******************************************************** DC.Title = PANÉGYRIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES. DC.Author = ROBINET, Charles DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 21/08/2023 à 06:46:36. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/ROBINET_PANEGYRIQUEECOLEDESFEMMES.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6130978b DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** PANÉGYRIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES OU CONVERSATION COMIQUE SUR LES OEUVRES DE M. MOLIÈRE. M. DC. LXIV. Avec Privilège du Roi. À PARIS, Chez CHARLES DE SERCY, au Palais, au sixième Pilier de la grande Salle, vis à vis la montée de la Cour des Aides, à la Bonne Foi couronnée.Achevé d'imprimer : 30 novembre 1663 AU LECTEUR Ce sera si tu veux, moutarde après dîner. En effet, c'est parler, ce semble, d'une chose lorsque l'on n'en dit plus mot et, selon le proverbe, réveiller le chat qui dort. Mais il y a plus de trois mois que ceux qui te débitent ce panégyrique l'ont entre leurs mains. Néanmoins ce ne sera pas le dernier ouvrage sur le même sujet, puisqu'il en paraît un depuis quelques jours sur le théâtre de la seule Troupe Royale, qui fait beau bruit, et duquel on a ajouté quelque chose en celui-ci. Les libraires qui sont les grands parrains de ces sortes de pièces lui ont donné le nom qu'il leur a plu. Comme l'on ne s'y est point opposé, on te permet aussi de le débaptiser et de lui en donner tel autre que tu jugeras lui être plus propre: l'enfant ne s'en portera ni pis ni mieux. Mais on t'avertit que ce n'est pas une conversation imaginaire, et que ç'a été le véritable entretien de deux amants avec leurs maîtresses qui, désirant savoir si leurs futurs époux n'étaient point infectés des maximes de L'Ecole des maris, et de celle des femmes, si désavantageuses au sexe, les mirent adroitement sur ces beaux chapitres. Autrement, il y aurait peu d'apparence qu'on eût voulu s'attacher expressément à l'examen de quelques farces comme à des poèmes plus achevés que défectueux, et dont l'on ne remarque les petits défauts qu'avec regret d'en voir à ces chef-d'oeuvres de la poésie, en la même façon que, regardant une femme qui est belle mais qui a quelque chose d'irrégulier, l'on dit que c'est dommage, pour ce que sans cela ce serait une beauté achevée, au lieu qu'on ne fait aucune réflexion sur une autre que la nature semble avoir fabriquée pour se moquer elle-même de son ouvrage. On ajoute à cet avis que celui qui a écrit cette conversation de laquelle il était a jugé qu'elle plairait davantage sous la forme qu'il lui a donnée que dans une narration de plain-pied qui n'aurait pu avoir les mêmes grâces. Au reste de quelque opinion et de quelque goût que tu sois, tu y trouveras quelqu'un de ton parti, puisque si Lidamon et Lisandre s'y déclarent, avec Bélise et Célante, contre les ouvrages du sieur de Molière, Palamède et Crysolite qui sont les deux amants, leur sont favorables, y ayant beaucoup d'apparence lorsqu'ils chantent la palinodie, comme tu verras, que ce n'est que par complaisance et quand ils ont reconnu que leurs amantes, en adroites femelles, leur tiraient les vers du nez pour en tirer les conséquences qui, peut-être, leur auraient été ruineuses. On n'excuse point l'économie de cette petite galanterie : l'ouvrage n'est pas d'assez grande conséquence pour le traiter comme un mystère. D'ailleurs, ou tu te connais aux choses, ou tu ne t'y connais pas. Si tu t'y connais, tu ne t'en tiendrais pas à ce qu'on t'en dirait. Et si tu ne t'y connais pas, il ne servirait à rien de te découvrir le bon ou le mauvais : la lumière est inutile aux aveugles. Ainsi l'on doit rire de ceux qui donnant quelque chose au public, composé de savants et d'ignorants, s'amusent à lui faire de grandes préfaces qui, selon le principe infaillible qui vient d'être posé, leur sont entièrement inutiles s'ils n'y confessent ingénument leurs fautes aux intelligents pour en éviter la censure en leur faisant connaître qu'ils ne les ignorent pas, mais qu'ils n'ont pu faire mieux. PERSONNAGES. PREMIER LAQUAIS SECOND LAQUAIS LIDAMON PALAMÈDE BÉLISE. CÉLANTE. CHRYSOLITE. LYSANDRE PANÉGYRIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES ENTRÉE PREMIÈRE DE DEUX LAQUAIS apportant des sièges dans un jardin, qui est le lieu de la scène. PREMIER LAQUAIS. Où les bouterons-nous ? SECOND LAQUAIS, en tirant les oreilles à l'autre. Il faut dire, où les mettrons-nous ? Faquin. PREMIER LAQUAIS, portant la main à ses oreilles. Hala ! Hala ! Est-ce le droit qu'il faut que je paie en entrant chez un nouveau maître ? SECOND LAQUAIS. Je pense que tu n'as servi que dans un village, et chez quelque maître de charrue. PREMIER LAQUAIS. J'avons servi pourtant au fin milieu de Paris, et chez un Histrion-graphe de la France. SECOND LAQUAIS. Quelle bête est-ce qu'un Histrion-graphe de la France ? PREMIER LAQUAIS. Dame, que sais-je moi : c'est un homme qui écrit quantité de papiers, puis les envoie à un imprimeur, puis quand ils sont imprimés, fait des pataraphes dessus, jusqu'à tant que cela soit à sa fantaisie. SECOND LAQUAIS. Peste soit de l'ignorant, je te donnerais encore volontiers, sur la moitié de ton minois : tu veux dire un Historiographe, gros sot. Hé bien, quoi ? Tu servais un Historiographe, et tu parles comme un Pitaut ! PREMIER LAQUAIS. Oui, mais je ne lisais jamais ses grimoires, car je n'ai jamais appris à lire et d'ailleurs, je ne l'ai jamais entendu parler que quand il criait comme un beau dieble après moi, ou après son cocher, ou après sa servante : car même quand il était avec les belles dames de son quartier, il ne faisait que songer creux, et n'ouvrait presque jamais la bouche que pour bailler. SECOND LAQUAIS. Il était, donc, homme à carrosse, ton maître ? PREMIER LAQUAIS. Oui ma foi, mais il l'entretient aux dépens de ceux qui le servent : il est vilain comme lard jaune, et n'a pas son pareil en chicheté. Aga, il va lui-même au marché et à la boucherie, de peur qu'une servante ne farre la mule. Après qu'il a dîné et soupé, il coupe du pain et de la viande assez petitement à ses gens, et sarre le reste. Bien davantage, quand on donne le foin et l'avoine à ses chevaux, il retranche toujours, quelque chose de la botte, et du picotin, qu'il met à part, afin que les provisions durent le double. SECOND LAQUAIS. Quel diantre de Raquedanase ! C'est un vrai Trésorier de l'Épargne. PREMIER LAQUAIS. C'est ainsi, qu'il tond sur tout : et s'il traite par deux fois, ses voisines à la ville, ou aux champs, jamais il ne leur donne qu'un aloyau, outre le potage dont la graisse ne fait point mal au coeur. Mais ces dames pour se venger de sa taquinerie, lui font mille niches, elles fourragent tout chez lui : et bien souvent y jouent à remue ménage, emportant les miroirs, et d'autres hardes qu'il ne saurait ravoir sans qu'il leur paie de bonnes collations. Si elles empruntent son carrosse, elles font avec, le tour de Paris, et s'en servant tout le jour, le contraignent d'aller à beau pied sans lance, même dans le plus vilain temps. On m'a dit plus, qu'un jour qu'il les menait en un village à deux ou trois lieues d'ici, étant descendu hors les portes, pour quelque affaire, elles continuèrent leur chemin sans l'attendre, de sorte qu'il fut obligé à se faire voiturer, après elles, dans un tombereau à gravois. SECOND LAQUAIS. [Note : Ladre : avare.]Le tour est assez plaisant : ô je vois bien ce que c'est que ton défunt Maître : c'est un homme que l'on berne, ainsi que nos éveillées font plusieurs bon ladres, qu'elles contraignent à faire dépense, sans qu'il leur en revienne aucun plaisir ni honneur. Mais il n'a donc, point de femme ? PREMIER LAQUAIS. De femme, vraimi non, et je pense qu'il n'en aura jamais, au moins s'il tient le serment qu'il fit l'autre jour, en sortant de L'École des femmes. Il avait déjà si peur d'être cocu, à ce que ses précédents laquais m'avaient dit, que c'était la cause qu'il ne se mariait point : mais ayant ouï en cette École, ce qu'on y dit des femmes, et comme presque toutes fichent des cornes à leurs maris, il jura qu'il ne se mettrait jamais en ce danger-là. SECOND LAQUAIS. Voilà une étrange École, chacun en parle, et jusqu'aux enfants en vont à la moutarde : mais voilà aussi comme vous autres êtes accoutumés à parler même de ceux dont vous mangez le pain : vous ne valez pas la peste, la plupart vous autres Laquais. Sus plaçons nos sièges, voici l'heure que la compagnie doit arriver. Elle sera fort bien sous ce berceau, entre cette palissade de Jasmin d'Espagne, et ce jet de cristal liquide, l'une lui flattera l'odorat par la douceur de ses parfums, l'autre lui charmera l'oreille par son délicieux murmure : et de cette manière, la conversation ne pourra être que très chaleureuse. PREMIER LAQUAIS. Vramiche, camarade, je t'admire et tu en sais ma foi plus que mon Histriongraphe, diantre soit du nom, je ne le saurais prononcer. Mais enfin, je ne l'ai jamais ouï parler comme cela des palissades et des eaux de son jardin, et s'il est pourtant assez beau. SECOND LAQUAIS. Ho ! Je suis ici parmi les beaux esprits, et comme j'écoute attentivement les belles choses, j'en retiens toujours quelqu'une : puis, je lis les romans qui apprennent à bien dire, de la Comédie des Précieuses où l'on discourt à la mode, et toutes les autres pièces d'un poète de ce temps qui est fort en vogue, à cause qu'il déchiffre les gens dans ses vers, c'est-à-dire qu'il en fait des peintures au naturel, qui font rire. Pour dire vrai, son style me plaît si fort que j'ai voulu m'essayer à faire quelque chose de semblable : et j'ai commencé une Comédie que je prétends rendre aussi satirique qu'il s'en soit encore vue de cet auteur. C'est un homme qui recherche une belle fille, et que je tourne en ridicule, pour empêcher la mère d'en faire son gendre ; et voici par où je débute. Ce Laquais tire un papier, et lit les vers suivants :MICHELIN.Ô fi ! gardez-vous bien de lui donner ce Drille, C'est bien morceau pour lui que votre belle Fille, Que ce petit Tendron, cette jeune Fanfan. Quoi donc, ignorez-vous quel était le Gros Jean ? Car ce fut autrefois, le nom du sieur la Lyre, Je m'en vais vous conter son histoire pour rire. Le Greffier de Porcheux, un plaisant Goguenard, M'en a fait le débit dans son style gaillard. Autrefois, ce Gros Jean vint faire en son village Le demi Crucifix dans un piètre équipage. PASITHÉE.Dieu ! que dites-vous ? MICHELIN.Ce que je sais fort bien. PASITHÉE.À ce que je vois, donc, c'est un homme de rien. MICHELIN.[Note : Bélître : Homme de rien, homme sans valeur. [L]]En bélitre, il montrait ses fesses découvertes, Et n'avait plus d'entier que des jarretières vertes, Qu'il vendit seulement environ douze sous À certain Hôtelier, y compris quelques poux. PASITHÉE.Pouac, ne me parlez point de cette sale engeance, Vous me feriez vomir sur l'honnête Assistance. MICHELIN.