******************************************************** DC.Title = LES FAUSSES VÉRITÉS, COMÉDIE DC.Author = OUVILLE, François le Métel DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 10/05/2021 à 11:32:02. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/OUVILLE_FAUSSESVERITES.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k72230c DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LES FAUSSES VÉRITÉS COMÉDIE M. DC. XLIII. AVEC PRIVILÈGE DU ROI. PAR MONSIEUR D'OUVILLE. Achevé d'imprimer pour la première fois le vingt huitième Janvier 1643. Représenté pour la première fois en 1641 à l'Hôtel de Bourgogne. PERSONNAGES. FLORIMONDE, Damoiselle Parisienne, Amoureuse de Lidamant, et soeur de Léandre. NÉRINE, Suivante de Florimonde. LIDAMANT, Gentilhomme de Languedoc, ami de Léandre, Amoureux de Florimonde. LÉANDRE, Ami de Lidamant, frere de Florimonde, et Amoureux d'Orasie. ORASIE, Damoiselle Parisienne, fille de Tomire, et Amoureuse de Léandre. JULIE, Suivante d'Orasie. TOMIRE, Vieillard, Pere d'Orasie. FABRICE, Serviteur de Lidamant. LISIS, Serviteur de Tomire. La Scène est à Paris. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Florimonde, Nérine, dans leur Chambre qui viennent de dehors. FLORIMONDE. Je n'en puis plus Nérine, ah Dieux que je suis lasseLaisse moi reposer. NÉRINE. Mais dites-moi de grâceQuel plaisir vous prenez à vous lasser ainsi.Ce que vous cherchez loin l'avez vous pas ici,Pourquoi tous les matins rêver aux Tuileries Ne sauriez vous passer ailleurs vos rêveries ?Encor venir à pied. FLORIMONDE. Demandes tu pourquoi ?En sais-tu pas la cause aussi bien comme moi ?Nérine ignores-tu le sujet de ma flamme ? NÉRINE. Non vous m'avez ouvert le secret de votre âme. Vous aimez Lidamant, mais Dieux qu'est-il besoinL'ayant logé chez vous de le chercher si loinIl a chez votre frère établi sa demeure,Où vous pouvez vous voir et parler à toute heure. FLORIMONDE. Las si j'en suis connue, il faut absolument Me résoudre à même heure à perdre cet amant, NÉRINE. Parlez lui franchement, et lui faites entendreQue vous êtes la soeur de son ami Léandre,Quand vous lui défendrez je le tiens si discret,Qu'il ne voudra pour rien révéler ce secret. FLORIMONDE. Tu ne sais pas encor, et c'est ce qui m'affligeJusqu'à quel point d'honneur l'amitié nous oblige.C'est un lien trop fort, je sais que LidamantEst plus parfait ami qu'il n'est fidèle amant.Son amitié Nérine est pure et trop sincère Pour me vouloir servir au déçu de mon frère. NÉRINE. Il ne vous aime point, ou n'aime qu'à demiS'il veut à son amour préférer son ami,Pourquoi Léandre encor vous défend il sa vue ? FLORIMONDE. Je n'en sais rien Nérine, et c'est ce qui me tue, Il dit pour s'excuser qu'il y va de l'honneur,Mais j'en donne la cause à sa jalouse humeur,La moindre opinion cause ces rêveries,Je le vois cependant toujours aux Tuileries,Et là nous nous donnons rendez-vous tous les jours. C'est dans ce lieu charmant que sont nés nos amoursEt cette passion est si grande et si forteQue c'est chère Nérine un torrent qui m'emporte. NÉRINE. Madame il m'a semblé que jusques à ce jourAvec plus de respect il a traité l'amour, Je ne vous suivais point de peur de vous déplaire,Mais il a ce matin paru plus téméraire,Tous vos commandements ont été superflus. FLORIMONDE. Je le punirai bien en n'y retournant plus.Sa curiosité me coûterait la vie, Il meurt de me connaître, et m'a tantôt suivieSi près de mon logis que peu s'en est falluQu'il ne l'ait découvert. NÉRINE. Vous avez résoluDe ne le voir donc plus ? FLORIMONDE. Ah chère confidenteMon amour est trop grand, ma flamme est trop ardente, Quoi ! Que je pusse vivre, et jamais ne le voir ?Crois-tu qu'en le voulant j'en eusse le pouvoir,Non il est trop aimable, il a trop de mérite.Mais mon frère est levé, tâchons par ma visite,D'empêcher le soupçon qu'il pourrait bien avoir, Que je viens de dehors. NÉRINE. Quelqu'un vient pour le voirIl entre j'ois du bruit. FLORIMONDE. Dieux j'étais attrapée,C'est Lidamant sans doute, ou je suis bien trompée.Cette porte répond dans son appartementComme tu le sais bien, et fort facilement J'entends tous leurs discours quand ils parlent ensemble.Écoutons-les Nérine, Aujourd'hui ce me semble,Ou je me trompe fort, on parlera de nous. SCÈNE II. Lidamant, Léandre, dans la Chambre de Lidamant, et Florimonde et Nérine dans la leur les écoutant. LIDAMANT. Comment ? Déjà levé ? LÉANDRE. Vous en étonnez vous ?Étonnez-vous plutôt qu'avec tant de tristesse Je ne succombe point au tourment qui m'oppresseComme je puis durer un quart d'heure en repos,Voyant que mon esprit s'égare à tout propos,Mais vous libre d'humeur quel sujet vous oblige,D'être si matinal ? LIDAMANT. Un tourment qui m'afflige Une rare beauté me met en tel souciQue je n'en puis dormir. LÉANDRE. Quoi vous aimez aussi ? LIDAMANT. C'est trop peu dire aimer, j'adore une merveille. LÉANDRE. Pour recevoir de vous une faveur pareille,Je vous veux raconter comme je vous ai dit, Le sujet qui me rend tellement interdit. LIDAMANT. Vous m'obligerez fort. FLORIMONDE, bas à Nérine. Écoute ici NérineOn parlera de nous. LÉANDRE. Une beauté divine,Un objet plus qu'humain m'a dérobé le coeur,Je ne vous dirai point le nom de mon vainqueur. Je vous veux taire aussi qu'en servant cette belle,Moins Amoureux qu'aimé, les faveurs que j'eus d'elle,Et tout ce que l'honneur m'en pouvait obtenir ;Car je veux les perdant perdre le souvenir.Je dirai seulement qu'elle était satisfaite, Que pour elle j'avais une amour très parfaite,Et qu'ainsi j'espérais sans trop de vanitéEn possédant un jour cette rare beautéDe jouir des douceurs que donne l'Hymenée ;Mais comme j'attendais cette heureuse journée Ayant le vent en poupe en cette mer d'Amour,Un orage survint qui troubla ce beau jour,Et me mit au danger d'un périlleux naufrage,Au milieu de mon aise, une peste, une rage,Une jalouse humeur pour me combler d'ennuis M'a réduit misérable, en l'état où je suis.Ne croyez pas pourtant parlant de jalousie,Que mon âme jamais en ait été saisie ;Non de ce trait perçant mon coeur n'est point blesséC'est moi qui l'ai donnée, Ah Dieux qui l'eut pensé, Que cette passion fut cent fois plus aiséeÀ souffrir quand on l'a que quand on l'a causée.Une certaine Iris, à qui j'ai fait la Cour,Croyant que je l'aimais d'un véritable Amour,Que pour tout autre objet mon coeur était de glace, M'a causé depuis peu cette étrange disgrâce,Ayant su par malheur cette inclination,Voyant que je bravais ainsi sa passion,Pour se venger de moi cette Iris trop cruelle M'a peint à ma maîtresse inconstant infidèle, Et par quelques écrits qu'elle a montrez de moi,Elle a fait qu'Orasie a douté de ma foi,Et dedans cette erreur a fait que l'inhumaineA pour moi converti tout son amour en haine,Et m'a par ces mépris mis en tel désespoir Que je n'ose espérer seulement de la voir,Pour la désabuser de sa créance veine,Me sentant innocent jugez qu'elle est ma peine. LIDAMANT. Je plaindrais votre mal si vous étiez jaloux,Mais non pas de savoir que l'on le soit de vous, Trouvant entre les deux la différence mêmeQu'endurer en aimant, ou souffrir qu'on nous aime.Oyant nommer ce mot, vous m'avez fait tremblerEt ne savais comment vous pouvoir consoler,Mais de cette façon vous êtes consolable, Il n'est point entre amants de passe-temps semblableQue de faire parfois la guerre tout exprès,Afin d'avoir sujet de s'accorder après.Allez voir cette dame en effet trop crédule,Et tenez pour certain quoi qu'elle dissimule, Puisque vous témoignez qu'elle a l'esprit jaloux,Qu'elle est sans doute en peine encore plus que vous. LÉANDRE. Je ne crois en ceci que ce que j'en dois faire,Parlez à votre tour, contez moi votre histoire. LIDAMANT. J'aime, et je ne sais qui, c'est vous dire en deux mots, Le sujet qui me trouble, et m'ôte le repos.Le jour que j'arrivai, rempli de rêveriesJe m'allai promener dedans les Tuileries,Là de tous les objets je vis le plus charmant,Qui jetant l'oeil sur moi, Lidamant, Lidamant, Dit-elle approchez vous, j'ai deux mots à vous dire.Jugez de ma surprise, ah beauté que j'admire,Lui dis-je, trop heureux est vraiment l'étranger,Qui par un tel objet se sent tant obliger,Dont le nom est connu d'une telle merveille : Elle se mit à rire, et me dit à l'oreille :Un tel homme que vous, (si j'en sais bien juger)Ne peut en aucun lieu passer pour étranger.Je ne vous dirai point son accueil, ses caresses,Qui marquèrent sa flamme avec mille tendresses, Je vous tais par respect l'honneur qu'elle me fit,Et vous dois taire aussi tout ce qu'elle me dit,Car un homme est trop vain, et mérite du blâme,De vanter les faveurs qu'il reçoit d'une dame. NÉRINE, bas à Florimonde. Madame, c'est de nous qu'il parle assurément. FLORIMONDE, bas. Justes Dieux qui pourrait avertir Lidamant.Ah ! Qu'il m'obligerait à présent de se taire,Il pourrait bien donner du soupçon à mon frère. LÉANDRE. Le succès est étrange. LIDAMANT. Enfin nous nous donnonsRendez vous au lieu même, et nous nous y trouvons, Tous les jours au matin, et ce qui plus m'étonne,C'est qu'elle me défend de le dire à personne,Et même ne veut pas que je sache son nom,Ni que j'aille après elle apprendre sa maison.Aujourd'hui toutefois, il m'en a pris envie, Et rompant tout respect je l'ai tantôt suivie,Nonobstant sa défense et malgré mon devoir,Mais un salut forcé m'a privé de la voir,En gagnant cette rue où cette belle adroiteÀ mon oeil curieux c'est finement soustraite. LÉANDRE. Comment en cette rue. LIDAMANT. Oui tout proche d'ici. LÉANDRE. Cet accident m'étonne, et me met en souciNe pouvant soupçonner du tout qui ce peut être. LIDAMANT. M'ayant dit plusieurs fois qu'en la voulant connaître,Je mettais en hasard sa vie et mon honneur. SCÈNE III. Julie, Léandre, Florimonde, Lidamant. JULIE, à Léandre. Une fille en secret pourra-t-elle MonsieurVous dire ici deux mots ? LÉANDRE, bas à Lidamant. Que j'ai l'âme contente,Écoute cher ami, c'est ici la suivante,De ce charmant objet dont je vous discourais.Nous pourrons écouter le reste une autre fois, Vous me permettrez bien de parler avec elle,Sans doute elle m'apporte une heureuse nouvelle. FLORIMONDE, bas. Femme qui que tu sois, que tu viens à propos,Mais un ange plutôt venu pour mon repos. LIDAMANT. Voyez si vous devez une autre fois me croire131 ? Nous avons trop de temps pour achever l'histoire,Regardez si j'ai tort de vouloir présumerQue je suis bien savant en matière d'aimer. SCÈNE IV. Léandre, Julie. LÉANDRE. Qui t'amène Julie ? As tu quelque nouvelle ?Réponds-moi promptement que fait cette cruelle ? M'apportes-tu la vie, ou l'arrêt de ma mort ? JULIE. Vous ne sauriez vous plaindre, ou vous auriez grand tort.Léandre si j'osais prendre la hardiesseJe vous verrais souvent, mais quoi si ma maîtresseSavait que j'en eusse eu seulement le dessein, Je crois que je mourrais à l'heure de sa main. LÉANDRE. Rien ne peut donc fléchir l'excès de sa colère ? JULIE. M'envoyant ici près pour un certain affaireJe n'ai pu m'empêcher de venir m'informer,Comment vous vous portez. LÉANDRE. Oses-tu présumer, Que je me porte bien dans le malheur extrêmeOù m'a réduit l'orgueil de l'ingrate que j'aime,Va, si tu veux savoir en quel état je suis,Sache-le du sujet qui cause mes ennuis ;Mais que fait cet objet de mon inquiétude ? JULIE. Sans cesse elle se plaint de votre ingratitude. LÉANDRE. De mon ingratitude ? Ah Julie entends-moi,Si j'ai manqué pour elle, ou d'amour ou de foi,Si l'on me peut prouver que je l'aie offensée,D'effet ce serait trop, de la moindre pensée, Que je sois exécrable aux races à venir,Et que la foudre éclate ici pour me punir. JULIE. Si vous avez désir que ce discours la toucheQue ne lui dites-vous ? LÉANDRE. Dieux, elle est si faroucheQue ce serait en vain à moi de le tenter Puisqu'elle ne veut pas me voir, ni m'écouter. JULIE. Si vous étiez secret, je pourrais entreprendreDe vous mener chez elle et de vous faire entendre,Mais j'appréhende trop. LÉANDRE. Je te jure et prometsDe te tenir parole, et n'en parler jamais, Faisant cela pour moi, tu me donnes la vie. JULIE. Je puis