À Monseigneur le Prince de Condé
Édition nouvelle augmentée par l'Auteur.
1604. Avec privilège du Roi
[Par Antoine de Montchrestien, sieur de Vasteville].
À ROUEN. Chez Jean Osmont Libraire dedans la cour du Palais.
Texte établi par Ernest Fièvre décembre 2018
Publié par Paul FIEVRE, janvier 2019.
© Théâtre classique - Version du texte du 31/07/2023 à 20:00:09.
ENTREPARLEURS
REINE D'ÉCOSSE.
REINE D'ANGLETERRE.
CONSEILLER.
D'AVISON.
MAÎTRE D'HÔTEL.
MESSAGER.
PAGE.
CHOEUR DES ÉTATS.
CHOEUR DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE.
Texte tiré de TRAGÉDIES DE MONTCHRESTIEN NOUVELLE ÉDITION AVEC NOTICE ET COMMENTAIRE PAR L. PETIT DE JULLEVILLE PROFESSEUR A LA SORBONNE, 1604, pp. 1-56 [BnF YF-2083-2084]
ACTE I.
Reine d'Angleterre, Conseiller, [Choeur des États].
REINE [D'ANGLETERRE].
Enfin jusques à quand mon âme désolée
D'effroyables sursauts doit-elle être ébranlée ?
Jusques à quand vivrai-je exposée au danger
Du poison domestique et du glaive étranger ?
5 | Un corps sous le Soleil n'a jamais plus d'une ombre ; |
Mais tant et tant de maux qu'ils surpassent tout nombre,
Accompagnent le Sceptre, envié des humains,
Lourd fardeau toutefois de l'esprit et des mains
Qui croît de jour en jour, puis à la fin accable
10 | Son possesseur superbe encor que misérable. [ 1 Superbe : plein de fierté. [R]] |
Bien qu'un monde de gens me respecte à l'envi,
Me regarde marcher d'oeil et d'esprit ravi :
Bien que cent Nations admirent mes richesses,
M'élèvent plus d'un rang sur les autres Princesses ;
15 | J'estime quant à moi malheureux mon bonheur, |
Qui prend pour les séduire un vain masque d'honneur.
Le glaive de Damocle appendu sur ma tête [ 3 Appendu : pendu, suspendu. [T]] [ 2 Damocle : Damoclès, avait sur la tête une épée suspendue par un crin de cheval. [L]]
Menace de la chute, et moins que rien l'arrête :
L'Espagnol non content de son monde nouveau
20 | Veut son trône orgueilleux planter sur mon tombeau ; |
Où la force ne vaut l'artifice il emploie,
Pour remettre ma vie et mon État en proie :
Ce Pyrrhe ambitieux, dont la toile est sans bout [ 4 Pyrrhe : Probablement Pyrrhus , fils d'Achille, tué par Oreste. [T]]
Embrasse tout d'espoir, aspire à gagner tout,
25 | De la fin d'un dessein un autre fait renaître : |
Des deux bouts de la terre on le connaît pour maître :
Encor sa convoitise il ne peut assouvir,
S'il ne vient, ô forfait ! Cette Île me ravir ;
Et sans la main d'en haut qui m'est toujours propice,
30 | L'innocence aurait vu triompher la malice. |
Ma Tamise l'honneur de nos fleuves plus beaux [ 5 Plus beaux : les plus beaux. Emploi du comparatif au sens du superlatif. (Pdj)]
Roulerait pour lui seul ses tributaires eaux ; [ 6 Tributaires : Ma Tamise lui payerait comme tribut le droit d'être le seul utiliser ses eaux. [EF]]
Et mon peuple Guerrier en armes indomptable
Porterait gémissant son joug insupportable.
35 | Mais à quoi désormais me réserve le sort ? |
Lorsque moins je me doute, on me brasse la mort. [ 8 Brasse la mort (on me ) : on complote ma mort. [SP]] [ 7 Doute (moins je me) : moins je le soupçonne. [ACAD]]
Une Reine exilée, errante, fugitive,
Se dégageant des siens qui la tenaient captive,
Vint surgir à nos bords contre sa volonté :
40 | Car son cours malheureux tendait d'autre côté. [ 9 Cours malheureux tendait d'autre côté (son) : son voyage malheureux lui destinait un autre lieu. (EF)] |
Je l'ai bien voirement dès ce temps arrêtée, [ 10 Voirement : vraiment. [SP]]
Mais, hors la liberté, Royalement traitée ;
Et voulant mille fois sa chaîne relâcher,
Je ne sais quel destin est venu m'empêcher.
45 | Chacun par mon exemple à l'avenir regarde, |
Qu'une beauté Royale est de mauvaise garde. [ 11 Mauvaise garde : difficile à garder.]
Quoique de sa prison l'ennuyeuse longueur
Pût un juste courroux allumer en son coeur ;
Par mon doux traitement elle devait l'éteindre,
50 | Se plaignant en son mal de ne s'en pouvoir plaindre : |
Mais l'on m'a rapporté qu'en ce dernier effort,
Elle brigue mon Sceptre, et minute ma mort. [ 12 Minute ma mort : trame ma mort. [R]]
Serait-ce donc l'amour, Âme ingrate et légère,
Que me jurait sans fin ta bouche mensongère ?
55 | Aurai-je ce loyer non dû, non attendu, [ 13 Loyer : récompense. [SP]] |
D'une à qui tant de bien pour le mal j'ai rendu !
Mais dois-je tenir vraie une simple apparence,
Et former un soupçon en certaine créance ?
Qui croit trop de léger aisément se déçoit :
60 | Aussi qui ne croit rien mainte perte en reçoit. |
Qui s'émeut à tous vents, montre trop d'inconstance :
Aussi la sûreté naît de la méfiance.
Celui qui vit ainsi, meurt cent fois sans mourir ;
Il vaut mieux craindre un peu que la mort encourir.
65 | Si donc pour assurer mon État et ma vie, |
Je l'ai, même à regret, quelque temps asservie,
Ne cherchant point sa mort, ains tâchant seulement [ 14 Ains : mais. [L]]
À dompter son audace et vivre assurément,
Faut-il qu'une fureur à l'autre la transporte,
70 | Et qu'à me courir sus tout le monde elle exhorte ? |
Que contre moi les miens elle tâche animer,
Qu'elle excite mon peuple, et s'efforce à l'armer,
Bref que par ses attraits maint qui m'était fidèle
Distrait de son devoir s'engage à sa cordelle. [ 15 Cordelle (s'engage à sa) : s'engage dans son parti. [T]]
75 | Ô coeur trop inhumain pour si douce beauté, |
Puisque tu peux couver tant de déloyauté,
D'envie et de dépit, de fureur et d'audace,
Pourquoi tant de douceur fais-tu lire en ta face ?
Tes yeux qui tous les coeurs prennent à leurs appas,
80 | Sans en être troublés, verront-ils mon trépas ? |
Ces beaux Astres luisant au ciel de ton visage,
De ma funeste mort seront-ils le présage ?
N'auras-tu point le coeur touché d'affliction,
Voyant cette belle Île en désolation,
85 | En proie à la discorde en guerres allumée, |
Au meurtre de ses fils par ses fils animée ?
Verras-tu sans douleur les soldats enragés,
Massacrer à leurs pieds les vieillards outragés,
Égorger les enfants présence de leurs pères, [ 16 Présence : en présence. (EF)]
90 | Les pucelles forcer au giron de leurs mères, [ 18 Giron de leurs mères : espace qui est depuis la ceinture jusqu'aux genoux dans une personne assise. [FC]] [ 17 Forcer : violer. [R]] |
Et les fleuves encor regorger sur leurs bords [ 19 Regorger : déborder. [ACAD]]
Par les pleurs des vivants et par le sang des morts ?
Si cette volonté barbarement cruelle
Peut tomber en l'esprit d'une Reine si belle,
95 | Si le coeur d'une femme ayant la mort au sein, [ 20 Sein (ayant la mort au) : étant très affligée. [L]] |
Ose encor concevoir ce furieux dessein ;
Je croirai désormais que les Ourses cruelles
Dépouillent les fureurs qui leur sont naturelles ;
Et que la femme née à la bénignité
100 | Environne son coeur d'une âpre cruauté. |
CONSEILLER.
Le masque est jà levé, la chose est trop connue : [ 21 Jà : déjà. [F] ]
L'oeil qui ne la voit point est voilé d'une nue ;
L'esprit qui ne la croit soi-même se dément ; [ 22 Soi-mêmes : soi-même. (EF)]
Le coeur qui ne la craint n'a point de sentiment ;
105 | Il s'endort misérable, et l'orage tempête [ 23 Tempête (l'orage) : l'orage fait beaucoup de bruit. [L]] |
Qui doit à l'impourvu fondre dessus sa tête. [ 24 Impourvu (à l') : à l'improviste. [T]]
Il ne faut plus, Madame, en demeurer ici ;
Embrassez de vous-même et de nous le souci :
Car si le bien public doit être votre envie,
110 | Il faut aussi pour lui conserver votre vie. |
Ainsi pourrez-vous rendre éteints plutôt que nés
Les barbares desseins de ces fiers Basanés ; [ 25 Basanés : les Espagnols. (Pdj)]
Ainsi vous pouvez apporter assurance,
À l'Écosse dommage, et terreur à la France ;
115 | Là où si vous mourez c'est le souhait des Rois, |
La fin de notre Foi, le tombeau de nos lois.
