******************************************************** DC.Title = LA VENGEANCE, COMÉDIE DC.Author = PATRAT, Joseph DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 12:08:54. DC.Coverage = Pays-Bas DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/PATRAT_VENGEANCE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LA VENGEANCE COMÉDIE EN UN ACTE ET EN VERS AN VII. Par le Citoyen J. Patrat À PARIS, chez DESESSARTS, libraire, vis-à-vis de l'Odéon Français. DENTU, libraire, Palais Égalité, galerie de bois. HUGELET, Imprimeur, rue des Fossés-Jacques. Représentée pour la première fois sur le Théâtre de l'Odéon le 10 Brumaire, au 7. AVIS DE L'AUTEUR. Je dois un tribut d'éloges aux artistes dont les talents ont embelli cette petite comédie. La citoyenne Desrosiers a réuni dans le rôle de Mme Wanderk, la candeur et la finesse, et le goût à la sensibilité ; sa figure aimable, sa mise modeste et sa gaîté décente n'ont rien laissé à désirer. La jeune Beffroy n' pas besoin d'art pour plaire ; elle a été, elle-même, vivacité franche, tendre ingénuité, ; c'était mon Adélaïde ; sa taille svelte et sa jolie mine ont prêté des charmes à tout ce qu'elle disait. Elle doit ses talents à la Nature ; on peut tout espérer. Le Citoyen Dorsan, toujours soigneux, toujours dans le caractère u rôle qu'il représente, a mis, dans celui de Mirval, toute e retenue de la sagesse et tout le feu du sentiment ; il étudie les grands modèles, et son émulation doit faire espérer qu'il pourra les atteindre. La citoyenne Molière et le citoyen Picard ont tiré tout le parti possible des deux faibles rôles dont ils avaient bien voulu se charger : le tout a été joué avec soin, jusqu'au personnage du notaire, auquel le citoyen Valville a donné, sans charge, un caractère très plaisant. Heureux l'auteur qui voit ainsi embellir son ouvrage, et qui peut publiquement en témoigner toute sa reconnaissance. Patrat PERSONNAGES. ACTEURS. MADAME WANDERK, riche Propriétaire. la Citoyenne DESROSIERS. ADÉLAÏDE, sa fille. le Citoyenne BEFFROY. LISBETH, Gouvernante de la maison. Citoyenne MOLIÈRE. JIRVAL, Secrétaire de Madame Wanderk. le Citoyen DORSAN. FRIDRIC, domestique de Madame Wanderk. Le Citoyen PICARD. UN NOTAIRE. Le Citoyen VALVILLE. La Scène se passe en Hollande. Le théâtre représente un salon dont les portes sont ouvertes et laissent voir, dans le fond, une superbe galerie préparée pour une fête. SCÈNE PREMIÈRE. I. Lisbeth, Fridric. Lisbeth est occupée à garnir les bougies que Fridric place dans les girandoles qui sont sur le table. LISBETH. Allons, allons ; le temps s'avance. FRIDRIC. Je ne m'amuse pas ; et vous pouvez le voir. LISBETH. Quel tracas nous auront ce soir ! FRIDRIC, gaiement. Mais aussi, nous ferons bombance. LISBETH. C'est la ton seul plaisir. FRIDRIC. Dam ! Chacun a son goût. LISBETH. Pourquoi faire cette dépense ?À quelle occasion ? FRIDRIC. Je n'en sais rien du tout. LISBETH. Mais par quelle raison éloigner tout-à-coupEt sa fille et ton secrétaire ? FRIDRIC, quittant l'ouvrage. Mamsel' Lisbeth ? Je crois que son notaire Est mieux instruit que nous. LISBETH, avec curiosité. Sur quoi le penses-tu ? FRIDRIC. Depuis une heure au moins, il est seul avec elle. LISBETH. Et tu conclus de là ? FRIDRIC. Pardi ! Qu'il est venuPour marier Mademoiselle. LISBETH. Extravagant ! FRIDRIC. Celui qui gagerait Qu'on donne ce festin pour la noce.... LISBETH. Perdrait. FRIDRIC, vivement. Hé ! Pourquoi donc inviter sa famille? LISBETH, le contrefaisant. Hé ! Pourquoi donc faire partir sa fille ?Hein ? FRIDRIC. Pour la faire revenir.Avec son futur. LISBETH. Qu'il est bête ! FRIDRIC. Vous m'en direz deux mots ce soir après la fête. LISBETH. Et quel est ce futur ? FRIDRIC. Dam ! Je ne la sais pas.Mais, qu'importe ? En Hollande on n'y regarde guerre,Et la qualité qu'on préfèreDans un mari, c'est beaucoup de ducas. LISBETH, avec chaleur. Ah ! Tu ne connais pas Madame !C'est bien le meilleur coeur ! C'est bien la plus belle âme !Elle sait réunir la gaieté des FrançaisÀ la candeur des Hollandais.Bonne amie, excellente mère ; À son coeur sa fille est trop chèrePour la sacrifier à de vils intérêts.Et comme la petite est naïve et sincère,Si quelqu'un avait su lui plaire,Certainement je le saurais. Et je n'ai jamais vu... FRIDRIC. Vous ne voyez donc guère. LISBETH. Hem ? Qu'entends-tu par là ? FRIDRIC. Qu'à ce pauvre Mirval.Ce mariage là va faire bien du mal. LISBETH. Ah ! Vraiment l'idée est nouvelle !Un Secrétaire ! FRIDRIC. C'est égal ! LISBETH. Il est instituteur de notre Demoiselle ;Et tu fais tort à ce jeune Français ;Il pense avec délicatesse;Il est honnête, et modeste a l'excès.Dans ses leçons, il donne à ma maîtresse Les préceptes de la sagesse,Et ne s'en écarte jamais. FRIDRIC. J'ai de bons yeux. LISBETH. Vas, tu t'abuses. FRIDRIC. En fait d'amour, les filles ont des ruses ! LISBETH. Mais, tu sais qu'aux leçons j'assistais tous les jours. Les moments s'écoulaient... FRIDRIC. Et leur semblaient trop courts. LISBETH. Mirval est fort exact. FRIDRIC. Jamais elle ne tarde. LISBETH. Elle lui parle peu. FRIDRIC. Mais elle le regarde. LISBETH. Ils ne se cherchent point. FRIDRIC. Ils se trouvent toujours. LISBETH. Adélaïde, simple et sans expérience, Ne m'a jamais caché ce qu'elle pense.Gouvernante de la maisonJ'ai su l'élever sur ce ton :Et je ne pense pas qu'elle change de note.Mon cher Fridric, regarde-moi ; Et lu verras si j'ai l'air d'une sotte. FRIDRIC. Lorsque l'on voit un couple