bien contenter votre amoureuse envie,Je crains mais je vous veux servir en ce besoin,Surtout dissimulez, et me suivez de loinAttendez à la porte, et je vous ferai signe Si son père est sorti. LÉANDRE. Cette faveur insigne,Ne saurait se payer qu'en expirant pour toi. JULIE. Ne tardez pas, venez tout à l'heure après moi. LÉANDRE. Va, marche, je te suis. JULIE. Il faut bien peu d'adresse,Pour tromper un amant esprits d'une maîtresse. SCÈNE V. Florimonde, Nérine dans leur Chambre. FLORIMONDE. Dieux que j'appréhendais qu'en contant ses amoursLidamant ne poussât trop avant un discours,Qui sans doute eut donné du soupçon à mon frère. NÉRINE. Quand ils se reverront ne se peut-il pas faireQu'ils parachèveront le discours commencé ? FLORIMONDE. S'il m'arrive en effet comme je l'ai penséJ'y remédierai bien, il me lui faut écrire,Que je lui veux parler, je sais qu'il le désire,Mais il faut sans manquer que ce soit aujourd'hui. NÉRINE. Le moyen de le voir, et de parler à lui ? FLORIMONDE. Amour m'en fournira je vais voir Orazie,Qui peut sur ce sujet seconder mon envie,Je sais bien qu'elle m'aime, il faut au pis allerLui découvrir le feu dont je me sens brûler,Nérine par un art le plus joli du monde Je feindrai qui je suis : mais tais-toi Florimonde,N'en dis pas davantage, allons n'en parlons plus.............................................. SCÈNE VI. ORASIE, seule dans sa Chambre. Dieux, peux tu vivre encor, misérable Orazie ?Quand verrai je la fin de cette jalousie, Qui fait dessus mon coeur de si cruels effortsQue je sens sans mourir tous les jours mille morts ?Que n'ai-je avant le jour que tu me vins surprendreReconnu ton esprit infidèle Léandre ?Va chérir ton Iris, langui dans ses appas, Adore la cruel, mais ne me brave pas,Ne peux tu sur mon coeur emporter la victoireSans t'en vanter ingrat, et sans en faire gloire ?Ma Julie as tu vu cet infidèle amant ! SCÈNE VII. Julie, Léandre, Orazie. JULIE. Oui j'ai joué mon rôle assez adroitement. Léandre m'a suivie, il attend à la porteMadame, entrera-t-il. ORASIE. Mais que ce soit en sorteQu'il ne soupçonne pas. JULIE. Je vous entends fort bien.Ai-je si peu d'esprit ? n'ayez crainte de rien,Je sais fort bien conduire une amoureuse ruse. ORASIE, seule. Va tôt. Voyons comment ce volage s'excuse,Encore qu'on nous mente en telles actions,Nous désirons avoir des satisfactions.Qu'elle soit vraie, ou fausse, elle aura de la grâce,Et j'aurai le plaisir du moins qu'il me la fasse. Pourvu que je le voie et soumis, et rendu,Je croirai tout gagner quoi que j'aie tout perdu. JULIE, à la porte avec Léandre. Elle est seule au logis l'occasion est belle. LÉANDRE. Va, je reconnaîtrai ce service fidèle. JULIE. Madame nous entend et pourrait m'accuser, Aidez moi donc à feindre afin de m'excuser,Quoi malgré moi me suivre ? Hé Dieux où va Léandre,Quelle témérité, qu'allez-vous entreprendre. ORASIE. Quel bruit entends-je ici, quoi Léandre chez moi,Tu l'introduis Julie, je ne m'en prends qu'à toi. JULIE. Madame, il m'a contrainte. LÉANDRE. À moi seul est l'offense.N'accusez pas encore à tort son innocence. ORASIE. J'ai fait tort à la votre, et mon coeur s'est méprisAux soupçons de l'Amour et des faveurs d'Iris,Vous n'avez jamais eu cheveux ni lettres d'elle, Vous êtes demeuré pour moi toujours fidèle,Vous n'avez jamais fait le vain de mes faveurs,Vos visites jamais n'ont marqué vos ferveurs,Vous n'avez point écrit à cette belle dameJe suis cruelle, injuste à grand tort je vous blâme. Léandre est-il pas vrai que je me trompe fortEt que je persécute un innocent à tort,Vous n'avez contre moi commis aucune offense,Et je me prends encore à la même innocence,Me méprisant ainsi, pourquoi me cherchez vous ? Que voulez vous de moi. LÉANDRE. Modérez ce courroux,Et je vous ferai voir, adorable Orazie,L'injuste fondement de votre jalousie,Que vos soupçons sont faux. ORASIE. Dieux quelle vanité,Moi jalouse de vous ! LÉANDRE. Qu'avez vous donc été. ORASIE. En colère de voir une inconstance telleEn un qui fait pour moi l'amant et le fidèle,Puis qu'Iris en effet vous plaisait plus que moiQui vous portait perfide à m'engager la foi,Quelle gloire avez vous de m'avoir abusée. Amour ne m'a peu voir plus longtemps méprisée,Il m'a tout fait connaître, ingrat j'ai trop appris.Comme il fait l'interdit, comme il fait le surpris,Sortez d'ici perfide, allez esprit volage.Je ne puis vous aimer ni vous voir davantage. LÉANDRE. Pour me justifier je ne veux qu'un moment.Madame 2coutez moI. ORASIE. Vois-tu déjà commentAvant que de parler et former son excuseSon sang monté du coeur au visage l'accuse. LÉANDRE. Écoutez-moi de grâce. ORASIE. Hé bien que direz vous. LÉANDRE. Ce qui de votre esprit calmera le courroux. ORASIE. Parlez. LÉANDRE. Je passerais pour un menteur infâmeSi je vous soutenais d'avoir été sans flammePour les beautés d'Iris. ORASIE. Léandre c'est assez,Vous n'en dites que trop, quoi vous le confessez, Après un tel discours aurez vous bien l'audace De vous justifier. LÉANDRE. Écoutez moi de grâce,Si j'ai peu pour Iris soupirer quelque jourCe n'était point Madame, un véritable amour,Ce n'était qu'un essai, qu'un pur apprentissage, Pour savoir adorer votre parfait langage.Pour aimer Orazie il est vrai que j'ai prisDes leçons pour m'instruire en l'École d'Iris. ORASIE. Dieux, que cette raison est absurde et frivole,L'Amour pour être instruit ne va point à l'école, Car où les volontés lui prescrivent la loi,Il est docte en naissant, il n'apprend que de soi.Il réveille l'esprit du plus stupide même,On peut instruire autrui, sitôt que l'on dit j'aime,L'Ecolier est le maître, et qui prend tant de soins, D'être instruit comme vous, sans doute en sait le moins. LÉANDRE. Puis que par mes raisons vous me voulez confondreAu moins permettez moi de vous pouvoir répondre,En me donnant loisir je m'expliquerai mieux.Je donne un autre exemple, un homme naît sans yeux. Il entend faire cas de cet astre qui doreL'Univers de ses rais, que précède l'Aurore,Quand il peut raisonner, il discourt à part soi,Quel est cet oeil brillant qu'il connaît par la foi,Il oit de sa beauté des louanges si grandes Qu'il l'admire en son coeur et lui fait des offrandes.Posons qu'en une nuit pleine d'obscuritéIl ait l'heur de jouir du bien de la clarté,Que le premier objet qui paraît à sa vue,Soit une belle étoile en l'ayant aperçue, Il croit assurément que ce brillant éclatEst celui dont chacun lui faisait tant d'état.Mais lorsque le Soleil vient en sortant de l'ondeDe ses rayons dorés illuminer le Monde,Chassant à son abord les ombres de la nuit, Il voit comme aussitôt cette étoile s'enfuitCe qui dès là l'oblige à n'en plus faire conte,Une étoile qui cède, et qui s'en fuit de honte,Aussitôt que paraît un astre plus puissant,Peut-elle faire tort à ce soleil naissant ? Je suis en cet état, j'étais privé de vue,Avant que d'avoir vu ce bel oeil qui me tue,Et comme je cherchais si je pourrais un jourConnaître quel était ce véritable amour,Je vis paraître Iris, et je dis en moi-même, Voici ce que je cherche, et ce qu'il faut que j'aime.J'adore sur le champ la beauté que je vis,Je ne vis qu'une étoile, et si j'en fus ravi,D'autre admiration mon âme fut saisieQuand parut à mes yeux l'adorable Orazie, Qui d'un brillant éclat à cet Astre pareilChassa loin cette étoile au lever du Soleil. ORASIE. Iris est le Soleil, moi l'étoile à ce conteQui pâlis devant elle, et qui m'enfuis de honte,Car vos lettres font foi que vous faites la Cour À ce brillant Soleil à toute heure du jourEt de nuit seulement vous voyez Orazie. LÉANDRE. Madame donnez trêve à cette jalousie.Si depuis que sur moi vous avez du pouvoir,Je l'ai vue, ou tâché seulement de la voir, Que le Ciel me punisse, elle ne s'est servieDe cette trahison que pour m'ôter la vie,Que mon coeur soit en butte à toutes vos rigueursSi je me suis jamais vanté de vos faveursSi jamais. ORASIE. Taisez vous, je sais bien le contraire, On entre j'oi du bruit. JULIE. Hé Dieux ! C'est votre père. ORASIE. Va Julie ouvre-lui par l'autre appartementQui répond sur la rue, adieu parfait amant.Allez voir ce Soleil qui chasse la nuit sombrePrès duquel je ne suis qu'une étoile et qu'une ombre. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Orazie, Florimonde, Julie, dans la chambre d'Orasie. ORASIE. Vous me rendez Madame, aujourd'hui glorieuse,Vous m'honorez par trop. FLORIMONDE. Dieux que je suis heureuseDe vous trouver ici, comment va la santé ? ORASIE. Je me dois bien porter, puis que j'aI méritéDe recevoir l'honneur d'une telle visite. FLORIMONDE. Trêve de compliments, avant que je vous quitteVous direz que de vous j'use trop librement. ORASIE. Vous avez tout pouvoir, parlez moi franchement.Mais seyons nous devant. FLORIMONDE. Oyez doncques Madame,Je vous veux découvrir tout ce que j'ai dans l'âme Vous êtes généreuse, et je puis que je crois[Note : Fier : Confier ; donner, ou laisse quelque chose à un autre sur la bonne opinion qu'on a de sa fidélité ; se reposer sur sa bonne foi.]Vous fier un secret. ORASIE. Reposez-vous sur moi. FLORIMONDE. Sommes-nous seules ? ORASIE. Oui, va t'en là-bas Julie. FLORIMONDE, la retenant. Non demeurez ici. ORASIE. Parlez je vous supplie. FLORIMONDE. [Note : Trait : Se dit figurément et poétiquement des regards, et des blessures qu'ils font dans les coeurs, quand ils y inspirent de l'amour. [F]]J'aime, et du trait d'amour mon coeur est si touché À ce mot je rougis, mais quoi je l'ai lâché. ORASIE. Vous en dites assez, je vous plains, sans vous plaindre,Avec tant de mérite avez vous rien à craindre ?Est-il homme ici bas qui ne soit glorieux,De soupirer pour vous, en servant vos beaux yeux. Mais me ferez vous point la faveur de me dire Quel est ce doux vainqueur, qui vous tient en martyre ? FLORIMONDE. Mon frère a fait venir depuis cinq ou six joursChez lui ce cher objet de mes chastes amours.Mais il me fit sur l'heure une expresse défense, De paraître chez lui du tout en sa présence,Disant qu'il importait pour certaine raisonQu'il sut qu'il se tenait tout seul dans sa maison.Avec cette défense il m'augmenta l'envie,De le voir fusse même aux dépens de ma vie. Après que je l'eus vu, je lui voulus parler,Ayant su son dessein, et qu'il devait allerSe divertir sur l'heure en une promenade,[Note : Palissade : est aussi un terme de Jardinier, qui signifie un ornement des allées des jardins, où l'on plante des arbres qui portent des branches dès le bas, qu'on étend encore, qu'ils paraissent comme une muraille couverte de feuilles. [F]]J'y fus, et le trouvant près d'une palissadeJe rendis de tout point confuse sa raison, Alors qu'il s'entendit appeler par son nom,Bref de son entretien je fus si satisfaite,Que cela de tout point acheva ma défaite.Je l'y vois tous les jours, mais il est en souci,De connaître mon nom et mon logis aussi. N'ayant pu jusqu'ici refréner cette envie.En dépit que j'en eusse, il m'a tantôt suivieEt me suis finement dérobée à ses yeux,Au point qu'il contentait son désir curieux,Mais comme à tous moments il est avec mon frère J'ai peur qu'il ne découvre à la fin ce mystère,Aidez moi chère amie en cette extrémité,J'ai bien dans mon esprit un moyen inventé,Qui de ma défiance est l'assuré remèdeMais quoi je ne le puis mettre à fin sans votre aide, Ils ne peuvent manquer de se voir aujourd'hui,Mais il faut que je parle auparavant à lui,Pour y parvenir donc, j'ai trouvé la finesseDe le faire conduire en ce lieu par adresse,Où je lui parlerai si vous le trouvez bon, Nous pouvons aisément et sans aucun soupçonNous voir en assurance, et discourir ensemble. ORASIE. Avant qu'en venir là, vous devez ce me semble,Peser plus mûrement et considérer mieuxQu'il en peut arriver du scandale en ces lieux. FLORIMONDE. J'ai tout considéré n'en soyez point en peine. ORASIE. Cette précaution sans doute sera vaineCar s'il vient à savoir. FLORIMONDE. Non de cette façon,Il n'en saurait jamais avoir aucun soupçon,Quand nous serons céans vous et moi séparées, Dedans cette maison on vient par deux entrées,Lidamant peut venir assez facilement,Par celle de derrière en