******************************************************** DC.Title = PALINICE, CIRCEINE ET FLORICE, TRAGI-COMÉDIE PASTORALE DC.Author = RAYSSIGUIER, de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragi-comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 06/07/2022 à 13:46:25. DC.Coverage = Italie DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/RAYSSIGUIER_PALINICE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k73905b DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** PALINICE, CIRCEINE ET FLORICE TRAGI-COMÉDIE PASTORALE TIRÉE DE L'ASTRÉE de Mr HONORÉ d'URFÉ M. DC. XX XIIII. AVEC PRIVILÈGE DU ROI. Par le sieur de R. MONSIEUR, Ce que la plupart des écrivains font aujourd'hui par coûtume, je le fais par devoir, et pour reconnaître selon ma portée, les honneurs que j'ai reçu de vous, et l'accueil favorable qu'il vous a plu de me faire. Je sais bien que l'ouvrage que je vous présente n'est pas digne de vous, et que des vers héroïques, où la générosité de quelque vaillant homme serait décrite, vous plairaient beaucoup mieux, que des vers simples et nus, où l'on ne voit que des effets des passions amoureuses. Toutefois puisque les plus grands hommes de la terre se délassent souvent dans la lecture de semblables oeuvres, j'ai cru que vous auriez agréable de vous divertir quelques fois à lire celle ici, cependant que notre grand Prince vous prépare des occasions où vous pourrez exercer votre valeur, et ce courage invincible qui a toujours méprisé les dangers. Si j'avais entrepris de parler ici de la grandeur de vos mérites, de vos exploits, et des avantages que vous avez reçu de votre naissance, il me faudrait ouvrir trop de tombeaux, remettre devant les yeux de tout le monde les dernières calamités de ma patrie, et au lieu d'une épitre entreprendre un gros volume : mais ce n'est pas le lieu, ni le temps de parler de choses si hautes. Et puis mon dessein ici n'est que de vous assurer que je n'ai rien de plus cher, que les soins de vous plaire, et si ce petit travail vous agrée, je fera bientôt voir dans un autre, où j'aurai plus de liberté de m'étendre, les titres glorieux que vos ancêtres se sont acquis, et que vous avez plus avantageusement hérité de leurs vertus que de leurs biens. Je ne dis rien que je ne puisse faire aisément, ayant une matière si ample, et si noble, et un si beau sujet de vous témoigner que je veux être toute ma vie, MONSIEUR Votre très humble, et très obéissant serviteur, DE R. [ACTEURS] [ALCANDRE]. [ARIMANT]. [CERINTE]. [CIRCEINE]. [CLORIAN]. [FLORICE]. [PALINICE]. [SILEINE]. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Florice, Alcandre. FLORICE. Mon frère, confessez que toute l'Italie,Encore que le Ciel l'ait beaucoup embellie,Qu'elle soit riche en biens, prodigue en voluptésEt qu'elle soit superbe en diverses cités,N'a rien de comparable en toutes ses merveilles Aux plaisirs qu'ont ici nos yeux et nos oreilles :[Note : Bacchus : Dieu des Païens qui était invoqué par les débauchés, à cause qu'on le croyait inventeur du vin. [F]]Voyez tous ces costaux, où Bacchus triomphant[Note : Pampre : Feston de feuilles de vignes et de grappes de raisin, qui sert d'ornement à la colonne torse. [L]]Se couronne de pampre et se joue en enfant,Écoutez ces oiseaux dont la troupe infinieNous fait de plusieurs voix une douce harmonie : Voyez ces prés fleuris séparés d'un ruisseau,Qui par mille conduits laisse couler son eau,Et dites avec moi que les Dieux ni les hommesN'ont rien fait de pareil au séjour où nous sommes :Voyez que de hameaux embellissent ces lieux, Où l'on voit éclater mille grâces des Cieux,Et si notre regard se tourne vers la plaine,Avez-vous jamais vu rien d'égal à la Seine ?Vous diriez qu'elle sort du milieu de Paris,Pour baiser en passant l'herbe des prés fleuris, Que cette grande masse et de pierre et de sable,Quoi qu'elle nous étonne a l'aspect agréable,Ces pointes des clochers que nous voyons hausserNous semblent à l'envi se vouloir surpasser,Dites-m'en votre avis, mon frère, je vous prie. ALCANDRE. Puisque vous le voulez il faut que je vous dieQue l'Italie est belle, et que là les plaisirsTrompent notre espérance et passent les désirs,Que sa richesse est grande, et et que son paysageNe laisse qu'aux ingrats à vouloir davantage, Que tous ses habitants ont de perfectionsQui ne se trouvent point aux nations :Mais à ne pas mentir ce beau lieu la surpasseAutant que le Soleil les clartés qu'il efface,Non pas pour ces objets que vous estimez tant, L'Italie en cent lieux m'en a fait voir autant.Mais c'est pour un objet sans qui ces belles chosesParaîtraient à mes yeux une épine sans roses,Une seule beauté par l'éclat de ses yeuxRend ce séjour plus beau que le séjour des Dieux, Tout rit dessous ses pas, et la nature assembleEn cet ouvrage seul la beauté tout ensemble. FLORICE. Ne passez pas plus outre, Alcandre, et m'avouezQue vous aimez un peu celle que vous louez. ALCANDRE. Comment, un peu, ma soeur ? J'aime plus que ma vie L'adorable beauté qui m'a l'âme ravie,Et s'il fallait mourir pour avoir seulementLe bien de la servir, je mourrais constamment. FLORICE. Un feu si violent, comme vous me le faites,Ne devrait pas avoir de flammes si secrètes, Et principalement pour celle dont le soinVous y pourrait servir, s'il en était besoin. ALCANDRE. Il est vrai que je fais tout ce qui m'est possiblePour cacher mon amour : mais il est trop visible,Mon visage a changé, j'ai perdu mes plaisirs, Et les soucis d'amour ont troublé mes désirs,Je n'aime qu'à rêver et mon bonheur extrêmeEst de penser toujours à la beauté que j'aime. FLORICE. Je l'a bien remarqué ; mais parlons franchement,Et me dites l'objet de votre embrasement, Nous tâcherons après d'alléger votre peine. ALCANDRE. Vous le voulez savoir, c'est la belle Circeine. FLORICE. Circeine, où pensez-vous ? Je plains votre malheur,Et je ne puis savoir votre amour sans douleur,Faites tous vos efforts d'étei0ndre en leur naissance Ces feux dont vous sentez la mortelle puissance,Perdez ces vains désirs, prenez-en de meilleurs,Circeine, mon cher frère, est engagée ailleurs,Clorian la possède avec un tel empire,Qu'il ne souhaite rien qu'elle ne le désire. ALCANDRE. Je m'étonne pourtant qu'une telle beautéLaisse au vouloir d'autrui régler sa volonté,Qu'un homme la possède, elle est trop vertueusePour avoir en ce point l'âme défectueuse,Elle donne des lois plutôt qu'en recevoir. FLORICE. Vous prenez mal mon sens à ce que je puis voir,Si je dis que Circeine est ailleurs engagée,Ce n'est pas qu'elle y soit par amour obligée ;Mais c'est que Clorian a sa soeur pour appui,Et qu'auprès de Circeine elle peut tout pour lui, Et c'est ce qui lui fait agréer son service,Circeine absolument dépend de Palinice,Et Palinice sert avecques passionSon frère Clorian dans son affection. ALCANDRE. Qu'est-ce donc qui retarde un heureux mariage ? FLORICE. Palinice. ALCANDRE. Comment, c'est elle qui l'engage,Et la presse en faveur de son frère. FLORICE. Écoutez,Et vous saurez le noeud de ces difficultés. ALCANDRE. Vous me ferez plaisir. FLORICE. Vous connaissez Sileine. ALCANDRE. Oui je le connais bien, c'est l'aîné de Circeine. FLORICE. Il aime Palinice avec beaucoup d'ardeur ;Mais elle le reçoit avec quelque froideur :Tellement que fâché qu'on méprise sa flamme,Il nuit à Clorian auprès de votre Dame. ALCANDRE. Ah ! Que par ces discours, ma soeur, vous m'obligez, Mes maux sont maintenant à demi soulagés,Je commence de voir quelque jour qui m'éclaire,Pour acquérir la soeur il faut gagner le frère,J'y prendrai tant de soins j'y ferai tant de pasQue j'aurai du malheur si je ne l'obtiens pas. FLORICE. Mon frère, si j'osais je vous dirais encoreUn secret important au feu qui vous dévore,Mais je crains. ALCANDRE. Craignez-vous de me trop obliger ? FLORICE. Je crains en vous servant de me trop engager. ALCANDRE. Non, non, ma chère soeur, secondez mon envie, Et ne me cachez rien si vous aimez ma vie. FLORICE. Sachez que si Sileine est porté contre vous,Que son oncle Arimant se portera pour nous,Il est fort amoureux. ALCANDRE. Et de qui ? FLORICE De moi-mêmeMais il est importun. ALCANDRE. Ô le bonheur extrême : Ah ! Ma soeur vous tenez ma vie entre vos mains,Sans vous tous mes travaux n'eussent été que vains,Faites donc qu'Arimant mon amour autorise,Qu'il en parle à Circeine, et qu'il m'y favorise :Et vous pour ce sujet faites lui bon accueil, Agréez son amour, voyez le de bon oeil. FLORICE. Quoi faire bon accueil à cette vieille souche,Dont l'oeil pleure les dents qui manquent à la bouche,Vous vous moquez, mon frère. ALCANDRE. Au contraire, ma soeur,Sachez que tant de biens dont il est possesseur, Quoi que vous en disiez le rendent agréable,La richesse nous rend un homme trop aimable,L'or fait paraître jeune un homme déjà blanc,Et lui sert en amour de chaleur et de sang. FLORICE. Mais vous ne dites pas que leur âme enflammée Dans un corps tout glacé se trouvant enferméeFait naître en leur amour cent sortes de soupçons,Le feu ne saurait vivre avecque les glaçons,La vieillesse amoureuse est un monstre en nature,Si ce n'est qu'elle veuille aimer la sépulture. ALCANDRE. Ma chère soeur pardonne à mon affection,Je connais comme toi son imperfection,J'aime trop ton repos pour avoir cette envie :Mais c'est que ton secours me peut sauver la vie,Feins un temps avec lui pour m'ôter de souci. FLORICE. Ne vous affligez plus je le veux faire aussi,Et par mille moyens je ferai mon possibleDe rendre à votre amour Circeine plus sensible. ALCANDRE. Le feras-tu ma soeur ? FLORICE. Oui, je la vois venir.Donnez nous le loisir de nous entretenir. SCÈNE II. Circeine, Florice. CIRCEINE. En me voyant venir votre frère vous quitte,Trouve-t-il point mauvais lorsque je vous visite ? FLORICE. Non ma compagne, non, et ce nouvel amantTrouve en votre beauté tout son contentement,Et Circeine se rit de sa flamme amoureuse. CIRCEINE. [Note : Gausseur : Celui, celle qui se gausse des autres. Se Gausser : Se railler. [L] ]Vous avez bonne grâce à faire la gausseuse,Mais si vous le voulez je le veux croire ainsi,Aussi bien n'est ce pas ce qui m'emmène ici,Voyez dedans ces gants, FLORICE. Voici quelque surprise. CIRCEINE. Non non, vous connaîtrez l'auteur de