adolescentSe sourire en sa regardant,On dit... C'est un enfantillage ;Mais lorsqu'en rencontrant leurs yeux, Ils sont tout-a-coup si honteuxQu'un grand feu leur monte au visage.Alors, bien fermement je croisQu'ils ont tous deux l'autour en tête.Mamsel Lisbeth, regardez-moi, Et vous verrez si j'ai l'air d'une bête. LISBETH. En tout cas, cet amour serait bien malheureux. FRIDRIC. Bon ! En les mariant tout deux,Cela s'arrangerait. LISBETH. Ô la belle chimère ! FRIDRIC. Et pourquoi donc ? LISBETH. Je sais que ce jeune étranger A sauvé du plus grand dangerMa jeune maîtresse et sa mère.Mais il en est, je crois, assez récompensé. FRIDRIC. On peut récompenser de plus d'une manière. LISBETH. Celle-ci serait singulière : Nourri, logé, vêtu, prévenu, caressé ;Il a, de la maison, la confiance entière.Mais, si Madame a pu s'apercevoirQu'il en conte à ton écolière,Nous pouvons nous attendre à ne plus le revoir. FRIDRIC. Ce serait bien fâcheux ! LISBETH. Oui, tout le monde l'aime ;C'est le meilleur garçon. FRIDRIC. Hé ! Le voici lui-même. SCÈNE II. Fridric, Mirval en botte, Lisbeth. LISBETH. Comment, c'est vous mon cher Mirval ? MIRVAL. Bonsoir, mes bons amis. FRIDRIC. Bon, vous serez du bal. LISBETH. De vous revoir, je suis vraiment ravie. À Fridric.Fridric , vas prendre les paquets. FRIDRIC, à Mirval. Depuis votre départ, tenez, je parieraisQue Mademoiselle t'ennuie !... LISBETH. Faites ce qu'on vous dit. FRIDRIC, s'en allant. J'y vais. SCÈNE III. Lisbeth, Mirval. MIRVAL. Lisbeth, pourquoi ces apprêts ? LISBETH. Ne m'interrogez point là-dessus, je vous prie. MIRVAL. D'où vient ? LISBETH. Soit par caprice ou par bizarrerie,Ma maîtresse, de ses projets,Ne m'a pas dit un mot. MIRVAL. Quelle plaisanterie ! LISBETH. Je ne plaisante pas du tout : depuis longtemps, Rendant justice à ma prudence,Elle me faisait confidenceDes secrets les plus important.Hé bien, dans cette circonstance,Soit Caprice, soit méfiance, Sans prendre mon avis elle a tout ordonné.Et vous serez plus étonnéQuand vous saurez que sa fille chérieNe sait pas un mot de ceci. MIRVAL. Mais, comment se peut-il ? LISBETH. Comment ? Elle est partie Peu de jours après vous. MIRVAL, très inquiet. Elle n'est point ici ? LISBETH. Non : c'est une cachotterie !... MIRVAL, tirant une lettre. Sa mère m'avait fait partirPour terminer d'importantes affaires,Sans m'avoir fait passer les papiers nécessaires. Elle m'écrit de revenir,Et son ordre est précis. LISBETH, la regardant. Voulez-vous bien permettre ? Elle lit.« Mirval, au reçu de ma lettre,Vous partirez sans perdre un seul instant ;............................... Abandonnez toute autre affaire.Je suis, etc. » ; et toujours du mystère ;Sur mon honneur, c'est révoltant. MIRVAL, serrant la lettre. Vous connaissez votre maîtresse;Elle a trop de bon sens ; elle a trop de sagesse Pour n'avoir pas un motif important. LISBETH, avec malice. On croit qu'en rassemblant aujourd'hui sa famille,Elle a dessein... Elle cherche à lire dans ses yeux. MIRVAL. De quoi ? LISBETH, de même. De marier sa fille. À part.Il a pâli : son amour est réel. MIRVAL, à part. Cachons mon déplaisir mortel. Haut.Puis-je entrer ? LISBETH. Non, elle est chez elle.Mais ton Notaire est avec elle. MIRVAL. À part.Ciel ! Haut.Je ne puis donc lui parler ? LISBETH. Je ne sais pas si la chose est possible,Car elle a défendu qu'on aille la troubler ; Mais peut-être pour vous elle sera visible.J'y vais. À part.Pauvre garçon ! Elle sort. SCÈNE IV. MIRVAL, seul. Je me flattais en vain.Tout espoir est perdu : mon malheur est certain.Cette tendre amitié que me montrait sa mère,N'était donc qu'un appât trompeur, Qui devait rendre ma douleurEt plus cuisante et plus amère ? Après un silence.Mirval ? Elle n'est point cause de ton erreur,Et cette femme respectableA des droits sacrés sur ton coeur : En le donnant sa confiance entière,Elle a compté sur ta candeur.Respecte Adélaïde. Elle est ton écolière :Ne te prépare point la honte et les regrets,Supporte le malheur avec une âme fière, Et ne le mérite jamais.Par bonheur, je n'ai point encoreFait éclater mes sentiment secrets ;Adélaïde les ignore :J'ai vu naître, former, embellir ses attraits : Dans ses yeux sans expérienceJ'ai cru quelques fois entrevoirCe premier sentiment si cher à l'innocence,Et que le coeur éprouve avant de le prévoir ;Mats sacrifiant tout à ta reconnaissance, Il faut étouffer l'espéranceEt n'écouter que le devoir.Sauvons-là d'elle-même, et partons dès ce soir.Je veux surmonter ma tendresse,Dussai-je en périr de douleur. J'aime mieux mourir sans bassesseQue de végéter sans honneur. SCÈNE V. Lisbeth, Mirval, Fridric. LISBETH. Attendez, elle est en affaire,Mais elle vont fera venirDès qu'elle aura renvoyé son Notaire. MIRVAL. Aurez-vous la bonté de me faire avertir ?Je vais monter chez moi. FRIDRIC. J'irai : soyez tranquille. MIRVAL, à part. Allons tout préparer et quittons cette ville. Il sort. SCÈNE VI. Lisbeth, Fridric. LISBETH. Tu disais vrai, Fridric ; il a beau s'efforcer,Il ne peut cacher sa tristesse. FRIDRIC. Dam, quand on est prêt à danserÀ la noce de ta maîtresse,Ce n'est pas régalant. LISBETH. Sa douleur m'intéresse.Je veux avec Madame avoir un entretien.Je l'attends de pied ferme. FRIDRIC. Hé bien ? LISBETH. Je la retournerai de toutes les manières :J'emploierai tour-à-tour reproches et prières :Enfin, je m'y prendrai si bienPour savoir son secret... FRIDRIC. Que vous ne sauriez rien. LISBETH. Pourquoi donc, s'il vous plaît ? FRIDRIC. Vous sériez en colère Si je vous disais le pourquoi. LISBETH. Point du tout. FRIDRIC. Jurez-en. LISBETH. Ma foi. FRIDRIC, en confidence. Pour causer avec son notaire,Madame était dans son boudoir.J'étais contre la porte ; ils ne pouvaient me voir, Et je les regardais, comme je vous regarde ;Madame a dit... Hésitant. LISBETH. Quoi donc ? Ne fais pas le discret. FRIDRIC, en confidence. Qu'elle vous confierait volontiers ton secret,Si vous n'étiez pas si bavarde. LISBETH, lui donnant un soufflet. Impertinent. FRIDRIC. Ah ! C'est bien fait. Je ne devais pas vous instruire.Ce soufflet est bien mérité.Je savais que la véritéN'était pas toujours bonne à dire. SCÈNE VII. Les Mêmes, Madame Wanderk. MADAME WANDERK, donnant des papiers. Mon notaire oubliait ces papiers importants. Cours après lui, Fridric, et passe en même tempsChez mon bijoutier. FRIDRIC. Pour quoi faire ? MADAME WANDERK. Donnes-lui ce billet... Dis-lui que je l'attends,Et reviens au plutôt. FRIDRIC. Je ne tarderai guère,Mais je vais avertir, avant de m'en aller, Mirval, qui voudrait vous parler. MADAME WANDERK. Lisbeth ira. FRIDRIC. C'est bon. Il sort. SCÈNE VIII. Mamdae Wanderk, Lisbeth. LISBETH. En conscience ;Sans manquer à la bienséance,Et sans oublier mon devoir ;En ce moment je crois pouvoir Me plaindre amèrement de votre méfiance. MADAME WANDERK. En quoi donc ? LISBETH. Vous donnez une fête ce soir :M'en cacher la raison c'est me faire une offense ;Mon zèle a quelques droits et votre confiance.Il est bien dur pour moi... MADAME WANDERK. Tu voudrais donc savoir Le motif de ce bal ? LISBETH. J'en meurs d'impatience. MADAME WANDERK. Il fallait donc m'en avertir. LISBETH. C'est que je craignais... MADAME WANDERK. Quelle enfance ! LISBETH, avec joie. Vous aurez donc la complaisance... MADAME WANDERK, le doigt sur la bouche. En satisfaisant ton désir, Puis-je compter ?... LISBETH, enchantée. Sur un profond silence. MADAME WANDERK, l'amenant au bas de la scène, après avoir regardé si personne n'écoute. Si je donne une fête avec magnificence......C'est que tel est mon bon plaisir. LISBETH, étonnée. Comment. MADAME WANDERK, le doigt sur la bouche. Ne vas pas me trahir :Te voilà dans ma confidence. LISBETH. La confidence est belle, et... MADAME WANDERK. Va vite avertirMirval que je l'attends. LISBETH, avec humeur. Discrète autant qu'habile. MADAME WANDERK. Sur la discrétion, va, je suis bien tranquille. LISBETH, fâchée. En vérité, Madame. MADAME WANDERK, sur un ton à se faire obéir. Allez chercher Mirval. LISBETH, mâchonnant en s'en allant. Oh ! Gardez vos secrets, cela m'est bien égal. SCÈNE IX. MADAME WANDERK, seule. Elle s'en va bien en colère.Mon silence lui cause un violent chagrin.Mais lui confier mon desseinC'est le dire à toute la terre Et j'ai besoin du plus profond mystère Pour réussir dans mon projet.Mirval ose manquer à la reconnaissance ;Il adore ma fille ; elle l'aime en secret ;J'ai surpris leur intelligence ;De leur amour j'ai suivi les progrès ; Dans l'âge heureux de l'innocenceUn premier sentiment ne se masque jamais :L'une trompe sa mère, et l'autre son amie !Cette double réserve a droit de m'affliger.Elle a porté le trouble en mon âme attendrie. Voici l'instant de m'en venger.Pour les punir tous deux de n'être pas sincère,J'espère leur donner ce soir avec succèsUne leçon forte et sévère,Mais sans la porter a l'excès, Je veux me venger... mais en mère. SCÈNE X. Madame Wanderk, Mirval. MIRVAL. Je me rends à votre ordre. MADAME WANDERK , d'un air ouvert. Ah ! Vous voilà Mirval ?Tant mieux ; vous m'êtes nécessairePour faire les honneurs du bal. MIRVAL. Comment ! Vous donnez une fête ? MADAME WANDERK, gaiement. Oui, mon bon ami. MIRVAL. Quand ? MADAME WANDERK. Ce soir :J'ai su tout régler ; tout prévoir;Vous verrez si j'ai de la tête.À se bien divertir ici chacun s'apprête :J'en donnerai l'exemple ; et vous allez me voir D'une gaieté ! D'une folie !Je ne veux pas sitôt renoncer au plaisir :Plus on voit approcher le terme de la vie,Et plus on doit se hâter d'en jouir.Avec l'ennui j'ai fait divorce : Je deviendrais laide demain,Sans en avoir le plus léger chagrin.Hé ! Que me fait à moi l'écorce,Tant que le fond sera bien sain.Le temps pourra m'ôter ma force, Courber mon corps ; rider mes traita,Mais mou humeur ne changera jamais.Les petits jeux sont pour l'enfance ;Dans l'âge mûr il faut de la raison ;Mais la gaieté naïve et pure Est un présent de la natureQui convient à chaque saison. MIRVAL. Cet aimable enjouement qui vous caractérise... MADAME WANDERK. Est le garant de ma franchise,Jusqu'au fond de mon coeur il est aisé de voir. MIRVAL, avec curiosité. Mais pourquoi donnez-vous cette fête ce soir ?