Êtes-vous si poutieuse ? PASITHÉE.Hé bien en cet état ? MICHELIN.Bien plus qu'une punaise, hélas ! il était plat. Il avait néanmoins, une autre marchandise, Mais qui se trouvait là, d'assez mauvaise mise. Il avait dans sa tête, un grand nombre de vers, Non de ceux qui sont bons, mais des vers très pervers. En vain, en bien des lieux, il fit sa vironnée, Afin d'en débiter : sa triste destinée Ne lui permit jamais, de leur trouver marchand. PASITHÉE.Il était fort à plaindre en un malheur si grand. MICHELIN.Le Curé de Porcheux touché de sa misère, L'alimenta deux mois, dedans son presbytère : Et durant ce temps-là, voulant s'en divertir, Lui fit de son cerveau, les premiers vers sortir. Il dressa la Légende, en rime assez peu [page 11] fine. Et de sainte Seconde, et de sainte Rufine. Ce fut son coup d'essai, mais quoi ! les Paysans, Disaient qu'ils avaient vu des vers plus très luisants. Il fut d'avis pourtant d'ouvrir encore sa veine, Afin d'en régaler quelqu'un en bonne étrenne. Ce que je vais vous dire est le meilleur de tout, Mais Gros Jean eut besoin pour en venir à bout, De mettre un peu le nez dans les Livres d'Astrée, Que l'on n'eût pas trouvés dans toute la Contrée. Or de ces habitants, un certain compagnon, Pour le berner, lui dit qu'un nommé Gros Talon, Le Savetier du lieu, parlant par révérence, Aurait ce qu'il cherchait, sans doute, en sa puissance : Ayant, ajoutait-il hérité, depuis peu, D'un Curé d'alentour dont il était neveu, Et dans cet héritage, eut quantité de Livres, Que l'on faisait monter jusqu'à cent bonnes livres. Lors, Gros Jean commençant de se bien réjouir, S'en court, sans perdre temps, chez cet Orfèvre en cuir ; Lequel ayant le mot, ne fit durant quinzaine, Sinon le ballotter et tenir en haleine, Sur sa succession faisant l'homme affairé Ce qui rendait Gros Jean fort triste et fort outré. Mais enfin, le Moqueur, pour achever la Berne, Un jour qu'il était gai, sortant de la taverne, Lui dit : Gros Jean venez, me voici de loisir, Je vous ferai tout voir et vous pourrez choisir. Par avance, Gros Jean ôta cent fois sa cale, Sous qui se mitonnaient la vermine, et la gale. PASITHÉE.C'était, donc, un Chrétien à faire mal au coeur. MICHELIN.Et lui dit : « je vous rends mille grâces Monsieur ». Avec ces compliments de si belle dégaine, Il arrive au Taudis de ce Pousseur d'alène : Mais pour Bibliothèque et pour Livres de prix, Dont il fut alors fait de grands éclats de ris, Il lui montra derrière une toile pourrie, Un petit Magasin de sabernauderie. Gros Jean au vif piqué, changeant de compliment, Fit voir au Sabernaud un peu d'emportement Et jura par la mort, qu'il avait bonne grâce De se jouer ainsi d'un Mignon du Parnasse. Mais l'autre à qui Bacchus échauffait le cerveau, Traitant de haut en bas, le maudit Poiteveau, À coups de Tire-pied, qui fut sa répartie, Vous lui fit faire vite un branle de sortie : Et puis vous lui fronda ses formes aux talons, Qui l'empêchèrent bien d'aller à reculons. PASITHÉE.Cette aventure est drôle. MICHELIN.Il en eut tant de honte, Qu'il sortit de Porcheux : et là, finit le conte. Depuis, s'étant trouvé parmi les Partisans, Il a fait quelque chose ainsi que plusieurs gens : Mais quoi ! ce quelque chose est peu considérable, C'est toujours, un Obscur, un Laid épouvantable, En qui l'on ne découvre aucune qualité Qui le puisse assortir avec cette Beauté : Et ce serait vraiment, une fortune étrange Que l'on vît épouser le Diable par un Ange. LE LAQUAIS continue de parler, et dit à l'autre : Hé bien, cela est-il mauvais pour un essai ? Ma foi sans me flatter, je ne trouve pas que le poète qui est si fort en crédit, fasse guère mieux, et nous verrons... Je ne dis rien... Va si tu demeures longtemps céans, je te jure que tu deviendras aussi habile que moi : mais voici déjà notre maître avec un de ses amis. SECONDE ENTRÉE DE LIDAMON ET DE PALAMÈDE. PALAMÈDE. Quel sera le sujet de la conversation ; et quelles sont les personnes qui en doivent être ? LIDAMON. Nous n'avons point cette fois, proposé le sujet de notre entretien : l'on le choisira sur-le-champ, afin que chacun fasse mieux voir la présence de son esprit. Pour les Entreparleurs, nous devons avoir l'aimable Clorinde, votre belle Célante, et la charmante Bélise, avec le galant Chrysolite, qui comme vous le savez, la doit épouser dans quelques jours. PALAMÈDE. Je vous puis assurer que vous n'aurez pas l'aimable Clorinde. Elle n'est pas visible aujourd'hui : et si vous saviez en quel état je l'ai surprise au travers les vitres de sa chambre, vous l'appelleriez plutôt, la monstrueuse, que l'aimable Clorinde. Elle vous aurait, sans doute, fait peur, et mal au coeur, en même temps : et pour moi je ne sais encore où j'en suis de l'avoir vue en cette posture ? LIDAMON. Comment donc, que lui est-il arrivé depuis hier, qui l'ait défigurée, à effrayer, et dégoûter les gens de la sorte ? PALAMÈDE. J'ai pensé voir quelque Spectre qui sortait du Tombeau, revêtu de son suaire : et je me suis imaginé sentir la mauvaise odeur qui s'exhale à l'ouverture des sépulcres. Elle ne m'a pas si tôt aperçue que bien affligée, comme je me le persuade, de ce que je l'avais découverte en un tel désordre, elle est disparue ainsi qu'un Fantôme : et moi qui la prenais pour cela, je ne me suis pas retiré avec moins de promptitude. LIDAMON. Je sais ce que c'est : elle travaillait à la réparation des débris de la créature. Elle a chaque semaine, certains jours, où elle appelle l'Art à son aide contre les maladies et le temps : et où elle se graisse de pied en cap, comme les Sorciers quand ils vont au Sabat. PALAMÈDE. Justement ; elle avait sur le visage de grands emplâtres jaunes et huileux : et je crois, en bon Français, que tout son corps en était enveloppé. LIDAMON. N'en doutez point, et que vous n'ayez senti la puanteur que vous croyez vous être imaginée. J'ai connu la plus belle Personne de France, qui s'ensevelissait ainsi tous les mois, et se faisait soulphrer*** comme une toile de soie, pour être plus blanche : de sorte que la maison en était infectée plus de quinze jours, nonobstant les meilleures cassolettes. PALAMÈDE. Celles-là sont toutes soulphrées pour l'Enfer : et c'est autant de peine épargnée aux Démons, qui n'auront qu'à les mettre au feu, où elles brûleront comme des allumettes. LIDAMON. La réflexion n'est pas mauvaise. PALAMÈDE. Bon Dieu ! Les Femmes se peuvent-elles résoudre à conserver leur beauté à ce prix ? Il me semble qu'un lustre qui coûte tant de soins et d'incommodités, est chèrement acheté, et que je renoncerais de bon coeur à cette fragile et fuyante Idole de la Beauté, s'il fallait tant d'artifice pour la retenir. LIDAMON. Les Femmes font tout pour conserver ce qui seul, bien souvent, les peut rendre considérables : et à dire vrai, l'on ne fait pas grand état de celles qui n'ont pas cette petite portion de Divinité qui les fait traiter de divines. Mais je m'étonne bien plus, que nous ayons de si ardentes passions pour un charme qui n'est soutenu que d'un léger épiderme, pour un faux brillant qui n'est l'effet que de mille vilains artifices, et qui nous cache tant de véritables sujets de dégoût et d'aversion. PALAMÈDE. Je vous réponds avec un grand homme de l'Antiquité, que la nature a fait les deux Sexes l'un pour l'autre, et que c'est la raison de cette violente ardeur qui s'allume entre l'homme et la femme sans aucune réflexion sur leurs imperfections réciproques. Mais il faut avouer que la plupart de nos Dames sont bien différentes en certain temps, de ce qu'elles nous paraissent en un autre : et que si nous les pouvions voir à toute heure, elles ne seraient pas toujours, des sujets de notre Passion, et de notre Idolâtrie. LIDAMON. Ovide n'avait point aussi trouvé de meilleur remède, pour se guérir de la maladie qu'elles causent, que de les aller voir le matin, avant qu'elles aient consulté leur miroir, et repris sous la toilette, ce qu'elles y ont laissé le soir, tous ces ajustements qui corrigent ou embellissent la Nature, et qui nous doivent faire confesser que l'Art sait bien mieux qu'elle, nous tromper, et nous donner de l'Amour. PALAMÈDE. Elles ne sont pas si sottes que de nous laisser mettre en usage, le remède d'Ovide : les Finettes ne nous permettent jamais de les visiter dans cette désavantageuse nudité de charmes, qui pourrait leur faire perdre l'Empire des coeurs : et de notre part, quoique nous soyons persuadés qu'elles doivent ce qui touche souvent le plus, à ce qui leur appartient le moins, nous ne laisserons pas d'en être piqués, et d'en faire nos Souveraines. C'est une coutume aussi ancienne que le Monde, d'aimer ce sexe : et comme elle est passée de nos Pères à nous, elle passera de nous, à nos Neveux. LIDAMON. Nous disons ici bien du mal des Femmes, et l'on n'en dit pas davantage dans l'École du Poète Satirique de ce temps. PALAMÈDE. Il y a de la différence : ce que nous en disons est en particulier, et non en public, où nous en disons, au contraire, du bien et par delà, pour gagner leurs bonnes grâces. D'ailleurs, nous ne touchons point à leurs moeurs, et nous ne les nommons pas infâmes Coquettes, comme Zoïle. LIDAMON. Chut, j'ai entrevu, si je ne me trompe, Bélise et Célante qui entrent dans cette allée couverte. Ces deux Belles seraient capables de rétablir la coutume dont vous parlez, si on avait pu l'abolir : et certes, quelque résolution qu'on eût prise sur le pied de ce que nous venons de dire, il en faudrait bien changer à leur aspect. Mais il est de la bienséance que je les aille recevoir. [SCÈNE III]. PALAMÈDE, demeure et parle seul. Hélas ! Je sais au moins, qu'il me serait impossible de ne pas aimer Célante : et que quand ses mépris se joindraient à toutes les réflexions que nous avons faites, je ne laisserais pas de l'adorer. Amour, quelles douces émotions tu me causes à son approche ! Mais ce n'est pas ici le lieu où elles doivent paraître. QUATRIÈME ENTRÉE DE LIDAMON. Palamède, Bélise, et Célante. LIDAMON. Palamède, nous ne devons plus être en peine de sujets pour la conversation : on n'en peut manquer avec deux personnes si spirituelles et si belles. PALAMÈDE. Lidamon, je souscris avec plaisir, à ce que vous dites en faveur de Bélise et de Célante : et quand vous aurez dessein que l'on vous croie, il ne vous faut qu'avancer des vérités aussi claires, et aussi aimables. CÉLANTE. Qu'en dites-vous Bélise ? Nous ne nous attendions pas à de pareilles douceurs : et nous sommes tout à fait obligées à la galanterie de Lidamon et de Palamède. BÉLISE, en riant. Pourquoi ? Puisque c'est la vérité qu'ils ont dite, n'y étaient-ils pas eux-mêmes obligés ? Et la Justice ne