cet appartement,Il croira ce logis être le mien de sorteQu'ignorant comme il fait qu'il ait une autre porte, Il ne pensera pas qu'il puisse avoir aussiD'autre maître que moi. ORASIE. Quel sera mon souciSi mon père survient. FLORIMONDE. Vous êtes bien peureuse,Il faudrait en effet être bien malheureuse,[Note : Larcin : Plaisirs dérobés, pris en cachette, ou des baisers surpris à la personne aimée. [F]]Si l'on nous surprenait dès le premier larcin, ORASIE. Je ne vous cèle point que j'en crains bien la fin. FLORIMONDE. Sortant par cette porte, il ne le peut surprendre, ORASIE, bas. Dieux ! J'ai bien plus de peur encore de Léandre,Elle ne sait pas tout. FLORIMONDE. Parlez moi franchement, ORASIE. Je voudrais vous servir mais je ne sais comment. SCÈNE II. Nérine, Florimonde, Orasie, Julie. NÉRINE. J'emmène Lidamant, il attend à la porte. FLORIMONDE. Puisque vous n'avez point de raison assez forte,Aidez nous chère amie et gardez le secret. ORASIE. En cette occasion je vous sers à regret. FLORIMONDE. Faites lui donc ouvrir la porte de derrière, Vous pardonnerez bien cette injuste prière. ORASIE. Vous avez tout pouvoir, je vous laisse en ce lieu,Où vous êtes maîtresse. Adieu ma Dame. FLORIMONDE. Adieu. SCÈNE III. Nérine, Lidamant, Florimonde. NÉRINE. Voici cette maison que vous brûliez d'envieDe connaître Monsieur. LIDAMANT. Mon âme en est ravie. FLORIMONDE. Et bien qu'en dites vous ? Vous a-t-on point surpris ? LIDAMANT. Oui, l'excès de ma gloire étonne mes esprits,[Note : Heur : rencontre avantageuse. (...) [F] [antonyme de malheur]]Car je ne croyais pas que mon heur fut si proche. FLORIMONDE. Savez vous bien que c'est pour vous faire un reproche ? LIDAMANT. Un reproche Madame ? FLORIMONDE. Oui très assurément. Je me plains fort de vous, dites moi Lidamant,À qui commenciez vous à conter votre histoireQu'une fille arrivant si j'ai bonne mémoire,Vous empêcha tous deux : vous de la raconter,Et l'autre en même temps de pouvoir l'écouter ; Parlez répondez moi. LIDAMANT. Dieux que puis-je répondre.Ce discours seulement suffit pour me confondre,Ô bel objet aimable et beaucoup plus aiméJe ne sais que vous dire, hélas je suis charmé,Je pourrais sur ce point votre esprit satisfaire, Mais je ne le veux pas j'aime bien mieux me taire.Dans cette grande ville où tout nouveau venuJe ne me croyais pas d'aucune âme connu,Voir d'abord une Dame avoir la connaissanceDe mon nom, de mon bien, du lieu de ma naissance, Qui lit dans ma pensée et dans mes sentiments,Qui connaît de mon coeur les secrets mouvements,Je vous réponds assez vous me pouvez entendre,Avant que d'être à vous j'étais tout à Léandre,Et je mourrais plutôt qu'en cette occasion, J'entreprisse jamais sur son affection, FLORIMONDE. Vous pensez Lidamant que je sois sa maîtresse,Mais vous vous trompez fort. LIDAMANT. Mais donc par quelle adresseAvez vous peu savoir que je loge chez lui ?Mon nom, mes qualités ? Et tout ce qu'aujourd'hui Mais depuis un moment nous avons dit ensemble ?Cela ne se peut pas autrement ce me semble.Je crois que j'ai raison. FLORIMONDE. Il est très à proposDe vous tirer d'erreur, et vous mettre en repos,Sachez donc Lidamant, que je possède l'âme D'une jeune beauté, d'une certaine Dame,Que Léandre chérit, qui vient souvent chez nous,Qui me parlant de lui m'a fort parlé de vous.C'est cette Dame là qui peut seule m'apprendre,Ce que je sais de vous et même de Léandre Et quoi que votre ami soit homme très discretÀ qui l'on peut fier tout important secret,Cachez lui notre amour gardez qu'il ne le sache,Pour certaine raison qu'à présent je vous cache,Il y va de ma vie, avec plus de loisir Je pourrai satisfaire un jour votre désir. LIDAMANT. Vous voulez m'éclaircir sur cette défiance,Et vous m'en augmentez encor plus la croyance,Car si vous n'êtes pas. SCÈNE IV. Julie, Florimonde, Lidamant. , bas à Florimonde. Monsieur vient, le voici. FLORIMONDE, bas à Julie. Justes Dieux Lidamant peut il sortir d'ici ? JULIE. Non Madame il ne peut, et ne faut pas qu'il sorteCar Monsieur vient d'entrer par cette même porte,Par où j'ai tantôt fait entrer cet amoureux,Et de sortir par l'autre il serait dangereuxComme vous le savez qu'il en eut connaissance, Dépêchez. Le voici, Madame qui s'avance. LIDAMANT. Que ferai-je Madame ? FLORIMONDE. Ah Lidamant Adieu. JULIE, le mettant dans une chambre. Entrez, et vous cachez promptement en ce lieu. LIDAMANT, se cachant. Ah Dieux ? Je suis perdu. FLORIMONDE. Que je suis malheureuse. SCÈNE V. Orasie, Florimonde, Julie, Nérine. ORASIE. Hé bien vous m'accusiez tantôt d'être peureuse, Hélas ma défiance était juste en effet.Voyez qu'on nous surprend et même sur le fait. FLORIMONDE. Eut-on jamais pensé ! ORASIE. Je voudrais être morte. SCÈNE VI. Tomire, Orasie, Julie, Nérine, Florimonde. TOMIRE. Depuis quand Orasie ouvre-t-on cette porte,Qu'on tient toujours fermée. ORASIE. En voici la raison, Florimonde aurait fait le tour de la maisonSi l'on n'eut pas ouvert la porte de derrière. TOMIRE. Je ne vous voyais point, une telle lumière,Madame excusez moi, m'éblouissait les yeux. JULIE, bas. Quelle confusion. ORASIE. Quel désordre grands Dieux. FLORIMONDE. Vous m'obligez Monsieur plus que je ne mérite.Adieu belle Orasie, il faut que je vous quitte. ORASIE, bas à Florimonde. Quoi je pâtirai donc pour la faute d'autrui ?Laissant ce Cavalier, que ferai-je de lui ? FLORIMONDE. Vous avez bon esprit, je n'ai rien à vous dire. TOMIRE, à Florimonde. Vous me permettrez bien de vous aller conduire. FLORIMONDE. Je vous baise les mains. TOMIRE. Vous résistez en vain. ORASIE, bas à Florimonde. Justes Dieux c'est avoir le jugement mal sainSouffrez son compliment, s'il s'en va de la sorte,Cet homme en liberté pourra gagner la porte. TOMIRE. Faites-moi cet honneur, ne me refusez point. FLORIMONDE. Puisque vous désirez m'obliger à ce point,J'accepte cet honneur. SCÈNE VII. Orasie, Julie. ORASIE. Est-il vrai que je veille !Fut-il jamais de peine à la mienne pareille ?Puis-je en cet accident conserver ma raison ? Car qui croirait jamais que dedans ma maisonJ'eusse un homme caché qui ne m'a jamais vue. JULIE. Je puis fort aisément le mettre dans la rue,Sans qu'il soit vu d'aucun, ni qu'il vous voie aussi. ORASIE. Dépêche-toi Julie, ôte-moi ce souci, Ouvre-lui je m'en vais, Dieux de crainte je tremble........................................... JULIE, ouvre et dit bas. C'est Léandre, Madame, ah Dieux tout est perdu, Il entre. SCÈNE VIII. Léandre, Orasie, Julie. LÉANDRE. Ayant longtemps en la rue attendu,J'ai rencontré ma soeur que conduit votre père, Voyant l'occasion, j'ai cru sans vous déplaireQue je pourrais venir vous rendre ce devoir,Et donner à mes yeux le plaisir de vous voir. ORASIE. Que faites-vous grands Dieux ? Où songez-vous Léandre,Quel sanglant déplaisir désirez-vous me rendre ? Quoi voulez-vous me perdre ? À peine vous m'ôtezD'un abîme d'ennuis, et vous m'y remettez,J'attends dans un moment le retour de mon père,Qui vous peut obliger d'être si téméraire.Prenez mieux votre temps quand vous me voudrez voir. LÉANDRE. Ah beauté dont mon âme adore le pouvoir,Souffrez qu'un seul moment je repaisse ma vue,Des célestes appas dont vous êtes pourvue. ORASIE. Sortez donc promptement quand vous aurez parlé.Est-ce assez voila prés d'un quart d'heure écoulé. Dieux ne me tenez pas en suspens davantageMon père assurément a conçu quelque ombrage,Il a tantôt fermé tant il est soupçonneuxLa porte de derrière, ô qu'il est ombrageux,Il emporte la clef, montrant de cette sorte Assuré le passage à l'autre afin qu'il sorte.Il ne fait tous les jours qu'entrer et que sortir,Dieux je tremble de peur. LÉANDRE. Pour vous en garantirJe m'en vais de ce pas. ORASIE. Allez je vous supplie,J'entends frapper quelqu'un. TOMIRE, derrière le théâtre. Ouvrez-moi tôt Julie. ORASIE. C'est lui même je meurs. LÉANDRE. Que deviendrai-je ? ô Dieux !Puis que cette autre porte est fermée il vaut mieuxQue je me cache ici. Comme il veut entrer dans la Chambre où est Lidamant Orasie le retient. ORASIE. Grands Dieux je désespère,N'entrez pas là dedans. LÉANDRE. Pourquoi ? ORASIE. Toujours mon père,En entrant se retire, en cette chambre là. Sans doute il vous verrait. LÉANDRE. Ce n'est point pour cela.J'ai vu je le proteste un homme ce me sembleEnfermé là dedans. ORASIE, bas. Dieux de crainte je tremble,Léandre rêvez-vous. LÉANDRE. Non je ne rêve point,Et je veux en effet m'éclaircir sur ce point. ORASIE, l'empêchant d'entrer. N'entrez pas. LÉANDRE. Déloyale ! Est ce ainsi qu'on me traite ? ORASIE, bas. Dieux qui peut réparer la faute que j'ai faite ? [Haut.]Léandre au nom des Dieux, ayez pitié de moi,Quoi ! Me voulez vous perdre ! LÉANDRE. Âme ingrate, et sans foiVous me trahissez donc, vous m'êtes infidèle. ORASIE. Me ferez vous rougir d'une honte éternelle ?Mon père monte. LÉANDRE, en lui-même. Ô Dieux que dois je faire ici ?Car si dessus ce point je veux être éclairci,Je fais voir clairement l'infamie à son père,Mais si je ne veux pas aussi me satisfaire, Je souffre en mon honneur un notable intérêt. ORASIE. Au nom de notre amour. LÉANDRE. Bien, bien, puisqu'il vous plaîtJe dissimulerai cette offense connue. SCÈNE IX. Tomire, Orasie, Léandre, Julie. Ils s'entresaluent, et Léandre sort. TOMIRE. Quoi ! Léandre ? LÉANDRE. Ma soeur étant ici venue,Je l'y venais chercher. ORASIE, bas. Tout va bien jusqu'ici. TOMIRE. Je viens de la conduire. LÉANDRE. On me l'a dit ainsi,Je rends grâces à vos soins. Cette faveur insigneM'oblige étroitement, ma soeur n'en est pas digneJe m'en vais la trouver. TOMIRE. Ma fille allons là-haut.Je veux parler à vous. ORASIE, bas. [Note : Me faut : me fait défaut, me manque.]Ah Dieux le coeur me faut. Mais que veut-il de moi ? Que ce discours m'étonneEndurons constamment puisque le Ciel l'ordonne. SCÈNE X. LÉANDRE, seul en la rue. Que dois-je faire ici : Comment Léandre as-tuEn cette occasion le courage abattu ?Mais en faisant du bruit j'offenserais ma dame, Dois-je donner ce nom encor à cette infâme ?Oui, je ne puis haïr ce que j'ai tant aimé,Mais, laisserais-je ici ce Rival enfermé,C'est par ici qu'il faut que le perfide sorte,Car le derrière est clos, il n'a point d'autre porte, Il le faut voir sortir, et savoir quel il est,Endurons cet affront amour puisqu'il te plaîtEt que tu veux ainsi t'opposer à ma joie.