À quelle occasion ? MADAME WANDERK, d'un ton sérieux. Doucement, je vous prie,Mirval ? C'est mon secret que vous voulez savoir. MIRVAL. Je n'ai pas prétendu. MADAME WANDERK, reprenant l'air gai. Gardons chacun les nôtres.Vous ne m'avez jamais communiqué les vôtres. MIRVAL. Ah ! Madame ! Croyez... MADAME WANDERK, gaiement. Je ne vous blâme en rien.Chacun peut à son gré disposer de son bien,Sans que personne s'en offense :Je ne prétend point arracherLe secret qu'on veut me cacher. Mais celui qui croit par prudenceDevoir me déguiser les siens,Ne doit jamais prétendre à connaître les miens :Méfiance pour méfiance. MIRVAL. En me comblant de vos bienfaits, M'avez-vous, une fois, demandé mes secrets ? MADAME WANDERK, sérieusement. On peut avec reconnaissanceRecevoir une confidence ;Mais on te l'exige jamais. MIRVAL. Sans vouloir vous tromper j'ai gardé le silence. Mon père, intéressé dans un commerce immense,Vit tout-à-coup change son sort.Un revers accablant engloutit sa fortune :La vie alors lui devint importune ;Il oublia son fils, et se donna la mort. Resté sans appui sur la terre ;Redoutant le mépris qui s'attache au malheur,Je vins ici cacher ma honte et ma misère.Vous avez de mon sort, adouci la rigueur ;Et je dois tout à votre bienfaisance. MADAME WANDERK, avec sentiment. Dites plutôt, mon cher, et ma reconnaissance. En riant.Mais je savais déjà cela. MIRVAL, étonné. Vous le saviez ? MADAME WANDERK. Sans doute, et vous voyez par làÀ quoi peut servir le mystère.Avec ses vrais amis il faut être sincère. MIRVAL, embarrassé. Vous savez mes secret... MADAME WANDERK. Bien vrai ? MIRVAL. Je n'en ai plus... MADAME WANDERK, mettant le doigt sur le coeur de Mirval. Cherchez là MIRVAL, troublé. Madame, ils vous sont tous connus. MADAME WANDERK, en souriant. Tous, c'est un peu fort. MIRVAL, interdit. Je vous jure... MADAME WANDERK, vivement et sérieusement. Ne jurez pas. MIRVAL, interdit. Mais... MADAME WANDERK. Gardez-vous-en bien.Je plains la méfiance et je hais l'imposture. À qui veut m'offenser, je pardonne une injure ;À qui veut me tromper, je ne pardonne rien. MIRVAL, à part. De ce qu'elle me dit que faut-il que j'augure ? À Madame Wanderk.La crainte quelquefois... MADAME WANDERK. On peut se méfier,De celui que la crainte arrête : Tout sentiment a cessé d'être honnêteDès qu'on rougit de l'avouer. MIRVAL, à part. Ah ! Mon coeur s'ouvre à l'espérance. À Madame Wanderk.Souvent la crainte d'offenser... MADAME WANDERK, vivement. Jamais la franchise n'offense : Mais la réservé peut blesser ;Entre de vrais amis la sotte défianceEst ridicule et fait pitié :L'attachement sans confianceN'est que l'ombre de l'amitié. SCÈNE XI. Mirval, Madame Wanderk, Adélaïde. ADÉLAÏDE, sans voir Mirval, examinant avec étonnement les guirlandes, les lustres, etc. Ô comme c'est joli ! Elle voit sa mère, et court se jeter dans ses bras.Maman que je t'embrasse. Elle se trouve au milieu et tourne le dos à Mirval. MADAME WANDERK, la caressant. Viens, mon enfant. ADÉLAÏDE. J'étais bien lasseDe ton absence... Mais pourquoiMe laisser huit jours loin de toi ? MADAME WANDERK. Tu le sauras dans peu. ADÉLAÏDE. Qu'est-ce donc qui se passe ? Pourquoi l'appartement est-il orné partout ? MADAME WANDERK. Trouves-tu cela de ton goût ? ADÉLAÏDE. C'est charmant ; mais pourquoi ces apprêts ? MADAME WANDERK. Patience,Tu seras instruite ce soir. ADÉLAÏDE. Ce soir ? Oh ! C'est trop long ! Je voudrais tout savoir À l'instant même. MADAME WANDERK. Ah ! Quelle pétulance !Plutôt, plus tard ; c'est bien égal. ADÉLAÏDE tourne la tête, voit Mirval, et jette un petit cri de joie. Ah ? MADAME WANDERK. Comment ? Qu'as-tu donc ? ADÉLAÏDE. Mirval.Je ne vous voyais pas. Pendant cette scène, Adélaïde se tourne du côté de Mirval, et sa mère la retourne vis-à-vis d'elle. MADAME WANDERK. Si pour te satisfaireIl faut absolument t'apprendre ce mystère, Je vais te contenter. ADÉLAÏDE, à Mirval. C'est mal.D'abandonner votre écolière. MIRVAL. J'étais... MADAME WANDERK. Tu vas savoir des détails importantsQue, malgré moi, j'ai dû te taire. ADÉLAÏDE, à Mirval. J'ai perdu mes leçons... MIRVAL. Pendant dix jours. ADÉLAÏDE. Le temps M'a paru bien plus long. MADAME WANDERK. J'espèreQue tu m'écouteras. ADÉLAÏDE. C'est que je m'ennuyais !Mais où donc étiez-vous ? MIRVAL. J'étais à votre terre. ADÉLAÏDE. Pardi, c'était bien nécessaire.Il fallait venir où j'étais. MIRVAL. J'obéissais à votre mère. ADÉLAÏDE. Et moi je n'ai pu travaillerPendant ces dix grands jours ! MADAME WANDERK, se plaçant entre eux. Elle mourait d'envieDe savoir mon secret.... Hé bien ? Elle l'oublie :Quand il s'agit de babiller, Quelle tête folle et légère ! ADÉLAÏDE. Quand mon maître est absent, je ne puis plus rien faire. MADAME WANDERK. Hé bien, le voilà de retour. ADÉLAÏDE. Depuis que j'ai pris l'habitudeDe prendre leçon chaque jour ; Vous n'imaginez pas combien j'aime... l'étude. MADAME WANDERK. Mais mon enfant, ce que lu sait déjà,Quelques leçons de moins ne peuvent le détruire. ADÉLAÏDE. Oh ! C'est égal : j'aime à m'instruire. MADAME WANDERK, avec malice. Hé ! Laisse faire, il t'instruira. À Mirval.Dans votre chambre allez m'attendre.Mon cher Mirval, je veux publiquementVous donner aujourd'hui la marque la plus tendreDe mon sincère attachement.Allez. MIRVAL, à part. À peine je respire. MADAME WANDERK, à sa fille. Toi, j'ai quelque chose à te direQui t'intéresse vivement. À Mirval.Allez, mon franc ami. Mirval s'éloigne lentement en regardant attentivement Adélaïde et sa mère ; Madame Wanderk les observe. ADÉLAÏDE, voyant sa mère rire sous cape. Qu'a-t-elle donc à rire ? MADAME WANDERK, à part. Leur embarras m'amuse infiniment. SCÈNE XII. Madame Wanderk, Adélaïde. MADAME WANDERK. Pourras-tu m'écouter à présent ? ADÉLAÏDE. Oui, ma mère. MADAME WANDERK, à sa fille. Sais-tu ma fille à quel point tu m'es chère ? ADÉLAÏDE, avec tendresse. Maman ? Mets la main sur mon coeur,Il te répondra. MADAME WANDERK. Ton bonheurTient trop au mien pour que je le diffère ; C'est mon plus doux plaisir, c'est ma plus grande affaire ;Et lui seul peut combler mes voeux. ADÉLAÏDE. Ô ma bonne maman ! MADAME WANDERK. J'ai mandé mou notaire,Et j'attends nos parents, nos amis. ADÉLAÏDE. Pourquoi faire ? MADAME WANDERK. Pour t'assurer le sort