Et comme le troupeau dépourvu de son maître
Qui pense en sûreté dans l'herbage se paître [ 26 Paître (se) : se nourrir. [L]]
Est exposé en proie à la fureur des loups ;
120 | Un semblable danger tomberait dessus nous, |
Si la Parque cruelle avait coupé la trame, [ 27 Trame (coupé la) : la Parque Atropos coupait la trame de la vie. [R]]
Qui joint pour notre bien votre corps et votre âme :
Lorsque de factions l'État est divisé,
Toujours le plus méchant est plus autorisé ;
125 | Le désordre a la voix, la licence effrénée [ 28 À la voix (le désordre) : le désordre a la parole. C'est lui qu'on écoute. A préférable à À. (Pdj)] |
Aux énormes péchés rend l'âme abandonnée ;
Tout est indifférent et profane et sacré, [ 29 Et profane et sacré : tout est indifférent le sacré comme le profane. (EF)]
Le mal fait est sans peine et le bienfait sans gré. [ 31 Mal fait est sans peine : la mauvaise action n'est pas punie, c'est le contraitre de bienfait. (EF)] [ 30 Bienfait est sans gré : la bonne action n'apporte pas de plaisir. (EF)]
Madame, je vous pri' de remettre en mémoire, [ 32 Pri' : prie, l'apostrophe évite les 13 pieds. (EF)]
130 | Que tous les Rois du monde envient votre gloire ; |
Que chacun vous en veut, que l'orgueil étranger
Vous trame incessamment quelque nouveau danger,
Recherche tous moyens de vous ravir la vie,
Votre mort seule étant le but de son envie.
135 | L'effort de l'Espagnol mille fois retenté, [ 33 Retenté : tenté de nouveau. [SP]] |
Fait voir assez à claire son infidélité ;
Et s'il n'a satisfait à son traître courage,
C'est faute de bonheur et non faute de rage ;
C'est que le Ciel bénin veille toujours pour vous,
140 | D'autant qu'en votre bien gît le salut de tous. |
REINE [D'ANGLETERRE].
Je sais bien, mon ami, qu'ores les destinées [ 34 Ores : maintenant. [L]]
Des Anglais, semblent être à ma vie enchaînées ;
Que plusieurs par ma mort du devoir divertis, [ 35 Divertis (du devoir) : écartés du devoir. [R]]
Auraient bientôt éclos cent Monstres de Partis ;
145 | Que comme la Vipère est de son fruit rongée, [ 36 Fruit rongée (de son) : Les Anciens disent que les petits de la vipère tuent leur mère en naissant. [T]] |
L'Angleterre serait des siens-mêmes mangée.
Songeant à tel malheur je souffre cent tourments,
Et d'une seule peur j'ai mille étonnements ;
Mais cette noire humeur qui mon âme possède,
150 | Ne me permet jamais de songer au remède, |
Semblable au Patient qui languit sans mourir,
Et ne peut malheureux sa douleur secourir.
CONSEILLER.
Sortez-vous de ce trouble, il n'est rien plus facile.
Maintenant que le Ciel est serein et tranquille,
155 | Que la mer est bonace et le vent bien tourné, [ 37 Bonace (mer) : mer calme après un orage. [L]] |
Mettez la voile au mât ; c'est par trop séjourné :
Car lorsqu'à ce beau temps succèdera l'orage,
Démarrer seulement c'est chercher le naufrage.
Tel peut en temps de paix sa vengeance exercer
160 | Qui s'endort en son aise et ne veut y penser ; |
Puis quand la guerre vient est contraint de le faire,
Trouvant pour son salut, juste, le nécessaire.
REINE [D'ANGLETERRE].
À quoi me résoudrai-je en ces confusions ?
CONSEILLER.
Tranchez en un seul chef l'Hydre des factions. [ 38 Chef : tête. [F]]
REINE [D'ANGLETERRE].
165 | Pour frapper ce grand coup il faut un bras d'Alcide. [ 39 Alcide : Hercule. [T]] |
CONSEILLER.
On peut sans grand péril occire une homicide.
REINE [D'ANGLETERRE].
Combien qu'elle fût telle, elle est hors de nos lois : [ 40 Combien qu' : quoique. [ACAD]]
De Dieu tiennent sans plus les Reines et les Rois. [ 41 Sans plus (de Dieu tiennent) : ne tiennent que de Dieu. (EF)]
CONSEILLER.
C'est piété d'occire une femme méchante
170 | Aussi bien qu'un Tyran : de tous deux on se vante. |
REINE [D'ANGLETERRE].
Considérez-la bien ; elle est mère d'un Roi,
L'épouse de deux Rois, et Reine comme moi.
CONSEILLER.
Considérez-la bien ; c'est une déloyale
Qui dément par ses moeurs la majesté Royale.
REINE [D'ANGLETERRE].
175 | Mon intérêt privé m'empêche d'en juger. |
CONSEILLER.
Et ce même intérêt vous semond d'y songer. [ 42 Semond : invite. [R]]
REINE [D'ANGLETERRE].
J'y vois plus de péril alors que plus j'y pense.
CONSEILLER.
Vous pouvez l'amoindrir en vengeant votre offense.
REINE [D'ANGLETERRE].
Cette juste vengeance il faut laisser à Dieu.
CONSEILLER.
180 | Dieu la remet en vous, qu'il a mise en son lieu. |
REINE [D'ANGLETERRE].
Si le Ciel est pour moi la terre m'est contraire.
CONSEILLER.
Si le Ciel est pour vous rien ne vous peut mal faire.
REINE [D'ANGLETERRE].
Ses secrets sont profonds, et l'humain jugement
Proposant d'une sorte, il dispose autrement.
CONSEILLER.
185 | Puisque le Ciel est juste il ne peut lui déplaire, |
Que la justice rende aux méchants leur salaire.
REINE [D'ANGLETERRE].
Non, non, quelque vengeur sortirait de ses os,
Qui m'ôterait la vie et à vous le repos.
Les Rois qui font mourir ceux qui leur sont contraires,
190 | Pensant les amoindrir, croissent leurs adversaires, [ 43 Croissent leurs adversaires : augmente le nombre de leurs adversaires. Verbe actif seulement en poésie. [R]] |
Les parents, les voisins, les enfants, les amis,
Revivent pour ceux-là qu'au sépulcre ils ont mis :
L'arbre rejette ainsi mainte nouvelle branche
Au lieu des vieux rameaux que le fer en retranche.
CONSEILLER.
195 | Mais en telle saison l'arbre peut se trancher |
Que jusqu'en la racine on le voit dessécher.
REINE [D'ANGLETERRE].
Ce remède est jugé pire que le mal même.
CONSEILLER.
Mais aux extrêmes maux, il est toujours extrême.
REINE [D'ANGLETERRE].
Supporter une injure est quelquefois meilleur
200 | Que d'en chercher revanche, et trouver son malheur. |
CONSEILLER.
Si vaut-il toujours mieux se venger de l'injure, [ 44 Si vaut-il : néanmoins vaut-il. [T]]
Qu'en attirer mainte autre à cause qu'on l'endure.
REINE [D'ANGLETERRE].
En deux périls du moindre on fait élection. [ 45 Élection (du moindre on fait) : on choisit le moindre. (EF)]
CONSEILLER.
Mais il en faut juger sans nulle passion.
REINE [D'ANGLETERRE].
205 | Si nous l'exécutons, nous irritons la France. |
CONSEILLER.
La laissant vivre aussi quelle est votre assurance ?
REINE [D'ANGLETERRE].
Nous pouvons l'accuser mais non pas la punir.
CONSEILLER.
Puisqu'elle est en vos mains qui vous en peut tenir ? [ 46 Tenir (qui vous peut en) : qui peut vous en empêcher. (Pdj)]
REINE [D'ANGLETERRE].
Maint peuple sous cet ombre envahirait ma terre.
CONSEILLER.
210 | À qui la paix la paix. La guerre à qui la guerre. [ 48 Guerre à qui la guerre (la) : à ceux qui nous ferons la guerre, nous apporterons la guerre. (Pdj)] [ 47 Paix la paix (À qui la). : à ceux qui nous laisserons la paix, nous accorderons la paix. (Pdj)] |
REINE [D'ANGLETERRE].
Les Rois la pleureront, j'aurai seule le tort.
CONSEILLER.
Ils ne pourront au moins rire de votre mort.
REINE [D'ANGLETERRE].
Pour l'injure commune ils armeront leur destre. [ 49 Destre : dextre, main droite. (EF)]
CONSEILLER.
Plus d'effroi que de mal le tonnerre fait naître.
215 | Lorsqu'un grand se châtie il s'émeut bien du bruit. [ 51 Aye entrepris (qu'elle) : qu'elle ait entrepris. (EF)] [ 50 Grand (un) : une personne élevée en dignité. [L]] |
Après le coup frappé peu d'effet s'en ensuit.
REINE [D'ANGLETERRE].
Le sacré sang des Rois doit être inviolable.
CONSEILLER.
Elle devait du vôtre estimer le semblable.
REINE [D'ANGLETERRE].
Nul ne croira qu'elle ait à ma vie entrepris !
CONSEILLER.
220 | Encor le vaut-il mieux que d'en être surpris. [ 52 Le vaut-il mieux : vaut-il mieux cela, vaut-il mieux ce que vous dites. (EF)] |
REINE [D'ANGLETERRE].
Les Ligues sont toujours obscurément connues,
Tant qu'à l'effet sanglant elles soient parvenues. [ 53 Tant qu'elles soient parvenues : jusqu'à ce qu'elles soient parvenues. [L]]
CONSEILLER.