veut-elle pas que l'on rende à chacun ce qui lui appartient ? CÉLANTE. Vraiment vous ne l'entendez pas mal : où est la modestie si bienséante à notre sexe ? Et pouvez-vous, sans lui faire banqueroute, recevoir si fièrement, une obligeante cajolerie ? BÉLISE. Que vous êtes bonne Célante ! Quoi voulez-vous que nous fassions bouclier de modestie avec des gens qui ne parlent pas tout de bon, et qui veulent seulement donner carrière à leur bel esprit ? C'est entendre raillerie que je crois, et la rendre comme il faut, de leur répondre en la manière que je fais. PALAMÈDE. Quoi Bélise, connaissez-vous si mal votre mérite ? LIDAMON. Ah ! Jugez-vous si cruellement de... BÉLISE. C'est trop nous dire de belles choses, et je ne suis pas assez riche en réparties, pour en écouter davantage : mais je crois que nous ferions une figure plus aisée en nous plaçant dessus ces sièges, si nous voulons entrer en conversation. LE LAQUAIS, faisant le spirituel. Madame, si j'osais parler pour ces pauvres muets, je vous dirais qu'ils vous tendaient les bras par pitié, de vous voir en cet état de violence : et qu'ils semblaient se plaindre de l'inexorabilité que vous leur témoignez. LIDAMON. Hay, hay, hay, n'ai-je pas là un drôle de laquais ? BÉLISE. Où l'avez-vous pêché ? Ne l'avez-vous point eu de quelque Précieuse ? Car il me semble qu'il veut jargonner comme elles. CÉLANTE. Sans doute, il en a servi quelqu'une. PALAMÈDE. Bon, ce n'est pas cela, je parie que c'est qu'il a lu Les Précieuses ridicules. BÉLISE. Vous avez raison, il y a quelque chose en cette Comédie, du galimatias qu'il nous a fait. LIDAMON. Hay, hay, hay, est-il vrai que tu as lu Les Précieuses ridicules ? LE LAQUAIS. Et pourquoi non, n'est-ce pas un livre ouvert à tout le monde ? Mais pourtant je n'ai pas dit les choses comme elles y sont, mot pour mot : j'y en ai changé quelques-unes, et ajouté d'autres pour enchérir sur l'Auteur, et rendre cet endroit encore plus joli. Au reste, je ne sais pas si ce langage vous déplaît, mais je vous dirai que je le trouve à présent fort mêlé dans celui des mieux disants, et qu'il vous en est bien échappé des termes, depuis que je vous écoute ici attentivement, car je suis ravi de m'instruire en si bonne École. LIDAMON. Il est par ma foi, bon là, voilà l'auteur des Précieuses ridicules, corrigé par mon laquais : mon laquais enchérit sur Zoïle, et croit tourner les choses mieux que lui ! PALAMÈDE. Comment, Diable ? Il l'entend, et je suis d'avis que vous l'envoyiez à cet auteur, pour repasser le pinceau sur tous ces ouvrages, il pourra les rendre plus beaux de moitié. BÉLISE. Je suis d'avis qu'on l'envoie aussi à toutes les précieuses que nous connaissons, pour nous venger de lui, et d'elles, de nous avoir infectés de leur maudite façon de parler : car on ne saurait si bien s'en défendre qu'en effet, il ne vous en échappe toujours, quelque terme qui gâte la pureté du beau langage. CÉLANTE. On avait cru cet Idiome précieux entièrement détruit : mais il est plus en règne que jamais. Vous voyez comme Zoïle l'a remis sur le Théâtre, dans sa Critique, où ceux mêmes qui font semblant de le condamner, le parlent autant que les autres : et je vous assure que la plupart des Femmes prennent plaisir à lui redonner la vogue. BÉLISE. Oui, de certaines petites Pelées, qui croient se rendre fort recommandables par là sous prétexte qu'on les a mises dans Le Grand Dictionnaire des Précieuses, pour se moquer d'elles par une fine ironie qu'elles n'ont pas l'esprit de connaître, pensent qu'il y a de leur honneur, de maintenir l'empire de la Préciosité ridicule. J'en sais une qui est devenue tellement enflée de s'être vue en ce Dictionnaire, avec des louanges qu'on ne lui donnait que pour l'entêter et la faire devenir encore plus ridicule, qu'elle croit être la Surintendante des Précieuses, et devoir régler tout ce qui les concerne. Elle a tant de vanité, qu'elle appelle sa ruelle, le Polissoir des esprits, et tient que c'est chez elle seulement, qu'on leur peut donner le beau Tour. Elle affecte de ne parler qu'en termes qui soient de sa façon : et veut que les autres s'en servent à l'exclusion de tous ceux qui ont été inventés par les Sectatrices de la préciosité. Elle a substitué « Irrision » en la place de « Risée », elle use fort du terme de « Pruderie », et de celui de « Ridiculité » : et l'on m'a dit que depuis peu, elle appelle le vitrage, le transparent de la maison, le lit, le domicile du sommeil et des songes, le miroir, le fidèle conseiller d'un visage, et les autres choses par des noms aussi saugrenus. PALAMÈDE. Ô la ridicule Précieuse ! CÉLANTE. J'en sais une qui l'est bien autant. Comme celle-là se plaît à baptiser les choses à sa mode, et à ne s'exprimer que par de nouvelles phrases, celle-ci affecte de se vêtir, d'agir, mêmes de manger, d'une façon qui la discerne d'avec le reste du sexe. C'est elle qui a inventé cette sorte de masque qu'on appelle Loup, sans dire pourquoi, et l'on dit qu'elle veut donner l'invention d'un Étoffe qui se nommera la Précieuse. LIDAMON. Pour l'invention du masque, elle n'en doit pas avoir les gants. Je sais d'original à qui on la doit, et pourquoi ce masque s'appelle ainsi. Vous savez qu'on dit que nous avons tous je ne sais quoi qui nous fait ressembler à quelque animal : or une Dame que je ne vous nommerai point, ayant tellement l'air d'un loup qu'il ne lui restait que le tour des joues qui lui pût faire honneur, s'avisa de se faire tailler un Masque en sorte qu'il lui laissât voir ce peu de beau : et comme elle a néanmoins un éclat qui dupe ceux qui n'ont pas le temps d'en examiner le détail, elle s'est aussi avisée de ne le point attacher autrement que vous le savez, afin de le pouvoir ôter et remettre incessamment soit au Cours, à la Comédie, au Temple, ou aux Promenades, pour... Vous m'entendez bien. Cependant, ceux qui lui faisaient la guerre de sa ressemblance avec le Loup ne lui eurent pas plutôt vu ce nouveau Masque, qu'ils crièrent « Au Loup, Au Loup ! » : et de cette manière le nom en est demeuré à tous les masques qu'on a faits de la même sorte. Au reste, l'usage s'en est trouvé le plus commode du monde, pour toutes les Femmes. Celles qui n'ont d'agréable que le tour du visage, s'en servent avec beaucoup d'avantage : celles qui actionnent sans cesse, et à qui le badinage plaît, s'occupent à l'ôter et à le remettre, même encore avec bien de l'effet ; et toutes les autres en tirent la commodité de se pouvoir masquer et démasquer facilement. CÉLANTE. Le Conte du Masque n'est pas mal inventé. PALAMÈDE. Il faut bien, quoi qu'il en soit, que quelque occasion ait été cause qu'on ait ainsi baptisé cette sorte de Masque. BÉLISE. Ha ! Laissons là, ces Bizarres animaux, avec leurs manières de faire, de se vêtir, et de parler. Au laquais. Mon enfant, dis-nous je te prie, quels termes de préciosité tu as remarqués dans nos discours : car je m'en veux corriger ainsi que de mes plus grandes imperfections. LIDAMON, au Laquais. Allez, allez à vos affaires, Laquais, ne voyez-vous pas qu'on se moque de vous ? CÉLANTE. Pourquoi ne l'avez-vous pas laissé là ? Il nous aurait vraiment divertis ce Laquais, il se pique plaisamment, de savoir quelque chose : et je ne sais comment je ne me suis pas laissée emporter à un furieux éclat de rire, lorsque pour imiter l'Auteur des Précieuses, il a donné des bras à nos sièges qui n'en ont point. Mais puisqu'il nous a mis sur le Chapitre de ce Zoïle, nous pouvons en faire le sujet de notre conversation. Aussi bien voulons-nous pour raison, savoir Bélise, et moi, ce que Lidamon, Palamède, et Chrysolite qui viendra bientôt pensent de ses Ouvrages ? PALAMÈDE. Vous voulez, je m'en doute, que nous frondions son École des femmes : quelque endroit vous y a déplu, aussi bien qu'à plusieurs autres. Il est vrai qu'il y traite étrangement mal votre Sexe, et qu'il en parle le plus désobligeamment du monde. BÉLISE. Il n'y épargne guère davantage, le vôtre : et les hommes y sont du moins aussi galamment ajustés que les femmes. LIDAMON. Il y met en assez beaux draps blancs, les uns et les autres : mais quel mal lui en peut-on vouloir, puisqu'on prend plaisir à se voir l'objet de ses Satires ? Qu'on les achète, qu'on se divertit à les entendre sur son théâtre : et que par un aveu si solennel, on l'a mis en possession de pouvoir désormais, révéler les mystères les plus secrets des familles, et de divertir le public, aux dépens du particulier ? CÉLANTE. Ce n'est point son école seule que je veux critiquer : ce sont tous ses ouvrages de théâtre, depuis ses Précieuses ridicules. Je ne veux point déguiser mes sentiments, j'aime la belle comédie, et je ne saurais souffrir qu'à cause qu'il n'a pas une troupe propre à jouer sur son théâtre, et qu'il est lui même le plus détestable comédien qu'on ait jamais vu, il la détruise par des rapsodies qui font que chacun déserte son parti : et qui obligent jusques à l'unique et incomparable Troupe Royale, de la bannir honteusement de sa pompeuse scène, pour y représenter des bagatelles et des farces, qui n'auraient été bonnes en un autre temps, qu'à divertir la Lie du peuple, dans les carrefours, et les autres places publiques : tâchant ainsi d'éviter le titre d'ancienne, qu'on lui donne au Louvre, à cause que ses grands Poèmes ne sont plus à la mode, c'est-à-dire, de la qualité de ceux de Zoïle. BÉLISE. En effet, il a ruiné le plus beau et le plus honnête divertissement que nous eussions : et j'ai horreur des Monstres auxquels son exemple a donné naissance sur tous nos théâtres. Ne sont-ce pas d'agréables choses, que des secrétaires de Saint-Innocent, Les Miracles du Mépris, L'Intrigue des Carrosses, des Collin-maillards, et je ne sais combien d'autres fatras dont les uns ont suivi les Précieuses, et le Cocu Imaginaire, et les autres précédé, ou accompagné L'École des maris, et celle des Femmes, pour leur disputer l'honneur de divertir les honnêtes gens ? PALAMÈDE. Il me vient sur cela une plaisante idée ; je m'imagine voir le grand Ariste au milieu de tous les petits avortons du Parnasse, qui nous donnent ces niaiseries, comme un géant investi par des pygmées, et des nains, qui lui veulent faire la guerre. LIDAMON. [Note : Grimelin : Petit garçon. Joueur dont le jeu est mesquin. [L]]Ce grand Homme, à dire vrai, est assez étonné de se voir sur les talons, cette fourmilière de grimelins qui semblent le chasser du théâtre, où jusques ici, sa Muse avait un si glorieux ascendant : et ce ne lui est pas une petite mortification de voir son grand cothurne effacé par le ridicule escarpin de ces demi ou quart d'Auteurs, engendrés de la corruption du siècle. PALAMÈDE. [Note : Parterre : Partie d'une salle de spectacle entre l'orchestre et le fond du théâtre ; autrefois on y était debout, n'y ayant aucun siége, et c'est de là que vient le nom de parterre.