le plus heureux. ADÉLAÏDE. Tout cela n'est pas nécessaire :Pour être heureux avec ma mère,Je n'ai jamais eu besoin d'eux. MADAME WANDERK, en confidence. Tu vas changer d'état. ADÉLAÏDE. Comment ? MADAME WANDERK, gaiement. Je te marie. ADÉLAÏDE. Ne badine pas, je t'en prie, À part.Le coeur me bât terriblement. MADAME WANDERK. Et j'ai voulu, ma bonne amie,Te surprendre agréablement. ADÉLAÏDE, à part. Ah ! Si c'était ce que je pense ! MADAME WANDERK. Depuis longtemps avec prudence J'étudiais les goûts afin de les saisir... ADÉLAÏDE, à part. Elle a lu dans mon coeur. MADAME WANDERK. Ma tendre complaisanceN'a consulté dans cette circonstanceQue ce qui peut contenter ton désir. ADÉLAÏDE. Ô combien je dois vous chérir ! MADAME WANDERK. J'ai sondé les replis de ton âme ingénue :Quand je me suis bien convaincueQue ton coeur était libre... Adélaïde, qui écoutait avec joie, change de visage tout-à-coup. Madame Wanderk qui saisit tout ses mouvements, continue gaiement.... Et que tu n'aimais rien.Que la parure et la magnificence... ADÉLAÏDE. Moi, ma mère ? MADAME WANDERK, lui souriant. Tu vois que je te connaît bien. ADÉLAÏDE. Mais... MADAME WANDERK, l'interrompant. Il fallait en conséquenceTe ménager ure riche alliance,Et c'est à quoi je viens de travailler. ADÉLAÏDE, très inquiète. Vous avez, dites-vous ?... MADAME WANDERK, gaiement. Hé ! Oui, tu vas briller !Tu vas nager dans l'opulence ! De la félicité mon coeur jouit d'avance. ADÉLAÏDE, les larmes aux yeux. Écoutez-moi. MADAME WANDERK, voulant s'en aller. C'en est assez. ADÉLAÏDE, en pleurs. À vos pieds... MADAME WANDERK. Lève toi, ma fille,Quand sur ton front le plaisir brille,Mes soins sont trop récompensés. ADÉLAÏDE. Quoi ?... MADAME WANDERK. Dans tes yeux ton coeur se déploie. ADÉLAÏDE. Mais, regardez-les donc. MADAME WANDERK. Que ces larmes de joieMe payent bien... ADÉLAÏDE. Écoutez. MADAME WANDERK. Non :Ma chère enfant, je te dispense ;De ces remerciements qui sont hors de saison. ADÉLAÏDE. Si vous vouliez m'entendre ! MADAME WANDERK. Eh ! Mais je sais d'avanceCe que tu me dirais. ADÉLAÏDE. Mon coeur... MADAME WANDERK. C'est bon ! C'est bon. Adélaïde reste absorbée : Madame Wanderk prête à rentrer, jette un coup d'oeil, et à toutes les peines du monde à s'empêcher de rire. SCÈNE XIII. ADÉLAÏDE, seule. Ô quel charmant espoir elle vint de détruire !Me voilà maintenant dans un bel embarras !Mais comment ne sait-elle pas Que Mirval a mon coeur ? Tout a dû l'en instruire.Car c'est aussi clair que le jour.Il ne m'a point encor parlé de son amour,Mais nos yeux devant elle en avaient le langage,Et quand elle voyait notre tendre embarras. Un doux sourire animait son visage.On ne doit pas rire à son âgeDe ce que l'on n'approuve pas.Elle nous a trompé tout les deux... comment faire ? Après une courte réflexion.Si je lui disait fermement : « Je ne veux que Mirval pour époux, pour amant :Je l'aime : et vous aurez beau faire.... » Revenant promptement à elle.Qui, moi ? Résister à ma mère !Moi l'affliger un seul moment !Eh ! Pourrai-je éprouver un plus cruel tourment Que le malheur de lui déplaire ?Non : non... Si je parlais de Mirval ;... le voici. SCÈNE XIV. Adélaïde, Mirval. ADÉLAÏDE, à part. Oh ! Comme il est rêveur ! MIRVAL, voyant Adélaïde. Elle est encore ici ?Je ne puis l'éviter. ADÉLAÏDE, à part. Que n'ai-je assez d'adressePour le faire expliquer ! MIRVAL, à part. Cachons-lui ma faiblesse ; Et prenons garde de nous trahir. ADÉLAÏDE, à part. Je ne pourrai jamais lui parler sans rougir. Après un petit silence.Pourquoi restez-vous là Mirval ? MIRVAL, embarrassé. Mademoiselle,Je cherche voire mère. ADÉLAÏDE. Elle ra revenir.Vous savez qu'à vous voir elle a bien du plaisir. Restez. MIRVAL. Sa bonté naturelle... ADÉLAÏDE, souriant. Et vous savez aussi que je pense comme elle. MIRVAL. Croyez que mon respect... ADÉLAÏDE. Je n'oublierai jamaisQue c'est à vous que je dois mes progrès. MIRVAL. De mes soins assidus ils sont la récompense. ADÉLAÏDE. Ils vous donnent des droits à ma reconnaissance,Ainsi qu'à ma tendre amitié. MIRVAL, à part. Ô ciel ! ADÉLAÏDE. Pour vous prouver toute ma confiance,Je veux vous faire confidenceDe mes chagrins... vous en aurez pitié. MIRVAL. Daignez m'écouter je vous prie.Votre coeur pur et sans détourNe veut pas offenser une mère chérie ?Me révéler ce qui vous contrarie,C'est un vol fait à son amour. ADÉLAÏDE, vivement. Ah ! Vous savez combien son amitié m'est chère !Elle tient à mon être ; elle m'est nécessaire :Et malgré des rapports si doux,Je ne sais pas trop entre nousEn quoi notre amitié diffère ; Mais celle que j'ai pour ma mèreN'est pas celle que j'ai pour vous. MIRVAL, à part. Et je ne puis parler ! Ô contrainte cruelle ! SCÈNE XV. Les mêmes, Fridric. FRIDRIC, accourant en sautant dans un joie folle. Vivat, vivat ! Grande nouvelle ! ADÉLAÏDE. Qu'est-ce que c'est ? FRIDRIC. Je l'ai dit ce matin, « Il faut que le fait soit certain,Puisque l'on donne une veillée ».J'ai de l'esprit comme un lutin !Vous allez être émerveillée ! ADÉLAÏDE. Et de quoi donc ? FRIDRIC. Quand vous verrez cela ! Ceci par ci, cela par là !Il faudra que chacun admire ;Et puis ensemble on s'écriera...