l'entreprise, Tirez en ce papier, et le lisez après,Je veux que vous sachiez mes desseins plus secrets FLORICE. Lit les vers qui sont dans les gants.Si je mens lorsque je vous jure,Que j'adore votre beauté,Que le ciel m'ôte la clarté, Et qu'il me punisse en parjure. FLORICE. Après les avoir lus.Et comment cet amour dure encor. CIRCEINE. Quel Amour ? FLORICE. L'amour de Clorian plus connu que le jour. CIRCEINE. Il est vrai que ce fou dit par tout sa folie :Mais je n'ai point de part en sa mélancolie, Et les vers sont d'un autre, et vous le connaîtrezSi vous considérez la lettre de plus près. FLORICE. Après avoir considéré l'écritureJe le connais d'effet, et je suis bien fâchéeQue son âme se soit dans vos noeuds attachée. J'ai fait ce que j'ai peu pour l'ôter de vos fers :Mais on mettrait plutôt les morts hors des enfers. CIRCEINE. Vraiment je vous croyais d'une autre humeur, FloriceVous me voulez donc rendre un si mauvais office. FLORICE. Ce n'est pas mon dessein, mais je vois clairement Qu'Alcandre en vous servant travaille vainement,Et qu'il ne doit jamais espérer cette grâceQue le feu de son sein échauffe votre glace. CIRCEINE. Savez vous l'avenir ? FLORICE. Non, mais par le passéJe juge qu'il sera fort mal récompensé, Vous le savez Circeine aussi bien que moi-même,Chacun ne sait-il pas que Clorian vous aime ? CIRCEINE. Oui, mais si mon humeur me dure longuementIl se verra bien loin de son contentement,Je ne dis pas cela pour engager Alcandre. FLORICE, tout bas. Elle rougit pourtant, elle est prête à se rendre. CIRCEINE. Ce sera m'obliger que de l'en détourner,Je crois qu'il le fera sans beaucoup se peiner. FLORICE. Et moi je ne crois pas que l'ardeur de sa flammeS'éteigne dans son sein qu'alors qu'il rendra l'âme, J'ai trop bien reconnu son amoureux souci. CIRCEINE. Dieux, voici Clorian, retirons nous d'ici,Je ne puis faire un pas qu'aussitôt il ne suive. FLORICE. À ce que je puis voir vous êtes bien captive.Ah ! Que mon frère aura du mal en son amour. CIRCEINE. Adieu FLORICE. Vous verra-t-on, CIRCEINE. À quelque heure du jour. SCENE III. CLORIAN, seul. Amour que les mortels qui sont en ta puissanceOnt des astres malins auteurs de leur naissance,Ils n'ont point de repos que parmi les travaux,Leurs biens sont fort petits, et grands leurs moindres maux. Aussitôt qu'un rayon de beau-temps leur veut luireUn tourbillon d'ennuis s'assemble pour leur nuire :Tantôt ils sont bien vus, et tantôt méprisés,Et puis dans un moment encore favorisés,Ils n'ont point de plaisirs qui leur soit de durée Leur repos est douteux, et leur peine assurée,L'objet de leur amour est toujours inégal,Qui ne fait point de bien que pour faire du mal,Et nous le connaissons, et toutefois encoreIl faut que malgré nous notre âme les adore. Non non, je ferai voir au reste des amantsQu'on peut rompre ses fers, et finir ses tourments,Éteint fort aisément une flamme amoureuse,Après m'avoir donné mille marques d'amour,Cette ingrate me voit comme le premier jour, Mes services passés, ni ma persévéranceN'ont point eu de pouvoir contre son inconstance,Elle a tout oublié pour un nouvel amant,Qu'à peine elle connaît que depuis un moment :Mais quoi ce sexe ingrat à l'âme si fragile, Que le dernier venu le trouve plus facile ?Rompons donc ses liens, laissons-la comme elle est,Elle n'a rien de beau qui ne me semble laid,Que dis-tu Clorian, dans quelle frénésie,Te jette maintenant ta folle jalousie ? Circeine est sans appas, as-tu perdu l'esprit ?Elle est telle qu'alors que sa beauté t'esprit,Après l'avoir aimée, il nous est impossibleDe cesser de l'aimer, et de rester sensible :Aimons la donc toujours, et faisons nos efforts De perdre ce rival qui rompt nos doux accords,Ma peur peut tout sur elle, il faut qu'elle l'en presse. SCENE IV. Palinice, Clorian. PALINICE. Que fait ici mon frère, absent de sa maîtresse ?Si j'avais un amant si négligent que vous,Je prendrais le plaisir de le rendre jaloux. CLORIAN. Me parlez vous ainsi de la part de la belle,Qui tire vanité d'être ingrate et cruelle ? PALINICE. Non, je n'y pense pas, au contraire je croisQue Circeine vous aime autant ou plus que moi. CLORIAN. Vous ne savez donc rien de tout ce qui se passe, Elle est à mon ardeur plus froide que la glace. PALINICE. Dites moi, depuis quand un si grand changement ? CLORIAN. Depuis qu'elle reçoit Alcandre comme amant,Qu'elle rit avec lui, qu'il est toujours chez elle. PALINICE. Et de là vous jugez, CLORIAN. Qu'elle m'est infidèle. PALINICE. Ôtez de votre esprit ce dangereux soupçon,Qui vous troublant les sens vous gâte la raison,Circeine ne reçoit les visites d'Alcandre,Que comme elle reçoit Calidor et Tersandre. CLORIAN. Non, non, je les ai vus se parler à l'écart, Et faire en ma présence un entretien à part ;Leurs yeux qui se jetaient des regards tout de flamme,M'ont assez découvert les mouvements de l'âme :Et lorsqu'ils ont connu que je les avais vus,Surpris d'étonnement ils ont rougi tous deux. PALINICE. Ne vous laissez pas vaincre à cette fantaisie,L'amour meurt aussitôt que naît la jalousie,Elle est fille cruelle, et rend tout languissantL'amour qui l'a fait naître, ou l'étouffe en naissant. CLORIAN. Au contraire, ma soeur, mon amour s'en augmente, Mon ardeur tous les jours devient plus véhémente,Et ne me laisse pas un moment de repos. PALINICE. Ne me tenez jamais de semblables propos,Je vais trouver Circeine, elle est assez prudentePour n'entreprendre rien qui trompe votre attente. CLORIAN. Allez donc, vous pouvez ôter de mon penserCe fantôme jaloux qui me vient traverser. PALINICE Seule. Ah ! Que la jalousie en amour est nuisibleElle montre à nos yeux ce qui n'est pas visible,Nous fait passer pour vrai ce que nous soupçonnons, Et douter bien souvent de ce que nous tenons.Mon frère en est témoin, dont la mélancolieForme dans son esprit cette étrange folie :Qui voit ce qui n'est pas, doute de ce qu'il tient,Et par de faux soupçons sa douleur entretient ; Empêchons toutefois que ce mal ne le gagne,Et qu'il ne soit connu de ma belle compagne,Elle pourrait en fin réduire en véritéCe qui n'est qu'en l'esprit d'un amant irrité,D'un amant soupçonneux qui se plaint de son ombre, Et craint sans en avoir des ennemis sans nombre. SCENE V. CIRCEINE, seule. Que de diversités travaillent mes esprits,Je laisse à tous moments le dessein que j'ai pris,Je le reprends après, et le rejette encore,Alcandre me chérit, et Clorian m'adore : Ils témoignent tous deux de m'aimer ardemment,Clorian en public, l'autre secrètement.Alcandre est fort discret, Clorian au contrairePar sa fâcheuse humeur commence à me déplaire,Il me veut gouverner, me prescrire des lois, Disposer à son goût de mes yeux, de ma voix,Et fort de l'amitié que sa soeur me tesmoigne,Il se vient plaindre à moi soudain que je m'éloigne.Il était bon alors que je vivais chez eux,Que Palinice avait tout pouvoir sur mes voeux, Je ne suis plus enfant, l'âge a fait ma science,Et j'ai pour me conduire assez d'expérience :Mais Alcandre se vient promener en ces lieux,Feignons de nous vouloir détourner de ses yeux. SCÈNE VI. Alcandre, Circeine. ALCANDRE. Cet Argus importun, qui sans cesse m'éclaire, Qui presse ma maîtresse en faveur de son frère,Ne viendra pas peut être en ces lieux aujourd'huiComme elle a de coûtume accroître mon ennui.Mais j'aperçois déjà la beauté que j'adore,Qui dépouille ces lieux des richesses de Flore Qui fait comparaison des roses et des lisQuelle tient en sa main tout fraîchement cueillis,Aux neiges de son sein, au corail de sa boucheCes oeillets sont plus beaux lorsque sa main les touche,Ses regards font en eux l'éclat beaucoup plus grand, Et le feu de ses yeux dans leurs feuilles s'éprend,Ah ! Que je porte envie à cette belle rose,Qui dans son sein de lait si doucement repose.Amour s'il te souvient que cette belle fleurPrit du sang d'un amant cette vive couleur, Fais glisser au-dedans une flamme secrète,Qui lui fasse agréer ma passion secrète,En faveur de ta mère à qui ce sang fut cher,D'un coeur de diamant fais en un coeur de chair.Et toi mère d'un Dieu, plus puissant que les autres, Si par tes déplaisirs tu peux juger des nôtres,Inspire dans son sein ces désirs amoureuxQui rendent les amants dessous tes lois heureux.Mais à quoi ce discours, puisque le vent l'emporte,Je ne saurais guérir ma douleur de la sorte, Approchons hardiment : belle que faites vous,Ces ornements sont vains pour des attraits si doux,Aussi ne crois-je pas que vous en fassiez conte,Et que vous les preniez que pour leur faire honte,La beauté de ces fleurs, dont le parterre est peint, N'a rien de comparable aux fleurs de votre teint. CIRCEINE. Que vous êtes hardi de me venir surprendre,Je n'eusse jamais cru cette audace d'Alcandre,Et vous êtes gentil de me venir blâmerD'un divertissement que l'on doit estimer, Vous trouvez donc mauvais qu'une fille s'arrêteÀ recueillir des fleurs pour en orner sa tête,Pour les mettre en son sein, ou flairer leur odeur. ALCANDRE. Ah ! Ma belle excusez ma violente ardeur,Si je viens interrompre un si doux exercice, C'est que loin de vos yeux tout me semble un supplice,Tous les plus beaux objets comparés à vos yeuxPerdent tout ce qu'ils ont de plus délicieux :Si je dis que ces fleurs, encor qu'elles soient belles,Auprès de vos beautés n'ont rien de tel en elles : Si je dis que la rose en son éclat vermeilAuprès de votre bouche est une ombre au soleil :Que ces lis, ces oeillets, ont une couleur morte,C'est que votre beauté dessus elles l'emporte,Et que tout ce qu'on voit d'excellent et de beau Paraît auprès de vous comme au jour un flambeau. CIRCEINE. Vous m'en dites beaucoup pour m'en faire peu croire,Je ne me repais point d'une si fausse gloire,Je me connais assez, et n'imaginez pasQue je ne sache bien que je n'ai point d'appas, Ces discours sont communs dans la bouche des hommes,Qui comme à des enfants nous présentent des pommes,Vous venez de bien loin pour en vouloir conter,À qui se trouverait dans l'humeur d'écouter. ALCANDRE. Si ma bouche dit rien contre ce que je pense, Que le ciel en courroux punisse mon offense,Et je sais bien que c'est une témérité,De vous oser aimer, mais c'est la vérité. CIRCEINE. Ou véritable ou faux, si vous me voulez plaire,N'en parlons plus. SCÈNE