Mais telle connaissance arrive un peu bien tard ;
Car on est cependant trop sujet au hasard.
REINE [D'ANGLETERRE].
225 | Je tiens qu'il vaudrait mieux abandonner la vie |
Que pour la conserver s'acquérir de l'envie. [ 55 Envie : impopularité. Au sens latin (invidia). (Pdj) ] [ 54 La conserver : conserver la vie. (Pdj)]
CONSEILLER.
Le Prince a peu de coeur s'il ne peut endurer
Ceux qui ne peuvent rien outre le murmurer.
REINE [D'ANGLETERRE].
La Clémence le gagne, il convient que j'essaie
230 | Si par doux appareils je puis sonder la plaie ; |
Je veux encor un coup cette voie éprouver ; [ 56 Coup (un) : une fois. [SP]]
Car la pouvant bien perdre et la voulant sauver,
Au moins l'on connaîtra que j'ai l'âme si bonne
Que je veux tout sauver et ne perdre personne.
CONSEILLER.
235 | Gardez en la gardant de perdre vous et nous. |
REINE [D'ANGLETERRE].
J'ai peu de soin pour moi, mais j'en aurai de vous.
CONSEILLER.
Ce n'est rien de le dire, il en faut apparaître. [ 57 Apparaître (il en faut) : il faut le montrer. (EF)]
REINE [D'ANGLETERRE].
Voulant ôter le mal gardons bien de l'accroître.
CONSEILLER.
Sans employer le fer on ne le peut guérir.
REINE [D'ANGLETERRE].
240 | Si ne le faut-il mettre à la faire mourir. [ 58 Si ne le faut-il mettre : néanmoins il ne faut pas le mettre. [ACAD]] |
CONSEILLER.
Quoi ! Votre âme au pardon lâchement s'abandonne ?
REINE [D'ANGLETERRE].
Quand la douceur nous sert je la juge être bonne.
CONSEILLER.
L'homme doux au méchant est inhumain au bon.
REINE [D'ANGLETERRE].
Le méchant quelque fois se vainc par le pardon :
245 | Mais qui veut par le sang cimenter sa fortune, |
Meurt toujours à la fin d'une mort non commune.
CONSEILLER.
Celle qu'on ne craint point ou qui pardonne tout
Achève son chemin avant que d'être au bout.
REINE [D'ANGLETERRE].
La peur qui n'a pouvoir que sur l'âme couarde [ 59 Couarde : lâche. [L]]
250 | Des Royaumes puissants est une faible garde. |
CONSEILLER.
L'impunité du vice a causé maintes fois
La ruine et la mort du Royaume et des Rois.
REINE [D'ANGLETERRE].
La trop grande rigueur jamais ne va sans haine.
CONSEILLER.
Et la facilité des mépris nous amène. [ 60 Et la facilité des mépris nous ameine : inversion, trop grande rigueur nous amène la facilité des mépris. (EF)]
REINE [D'ANGLETERRE].
255 | D'être aimée entre vous j'ai beaucoup eu de soin. |
CONSEILLER.
D'y être crainte aussi vous aviez bon besoin.
REINE [D'ANGLETERRE].
L'amour de nos sujets qu'engendre la Clémence,
Cent fois plus que leur crainte apporte d'assurance.
CONSEILLER.
L'amour de vos sujets vous doit donc émouvoir
260 | À fermer l'oeil à tout fors à votre devoir. [ 61 Fors : excepté. [SP]] |
REINE [D'ANGLETERRE].
Je le veux faire aussi, mais sans être cruelle :
La douceur en la femme est vertu naturelle.
CONSEILLER.
Ce n'est point cruauté que d'ordonner la mort
À celle qui tâchait vous la donner à tort.
REINE [D'ANGLETERRE].
265 | C'est un bien grand honneur de remettre l'offense, |
Quand on a le pouvoir d'en prendre la vengeance.
CONSEILLER.
Si l'oeil peut pénétrer jusques dans le penser,
Punissez bien plutôt qui songe d'offenser.
REINE [D'ANGLETERRE].
Qui pardonne à l'autrui pour l'amour de soi-même,
270 | Se connaissant fautif mérite un los extrême. [ 62 Los : louange. [L]] |
CONSEILLER.
Mais souvent il se livre en proie à l'étranger,
Lorsque de ses sujets il ne s'ose venger.
REINE [D'ANGLETERRE].
Des Avettes le Roi porte en sa république [ 63 Avettes : abeilles. [T]]
Un poignant aiguillon et si jamais ne pique. [ 64 Si jamais ne pique : néanmoins jamais il ne pique. [ACAD]]
CONSEILLER.
275 | Aussi contre les bons vous n'en devez avoir ; |
Mais contre les méchants qui forcent leur devoir. [ 65 Forcent le devoir : manquent gravement à leur devoir. [L] ]
REINE [D'ANGLETERRE].
Le Prince trop sévère est taxé d'injustice.
CONSEILLER.
Le Prince trop bénin se rend fauteur du vice.
REINE [D'ANGLETERRE].
Pécher en la Clémence est toujours le meilleur.
CONSEILLER.
280 | L'un aussi bien que l'autre est cause de malheur. |
L'excès et le défaut font des erreurs notables
En matières d'État, peu ou point réparables.
REINE [D'ANGLETERRE].
Je veux donc à ce coup un entre-deux choisir [ 66 Entre-deux choisir (un) : choisir une solution moyenne. (EF)]
Utile à mes sujets, et propre à mon désir.
CONSEILLER.
285 | Madame, avisez bien, pensant être en la voie, |
Gardez que votre pied maintenant ne fourvoie, [ 67 Fourvoie (ne) : ne s'égare. [SP]]
Tel s'égare souvent qui pensait bien aller.
En ce chemin glissant venant à vaciller,
Vous verriez (Ô bon Dieu, détournez ces présages)
290 | Ruiner les Châteaux, fourrager les villages, [ 68 Fourrager : piller. [SP]] |
Ravager les Cités, les flottes abîmer,
Et le sang à torrents fuir dedans la mer ;
Que dis-je vous verriez ? possible votre vue
Cacherait sa clarté d'une mortelle nue,
295 | Et parmi tant de maux vous resterait ce bien |
De ne les pouvoir voir et de n'en sentir rien.
Heureux qui dormirait en la tombe poudreuse,
Pour ne languir captif sous une grotte ombreuse,
Où tout vif enterré comme dans un tombeau,
300 | En vain Phoebus pour lui ressortirait de l'eau. |
REINE [D'ANGLETERRE].
Et bien, pour empêcher qu'une telle tempête
N'enveloppe avec vous mon incoupable tête, [ 69 Incoupable tête : innocente tête. [SP]]
En prison plus étroite il la faut enfermer ;
Je le fais par contrainte, on ne m'en peut blâmer.
CONSEILLER.
305 | Pour vous bien délivrer de cette prisonnière, |
Vous tenterez en vain la façon coutumière :
Rechargez de cent fers ses jambes et ses mains,
Vous la rendrez toujours plus âpre en ses desseins,
Et s'elle peut un coup échapper de la chaîne, [ 70 S'elle : si elle, évite le hiatus. (EF)]
310 | Elle se plaira lors à faire l'inhumaine, |
Mille maux, mille morts elle suscitera ;
Le souvenir des fers sa rage augmentera,
Et sa propre fureur se rendra plus félonne.
Ainsi voit-on le Tigre ou la rousse Lionne
315 | Retenus pour un temps dans la cage enfermés, |
S'ils gagnent la campagne être plus animés,
Faire plus de dégâts, de meurtres, de carnages,
Que ceux qui sont nourris dans les déserts sauvages.
REINE [D'ANGLETERRE].
Nous pouvons l'adoucir en lui faisant merci, [ 71 Merci (faisant) : faisant grâce, pardonnant. (EF)]
320 | Encor qu'elle eût le coeur d'un Rocher endurci, |
Et du mont Caucase elle prit sa naissance :
Aussi serait-ce alors de ma seule Clémence
Qu'elle obtiendrait la vie avec la liberté
Que perdre par sa faute elle avait mérité.
CONSEILLER.
325 | Son courage perfide est si fier de nature |
Que ces rares bienfaits lui seraient une injure.
Je connais son humeur. D'un ingrat obligé
Que peut-on espérer que d'en être outragé ?
CHOEUR [DES ÉTATS].
Heureux le siècle d'or où sans avoir envie.
330 | De monter à l'honneur, |
L'homme sentait couler tous les jours de sa vie
En un égal bonheur.
Il n'était affligé de crainte et d'espérance
Ni mu d'ambition ;
335 | Son corps plein de vigueur était franc de souffrance, [ 72 Franc de souffrance : libre de souffrance, sans souffrance. [SP]] |
Son coeur sans passion.
Il ne désirait point voir sa vie estimée
Au prix de ses travaux ;
Ni pour un peu de gloire, agréable fumée,
340 | N'endurait mille maux. |
Il repaissait des fruits que la terre bénigne
De soi-même apportait ;
Et tout plat étendu sur une eau cristalline
Sa soif il contentait.
345 | Libre il se promenait ès forêts verdoyantes |
De son plaisir conduit.
Et n'habitait encor les places résonnantes
D'un populaire bruit.
Il reposait l'Été dessous un frais ombrage
350 | S'il se trouvait lassé, |
Et sommeillait la nuit dans un antre sauvage
De mousse tapissé.