[L]]S'il n'avait que cette Vermine à combattre, il ne serait pas encore beaucoup à plaindre. Le grand Ariste, serait toujours le grand Ariste. Mais il a en tête, un redoutable adversaire qui prétend raffiner l'intelligence, et le goût de ses admirateurs, pour les empêcher de crier miracle, comme autrefois, à la représentation de ses pièces. Il fait voir surtout, à ceux du parterre, qu'ils se sont souvent, laissés éblouir à de mauvais brillants : Il les veut obliger à reprendre toutes ces louanges qu'ils lui ont données : et s'il en est cru, ils s'inscriront en faux, contre tous les ouvrages sur lesquels, comme sur des titres injustes, il a établi sa réputation. LIDAMON. [Note : Sertorius est une tragédie de Pierre Corneille.]Vous donnez trop de gloire à Philarque de l'estimer un redoutable adversaire. En quoi donc est-il si redoutable ? Est-ce pour avoir en vain, jeté un peu de mauvaise encre sur les beautés de Sophonisbe, et de Sertorius ? Et porté des coups à tort et à travers, sans aucun effet, comme Énée, en la région des Ombres ? Il tranchait du Goliath, lorsqu'il est entré dans cette Lice : mais il s'est trouvé un petit David qui a fait si vigoureusement claquer sa fronde, contre lui, qu'il l'a bientôt obligé à rengainer sa bravoure pédantesque, sans que le Grand Ariste ait eu besoin de se mettre en aucune manière, sur la défensive. BÉLISE. Qui est, donc, ce petit David que vous faites passer pour un si vigoureux assaillant ? LIDAMON. [Note : L'auteur des Nouvelles nouvelles est Donneau de Visé.]Comment ! Vous ne connaissez pas ce jeune auteur qui a fait entre autres choses, les Nouvelles Nouvelles où il a joué tout le monde, sans en excepter le drand Ariste ! BÉLISE. Ha je sais qu'il est, et je me ressouviens qu'il s'est baptisé de ce nom de petit David, dans sa Défense de Sophonisbe. Il a tout à fait de l'esprit, mais c'est un censeur un peu trop raffiné : car dans sa Réponse aux Remarques de Philarque sur Sertorius, il s'est avisé de faire mystère des monosyllabes d'un sonnet : ne considérant pas qu'ils peuvent entrer en la composition des plus beaux vers : et que le grand ouvrage du Monde, n'est qu'un assemblage d'atomes, qui produit néanmoins, une merveilleuse harmonie. PALAMÈDE. En effet, cette Critique est des plus transcendantes. Mais, Lidamon, vous êtes mal informé quand vous dites que Philarque a cessé d'écrire. J'ai su qu'ayant de nouveau taillé sa plume, il avait déchiqueté l'Oedipe, et que son dessein était de traiter ainsi tous les autres dramatiques, du grand Ariste, sans faire semblant d'entendre claquer la Fronde du petit David qu'il a dans ses remarques, métamorphosé en Grenouille des Marais du Parnasse, avec tous ceux qui se sont mêlés de la défense du grand Ariste. CÉLANTE. [Note : Le Cid est une tragédie de Pierre Corneille (1637)]Cette sorte de Métamorphose est plus facile que dangereuse. Nous avons le même pouvoir que lui, de métamorphoser ainsi les gens : et nous le métamorphoserons en crapaud, aussi bien a-t-il assez de venin pour tenir sa place parmi ces vilains reptiles. Laissez faire, nous aimons le grand Ariste, nous nous souvenons du Cid qui nous a tant charmées, et de toutes ses autres miraculeuses Pièces qui ne sont pas moins les délices de nos cabinet que des théâtres. Nous aimons pareillement son défenseur, de qui nous attendons des réparties à le faire désespérer : et si Philarque s'en prend à nos plaisirs, il verra de quoi les femmes sont capables : qu'il se souvienne de la catastrophe d'Orphée. LIDAMON. Tudieu, quelle menace ! PALAMÈDE. Je ne voudrais pas qu'elle fût contre moi : c'est une chose terrible qu'une femme en colère. BÉLISE. Courage ! Je veux être des plus avant, de cette belle partie. Mais voulez-vous oublier Zoïle dans cette longue digression ? Il me semble que vous n'aviez pas dessein de l'en quitter à si bon marché. PALAMÈDE. Que vous êtes mauvaises, Bélise ! J'avais fait tomber la Compagnie dans cette digression, pensant détourner l'orage que je voyais grossir sur la tête du pauvre Zoïle, et vous n'avez pu souffrir que je lui aie rendu ce bon office : Mais je vous déclare que je ne saurais consentir qu'il soit ici persécuté sans Défenseur, et que je veux être le sien. CÉLANTE. Si Lidamon demeure de notre côté, vous n'aurez qu'à vous bien tenir. LIDAMON. Doutez-vous, Célante, que je ne m'attache au bon Parti ? Et Palamède pourrait-il s'imaginer que je voulusse, avec lui, protéger un ennemi public, contre les plus aimables Chrétiennes du Monde ? PALAMÈDE. J'avais sujet d'appréhender un mauvais succès, si je fusse demeuré seul contre trois si puissants adversaires : mais ma bonne Fortune m'envoie à propos, le brave Chrysolite, pour me servir de second. Je suis assuré qu'il est pour Zoïle, et qu'il ne manque pas de ce qu'on appelle esprit, pour le défendre d'importance. BÉLISE. Hé bien ! Avec ce second tout spirituel et zélé qu'il est pour Zoïle, vous ne laisserez pas de perdre la cause que vous défendiez, et je vous en assure devant Chrysolite. Parlant à part à Célante. Nous allons voir si nos amants n'auront rien contracté de l'hérésie de L'École des maris, et de celle des Femmes : et ce que nous devons espérer de leur conduite dans notre ménage ? SCÈNE V. Lidamon, Palamède, Chrysolite, Célante, Bélise. CHRYSOLITE. De quoi, donc, l'aimable Bélise vous assure-t-elle devant moi ? PALAMÈDE. De votre défaite et de la mienne. CHRYSOLITE. En quelle rencontre devons-nous essuyer cette disgrâce ? Et par quel malheur faut-il que nous en soyons assurés par la bouche de... BÉLISE. Dauber : Fig. et familièrement, railler quelqu'un, mal parler de lui, l'injurier.Trêve de galanterie, tous vos beaux discours ne seront point capables de nous radoucir tant soit peu : nous sommes en résolution de dauber Zoïle, Palamède a dessein de le défendre avec vous, et je lui prédis votre défaite et notre victoire. LIDAMON. Voilà, Chrysolite, la guerre déclarée ; et je me range du côté de ces Belles, contre vous. CHRYSOLITE. Je trouve la partie assez inégale : mais nous sommes prêts à soutenir l'assaut, et à nous défendre le mieux qu'il nous sera possible. De quoi, Mesdames, accusez-vous le malheureux Élomire, qu'il vous plaît de baptiser ainsi du nom de Zoïle ? BÉLISE. Célante l'accuse de détruire la belle comédie. CÉLANTE. Oui, je l'en accuse, et je ne lui pardonnerai jamais cet attentat. CHRYSOLITE. Dites-moi, Célante, ce que vous appelez la belle comédie ? CÉLANTE. [Note : Le Menteur est une comédie de Pierre Corneille.]Vous ne prétendez pas que je vous parle en maîtresse passée de ces ouvrages de théâtre. Je ne suis pas de ces savantes qui composent, je pourrais ajouter avec un peu d'aide qui leur nuit quelquefois, plus qu'il ne leur fait de bien. Je vous dis, donc, que j'entends par la belle Comédie, ces Pièces qui sont des Tableaux des Passions, galamment touchés, où l'on remarque de beaux sentiments, où l'on voit des moralités judicieusement répandues, où paraissent ces brillants d'esprits qui charment, où, enfin, l'on trouve de quoi s'instruire, et se divertir agréablement. Je mets en ce rang les Chefs-d'oeuvre du grand Ariste, dont je ne prends que Le Menteur pour l'opposer à tout le misérable comique de Zoïle ; Tels sont Les Visionnaires de Polydamas, le Don Bertrand, Le Feint Astrologue, et quelques autres comédies du spirituel Isole ; et pour me servir d'un exemple plus frais, tels sont Les Amours d'Ovide, du doux Bergile, où l'on voit tant de brillant et de délicatesse. CHRYSOLITE. Célante, au moins, prenez garde que vous parlez là d'une pièce qui n'est ni comédie, ni tragédie, ni tragi-comédie, et qui d'ailleurs se joue par ressorts et par machines. CÉLANTE. Nous n'avons pas besoin de cet avertissement, Chrysolite ; je sais bien que vous voulez dire que cette Pièce est d'un genre douteux ; mais si je l'appelle la comédie héroïque, je crois lui avoir trouvé son nom, et la pouvoir mettre au rang des comédies. Pour le surplus, je n'ignore pas que ceux qui n'ont que des yeux, donnent dans les machines, comme dans le panneau : aussi je prétends que vous nous sépariez de ces gens qui n'ont que des yeux. Je laisse les machines à part, et même les Décorations et les habits, que je ne considère que comme la petite Oie : et je m'attache au sujet passablement bien traité, et je dis que c'est ce que j'estime la belle comédie. LIDAMON. C'est assez bien attaqué. BÉLISE. Je vois déjà des gens bien camus. PALAMÈDE. Hé Bélise, ne chantez pas encore, la victoire. Chrysolite va répondre comme il faut, et je m'en fie bien à lui. CHRYSOLITE. [Note : Elomire est l'anagramme de Molière.]Moi, je n'ai point de raisons défensives, si l'on peut nier un fait dont il s'agit. Je dis que L'École des maris, L'École des femmes, et les autres ouvrages d'Élomire, ne sont autre chose qu'un tissu de ces moralités, de ces brillants d'esprit, et de ce qui instruit et divertit en même temps : et je renvoie à ces écoles ceux qui me voudront soutenir qu'Élomire ruine la belle Comédie. PALAMÈDE. Ce n'est pas assez, Chrysolite, il leur faudrait montrer ce que vous dites, autrement je désespère qu'ils demeurent d'accord de votre proposition : et je crains qu'ils ne nous mettent au rang de ceux qui disent la raison, c'est la raison, quand ils veulent substituer leur caprice en sa place. CHRYSOLITE. Il y a des choses si claires, qu'elles se font connaître par elles-mêmes, de manière qu'elles n'ont pas besoin que les raisons viennent à leur secours : et lorsque le soleil paraît sur l'horizon, il se fait connaître à tout le monde, excepté aux aveugles. CÉLANTE. La comparaison est brillante ; mais nous ne sommes point de ces aveugles, Chrysolite : et pourvu que vous nous puissiez montrer quelque chose de ce que vous avez dit, dans L'École des femmes, à laquelle je m'attache particulièrement, nous ne vous demanderons point de preuves : mais vous ne sauriez montrer ce qui ne se peut trouver et vous auriez besoin que nous l'y crûssions par foi. LIDAMON. Célante a raison, et pour vous dire mes sentiments de cette école, je vous dis franchement qu'elle n'a rien du tout de la belle comédie, et je vous le prouve démonstrativement. L'Amour qui fait tout l'agrément du beau comique, n'est-il pas fort bien manié dans cette pièce, où l'on voit un homme qui ne se proposant en Brutal, que d'avoir pour femme, un corps sans esprit, fait nourrir Agnès comme une oie, par deux paysans ? Ne lui parle jamais que de filer ou de coudre, la tient enfermée comme une Esclave, et prend à tâche d'en faire une belle Stupide ? N'est-ce pas un agréable spectacle d'Amour, que de la lui voir toujours traiter en Jaloux et en Tyran, et même dans la Catastrophe, la menacer de coups de poings, à la Crochetoralle ? N'est-ce pas