. OSARPHIS. Je vois à ta fierté le sang qui t'a fait naître, Mais toi-même à ton tour tu dois mieux me connaître, Qu'on amène Tharbis. AMÉNOPHIS. Tharbis ? Dans ton courroux Barbare, tu crois donc mon supplice trop doux ? Et que foulant aux pieds et mes droits et ma gloire, Ma mort ne suffit pas pour souiller ta victoire ? Sans respecter ni sang, ni vertu, ni beauté, Veux-tu d'un sang plus cher nourrir ta cruauté ? Et que dans ce palais conduire en criminelle, Au mépris des Héros qui revivent en elle, La Princesse... Mais Dieux ! Elle vient. La voici. OSARPHIS. De son sort et du tien tu vas être éclairci. SCÈNE VI. Osarphis, Aménophis, Tharbis, Phanés, Ismène, Asaph, Gardes. THARBIS. Quelle profane main me conduit et m'entraîne ? PHANÈS. Barbares, arrêtez. Respectez votre Reine. THARBIS. Te revois-je cher Prince ? Et quels sont mes malheurs, Si ta vue est pour moi le comble des douleurs ? Encor si dans l'état où le ciel nous rassemble, Il ne m'offrait à toi que pour mourir ensemble. Et toujours entre nous partageant ses rigueurs, Unissait nos tourments comme il a fait nos coeurs ? Que sans donner de borne au courroux qui l'enflamme, Le Tyran... OSARPHIS. Il est temps de vous montrer, Madame, Quel supplice en effet, je lui garde en ces lieux, Prince, voilà le Trône où régnaient tes aïeux. Du Fils de Sésostris c'est le noble héritage, Je n'en conteste plus le superbe avantage. C'est à toi d'y monter, et de reprendre un rang Que l'équité des lois accordait à ton sang. AMÉNOPHIS. Qu'entends-je ? THARBIS. Juste ciel ! OSARPHIS. Une main immortelle, Entre nous deux, Madame, a tranché la querelle, Et remettant le sceptre au véritable Roi, Dégage mes serments À Tharbis. Et vous rend votre foi. THARBIS. Qu'il est beau dans le cours d'une gloire suprême, Quand on a tout soumis, de se vaincre soi-même ! De la pourpre des Rois un mortel revêtu En tire moins d'éclat que toi de ta vertu. À l'exemple des Dieux arbitre des Empires... AMÉNOPHIS. En de tels changements à peine tu respires Aménophis ! Ton coeur n'ose encor s'y fier, Toi-même de ton sort tu sembles t'effrayer. La ferme s'ouvre et l'on voit au fond du théâtre le superbe trône des Rois d'Égypte. .Mais devant vous, Seigneur, lorsque je trouve grâce. Quand on fait tout pour moi, que faut-il que je fasse ? OSARPHIS. Hé bien, tu vas régner, et l'Hébreu s'est soumis : Promets de l'appuyer contre ses ennemis, Et de favoriser toi-même sa retraite. Voilà... AMÉNOPHIS. J'accomplirai ce qu'Osarphis souhaite. J'en jure par les Dieux, dont je subis la loi, Par celui d'Israël. Si je manque à ma foi Que son courroux s'armant de châtiments funèbres Couvre après mille éclairs l'Égypte de ténèbres ; Que de cris effrayants retentissent ces murs ; Que jusqu'en ce Palais des reptiles impurs, Mille insectes brûlants nous déclarent la guerre : Que le Nil teint de sang n'arrose plus la terre... OSARPHIS. Prince, un mot seul suffit dans la bouche d'un Roi, Et ma propre vertu me répons de ta foi. Maître dans ce Palais, que rien ne t'y contraigne. Avec ta liberté va s'annoncer ton règne. Montre-toi sans tarder aux peuples de Memphis, Et qu'au trône du père ils retrouvent le fils. Ceux des tiens qu'à mes pas attacha la victoire, En combattant pour moi travaillaient pour ta gloire. Dans tes ressentiments tu dois les épargner. Pardonne, c'est déjà commencer à régner. PHANÈS. Ta vertu, je l'avoue, étonne mon courage. J'ignore de quel oeil il faut que j'envisage Ce concours éclatant d'événements divers. Un jour seul a changé l'ordre de l'Univers. Le Sceptre est un présent de ta main triomphante. Est-ce donc un projet qu'un Dieu lui-même enfante Et qui par toi conduit à des succès certains, Des siècles à venir prépare les destins ? Quel pouvoir inconnu, quelle main invisible Fait passer dans tes traits sa Majesté terrible ? N'en es-tu point l'organe ? Et franchissant ses lois La nature va-t-elle obéir à ta voix ? Mais d'où vient cependant qu'au milieu de ta gloire Parmi des voeux publics et des cris de victoire, Lorsque le Ciel en toi laisse voir à nos yeux Le modèle des Rois et le rival des Dieux, D'un Oracle toujours s'élève la menace, Et... OSARPHIS. Du Dieu d'Israël reconnais mieux la trace. Tremble, son règne approche, il est temps qu'Osarphis Pour de plus grands desseins abandonne Memphis. AMÉNOPHIS. Quoi donc oubliez-vous le sang qui vous fit naître Ce que ce jour, ce Ciel, l'Égypte vous doit être ? Et qui peut balancer de si chers intérêts ? OSARPHIS. Garde-toi de sonder ces augustes secrets. Ne tente point du Ciel la fureur vengeresse. AMÉNOPHIS. Vous savez quel péril nous menace, nous presse, Qu'un Enfant... OSARPHIS. Ce mortel qui cause tant d'effroi, Qu'enfin tu veux connaître... AMÉNOPHIS. Hé bien, quel est-il ? OSARPHIS. Moi. AMÉNOPHIS. Vous, cet Hébreu ? THARBIS. Grands Dieux ! PHANÈS. Quel étrange mystère ! AMÉNOPHIS. Le Fils de Thermutis. OSARPHIS. Jocabel est ma mère. Seul sauvé par ta soeur de tant d'enfants proscrits. Le Nil, l'adoption, dans ses bras m'ont remis, D'un fils mort au berceau, je pris alors la place. Mais n'attends pas qu'ici je te demande grâce. Je sers un Dieu terrible et le Maître des Rois, Ce secret révélé rétablit tous tes droits. Tu règnes. C'est à toi de peser toutes choses. Tu me connais. Adieu. Poursuis-moi si tu l'oses. SCÈNE DERNIÈRE. Tharbis, Aménophis, Phanés, Pamène, Gardes. PHANÈS. Qu'attendez-vous, Seigneur ? Venez dans ces moments De l'Armée en vos mains recevoir les serments. AMÉNOPHIS. Toi-même auparavant songe à la foi jurée, Et que des Rois surtout la parole est sacrée, Qu'à nos engagements le Ciel lui-même a part. Suis-moi. Viens. D'Osarphis assurons le départ, À Tharbis.Sa vertu dans ces lieux nous laisse un grand exemple. Pour notre hymen, Madame À Tharbis.Allez m'attendre au Temple, Allez, si toutefois tremblants de leur côté Les Dieux qui l'habitaient ne l'ont point déserté. ==================================================