Là sans être touché des vains soucis du monde
À son aise il dormait :
355 | Le chagrin ni l'envie en mille maux féconde |
Son coeur ne consommait.
Qui ne préférerait l'heur de ces douces choses [ 73 heur (l') : le bonheur. [SP]]
À la pompe des Rois ;
Qui ne souhaiterait cueillir ainsi les roses
360 | Sans se piquer les doigts ? |
L'ardente ambition qui les Princes transporte
Trouble leur jugement ;
La gloire plus de mal que de bien leur apporte ;
Leur aise est un tourment.
365 | Leur repos s'établit au milieu de la peine ; |
Leur jour se change en nuit :
Leur plus haute grandeur n'est qu'une Idole vaine,
Qui le peuple séduit.
Leur État n'a rien sûr que son incertitude ;
370 | En moins d'un tournemain |
On voit leur liberté tomber en servitude,
Et leur gloire en dédain.
Encores que chacun les prise et les honore,
Ils n'en sont plus contents :
375 | Car le ver du souci sourdement les dévore |
Parmi leurs passetemps.
J'estime bienheureux qui peut passer son âge
Franc de peur et de soi, [ 74 Franc de peur et de soi : libre, exempt de peur et de soi.[R] ]
Et qui tous ses désirs borne dans son village,
380 | Sans aspirer plus loin. |
ACTE II
Choeurs des États, Reine d'Angleterre.
CHOEUR [DES ÉTATS].
Ô l'honneur souverain des Dames Souveraines
Qui feras désormais bénir le joug des Reines,
Daigne baisser tes yeux d'éclairs environnés
Sur tes humbles sujets devant toi prosternés,
385 | Qui viennent par ma voix te sommer de promesse, [ 75 Sommer de promesse (te) : te demander de tenir ta promesse. (Pdj)] |
Assurés en leur coeur, que toi grande Princesse
Qui même à tes haineux de parole ne faux, [ 76 Faux de parole : manque de parole. [SP]]
N'en manqueras jamais à tes peuples loyaux,
Ains que tu permettras que la juste sentence [ 77 Ains : mais. [L]]
390 | Donnée en plein Conseil en ta sainte présence |
Contre cette Princesse, aye son libre cours, [ 78 Aye son libre cours : ait son libre cours. Aye permet d'avoir 12 pieds. (EF)]
Puisque les factions renaissent tous les jours.
C'est le désir de tous. Le bien de la patrie,
Que seul tu dois chercher maintenant t'y convie ;
395 | Tes États assemblés en sont là résolus, [ 79 Là résolus (en sont) : en sont maintenant résolus. Là est fautif, il devrait y avoir jà. (Pdj)] |
Et ton peuple dévot ne souhaite rien plus.
Il n'est temps qu'au pardon ta bonté se hasarde, [ 80 Temps (il n'est) : ce n'est pas le moment. (EF)]
Garde ta Majesté afin qu'elle nous garde ;
Ce que tu ne peux faire en voulant que les lois
400 | Épargnent celle-ci pour toucher à nos Rois. |
Souffre que l'Angleterre en ma parole jure,
Que par ta seule mort plus de perte elle endure
Qu'elle n'acquît jamais par ces preux Chevaliers
Qui dans le champ des Lis plantèrent leurs Lauriers.
405 | Ils moururent suivant une frivole Guerre, |
Et toi plus charitable envers ta propre terre
La pourras garantir de tout nuisible effort
Si tu trompes un coup les pièges de la mort.
Mais en l'abandonnant à ce cruel orage,
410 | Son État est pour faire un si piteux naufrage |
Qu'aucun n'ayant moyen d'en ramasser le bris, [ 81 Bris (le) : le débris. [SP]]
Sa gloire et son honneur tomberont en mépris :
Celle qui fut jadis en armes si prisée,
À ceux qu'elle a vaincus servira de risée ;
415 | Ceux qui tremblaient de peur voyant ses étendards, |
Accourront l'assaillir, bandés de toutes parts.
Portant donques le front peint d'une couleur blême, [ 82 Donques : donc. [L]]
Et craignant plus pour toi que non pas pour soi-même,
Imagine la voir, et te dire ces mots
420 | Tranchés de longs soupirs et de tristes sanglots : |
Fille que j'enfantai pour me servir de mère,
Reine chère à mon coeur, à mon bien nécessaire,
Prends garde à ton salut, et si ce n'est pour toi,
Soit au moins pour les tiens, pour les miens, et pour moi :
425 | Si de mourir pour nous jamais te prît envie, |
Conserve aussi pour nous le reste de ta vie.
La Dame est bienheureuse à qui les Cieux amis
Par une grand'faveur ont tant de bien permis [ 83 Grand' faveur : grande faveur. L'apostrophe évite les 13 pieds. (EF)]
Qu'elle vive une vie au public profitable,
430 | Agréable à chacun, à soi-même honorable. |
REINE [D'ANGLETERRE].
Ô combien malheureuse est l'humaine grandeur,
Quoiqu'elle éclate aux yeux d'une belle splendeur,
Si des malheureux même il faut qu'elle se garde ;
Car que ne peut la main qui sans peur se hasarde ?
435 | Qui présage un orage au port se va ranger ; |
Qui prévoit le danger doit pourvoir au danger ; [ 84 Présage : prévoit. [T]]
Aussi veux-je assurer mon État et ma vie
Comme le bien publique et le mien m'y convie. [ 85 Publique : public. Publique était au Moyen âge la forme usuelle pour public. [SP]]
Moi qui voudrais me perdre afin de vous sauver,
440 | Pour ne vous perdre pas me dois bien conserver. |
La cause est raisonnable et prudente est la crainte
De ce péril voisin, dont vous doutez l'atteinte :
Car il semble à peu près qu'en moi-seule est compris [ 86 Compris (est) : est renfermé. [R]]
Tout l'espoir du repos qui nourrit vos esprits.
445 | Mais vous n'ignorez point que cette belle Reine, |
En qui nous offensons la grandeur Souveraine
Par trop injustement la tenir en prison,
De chercher sa franchise a bien quelque raison ; [ 87 Franchise : liberté. [SP]]
Encores que peut-être il nous soit dommageable
450 | D'élargir une Dame en beautés admirable, |
Féconde en artifice et faconde en discours, [ 88 Faconde en discours : éloquente en discours. [SP] ]
Et qui sert de Soleil aux Astres de deux Cours. [ 89 Courts (deux) : deux Cours. (EF)]
Je ne veux point ici m'informer davantage
S'elle me veut du mal ; je sais bien son courage.
455 | À dire vrai, sa vie importe à notre État, |
Mais la faire mourir c'est un grand attentat.
CHOEUR [DES ÉTATS].
Plusieurs jours sont passés que nous l'y destinâmes
S'elle ourdissait encor d'autres nouvelles trames.
REINE [D'ANGLETERRE].
Le temps au sage esprit sert parfois de raison,
460 | La volonté se tourne avecque la saison, |
Et le Pilote seul est digne de louange,
Qui peut tendre la voile ainsi que le vent change.
CHOEUR [DES ÉTATS].
Quand un dessein est pris il ne le faut changer,
Si par ne le point faire on se met en danger.
REINE [D'ANGLETERRE].
465 | Étant bien convaincue elle est mal condamnée. |
CHOEUR [DES ÉTATS].
Au péché non au rang la peine soit donnée.
REINE [D'ANGLETERRE].
Je veux encor surseoir cette exécution.
CHOEUR [DES ÉTATS].
Gardez-vous d'avancer notre perdition.
REINE [D'ANGLETERRE].
Que peut plus, je vous prie, une femme enchaînée ?
CHOEUR [DES ÉTATS].
470 | Que ne peut une femme à mal faire adonnée ? |
REINE [D'ANGLETERRE].
Trop tard après sa mort viendra le repentir.
CHOEUR [DES ÉTATS].
Trop libre en peu de jours vous la pourrez sentir.
REINE [D'ANGLETERRE].
Sa mine est éventée à son propre dommage. [ 90 Éventée (sa mine est) : au figuré, ses desseins sont découverts. ]
CHOEUR [DES ÉTATS].
Encor le marinier vogue après le naufrage.
REINE [D'ANGLETERRE].
475 | S'elle ose l'entreprendre il faudra la punir. |
CHOEUR [DES ÉTATS].
Vous êtes à ce point pour n'y plus revenir.
Voyez l'éclat brillant des cuirasses Françaises,
Écoutez les tambours des bandes Écossaises,
Et les pifres d'Espagne, aujourd'hui son danger [ 91 Pifres : joueur de fifre. [SP]]
480 | Suscite tout le monde, et pour la dégager |
On va couvrir la mer de voiles et de rames,
Emplir nos riches ports et de fer et de flammes.
Cependant parmi nous ce tison consommant
Ira de tous côtés les Ligues allumant,
485 | Et la peste mortelle enclose en nos moelles |
Causera plus de mal que les guerres cruelles :
Où voulant seulement consentir à sa mort,
Vous pouvez dès le bers suffoquer cet effort ; [ 93 Suffoquer cet effort : étouffer cet effort. [ACAD]] [ 92 Bers : berceau. [SP]]
Et par un peu de sang l'embrasement éteindre,
490 | Qui, tant plus rampe avant, est davantage à craindre. |
REINE [D'ANGLETERRE].