« La bonne maman que voilà ! »Et puis au bal comme on va rire ! Et walz, et walz : et houp ça ça. Il saute comme s'il dansait une valse. MIRVAL. Du sujet de ta joie il faudrait nous instruire. ADÉLAÏDE. Mais sans doute. FRIDRIC. Je le veux bien. Il les mène au-devant du théâtre et leur dit en confidence.Votre mère m'a dit, mais sans m'expliquer rien,Vas porter promptement ces papiers, cette lettre. ADÉLAÏDE, avec impatiente. À qui ? FRIDRIC. Voulez-vous bien permettre ?Je vous expliquerai le fait de bout en bout.J'ai porté les papiers... ensuiteChez l'autre j'ai couru bien vite :Mais quand je me suis trouvé là, Ah ! Bon dieu ! ADÉLAÏDE. Quoi donc ? FRIDRIC. De ma vie.Je n'ai rien vu comme cela !Et vous en serez éblouie :Oh ! Vous pouvez vous en fier à moi :C'est superbe ! ADÉLAÏDE, impatientée. Superbe ! Quoi ? FRIDRIC. Un petit moment, je vous prie.Il m'a tout étalé pour me faire tout voir. ADÉLAÏDE. Quoi donc ? FRIDRIC. Vous voulez le savoir ? ADÉLAÏDE. Eh ! Sûrement ; j'en meurs d'envie. FRIDRIC. Pendant que j'admirais cela Il a relu la lettre. MIRVAL. Eh ! bien ? FRIDRIC. Je vous annonce... ADÉLAÏDE, impatientée. Après ? FRIDRIC, en confidence. Que je m'en vais en porter la réponse : Il sort en dansant.Hé wals, hé wals, hé houp ça, ça ! SCÈNE XVI. Adélaïde, Mirval. ADÉLAÏDE. Il est devenu fou. MIRVAL. Qu'annonce ce mystère ? ADÉLAÏDE. En vérité, je n'en sais rien. Mais vous, Mirval, serez-vous plus sincère ? MIRVAL. N'en doutez pas. ADÉLAÏDE. Sur quoi roulait votre entretienQuand je vous ai trouvé tantôt avec ma mère ? MIRVAL. Nous parlions de sincérité ;Pour elle cette qualité À plus d'une autre est préférable. ADÉLAÏDE, vivement. Elle a raison, rien n'est plus agréable ! MIRVAL. Elle ajoutait avec bonté :« Jamais un coeur pur ne déguiseLes accents de la vérité. » ADÉLAÏDE, avec un sourire ingénu. Mirval ? De ces leçons avez-vous profité ? MIRVAL. Sans doute. ADÉLAÏDE, avec effusion. Hé bien, parlons avec franchise.Voyons ; expliquons-nous. MIRVAL, avec embarras. Nous expliquer ? Sur quoi ? ADÉLAÏDE, avec dépit. Vous m'impatientez. MIRVAL, à part. Ô devoir trop sévère. ADÉLAÏDE, d'un air piqué. Hé bien, Mirval, conseillez moi. D'abord ; apprenez que ma mèreVeut me marier dès ce soir. MIRVAL, affectant un air froid. Je m'en doutais. ADÉLAÏDE, ironiquement. Fort bien.... Elle ne fait pas voirCe beau mari ! MIRVAL. Sur sa sagesseVous devez fonder votre espoir : Vous connaissez pour vous jusqu'où va ta tendresse,Et vous savez votre devoir. ADÉLAÏDE. Et si cet homme est haïssable. MIRVAL. Votre mère est trop raisonnablePour avoir fait un choix dont elle pût rougir. Ah ! Croyez que l'époux qu'elle a sua vous choisir... ADÉLAÏDE, avec véhémente. Mais quand il serait adorable,Si je ne puis pas le souffrir ?Que dois-je faire alors ? MIRVAL. AgirComme une fille raisonnable, Qui craignant d'affliger sa mère respectable,A le courage d'obéir. ADÉLAÏDE, allant se jeter sur une chaise Oh ! Vous êtes insupportable ! MIRVAL. Ne vous mettez pas en courroux. ADÉLAÏDE, se levant vivement. Quel raisonnement est le vôtre ! Eh ! Comment voulez-vous que j'en épouse un autre,Lorsque mon coeur est tout à vous ? MIRVAL, hors de lui. Quoi ! Vous m'aimez ! ADÉLAÏDE. Allons, feignez de la surprise.Hum ! Vous le saviez bien ! MIRVAL. Jamais... ADÉLAÏDE. Qu'il est menteur ! MIRVAL. Ah ! Pour connaître mon bonheur... ADÉLAÏDE. Il fallait que je vous le dise ?Eh bien ! Vous devez le savoir,Je vous l'ai dit. MIRVAL. Adélaïde,Je serais un ingrat : je serais un perfideSi je vous laissais entrevoir La plus faible lueur d'espoir. ADÉLAÏDE. Pourquoi donc ? Ma mère vous aime,Tantôt encor, comme elle m'assuraitAvec une tendresse extrême,Que mon bonheur seul l'occupait. J'ai cru que c'était vous qu'elle me destinait. MIRVAL. Eh mais ! la chose est impossible !Sans état ; sans appui ; moi qui n'ai pour tout bienQu'une âme tendre, un coeur sensible... ADÉLAÏDE, souriant. Et vous comptez cela pour rien ? MIRVAL. Étouffez un penchant que votre mère ignore,Et que vous ne devez jamais lui révéler. ADÉLAÏDE, vivement. Vous ne m'aimez donc pas ? MIRVAL, tombant à ses pieds. Qui, moi ? Je vous adore. SCÈNE XVII. Adélaïde, au devant de la scène, Mirval à ses pieds ; Madame Wanderk, entrouvrant doucement la porte du fond. ADÉLAÏDE, avec joie. Ah ! Cela s'appelle parler. MIRVAL, se relevant. Juste ciel ! Quel est mon délire ?J'oublie, en osant vous le dire,La reconnaissance et l'honneur.Madame Wanberk se retire et ferme doucement la porte. ADÉLAÏDE. Hé non ! Vous êtes dans l'erreur. MIRVAL. Ah ! Loin d'encourager ma criminelle ardeur,Condamnez moi vous-même au plus cruel martyre :Défendez-moi de vous offrir mon coeur. ADÉLAÏDE, avec un aimable sourire. Eh ! Défend-on ce qu'on désire ? MIRVAL, se remettant à genoux. Adélaïde ! ADÉLAÏDE, tendrement. Hé bien ? MIRVAL. Vous nous perdez tous deux. MADAME WANDERK, sans être vue. Que l'on conduise ici Mirval et mon notaire. MIRVAL, se levant avec confusion. Je fuis ! ADÉLAÏDE, s'arrêtant. Non ! Demeurez... je veux,Devant vous, tout dire à ma mère. MIRVAL. Je n'oserai jamais... ADÉLAÏDE, avec un petit ton décidé. Hé bien, laisses moi faire.J'ai du courage, moi. MADAME WANDERK, à Mirval en entrant. Ah ! Vous êtes ici ? Je vous faisais chercher : vous m'êtes nécessaire.Le bonheur de ma fille est ma première affaire.Mais cependant il faut aussiQu'envers vous Mirval, je m'acquitte.Je sais que je vous dois beaucoup. ADÉLAÏDE, bas à Mirval. Que vous avais-je dit ? MIRVAL, à Madame Wanderk. C'est moi qui vous doit tout. MADAME WANDERK. Ma fille tient de vous ce qu'elle a de mérite.Ses talents, par vos soins, peuvent encore gagner.Il est temps de vous témoignerJusqu'où va ma reconnaissance ; Elle surpassera je crois voire espérance ;Je m'en flatte du