Écartons nous, il faut aujourd'hui que je voie,S'il est vrai que le sort qu'on fait capricieux Se plaît de seconder les coeurs audacieux. SCÈNE XI. Julie, Lidamant. JULIE, seule. Puis qu'ils sont tous sortis, je puis en assuranceTirer ce Cavalier. Usons de diligence,Ouvrons. Sortez Monsieur : à votre occasionIl est bien arrivé de la confusion, Nous avons eu bien peur. LIDAMANT. Je pouvais bien entendreQuelques bruits sourds auxquels je n'ai pu rien comprendre.Mais je comprends assez le bien que j'en reçois,En ce que vous avez aujourd'hui fait pour moiJe le reconnaîtrai sans doute avec usure. JULIE. Sortons d'ici. LIDAMANT. Le puis-je. JULIE. Oui. LIDAMANT. Je vous en conjure. JULIE, bas. Qu'il sorte seulement, quand il sera dehorsQu'il arrive en la rue après dix mille morts. SCÈNE XII. LÉANDRE, seul en la rue. Mais elles tardent bien à le faire descendre :Elles n'oseraient pas que je crois l'entreprendre Car on se doute bien que je l'attends ici,J'en veux être pourtant amplement éclairci,Ne craignons rien, montons. Dieux je cours à ma perte, Il entre dans la Chambre et ferme la porte sur lui.Personne n'est ici je vois la porte ouverte.Appelons-le, feignons être de la maison, Cavalier suivez moi, n'avez aucun soupçonVous ne répondez point ? Ah volage, ah parjure ?Entrons voyons la fin d'une telle aventure. SCÈNE XIII. ORASIE, seule. Mon père seulement m'a dit qu'il s'en allaitPour quatre jours aux champs. Ah si le Ciel voulait Que je puisse éviter la foudre toute prête,La foudre sur mon chef à m'écraser ma tête ?Julie ? Elle est sortie, et je suis en souci.Comment je tirerai ce cavalier d'ici.S'il me voit il verra que je suis la maîtresse, Que Florimonde excuse au malheur qui me presse,Il me faut préférer mon intérêt au sein Elle appelle à la porte pensant parler a Lidamant.Sortez d'ici Monsieur, et ne redoutez rien,Ne vous étonnez point de me voir je vous prie. SCÈNE XIV. Léandre, Orasie. LÉANDRE. Léandre sort de la Chambre.Quoi ? Ne m'étonner pas de cette effronterie ? Quoi ? Ne m'étonner pas de vous voir ? ORASIE, surprise bas. Justes Dieux. LÉANDRE. Me faire cette injure ? ORASIE, bas. Hélas. LÉANDRE. Même à mes yeux !Quoi ne m'étonner pas de vous voir si coupable ? ORASIE, bas. Que dois-je devenir. LÉANDRE. Si lâche. ORASIE, bas. Ah misérable. LÉANDRE. Et si perfide ? ORASIE, bas. Hélas, quel malheur me poursuit ? LÉANDRE. Voyez le désespoir où mon sort me réduit,Direz vous point encore infidèle Orasie,Que je me plains à tort que c'est ma jalousie ?Que la cause est certaine, et les effets sont faux ?Que j'ai grand tort encor d'accuser ces défauts ? ORASIE. Je suis morte mon coeur, je ne sais que répondre. LÉANDRE. Cela suffit il point encor pour vous confondre ?Lâche et méchant esprit, que voulez vous de moi ? ORASIE. Je veux que vous n'ayez nul doute de ma foi. LÉANDRE, se promenant. Non vous ne m'avez fait jamais aucune injure. J'ai vu chez vous un homme ? Oh l'étrange imposture,J'ai grand tort d'accuser votre fidélité,Quoi ? Vous m'auriez trahi ? C'est une fausseté,Je n'ai point de raison de vous avoir blâmée,Vous ne m'avez point dit la porte être fermée De l'autre appartement, par où s'est échappéCet inconnu rival ? Oui je me suis trompé ?Si j'ai cru qu'à présent vous parliez à moi-mêmePensant parler à lui, c'est un mensonge extrême,D'avoir vu, rien du tout, non non je n'ai rien vu, Je me trompe Madame, et mes yeux m'ont déçu,Vous n'avez contre moi commis aucune offense,Et je me prends à tort à la même innocence. ORASIE. Laissons là ce discours Léandre écoutez moiEt je vous ferai voir que j'ai gardé ma foi, Oui j'atteste les Dieux. LÉANDRE. Ah l'impudence extrême. ORASIE. Si je mens que les Dieux punissent mon blasphème. LÉANDRE. Infidèle avez vous encor assez de frontDe vous justifier après un tel affront.Quoi tout ce que j'ai vu n'est-il pas infaillible, Un homme dites-vous il n'est pas impossible. ORASIE. Oui Léandre, peut-être avez vous eu raison,Vous aurez vu sortir quelqu'un de la maison. SCÈNE XV. Julie, Léandre, Orasie. Il s'en va. JULIE, dit sans prendre garde à Léandre. Je l'ai mis en lieu sûr. LÉANDRE. Qu'en dites vous Madame ?Pourrais-je avoir encor quelque scrupule en l'âme ? C'était un domestique, oui c'est la vérité. JULIE, bas. Qu'ai-je dit malheureuse, hélas j'ai tout gâté. ORASIE. Dans ma confusion je demeure muette,Justes Dieux vous savez la faute que j'ai faite,Que des Dieux irrités j'éprouve le courroux, Si j'ai pêché Léandre aujourd'hui contre vous. LÉANDRE. Oui vous avez raison, c'est moi qui suis coupable. ORASIE. Non non je ne mens point je suis très véritable. LÉANDRE. Mais qui donc a failli. ORASIE. Je vous estime tantQue sachant que le fait, vous est très important, J'aimerais mieux cent fois mourir que de le dire,Car vous retomberiez en un tourment bien pire. LÉANDRE. Quand on n'a rien à dire, et lorsqu'on veut mentirC'est ainsi que l'on parle, et qu'on sait repartir,Mais adieu pour jamais infidèle Orasie, Suivez les mouvements de votre frénésie,Vous ne me causerez jamais aucun souci. ORASIE, le retenant. Non, non, je ne veux pas que vous partiez ainsi. LÉANDRE. J'atteste tous les Dieux à qui je rends hommageQue si vous me pressez encore davantage, Je vous perdrai Madame, et que j'obligeraiVotre père à descendre à qui je conteraiCe que je viens de voir, ce que je viens d'apprendre. ORASIE. Écoutez-moi mon coeur, arrêtez cher Léandre,Mon Amour je le jure à tort vous est suspect. LÉANDRE. Ayant perdu l'amour, j'ai perdu le respect,Non je n'écoute plus. ORASIE. Arrête-le Julie. JULIE, bas. Moi ? L'arrêter Madame ? Ah Dieux quelle folie. ORASIE. Va va, perfide ingrat, va si tu fuis de moi,Je sais bien les moyens de te trouver chez toi. Florimonde faut-il que pour t'avoir servieJe perde en même-temps et l'honneur et la vie ? ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Fabrice, Lidamant, dans leur chambre. FABRICE. D'où venez vous Monsieur ? Qu'avez vous ? LIDAMANT. Je ne sais,Fabrice, d'où je viens, moins encor ce que j'ai,Ne m'importunes point. FABRICE. Quelle douleur extrême Vous a troublé l'esprit, et mis hors de vous-même ?D'où vous naît ce chagrin cette mauvaise humeur ? LIDAMANT. Tais-toi n'augmente pas encore ma douleur,[Note : Hardes : Tout ce qui est d'un usage ordinaire pour l'habillement. [L]]Ne t'en informe pas. Accommode mes hardes,Apprête mes chevaux. Qu'est ce que tu regardes ? Je veux sortir d'ici plus vite que le vent,Va tôt, dépêche toi. Regarde auparavant,Si Léandre est ici, j'ai deux mots à lui dire. FABRICE. Il n'est pas au logis. Bas.Sa fureur devient pire,Que veut dire cela ? LIDAMANT. Léandre assurément Est au comble de l'heur et du contentement,Il est entre les bras de sa chére maîtresseIl a refait sa paix. Mais Dieux en ma tristesse,Au malheur qui m'accable, au fâcheux souvenirDe tant de maux présents que dois-je devenir ? FABRICE. Que j'en sache la cause. LIDAMANT. Oui je le veux Fabrice,Écoute, et de mon sort admire le caprice,La Dame que tu sais m'a tantôt fait savoirPar un certain billet que je l'allasse voir,Une fille à l'instant m'a mené droit chez elle, J'entre dans un logis dont l'apparence est belle,Les meubles précieux, mais ce qui plus l'ornait,C'était cette beauté de qui l'oeil me charmait.Elle m'a fait d'abord quelque plainte légère,Comme je m'excusais elle a su que son père Arrivait au logis et tremblante de peurM'a fait incontinent retirer en lieu sûr,Ils parlaient assez haut mais je n'ai pu comprendreLeurs discours que j'oyais, sans les pouvoir entendre,La porte était fermée, et leurs confuses voix Venaient bien jusqu'à moi dans la chambre où j'étais,Un homme ouvre la porte et moi je me tins ferme,Et sans passer plus outre une fille la ferme.Sans avoir discerné la forme ni les traitsNi de l'un ni de l'autre, un peu de temps après, Une fille confuse et troublée est venueQui m'a pris par la main, et m'a mis en la rue.Témoignant avoir peur que Léandre le sutNon seulement de moi mais qu'il s'en aperçutDe sorte que confus d'avoir vu ce mystère Je ne puis me résoudre à ce que je dois faire,Et me faut être enfin de moi-même ennemi,Offenser ma maîtresse, ou trahir mon ami,Si de ce cher ami cette Dame est maîtresse,Je la dois accuser comme lâche et traîtresse, Mais si ce ne l'est pas j'emploierais sans raison,Contre elle une si lâche et noire trahisonContre elle qui m'adore. Elle a raison peut-êtreDe ne le vouloir pas encor faire connaîtrePeut-être qu'un sujet que j'ignore, peut bien, Empêcher que surtout, Léandre en sache rien.Dans la confusion qui naît de ce mystère,Je ne sais, si je dois ou parler ou me taire,Puis que de tous côtés je me vois malheureuxLe meilleur est je crois de les quitter tous deux, Mon ami n'aura point de sujet de se plaindre,Ni ma maîtresse aussi, ni moi plus rien à craindre.Apprête tout mon fait, donne ordre à mon départ,Car je m'en veux aller dans une heure au plus tardQuand je devrais cent fois courir à ma ruine, Et mourir en quittant cette beauté Divine. FABRICE. Ce dessein est louable, et d'un coeur généreuxJe vais vous obéir. Fabrice sort. LIDAMANT, seul. Que je suis malheureux.Quelle confusion à la mienne est égale ?Adieu, Paris, Adieu, sortons de ce dédale, De cette Babylone, de ces lieux enchantés,Où les illusions passent pour vérités.Femme qui que tu sois avec ton artifice,Et tes précautions que le Ciel te bénisse.Va je te dis adieu, je vais t'abandonner. FABRICE, rentre. Votre habit est tout prêt, on me le va donner,J'ai dit que nous montons à cheval dans une heure. LIDAMANT. Le sort en est jeté ! Mais faut-il que je meure ?Faut-il que le caprice, et les inventionsD'une femme bizarre en ses précautions Me chasse de Paris en quittant mes affaires ?Oui, va tôt préparer les choses nécessaires.J'entre en mon cabinet et reviens à l'instant. SCÈNE II. Nérine, Florimonde, dans leur Chambre. NÉRINE. Madame pensez y, ne vous hâtez pas tant,Et considérez mieux ce que vous voulez faire, Si vous entrez chez lui, pensez que votre frèreY pourra survenir, et vous surprendre là. FLORIMONDE. Tais-toi, te dis je, il faut se résoudre à cela,Ne me réplique point. Ne viens tu pas de dire,Qu'il est prêt à partir. NÉRINE. Oui, Madame, il désire S'en aller dans une heure, au moins à ce que ditSon homme qui m'a fait demander son habit. FLORIMONDE. Peux tu donc t'étonner, si mon amour m'obligeÀ vouloir divertir ce départ qui m'afflige ?Il a su qui je suis, il n'en faut point douter, Et c'est ce qui l'oblige à me vouloir quitter,Il l'a su d'Orasie, il aime trop mon frère,Et ne voudrait pour rien en m'aimant lui déplaire,C'en est là le sujet. NÉRINE. Mais s'il s'en veut aller,L'en empêcherez vous ? FLORIMONDE. Oui, je lui veux parler. Je veux si je le puis détourner cette envie,Et l'empêcher aussi de m'arracher la vie,Et d'emporter un coeur que l'ingrat m'a volé.Attends moi. Elle sort. SCÈNE III. Lidamant, Fabrice, Florimonde, dans la chambre de Lidamant. LIDAMANT. Va savoir où Léandre est allé,Je lui veux dire Adieu. Fabrice sort et rentre à l'instant.Monsieur je vous apporte Pour nouvelle, que j'ai rencontré sur la porteCelle que vous savez. LIDAMANT. Que dis tu ? FABRICE. La voici Florimonde entre.C'est elle. FLORIMONDE. Lidamant que veut dire ceci ?Est-ce le procédé d'un homme magnanime,D'un brave cavalier tel que je vous estime, De partir de la sorte, et de quitter ce lieu,Sans m'en faire avertir, et sans me dire adieu ?Vous qui dites m'aimer et m'être si fidèle ? LIDAMANT. Qui vous a fait savoir si tôt cette nouvelle ?Ce dessein de partir m'a pris en un moment, FLORIMONDE. La mauvaise nouvelle en Amour, LidamantNe va pas comme on dit, promptement elle vole. FABRICE. Il n'en faut point douter, je vous donne paroleQu'elle a quelque démon qui lui sert de valet.[Note : L'Esprit follet, Comédie du même auteur, représentée en 1638 à l'Hôtel de Bourgogne.]Serait elle point soeur de notre esprit follet ? FLORIMONDE. Il est donc bien certain, et ma peur n'est point vaine. LIDAMANT. Oui, je m'en veux aller, la chose est très certaine,Vous êtes la cause, et je m'enfuis de vous. FLORIMONDE. Ah je sais Lidamant d'où vous naît ce courroux,Vous savez qui je suis (je me sens si confuse Que je ne puis parler ) si c'est là votre excuse,Si cette connaissance, et ce ressentiment,Vous fait abandonner Paris si promptement,Encor que ce départ ne tend qu'à me détruireJe conjure les Dieux qu'ils vous veuillent conduire. Si j'ai tu qui j'étais, et mon extraction,Il était important à notre affection,Mais pour plusieurs raisons, et sans votre dommageVous ne pouviez alors en savoir davantage. LIDAMANT. Je ne vous entends point, non, car je vous connais Aussi peu maintenant que je vous connaissais,Qui me fait vous quitter, n'est que la méfianceQue vous avez de moi, car par quelle apparenceCroirai-je d'être aimé, puisqu'en toutes façonsVous avez refusé d'éclaircir mes soupçons ? FABRICE. Léandre vient ici. FLORIMONDE. Grands Dieux je suis perdue. LIDAMANT. Mais pourquoi ? Que vous peut importer cette vueVous vous désespérez et je ne sais pourquoi.Léandre est mon ami, vous êtes avec moiDe quoi vous fâchez-vous. FLORIMONDE. Que je suis misérable, Mais puisque le malheur de tous côtés m'accable,Et qu'il faut succomber à la fin au tourment,Je ne me veux plus taire, écoutez Lidamant,Je suis. Je ne puis pas en dire davantage,Il entre, le voici. Dieux je perds le courage, Ma vie est en vos mains, je me jette en vos bras.Secourez moi de grâce, et ne me perdez pas.J'entre en ce cabinet. Elle se cache. LIDAMANT, en lui-même. En la peur qui la presseIl faut assurément que ce soit sa maîtresse.Je n'en saurais douter. SCÈNE IV. Léandre, Lidamant, Fabrice et Florimonde cachée. LÉANDRE. Ah ! Mon cher Lidamant. LIDAMANT. Léandre, qu'avez vous ? LÉANDRE. Un excès de tourment,Une gêne, une rage, un dépit si sensibleQue de vous l'exprimer il ne