aussi une jolie Moralité, de ne parler jamais que de la disgrâce des Maris, en termes qui font soulever la Pudeur sur les fronts les plus assurés ? Ne sont-ce pas de beaux sentiments que tout ce qu'il dit avec Agnès, et les deux Paysans, à qui il faut par nécessité qu'il s'explique naïvement pour s'en faire entendre : et tout ce que lui répondent, aussi, ces trois personnes, dont la grossière ignorance ne peut leur permettre de rien dire de raisonnable ? N'est-ce pas quelque chose de bien surprenant que la scène d'Alain, et de Georgette, lorsque ce brutal amant retourne de la campagne ? Et n'est-ce pas croire que nous aimons bien les fadaises pour nous en donner de pareilles ? Ne sont-ce pas de grands Brillants d'esprit, que mille petits Rébus semés çà et là, entre lesquels est l'équivoque du « Le », qui force le sexe à perdre contenance, et le réduit à ne savoir qui lui est le plus séant de rire, ou de rougir ? Toutes ces choses qui font miracle sur le Théâtre, ne paraissent-elles pas bien sur le Papier ? Enfin, n'est-ce pas une noble instruction, que celle qu'on y donne, pour gâter l'Image de Dieu, par l'ignorance, et par la stupidité ? J'aurais encore à remarquer que cette école est pleine d'impiété dans les maximes qu'on destine à l'instruction d'Agnès, et dans le prône qu'on lui fait ; où par une autre faute des plus grossières, on relève tellement le style et les conceptions, qu'il n'y a plus rien de proportionné à la simplicité de l'Écolière, à qui l'on parle en Théologien. Je pourrais ajouter que cette école est non seulement contre toutes les règles du dramatique, mais contre celles du comique : le Héros y montrant presque toujours, un amour qui passe jusqu'à la fureur, et le porte à demander à Agnès, si elle veut qu'il se tue, ce qui n'est propre que dans la Tragédie, à laquelle on réserve les plaintes, les pleurs, et les gémissements. Ainsi, au lieu que la Comédie doit finir par quelque chose de gai, celle-ci finit par le désespoir d'un amant qui se retire avec un « Ouf ! » par lequel il tâche d'exhaler la douleur qui l'étouffe : de manière qu'on ne sait si l'on doit rire ou pleurer dans une pièce, où il semble qu'on veuille aussitôt exciter la pitié que le plaisir. Je remarquerais avec beaucoup de justice, qu'il n'y a presque point du tout d'action, qui est le caractère de la comédie, et qui la discerne d'avec les Poèmes de récit : et que Zoïle renouvelle la coutume des anciens comédiens, dont les représentations ne consistaient qu'en perspectives, en grimaces, et en gestes. Je passe sous silence, que ce n'est qu'un mélange des larcins que l'Auteur a fait de tous côtés, jusqu'à son « Prêchez et patrocinez jusqu'à la Pentecôte », qu'il a pris dans le Rabelais ainsi que dans Don Quichotte, le modèle des préceptes d'Agnès, qui ne sont qu'une imitation de ceux que ce Chevalier errant donne à son Écuyer, lorsqu'il va prendre le Gouvernement d'une Île : De manière qu'on ne peut pas dire que Zoïle soit une Source vive, mais seulement un bassin qui reçoit ses eaux d'ailleurs, pour ne point le traiter plus mal, en le comprenant dans la comparaison que quelques-uns ont faite des compileurs de passages, à des ânes, seulement capables de porter de grands fardeaux. Je tais encore que son jeu et ses habits ne sont non plus, que des imitations de divers comiques : lesquels le laisseraient aussi nu que la Corneille d'Horace, s'ils lui redemandaient chacun, ce qu'il leur a pris. Je ne veux rien dire des vers dont la plupart n'ont guère plus de cadence ni d'harmonie, que ceux des airs du Pont-Neuf, n'étant qu'une prose rampante mal rimée en divers endroits. Mais je suis trop attaché à l'intérêt des dames, pour ne pas soutenir que cette École est une satire effroyablement affilée contre toutes, qui mériterait tant soit peu l'époussette, si l'on était moins débonnaire en France : et que les maximes qu'il y prêche à son Agnès sont des leçons horribles qu'il fait à tous les maris, pour réduire le beau Sexe à la dernière des servitudes. CÉLANTE. Ô que Lidamon en juge bien. BÉLISE. Ô que son sentiment me plaît. CHRYSOLITE. Voilà une étrange et cruelle Critique que vous faites de L'École des femmes, puisqu'elle ne lui laisse pas le moindre agrément : vous faites bien voir que vous êtes de ces Français, qui trouvent à redire à toutes choses : et je ne sais si vous n'auriez point la maladie d'un que je connais, qui censure même les Ouvrages de la Nature, et qui soutient qu'elle nous devait mettre le gras des jambes au devant, et non pas derrière. Mais quelques yeux de lynx que vous ayez sur les Ouvrages, je m'assure que si vous vouliez faire une plus juste perspective des choses, et les mettre dans un autre point de vue, vous n'y trouveriez pas tant de défauts. Est-ce une obligation de choisir seulement de belles passions pour la Comédie ; et puisqu'elle n'est que la représentation d'une action, suffit-il pas que cette action, telle qu'elle puisse être, y soit bien représentée ? Élomire s'étant donc proposé un caractère d'Amour particulier, tel qu'il est dans L'École des femmes, qui dira qu'il n'y ait pas réussi ? Qui soutiendra qu'il n'ait pas donné tous les traits nécessaires au Tableau d'un homme qui se précautionne soigneusement contre l'Aventure d'Actéon ? J'en dis autant du personnage d'Agnès, et des deux paysans. Qui se hasardera de soutenir qu'il n'a pas représenté parfaitement une fille élevée dans l'ignorance, et des Rustres, qui manquent du sens commun ? Ce qui se dit en plusieurs endroits, de la disgrâce des maris, vous choque, cette moralité, dites-vous, fait soulever la Pudeur sur les fronts les plus assurés. Mais c'est un tableau au naturel, de ce qui se passe, et auquel il pourrait ajouter la plus étrange complaisance qu'on puisse imaginer de ces maris appelés bons. Ne serez-vous pas surpris qu'un homme en ait assez pour lire à l'instance que lui en fait sa femme, un billet doux qui s'adresse à elle, et devant un autre de ces Galants ? C'est ce qui se passa naguère, chez une Dame, et que je n'aurais jamais cru, si je n'en avais été le témoin : mais poursuivons. Vous méprisez la Scène d'Alain et de Georgette, l'équivoque du Le, et les autres agréments que vous nommez de petits rébus, et vous dites que le succès que ces bagatelles ont sur le théatre, ne paraît point sur le papier. Je vous prie de me faire voir que les plus beaux Vers aient le même effet sur le papier que sur la scène. Celui-ci : « Je vis là Ptolomée, et n'y vis point de Roi », ce vers qui est un des plus beaux du grand Pompée, a-t-il le même brillant, lorsqu'on le lit, que lorsqu'il sort de la bouche de l'incomparable Montfleury ? Cet hémistiche, « Hélas ! Tient-il à moi ? » qui a produit un si bel effet sur le théâtre, dans Le Faux Tibérinus, sortant de la bouche de la merveilleuse Des Oeillets, a-t-il quelque chose qui en approche sur le papier ? Ne sait-on pas que toutes ces beautés s'évanouissent hors du jeu qui leur donne la vie ? Sans cela il ne serait pas nécessaire d'aller au théâtre, pour avoir tout le plaisir de la Comédie ; il n'y aurait qu'à lire les dramatiques, et les comédiens n'auraient qu'à chercher un autre emploi. Je suis étonné comment l'on peut faire des remarques si peu solides et qu'il y ait des gens qui se soient donnés la peine de les faire éclater même sur la scène : et je leur demanderais volontiers, si ce qu'ils ont fait sur ce sujet, aura un grand relief sur le papier ? Je leur demanderais pareillement, si ce qu'ils appellent Le Portrait du peintre, est un tableau fort ressemblant ? Et si un tas de « Morbleu », et quelques autres mots n'établissent pas bien la ressemblance ? Mais laissez faire, Élomire ajustera ces faiseurs de portraits du peintre, et il ne manquera point du tout de couleurs pour les représenter avec un peu plus de rapport, et faire l'un des plus beaux morceaux de Peinture qui se soient jamais vus. Il a sur ce sujet, des imaginations que je n'ai pu apprendre, sans en crever de rire par avance : et quand vous seriez un Caton, vous ne pourriez pas non plus vous en empêcher. Mais il y a d'autres objections, dont l'une touche l'équivoque du « Le »... CÉLANTE. Passez sur celle-là, nous vous dispensons d'y répliquer. CHRYSOLITE. Je viens, donc, à celles qu'on fait sur l'instruction de cette École, qui n'a pour but, dit-on, que d'abrutir une femme, et de gâter l'image de Dieu, par l'ignorance. Vous avez aussi mal fait votre observation sur cet endroit, qu'en tous les autres ; car vous auriez reconnu qu'on veut seulement qu'elle ignore les Maximes pernicieuses du monde, qui corrompent la meilleure bonté de moeurs, et qu'en même temps, on lui enseigne celles que doit observer une Femme sage et vertueuse. Mais ces Maximes-là sont impies, ainsi que le prône que l'on fait à Agnès. Qui s'avisa jamais de dire que des Enseignements que l'on donne, et des exhortations que l'on fait à quelqu'un, touchant le mal qu'il doit éviter, et le bien qu'il doit faire, fussent impies ? Pour moi, je ne ferais point difficulté d'envoyer ma femme à un pareil Sermon, et de le lui mettre entre les mains pour s'instruire : et je ne voudrais pas lui choisir rien de meilleur pour sa direction, étant assuré que pourvu qu'elle s'imprimât bien dans l'esprit, ces Maximes, elle vivrait en honnête Femme, et non en Coquette. CÉLANTE et BÉLISE, se regardant, disent à part. Ô Dieux qu'entendons-nous ! CHRYSOLITE, continue. On ajoute que l'on prend aussi un ton si haut dans ces maximes, et dans ce Sermon, qu'Agnès n'y saurait rien comprendre : mais c'est donc une faute de laquelle il faut accuser tous les prédicateurs de village, qui traitent les plus haut points de théologie devant les paysans. Passons outre, cette école est contre les règles du théâtre, et choque entièrement celles du comique. Vous me faites rire avec vos règles : si je voulais parcourir tous nos dramatiques, je vous en ferais bien voir de plus défectueux ; mais que je n'estime pas moins pour cela. Je voudrais bien savoir à quoi servent des règles qui ne sont connues que de ceux qui ont lu Aristote, et qui ne contribuent point au plaisir que tout un peuple attend de la comédie : puisqu'on voit que toutes les pièces les plus régulières, sont celles qui en produisent bien souvent le moins. Aussi ai-je à vous dire que notre Aristote a pu se tromper dans ses Observations : et qu'on peut être aussi hardi qu'un auteur espagnol qui s'en est moqué. Il y a des fautes monstrueuses, qu'il faut éviter, comme celles qu'il a remarquées dans les poètes grecs, et qui sont passées jusques à nos premiers dramatiques français : mais hors cela, il y a quantité de choses que l'on peut décliner, ou ajouter, selon qu'elles sont plus ou moins capables de produire un bon succès : ce qui s'appelle raffiner les Arts, où l'on ne