Bien, faites, mes amis, comme vous l'entendez,
De ma part vos desseins ne seront retardés ;
En toutes les deux parts même raison je trouve
Comme même péril ; ainsi je n'en approuve, [ 94 Réprouve (je n'en) : je n'en approuve. (Pdj)]
495 | Et n'en réprouve rien ; mais soyez avertis |
D'aviser bien encor au meilleur des partis.
CHOEUR [DES ÉTATS].
Le Ciel veuille bénir notre haute entreprise ;
À ce notable effet la terre favorise ;
Soit le Démon Anglais des autres le vainqueur, [ 95 Démon anglais (le) : le génie de l'Angleterre. (Pdj)]
500 | Aussi bien par nos mains comme par notre coeur. |
Dieu veuille sur ton chef assurer la couronne,
Le Sceptre dans ta main, et que l'ire félonne
Des peuples conjurés pour le rendre abattu,
Cède finalement à l'heur de sa vertu : [ 96 Heur de sa vertu (à l') : au bonheur de sa vertu. [SP] ]
505 | Afin qu'à l'avenir l'image de sa gloire |
Vole sur les autels du temple de Mémoire.
REINE [D'ANGLETERRE].
Quoi ! Que pour contenter ce conseil obstiné,
L'on mène cette Reine au supplice ordonné ?
Dois-je bien le vouloir ? Le puis-je bien permettre ? [ 97 Veux-je bien le vouloir : dois-je bien le vouloir. (Pdj)]
510 | Que ne pourra donc plus l'audace se promettre ? |
Teindre ainsi l'échafaud du sacré sang des Rois ?
Je pourrais le mien même y verser quelquefois :
Car qui force le droit des Gens et de Nature,
Ce qu'il fait à tout autre en soi-même l'endure.
515 | Il faut bien empêcher que mon bruit renommé |
Soit d'acte si barbare à jamais diffamé,
Je pourrai mieux d'ailleurs signaler ma mémoire
Que d'une si tragique, et si malheureuse histoire :
Pour le vulgaire seul soit levé l'échafaud, [ 98 Levé l'échafaud : dressé l'échafaud. [SP] ]
520 | Non pour ceux que Dieu monte en un degré si haut. |
Car que diraient de moi les Nations étranges ? [ 99 Étranges (Nations) : Nations étrangères. [FC]]
Pourraient-ils sans dépit écouter mes louanges
Que la voix du Renom publie en tous endroits ?
Veux-je en cette Princesse outrager tous les Rois ?
525 | Leur mettre contre moi la fureur au courage ? |
Le blasphème dans l'âme ? En la bouche l'outrage ?
Qui pourrait désormais sans horreur me nommer ?
Elle a pris, dirait-on, naissance de la mer ;
Au bers elle a tété le pis d'une Lionne
530 | Moins rempli de lait doux que de rage félonne ; |
Bref elle porte bien un estomac de chair,
Mais il recèle un coeur de marbre ou de Rocher.
Mon sexe qui de moi tire tant d'avantage,
N'en pourrait recevoir que vergoigne et dommage ; [ 100 Vergoigne : vergogne, honte. [R]]
535 | On le blasonnerait cruel, vindicatif, [ 101 Blasonnerait (on le) : on le décrirait, on le dépeindrait. [SP] ] |
Méchant, double, jaloux, cauteleux, et craintif, [ 102 Cauteleux : rusé. [R]]
Sanguinaire, imposteur, artisan de mensonges,
Inventeur de malice, et controuvreur de songes, [ 103 Controuvreur de songes : qui forge des songes, inventeur de songes. [SP]]
Caméléon venteux, sujet au changement, [ 104 Caméléon : comme un caméléon il prend la couleur de ce qu'il approche. [ACAD]]
540 | Prenant toutes couleurs, fors le blanc seulement. [ 105 Fors : excepté. [SP]] |
Les femmes que le sceptre a mis sous ma puissance [ 106 A mis : a mises. En 1604, on peut faire ou ne pas faire l'accord du participe avec le verbe avoir. (Pdj) ]
Ne se tiendraient jamais de dire en mon absence :
Ô cruel déshonneur de notre sexe humain !
Tu ne devrais tenir en ta sanglante main
545 | Le sacré gouvernail de cette Île fameuse |
Qui ceint de tous côtés la grand'mer écumeuse. [ 107 Qui ceint : que ceint. (Pdj)]
Si tu vins sur la terre en un tel ascendant,
Qu'il faille que ta vie y passe en commandant,
Que n'établissais-tu ta fière tyrannie
550 | Sur les Lions d'Afrique et Tigres d'Hyrcanie, [ 108 Hyrcanie : Province de Perse au sud de la mer Caspienne. [T]] |
Puisque ces animaux en leur plus grand courroux
Au prix de toi barbare ont le courage doux.
Pour donques éviter qu'avec de si grands blâmes [ 109 Donques : donc. [L]]
Leur babil ne diffame aux étrangères Dames, [ 110 Ne diffame : me diffame. Je pense qu'il faut lire me et non ne. (Pdj)]
555 | Ces Dames à leurs fils, ces fils à leurs neveux |
Et ces neveux encor à ceux qui naîtront d'eux,
Il me faut à ce coup délivrer cette Reine
Dont tout le monde a plaint la prison et la peine,
Tenant comme ses fers, et libre de ses fers, [ 111 Tenant comme ses fers : tout le monde a plaint ses peines, tenant pour ainsi dire ses fers avec elle. (Pdj)]
560 | Possible elle oubliera tous les ennuis soufferts |
Et le doux souvenir de telle bienveillance
Ne sortira jamais hors de ma souvenance.
Ainsi de quelque bien nous devons obliger
Ceux qui d'un mal reçu peuvent se revanger ;
565 | L'homme bien avisé toujours s'il se peut faire |
Gagne par courtoisie un puissant adversaire.
Tant de difficultés se viendront présenter
Lorsque l'Arrêt de mort devra s'exécuter,
Que pour y prendre avis faut prendre une remise ;
570 | Je romprai cependant le coup de l'entreprise. |
CHOEUR [DES ÉTATS].
Qu'est-ce, ô Dieu, que de l'homme ! Une fleur passagère,
Que la chaleur flétrit ou que le vent fait choir ;
Une vaine fumée, une ombre fort légère
Qui se joue au matin et passe sur le soir ;
575 | Un Soleil de la terre assez clair de lumière, |
Mais que mille brouillats vont sans cesse cachant, [ 112 Brouillats : brouillards. (EF)]
Qui s'élève au berceau pour tomber en la bière,
Qui dès son Orient incline à son couchant :
Une ampoule venteuse au front de l'onde enflée,
580 | Mais qui tout à l'instant se refond en son eau ; |
Une étincelle morte aussitôt que soufflée,
Mais qu'on ne peut jamais raviver de nouveau.
La vie est un air chaud sortant par la narine,
Qu'un pépin de raisin peut soudain étouffer ;
585 | Un vif ruisseau de sang arrosant la poitrine, |
Qui glacé de la mort ne se peut réchauffer.
La Lune a un Soleil pour réparer sa perte
Et remplir son croissant une fois tous les mois ;
Mais depuis que la vie est de la mort couverte,
590 | Elle ne renaît pas en mille ans une fois. |
Si les arbres l'Hiver perdent leur chevelure
Le Printemps les revêt d'un feuillage plus beau ;
Et l'homme ayant perdu sa plaisante verdure,
Ne doit point espérer de second renouveau.
595 | On ne peut rendre aux fleurs leur couleur printanière |
Lorsqu'elles ont senti les chaleurs de l'Été :
Quand une fois la mort flétrit notre paupière,
Yeux, vous pouvez bien dire : adieu, douce clarté.
La vie est sans arrêt, et si court à son terme [ 113 Et si court à son terme : et, toutefois, elle court à son terme. (Pdj)]
600 | D'un mouvement si prompt qu'on ne l'aperçoit point ; |
Là si tôt qu'elle arrive elle y demeure ferme,
Le naître et le mourir est presque un même point.
Bien certaine est la mort, mais la sortie incertaine. [ 114 Sortie incertaine (la) : le moment de la mort est inconnu. (EF)]
Qui pourrait du matin juger la fin du jour ?
605 | L'on veut bien décoller une Déesse humaine [ 115 Décoller une Déesse humaine : Couper la tête à une humaine belle comme une Déesse. (EF)] |
Fille de la vertu et mère de l'amour.
ACTE III
Davison, Reine d'Écosse, Choeur [des Suivantes de la Reine d'Écosse].
DAVISON.
Qui veut à la grandeur élever le courage [ 116 Élever le courage (à la grandeur) : Montrer un très grand courage. (EF)]
Doit exposer son corps et son âme à l'outrage
D'un maître injurieux dont le commandement
610 | Est suivi d'une honte ou bien d'un monument. [ 117 Monument (d'un) : d'un tombeau. (EF)] |
Ô l'homme possédé d'une manie extrême
Qui s'engage au seigneur et renonce à soi-même !
Qui par une faveur muable comme vent
D'honneur et de repos se prive bien souvent.
615 | La charge qu'on m'impose est certes bien fâcheuse, |
Mais je crains qu'elle soit encor plus périlleuse :
Je vais frapper un coup, mais soudain je le vois,
Je le vois, malheureux retomber dessus moi.
Ô que d'un corps meurtri renaîtront de querelles !
620 | Que d'une mort vivront de douleurs immortelles ! |
Que de sang innocent sera bas épanché !
Avant que cette plaie ait le sien étanché !
Cette Hydre s'accroîtra sous les coups de l'épée.