m'est pas possible,Ah l'étrange accident qui me vient d'arriver,C'est pour m'en divertir que je vous viens trouver. LIDAMANT. Comment ? Ayant les Dieux à vos voeux si propices,Je vous croyais nager au milieu des délices,Et j'enviais quasi votre félicitéQuoi ! N'avez vous pas vu cette jeune beauté ?N'avez vous pas encor fait votre paix ensemble, Pour moi je le croyais, mais à ce qu'il me semble,Vous en êtes bien loin ? Qu'avez-vous ! LÉANDRE. Ah voici.Le plus grand de mes maux. LIDAMANT. Fabrice sors d'ici. Fabrice s'en va. LÉANDRE. Vous disiez bien tantôt parlant de jalousie,Cher ami, qu'aussitôt qu'une âme en est saisie C'est le plus grand malheur qu'on puisse recevoir,Qu'il vaut mieux la donner cent fois que de l'avoir. LIDAMANT. Mais en si peu de temps, comment vous a peu naîtreCe soupçon si fâcheux que vous faites paraître ?Sans doute il l'a suivie, et ce soupçon je crois, Ou je me trompe fort, lui vient d'elle et de moi. LÉANDRE. Écoutez cher ami, cette histoire est étrange,Elle vous surprendra. J'ai tantôt vu cet ange,J'appelle de ce nom celle qui m'a charmé,Dont l'oeil quoi que divin vaut moins qu'il n'est aimé. Je ne vous dirai point combien devant ses charmes,J'ai jeté de soupirs et répandu de larmes,Afin de l'assurer de ma fidélitéDe qui ses vains soupçons ont fait qu'elle a doutéM'étant justifié fort content je la quitte, J'y suis venu après faire une autre visiteMais son père arrivant il m'a fallu cacher,En trouvant une Chambre ( Ah Dieux comme un rocherJe demeure immobile à ce discours funeste )J'ai vu l'ombre d'un homme. LIDAMANT, bas. Ah grands Dieux je proteste Que voila de tout point, ce qui m'est survenu. LÉANDRE. Ah cher ami, pourquoi me suis-je retenu ?Et pourquoi le respect, et d'elle et de son pèreOnt ils en ce besoin fait calmer ma colère ?Mais quoi je me suis tu, j'ai fait la lâcheté, De me montrer discret en cette extrémité.Et l'ingrate m'a vu témoigner plus d'envieDe garder son honneur que de sauver ma vie,Enfin sans dire mot je me suis retiré,Et me suis résolu triste, et désespéré De l'attendre à la rue, afin de le connaître. LIDAMANT. Et bien quel homme était-ce ? LÉANDRE. Il s'en est fui le traître.Une fille l'avait sur l'heure mis dehors,Dieux c'est une douleur pire que mille mortsDe craindre, et ne savoir qui je crains, LIDAMANT, bas. C'est la même Il n'en faut point douter, c'est la dame que j'aime,Oui c'est elle en effet de qui je suis aimé,C'est moi qu'elle a tenu dans sa chambre enfermé !Mais puisqu'il n'en sait rien, il faut que mon absenceTermine tant de maux. LÉANDRE. Dieux quelle extravagance, Vous rêvez est-ce ainsi qu'il me faut consoler ? LIDAMANT, bas. La chose est résolue, oui je m'en veux aller,Ne vous étonnez point cher ami je vous prie,Ce surprenant discours cause ma rêverie.J'en ai bien du sujet en l'état où je suis. LÉANDRE. Que me conseillez vous ? LIDAMANT. Oubliez. LÉANDRE. Je ne puis. SCÈNE V. Fabrice, Léandre, Lidamant, Orasie. FABRICE. Une Dame est là-bas qui demande Léandre. LÉANDRE. C'est elle, je ne veux ni la voir ni l'entendre. LIDAMANT. Ce n'est peut-être pas celle que vous pensez,Vous vous pourriez tromper. LÉANDRE. Je la connais assez Oui c'est elle, qui croit qu'aisément on m'abuse,Elle vient me donner quelque mauvaise excuse,Pour me faire passer pour une faussetéCe que je sais fort bien être une vérité. Orasie entre. LIDAMANT, en lui-même. Quelle confusion à la mienne est pareille ? Est-ce une illusion ? Est-il vrai que je veille ?Si c'est elle qu'il aime, avec quelle raison,Me dit-il qu'il a vu cacher dans sa maisonCertain homme inconnu puis que c'était moi même ?D'ailleurs si c'est ici la maîtresse qu'il aime, Qui peut être (grands Dieux, je perds ici les sens )Cette autre qui se vient d'enfermer là-dedans ? ORASIE, à Lidamant. Lidamant permettez que je parle à Léandre. LÉANDRE. Mais quoi ! Savez-vous bien s'il voudra vous entendre ? ORASIE, au même. De grâce obligez moi, laissez nous seuls ici. LIDAMANT, bas en s'allant. Madame je m'en vais. Je suis bien en souci,Je suis bien empêché de ce que je dois faire.Dieux où doit aboutir la fin de cette affaire ?Comment cet autre ici pourra-t-elle sortir ?Changeons, changeons d'avis je ne veux plus partir, Mon doute est éclairci, rien ne m'y peut contraindre,Et je n'ai plus ici désormais rien à craindre.Sa maîtresse est ici, l'autre donc ne l'est pas.Laissons les, descendons et j'attendrai là-bas. SCÈNE VI. Orasie, Léandre, Florimonde cachée. ORASIE. Puisque nous sommes seuls écoutez-moi Léandre. LÉANDRE. Pourquoi vous écouter ? ORASIE. Je vous veux faire entendreLe sujet qui m'amène. LÉANDRE. Il n'en est pas besoin,Non Madame je veux vous épargner ce soin.Si je vous veux ouïr, vous conterez merveilles.Oui, vous démentirez mes yeux et mes oreilles, Si c'est là le sujet qui vous amène ici,Vous pouvez bien vous taire, et me laisser aussi. ORASIE. Je vous veux faire voir à clair mon innocence,De grâce écoutez moi. LÉANDRE. Ce seul mot là m'offense.Il est vrai je l'ai vu, j'en atteste les Dieux, Ou bien les vérités sont fausses à mes yeux. ORASIE. Sans doute je serais de raison dépourvue,De vouloir en ce point démentir votre vueOui je tenais un homme enfermé. LÉANDRE. C'est assez.Vous n'en dites que trop. Quoi ! vous le confessez ? Après un tel aveu prendrez vous bien l'audaceDe vous justifier. ORASIE. Écoutez moi de grâce. LÉANDRE. Il valait Orasie, il valait beaucoup mieuxMe cacher votre honte, et démentir mes yeux.C'est bien être en effet de vous même ennemie, D'avouer franchement ainsi votre infamie,Ô la fidèle Dame, ô la constante foi. ORASIE. Mais jusques à la fin de grâce écoutez-moi,Je ne veux qu'un moment ; j'aurais grand tort LéandreDe démentir vos yeux, je ne m'en puis défendre. Ils ne vous trompaient point, je ne saurais nierQu'on a caché chez moi tantôt un Cavalier.Mais j'atteste les Dieux et sur tout hyménée,Que j'ai gardé la foi que je vous ai donnée,Que je n'ai peu commettre un parjure pareil, Que mon honneur est pur autant que le Soleil,Que c'est vous seulement que je chéris au monde,Si je mens d'un seul mot que le Ciel me confonde. LÉANDRE. Quel est cet homme là ? ORASIE. Je ne le connais point. LÉANDRE. Faut-il qu'à votre crime un mensonge soit joint ? Mais que faisait-il là ? ORASIE. Je ne vous le puis dire. LÉANDRE. Pourquoi ? ORASIE. Je n'en sais rien. LÉANDRE. Est-ce pas pour en rire ?Me voilà bien savant, je suis fort satisfait. ORASIE. La satisfaction la plus grande en effetEst de n'en rien savoir. LÉANDRE. Je rougis de sa honte. Le beau raisonnement, l'excuse à votre conteEst en ce que j'ignore, où je ne comprends rien,Et la faute consiste en ce que je sais bien.Quoi doncques voulez vous que le bien que j'ignoreVainque ce que je sais, et voulez vous encore, Que mon bien soit douteux, et mon mal assuré ?Je n'ai plus rien à craindre et tout considéré,La satisfaction est certes excellente.Croyez vous en effet que cela me contente,Je vois que vous m'aimez et me gardez la foi. Je n'en saurais douter, ORASIE. Léandre croyez moiIl y va trop du vôtre, et si vous êtes sage,Vous ne chercherez pas d'en savoir davantage. LÉANDRE. Vous m'avez dit tantôt de pareilles raisons,Qui ne font qu'augmenter encor plus mes soupçons. C'est le dernier ressort quand on ne sait que dire,Quelque mal que ce soit il ne peut être pire,Car ce que j'ai vu marque assez votre pêché.Pourquoi chez vous un homme à quel dessein caché.Si vous ne contentez en ce point mon envie Je ne vous veux ni voir ni parler de ma vie. ORASIE. Que ferai-je grands Dieux ? bien je vous le dirai. Florimonde avec sa coiffe et son masque passe au travers de la Chambre derrière eux et gagne la porte, descend et dit tout bas :Non ferez, si je puis, je vous en garderai. LÉANDRE. Quelle femme est ce là ? ORASIE. Quoi vous avez l'audaceDe faire l'ignorant. Il veut courir après, Orasie le retient. LÉANDRE. Permettez-moi de grâce, Madame au nom des Dieux que je suive ses pasJe veux savoir qui c'est. ORASIE, le retenant. Non non, vous n'irez pasVous brûlez de désir de courir après ellePour lui faire une excuse âme ingrate infidèle,Je vous entends déjà, Madame j'ai quitté Pour courir après vous cette moindre beautéDont les attraits communs me causent peu de peine. LÉANDRE. Tenez pour vérité, mais vérité certaine,Que je ne sais qui c'est j'en atteste les Dieux. ORASIE. Ne jurez point Léandre, et démentez mes yeux. Vous le savez très bien, C'est Iris je l'ai vue,Et croyez qu'en passant je l'ai bien reconnue. LÉANDRE. Madame croyez moi, non, ce n'est point IrisVeillais-je ou si je songe... ha que je suis surpris, ORASIE. Je ne m'étonne plus de ce qu'à ma venue Vous aviez tant de peine à soutenir ma vue,Vous possédiez chez vous des attraits plus puissantsPensez-vous m'abuser, et surprendre mes sens,Que veut dire cela, Léandre ? Quelle honte ?Le beau raisonnement, l'excuse à votre conte Est en ce que j'ignore, où je ne comprends rien,Et la faute consiste en ce que je sais bien.Quoi doncques voulez-vous que le bien que j'ignoreVainque ce que je sais et voulez vous encore,Que mon bien soit douteux, et mon mal assuré ? LÉANDRE. Je ne sais ce que c'est, je vous en ai juréPar là vous vous sauvez de votre perfidie ? ORASIE. Ce que je dis est vrai, suffit que je le die,Je suis plus véritable en ce point là que vous. LÉANDRE. C'est jusqu'au dernier point exciter mon courroux. Vous ne méritez pas seulement qu'on vous nommeN'ai-je pas tantôt vu dans votre chambre un homme ? ORASIE. Aurez-vous bien le front de me nier aussiQu'une femme masquée était naguère ici ? LÉANDRE. Je ne la connais point. ORASIE. J'ai moins de connaissance De cet homme cent fois. LÉANDRE. Ah l'extrême impudence ?Vous le savez très bien, car vous l'alliez nommer. ORASIE. Adieu, perfide, adieu, n'osez pas présumerQue jamais je vous parle, ou que je vous regarde. LÉANDRE. Prenez garde Orasie. ORASIE. À quoi prendrai-je garde. LÉANDRE. Ah ! C'est trop mal traiter un homme comme moi,Dont la plainte est si juste. ORASIE. Âme ingrate, et sans foi,Est-ce à tort ? Direz vous que je me l'imagine ?Je vois qu'on me trahit, je vois qu'on m'assassine. LÉANDRE. Le Ciel lit dans mon coeur, et voit que j'ai raison. ORASIE. Je suis sans crime aucun, vous plains de trahison,Qui reconnaissez mal le feu qui me consomme. LÉANDRE. N'ai-je pas tantôt vu dans votre chambre un homme ? ORASIE. Ne viens-je pas de voir une femme en ce lieu ?Je vais à la campagne, Adieu perfide, Adieu, Ne vous attendez pas de me voir de ma vie. LÉANDRE. Après ce que j'ai vu j'en ai fort peu d'envie.Allez vous promener avecque ce rival,[Note : Fer : Arme blanche, le plus souvent une épée que portaient les gentilshommes.]À qui ce fer ici bientôt sera fatal,À qui par mille endroits je ferai vomir l'âme. ORASIE. Et moi j'arracherai les yeux à cette infâme. Ils s'en vont l'un par un côté et l'autre par l'autre. ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Florimonde, Nérine, dans leur Chambre. FLORIMONDE. Tout s'est passé Nérine ainsi que je le dis. NÉRINE. Ce procédé Madame est un peu trop hardiDieux que vous m'étonnez, et que je suis surprise. FLORIMONDE. C'est à n'en point mentir une haute entreprise, Mais tout considéré j'ai fait ce que j'ai du,Car voyant aussi bien que tout était perdu,Et que mon frère allait apprendre d'Orasie,Ce que je crains le plus il m'a pris fantaisie,De rompre leurs discours et par cette action Je suis venue à bout de mon intention.Il faut aux maux pressants hasarder toute chose,Et pour dire en effet la principale cause,Qui m'a le plus poussée à ne redouter rien,Qui m'a plus enhardie est que je savais bien Qu'en tout cas Lidamant était pour me défendreQui n'avait garde en bas de manquer à m'attendre.Mais mieux que je n'ai cru le tout m'a réussi,Je me trouve en ma Chambre exempte de souci,Ma présence sans doute aura fait qu'Orasie Aura mis à son tour un peu de jalousie,Lidamant n'a risqué rien pour l'amour de moi,J'ai fait taire Orasie ainsi que je le crois,Et mon frère de plus ne m'a point reconnue,J'ai coulé doucement à peine m'a-t-il vue. NÉRINE. La chose a succédé mais n'y retournez plus. FLORIMONDE. Nérine tes conseils sont ici superflus,Le dessein m'enhardit et me donne l'envieD'en entreprendre un autre au péril de ma vie.Il faut trouver moyen si je puis aujourd'hui De revoir Lidamant et de parler à lui. NÉRINE. Quelqu'un entre, FLORIMONDE. Voyez. NÉRINE. C'est Monsieur votre frère. SCÈNE II. Florimonde, Léandre, Nérine. FLORIMONDE. Je vois bien qu'il n'a pas la fortune prospère,Mon frère qu'avez-vous qui vous gêne si fort. LÉANDRE. Hélas ma chère soeur je voudrais être mort. J'aime une fille ingrate, en deux mots c'est vous direLa douleur que je sens, mais ce n'est pas le pire,J'ai vu qu'on me trahit enfin je suis jaloux,Et loge dans mon coeur un Dieu plein de courroux.Comme je lui contais ce matin mon martyre J'ai vu. FLORIMONDE. Qu'avez vous vu ? LÉANDRE. Dieux le pourrai-je dire ?Un homme qu'elle avait dans sa chambre enfermé. FLORIMONDE. Est-il possible ô Dieux. LÉANDRE. Lors de rage enflamméJe sors hors de sa Chambre et l'attends à la rue,Mais il ne paraît point, Orasie est venue, Me voir comme j'étais là-bas chez Lidamant.Comme nous discourions en son appartementEt comme elle tâchait avec toutes ses rusesDe colorer son fait par de faibles excusesPleurant pour m'apaiser et soupirant en vain, Une femme cachée au cabinet prochainPasse au travers de nous et descend. FLORIMONDE. Une femme ?Dieux que me dites vous ? LÉANDRE. Je crois que cette infâmeÉtait là par un ordre exprès de LidamantÀ qui j'en ai parlé mais fort modestement, Il a sur ce sujet eu peine à me répondreIl l'a nié mais moi de peur de le confondre,Je ne l'ai pas pressé fort longtemps là-dessus,Enfin quoi qu'il en soit, écoutez le surplus,Croyant que c'est Iris, la cruelle Orasie Est de nouveau rentrée en telle jalousie,Qu'elle fuit ma rencontre, et moi d'autre côté,Qui suis de cette ingrate indignement traitéJe brûle de colère, et brûle aussi d'envie,De revoir cet objet de qui dépend ma vie. Mais avant que la voir ma soeur je voudrais bien,Éclaircir mon soupçon, et par votre moyen,Ne me refusez pas chère soeur je vous prie. FLORIMONDE. Mais que puis je pour vous. LÉANDRE. Par certaine industrieQui vient de mon esprit vous me pourrez guérir. FLORIMONDE. J'y ferai mon effort quand j'en devrais mourir. LÉANDRE. Il faut qu'un de ces jours vous l'alliez voir chez elle,Et que vous lui disiez que pour une querelle,Qu'à tort je vous ai faite, et vous feindrez pourquoi,Vous ne désirez point demeurer avec moi, Que ma mauvaise humeur ne soit du tout changée.Et la conjurerez de vous tenir logéePour quelque peu de jours dans son appartement,Ce qu'elle accordera sans doute librement.Là vous me servirez d'un espion fidèle, Vous saurez qui lui parle et qui hante chez elle,Vous saurez quel rival la porte à me trahir. FLORIMONDE. La chose est bien aisée, il vous faut obéirQuand bien dans ce projet je verrais mille obstaclesAmour étant un Dieu peut faire des miracles, Vous connaîtrez par là mon zèle et mon devoir,Reposez vous sur moi je vous sers dès ce soir.Je vous dirai pourquoi l'ingrate vous dédaigne. LÉANDRE. Elle est allé vomir son fiel à la campagne,Et ne doit être ici de trois jours de retour. FLORIMONDE. Bien j'irai dans trois jours. LÉANDRE. Seconde nous AmourFais tant par ton pouvoir que cette ingrate amanteReconnaisse sa faute et qu'elle s'en repente,Fais tant que de ses yeux son âme ait la douceur,Vous me donnez la vie adieu ma chère soeur. Il s'en va. FLORIMONDE. Au delà de mes voeux je trouve Amour propice,Voyez comme il me presse à lui rendre un officeQue cent fois plus que lui j'ai lieu de souhaiter.Nérine j'oi du bruit, j'entends quelqu'un monterVa regarde qui c'est. SCÈNE III. Florimonde, Orasie, Julie, Nérine. FLORIMONDE. Est-ce vous ? Chère amie. ORASIE. Ah ! Vous m'avez comblé de honte et d'infamie,Votre frère a chez moi tantôt vu LidamantEnfermé dans ma chambre. FLORIMONDE. Ah Madame et comment ? ORASIE. Il n'importe comment, il est tout en colèreSorti hors de chez moi, qui pour le satisfaire L'ai cherché jusqu'ici, les yeux baignez de pleursQui témoignaient assez l'excès de mes douleurs,Qui ne justifiaient que trop mon innocence,Mais quoi quelque raison que j'eusse en ma défense,Je n'ai pu faire entendre à ce coeur irrité Rien qui put l'éclaircir de ma fidélité,Je n'ai pourtant rien dit de tout ce qui vous touche,Ma discrète amitié m'avait fermé la bouche,Une femme enfermée en quelque lieu prochain,Sort, passe devant nous sans parler et soudain En gagnant le degré montre à sa contenance[Note : Martel en tête : quelque chose qui donne du chagrin, du souci, de l'inquiétude, de la jalousie [F] martel : marteau.]Qu'elle prend du martel de notre conférence,Je crois que c'est Iris, ou je me trompe fort,Car elle a ce me semble, et sa taille, et son port. FLORIMONDE. Il n'en faut point douter, voyez l'effronterie, Qu'a fait mon frère alors. ORASIE. Je ne vis de ma vie,Un homme plus surpris, il a fait l'étonné,Voulant courir après je l'en ai détourné !Là-dessus j'ai vomi ce que j'avais dans l'âme,Et contre ce volage et contre cette infâme, Voyant qu'on outrageait jusque là mon amourCroyez que j'ai bien fait la cruelle à mon tour,Comme il m'avait nommée et perfide et parjure,Contre lui justement j'ai repoussé l'injure,Nous nous sommes quittés enfin fort mal contents Et pour le mieux piquer j'ai feint aller aux champs,Mais c'est pour avoir lieu d'user d'un stratagème,Où personne ne peut me servir que vous-même,Je brûle de désir maintenant de savoirSi c'est Iris qui vient à toute heure le voir. Car cette Iris sur tout trouble ma fantaisie,Et cause les effets de cette jalousie,Vous m'avez dit tantôt qu'en son appartement,Une porte répond au vôtre tellementQue par là, puisqu'enfin la chose est évidente Je pourrais découvrir quelle est cette impudente,Et guérir les soupçons de mon esprit jaloux.Si je pouvais passer deux ou trois nuits chez vous,Car pour autant de jours mon père est en campagneNe me refusez pas chère et belle compagne, Je vous ai tantôt fait un service important,Qui vaut bien qu'aujourd'hui vous m'en fassiez autantEt que vous répondiez à cette courtoisie. FLORIMONDE. Vous m'offenseriez trop d'en douter Orasie,Un obstacle pourtant s'oppose à ce dessein, Mais j'y remédierai. ORASIE. Quel peut-il être ? FLORIMONDE. En vainJe voudrais vous celer le soupçon de mon frère,Étant fort mal fondé, n'étant qu'imaginaire,Il brûle comme vous de désir de savoirQuel est ce Cavalier qu'il croit qu'il vous vient voir, Et pour y parvenir, sachez qu'il se propose,Le même expédient toute la même choseQue vous me proposez, voulant pareillementQue je sois ces trois nuits dans votre appartement,Feignant que nous avons eu quelque pique ensemble, J'entends mon frère et moi, tellement qu'il me sembleQu'il serait à propos, si vous venez iciQue pour vous y servir, je m'y trouvasse aussi.Et n'allant pas chez vous il dirait. ORASIE. Au contraire.Pour plus commodément terminer cette affaire, Il faut que vous feigniez m'avoir dit dès ce soirToute votre dispute et lui faire savoir,Et puis nous changerons de logis tout à l'heure,Cette voie en effet me semble la meilleure. FLORIMONDE. Comment donc ferons nous ? ORASIE. Demandez vous comment ? Pourquoi tant consulter ? Nérine promptement,Qu'on lui donne sa coiffe, et son masque, une affaire Se perd le plus souvent alors qu'on la diffère,Allons, nous n'en avons déjà que trop parlé ? FLORIMONDE. En quelque part que soit Lidamant trouve-le, Entends tu bien Nérine, et lui dis que s'il m'aime,Il me vienne trouver ce soir au logis mêmeOù tantôt il m'a vue. Après reviens iciPour servir Orasie, il est meilleur ainsi,Qu'en changeant de logis, nous changions de suivante. Viens donc suis moi Julie. ORASIE. Aux affaires pressantesIl faut agir ainsi. FLORIMONDE. Je le trouve très bon. ORASIE. Madame, soyez donc maîtresse en ma maison.Comme si vous étiez chez vous, je vous supplie. FLORIMONDE. Faites de même ici. ORASIE. Toi prends garde Julie De lui bien obéir. JULIE. Je n'y manquerai pas. FLORIMONDE. Dépêchons nous Julie. JULIE. Allons je suis vos pas. SCÈNE IV. Lidamant dans sa Chambre, et Fabrice avec un papier. LIDAMANT. Quel papier est ce là Fabrice ? FABRICE. C'est un compteDe l'argent que j'ai mis. LIDAMANT. Que dis tu ? FABRICE. Qui se monteÀ sept livres huit sols, en mémoire du temps Que je vous ai servi, qui sont près de cinq ansMoins quatre mois, six jours. LIDAMANT. Qui t'oblige à ce faire ? FABRICE. C'est pour vous demander s'il vous plaît mon salaire. LIDAMANT. Encor pour quel sujet ? FABRICE. Parce que je connaisQue vous n'avez Monsieur plus affaire de moi, Vous ne voulez jamais que je vous accompagne,Si ce n'est quelque fois encor à la Campagne,Si quelqu'un vous vient voir, vous me faites sortirEt vous allez dehors sans m'en faire avertir.De cette façon là je ne saurais pas vivre, Pourquoi m'empêchez vous tous les jours de vous suivre ?Vous allez en des lieux où peut-être mon brasDans les occasions ne vous manquerait pas.A ne vous point mentir, ce procédé me fâcheIl faut qu'auprès de vous je passe pour un lâche, Ou pour quelque causeur. Je suis assez discretEt crois mériter bien qu'on me fie un secret. LIDAMANT. N'impute ce silence et cette solitudeQu'à mon esprit chagrin tout plein d'inquiétude,Je t'aime, cher Fabrice, autant que je le dois, Si tu savais mon mal tu pleurerais pour moi. FABRICE. Quittons donc ce pays puis qu'il vous importune,Ne sauriez vous ailleurs trouver votre fortune ?Arrachez vous, Monsieur, cette épine du sein. LIDAMANT. Fabrice, je ne puis, j'ai changé de dessein Je suis trop enchanté des yeux de cette belle,Pour pouvoir seulement vivre un moment sans ellePuis voyant mon soupçon de tout point éclairci,Rien ne m'oblige plus à m'en aller d'ici,Il reste encor un point que je ne puis comprendre, Je pensais qu'elle fut maîtresse de LéandreEt je ne regardais que son seul intérêt.Je suis hors de ce doute, et je ne sais qui c'est. FABRICE. Qui c'est ? Je le sais bien moi, LIDAMANT. Toi ? FABRICE. Moi je le jure. LIDAMANT. Que ne le dis tu donc ? FABRICE. C'est quelque créature Qui par inventions cherche de vous tromper,Croyez que les plus fins s'y laissent attraper. LIDAMANT. Je suis trop glorieux de l'être de la sorte,Mais prends garde, j'entends quelqu'un à cette porte SCÈNE V. Nérine, Fabrice, Lidamant. NÉRINE. Écoutez Lidamant, celle que vous savez. FABRICE. Femme, d'où tombes-tu ? NÉRINE. Que t'importe ? LIDAMANT. Achevez. NÉRINE. Veut avoir cette nuit l'honneur de votre vue,Venez y sans manquer, vous savez bien la rue,Et le logis aussi, c'est dans le même lieu,Il n'est point de besoin de vous conduire. Adieu. Elle sort. FABRICE. A-t-on jamais parlé d'un succès plus étrange ? LIDAMANT. Courage, cette nuit, je m'en vais voir mon ange. FABRICE. Cet ange est bien obscur, mais que n'est-ce en plein jour. LIDAMANT. En attendant la nuit, je m'en vais faire un tour.Et toi ne manque pas en ce lieu de m'attendre, Et si je tarde trop, fais avertir LéandreQu'il soupe en arrivant, qu'il ne m'attende point. FABRICE. C'est me désespérer jusques au dernier pointVous laisser aller seul ? Je n'en ai nulle envie,Où vous avez couru danger de votre vie, Où vous craignez un père aussi bien qu'un rival,Où sans doute il vous peut arriver quelque mal,Vous n'irez point tout seul si vous me voulez croire. LIDAMANT. Saurais-je être en péril lors que je suis en gloire ?Je ne puis là-dedans, être assurément ? SCÈNE VI. Léandre, Lidamant, Fabrice. LÉANDRE. Où s'adressent vos pas ? Vous sortez Lidamant ! LIDAMANT. Léandre, je ne sais comme je vous puis taireNi comme j'ose aussi vous conter ce mystère ?Un respect bien puissant me défend de parler,Mais mon bonheur m'oblige à ne vous rien celer Aurez vous bien le temps pour ce soir ? LÉANDRE. Oui la flammeQui m'embrase le coeur, et me consomme l'âme,Et l'ingrate beauté qui me donne des loisMe donnent du loisir plus que je ne voudraisJe suis à vous ce soir, et toute la nuit même. LIDAMANT. Sachez donc, cher ami, que la beauté que j'aime,M'a fait savoir ici que tout seul, et sans bruit,Je