doit pas toujours être esclave des Règles de ceux qui les ont inventées. Je ne m'attache donc point à la justification d'Élomire, sur ces contraventions aux Règles, si ce n'est à l'égard de celles du genre Comique. Il ne porte point l'Amour jusques à la fureur, et ne fait point finir sa pièce de la même façon qu'une tragédie. L'amant y témoigne seulement une grande passion pour Agnès : et quand il lui demande si elle veut qu'il se tue, on voit bien qu'il n'a pas dessein de se tuer, mais de lui faire voir combien il a de tendresse pour elle : et l'auteur fait dans cette scène, un portrait admirable de ce qui se passe tous les jours. Pour le « Ouf », qui fait la Catastrophe, peut-on dire qu'il soit contre le caractère de la Comédie, et que les règles en soient sévères, jusqu'à en exclure un soupir ? Que diriez-vous, donc, de l'Amphitryon de Plaute, où Ménechme paraît véritablement furieux ? Et d'une autre de ses Comédies, où Alesimachus se met tout de bon en devoir de se tuer ? Je ne dois pas oublier que vous avez avancé, que L'École des femmes est toute sans action, et de vous répondre que je ne sais pas où vous en voulez trouver davantage ? Toutes les agitations d'esprit en Arnolphe, et tant de précautions, dont il s'avise pour détourner les coups de la Destinée, n'étant autre chose que des actions et des mouvements. Venons à ce que vous dites des larcins qui se remarquent dans L'École des femmes, et des vers, que vous ravalez si fort : C'est bien montrer qu'on se plaît à critiquer, soit qu'il y ait raison, ou non. Dans quels Poèmes mêmes des plus beaux ne vous ferai-je point voir quantité de très méchants vers, et un nombre infini de larcins, si la plupart ne sont que des Imitations, et des traductions ? Et quant à ce vers : « Prêcher patrociner, jusqu'à la Pentecôte ». Vous savez bien que c'est une réponse de panurge à Pantagruel, qu'il a mise exprès dans la bouche d'Arnolphe, à cause qu'elle, venait à propos. C'est, dites-vous aussi, une satire contre le sexe. Ce peut être une satire, mais elle ne tombe point sur le particulier, c'est-à-dire qu'elle ne désigne qui que ce soit : et que c'est comme une glace exposée, où chacun reconnaît lui seul ce qu'il est, sans qu'il soit connu de personne. Vous auriez, donc, eu beau sujet de vous plaindre de l'ancienne comédie, où l'on ne se contentait pas de désigner les personnes par leurs actions : les Comédiens se servant encore d'habits semblables aux leurs, pour les mieux faire remarquer. Enfin, vous vous soulevez contre les maximes prescrites à Agnès, pour ce que ce sont, dites-vous, des leçons qu'Élomire fait à tous les maris, afin qu'ils réduisent leurs femmes à la dernière des servitudes. Il y a bien de l'apparence, que les maris aillent apprendre sur le Théâtre, à gouverner leurs femmes, ni que celles-ci souffrent qu'on les gouverne en Agnès. Critique, donc, déraisonnable ! Critique, donc, injuste ! Critique, donc, à me faire rire ; et à laquelle j'ai eu tort de m'arrêter. Je n'avais qu'à vous renvoyer à celle que l'auteur a lui-même faite de sa pièce, qui pouvait servir de verte réplique, ou bien à l'approbation que tout Paris lui donne depuis six mois : hommes et femmes ne se pouvant lasser d'aller à cette Spirituelle école, et les dernières que vous y croyez si outragées, quoique je n'aie encore appris leurs plaintes que par votre bouche, en ayant même l'imprimé entre les mains pour le lire dans le temps qu'elles l'écoutent, sans doute, afin de s'en rendre le plaisir plus sensible, et peut-être, pour s'en mieux imprimer dans l'esprit, les utiles Leçons. PALAMÈDE. Voilà répondre, ma foi, cela s'appelle répondre, et repousser comme il faut la contrescarpe : Et je ne pense pas que vous ayez après cela le mot à dire, ni pour rire, ni que vous nous puissiez disputer la victoire que vous vous étiez promise. CÉLANTE. Vous l'auriez pour vous, à trop bon marché Palamède, elle ne vous coûterait que la peine d'avoir bien écouté Chrysolite : qui, certainement, la mériterait mieux, si elle était due à un grand discours, plutôt qu'aux bonnes raisons. Mais je pense que lui-même ne prétend rien à la victoire ; et la plaisante conclusion de son plaidoyer nous témoigne qu'il a lui-même dessein de le tourner en ridicule, avec l'ouvrage qu'il a fait semblant de défendre. BÉLISE. En effet, il est plaisant de dire qu'il nous devait renvoyer à la critique, que l'auteur a faite de sa pièce, que chacun appelle son apologie. En quoi il s'est lourdement trompé : car les judicieux disent que le fin du jeu était qu'il ne s'épargnât point dans cette critique : qu'il y remarquât jusqu'aux moindres fautes, avec la dernière sévérité : et qu'il fît voir ainsi qu'il n'avait pas péché par ignorance, mais expressément, et dans la vue que son Poème plairait beaucoup plus avec ces défectuosités, que s'il eût été selon toutes les règles. De cette façon, il aurait pu se louer à la fin de sa Critique, d'avoir réussi comme il se l'était proposé, et fermer la bouche à tous ceux à qui son ignorance apparente la fait ouvrir, pour lui montrer ce qu'il n'a pas remarqué. CÉLANTE. [Note : Rapoteux : Qui présente des noeuds, des inégalités, en parlant du bois. Une planche raboteuse. [L]]Je vous prie, examinons-là un peu sa Critique, et vous verrez qu'il s'y est seulement chatouillé pour se faire rire. C'est la plus plaisante chose du monde ; la glace s'est trouvée si unie, que la mouche de la Critique n'y a pu trouver que sept ou huit endroits raboteux où elle ait pu s'attacher ; à savoir les « Enfants par l'oreille », la « Tarte à la Crème », le « Potage », le « Le », le « Sobriquet d'animaux donné aux femmes », la « Scène du valet et de la Servante au dedans du logis », l' « Argent donné à Horace par Alphonse », le « Sermon », et les « Maximes », et la « Manière en laquelle le même Arnolphe explique son Amour à Agnès dans le cinquième Acte ». LIDAMON. Dites plus, Célante, que s'il a fait attaquer assez négligemment ces endroits, il les a aussi fort bien fait défendre : de manière qu'on peut dire qu'il n'y est demeuré d'accord d'aucune erreur, et qu'il fait confesser avec tout le Monde, que c'est une véritable apologie. BÉLISE. Mais apologie de la nature de sa comédie des Précieuses Ridicules, et de ses deux écoles : car il y continue ses satires, principalement contre les Courtisans, et contre ceux qui condamnent cette dernière pièce de L'École des femmes. Comme nous l'avons remarqué dès le commencement de notre conversation, il y ressuscite le jargon précieux, qu'il met en la bouche de tous ses personnages : et avec sept ou huit méchantes Remarques sur son école, qu'il a fait tourner à son avantage, il vous a encore composé une comédie à peu de frais, ou plutôt une farce de plaisanteries, qui ne sont pas supportables, dont il a, néanmoins, tiré le même profit, tant il est heureux, et tant nous sommes fols, que de la meilleure pièce du monde. Mais Le Portrait du peintre, que Chrysolite trouve si peu ressemblant, nous apprend bien mieux les bévues de son École des femmes, que sa Critique ; et chacun a trouvé cette Peinture si juste qu'il est demeuré d'accord que son Auteur avait un Pinceau et des Couleurs à représenter parfaitement bien les choses. Zoïle a été lui-même témoin, non pas sans quelque chagrin, des applaudissements universels qu'on a donnés à ce spirituel Tableau : et je crois qu'à présent, il a bien changé le dessein qu'il pouvait avoir de riposte, et qu'il s'en tiendra à cette première bernerie, pour en éviter une autre plus fâcheuse. Revenons à Chrysolite, qui nous renvoie encore à l'approbation que tout Paris donne à Élomire. Ne sait-on pas que le nombre des ignorants est infini ; et d'ailleurs que le vulgaire reçoit les sottises qu'on lui présente, plutôt que les bonnes choses ; mais que c'est moins sa faute, qu'à ceux qui l'y accoutument. Nous pouvons sur ce sujet, pour nous égayer, renvoyer Zoïle au Colloque du Sage Don Quichotte de la Manche, avec un chanoine, où celui-ci remarquait qu'il était bien vrai que la plupart des Comédies d'alors, quoique composées de fadaises, plaisaient au peuple ; mais que les auteurs s'excusaient mal à propos de les composer de cette sorte, sur ce que les plus régulières n'en contentaient que trois ou quatre qui entendaient l'Art, et qu'il valait mieux gagner du pain avec la multitude, qu'acquérir l'applaudissement de peu de personnes, d'autant qu'il leur opposait qu'on avait représenté les Savants et les Idiots, et fait gagner plus d'argent aux Comédiens, que trente des meilleurs qui eussent ensuite paru : d'où il concluait ce que j'ai dit, que si le Vulgaire se plaisait aux sottises, il en fallait blâmer les Auteurs qui les donnaient. Aussi le sage Don Quixot, ou l'auteur qui le fait parler, ajoutait judicieusement que c'était un mauvais faux-fuyant d'alléguer pour l'excuse des poèmes irréguliers, que l'invention des Républiques étant d'amuser le Peuple par la comédie, et de le détourner des vices où l'oisiveté le pourrait entraîner, il n'importait pas qu'elle fût selon les maximes des Savants, pour ce, disait ce Sage fol, que l'on parviendrait encore mieux au but des Républiques, par de bonnes comédies, que par de mauvaises. Ainsi, il blâmait beaucoup les auteurs de ces dernières, et mêmes les Comédiens qui les engageaient à les composer de cette façon, pour ce qu'autrement ils ne les auraient pas achetées : ce qui était cause qu'un bel esprit de son temps, avait mis au jour, divers ouvrages imparfaits. Il concluait aussi, qu'on devait choisir à la Cour, des hommes intelligents, pour examiner tous les Dramatiques, avant qu'ils parussent en Public : et c'est peut-être sur l'avis de cet Oracle, que notre Abbé D... s'était offert de prendre la surintendance de nos Théâtre, mais qu'il aurait fort mal méritée, comme il nous l'a montré par sa peu judicieuse Critique des beaux Ouvrages du grand Ariste. Chrysolite ajoute malicieusement, que les femmes témoignent être fort contentes des leçons qu'on leur donne, sur une supposition qu'il fait, qu'elles ne se sont point encore plaintes, et qu'elles lisent cette maudite école, en même temps qu'elle se joue, pour en avoir un double plaisir. Ignore-t-il que parmi ces Femmes, il y en a assurément grand nombre d'innocentes qui ont raison de n'éclater pas en une chose qui ne les regarde point : que celles-là par une petite malice de la Nature, prennent au contraire plaisir de voir railler les autres : et que celles-ci méditant dans leurs coeurs, des projets de vengeance, font par discrétion aussi bonne mine, que ces Innocentes, pour l'avantage qu'elles se trouvent à se confondre avec elles ? Par cette raison, les courtisans qui se voient dépeints dans ses satires, n'en disent mot, ou même en rient, pour ne pas faire paraître qu'ils croient que ce