VII. Palinice, Circeine, Alcandre. PALINICE. Circeine, et bien cette onde claire Parle-t-elle pour vous avantageusementComme fait le discours de ce parfait amant. CIRCEINE. Que vous m'avez surprise ! PALINICE. Au moins il me le semble,Et vous ne pouvez pas vous ennuyer ensemble,Alcandre a l'esprit bon, il a beaucoup d'acquis Pour vous faire trouver son entretien exquis. CIRCEINE. Je ne le trouve pas plus excellent qu'un autre,Et je le quitterais pour obtenir le vôtre. PALINICE. Il ne vous disait rien qui vous fut importun. CIRCEINE. Son entretien n'était qu'un entretien commun. PALINICE. Je crois ce qu'il vous plaît. ALCANDRE. Mauvaise Palinice,Je n'ai jamais rien fait contre votre service. PALINICE. Ni moi rien contre vous ; mais je désireraisD'entretenir Circeine, et n'être pas tous trois. ALCANDRE. C'est me donner congé d'une assez bonne grâce, Puisque vous le voulez je vous quitte la place.Adieu belles. CIRCEINE. Adieu. ALCANDRE. Je crains cet entretien,Je prevois que l'on va disputer de mon bien,Palinice peut tout sur l'esprit de Circeine,Et son autorité me fera de la peine. PALINICE. Dites la vérité, j'ai déjà remarquéQue pour votre sujet il semble bien piqué,Qu'il vous aime, ou qu'il feint avecques tant d'adresseQue je parle de vous comme de sa maîtresse. CIRCEINE. Si la civilité doit passer pour amour, Alcandre m'aima donc dès qu'il fut de retour :C'est dès le premier jour qu'il a vécu de même,Sans que dans ses discours j'aie aperçu qu'il m'aime. PALINICE. Je crois bien que pour vous vous ne le recevezQuel que soit son dessein, que comme vous devez : Mais ceux qui font métier de gloser sur les autres,N'ont pas les sentiments de mêmes que les nôtres.Si vous ne le savez, ces jeunes amoureuxQui se piquent d'esprit sont un peu dangereux,Il est nouveau venu, c'est pourquoi je vous prie Prenez garde de prés à sa cajolerie :Ce que je vous en dis n'est que pour votre bien,Mon frère en tout cela ne s'intéresse en rien :Il est assez bien fait et du corps et de l'âmePour vous faire approuver son amoureuse flamme, Quoi que s'il le savait il s'en offenserait,Et je ne sais pas bien s'il ne s'emporterait,Jugez avec quel oeil je verrais ce divorce,Si je le souffrirais qu'avec beaucoup de force. CIRCEINE. Continuez toujours, Madame, de m'aimer Et moi de vous servir, et de vous estimer,Puisque vous avez cru que c'était son attente,Encor que je n'en sois nullement consentanteJe lui veux faire voir son indiscrétion,Ôtant toute espérance à son affection, Il le faut toutefois cacher à votre frère,J'aime mieux l'obliger que non pas lui déplaire. PALINICE. C'est m'obliger, Circeine, et je reconnaitraiCette obligation, de ce que je pourrai. CIRCEINE, seule. Pour ne les fâcher point, il me faudra contraindre, L'on vient à bout de tout pourvu qu'on sache feindre. ACTE II SCÈNE I. CERINTE, seul. Divin sujet de mes douleurs Belle cause de tous mes pleurs, Ingrate et parfaite Florice : Le ciel t'a-il fait naître avec cette beauté, À qui tous les humains doivent le sacrifice, Pour n'user que de cruauté À ceux qui te rendent service ? Tes appas qui sont si puissants Tiendront-ils l'empire des sens Avec une rigueur si forte, Que tu ne daignes pas regarder seulement L'extrême passion où mon âme s'emporte, Ni donner quelque allègement Aux longs ennuis que je supporte. Je sais que ma discrétion T'a fait voir mon affection Pleine de respect et de crainte, Et tu sais que je brûle, et que ton oeil vainqueur A porté d'un regard cette mortelle atteinte, Dont j'ai senti blesser mon coeur, Et qui cause aujourd'hui ma plainte. Regarde moi d'un oeil plus doux, Et malgré ce vieillard jaloux, Qui croit d'être bien dans ton âme, Paye mes feux discrets d'une pareille ardeur, Qui nourrisse en ton sein une immortelle flamme, Et ruine cette froideur Qui te peut apporter du blâme. Hélas ! Je ne suis malheureux Que pour être trop amoureux D'une beauté qui fait estime D'un homme que les biens rendent impérieux, Qui parlait de mes feux comme on ferait d'un crime Empêche sa bouche et ses yeux D'aimer ma flamme légitime. N'importe je le veux chérir Et quand je devrais en mourir Aimer toujours cette inhumaine, Et peut-être qu'enfin un juste repentir D'avoir rendu longtemps ma poursuite si vaine Lui pourra faire ressentir Quelque déplaisir de ma peine. Poursuis doncques Cerinthe achève ton dessein, Garde ce cher objet au milieu de ton sein, Que ta discrétion et ta persévérance La touchent de pitié pour ta longue souffrance, Elle a l'esprit trop bon pour prendre en bonne part Sans quelqu'autre intérêt les voeux de ce vieillard. SCÈNE II. Florice, Cerinte. FLORICE. Cerinte quel sujet a vostre humeur réveuse ? CERINTE. Vous le savez ma belle, une cause amoureuseQui fera voir bientôt ma mort si le secoursQue j'attends de vos mains ne prolonge mes jours,Vous en êtes la cause et vous m'ôtez l'usage,De tous les passe-temps plus propres à notre âge, Quand je ne vous vois point les lieux les plus hantés,Et qui pour leur beauté sont souvent fréquentésMe semblent un désert beaucoup plus effroyableQue ce désert fameux où l'on ne voit que sable,Ces parterres, ces fleurs, ces jardins, ces vergers, Où l'air est parfumé de ces beaux orangers,Où toute chose rit, où l'amoureux ZéphireEntre les bras de Flore à toute heure soupireCes ruisseaux dont l'argent coule si doucement,Ces arbres que le vent émut légèrement, Ces fontaines, ces prés et ces plaisants ombragesHors de votre présence ont des objets sauvages. FLORICE. Est-ce là votre mal ? Il vous faut secourir,Vous êtes trop bien fait pour vous laisser mourir,Vous mourez bien souvent, mais ce n'est que de bouche, Et souffrez aisément la douleur qui vous touche. CERINTE. Si vous voyez jamais que je mente en un point,Défendez-moi de vivre et de ne vous voir point. FLORICE. Vous souffririez sans mal la dernière défense. CERINTE. C'est faire à mon amour une trop grande offense, Le trait que vos beaux yeux ont poussé là dedansA laissé dans mon coeur des désirs trop ardentsPour le pouvoir ouïr sans mourir tout à l'heure,Il faut que mon feu vive ou que mon âme meure,Vous tenez en vos mains et mes biens et mes maux, Mon repos en dépend ainsi que mes travaux,Un mot de votre bouche établit ma fortune,Ou me rend désormais la lumière importune,[Note : Heur : rencontre avantageuse. (...) [F] [antonyme de malheur]]Seule vous gouvernez mon heur et mon malheurDe vous seule dépend ma joie et ma douleur. FLORICE. S'il est ainsi, votre heur dépend de peu de chose,Et vous serez heureux pourvu que j'en dispose,L'ancienne amitié qui joint nos deux maisonsM'oblige à vous servir avec mille raisons,Mais n'est-ce point un heur de vos croyances folles ? En quoi consiste-t-il ? CERINTE. À dire deux paroles... FLORICE. Qui sont ? CERINTE. J'aime Cerinte, FLORICE. Et je l'avais jugé,Si je dis donc ces mots vous êtes allégéVous êtes plus heureux que le reste des hommes,Les Dieux désireront d'être ce que nous sommes, S'il ne tient qu'à cela je vous rendrai content. CERINTE. C'est le dernier bonheur où mon âme prétend,Après cela les Dieux me porteront envie,Et leur éternité sera moins que ma vie. FLORICE. J'aime Cerinte, et bien êtes-vous satisfait ? CERINTE. Ces paroles ainsi n'ont point aucun effet,Il faut que le coeur parle, et que votre oeil le die. FLORICE. Vous êtes tous frappés de même maladie,Adieu le bien heureux, CERINTE. Après ce trait moqueurJe devrais effacer son portrait de mon coeur, Mais ses dédains ne font que raviver ma flamme,Elle se changera, souffrons, c'est une femme. SCÈNE III. ARIMANT, seul. Amour puissant démon, qui régis les mortels,Dois-je encore porter l'encens sur tes autels ?Mes cheveux déjà blancs, et l'âge qui me presse Me devraient dispenser des lois d'une maîtresse,Tu sais depuis quel temps j'ai suivi tes drapeaux,Combien en te servant j'ai souffert de travaux,Mes beaux jours ont coulé parmi tes exercices,J'ai répandu mon sang dedans tes sacrifices, Cependant aujourd'hui, que mon corps tout uséN'a quasi plus de sang, et qu'il est épuisé,Tu souffres que deux yeux avec des traits de flammeMe traversent le sein et me réchauffent l'âme :Et bien, puis qu'il te plait de montrer ta grandeur, En faisant voir en moi la glace avec l'ardeur,Monstre aussi ton pouvoir en rendant favorableÀ mes désirs ardents cet objet adorable,Inspire à mon esprit des persuasionsQui détournent le sien de ses aversions, La fille de nature aime d'être parée,Faisons lui donc pleuvoir une moisson dorée,Et couvrons nos défauts de l'éclat des trésors,Les richesses toujours ont de puissants ressorts,Et si cela me manque, employons y son frère, L'amour de ma nièce y pourra beaucoup faire,Je sais bien qu'il voudrait en être possesseur,Et m'avoir accordé pour échange sa soeur :Mais le voici venir assez mélancolique,Je sais bien d'où lui vient la douleur qui le pique, Circeine depuis peu le voit bien froidement. SCÈNE IV. Alcandre, Arimant. ALCANDRE, voyant Arimant. Me voilà trop heureux, servons-nous d'Arimant,Comme oncle il peut beaucoup sur ma chère maîtresse. ARIMANT. D'où vient que ce visage est couvert de tristesse ?Palinice vous nuit, et Clorian aussi. ALCANDRE. Il est vrai, ce sont eux qui causent mon souci,Parce qu'ils peuvent tout sur l'esprit de ma belle. ARIMANT. Et je leur ferai voir qu'elle est sous ma tutelle,Que malgré leurs desseins elle dépend de moi,Que son père en mourant l'a mise sous ma loi : Et pour vous témoigner comme je vous estime,Que je veux supporter votre amour légitime,Dites moi franchement ce que je puis pour vous,Et vous reconnaîtrez que je puis plus que tous. ALCANDRE. Ah ! Que vous m'obligez sans que je le mérite, Pour n'être point ingrat, ma puissance est petite,Mais ce que je pourrai ARIMANT. Vous le saurez après,Dites moi seulement d'où naissent vos regrets,Et quel nouveau sujet vous avez de vous plaindre.De voir votre nièce avec moi se contraindre, Si je veux lui parler, ne me répondre mot,Tourner ailleurs ses yeux, ou s'enfuir aussitôt.Elle fait plus d'état de votre amour discrèteQue vous ne pensez pas. ALCANDRE. Elle est donc bien secrète,Puisque quand Clorian ou Palinice y sont, Et qu'elle m'aperçoit elle change de front. ARIMANT. Elle les craint tous deux, et cette folle crainteLa rend en votre endroit