Cent chefs pulluleront d'une tête coupée ; [ 118 Pulluleront (Cent chefs) : mille têtes naîtront ; c'est ce que portait le texte de 1601. (Pdj)]
625 | Cependant moi chétif, déchassé, langoureux, |
Je serai mais en vain du trépas désireux,
Toujours pour mon tourment s'allongera ma vie.
Justement poursuivi de rancune et d'envie :
Pour m'être à ce forfait ainsi tôt résolu,
630 | De tous également je serai mal voulu. |
Sans cesse il me souvient de la mort de Pompée
Et que de ses meurtriers l'attente fut trompée.
Le mâtin hérissé de rage et de courroux,
Quand un passant le chasse à grands coups de cailloux,
635 | Ne regarde pas le bras qui sur lui se desserre, [ 120 Désserre (se) : lui décoche. [R]] [ 119 Déchassé : expulsé. [SP]] |
Mais son aigre fureur consomme sur la pierre :
Sur moi seul tout de même on voudra désormais
Prendre vengeance d'elle, et je n'en pourrai mais :
Où ceux qui sont auteurs du mal de cette Reine,
640 | Au milieu de mes pleurs se riront de ma peine. |
Le sort est bien cruel qui me donne la loi !
Je ne le veux point faire et faire je le dois :
Il faut bien le vouloir ; car c'est force forcée ;
Tremblant je m'y résous. Ô ma triste pensée,
645 | Éloigne loin de toi ce qui peut t'effrayer : |
Quand la promesse est faite il convient la payer.
Ne restivons donc plus, ne tardons davantage. [ 121 Restivons plus (ne) : ne soyons plus rétif. [SP]]
Bien, je serai l'auteur de mon propre dommage.
Baste, l'on me tiendra pour ma témérité, [ 122 Baste : baste, terme de dédain. [L]]
650 | Fidèle exécuteur d'une infidélité. [ 123 Fidèle exécuteur d'une infidélité : Cette antithèse plaisait au goût du temps. [SP]] |
CHOEUR [DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE].
Que l'âme a de peine à mal faire ! [ 125 Pourette sorte : probablement la povrete ; que la pauvrette (la raison) sorte pour laisser la place à la passion. (EF)] [ 124 Que l'âme a de peine à mal faire ! : Tout ce Choeur manque dans l'édition de 1601. (Pdj)]
Elle sent dix mille combats
Qui la pousse de haut en bas
Par maint et maint discours contraire :
655 | Mais las pour considérer tout, |
Elle est tant au vice inclinée,
Que pourtant elle s'y résout
Par malice ou par destinée.
Que sert aux mortels la raison
660 | Si la passion est si forte |
Qu'il faut que la pourette sorte
Pour la loger dans sa maison ?
En vain certes en nos devis [ 126 Devis : discours. [SP]]
Reine des hommes on l'appelle,
665 | Puisque par force ou par cautelle [ 127 Cautèle : ruse. [SP]] |
Ses plus beaux droits lui sont ravis.
Cessez, pauvres âmes humaines,
De plus vanter vos qualités,
D'un vent d'honneur vous vous flattez,
670 | Mais vous n'en sentez moins les peines : |
Et si par les biens et les maux
On mesurait le bien de l'Être
Les plus stupides animaux
Plus heureux se font reconnaître.
675 | Un seul point vous fait prévaloir |
Qui n'est pas commun à la bête,
C'est quand la vertu vous arrête
Dedans les termes du devoir
Sans que l'appétit aveuglé
680 | Tyran de votre fantaisie |
D'un élan plein de frénésie [ 128 Élans : élan. Suppression du s à élans. (EF)]
Vous emporte au train déréglé. [ 129 Train déréglé (au) : à l'allure déréglée. [T]]
Mais qui se pourra tant promettre
Sinon par la faveur d'en haut :
685 | Sans elle la force défaut, [ 130 Défaut (la force) : la force manque. [R]] |
Quand le vice nous veut soumettre,
Mais ne sait quoi de plus qu'humain,
Que le Ciel de grâce nous donne
À la vertu nous aiguillonne,
690 | Au vice nous tire le frein. |
REINE [D'ÉCOSSE].
De qui me dois-je plaindre ! Ô ciel, ô mer, ô terre !
Qui de vous trois me livre une plus âpre guerre ?
Depuis que le Soleil alluma son flambeau
Pour orner de clarté le monde encor nouveau
695 | Le sort en son courroux n'a versé tant de peine |
Sur aucun des mortels non que sur une Reine [ 131 Non que sur une Reine : ni encore moins sur une aucune Reine. (Pdj)]
Comme sur moi chétive et pleine de douleurs ;
Seule je suis en butte aux traits de tous malheurs
Dès le moment fatal de cette heure première
700 | Qui me vit en pleurant saluer la lumière, |
Jusques au jour présent, jour triste et déploré, [ 132 Déploré : désespéré, qui n'apporte plus d'espoir. [SP]]
Sans trêve, sans secours j'ai toujours enduré ;
Et si j'ai quelquefois senti l'ombre d'un aise
C'était pour rendre encor ma douleur plus mauvaise.
705 | Mon corps faible et débile était gisant au bers, |
Où ses pleurs présageaient les maux que j'ai soufferts,
Quand mon pays natal divisé de courage, [ 133 Divisé de courage : peut-être, divisé dans le choix d'entreprendre quelque chose de grand. [L]]
Comme s'il prit plaisir à son propre dommage,
Chasse de son esprit toute fidélité,
710 | Pour y substituer une déloyauté. |
De notre antique trône il débouta ma mère,
Qui par des lieux secrets errante et solitaire,
Transportait mon berceau toujours baigné de pleurs,
Au lieu d'être semé de roses et de fleurs,
715 | Comme si dès ce temps la fortune inhumaine |
Eût voulu m'allaiter de tristesse et de peine.
Cette grande Princesse ornement de ses ans
Me tenant quelquefois en ses bras languissants, [ 134 Languissants (ses bras) : ses bras pleins d'une langueur amoureuse. [R]]
De nos malheurs communs émue en son courage,
720 | Du ruisseau de ses yeux me noyait le visage ; |
Et haussant vers le Ciel le coeur et le sourci, [ 135 Sourci : sourcil. [R]]
Soupirait tendrement et me parlait ainsi :
Ô chère part de moi-même, débile nature, [ 136 Débile Nature : faible nature. (EF)]
Je ne sais quelle bonne ou mauvaise aventure
725 | Te garde le destin ; car l'oeil du plus savant |
Ne peut dans ses secrets pénétrer si avant.
Bien sais-je seulement que si ta pauvre vie
Du fil qui la commence est toujours poursuivie,
Le Ciel pour démontrer combien peut son malheur, [ 137 Malheur (combien peut son) : combien peuvent ses funestes augures. (Pdj)]
730 | T'a fait naître ici-bas pour y vivre en douleur. |
Mais, dis, Ciel inhumain, quel mal ou quelle injure
T'a pu faire au berceau ma pauvre géniture,
Qui semble tous les jours à force de pleurer
Ta grâce pitoyable à nos maux implorer ? [ 138 Pitoyable (ta grâce) : au sens actif, ta grâce qui a pitié. [T]]
735 | Si c'est pour les péchés de la mère dolente, [ 139 Dolente (mère) : mère qui souffre et se plaint. [T]] |
Que tu punis la fille, elle en est innocente :
Épargne-la, cruel, et plutôt dessus moi,
Dessus moi misérable épand tout cet émoi.
En ces termes ma mère au Ciel fît sa demande ; [ 140 Fît : fit, pas d'apostrophe sur le i. (EF) ]
740 | Mais il s'en alluma d'une fureur plus grande, |
Elle n'était encor au milieu de son cours,
Qu'une nuit éternelle obscurcit ses beaux jours,
Et redoubla sur moi qui restait orpheline
Les coups de sa colère indomptable et maligne.
745 | À peine avais-je encor vu neiger sept Hivers, |
Et sept fois le Printemps prendre ses habits verts,
Que j'abandonnai là ma terre naturelle,
Qui ne m'était plus mère, ains marâtre infidèle,
Et traversant la mer jusques en France vins [ 141 Vins : je vins. (EF)]
750 | Dessous un autre Ciel, chercher d'autres destins. |
Là le Roi m'épousa, mais ce haut Mariage
Fut suivi de bien près d'un funèbre veuvage ;
Il mourut ce bon Prince, et le sort rigoureux
Ne fît que le montrer aux Gaulois malheureux.
755 | Ô fortune volage, est-ce ainsi que ta roue |
Des Reines et des Rois inconstamment se joue !
Reconnaissant depuis qu'en cette belle Cour [ 142 Depuis : ensuite. [SP]]
J'avais toujours Éclipse au plus clair de mon jour, [ 143 Éclipse : obscurcissement. [T]]
France, la belle France, à tout autre agréable
760 | Ne fut plus à mes yeux qu'un désert effroyable |
Je revins voir ma terre où je pensais sans fin
Lamenter tristement mon malheureux destin ;
Mais je n'y suis longtemps, qu'au milieu de mes plaintes,
Je ressens de plus beau ses fatales atteintes,
765 | Et ne vois pas si tôt l'un de mes maux faillir, |
Qu'un autre plus cruel retourne m'assaillir :
Sur le triste moment qu'au monde je fus née,
Le Ciel à souffrir tout m'avait bien condamnée !