ne manquasse pas de la voir cette nuit.C'est celle dont tantôt si vous avez mémoireJe commençais chez vous à vous conter l'histoire, Qu'une fille arrivant en empêcha le cours,Si je ne vous ai point achevé ce discoursC'est que je redoutais, vu même l'apparence,De commettre en ce point contre vous une offense.Mais éclairci qu'à tort j'avais eu ce soupçon, Que ce fait ne vous touche en aucune façon,Il faut absolument que je vous entretienne ;Il n'est pas encor nuit, attendant qu'elle vienne,Allons nous promener, je surprendrai vos sensPar le nombre infini des rares accidents Qui me sont survenus, que vous croirez à peine. LÉANDRE. Encor de quel côté ? LIDAMANT. Tirons devers la Seine.Allons sur le Pont-neuf. LÉANDRE. En cette occasionJe pourrai divertir un peu ma passion. LIDAMANT, à Fabrice. Toi, va-t-en au logis. FABRICE, bas. Non, je n'en veux rien faire, Je les suivrai tous deux leur dusse-je déplaire;Mais de peur d'être vu, je les suivrai de loin,Je ne désire pas leur manquer au besoing253. SCÈNE VII. Lisis, Tomire dans la rue. LISIS, soutenant Tomire sous les bras. Reposez-vous sur moi Monsieur, à l'heure mêmeNous serons au logis. TOMIRE. Ma douleur est extrême. Je ne puis résister à la force du mal. LISIS. Qu'au diable soit donné le maudit animalQui vous a fait tomber, mettez vous à votre aise.Encor si nous pouvions rencontrer une chaise. TOMIRE. Je le voudrais Lisis. Ah Dieux je n'en puis plus. LISIS. Voyez cet escalier, reposez vous dessusJe vais voir si je puis en rencontrer quelqu'une. TOMIRE. Je plains ma fille hélas sachant mon infortuneJ'ai peur que le regret ne la face mourir. LISIS. Ayez soin seulement de bientôt vous guérir Vous serez mieux pensé chez vous qu'à la campagne. TOMIRE. Je crois que le malheur de tout point m'accompagne,Il est tard, ils seront tous retirez chez moi. LISIS. Il n'en faut point douter. Oui Monsieur je le crois,Il n'est pas encor nuit, mais Madame Orazie N'est pas de celles là dont la coquetterie[Note : Cajoler : Signifie aussi, caresser quelqu'un, afin d'attraper de lui quelque chose à force de flatterie. [F]]Les porte jour et nuit à vouloir cajoler. TOMIRE. Lisis en arrivant j'ai peur de l'éveiller. LISIS. Songez à vous Monsieur, je reviens tout à l'heure,Quand vous l'éveilleriez craignez vous qu'elle meure. TOMIRE. Ah la jambe. LISIS. Attendez, je m'en vais de ce pasAu prochain Carrefour je ne tarderai pas. ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. Léandre, Lidamant, Fabrice caché. LÉANDRE, de nuit. L'Histoire me surprend. LIDAMANT. Dedans ces dépendancesJe laisse à vous conter beaucoup de circonstancesQui la rendraient plus belle. À présent qu'il est nuit Et qu'elle m'attend seule, retirez vous sans bruit,Et me laissez aller. LÉANDRE. Moi que je vous délaisse !Me soupçonneriez vous de si grande faiblesse,Vous étant vu chez elle en un si grand dangerY retourner sans moi ce n'est pas m'obliger, Non non, je suis vos pas, disposez de ma vie,Ne croyez pas pourtant que ce soit par envie,De savoir vos secrets, ni troubler votre amour,J'attendrai dans la rue et jusqu'au point du jour.Oui, je veux s'il le faut toute la nuit attendre. LIDAMANT. Ce serait abuser de vous, mon cher Léandre. LÉANDRE. On n'abuse jamais d'un véritable amiCelui là ne l'est point qui ne l'est qu'à demi.Quoi qu'il puisse arriver durant cette entrevue,Sachez que vous aurez un ami dans la rue, Qui pour vous seconder a le coeur assez fort,Et qui vous défendra même jusqu'à la mort. LIDAMANT. Puis-je douter de vous, et de votre courage,En voyant cette preuve ? Et ce grand témoignageQu'il vous plaît me donner de votre affection ? J'accepte la faveur, mais à conditionQue vous me traiterez avec même franchise. LÉANDRE. Ne perdez point de temps suivez votre entreprise FABRICE, bas caché derrière eux. Je les vois, mais d'ici je ne les entends pas.Approchons de plus près, et marchons sur leurs pas. Il s'approche. LIDAMANT. J'ois du bruit. LÉANDRE. Qui va là ? FABRICE. Nul ne va, je demeure. LÉANDRE. Passez votre chemin, vite mais tout à l'heure. FABRICE. Et pourquoi ? LIDAMANT. Passez outre. FABRICE. Il n'est pas de besoinDe passer plus avant, je ne vais pas plus loin. LIDAMANT. Ami que cherchez vous ? FABRICE. À vous rendre service. LÉANDRE, l'épée à la main. Passez, ou je... FABRICE. Tout beau Monsieur, je suis Fabrice. LIDAMANT. Que fais tu là ? FABRICE. Je viens. LÉANDRE. Retourne t'en maraudOu je te... LIDAMANT. Laissez le ne parlez pas si haut,Ne faites point de bruit ici mon cher Léandre,Celle que je viens voir nous pourrait bien entendre, Son logis n'est pas loin. LÉANDRE. Est-ce proche d'ici ? LIDAMANT. Nous sommes arrivez peu s'en faut le voici. LÉANDRE. Quoi ! C'est là son logis ? LIDAMANT. Oui c'est le logis même,Que je cherche où se tient cette beauté que j'aime. LÉANDRE. A-t-elle un père ? LIDAMANT. Oui. LÉANDRE. Quoi ! C'est cette maison, Où l'on vous a tenu près d'une heure en prison ? LIDAMANT. C'est la même maison et la même personne. LÉANDRE. Où son père... LIDAMANT. Arriva. LÉANDRE, bas. Que ce discours m'étonne.Qui vous surprit chez elle, et qui vous obligea,À vous cacher ainsi. LIDAMANT. Je vous l'ai dit déjà, C'est là que m'arriva cette belle aventure, LÉANDRE. Ami, songez y mieux. La nuit étant obscure,Vous nouveau dans Paris vous pourriez que je crois,Vous être un peu mépris ? LIDAMANT. Vous moquez vous de moi ?Assurément c'est là. LÉANDRE. Cela ne peut pas être. LIDAMANT. Voila, je le sais bien, sa porte et sa fenêtre,Ne passez pas plus outre, ami demeurez-là,Je m'en vais appeler. LÉANDRE, [à part]. Que veut dire cela ?Cette maison sans doute est celle d'OrazieDe quel étonnement est mon âme saisie ? Quoi ! Mon meilleur ami serait-il mon rival ? LIDAMANT. Retirez vous, je vais lui faire le signal,Car je ne voudrais pas, LÉANDRE. Vous m'avez ce me semble,Conté lorsque tantôt nous discourions ensemble,Que celle maintenant qui vous attend ici Est la même qui m'a tant causé de souci,Troublant de ma maîtresse encor la fantaisie. LIDAMANT. Oui c'est la même. LÉANDRE, bas. Donc ce n'est pas Orazie,Car nous étions ensemble, il n'en faut point douter,Et que l'autre qui vint LIDAMANT. Je ne puis écouter. LÉANDRE. Était. LIDAMANT. Tout beau l'on ouvre. JULIE, à la fenêtre. Est-ce vous ? LIDAMANT, à Léandre. On m'appelle. JULIE. Est-ce vous Lidamant ? LIDAMANT. Oui c'est moi. LÉANDRE, bas. L'infidèle.C'est Julie. Ah grands Dieux, je suis tout interdit. JULIE. Attendez je descends. LIDAMANT, bas à Léandre. La servante m'a ditQu'elle s'en va m'ouvrir. LÉANDRE. Oyez je vous supplie. Devant... LIDAMANT. Je ne le puis. LÉANDRE, bas. Ah perfide Julie,Si c'est. LIDAMANT. Elle m'attend. LÉANDRE. La Dame. JULIE, à la porte. Lidamant. LIDAMANT. Me voilà. LÉANDRE. Qui tantôt. JULIE. Entrez donc promptement. LIDAMANT, en entrant. Nous nous verrons après. SCÈNE II. Léandre, Fabrice. Comme Lidamant entre Léandre veut entrer après lui, et Julie lui ferme la porte au nez. LÉANDRE. Me traiter de la sorte ?Julie effrontément fermer sur moi la porte ? Peut on voir justes Dieux un amant plein de foiPlus troublé, plus confus, et plus trahi que moi ?Comment ? Je viens chercher au logis d'OrasieCelle qui lui causait tantôt sa jalousie ?Qui passant au travers de la Chambre où j'étais Nous a si fort surpris, pendant que je parlaisÀ la même Orasie ? Ô l'étrange imposture,Cherchons la vérité, mais qui soit toute pure,Elle a menti l'ingrate, ici tout m'est suspect,Ne croyons que nos yeux, oublions tout respect. Rompons tout, brisons tout, renversons cette porte.Que fais-je justes Dieux ? La colère m'emporteViens-je pas de donner parole à Lidamant ?Mais qu'importe l'honneur, qu'importe le sermentQuand on brûle d'amour, qu'on meurt de jalousie, Non non, je veux tout perdre en perdant Orasie,La perdre ? Justes Dieux le pourrai-je souffrir,Rompons. FABRICE. Que faites vous Monsieur ? LÉANDRE. Je veux mourir.M'en peut-on empêcher ? qu'est-ce qui me retarde ? FABRICE. Mourir ? Que dites vous ? Donnez vous en bien garde. On entend frapper de grands coups à la porte de devant. LÉANDRE. Mais quel bruit est-ce là ? FABRICE. C'est quelque autre jalouxQui frappe à quelque porte, aussi bien comme vous. SCÈNE III. Tomire, Julie, Léandre, Lidamant, Florimonde, Fabrice. TOMIRE, derrière le théâtre. Ouvrez Julie, ouvrez. JULIE, derrière le théâtre. Grands Dieux je désespère,C'est Monsieur. LÉANDRE. Je me trompe, ou c'est la voix du père. On entend des bruits d'épée derrière le théâtre. FABRICE. Quel bruit. TOMIRE, derrière le théâtre. Penses tu donc éviter mon courroux. Lidamant sort avec Florimonde entre ses bras dans l'obscurité.Ne vous étonnez point, Madame, assurez vous. TOMIRE. Dieux cruels qui souffrez ce méchant qui m'affronteComment me laissez-vous survivre à cette honte. LIDAMANT. Puisque je suis dehors, je vous défendrai bien. FLORIMONDE. Menez moi droit chez vous, et je ne crains plus rien. LIDAMANT. Cherchons un mien ami qui m'attend à la rue. FLORIMONDE. Est-ce Léandre ? LIDAMANT. Oui. FLORIMONDE. Grands Dieux je suis perdue. LIDAMANT. De quoi vous troublez vous ? FLORIMONDE. Lidamant écoutez,Léandre est... LIDAMANT. C'est en vain que vous le redoutez,Léandre est mon ami, ne craignez rien Madame, Il n'est plus temps ici de vous cacher. FLORIMONDE. Je pâme,Je suis morte autant vaut. LIDAMANT. Léandre. LÉANDRE. Me voici. LIDAMANT. Ah grands Dieux quel malheur vient d'arriver ici. LÉANDRE. Ne le puis-je savoir ? LIDAMANT. Admirez mon adresse,Comme je discourais avecque ma maîtresse, Son père est arrivé, qui frappe, et nous surprend,Personne ne répond, et sur l'heure on entend,Que cédant à l'excès du courroux qui l'emporteAidé de son valet, il rompt du pied la porte.Et l'épée à la main, le bonhomme est venu, M'attaquer furieux. De peur d'être connu,N'ayant autre moyen, j'ai tué la chandelle,Et dans l'obscurité, j'ai sauvé cette belle.De peur qu'on n'ait dessein de courir après nousJe fais le guet ici, conduisez là chez vous. LÉANDRE. Fabrice le peut faire avec plus d'assuranceEt nous demeurerons ici pour sa défense. LIDAMANT. Seule avec un valet et dans ce lieu suspect !Non ce serait par trop lui manquer de respect.Moi de peur d'accident je garderai la rue. Lidamant s'en va. SCÈNE IV. Léandre, Florimonde, qui croit être Orasie. LÉANDRE, en l'obscurité dans la rue. À la fin Orasie. FLORIMONDE, bas. Ah Dieux je suis perdue. LÉANDRE. À la fin je vous tiens, vous n'échapperez pas. FLORIMONDE, bas. Que dois-je devenir ? LÉANDRE. Est-il homme ici bas,Qui m'égale en malheur ? Ne craignez rien cruelle,Encor que vous soyez inconstante, infidèle, Et que vous m'outragez jusqu'au dernier point,Je vous garantirai, non non, ne craignez point. FLORIMONDE, bas. Que sera-ce de moi ? LÉANDRE. Grands Dieux est-il possible,Que vous me réservez un tourment si sensible ? SCÈNE V. Tomire, Lisis, Fabrice, Lidamant. Tomire, et Lisis l'épée à la main. TOMIRE, dans la rue. Si les forces du corps, me manquent, j'ai du coeur, Et plus qu'il ne m'en faut pour venger mon honneur. LIDAMANT, l'épée à la main. Nul ne passe, arrêtez. TOMIRE. Attends moi de pied ferme,Infâme, car ta vie est à son dernier terme,Il faut que je te tue. FABRICE. Ah je tremble de peur. LIDAMANT. Rejoignons notre ami qui doit être en lieu sûr. FABRICE. Où diable suis-je allé ? J'étais bien las de vivre ? TOMIRE. Où vas-tu traître ? Ah Dieux, je ne le saurais suivre,Lisis mon mal me presse et ne puis avancer. LISIS, prend Fabrice. Voici quelqu'un des siens. FABRICE, pris. Eusse je peu penserQue mon maître jamais m'eut délaissé ? TOMIRE. Qu'il meure, Le traître, le pendard, que ce soit tout à l'heure. FABRICE. Monsieur, au nom des Dieux ayez pitié de moi. TOMIRE. Ton nom ? FABRICE. Le curieux impertinent, je croisSi la peur ne me trompe. TOMIRE. Infâme rend l'épée. FABRICE, présentant son épée. Elle ne fut jamais aux combats occupée, C'est trop peu de l'épée. Ah prenez mon chapeau,Mon poignard, mon pourpoint, mes chausses, mon manteau,Et s'il en est besoin, jusques à ma chemise. TOMIRE. Es-tu pas le valet ? FABRICE. Je parle sans