soit leur tableau : et les autres qui n'y ont point de part, y trouvant le plaisir de voir dauber leurs compagnons, en rient le plus qu'il leur est possible : et voilà même, comment L'École des femmes est en apparence universellement approuvée, quoiqu'en effet elle ne le soit peut-être de personne. LIDAMON. Non, non, Bélise, nous nous trompons tous, la Critique que Zoïle a faite de sa pièce, et l'approbation de tout Paris, nous doivent convaincre : j'ajoute que nous allons voir tout le sexe réformé par L'École des femmes. Oui, j'entre dans les sentiments de Chrysolite, il a pénétré le secret. Les Femmes ne lisent et n'écoutent si attentivement l'instruction de cette École, que pour en profiter. Ô que les Hommes doivent savoir bon gré à Zoïle, de ces Leçons qui produiront la réformation de leurs Femmes. Ô que Zoïle a mérité de louange de sa Patrie, et plus encore que vous ne pensez : car il a augmenté les divertissements de Paris, par cette troupe de comédiens, dont il est le Chef, qui est la meilleure du Monde, et donné en même temps, ce bel Ouvrage de L'École des femmes, et l'autre moitié de lui-même au public, qui sont des bienfaits qui ne peuvent jamais se reconnaître. CHRYSOLITE. Vous raillerez tant qu'il vous plaira, mais au fond, Élomire est un admirable Esprit. PALAMÈDE. Un admirable esprit, oui, oui, sans doute : et vous avez oublié quantité de belles choses qui eussent encore relevé sa louange. Vous deviez remarquer que l'on l'appelle partout un Gâte-métier, à cause que tous les autres de sa Profession, ne font plus rien depuis qu'il s'est avisé de représenter les actions humaines. LIDAMON. On ne peut nier qu'il ne soit un admirable esprit, et qu'il ne soit aussi plus heureux que sage. Jusques ici, la Satire n'avait rien valu que du bois : et il a trouvé le Secret d'en faire la Pierre Philosophale, et d'en tirer de bon argent. Il a trouvé le secret de rendre agréable en public, ce qui ne se pouvait souffrir en particulier : et chacun rit, ou fait semblant de rire de se voir jouer par lui, sur le théâtre. CÉLANTE. Il est vrai que cela ne saurait être assez admiré, et qu'il faut avouer qu'il a esprit et bonheur. CHRYSOLITE. Avez-vous vu le Remerciement qu'il a fait sur sa pension de bel esprit ? Rien n'a été trouvé si galant, ni si joli. C'est un portrait de la Cour, trait pour trait : on y voit la Cour, comme si l'on y était, les habits, la façon d'agir des courtisans, enfin tout vous y paraît, jusques au ton de voix. BÉLISE. Ha, ha, ha, l'excellent peintre, il tire l'échelle après lui. CÉLANTE. Certainement, il faut être bon peintre, pour représenter aussi la voix. PALAMÈDE. J'ai vu ce remerciement, en vérité, il est tout brillant d'esprit : et ça a été le plus beau de tous ceux qui se sont faits, dont la plupart ne valent pas grand'chose. Quelques-uns de ces rendeurs de grâces se sont guindés sur des sentiments si sublimes, qu'ils ont été je ne sais combien de coudées plus haut que la Montagne à double Croupe, si bien qu'on les a perdus de vue. D'autres se sont tellement abaissés, qu'il faut croire pour ne les pas traiter plus mal, qu'ils ont cru remercier le Roi avec plus d'humilité. D'autres, enfin, se sont tellement embarrassés dans leurs vastes imaginations, qu'ils en ont fait un labyrinthe, d'où ils n'ont pu sortir. BÉLISE. Je trouve qu'il n'y a que ceux qui ont fait quelque chose pour demander qui aient réussi : et rien n'est à mon goût si joli, que le Caprice de Somposie. LIDAMON. [Note : Salgimondis : Fig. et familièrement, se dit de choses qui n'ont ni liaison ni suite, de personnes réunies au hasard. [L]]Nous ne sommes pas ici, pour blâmer, ou louer ce qu'ont fait les autres poètes, mais seulement pour rendre justice à Zoïle. Pour revenir à son remerciement, il est vrai qu'on en a la dernière estime à la Cour : et je crois que c'est à cause qu'il tient beaucoup du Tableau qu'il a fait de la mode, et des actions des courtisans tant dans ses Précieuses, que dans son École des maris, et dans sa Critique de celle des Femmes ; car c'est un salmigondis de toutes ces pièces. Étant allé au Louvre, quelques jours après, je fus tout surpris de n'y entendre parler que d'une pièce qui était le miracle de la poésie, l'étonnement des beaux esprits du Siècle, et qui était tellement au dessus des forces, et de l'adresse du Génie de tous les autres, qu'il faudrait du moins trois cents ans à la Nature, qui est la mère des Poètes, pour en produire encore un qui fut capable d'un pareil chef-d'oeuvre. L'un me venait tirer par le manteau, l'autre par le bras droit, l'autre par le gauche ; l'un par derrière, l'autre par devant, pour me demander si j'avais vu la plus belle pièce qui se fût vue, le Remerciement d'Élomire : de manière que je ne me vis jamais plus empêché, et que j'eusse voulu de bon coeur, qu'on ne m'eût pas alors connu pour me mêler tant soit peu de vers et de prose, me voyant par là, au hasard de ne m'en pas retourner avec mon habit entier. PALAMÈDE. C'est ce qui me déplaît de ses Ouvrages, qu'ils font ainsi chiffonner et délabrer les habits : car on ne saurait encore aller à son École et à sa Critique, qu'on ne trouve au retour, beaucoup de choses à dire à sa propreté, ou au compte de ses rubans, et même que l'on n'ait quelque morceau moins, de son étoffe. CÉLANTE. Ô vous avez tiré cela de sa Critique, où il l'a remarqué par une vanité insupportable, pour faire voir avec quelle ardeur on court à ses pièces, et pour railler aussi les fols qui vont à la presse. BÉLISE. Hé ! Laissez poursuivre Lidamon. LIDAMON. Il fallut voir cette belle pièce, en admirer chaque vers, chaque terme, chaque virgule, chaque point, tant tout en paraissait mystérieux ; et enfin, me sentir étourdir les oreilles par un : « Ô voilà qui est beau ! Qui est admirable ! Qui est incomparable ! » Qui sortait des bouches d'une Tourbe d'habiles gens qui m'environnaient. Mais vous savez que les plus éclairés des esprits, des gens, qui sont les Soleils du Monde Lettré, ont décidé que ce remerciement était une très belle pièce, et c'est tout dire. CÉLANTE. Si c'est tout dire, car aussi bien, nous avons été assez sur une même matière, il faut voir ce que nous avons à faire pour achever la journée. À part, à Bélise.Mais je sais que vous désirez aussi parler contre notre Ennemi. BÉLISE. Tout beau, je me suis réservé une attaque. PALAMÈDE. Ô la mauvaise ! C'est elle qui vous a ramené sur la friperie du pauvre Élomire, lorsque vous n'y pensiez plus. Il faut avouer qu'elle lui en veut terriblement : Hé bien ! Qu'elle nous fasse voir ce qu'elle a sur le coeur. CÉLANTE. Vite, Bélise, je meurs d'impatience de savoir ce qui vous touche. BÉLISE. C'est l'intérêt commun du sexe : pouvons-nous souffrir qu'il insulte la Mode et le Luxe, comme il fait dans son École des maris ? S'il en était cru, les Hommes se rengaineraient dans leurs étuis du bon temps : ils reprendraient les grands pourpoints et les grègues étroites qui se liaient sur le genou : ils rétabliraient la Rotonde, et le petit Collet, pour représenter les vieux siècles : ils paraîtraient dans une stérilité universelle d'ajustements : et perdraient ainsi tout cet air galant qui nous les rend supportables. CÉLANTE. L'enjouée ! Je ne m'attendais pas à cette cascade : et je crois, Messieurs, que vous ne vous y attendiez pas non plus. PALAMÈDE. Elle nous donne notre fait en passant. LIDAMON. Elle nous avertit que nous ne plairions guère à son sexe, sans la mode, et que nous lui sommes ainsi obligés de la bonté qu'elles ont de nous souffrir. CÉLANTE. Vous lui pouvez dire que la chose serait réciproque. BÉLISE. Je ne prétends pas nous exempter du ridicule où nous tomberions aussi, par la chute de la mode : et je n'estime pas que la Nature fût assez puissante, pour nous faire valoir toute seule, ce que nous valons avec la mode. Il n'en faut point faire la petite bouche, la Mode nous communique beaucoup de grâces que l'autre ne nous donne point : et plusieurs de nos Compagnes enlèvent bien des coeurs par leurs ajustements, qui demeureraient éternellement en leur place, s'il n'y avait que les seuls agréments de la Nature. Mais il faut encore que cette mode soit soutenue par le Luxe : il ne lui est pas moins avantageux, qu'elle nous est avantageuse : et pour dire le vrai, elle en tire la plus grande partie de l'éclat qu'elle nous prête, et tout contribue à embellir les deux Sexes. C'est néanmoins, ce beau et cet aimable luxe qu'Élomire attaque encore dans son École des maris : et il ne tiendra pas à lui, qu'ils ne nous dépouillent de tous nos charmes, en nous retranchant les points de Venise, les riches étoffes, et cette prodigieuse, mais agréable quantité de rubans, qui font un si bel effet : qu'en dites-vous ? CÉLANTE. Je dis pour rire à mon tour, aussi bien que vous... BÉLISE. J'ai parlé seulement. CÉLANTE. Hé bien, donc, pour parler à mon tour, aussi sérieusement que vous, je dis que ce retranchement de mode et de luxe, aurait d'étranges suites. Les hommes et les femmes deviendraient d'effroyables créatures : il faudrait prendre congé les uns des autres, et faire bande séparée : il faudrait dire adieu aux Bals, et aux assemblées, où il n'y aurait plus rien d'éclatant que les lustres et les flambeaux : il faudrait faire banqueroute au Cours, où l'on ne verrait plus que des grotesques et des épouvantails de Chenevières : et il faudrait enfin, se cacher à soi-même, et casser toutes nos glaces de Venise, qui ne pourraient plus nous montrer que des Réformés, et des Réformées ; c'est-à-dire des objets forts maussades et fort ridicules. LIDAMON. Voilà le meilleur de tout, par ma foi : et Bélise et Célante sont admirables. PALAMÈDE. Leurs réflexions sont les plus enjouées et les plus spirituelles qu'on puisse imaginer. CHRYSOLITE. C'est souvent la Conversation d'un bel air : mais toujours aux dépens d'Élomire. Je veux le réconcilier avec le Sexe, et qu'il fasse pour cela, une Pièce dont je lui donnerai le dessein. J'imagine déjà d'assez belles choses, sur ce sujet : et le titre sera : Le Triomphe du beau sexe ; que vous en semble ? BÉLISE. Ce Titre est bien flatteur : et vous obligerez tout à fait le beau sexe. UN LAQUAIS, à Lidamon. Lysandre demande s'il peut vous voir. LIDAMON. Dis-lui qu'il le peut, et qu'il n'y a personne ici qui ne soit bien aise de le voir. À la compagnie. C'est un jeune gentilhomme de bonne naissance, qui a de l'esprit infiniment, et qui possède de quoi charmer les dames, car il n'y a guère de femme plus belle, ni mieux faite que lui. PALAMÈDE. Il est Anglais, mais il parle mieux Français que nous : et n'a pas moins l'air de cette Cour, que s'il y avait été nourri. CÉLANTE. Bélise, c'est de lui que l'on nous parlait si avantageusement chez Olympe. CHRYSOLITE. Je ne l'ai point vu ; mais il me fait ressouvenir