moins. ADÉLAÏDE, à part. Comme le coeur me bat ! MIRVAL. Madame... MADAME WANDERK. Oui : je veux assurer votre état :Mais veut me promettez d'achever votre ouvrage,C'est une clause du contrat. ADÉLAÏDE, bas à Mirval. Du contrat : c'est bien clair. MADAME WANDERK. Sans consulter l'usage,Sans prendre avis de mes parents.Je vous ai fait un avantageQu'on n'accorde qu'à ses enfants,Et vous voilà de la famille. MIRVAL, enchanté. Ah ! Madame ! ADÉLAÏDE, de même. Ah ! Ma mère ! MADAME WANDERK, gaiement, Écoute-moi, ma fille,II est temps à présent de te faire savoirCe secret désiré. Elle les amène tout deux au devant de la scène.J'ai rempli le devoirD'une mère prudente et sage :J'ai bien conduit l'affaire, et vous allez le voir. À Adélaïde en confidence.Le plus riche parti de tout le voisinage,Qui réunit par un double avantageEt l'opulence et le pouvoir ;Homme puissant. ADÉLAÏDE, inquiète. Hé bien ? MADAME WANDERK, comme si elle donnait une bonne nouvelle. Vient t'épouser ce soir. ADÉLAÏDE, avec une grande surprise. Moi ? J'épouse... MADAME WANDERK, l'interrompant. Un seigneur, et du plut haut parage. Vous, Mirval, vous allez signer.À son contrat de mariage.Je crois que cet honneur n'est pas a dédaigner. MIRVAL, à part. Quel coup ! MADAME WANDERK, à part. Il change de visage. ADÉLAÏDE, bas à Mirval. Je m'en vais lui parler... calmez votre chagrin. À Madame Wanderk avec timidité.Pardon, maman... mais... MADAME WANDERK, gaiement. Quoi ? ADÉLAÏDE. Je pense...Que vous pouviez, par complaisance,Interroger mon coeur avant d'offrir ma main. MADAME WANDERK. Pourquoi donc, mon enfant ? Le mien était certainDe la parfaite indifférence. ADÉLAÏDE, vivement. Qui vous l'assure ? MADAME WANDERK, sérieusement. Ton silence. ADÉLAÏDE, inquiète. Quoi ? Mon silence ?... MADAME WANDERK, gaiement. Oh ! Je ne risquais rien. ADÉLAÏDE, après un moment d'embarras. Répondez franchement. MADAME WANDERK. Hé bien ? ADÉLAÏDE. Vous seriez-vous mise en colèreSi je vous avais dit : « Quelqu'un a su me plaire, Et ce quelqu'un n'a pat de bien ? » MADAME WANDERK, avec tendresse. Ah ! Loin de prendre un ton sévère,Ton choix, tel qu'il put être, aurait été le mien. Reprenant son air gai.Mais j'étais sûre du contraire. ADÉLAÏDE. Bien sûre ? MADAME WANDERK, avec chaleur. Ah ! Mon enfant, je croirais t'outrager, Si j'osais supposer qu'une fille si chèreEut quelques secrets pour ta mère.Du plus faible penchant, du goût le plus léger,Tu m'aurais sur-le-champ fait un aveu sincère. ADÉLAÏDE, se couvrant le visage. Oh !!! MADAME WANDERK. Les détours sont faits pour les coeurs corrompus Que la honte retient, que le grand jour offense.Mais lorsqu'au sein de l'innocence,On chérit à la fois sa mère et les vertus,On dit hardiment ce qu'on pense. MIRVAL, à part. Que le reproche est dur, quand il est mérité. ADÉLAÏDE, à part. J'allais dire la vérité,Mais quand on est coupable on n'a plus de courage. MADAME WANDERK, caressant sa fille. Va, mon coeur du lien est si sûr,Qu'en arrangeant ce mariage... ADÉLAÏDE, les larmes aux yeux. Ce coeur... MADAME WANDERK. Est franc, sensible et pur. Le soupçonner est un outrage. SCÈNE DERNIÈRE. Les mêmes, Fridric, Lisbeth, Le Notaire. FRIDRIC, annonçant. Votre notaire. ADÉLAÏDE, allant s'asseoir dans un coin. Ô ciel ! MADAME WANDERK, à Fridric. Mets cette table ici. Au Notaire qui entre.Je vous attendais. LE NOTAIRE, d'un ton pédant. Me voici. MADAME WANDERK. Notre affaire est-elle finie ? LE NOTAIRE. J'ai stipulé le tout au gré de voire envie : Je ne veux pas être vanté.Mais je puis assurer avec véracitéQue dans tous les contrats que j'ai fait en ma vie,Jamais ma perspicacité,N'a saisi les objets... MADAME WANDERK. Finissons, je vous prie. LE NOTAIRE. Un moment s'il vous plaît : ne m'avez-vous pas ditQu'il fallait expliquer clairement... MADAME WANDERK, lui faisant des signes. Au contraire,Je vous ai prié de vous taire. LE NOTAIRE. Non pas, dans le contrat cela n'est point écrit. MADAME WANDERK. Ô quelle tête ! LE NOTAIRE. En fait d'affaire, On prend le parti le plus sûr ;Donc, j'ai joint au nom du futur... MADAME WANDERK. Hé, taisez-vous. LE NOTAIRE. ... Le titre de la terreQui vient de vous coûter deux cents mille florins. MADAME WANDERK, s'impatientant. Eh ! Paix donc ! LE NOTAIRE, étonné de son ton. D'après vos desseins, J'ai rédigé l'article, et je vais vous le lire. MADAME WANDERK, prenant le contrat. Mais vous extravaguez, je crois ! LE NOTAIRE, fâché. Si quelqu'un extravague ici, ce n'est pas moi. MADAME WANDERK. Écoutez moi. Elle le mène au coin du théâtre, le notaire lui indique l'article qu'elle lit bas, en jetant ses yeux de temps en temps sur les jeunes gens, et paraissant toujours écouter ce qu'ils disent. LISBETH, à part. Toujours se cacher ! Quel martyre! ADÉLAÏDE, se levant avec vivacité et allant joindre Mirval. Je vous aime... ce soir je puis encore le dire ; Mais si l'on engage ma main,Je ne le pourrai plus demain.Profitons du moment... J'ai tort avec ma mère !Tout ce qu'elle m'a dit me l'a trop fait sentir !Prévenons sa juste colère ; Tâchons, par un aveu sincèreDe la toucher, de l'attendrir. MIRVAL, avec la même vivacité. Et si malgré nos pleurs elle reste inflexible,Promettons tous deux de remplirUn devoir sacré ! Mais pénible. ADÉLAÏDE, baissant les yeux. Quel sera le mien ? MIRVAL. D'obéir. ADÉLAÏDE, avec tendresse. Le vôtre, Mirval ? MIRVAL, les larmes aux yeux. De vous fuir. MADAME WANDERK, qui a souri en entendant leurs derniers mots, dit