assez souvent contrainte. ALCANDRE. Parlez doncques pour moi, dites-lui mon ardeur,Et l'état où m'a mis sa mortelle froideur, Et lui donnez ces vers qu'en ma douleur cruelle,Je viens de soupirer dedans ce bois pour elle. ARIMANT. Je ferai plus encore que je ne vous promets. ALCANDRE. Ma vie avec ces vers en vos mains je remets. ARIMANT. Mais Alcandre un bienfait vous en demande un autre, Travaillez pour mon bien, comme moi pour le votre,Faites que votre soeur approuve mon dessein. ALCANDRE. Je sais qu'elle est l'ardeur qui vous brule le sein,Florice n'oserait en cela me déplaire,On sait l'autorité que doit avoir un frère, Votre dessein l'honore, et je puis l'engagerSelon votre désir, ARIMANT. Adieu c'est m'obliger. SCÈNE V. Sileine, Palinice. SILEINE. Dois-je encore longtemps supporter mes supplices,Ne devez-vous jamais agréer mes services ?Puisque vous le voulez j'aI failli contre vous, Et mon crime est plus grand que n'est votre courroux,Si je n'ai point failli, quelle humeur vous emporte,De vous montrer si froide à mon ardeur si forte ?Ai-je manqué jamais à ce que j'ai promis,Ai-je encore jamais aimé vos ennemis ? N'ai je pas obéi depuis que je vous aime,Jusqu'à ce point fâcheux de me nuire à moi-même ?Vous le savez cruelle, et les maux plus puissants,Que dans ma passion à cette heure je sens,Dans vos commandements ont trouvé leur naissance. PALINICE. Je sais bien que Sileine est la même innocence,Que Dorise jamais ne fut sa passion,Et qu'il fut toujours ferme en son affection,Il est vrai toutefois que de voir sans me plaindre,Dans un hymen forcé mes volontés contraindre, D'oublier cet amour dont vous m'assurez tant,Pour un nouvel objet, c'est bien être constant. SILEINE. Je ne me dédis pas d'avoir servi Dorise,Mais vous savez pourquoi se fit cette entreprise,Vous le vouliez ainsi, moi pour vous obéir, Je fus ingénieux à me savoir trahir,Et vous avez pu voir que durant cette feinteJ'avais l'âme et le corps toujours dans la contrainte,Que si je la suivi lorsqu'elle s'absenta,Ce fut votre intérêt qui m'en sollicita, Et durant mon absence, ingrate Palinice,Vous me fîtes sentir votre extrême malice,Votre hymen se conclut, et si secrètement,Que tout ce que j'en sus fut l'accomplissement,Et puis ce sera moi qui serai le coupable. PALINICE. C'est moi. SILEINE. C'est vous d'effet, et moi le misérableQui souffre le tourment qu'un autre a mérité. PALINICE. Vous n'êtes pas encor tout à fait acquitté. SILEINE. Que me reste-t-il donc pour vous rendre assouvie ?Demandez-vous mon sang ? Demandez-vous ma vie ? Je les perdrai tous deux si c'est votre désir. PALINICE. Vous ne le sauriez faire et me faire plaisir,Ce que je vous demande est de me laisser vivreLibre comme je suis, de ne me plus poursuivre,Si vous aimez Dorise allez-la caresser, Et lui porter vos voeux sans me venir presser,Dorise a pris ma place, un autre a pris la vôtre,Ainsi nous n'avons rien à dire l'un de l'autre,Adieu, vous m'amusez ici trop longuement,J'ai donné rendez-vous à mon nouvel amant. SILEINE Seul. Et puis assurez-vous en ces âmes légères,Dont toutes les vertus sont d'être mensongères,Qui font profession d'avoir l'esprit moqueur,Et d'avoir aux discours le contraire du coeur,La finesse est leur jeu, leurs plus doux exercices Sont de chercher toujours de nouvelles malices :Ingrate je vois bien, mais je le vois trop tard,Que tes discours ne sont que feintes et que fard. ACTE III SCÈNE I. Arimant, Circeine. ARIMANT. Circeine vous savez que j'adore Florice,Qu'Alcandre m'y peut nuire, ou m'y rendre service Et vous le méprisez, vous fuyez son abord,Si vous continuez vous me donnez la mort,Vous savez qu'il vous aime, et ses feux sont honnêtes, CIRCEINE. Vous avez bonne grâce en cet âge où vous êtes,De vous être soumis aux traverses d'amour, Croyez-vous d'accorder la nuit avec le jour,Le chaud avec le froid, et contre la nature,De faire qu'une fille aime la sépulture :Mon cher oncle, Florice a des appas trop grands,Et vous êtes tous deux d'âge trop différents, Elle commence à naître, et vous à ne plus vivre,Laissez donc ce dessein, cessez de la poursuivre,L'amour est un enfant, la vieillesse lui nuit,Ce n'est que la jeunesse et la beauté qu'il suit. ARIMANT. Ces choses ne sont pas de votre connaissance, Vous ignorez d'amour l'immortelle puissance,Et lorsque vous saurez ce que valent ses coups,Circeine je viendrai prendre conseil de vous,Mais tandis recevez Alcandre d'autre sorte,Je sais que son ardeur sera constante et forte, Il est fait pour aimer plutôt que pour haïr. CIRCEINE. Je voudrais de bon coeur vous pouvoir obéir,Mais Clorian, mon frère, et Palinice ensemble,Alors que mon malheur avec moi les assemble,Me tourmentent si fort à son occasion, Que je ne le puis voir qu'à sa confusion,Quoi que dedans mon âme encor je le regrette,Je l'ai connu toujours d'une humeur si discrète,Et si plein de respect et de civilité,Que je me dois louer de son honnêteté. ARIMANT. Changez-donc de dessein, et leur faites connaître,Qu'avec la liberté les Dieux vous ont fait naître,Voyez qui vous plaira, ne dépendez d'aucun,Méprisez hardiment leur reproche importun,Qu'est ce qu'a Clorian d'esprit et de visage, Qu'on ne trouve en Alcandre avec de l'avantage ?L'un est respectueux, et l'autre est insolent,Alcandre souffre tout, et l'autre est violent,L'un brule et ne dit mot, et l'autre le publieAvecque des transports qui sentent sa folie. CIRCEINE. Ce n'est pas d'aujourd'hui que je l'a reconnu,Mais il faut qu'une fille ait l'esprit retenu,Et sans cet intérêt où votre amour vous porte,Vous ne parleriez pas avec moi de la sorte. ARIMANT. Hors de leur intérêt tous les autres aussi. Ne vous préféraient pas avec tant de souci,Laissez les intérêts et des uns et des autres,De tous nos sentiments ne suivez que les vôtres,Lorsque vous aurez lu ces vers qui sont de lui,Qui montrent son amour et son cruel ennui. CIRCEINE. Je sais bien que son âme à l'étude occupée,A joint parfaitement la plume avec l'épée :Qu'il a l'esprit fort bon, qu'il est judicieux,Qu'il est au rang de ceux dont on parle mieux.Et c'est ce qui m'oblige à ne pouvoir pas croire Qu'il daigne conserver mon nom en sa mémoire,Les hommes ont le coeur à leurs discours divers,Je veux voir toutefois ce qu'il dit dans ces vers. Vers d'Alcandre à Circeine. Peut-on voir de rigueurs à vos rigueurs pareilles, Si je veux vous parler vous bouchez vos oreilles, Et détournez vos yeux. Vous dédaignez de voir un malheureux esclave, Qui tient ses fers si précieux, Que des larmes dont il les lave, Il rend grâces aux dieux. Vous me voyez languir, vous me voyez contraindre, Vous me voyez souffrir mille ennuis sans me plaindre De vos cruels mépris. Mes pleurs ni mes soupirs ne touchent point votre âme, Et vous égayez vos esprits À me voir brûler de la flamme Dont mon coeur est esprits. Parmi ces cruautés ma passion s'augmente, Je souffre doucement le mal qui me tourmente, Sans oser murmurer Je dis bien quelquefois, amour finis ma peine, Je ne saurais plus endurer Les rigueurs de cette inhumaine Qui me fait soupirer. Mais au fort de mon mal si je tourne ma vue Sur les divins appas dont vous estes pourvue Je m'en dédis soudain, Et mon coeur se résout à toutes les tortures Que peut souffrir un coeur humain Dans les pénibles aventures Que fait naître un dédain. Clorian mon rival ni sa soeur, ni vous-même, Ne sauriez empêcher qu'Alcandre ne vous aime Jusqu'à ses derniers jours. Je reconnais assez que leur mortelle envie Vous rend contraire à mon secours : Mais ils verront finir ma vie Plutôt que mes amours. J'en suis là résolu, que le ciel et la terre, Et tous les éléments me déclarent la guerre, À cette occasion Leurs efforts seront vains, et vaine leur attente En choquant mon affection Mon âme devient plus constante Dedans sa passion. ARIMANT. Voie en quel état est son âme affligée. CIRCEINE. Si ce qu'il dit est vrais je lui suis obligée,Et soyez assuré que pour l'amour de vousIl recevra de moi des traitements plus doux. ARIMANT. Ne faisant que cela ce ne serait rien faire, Pour m'obliger la soeur obligez-vous le frère. CIRCEINE. Je ne puis toutefois autrement l'obliger. ARIMANT. Écrivez-lui. CIRCEINE. Non non, se serait m'engager. ARIMANT. J'écrirai donc pour vous. CIRCEINE. Arimant, l'un vaut l'autre. ARIMANT. Circeine, je ne sais quelle humeur est la vôtre, Parlez-moi franchement, CIRCEINE. Bien je vous le promets. ARIMANT. Haïssez-vous Alcandre, ou bien si vous l'aimez. CIRCEINE. Pourquoi haïr Alcandre, il a des avantages,Qui le feraient aimer aux âmes plus sauvages. ARIMANT. Si c'est votre croyance, et sachant son ardeur Pourquoi le traitez-vous avec tant de froideur ?Pourquoi quand Clorian ou sa soeur s'y rencontrent,Que leur mauvais desseins en son endroit se montrent ?Témoignez-vous pour lui devant eux des mépris,Qui pourraient emporter les plus sages esprits : Et vous faites encor état de son service. CIRCEINE. Quoi que vieil, en amour vous n'êtes qu'un novice,Une fille d'esprit pour cacher son dessein,A la haine à la bouche, et l'amour dans le sein. ARIMANT. Tire du papier pour la faire écrire.Ah ! Qu'il serait heureux contre son espérance, S'il avait de vos mains une telle assurance,Et si vous me voulez obliger tout à fait,Ne m'en dites pas tant, et m'en donnez l'effet.Un petit mot d'écrit redonnera la vieÀ qui vos cruautés l'ont à demi ravie. CIRCEINE. Je ne veux pas écrire. ARIMANT. Et bien non j'écrirai :Mais vous approuverez ce que je lui dirai. CIRCEINE. Non je ne le veux pas, les hommes s'avantagentDe semblables écrits, et les filles s'engagent. ARIMANT. Commence d'écrire.Oui tout autre que lui, mais sa discrétion Vous a fait voir assez quelle est sa passion. CIRCEINE. Le voyant écrire.N'écrivez rien pourtant contre la bienséance. ARIMANT. Que ces soins importuns se sentent de l'enfance :Et bien qu'y trouvez-vous à redire. CIRCEINE. Après avoir vu.