Mais s'il s'est envers moi déclaré rigoureux,
770 | Ne s'est montré plus doux mon pays malheureux ; |
Ayant laissé glisser dedans la fantaisie
La folle opinion d'une rance hérésie ; [ 144 Rance hérésie : Hérésie moisie. [SP]]
Ayant pour un erreur fardé de nouveauté, [ 145 Erreur (un) : une erreur. Ce mot est masculin dans plusieurs auteurs anciens. [SP]]
Abreuvé son esprit de la déloyauté ;
775 | Il émeut furieux des querelles civiles, [ 146 Émeut (il) : il excite. [SP]] |
Il révolte les champs, il mutine les villes,
Il conjure ma honte et me recherche à tort, [ 147 Conjure ma honte (il) : Il conspire ma honte. [R]]
Croyant qu'à mon époux j'eusse brassé la mort. [ 148 Brassé la mort (j'eusse) : j'eusse comploter la mort. [SP]]
Peux-tu bien, cher mari, qui maintenant reposes
780 | Au séjour bienheureux entendre telles choses ? |
Peux-tu voir diffamer ta plus chère moitié
Qui même après ta mort vit en ton amitié ?
Reloge dans ton corps cette âme généreuse,
Et par avance sors de la tombe poudreuse,
785 | Pour prendre ma défense en l'accusation |
Qu'intente contre moi ma propre Nation.
Cependant je m'enfuis sachant que l'innocence
À l'endroit des méchants n'est pas sûre défense,
Et m'embarquant sur mer je maudis mille fois
790 | Les destins ennemis, mon Royaume et ses lois. |
Mais comme si la mer eût quelque intelligence
Avec la terre ingrate où j'ai reçu naissance,
À peine fus-je entrée en son calme giron [ 149 Giron (en son calme) : sur la calme étendue de la mer. (EF)]
Ému dessous ma Nef des seuls coups d'aviron,
795 | Que je vis aussitôt les plaines écumeuses |
Faire blanchir l'azur des vagues orgueilleuses,
Qui menaçaient aux bords par leur mugissement
Le naufrage à ma Nef gémissante âprement.
Je cingle nonobstant, doutant moins la tempête
800 | Que le danger des miens qui couraient à ma tête ; |
Aussi pensais-je bien trouver plus de repos
Au fort de la tourmente, au beau milieu des flots,
Qu'entre un peuple agité de félonie et d'ire [ 150 Ire : Terme vieilli. Courroux, colère. [L]]
Qui la mort de sa Reine injustement désire.
805 | Le Ciel ne permit pas comme je le voulais, |
Que je mouillasse l'ancre au rivage Gaulois,
Où j'espérais trouver une terre étrangère
Plus que la mienne ingrate à mes cendres légère :
Mais comme hélas ! Je fuis ce pays qui me fuit
810 | La tourmente s'accroît, le jour se change en nuit, |
Les éclairs enflammés qui partent de l'orage,
Comme traits rougissants entrefendent l'ombrage : [ 151 Entrefendent l'ombrage : font des coupures dans l'ombrage des nuages. (EF)]
L'horreur, le bruit, l'effroi, les sanglots et les cris
Étourdissent l'oreille, et brouillent les esprits ;
815 | Tous s'adressent à Dieu durant l'âpre tempête |
Et son oreille est sourde aux veux de leur requête ;
L'air décoche son ire, et plus fort que devant
S'animent les combats des ondes et du vent.
Tantôt gît notre Nef ès gouffres enfoncée ;
820 | Tantôt haute s'élève aux étoiles poussée ; |
Puis tantôt ballotée en égal contrepoids
Puise le sel flottant par les fentes du bois :
Bref courant à peu près la dernière fortune, [ 152 Bref : adverbe, pour abréger. [T]]
Une fière bourrasque à nos voeux importune
825 | La vient jeter aux bords des barbares Anglais, |
Peuple double et cruel, dont les suprêmes lois
Sont les lois de la force et de la tyrannie,
Dont le coeur est couvé de rage et félonie,
Dont l'oeil se paît de meurtre et n'a rien de plus cher
830 | Que voir le sang humain sur la terre épancher. |
Ô qu'il me valait mieux être bien loin jetée
Au rivage inconnu d'une île inhabitée,
Ou dans l'onde écumeuse éteindre mon flambeau,
L'Océan pour le moins fût mon fameux tombeau.
835 | On me fît prisonnière ; un grand nombre d'années |
Dedans leur cercle rond sont du depuis tournées, [ 153 Du depuis : depuis. [FC]]
Et nulle toutefois ne m'a jamais rendu
L'heur de ma liberté chétivement perdu. [ 154 Heur (l') de ma liberté : le bonheur de ma liberté. [SP]]
Ô chère liberté, mais en vain désirée !
840 | Tu t'es donques de moi pour toujours retirée. |
Encor un jour enfin j'espérais te revoir ;
Cela n'a rien servi fors à me décevoir ; [ 155 Fors : excepté. [SP]]
Je ne dois plus sortir d'une prison si forte,
Ou si j'en dois sortir la mort en est la porte.
845 | On veut frapper le coup que je ne puis parer ; |
Et bien, c'est fait de vivre, il m'y faut préparer.
Le mal impatient s'irrite davantage ;
Nous n'avons rien d'humain plus grand que le courage.
[CHOEUR DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE].
Madame, quoi qu'on die ils n'en viendront point là.
REINE [D'ÉCOSSE].
850 | Je suis quoi qu'il en soit résolue à cela. |
[CHOEUR DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE].
Traiter en criminelle une telle Princesse.
REINE [D'ÉCOSSE].
À qui veut se venger tout autre respect cesse.
CHOEUR [DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE].
Ils le font à dessein pour vous épouvanter.
REINE [D'ÉCOSSE].
Le coeur me trompe, ou bien c'est pour m'exécuter.
CHOEUR [DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE].
855 | On craint trop d'offenser ces grands Princes de France. |
REINE [D'ÉCOSSE].
On craint moins pour ma mort que pour ma délivrance.
CHOEUR [DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE].
La Reine votre soeur jamais ne le voudra.
REINE [D'ÉCOSSE].
De ma prison injuste elle se souviendra.
CHOEUR [DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE].
C'en est aussi trop fait sans oser davantage.
REINE [D'ÉCOSSE].
860 | Les grands mesurent tout par le seul avantage. |
CHOEUR [DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE].
Et que dirait-on d'elle en toutes Nations ?
REINE [D'ÉCOSSE].
Le souci du renom se perds ès passions.
CHOEUR [DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE].
Qui n'a la vertu même au moins l'ombre désire.
REINE [D'ÉCOSSE].
Qui n'a la vertu même à tout forfait aspire.
CHOEUR [DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE].
865 | D'un spécieux prétexte il tâche le voiler. |
REINE [D'ÉCOSSE].
Tel est si déploré qu'il ne veut celer.
CHOEUR [DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE].
Un courage modeste a crainte de la honte.
REINE [D'ÉCOSSE].
Un courage impudent n'en fait jamais grand conte. [ 156 Conte (grand) : grand bavardage, ou peut-être, grand compte, grande importance. (EF)]
CHOEUR [DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE].
Il nous faut donc prier, c'est le dernier recours.
REINE [D'ÉCOSSE].
870 | Les esprits furieux aux prières sont sourds. |
CHOEUR [DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE].
J'en reviens toujours là que l'on fait cette trame,
Pour éteindre le feu nourri dedans votre âme
Du vivant souvenir de mille indignités,
Que vos déportements n'avaient point mérités. [ 157 Déportements (vos) : votre conduite. [R]]
875 | Car quand au désespoir on vient offrir la grâce, |
Ès courages plus durs le mal talent s'efface. [ 158 Mal talent : mauvais désir. [SP]]
REINE [D'ÉCOSSE].
Une âme désolée aisément se déçoit
Par croire de léger le bien qu'elle conçoit.
CHOEUR [DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE].
Une âme infortunée a toujours méfiance,
880 | Et de son bien prochain recule sa croyance. |
REINE [D'ÉCOSSE].
Quand les pensers du coeur sont d'espoir agités,
Il vit incessamment plein de perplexités.
CHOEUR [DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE].
Heureux en ses malheurs qui nourri d'espérance,
Au plus épais des maux s'en promet délivrance.
REINE [D'ÉCOSSE].
885 | Mais plutôt l'homme malheureux l'homme désespéré, |
Qu'un vain espoir du bien rend sans fin malheuré. [ 159 Malheuré : malheureux. [SP]]
Ne m'en parlez jamais ; ce n'est en la parole,
C'est en la douleur même en quoi je me console,
Et chassant loin de moi tout autre doux penser,
890 | J'embrasse seulement ce qui peut m'offenser : |
Aussi d'assez longtemps je suis en servitude,
Pour avoir pris au mal une forte habitude.
PAGE.
Voici des gens, Madame, assez bien assistés,
Qui descendus là-bas demeurent arrêtés :
895 | Je n'ai rien pu savoir du sujet qui les mène, |
Mais ils sont pour le vrai de la part de la Reine.
REINE [D'ÉCOSSE].
Bien, s'ils viennent à nous il nous les faudra voir ;
Plaisir ni déplaisir je n'en puis recevoir ;
Car à tous accidents j'ai l'âme préparée ;
900 | Moi-même je me suis de moi-même assurée. |
CHOEUR [DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE].
Mes soeurs, prions d'un coeur et d'une voix
Le Dieu du Ciel qui tient le coeur des Rois,
Qu'il tire hors de peine.
Notre innocente Reine.
905 | Prions celui qui sur tous a puissance, |
Et qui de tous demande obéissance,
Qu'il ait compassion
De notre affliction.