au Notaire en parlant haut. Ajoutez-y cela. LE NOTAIRE, sans la comprendre. Cela ?... Quoi, je vous prie ? MADAME WANDERK, le conduisant à la table. Asseyez-vous. LE NOTAIRE. Que diable signifie ?... Position de la scène. Le Notaire à la table, Lisbeth, derrière se chaise, cherchant à lire par dessus son épaule, Fridric, dans le fond ; Madame Wanderk, au milieu de la scène. Adélaïde, ensuite, Mirval, au coin du théâtre à gauche. MADAME WANDERK, aux jeunes gens. Enfin, voici l'instant le plus doux pour mon coeur. Je vais partager mon bonheur,Et celle tâche m'est bien chère. Adélaïde en la prenant par la main.Viens : en attendant ton époux,Signes toujours. ADÉLAÏDE, en pleurs. Je tombe à vos genoux.Pardon ! pardon ! MADAME WANDERK, feignant l'étonnement. Mon Dieu ! Qu'as-tu pu faire Qui te fasse à ce point redouter ma colère ? ADÉLAÏDE. Et ce n'est pas votre courrouxQue je crains. MADAME WANDERK. Et quoi donc ? ADÉLAÏDE. C'est d'affliger ma mère. MADAME WANDERK. Toi, m'affliger, mon enfant ? Toi ! ADÉLAÏDE, hésitant. Oui, moi-même... Cet homme à qui l'on me marie... N'obtiendra que ma main. MADAME WANDERK. Pourquoi ?Expliques-toi donc, je t'en prie. ADÉLAÏDE, presque en pleurant. C'est que mon coeur n'est plus à moi. MADAME WANDERK, affectant la plus grande colère. Qu'ai-je entendu ? Ma fille ! À peine je le crois. Quoi ? Dans le coeur d'Adélaïde Un secret a pu m'échapper? ADÉLAÏDE. Ah ! Moins coupable que timide,Je me taisais sans vouloir vous tromper. MADAME WANDERK, avec tendresse. À cette méfiance aurais-je pu m'attendre !Me cacher ton penchant, n'est-ce pas me trahir? Tu voulais donc priver la mère la plus tendreDu droit le plus sacré, celui de te servir ;Celui de te guider et de te rendre heureuse ?Pour un coeur maternel, épreuve douloureuse ! Elle va se jeter dans les bras de Mirval.Venez, mon cher Mirval, venez me secourir ; Contre un coup si cruel venez me soutenir. Montrant Mirval à Adélaïde.L'exemple de cette âme et franche et généreuse,Suffit pour te faire rougir.Son amitié sincère et tendreN'éprouvera jamais ni remords ni regrets. Si son coeur avait des secretsCe serait dans mon sein qu'il viendrait les répandre. MIRVAL, désespéré. Ah ! De grâce, arrêtez : vous déchirez mon coeur.Loin d'avoir mérité cet éloge flatteur,Je suis mille fois plus coupable... MADAME WANDERK, feignant l'étonnement. Qui, vous Mirval ? MIRVAL. Je vais vous faire horreur.J'ai mérité les noms d'ingrat, de suborneur.J'adore Adélaïde. MADAME WANDERK, tombant dans un fauteuil. Ô crime épouvantable !Ce dernier trait m'étourdit et m'accable. MIRVAL. Je dois être un monstre à vos yeux. MADAME WANDERK. Quand les attentions, les soins officieuxDe ma conduite étaient les guides,Loin de me payer de retourJe n'ai trouvé, pour prix de tant d'amour,Que des coeurs ingrats et perfides. MIRVAL, à genoux. Madame... ADÉLAÏDE. Ayez pitié. MADAME WANDERK, les repoussant. Laissez moi, laissez moi. LE NOTAIRE, à part. Mais le contrat qu'elle-même a fait faireNe cadre point du tout avec cette colère. Il quitte sa table et s'approche de Madame Wanderk.Je vais savoir la vérité. À Madame Wanderk qui paraît accablée.Madame, expliquez moi. MADAME WANDERK, se levant, et avec un ton absolu. Silence ! Tout le monde paraît étonné : Fridric fait un bond de frayeur : le Notaire remporte son contrat et retourne à sa table. MADAME WANDERK d'un ton décidé. Soumettez-vous ma fille à mon obéissance,Rien ne peut plus changer ma volonté ;Mais n'accusez de ma sévéritéQue votre peu de confiance. ADÉLAÏDE, suppliant. Ah ! Différez du moins, et que voire bonté... MADAME WANDERK. Hé bien... je ne veux pas te faire violence :Tu peux choisir en liberté.Entre ces deux partis celui qui peut le plaire. En lui présentant la plume.Sans connaître l'époux que je t'ai destiné,Qu'à l'instant de ta main ce contrat soit signé, Ou renonce à jamais à l'amour de ta mère. ADÉLAÏDE, saisissant la plume. Mon choix n'est pas douteux... Le plus affreux malheurEst la perte de votre coeur. MADAME WANDERK, à part. Ô chère enfant ! ADÉLAÏDE, avant de signer. Mirval, que votre âme attendrie,Imite un généreux effort : Qui me donna le jour veut m'arracher la vie,Je signe l'arrêt de ma mort. Elle signe et s'appuie sur Lisbeth. Mirval, inquiet, s'avance. Madame Wanderk les prend tous deux par la main. MADAME WANDERK. Votre manque de confiance,Avait trop justement excité mon courroux.Apprenez tous les deux jusqu'où va ma vengeance. Adélaïde... embrasse ton époux. Elle la met dans les bras de Mirval. ADÉLAÏDE. Ô ma bonne maman ! MIRVAL. Je tombe à vos genoux. LISBETH. Ah ! Je vous reconnais ! LE NOTAIRE. Je commence à comprendre. FRIDRIC. C'est à présent qu'on valsera. Fridric va pour valser, Lisbeth l'arrête tout court. ADÉLAÏDE, lui baisant ta main. Ma mère ! MIRVAL, de même. À ce bonheur aurais-je dû m'attendre ? MADAME WANDERK. Levez-vous mes enfants, et venez dans mes bras.J'ai peut-être un peu trop prolongé ma vengeance ;Mais c'est en vous faisant rougir,Que j'ai voulu tous les deux vous guérirDe votre injuste méfiance. « Jeunes gens sans expérience,Fuyez la ruse et les détours ;Ne cachez rien aux auteurs de vos jours,Et comptez sur leur indulgence.Évitez les pièges trompeurs Où vous entraîne l'imposture.On marche au vice par l'erreur.Si vous voulez toujours suivre l'honneur,N'offensez jamais la nature. »[Note : Ce qui est guillemeté a été supprimé à la représentation. [NdA]] ==================================================