À la finIl faudra confesser que vous estes bien fin, Et quand je signerai n'est-ce pas tout de même,Que si j'avais écrit Alcandre je vous aime ? ARIMANT. Que voilà de façons, signés le seulement,Ne désespérez point un si parfait amant. CIRCEINE. Après avoir signé.Mais s'il arrive aussi qu'un jour il en abuse, La faute sera vôtre, et n'aura point d'excuse. ARIMANT. Je le veux bien, Adieu. CIRCEINE. Le plaisant amoureux,En obligeant Alcandre il se croit bienheureux,Et se met dans l'esprit mille chimères vainesPour flatter sa folie, et soulager ses peines, Son intérêt pourtant ne m'engagerait pas :Mais Alcandre à mes yeux a de puissants appas,Sa passion discrète entièrement m'oblige,Clorian que voici m'importune et m'afflige. SCÈNE II. Clorian, Circeine. CLORIAN. Je connais bien Circeine en vos déportements, Que je suis malheureux entre tous vos amants,Et quoi que j'aie été le premier dans vos chaines,Le premier qui pour vous a supporté de peinesJe me vois le dernier, et le moins avancé,Si j'ai servi quelqu'autre en est récompensé. CERINTE. En un mot Clorian, vtre discours m'outrage,Je n'ai pas résolu d'en souffrir d'avantage,Parlez en autres termes, ou ne me parlez plus. CLORIAN. Mes services, mes soins seront donc superflus. CERINTE. Vous vous plaignez toujours, votre humeur ombrageuse Est trop insupportable, et m'est trop dangereuse. CLORIAN. Plut à Dieu qu'il fut vrai, que mes soupçons trompeursNe fussent rien qu'un ombre, ou que vaines vapeurs :Mais je suis assuré, qu'un autre amour vous touche,Qu'Alcandre est dans le coeur, et moi dedans la bouche. CIRCEINE s'en allant. Vous me piquez trop fort pour ne m'en ressentirJe vous empêcherai peut-être de mentir. CLORIAN Seul. Ah ! Quelle ingratitude, après tant de servicesQue ce sexe s'emporte, aisément dans les vices :Mais elle a laissé choir un de ses gants ici. SCÈNE III. Sileine, Clorian. SILEINE. Clorian m'a promis de prendre le souciD'apaiser Palinice, il faut que je le trouve. CLORIAN. Trouve les vers dans le gant.Voici de son forfait, une certaine preuve. SILEINE. Voyant Clorian.Je le vois : cher ami, n'as-tu rien fait pour moi,Recevrai-je le bien que j'attendais de toi, Ta soeur s'est elle point quelque peu relâchée,Ne me le cache point, CLORIAN. Elle était bien fêchée,Mais j'ai tant fait pour toi, qu'elle t'a pardonné,Vois ce qu'en ta faveur, elle-même a donné. SILEINE. Ô que je suis heureux, CLORIAN Lorsqu'elle a vu ta lettre J'ai beaucoup travaillé devant que le remettre,Mais touchée à la fin de te voir répétant,Elle m'a dit ces mots, qu'il vive donc content.Alors je l'ai pressée, et j'ai tant fait vers elle,Qu'elle t'a fait réponse, et n'est plus si cruelle : Mais sans nous amuser regarde là dedans,Si la lettre répond à tes désirs ardents. SILEINE. Lit la lettre de Palinice.J'ai longtemps contesté si je devais recevoir les excuses de Sileine, après m'avoir si souvent offensée, et je m'étais déja résolue de ne l'écouter plus, quand les assurances que Clorian m'a donnée de sa repentance, m'ont obligée à lui accorder le pardon qu'il me demande, à condition que s'il retombe dans sa première faute, il ne doit espérer plus rien en Palinice. SILEINE. Après l'avoir leu.Que j'adore ce nom, que je baise et rebaiseCe papier bienheureux, instrument de mon aise, CLORIAN. De mon côté Sileine, il n'en est pas ainsi. SILEINE. Quel accident nouveau te donne du souci,Ma soeur pour t'obliger ne veut plus voir Alcandre. CLORIAN. Hélas si tu savais ce que je viens d'entendre,Et ce que j'ai trouvé, tu me confesseraisQu'elle nous dissimule, et nous trompe tous trois, Pour contenter ma soeur, et pour ne te déplaire,Elle feint de m'aimer et fait tout le contraire :Alcandre est tout son coeur, c'est lui qu'elle chérit,Et c'est moi qu'elle trompe alors qu'elle me rit. SILEINE. Quel témoignage as-tu d'une action si noire, Je ne le cèle point je ne la saurais croire,Son peu d'expérience en ces ruses d'amour,Me le défend. CLORIAN. Sileine on les sait dans un jour,L'amour est un bon maître, aide de la nature,Tu t'en éclairciras voyant cette écriture : Connais-tu de qui c'est ? SILEINE. d'Alcandre. CLORIAN. Il est certain. SILEINE. Après avoir vu ce qu'il lui montre.Mais à ce que je vois ce n'est rien qu'un quatrainDans lequel il témoigne une flamme amoureuse,Sans y nommer personne. CLORIAN. Et c'en est là la ruse.Ta soeur qui ne veut pas qu'on sache son ardeur, Le reçoit devant nous avec quelque froideur,Et fait taire son nom en ce qu'il fait pour elle,L'aimant elle le fuit, me rit m'étant cruelle :Et puis c'est ignorer les ruses des amants.Non non, mon cher ami, perds ces vains sentiments : L'amour, comme j'ai dit, est un maître d'écoleQui montre ses secrets avec une parole,Un mot le fait comprendre à cent peuples divers,Et lorsque tu sauras où j'ai trouvé ses vers,Tu diras avec moi que ta soeur est savante Dans les subtilités d'une amour décevante. SILEINE. Ne me tiens doncques plus dedans cette langueurMon âme impatiente abhorre la longueur. CLORIAN. J'étais dedans ce bois lors que je l'ai trouvéeAuprès de cette masse en rocher élevée, Qui de tous les côtés jette plusieurs ruisseaux,Et qui semble pourtant naître au milieu des eaux :J'ai voulu lui parler de mon amour extrême :Mais elle a témoigné de n'être pas la même,Elle s'est retirée avecque des mépris, Qui pour te dire vrai m'ont grandement surpris :J'ai demeuré plus froid qu'une pierre de glace,Et je serais encor en cette même place,Si je n'eusse aperçu qu'elle avait laissé choirUn gant que j'ai levé sans qu'elle m'ait peu voir, Dans ce gant j'ai trouvé cette marque funeste,De tout mon déplaisir toi juge après du reste. SILEINE. Elle nous a trompés, trompons à notre tour,Les ruses sont souvent permises en amour.Otons ces quatre vers pour en mettre quatre autres, Écrits de votre main, qu'on puisse croire vôtres,Et qui monstre pourtant que votre affectionEst tantôt à la fin de son intention. CLORIAN. Mais elle se sera de sa perte aperçue,Ainsi malaisément sera-t-elle déçue. SILEINE. Laisse m'en le souci, fais les vers seulement,Je fera bien le reste assez subtilement. ACTE IV SCÈNE I. Cerinte, Arimant. Sortant par divers endroits. CERINTE. On me vient d'avertir que Florice est alléePrendre seule le frais au bout de cette allée. ARIMANT. Je dois trouver ma belle autour de ces beaux lieux, Où l'ombrage défend l'ardeur de l'oeil des cieux,Sans qu'un fâcheux rival vienne troubler mon aise.Mais le voico venir, ô rencontre mauvaise. CERINTE. J'aperçois Arimant, témoignons froidementQue je viens en ce lieu par divertissement. ARIMANT. Cerinte est seul ici, ce n'est pas sa coutume. CERINTE. Cerinte qui n'a point de bien sans amertume,Aime la promenade, et se plait à rêver :Mais il se retirait venant de l'achever. ARIMANT. Et je la commençais pour réjouir ma vue Des beautés dont la terre est maintenant pourvue :Après je me pourrais retirer comme vous. CERINTE. Adieu donc, je vois bien qu'amour se rit de nous,Nous cherchons même chose ou mon esprit se trompe :Mais je lui nuirai bien s'il faut qu'il m'interrompe. Ce rival, quoi que vieil, me donne de l'ennui :Mais Alcandre et ses biens me nuisent plus que lui,Détournons par ici, j'y puis aller de même. ARIMANT. Il s'en va, courons donc vers la beauté que j'aime. SCÈNE II. Florice, Arimant, Cerinte. FLORICE, seule. Amour, démon malicieux Qui te fais respecter et des dieux et des hommes, As-tu quitté les cieux Pour venir où nous sommes, Remplir nos coeurs de trouble, et de larmes nos yeux. Nous avions quitté les cités Pour passer hors du bruit une paisible vie, Et nos félicités Surpassaient notre envie, Et méprisait la cour, et les diversités. Tantôt sur le bord des ruisseaux, Et tantôt sur les fleurs qui bordent nos fontaines : Nous oyons les oiseaux. Qui nous disaient leurs peines, Et mêlaient leurs chansons au murmure des eaux. Tantôt assise dans les prés Sous l'humide peuplier à la cime superbe, Nous voyons tout au prés Les troupeaux paître l'herbe, Et rechercher quelque ombre, où ruminer après. Nos désirs étaient innocents, Nous ignorions les noms de douleur et de plainte, Rien ne choquait nos sens, Et vivions sans contrainte Parmi les passe-temps à notre âge décents. Mais depuis que tes traits mortels Dedans nos jeunes seins ont eu fait leur entrée, Qu'on a vu tes autels Par toute la contrée, Nos divertissements ont cessé d'être tels. N'ois-je pas quelques uns qui par diverse voie, Se rendent en ces lieux, il faut que je les voie, Cerinte et mon vieillard viennent pour me chercher, Sans en faire semblant laissons les approcher. ARIMANT. Si je pouvais trouver cette beauté divineDésirant mon repos plutôt que ma ruine, Que je croirais heureux mes travaux et mes pas.Je la vois, allons vite adorer ses appas. CERINTE. Ne vous hâtez pas tant, je suis de la partie,Pourvu que sa beauté n'en soit pas divertie. ARIMANT. Si vous n'en étiez point j'en serais plus content. CERINTE. Si vous en étiez loin j'en dirais bien autant. FLORICE. Quand vous y seriez seul vous ou lui l'avantageEn serait bien petit, ARIMANT. Mauvaise ce langageDevrait avoir changé pour mon sujet au moins. CERINTE. Pourquoi plutôt pour vous que pour moi. FLORICE. Tous vos soins Et vos discours d'amour sont choses inutiles. ARIMANT. J'aurai donques semé des terres infertiles. CERINTE. Et moi servi sans fruit une ingrate beautéQui n'a que des mépris et de la cruauté. FLORICE. Pour vous brave Arimant, à cause de votre âge, Il faut que par raison votre mal je soulage :Mais pour lui qui fort jeune, est pour beaucoup souffrir,Je rirai de ses voeux s'il me les vient offrir. ARIMANT. Mauvaise, finissez ces traits de moquerie,N'augmentez point mon mal par votre raillerie. CERINTE. Cruelle, recevez en des termes plus doux,Les offres d'un amant qui veut mourir pour vous. FLORICE. Voyons si je pourrai contenter l'un et l'autre,Que me demandez-vous, quel désir est le vôtre ? ARIMANT. Qu'est ce que je demande, et quoi les maux soufferts Depuis deux ou trois ans que je porte vos fersEncor que vos rigueurs aient mon âme offensée,Ne vous ont pas assez expliqué ma pensée,Ne vous ont pas appris ce que veut Arimant.Vous en faut il parler encor plus clairement. FLORICE. Ce langage pour moi n'est pas intelligible. ARIMANT. Ingrate, il le serait si vous étiez sensible :Alcandre votre frère est trop de mes amis,Pour ne me tenir pas ce qu'il m'avait promis. FLORICE. Qu'a-t-il promis ? ARIMANT. De faire avecque vous en sorte Que vous reconnaitriez l'amour que je vous porte.Et ma soeur m'a promis de ne voir plus que luiSi cela suffisait pour finir mon ennuiPromettez m'en autant, et