d'une aventure qui m'est fraîchement arrivée en Angleterre. SCÈNE SIXIÈME. Lidamon, Palamède, Chrysolite, Lysandre, Célante, Bélise. LIDAMON. Le voici. Lysandre, vous êtes le très bienvenu : c'est une parole que je puis vous porter au nom de toute la Compagnie. Ces belles, et ce cavalier ont ouï parler de vous en assez bons termes, et ils pourront à présent, reconnaître qu'on ne vous a point flatté. LYSANDRE. Ces belles Dames, sans doute, et le reste de la Compagnie, savent que Lidamon est le plus civil et le plus obligeant qui soit à la Cour Française : et prendront ainsi, pour un effet de sa civilité, tout le bien qu'il leur a pu dire d'un étranger. CÉLANTE. Ce que nous voyons, et ce que nous entendons, nous convainc que Lidamon n'a rien dit qu'il ne le doive à la vérité : et que pour vous rendre justice, nous devons enchérir sur les bons sentiments qu'il nous a faits concevoir d'un étranger qui peut effacer le gentilhomme le plus accompli de notre Cour. LYSANDRE. Il me faudrait autant d'esprit qu'en a la charmante Personne qui me loue si obligeamment : et de plus, être aussi bien instruit qu'elle, en une langue qui m'est étrangère, pour la remercier d'assez bonne grâce : et comme cela me manque, elle m'épargnera, s'il lui plaît, un mauvais compliment, et me permettra de demander, à cette illustre Compagnie, quel était le sujet de son entretien, s'il se peut communiquer ? LIDAMON. Il vous peut bien être communiqué ; car c'est un sujet public : c'est L'École des femmes, sur laquelle roulait notre conversation. Je ne doute point que depuis que vous êtes ici, vous n'ayez eu la curiosité d'y aller, et que vous ne sachiez ce que c'est. LYSANDRE. J'avais cette curiosité, même en Angleterre : et quand je n'eusse point eu de sujet de venir à Paris, je crois que j'y serais venu exprès, pour voir jouer L'École des femmes, tant elle faisait de bruit en notre pays. CHRYSOLITE. Cette pièce fait du bruit par tout le monde, et c'est encore une preuve de sa bonté : dites-nous Lysandre, en quelle opinion elle est en Angleterre. LYSANDRE. Deux choses empêchent qu'elle n'y soit au goût d'un chacun : l'une que c'est une assez languissante comédie, et que comme vous le savez, il y a longtemps qu'on n'aime chez nous, que la pure tragédie : l'autre, que le maître de cette École, est un maître bourru, qui veut former les maris tout à rebours de ce qu'il sont en Angleterre : de quoi nos dames ne sont nullement contentes. LIDAMON. Vous avez raison. Les Maris y sont tout à fait bons, je le sais par expérience : J'en ai vu ici quelques-uns qui m'ont surpris par cette bonté. Loin d'être jaloux de leurs femmes, ils aiment tous ceux qui les courtisent : et l'on ne saurait leur faire plus grand bien que d'en conter à leurs chères moitiés. Ils sont tellement sensibles à leur plaisir, qu'ils lui sacrifieraient jusques à leur honneur : et pareillement si sensibles à leurs maux, que l'on m'a dit qu'une femme accouchant si loin de son mari, que vous puissiez imaginer, il sent comme elle, toutes les douleurs de l'accouchement, se met au lit, et fait toutes les cérémonies d'une accouchée. Voilà une sympathie de laquelle je n'avais jamais ouï parler. Ces bons hommes sont, donc, semblables à ceux que l'ont tourmente par des figures d'enchantement, dont ils ressentent tous les contrecoups. LYSANDRE. C'est un conte qu'on vous a fait, ou que vous faites vous-mêmes pour rire, Lidamon : mais il est certain qu'il n'y a point d'hommes en toute la Terre, plus complaisants à leurs Femmes, ni qui complaisent davantage à leurs moindres incommodités. CÉLANTE. Ô les honnêtes Gens ! Il serait à souhaiter qu'un anglais fît à son tour, L'École des maris, pour l'opposer à celle de Zoïle : toutes les maximes en pourraient être favorables aux dames françaises. BÉLISE. Rieuse perpétuelle, cela ne leur est aucunement nécessaire, les Dames françaises ne sont point à plaindre : et puisqu'il faut que je le dise, elles ont autant de liberté que les femmes en puissent avoir ailleurs. Il vaudrait mieux faire une pareille École en faveur des espagnoles, et des italiennes, dont les maris sont tellement en défiance, qu'ils les tiennent perpétuellement enfermées. CÉLANTE. Oui, mais vous ne savez pas ce que ces maudites Écoles de Zoïle pourront opérer sur l'esprit des nôtres. Les choses que vous en disiez tantôt en riant, pourraient bien quelque jour, être effectives : et nous savons qu'il y a déjà des hommes qui se prévalent des fausses instructions qu'on leur a données, qui ont changé leur belle humeur en celle des Amants brutaux des deux Écoles de Zoïle, et qui commencent de resserrer leurs Femmes, de leur retrancher les ajustements, et de leur ôter même le papier, et les Tablettes sur quoi elles écrivaient la dépense de leur Maison, de crainte que sous ce prétexte, elles écrivent à quelques Galants. CHRYSOLITE. Cela est de l'invention de Célante. PALAMÈDE. Elle n'oublie rien pour aigrir les esprits contre ce pauvre faiseur de portraits. CÉLANTE. Non, non, ce que je vous dis est une histoire, et non un conte. Je sais deux femmes, et deux des plus femmes de bien qui soient en France, qui faisaient de leurs maris ce qu'elles voulaient, et qui en sont à présent, traitées avec la rigueur que je vous ai dite. LIDAMON. L'accident est fâcheux, et tire à conséquence. Il ne faut qu'un exemple ou deux comme celui-là, pour allumer la Guerre civile dans toutes les petites Républiques des Ménages : et tout de bon, l'Auteur de ces Séditions particulières, n'est pas moins coupable que ceux qui soulèvent les villes et les provinces. Mais détournons ces Idées fâcheuses pour les uns et pour les autres, car les maris ne se trouveraient pas mieux que les Femmes dans ces guerres intestines : et reconnaissant à la fin, le tort que le poète satirique leur aurait fait, seraient gens à le payer les premiers de sa bévue, si les Courtisans qu'il a offensés, ne les préviennent, et ne lui font sentir ce qu'il a plus finement qu'honorablement fait courir le bruit, qu'on lui voulait donner, afin d'exciter davantage la curiosité : insinuant par là, dans les Esprits, qu'il fallait que sa Pièce fût une Satire furieusement aiguë, ce que l'on chérit le plus, et après quoi, l'on court avec bien plus d'empressement. PALAMÈDE. S'il arrivait qu'il fût ainsi bourré, ce serait là Chrysolite, le vrai sujet de la pièce que vous méditiez tantôt, et qui mériterait bien ainsi pour titre Le Triomphe du beau sexe ; mais je crois que vous auriez quelque peine à l'obliger de travailler à cet Ouvrage, pour le réconcilier avec le beau Sexe : et des malins au lieu de suivre ce titre, lui en donneraient, peut-être, un autre, et l'appelleraient Le Zoïle bourré, ou Le Beau Sexe vengé sur les épaules de Zoïle. CHRYSOLITE. [Note : Dauber : Fig. et familièrement, railler quelqu'un, mal parler de lui, l'injurier. [L]]Ho, ho ! À votre tour, aussi, vous daubez Élomire. PALAMÈDE. Croyez-vous, que je voulusse tenir son Parti, contre le plus grand nombre ? Vous avez bien reconnu, sans doute, que j'ai fait semblant de me ranger de votre côté, seulement pour rendre le jeu meilleur : et je m'imagine bien que vous n'avez non plus, défendu Zoïle contre ces belles personnes, et le brave Lidamon, qu'afin de donner à la Conversation, tout l'agrément qui lui vient de la diversité des opinions, quand elles sont poussées avec le tempérament que leur savent donner les Esprits Galants, les Esprits passés par l'Étamine de la Cour, et non avec la chaleur pédantesque et querelleuse des Écoles. CHRYSOLITE. Vous m'outrageriez, si vous expliquiez autrement ma défense d'Élomire : en effet, je n'y ai eu d'autre dessein que le divertissement de la Compagnie. Pour vous dire mes véritables sentiments de L'École des maris, L'École des femmes, et de la Critique de celle-ci, je les estime des Satires bonnes à jeter au feu principalement celle de L'École des femmes, et sa fausse critique. On remarque très bien que l'Auteur veut s'y moquer de la Religion, et donner des Idées contre la pureté des Moeurs, que le respect de celles devant qui je parle, m'empêche d'exagérer : et je loue le zèle que l'un de nos plus sages Magistrats a témoigné pour la suppression d'une si méchante et si détestable chose. LIDAMON. Vous avez bien fait de corriger vos plaidoyers, autrement je vous déclare que vous étiez mal dans vos affaires, avec vos belles maîtresses, ou je me suis trompé dans le jugement que j'ai fait de leur contenance, et de leurs réparties. CÉLANTE. Vous en avez parfaitement bien jugé. Je vous assure que Bélise et moi n'avons fait tomber la conversation sur L'École des femmes, que pour découvrir de quelle manière nos amants en useraient, quand nous aurions changé avec eux, la qualité de Maîtresses, en celle d'Épouses : et si nous les eussions vus pencher tant soit peu, vers les sentiments que Zoïle veut donner aux maris, nous aurions chacune épousé une grille plutôt qu'eux. CHRYSOLITE. Nous ne sommes pas gens, Palamède et moi, à vouloir changer les Coutumes de France : et je suis trop assuré de la bonne conduite de Bélise, pour ne pas lui laisser la qualité de ma Plénipotentiaire. PALAMÈDE. Je n'ai point d'autres sentiments à l'égard de Célante. Je condamne hautement ce qu'a dit Zoïle, que toute la puissance était du côté de la Barbe : et pour le moins, vous n'aurez pas à craindre, belle Célante, qu'elle soit de longtemps plus de mon côté que du vôtre ; à peine voit-on encore paraître à l'entour de mon menton, ce que l'on nomme poil follet. LIDAMON. La Conversation ne se pouvait terminer plus gaillardement, ni avec plus de satisfaction réciproque : mais comme après la sentence prononcée sur une affaire, on en demeure là, je suis d'avis que nous finissions notre entretien sur le sujet de Zoïle, et que nous allions faire un tour de Cours. Le temps est parfaitement beau, et je crois que nous y verrons aussi du beau Monde. Qu'en dites-vous ? LYSANDRE. Nous ne pouvons manquer d'y voir du beau Monde, puisque Célante et Bélise s'y trouveront : et sans prétendre les cajoler, en leur disant sincèrement la vérité, je n'ai encore rien vu de si beau, ni de si charmant. CÉLANTE. Nous vous sommes, Lysandre, tout à fait obligées de vos agréables fleurettes, que le « Qu'en dites-vous » de Palamède, n'avait pas pour but de nous attirer. Je pense qu'il prétendait seulement demander à la Compagnie, si elle était de son avis, d'aller au Cours : mais l'équivoque, nous est très avantageuse. PALAMÈDE. Je prétendais demander si l'on était d'avis que nous allassions au Cours, et si l'on ne croyait pas que nous y dussions trouver du beau Monde : et Lysandre a fort répondu, selon la principale de mes demandes : Mais allons, nous continuerons nos Compliments dans le Carrosse. ==================================================