feintise. TOMIRE. Du traître qui ravit, l'honneur de ma maison, FABRICE. Oui Monsieur je le suis, et vous avez raison. TOMIRE. Son nom ! FABRICE. C'est Lidamant qui loge chez Léandre. TOMIRE. Je ne te tuerai pas, mais je te ferai pendre. FABRICE. Il faut en quelque lieu qu'il soit l'aller chercher. TOMIRE. Mais Lisis soutiens moi, je ne saurais marcher Je périrai plutôt que l'affront m'en demeure. SCÈNE VI. Léandre, Florimonde, un valet, Orasie et Nérine, au logis de Léandre, dans l'obscurité. Léandre vient chez lui avec Florimonde qu'il tient par la main, pensant tenir Orasie, ouvre avec la clef la porte, et Orasie et Nérine, écoutent dans la Chambre de Florimonde, en obscurité. LÉANDRE. De la chandelle hola. Un valet derrière le théâtre.Bien Monsieur tout à l'heure. ORASIE, dans la Chambre de Florimonde bas à Nérine. Écoutons ce que c'est, j'entends du bruit ici. LÉANDRE, à Florimonde. Me voila belle ingrate à la fin éclairci ?Pourriez vous soutenir. ORASIE, à Nérine. C'est avec une femme Qu'il parle, écoutons-le ? LÉANDRE, à Florimonde. N'être pas une infâme ?Ingrate, déloyale, inconstante, et sans foi ?Que me répondrez vous ? FLORIMONDE, bas. Justes Dieux sauvez moi. LÉANDRE, à Florimonde. Est-ce pour ce sujet que vous êtes venueTantôt à mon logis ? ORASIE, à Nérine. C'est celle que j'ai vue Chez lui, c'est elle même. LÉANDRE, à Florimonde. Ai-je autre chose à voir ?Vous voila maintenant ingrate en mon pouvoir.Voyons si vous pourrez rencontrer quelque ruseQuelle fourbe à présent vous servira d'excuse ?Aurez vous bien le front d'oser me maintenir Que je me suis trompé ? Pourrez vous soutenirQue cette vérité soit fausse comme l'autre ?Parlez donc répondez car il y va du vôtre.Mais que pourrez vous dire ? Ha misérable jour,Qui premier alluma le feu de mon Amour. ORASIE, à Nérine. Nérine écoute un peu de quelle hardiesseIl soutient son amour, et comme il le confesse. Elle entre en l'obscurité par la porte qui répond dans la chambre de Léandre. NÉRINE. Que faites vous Madame ? ORASIE, bas à Nérine. Ah Nérine je veuxEntrer dans cette chambre afin d'approcher d'euxPour ouïr de plus près ma sentence dernière. LÉANDRE. Veut-on pas promptement apporter la lumière ? UN VALET, derrière le théâtre. Je la cherche Monsieur, je m'en vais de ce pas. FLORIMONDE, bas. S'il l'apporte grands Dieux, que ne dira-t-il pas ?Voyons si je pourrais de ses mains me défaire. LÉANDRE. Répondez, n'ayant rien à dire, il se faut taire. Florimonde s'échappe de ses mains et dit bas.Courage tout va bien, je suis hors de ses mains. Léandre pensant reprendre Florimonde prend Orasie par le bras, qui se trouve au près de lui dans la même Chambre. LÉANDRE. Vous pensez échapper mais vos efforts sont vains. FLORIMONDE, bas. Ah Dieux, si je pouvais trouver la porte ouverte. LÉANDRE. Mais que gagneriez vous ? La fourbe est découverte, Non non, ne craignez rien, je serai trop vengéQuand je vous convaincrai de m'avoir outragé,La chandelle venant vous n'aurez plus d'excuse,Je veux que vous soyez entièrement confuse,Et que vous n'ayez rien du tout à repartir. Et même vous ôter le pouvoir de mentir. ORASIE, bas. Je ne veux dire mot, il m'a prise pour elle,Quand on apportera tantôt de la chandelle,Et qu'il me connaîtra, Dieux qu'il sera surpris,Voyant qu'il parle à moi. FLORIMONDE, bas. J'ai repris mes esprits, Quel heur pour moi d'avoir trouvé la porte ouverte.Sans cela j'étais morte, et courais à ma perte.Elle entre dans sa Chambre et ferme la porte.Me voici maintenant en lieu de sûreté. LÉANDRE. Serai-je encor longtemps en cette obscurité ? De la chandelle hola. UN VALET, apporte de la chandelle. Monsieur, je vous l'apporte. LÉANDRE. Sors promptement d'ici. Je vais fermer la porte. Le valet sort et Léandre va fermer la porte. ORASIE, bas. Dieux qu'il sera surpris à l'heure qu'il verraQue c'est à moi qu'il parle, et qu'il me connaîtra. LÉANDRE. Et bien perfide, et bien déloyale Orazie ! Est-ce une illusion que cette jalousie ?Vous êtes innocente, et vous avez raison.Non, vous n'avez commis aucune trahison ?Vous n'avez point trompé Léandre qui vous aime,Mais peut-être ai-je tort, et ce n'est pas vous même Non, non, c'était un autre à qui je m'adressais,Je me suis abusé Madame cette foisJe me trompe sans doute et vous prends pour un autre. ORASIE. Dieux ! C'est un procédé merveilleux que le vôtre.Quoi ! Ne vous troubler point en cette occasion ? Me voir d'un sens rassis, et sans confusion ?Parler avec ce front, avec cette impudence ? LÉANDRE. Oui je me prends à tort à la même innocence ?Vous devez me blâmer. Car j'y procède malDe vous livrer moi-même aux mains de mon rival. ORASIE. Je devais en effet me plaindre la premièreLéandre, cette ruse est un peu trop grossière,Vous voyant convaincu, dites moi de quel frontOsez vous maintenant palier cet affront ?Vous voir entre mes bras lorsque vous pensiez être Entre les bras d'un autre, et me faire paraîtreQue c'est illusion, et que c'est en effetMoi que vous surprenez à présent sur le fait ?Et ce qui fonde mieux cette surprise extrêmeFeindre parler à moi comme étant elle-même. LÉANDRE. Voyez avec quel front cette infidèle ment.Ah je perds de tout point ici le jugement,J'étais avec un autre impudente effrontée ? ORASIE. À quoi bon ce discours ? La mine est éventée,Mon oreille et mes yeux m'ont dit la vérité. LÉANDRE. Voyez la trahison, voyez la lâcheté,Mais cette femme encor qu'est elle devenue ?Comment a-t-elle peu disparaître à ma vue. ORASIE. Pourquoi demandez vous ce que vous savez bien ? LÉANDRE. Cette fourbe est grossière, et ne vous sert de rien. Parlons avec raison, dites moi je vous prie,Avez vous bien encor assez d'effronterie,De vouloir devant moi nier impudemment,Que comme vous étiez avecque Lidamant,Votre père arrivant, vous a traité de sorte Qu'à tous deux il a fait soudain gagner la porte ?Que Lidamant n'a pas lui même eu le souciDe vous mettre en mes mains pour vous conduire ici ?Dites que j'ai menti, que j'ai peu me méprendreQu'il est faux que je sois, ORASIE. Vous me raillez Léandre ! Quels contes fabuleux ici me faites vous ?À moi qui dès ce soir n'a point été chez nous ?Dire que vous m'avez en ces lieux amenée,Moi qui chez votre soeur ai passé la journée,Exprès pour m'éclaircir, et voir ce que je vois. LÉANDRE, frappe à la porte de sa soeur. Nous le saurons bientôt, Florimonde ouvrez moi. FLORIMONDE, ouvre, entre, et dit bas. Il faut dissimuler, LÉANDRE. Est-il vrai qu'OrasieÉtait avecque vous ? FLORIMONDE. Dieux quelle frénésie,Orasie avec moi ! Mais pour quelle raison ?Je devais dans deux jours aller à sa maison, Comme vous m'avez dit tantôt pour cette affaireDont vous m'avez parlé, mais elle pour quoi faire,Venir en mon logis. ORASIE. Quoi pouvez vous nierQue je sois arrivée ici pour vous prierDe demeurer céans ? Et que vous ?... FLORIMONDE, l'interrompant. Ces paroles Mon frère, ne sont rien que des contes frivoles.Tout ce qu'elle vous dit est faux assurément. LÉANDRE. Et bien que dites vous, voyez vous pas commentOn vous manque à présent, ici de garantie ?Voyons si vous avez aucune repartie, Ma soeur ne songe à vous en aucune façon,Et d'elle vous voulez me donner du soupçon,Et par un procédé qui n'est pas légitime,Vous la faites tremper même dans votre crime,Mais je la connaît bien je sais bien quelle elle est. FLORIMONDE, bas à Orasie. Pardonnez chère ami, ici mon intérêt,Doit marcher le premier. ORASIE. Je commence à comprendreL'affaire comme elle est. Écoutez moi Léandre.Madame assurez vous, que je n'oublierai rien,Gardez votre intérêt je garderai le mien. Puisque la vérité se dépeint toute nue,Il faut qu'en cet état elle vous soit connue,Je veux déclarer tout, et parler franchement. NÉRINE. Quelqu'un frappe à la porte. LIDAMANT, derrière le théâtre. Ouvrez. LÉANDRE. C'est LidamantNous saurons maintenant le noeud de cette affaire FLORIMONDE, bas. Tout est perdu l'on va découvrir le mystère,Qui pourrait l'avertir du danger où je suis.Rentrons, Dieux je retombe en un gouffre d'ennuis. Elle entre dans sa chambre. SCÈNE VII. Lidamant, Léandre, Orasie, Florimonde. LIDAMANT. De crainte que quelqu'un vous suivît dans la rue,J'ai demeuré derrière, et bien qu'est devenue La beauté que je viens de mettre entre vos mains. LÉANDRE lui montrant Orasie qui se cache. Lidamant la voila, mais vos projets sont vains,Si vous la prétendez. Car je perdrai la vie,Avant que de souffrir qu'elle me soit ravie,Elle est entre mes mains et j'en suis possesseur. LIDAMANT. Ce procédé Léandre est-il d'homme d'honneur ?Voyez à quel ami justes Dieux, je me fie ?M'user d'une si lâche, et noire perfidie ?Si vous ne me rendez, mais je dis au plutôt,La Dame que je viens de vous mettre en dépôt, Nous romprons je vous jure, et nous aurons querelle. LÉANDRE, lui montrant Orasie. Est-ce cette beauté ? LIDAMANT. Non non, ce n'est point elle,Gardez bien celle-là, je ne la connais point. LÉANDRE. Mes sens sont à ce coup interdis de tout point,Je suis tout hors de moi. LIDAMANT. Comme avez vous l'audace, De vouloir supposer cette dame en sa place ?Dites qui vous oblige à me traiter ainsi ?Si c'est que vous ayez d'autre dessein ici,Parlez moi clairement Léandre je vous prie,Ce procédé vers moi passe la raillerie. Comme Florimonde écoute à la porte de sa chambre ce qu'on dit, Orazie la surprend et l'emmène. ORASIE, prenant Florimonde par le bras. Je m'en vais à tous deux remettre les esprits,Est-ce pas là l'objet dont vous êtes épris ?Lidamant répondez. LIDAMANT. Vous moquez vous Léandre ?Qui vous peut obliger à me vouloir surprendre ?Pourquoi supposez vous la dame que voici, Si celle que je cherche et que j'aime est ici ?Car en effet voila la beauté que j'adore. ORASIE, à Léandre. Et bien Léandre, et bien, me direz vous encore,Qu'elle ne songe à rien, qu'elle ne sait que c'est,Je fais ici premier marcher mon intérêt. LÉANDRE, l'épée à la main. Veillai-je ! Ou si je dors ? Infâme cette épéeAu défaut d'un poignard dedans ton sang trempée,Me vengera bientôt, d'une perfide soeur,Il faut ôter la vie, à qui m'ôte l'honneur. FLORIMONDE, en fuyant. Sauvez moi Lidamant. LIDAMANT, retenant Léandre. Dieux ? Que viens-je d'entendre ? Comment donc ? Cette dame est votre soeur Léandre ? LÉANDRE. Oui qui me doit payer un si sanglant affront, LIDAMANT, l'épée à la main. Modérez vous un peu ne soyez pas si promptJe la sers, et je dois m'armer pour sa défense. LÉANDRE. Son sang, ou je mourrai, lavera cette offense Sachant bien qui je suis, vous imaginez vous,Qu'aucun la serve à moins que d'être son époux ? LIDAMANT. Me l'accorderez vous si je vous la demande,En cette qualité ? LÉANDRE. Quelle faveur plus grandePourrais-je recevoir au monde, justes Dieux ? Ma soeur serait heureuse, et moi trop glorieux. LIDAMANT, à Florimonde. Donnez moi votre main puisqu'il plaît à Léandre. FLORIMONDE. Mon frère y consentant je ne m'en puis défendre. SCÈNE VIII. Tomire, Léandre, Fabrice, Lidamant, Orasie, Florimonde, Nérine, Lisis. TOMIRE. Pardonnez si de nuit j'entre ainsi librement,Je suis trop offensé, montrez moi Lidamant. LIDAMANT. C'est moi, que voulez vous ? TOMIRE, l'épée à la main. Je veux avoir ta vieTraître. LÉANDRE, le retenant. Modérez vous, calmez cette furieVous l'attaquez à tort, vous n'avez pas raison. TOMIRE. Quoi ! Je me plains à tort de cette trahison !On m'a ravi l'honneur, et je me pourrai taire ? LÉANDRE. Si c'est pour votre fille, il vous faut satisfaire.Ce n'est point Lidamant, il épouse ma soeur. TOMIRE. Qui de ma fille est donc l'infâme ravisseur ? LÉANDRE. Il faut dessus ce point que je vous satisfasse.Mais si je puis de vous obtenir cette grâce Qu'un glorieux Hymen nous unisse tous deux,Vous me mettez, Monsieur au comble de mes voeux. TOMIRE. C'est vous qui comblez d'heur toute notre famille.Donnez lui votre main, approchez vous ma fille. ORASIE, à Léandre. Enfin je suis à vous. NÉRINE. Ô déplaisirs charmants, Ô désordre agréable, ô bien heureux amants. LÉANDRE. Ne tardons pas Messieurs en ce lieu davantage,Songeons à terminer ce double mariage. ==================================================