mon âme contente,Recueillera le fruit qu'on doit à son attente. FLORICE. Pour l'amour de mon frère Alcandre, je promets,De ne regarder point votre rival jamais,Êtes-vous satisfait ? ARIMANT. Plus qu'homme de la terre. CERINTE. Dieux ! Je ne suis pas mort de ce coup de tonnerre,En ma présence encor, et j'ai le coeur si bas De recevoir l'affront et ne m'en venger pas :Ce vieillard qui n'a plus de sang dedans les veines,Rendra doncques ainsi mes espérances vaines,Et ses biens prévaudront sur mon fidèle amour.Non non, après cela je dois perdre le jour. FLORICE. Mais je vois que Cerinte a l'âme bien troublée. CERINTE. Dites plutôt qu'elle est de douleur accablée. FLORICE. Je vous veux toutes fois ôter de ce souciPour l'amour de vous seul je le veux fuir aussi :Et pour l'amour de moi, forçant ce labyrinthe Je ne veux jamais voir Arimant ni Cerinte. CERINTE. Nous voilà satisfaits tous deux également. ARIMANT. Bon pour vous qui causez mon mécontement,Qui rompant l'amitié gardée entre nos pères,Venez vous déclarer entre mes adversaires : Mais enfin je pourrais la rompre comme vous. CERINTE S'en allant. Qu'à cela prés, amour me fut un peu plus doux,Et que vous fussiez d'âge à vous pouvoir défendre. ARIMANT. Ce fer me défendra si tu me veux attendre,Va je suis assez fort pour me venger de tous. Vous connaîtrez bientôt ce que peut mon courroux,Mon ingrate, son frère et toi saurez peut-êtreCe que c'est de vouloir se jouer à son maître.Florice se rit donc de mon affection,Et me vient reprocher mon imperfection. Est-ce là ce qu'Alcandre a fait pour moi vers elle,Est-ce bien reconnaître un service fidèle ?J'ai fait que ma nièce a reçu ses écrits,Et lui fait que sa soeur me voit avec mépris.Par mon moyen Circeine a reçu ses services, Et moi je n'ai de lui que de mauvais offices.La lettre qui t'a fait si contente aujourd'hui,Te pourrait bien encor apporter de l'ennui :Mais voici Clorian découvrons lui l'affaireDésobligeons Alcandre, et tachons de lui plaire. SCÈNE III. Clorian, Arimant. CLORIAN. La ruse est bien conduite, Ah ! que c'est dextrement,Par une contre ruse affiner un amant :J'ai fait les quatre vers écrits de ma main mêmeDesquels on peut juger que mon ingrate m'aime,Et que Sileine a mis au lieu de ceux ici, Sans qu'elle en sache rien, espérons donc, voiciNotre vieil amoureux, oncle de ma maîtresse,Qui parlant pour Alcandre en sa faveur la presse.Tâchons de le gagner, Cerinte m'a contéQue Florice aujourd'hui l'a fort mécontenté, Il en est amoureux, quoi qu'il semble que l'âgeLe devrait dispenser de l'amoureux servage. ARIMANT. [Note : Penser : nom masculin au XVIIème pour « pensée ».]Clorian s'entretient de ses pensers secrets. CLORIAN. Clorian s'entretient de ses justes regrets,Ils naissent, ARIMANT. >Quelquesfois d'une cause légère, Le bonheur peut venir lors qu'on en désespère. CLORIAN. Que pourrais je espérer dans un mal violant,Qui ne me vient pourtant que d'un sexe insolent,Qui se moque de nous aussitôt qu'il prend garde,Qu'avec un oeil d'amour un homme les regarde. Qui rit de ceux qu'il tient, et qui croit en amour,C'est être criminel d'aimer plus que d'un jour. ARIMANT. Il est vrai que ce sexe a par fois des folies,Qui lui font à tout coup faire mille saillies :Mais je sais mieux que vous d'où vient tout votre mal. CLORIAN. Il ne vient que de vous qui portez mon rival. ARIMANT. Il est vrai, mais je veux vous faire reconnaîtreQue je pourrai guérir le mal que j'ai fait naître,Alcandre m'a trompé, sa soeur rit de mes feux :Je suis donc obligé de traverser ses voeux. CLORIAN. Si vous entreprenez de me remettre en grâce,Je me tiens assuré de l'ôter de ma place.Secourez au besoin un amant affligé. ARIMANT. Circeine à ma prière, a tantôt obligéAlcandre d'une lettre, et moi je l'ai portée. CLORIAN. J'ai bien vu qu'on avait ma ruine arrêtée.Voilà ce que jamais elle n'a fait pour moi,Depuis deux ou trois ans que je vis sous sa loi. ARIMANT. Ne vous tourmentez point, je veux par cette lettreDésobliger Alcandre, et bientôt vous remettre, Allez trouver Circeine, et dedans vos discoursLâchés quelque propos qui touchent vos amours,Sans oublier la lettre, et la voyant fâchéeDe voir que vous sachiez une affaire cachée,Laissez là, je ferai tout le reste, CLORIAN. Arimant Vous rappelez en vie un malheureux amant. ARIMANT. Adieu voici venir votre belle Circeine. CLORIAN. Il faut tout hasarder pour soulager ma peine,La voilà qui descend du côté du château.Adieu, je l'attendrai sur le bord de cette eau, Voici l'occasion de perdre par finesseCe rival importun qui cause ma tristesse,La finesse en amour est prise pour vertu,Tel a vaincu souvent qui n'a pas combatu. SCÈNE IV. Circeine, Clorian. CIRCEINE. Que la condition quelquefois est nuisible, Que les plus élevés sont sujets à tomber,Leur chute est si visible,Qu'on peut malaisément aux yeux la dérober.J'ai vu des changements dans les choses du monde,Que l'on n'eut jamais cru qu'ils pussent arriver : Mais ce n'est rien qu'une onde.L'Esté suit le Printemps, et l'Automne l'Hiver.Les desseins mieux fondez trompent notre espérance,Où l'on croit le repos on trouve les travaux :Et contre l'apparence, Au milieu des plaisirs des déplaisirs nouveaux.Mes compagnes et moi nous sommes retirées,Dans nos petits hameaux, hors du monde et du bruit,Ou de tous separées,Chacun croit qu'en repos la lumière nous luit. Nos parents comme nous y font leur résidence ;Ils ont ainsi que nous éloignés les cités,Et laissé l'espéranceDes grandeurs de la Cour et de ses vanités.Ce repos apparent a des troubles sensibles, Un parent nuit à l'autre, et dans leur passionLeurs querelles nuisibles,Vont mettre nos maisons dans la dissension.Amour de qui les feux nourrissent ce divorce,Étouffe ce qui peut longtemps entretenir, Devant que par la forceOu comme entre ennemis on vienne à le finir. CLORIAN l'arrêtant. Je suis garde des ponts, vous devez le passage. CIRCEINE. Vous me feriez juger que vous n'êtes pas sage,Que vous m'avez fait peur de me surprendre ainsi, Et quelle est votre humeur de vous cacher ici. CLORIAN. L'humeur d'un malheureux à qui tout est nuisible. CIRCEINE. Votre malheur est grand, mais il est invisible. CLORIAN. Autant que votre lettre à qui l'a voulu voir. CIRCEINE. Quelle lettre [?] CLORIAN. Il est vrai je n'en puis rien savoir, Alcandre est si secret que je ne l'ai pas vue,Plutôt qu'un seul moment après l'avoir reçue. CIRCEINE. Il n'en peut rien montrer encores qu'il soit vain. CLORIAN. Hors l'écrit d'Arimant signé de votre main,Où vous estimez tant son mérite et sa flamme, Que vous ne pouvez pas le mépriser sans blâme. CIRCEINE. Alcandre, Clorian, ni mortel quel qu'il soit,Ne sera plus oui. CLORIAN s'en allant. Ma feinte la déçoit.C'est assez laissons la décharger sa colère. CIRCEINE seule. Tu ne pouvais ingrat autrement me déplaire, Et je te ferai voir avec ta vanité,Que ma lettre est l'effet d'une importunité. SCÈNE V. Florice, Arimant, Cerinte. FLORICE. Estes-vous résolus encor de me poursuivre ? ARIMANT. Oui moi de vous servir ou de cesser de vivre. CERINTE. Et moi de vous servir ou de perdre le jour, Encor que vos mépris traversent mon amour,Et que vous souhaitiez que ma flamme fut morte FLORICE. Et moi j'ai résolu de vivre d'autre sorte,Et de n'endurer plus votre importunité. ARIMANT. Elle ne vient pourtant que de votre beauté. CERINTE. Et de ces yeux, qui seuls gouvernent mon génie. FLORICE. Vous me voulez chasser de votre compagnie,Si vous m'en parlez plus, je fuirai loin de vous,Comme on voit la brebis fuir à l'abord des loups. ARIMANT. Cruelle mon amour toujours continuée, Sans que vos longs mépris l'aient diminuée.Ne vous peut obliger à traiter autrement,Un homme comme moi, que ce nouvel amant. CERINTE. Mauvaise mon amour, dont la discrète flammeDoit éternellement durer dedans mon âme. Put elle vous porter à me traiter si mal,Et dois-je être puni des défauts d'un rival ? FLORICE. Je vous ai là-dessus expliqué ma pensée,Je ne désire plus de me voir si pressée,Tant que vous serez deux à me persécuter, Je ne puis vous souffrir et moins vous contenter. ARIMANT. À la fin ma colère avec raison conçue,Se vengera sur toi de ma flamme déçue. CERINTE. Le respect de ma belle, et ton âge casséM'empêchent de punir ton discours insensé. ARIMANT. Défends toi seulement, et tu verras que l'âgeNe te saurait donner sur moi de l'avantage. CERINTE. Ne me presse pas tant et me laisse en repos. ARIMANT. Comment lâche, tu fuis [!] CERINTE. Ces insolents proposNe se peuvent souffrir sans y perdre la vie. FLORICE. Que ma présence au moins vous en donne l'envie. ARIMANT. Puisque l'un ne veut pas à l'autre vous céder,La mort nous fera voir qui vous doit posséder. FLORICE. Vous êtes trop mauvais dedans votre colère,Demeurés dans l'humeur de me vouloir déplaire. Mais pour vous, s'il est vrai que j'aie eu du pouvoirDessus vos volontés, vous me le ferez voir,Remettant votre épée, et lui quittant la place. CERINTE. Il n'est rien que pour vous, ma belle, je ne fasse. FLORICE. Obéissez moi donc, et vous ôtés d'ici. CERINTE. Puisque vous le voulez je le vais faire aussi. ARIMANT. Tu fuis, tu fuis poltron, et cette barbe griseQue tu méprisais tant, te fait donc quitter prise.Nous nous retrouverons, à quelque heure du jour,En lieu propre, vider nos querelles d'amour. FLORICE Seule. Que ce vieil amoureux a de belles saillies,Et je serais sujette à toutes ses folies.Non, non je ne veux plus me donner de l'ennuiMon frère satisfait, n'a que faire de luiCerinte dont l'amour est véritable et forte Doit être désormais reçu d'une autre sorte. ACTE V SCENE I. ALCANDRE, seul. Qu'on ne me parle plus de ces cruels tourments,Que le démon des coeurs fait souffrir aux amants,Qu'on ne me parle plus des rigoureuses peines,Que nous cause un bel oeil dont on porte les chaines. Un seul mot, un seul geste, un regard, un sourisNous fait être des dieux les premiers favoris,On ne se souvient plus des traverses passées,Et notre âme se plonge en de douces pensées.La moindre des faveurs qu'une beauté départ Nous fait mettre bientôt les déplaisirs à part :Nous fait nommer heureux les jours de notre vie.Et les premiers moments que nous l'avons servieQuels tourments souffre-t-on dans l'empire d'amourQue je n'aie éprouvés depuis le premier jour, Depuis le jour qu'un oeil dont j'adore les charmes,Me faisant son captif me fit rendre les armes.Inquiet, solitaire, ennemi de mon bien,Les rochers et les bois ont eu mon entretien :J'ai vécu sans repos, j'ai soupiré sans cesse, Et je ne me suis plu qu'aux objets de tristesse.Depuis j'ai mille fois au bord de ce ruisseau,Vu couler tout ensemble et mes pleurs et son eauEt depuis mille fois mes amoureuses craintesOnt fait gémir Zephire à l'accent de mes plaintes, Depuis j'ai mille fois au fort de mes douleursMouillé cette herbe verte, et l'émail de ses fleurs :A qui l'eau de mes yeux a redonné la vie,Quand l'ardeur du soleil la leur avait ravie :Mais depuis un moment que ce bel oeil vainqueur D'un regard favorable a soulagé mon coeur,Et qu'elle a reconnu ma passion fidèle,Je me crois trop heureux d'avoir souffert pour elle,Les tourments me sont chers dedans mon souvenir,Et l'on me fait plaisir de m'en entretenir. Arbres de qui souvent j'ai déchiré l'écorce,Ne me reprochez point cette amoureuse force,Et pour l'amour de moi conservez chèrementLes marques que j'y mets de mon contentement. SCÈNE II. Circeine, Alcandre. CIRCEINE. Alcandre qui tenait sa flamme si secrète, Serait il devenu d'une humeur indiscrète,Je ne puis pas le croire, il a toujours étéDans les lois du devoir, et de l'honnêteté.Mais il écrit ici sur l'écorce d'un arbre. ALCANDRE. Après avoir écrit.Garde le mieux encor que ne ferait le marbre. Et me prête ton ombre où je puisse rêver,Au bon heur nompareil qui vient de m'arriver.Adorable Circeine, est il doncques possible,Qu'à mon affection tu te montres sensible ? CIRCEINE. Il est en beau chemin écoutons seulement. ALCANDRE. S'il est vrai, peut on voir un plus heureux amant,En pourrais-je douter, puisque par son seing mêmeElle témoigne assez qu'elle veut que je l'aime :Mais si le seing aussi n'était pas de sa main,Qu'Arimant l'eut signée en étant l'écrivain. CIRCEINE. Cette doute me plaît, elle me sert d'indice,Que le faux Clorian use ici de malice,Approchons le plus près que je pourrai de lui. ALCANDRE. Tirant la lettreSouverain appareil de mon cruel ennui,Devant que de t'ouvrir, que cent fois je te baise. CIRCEINE. Si je m'en puis saisir j'interromprai ton aise. Lettre de Circeine à Alcandre.La discrétion et l'honnêteté d'Alcandre m'obligent en fin à l'assurer que ses services me sont agréables, qu'il vive donc content après cette assurance, et qu'il sache que j'estime trop ses mérites, pour ne vouloir pas qu'il continue d'aimer Circeine. ALCANDRE. Après l'avoir lueOui c'est son propre seing, il n'en faut plus douter,Un Dieu ne pourrait pas ces faveurs mériter. CIRCEINE. Prenant la lettre.Non, non. ALCANDRE. Dieux, qu'est ceci qu'un voleur me l'emporte,Impie, oses-tu bien y toucher de la sorte, Ton sang expiera ce profane attentatAttends Il se lève en disant cela le poignard à la main. CIRCEINE l'arrêtant. Vous n'êtes pas Alcandre en bon état,Sans doute vous dormiez, et votre fantaisieA jeté votre esprit dans quelque frénésie,Me voulez vous tuer ? ALCANDRE. Ah ! Que plutôt ce fer Plongé dedans mon sein, me pousse dans l'enfer,Ma belle pardonnez l'action insolenteQue je viens de commettre. CIRCEINE. Elle est trop violente. ALCANDRE. Oui pour vous : mais un autre en serait déjà mortAyant eu le dessein de me faire ce tort. CIRCEINE. C'est pour vous avertir que ces lieux solitairesNe sont pas bien souvent fidèles secrétaires. ALCANDRE. Pardon belle Circeine, et je vous fais sermentDe ne m'emporter plus dans mon contentement. CIRCEINE. Nous en pourrons parler, lisons cette écriture Que vous avez gravée en cette écorce dure. ALCANDRE. Ce ne sont que des vers qui disent que vos yeuxMe peuvent abîmer ou m'élever aux cieux. CIRCEINE. Je les veux voir pourtant. ALCANDRE. C'est chose bien aisée. CIRCEINE. Lisez-les ALCANDRE. Qui voudrait vous avoir refusée. Il lit les vers qui sont sur l'écorce.Mon espoir comme toi fut autres fois plus bas,Les moindres accidents menaçaient ma ruine,Et pouvaient comme à toi me donner le trépas :Mais en l'état présent nous ne le craignons pas,Si notre mort ne vient d'une cause divine, Ta mort du feu du ciel qui brule ta racine,La mienne des ardeurs des deux yeux pleins d'appas. ALCANDRE. Après les avoir lus.Voila ce que je laisse à ce bel arbre en garde,Puis qu'avecque douceur ce bel oeil me regarde. CIRCEINE. Alcandre en tous endroits occupe ses esprits Seul ou non ALCANDRE. Rendez moi ce que vous m'avez pris.Après je recevrai de bon coeur vos louanges. CIRCEINE. Qu'en leurs déguisements les hommes sont étranges,Vous n'en avez que faire, Alcandre est satisfait,Tout le monde l'a vue, Clorian le sait : Mais je sais qu'en cela mon oncle m'a surprise. ALCANDRE. Si depuis qu'Arimant en mes mains l'a remise,Autre que vous l'a vue avec moi que les dieux,Pour punir ce forfait m'écrasent à vos yeux :Mais je vois ce que c'est, vous êtes repentante De m'avoir obligé si loin de mon attente,Puis que vous le voulez prenez encor mon sang,Arrachez moi la vie en me perçant le flanc,Et sachez qu'elle m'est plus chère que la vie.Je reconnais assez, belle, que votre envie Retirant cet écrit n'est pas de m'obliger,Et que vous me voulez tout à fait affliger.Plut aux dieux que Circeine estimât tout de mêmeCe qui vient de la part d'un malheureux qui l'aime,Et qu'elle le gardât si chèrement que moi : Mais nous ne sommes pas sous une même loi.Je suis trop amoureux et vous trop dédaigneuse. CIRCEINE. Et pour vous faire voir que j'en suis plus soigneuse.Vous trouverez vos vers où vous les avez mis,Prenez ce gant, ALCANDRE. Cet heur ne m'était pas promis Il tire et lit les quatre vers que Clorian y avait supposez.Puis que tu m'assure ma belleQue seul j'ai part en ton amour,Je te jure par l'oeil du jourQue Clorian sera fidèle. Après avoir vu ces vers.Ah ! Que c'est dextrement me donner le poison, Me pouvais-je empêcher de cette trahison ?Amour qui vois mon mal et me défends la plainteTe serais tu douté d'une semblable feinte ?Elle se plaint de moi sans en avoir sujet,Et donne à son courroux un songe pour objet. Sans me faire languir vous deviez m'ôter l'âme,Et non pas vous moquer de ma fidèle flamme,Adieu cruelle, adieu, c'est par ce coup fatal,Que Clorian ou moi nous verrons sans rival. CIRCEINE, seule. Il me laisse en colère, Alcandre brave Alcandre, Il est déjà si loin qu'il ne me peut entendre,Si ne le veux-je pas laisser dans ce soupçon,Ni souffrir qu'on se joue à moi de la façon,Clorian est l'auteur de cette tromperie,Et je me vengerai de sa supercherie. SCÈNE II. Florice, Palinice. FLORICE. Et bien que dites vous du divertissementQue me vient de donner l'amoureux Arimant. PALINICE. Qu'il n'est rien de pareil à sa mélancolie,Et que sa passion ressent fort sa folie.Et sans quelque souci qui vient de me saisir, Je voudrais avec vous en avoir le plaisir.Votre frère et le mien m'ont mise trop en peine,Ils se sont querellés pour l'amour de Circeine.Et je crains qu'à la fin ils n'en viennent aux mains. FLORICE. Pourraient-ils devenir à ce point inhumains ? PALINICE. Je le crois, et voudrais avoir vu cette belle,Pour en pouvoir savoir la vérité par elle. SCÈNE III. Circeine, Florice, Palinice. CIRCEINE. En vain je l'ai suivi, je n'ai peu l'attraper,Je voudrais toutefois le pouvoir détromper,Que les plaisirs d'amour sont de peu de durée, Je dois être pourtant de sa flamme assurée. FLORICE. Allons donc la chercher, mais la voici venir,Qui seule dans ce lieu semble s'entretenir. PALINICE, parlant à Circeine. Que vous vous épargnez d'une grande corvée,Le bonheur nous en veut de vous avoir trouvée. CIRCEINE. Il vous est arrivé ce que je désirais. FLORICE. L'entretien sera bon étant de toutes trois. PALINICE. Mais il faut nous parler sans aucune contrainte,Et dire nos pensers, et sans fard et sans crainte. CIRCEINE. Je l'ai bien résolu, mon esprit offensé, Dans tout ce qui se passe est trop intéressé,Pour ne vous dire pas nettement nos pensées. FLORICE. Je crains que nous soyons toutes intéressées. PALINICE. Dites nous donc que c'est. CIRCEINE. Vous saurez qu'aujourd'huiVos frères m'ont donné de grands sujets d'ennui. Clorian m'a pressée avecque violence,Et sans aucun respect et beaucoup d'insolenceM'a reproché cent fois que trop légèrementJe l'avais méprisé pour un nouvel amant.Et comme si j'étais soumise à sa puissance, A pris dans ses discours une grande licence.Alcandre toutefois sans beaucoup s'émouvoir,L'a voulu doucement remettre à son devoir,Mais il s'est emporté sans le vouloir entendre,Et montrant qu'il avait de l'aigreur contre Alcandre, S'en est allé fâché. PALINICE. C'est fort mal procéderAlcandre n'est pas homme à lui vouloir céder,Et j'avais toujours craint qu'en fin sa jalousiePorterait son esprit à cette frénésie. CIRCEINE, tout bas. Que j'ai subtilement déduit mon intérêt, Leur cachant ce qui doit être tenu secret. FLORICE. Que vous a dit Alcandre après cette saillie ? CIRCEINE. Rien, mais il s'est jeté dans la mélancolie,Et sans me dire mot a voulu me quitter,J'ai fait ce que j'ai pu tâchant de l'arrêter, Mais je ne l'ai peu faire. PALINICE parlant à Florice, et s'en allant tous deux. Allons belle compagneEnvoyer leurs amis par toute la campagne,Ils se sont allés battre. CIRCEINE. Elles sont en souci,Mais je voudrais déjà que cela fut ainsi,Alcandre vengerait notre commune offense, Et si je m'y trouvais je prendrais sa défense.C'est Cerinte et mon frère, il est vrai ce sont eux.Quelque accident nouveau les assemble tous deux. SCÈNE IV. Sileine, Cerinte, Circeine. SILEINE. Nous découvrons d'ici presque toute la plaine. CERINTE. Nous le pourrions savoir de votre soeur Circeine La voici toute seule. CIRCEINE. Où courez vous si fort ? CERINTE. Empêcher deux amants de se donner la mort,Les avez-vous point veux ? CIRCEINE. Qui sont ils ? SILEINE. C'est Alcandre. CIRCEINE. Et l'autre. CERINTE. Clorian CIRCEINE. C'est beaucoup entreprendre,Mais je ne sais que faire à des esprits si fous, Les deux soeurs que voici les cherchent comme vous. FLORICE. revenant avec PaliniceNous n'en avons encor appris nulle nouvelle. SILEINE. Ils sont pourtant sortis pour vider leur querelle. CERINTE. Ils ne sauraient aller qu'à l'entour de ces lieux,Tournons de tous côtés votre oreille et vos yeux. SCÈNE V. Alcandre, Clorian, Florice, Circeine, Palinice, Cerinte, Sileine, Alcandre et Clorian. ALCANDRE. Puisque l'amour le veut : et qu'il est impossibleQue nous possédions d'eux ce miracle visible,Et que l'on ne veut point à l'autre le céder,Voyons à qui le fer le fera posséder. CLORIAN. Hâtons nous donc de peur que l'on ne nous sépare. FLORICE. Les voilà sur Florice le point d'une action barbare. PALINICE. Ne nous amusons pas, courons les empêcher. SILEINE. Courons, ils ne saurait à nos yeux se cacher. CERINTE. Circeine fera plus envers eux que nous quatre,Sa parole les peut empêcher de se battre. ALCANDRE. Finissons par ce coup on nous viens séparer. CLORIAN. Finissons ou mourons, c'est trop longtemps durer. CERINTE. Ils montrent par leurs coups l'ardeur de leur colère. SILEINE. C'est assez cher amis, que pensez vous de faire ? CIRCEINE. Alcandre, Clorian, est-ce ainsi qu'on me sert ? Non, non, arrêtez-vous, c'est par là qu'on me perd. ALCANDRE. Voilà mes armes bas, je n'ai plus de défense,Puisque cette action ma belle vous offense. CLORIAN. Que vous avez sur nous un pouvoir souverain,De nous faire tomber les armes de la main. CIRCEINE. Qu'un effort généreux se faisant dans vos âmes,Rende votre raison maîtresse de vos flammes.Je ne suis pas d'avis d'endurer plus longtemps,Deux hommes importuns, et toujours mécontentsQui selon les objets qu'ils ont aux fantaisies, Forment à mes dépens de folles jalousies. ALCANDRE. Belle que j'ai toujours fidèlement servi,Pardonnez mon offense ou bien m'ôtez la vie. CLORIAN. Si j'ai jamais rien fait qui vous puisse offenser,Madame assurez-moi de jamais n'y penser. CIRCEINE. Je pardonne à tous deux, à la charge pourtant,De ne penser jamais à m'en refaire autant. CERINTE, parlant à Florice Belle dois je toujours vivre sans espérance,Et n'aurez vous pour moi que de l'indifférence ?Ce vieillard qui n'a plus que la peau sur les os, Est-il assez puissant pour troubler mon repos ? FLORICE. Le voici qui s'en vient tout prêt à vous répondre. SCÈNE VI. Arimant, Sileine, Palinice, Florice, Circeine, Alcandre, Cerinte, Clorian. ARIMANT. Voici, voici le bras qui te pourra confondre,Alcandre et Clorian n'ont rien fait qu'à demi,Mets l'épée à la main je suis ton ennemi, Tu ne peux t'en dédire, il faut que par les armesNous voyons qui de nous doit prétendre à ses charmes. SILEINE. Mon oncle quel démon ennemi de vos joursVous a mis dans l'esprit de si folles amours ?Remettez votre épée, et vous montrez plus sage, L'amour est importun aux hommes de votre âge. ARIMANT. Ces jeunes étourdis me voudraient reformer,Et me persuader qu'ils doivent seuls aymer.Non non, il faut mourir ou posséder Florice,L'épée au poing Cerinte. ALCANDRE. Ô le plaisant caprice ! FLORICE. Je ne puis plus souffrir cette importunité,C'est trop nous faire voir votre témérité. PALINICE. Voyant les accidents que votre amour apporte,Trouvons quelque moyen de vivre d'autre sorte.Vous ne pouvez jamais être tous contentés, Les uns seront aimés, les autres rejetés,Souffrez donc que leur choix librement en dispose. CLORIAN. J'accepte de bon coeur ce que ma soeur propose,À la charge pourtant que les deux malheureuxLaisseront en repos les autres amoureux : Et se retireront n'ayant plus d'espérance,Ou verront ces beautés avec indifférence. ALCANDRE. Je n'y contredis point. CERINTE. J'en suis fort satisfait. CIRCEINE. Et vous qu'en dites vous ? ARIMANT. Que le moyen m'en plait. ALCANDRE. Il dépend donc de vous de nous tirer de peine. PALINICE. Florice, c'est à vous, et de suite à Circeine. FLORICE. Je ferai quant à moi tout ce que l'on voudra. CIRCEINE. Et moi j'approuverai ce que l'on résoudra.Je voudrais bien pourtant ne nous voir pas forcées,De dire là-dessus clairement nos pensées. CERINTE. Il vous y faut résoudre FLORICE. Il est vrai, mais jurezQu'à ce que nous dirons vous vous conformerez,Et que vous garderez nos volontés dernières. SILEINE, parlant à Palinice. Ne serez vous jamais moins sourde à mes prières ?Considérez enfin que depuis si longtemps Malgré tous vos mépris mes feux sont si constants. PALINICE. Donnez vous patience, écoutons ces deux dames,Après nous parlerons de soulager vos flammes. SILEINE. Puisque vous le voulez, je le veux bien aussi. FLORICE. Nous le promettez-vous ? CLORIAN. Nous le jurons ainsi. FLORICE. Parlant à Arimant et à CerinteVous qui savez pourquoi mon âme est agitée,Qui depuis si longtemps m'avez inquiétée,Voyez si j'ai raison de vous blâmer tous deux,Et de désapprouver les effets de vos feux :Mais puisqu'il faut au vrai dire ce que je pense, Qu'il faut que l'un n'ait rien, l'autre ait sa récompense,Que vous n'espérez point que de l'avoir de moi,Que je vous dois donner une dernière loi,Balançant le mérite et de l'un et de l'autre,J'approuve votre amour et j'estime le vôtre : Je sais bien qu'Arimant nourrit dedans son seinAvecque son amour un généreux dessein,Son feu devant le vôtre est de ma connaissanceLe sien est déjà vieux le vôtre en sa naissance. ARIMANT, tout bas. Courage à mon parti l'amour la va ranger. CERINTE, tout bas. Je vois bien que mon sort ne se peut pas changer,Cette vieille amitié prévaudra sur la mienneQuoi que dans sa grandeur elle passe la sienne,L'amour de ce vieux tronc pour quelque peu de bienSans aucune raison prévaudra sur le mien. FLORICE. Continuant Pardonnés Arimant à mon humeur cruelleSi j'ai fait peu d'état de votre amour fidèle.Puisque pour des raisons que je ne dirai pas,Cerinte aura seul part en ce que j'ai d'appas. ARIMANT. Le Ciel a-t-il fait naître une chose si rare, Pour lui donner après une âme si barbare ?A-t-il mis en ce sexe une extrême beauté,Pour y joindre la fraude avec la cruauté ?Que nous sommes poussez d'un malheureux génieLorsque nous désirons d'être en sa compagnie, Et bien vivez heureux Cerinte à mes dépens. CERINTE. Que vous m'avez tenu longuement en suspens. FLORICE. Circeine c'est à vous de conclure l'affaire. ARIMANT. Souvenez-vous du tort que l'on vient de me faire. CIRCEINE. Les intérêts ici ne sont point reconnus. Nous devons faire voir nos sentiments tous nus.Ma compagne déjà m'en a donné l'exemple. ALCANDRE. Amour dont ces beaux yeux sont l'autel et le temple,Et mon coeur la victime oblige un pauvre amant,Et donne en ma faveur ce dernier jugement. CIRCEINE. J'eusse bien désiré de n'être pas contrainteDe vous donner jamais aucun sujet de plainte :Mais désirant tous deux ce qu'un seul doit avoirDe vous contenter tous n'est pas en mon pouvoir.C'est pourquoi je vous prie, après que par ma bouche Vous aurez su de qui la passion me touche,Ne me reprochez point vos services passésNi vos soins amoureux trop mal recompensés :Je sais que Clorian m'a toujours estimée,Et que dès mon enfance il m'a beaucoup aimée, Qu'il a pris mille soins pour m'obliger à lui,Que j'ai participé dans son cruel ennui. ALCANDRE. tout bas Veux-je plus clairement entendre ma ruine,Et l'arrêt de ma mort par sa bouche divine ?Non non, rompons ici les respects amoureux, Et faisons l'action d'un homme généreux. CIRCEINE. Mais. ALCANDRE. tout bas Ah ! Ce mais ! Remet toute mon espérance,Et donne à mon esprit quelque peu d'assurance. CIRCEINE. Alcandre d'autre part m'a fait voir mille foisQu'un amour violent l'arrêtait sous mes lois, Avec tant de respect qu'il ne m'est pas possibleDe m'en ressouvenir qu'il ne me soit sensible,Et pour lui montrer. CLORIAN. tout bas Ô Dieux, quel changement !Elle estime ma flamme, et prend un autre amant. CIRCEINE. S'il est vrai qu'il lui reste encore dedans l'âme Après mon jugement quelque reste de flamme,Et qu'il ait le dessein de toujours m'obliger,Qu'il aime Clorian. CLORIAN. tout bas Mon soupçon est léger,Elle va prononcer à son désavantage. ALCANDRE. On m'a fait voir le port où je ferai naufrage. CIRCEINE. Et moi je veux aimer le reste de mes joursAlcandre de qui seul j'approuve les amours. CLORIAN. Le pilote qui voit fondre dessus sa testeDurant un temps serein une horrible tempête,Qui voit rompre ses mats, voit briser son vaisseau, Est moins surpris que moi par un coup si nouveau. ALCANDRE. Emporté de trop d'aise, et presque hors de moi-même,Je me trouve interdit dans le bonheur extrême,Je crains que quelque songe en son illusionMe vienne ici flatter dans mon affection. CLORIAN. Ingrate. ARIMANT. Clorian laissons ces plaintes vaines,Allons loin de ces lieux mettre fin à nos peines. CLORIAN. Pour moi je veux chercher mon vrai repos ailleurs,Et prendre désormais des mouvements meilleurs. ARIMANT. Et moi me retirant dans une solitude, Je veux rire à loisir de son ingratitude. CLORIAN. s'en allant Pour oublier du tout ces esprits inconstants,Prenons pour médecins le dépit et le temps. SILEINE. Me laisserez-vous seul aimable Palinice,Et n'obtiendrai-je rien pour un si long service ? Au moins si je voyais ce rival amoureux,Nous verrions qui des deux serait le plus heureux,Nommez-le moi. FLORICE. Sachant sa longue servitudeVous le devez tirer de son inquiétude,Vous devez comme nous dire vos sentiments, Et perdre son espoir ou finir ses tourments. PALINICE. Vous parlez sans savoir s'il s'y voudrait résoudre. SILEINE. Que la foudre à vos yeux me vienne mettre en poudre :Si je n'obéis pas à votre volonté. CIRCEINE. Palinice montrez ici votre bonté, Dites lui franchement quelle est votre pensée. ALCANDRE. Obligez cet amant, vous en êtes pressée. CERINTE. Ma soeur ne rompez point votre vieille amitié,Ses peines vous devraient émouvoir à pitié. PALINICE. Puisqu'il faut s'expliquer, Sileine je vous aime, Et vous n'eûtes jamais de rival que vous-même.Que voulez-vous de plus ? SILEINE. Rien qu'un point seulementPour couronner ma flamme et mon contentement. PALINICE. Que demandez-vous donc ? SILEINE. Qu'un hymen nous assemblePour vivre désormais heureusement ensemble. ALCANDRE. Je crois que vos desseins se conforment ici,Si vous le désirez nous le voulons aussi. PALINICE. Il s'y faudra résoudre, et passer une vieQui nous mette à couvert des efforts de l'envie.Mes compagnes et moi chérissons vos plaisirs, Et nous accordons tout à vos chastes désirs. CERINTE. Que nous sommes heureux après tant de traversesDe voir un tel succès à nos peines diverses. ==================================================