Prions celui qui ploie à ses desseins
910 | Les mouvements des coeurs plus inhumains, |
Qu'il nous rende propice
La grâce ou la Justice.
Prions celui de qui la dextre forte [ 160 Dextre : droite, main droite. [R]]
De la prison ouvre et ferme la porte,
915 | Qu'il nous tire d'ici |
Par sa douce merci. [ 161 Merci (sa douce) : sa douce grâce. [R]]
Prions celui qui seul est le recours
Des affligés, et des bons le secours,
Qu'il ôte la tristesse
920 | À notre grand'Princesse. [ 162 Grand' Princesse : grande Princesse, l'apostrophe évite les 13 pieds. (EF) ] |
Prions celui qui promet délivrance
Au coeur constant en sa dure souffrance
Qu'il finisse aujourd'hui
Son mal et notre ennui.
DAVISON.
925 | À vous Reine d'Écosse en prison arrêtée |
Du depuis qu'à nos bords vous fûtes apportée, [ 163 Du depuis : depuis. [FC]]
Les États d'Angleterre unis en même accord,
Désireux de venger vos forfaits et leur tort
Ce juste Arrêt de mort par moi vous font entendre.
930 | Pour avoir contre nous fait les Rois entreprendre, [ 164 Entreprendre (fait les Rois) : fait les Rois se révolter. (EF)] |
Fomenté la discorde, ourdi la trahison,
À notre bonne Reine attenté par poison, [ 165 Attenté par poison : tenté de commettre un attentat par poison. (EF)]
Rallumer çà et là les civiles querelles,
Semé des factions et des haines mortelles,
935 | Ressuscité l'ardeur des combats amortis, [ 166 Amortis : presque éteints. (EF) ] |
Formé contre l'État grand nombre de partis ;
Le Conseil vous prononce une telle sentence
Loyer bien mérité de votre griève offense. [ 167 Loyer : salaire. [SP]]
Sur un noir échafaud votre beau chef voilé, [ 168 Chef : tête. [F]]
940 | Par la main du bourreau tombera décollé. |
Votre âme monte aux Cieux ! En cet espoir fidèle
Disposez-vous, Madame, à la vie éternelle.
REINE [D'ÉCOSSE].
Enfin vient le moment si longtemps attendu
Par qui le doux repos me doit être rendu ?
945 | Ô jour des plus heureux tu feras qu'une Reine |
Sortant de deux prisons sortira de sa peine,
Pour entrer dans les Cieux d'où jamais on ne sort,
D'où n'approchent jamais les horreurs de la mort.
CHOEUR [DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE].
Ô jour malencontreux, plutôt nuit ténébreuse,
950 | Qui mets notre lumière en la tombe ombrageuse ! |
Sans bien et sans support nous laissez-vous ici ?
REINE [D'ÉCOSSE].
Il n'est point dépourvu que Dieu prend en souci. [ 169 Dépourvu que Dieu : dépourvu celui que Dieu. (Pdj)]
CHOEUR [DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE].
Vous nous laissez, Madame, et nos moites paupières
À force de pleurer éteindront leurs lumières,
955 | Pour nous voir, ô douleur ! Entre mille dangers |
Parmi ces ennemis et traîtres étrangers.
REINE [D'ÉCOSSE].
Vous me quittez plutôt, ce n'est moi qui vous laisse ;
J'abandonne la terre et au Ciel je m'adresse.
C'est une loi certaine à qui vient ici-bas,
960 | Que toujours la naissance apporte le trépas. |
Que chaque jour, chaque heure et moment qui se passe
De la mortelle vie accourcisse l'espace. [ 170 Combien que : quoique. [ACAD]]
Mais combien que la mort soit un mal aux méchants, [ 171 Si : Toutefois. [T]]
Si est-ce un bien aux bons, Qui par le cours des ans [ 172 Moleste (entrée) : entrée incommode. [SP]]
965 | Sont conduits à ce port dont l'entrée moleste |
Introduit les élus en la cité céleste,
Plutôt vivants que morts, plutôt jeunes que vieux,
De pèlerins errants faits combourgeois des Cieux. [ 173 Combourgeois : concitoyens. [SP]]
Alors que le Coureur a quitté la barrière, [ 174 Quitté la barrière (a ) : a commencé sa course. (EF)]
970 | Il aspire à gagner le bout de la carrière ; |
Le Nocher ennuyé de voguer dessus l'eau
Désire sur la rade amarrer son vaisseau ;
Le voyageur lassé sent rire son courage
Quand il voit le clocher de son propre village :
975 | Moi donc ayant fourni la course de mes ans, |
Supporté constamment les orages nuisant,
Tandis que je flottais ès tempêtes du monde,
Je veux ancrer au port où tout repos abonde,
Je finis mon voyage en bien rude saison,
980 | Mais tant plus agréable aurai-je la maison, |
Où même je dois voir ce père pitoyable, [ 175 Pitoyable : enclin à la pitié. [L]]
Qui tire du discord la concorde amiable, [ 176 Discord : discorde. [R]]
Qui régit constamment les mouvements des Cieux,
Qui fait danser en rond les Astres radieux,
985 | Et tient ce large monde enclos dans sa main forte ; |
Par qui tout est en tous d'une diverse sorte,
Par qui nous avons l'être, en qui seul nous vivons,
En qui seul nous sentons, respirons, et mouvons.
Le feu prompt et léger prend au Ciel sa volée ;
990 | L'eau par son propre poids est en bas dévalée, |
D'autant que chaque chose aspire au même lieu
Qui lui fut comme un centre assigné de par Dieu : [ 177 De par Dieu : de par le commandement de Dieu. [L]]
Mon esprit né du Ciel au Ciel sans cesse tire,
Et d'ardeur altérée incessamment soupire
995 | Après le tout-puissant, le bon, le saint, le fort, |
Que voir est une vie et non voir une mort.
Jaçoit que la tempête amassant mainte nue [ 178 Jaçoit que : bien que. [L]]
Veuille du Paradis m'empêcher l'avenue,
Et que par le chemin mille difficultés
1000 | Viennent dessous mes pas s'offrir de tous côtés ; |
Que le chaud et le froid, que le vent et l'orage
Tâchent me détourber en cet heureux voyage, [ 179 Détourber : détourner. (EF)]
Si ne le peuvent-ils ; là je dois arriver : [ 180 Si : Toutefois. [T]]
Je vois pour m'honorer les Vierges se lever ;
1005 | Les Princes et les Rois joyeux de ma venue, |
M'assigner en leur rang la place retenue ;
Et Dieu même au milieu des Anges glorieux,
Me recevoir chez lui d'un accueil gracieux,
Me faire mille traits d'honneur et de caresse,
1010 | Et me vêtir au dos la robe de liesse |
Teinte au sang précieux de l'innocent Agneau,
Qui voulut s'immoler pour sauver son troupeau ;
Qui de libre fait serf, et qui de Dieu fait homme,
Porta dessus la Croix de nos péchés la somme. [ 181 Somme : Totalité. (EF)]
1015 | Ciel, unique confort de nos âpres travaux, |
Port de notre tourmente, et repos de nos maux,
Reçois donc mon esprit qui sauvé du naufrage
De l'éternelle mort descend à ton rivage.
CHOEUR [DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE].
Ne t'afflige point de la mort,
1020 | C'est une chose trop commune : |
Comme le faible le plus fort
Court à la fin cette fortune.
Tous finissent également,
Mais non pas tous semblablement.
1025 | Mortel, cesse donc de penser |
Fléchir la dure destinée ;
Si tien ne la peut avancer,
De rien elle n'est détournée ;
Larmes, soupirs, plaintes, discours
1030 | Sont vains obstacles pour son cours. |
Une forte nécessité
Conduit à son point toute chose,
Qui court d'un pas non arrêté
Tant qu'en sa fin elle repose :
1035 | Sans sentir mouvoir le bateau, |
On gagne à l'autre bord de l'eau.
Piéça tous nos premiers parents [ 182 Piéça : Il y a longtemps, il y a quelque temps (terme vieilli). [L]]
Ont battu cette noire voie,
Où mille animaux différents
1040 | La Parque nuit et jour convoie, |
Si l'un part du monde aujourd'hui
L'autre suit demain après lui.
L'homme au dernier terme arrivé
Ainsi qu'à sa première source,
1045 | Par le sort humain est privé |
De faire une autre course ;
Comme un fleuve à la mer se joint,
Qui puis après n'en ressort point. [ 183 Puis après : ensuite. [L]]
Un chemin se peut-il trouver
1050 | Qui se termine en quelque issue ? |
Tu vois le Soleil se lever
Et puis se cacher à ta vue ;
De là commence à discourir
Qu'un mortel est né pour mourir.
1055 | Celui qui s'estomaquerait [ 184 Estomaquerait (s') : se scandaliserait [T]] |
De n'avoir eu plutôt la vie,
Vrai foul il se déclarerait : [ 185 Foul : fol, fou. (EF)]
C'est bien une aussi folle envie
De vouloir différer sa mort
1060 | Contre le dur Arrêt du sort. |
L'homme jamais ne résoudra [ 186 Résoudra (ne) : ne décidera de différer sa mort. (EF)]
Qui craint une chose assurée : [ 187 Qui craint : ce vers devrait être au vers précédent après homme pour le sens. (EF)]
La Parque aussitôt lui viendra [ 188 Parque (la) : Déesse qui préside à la vie des hommes. [T]]
Toute affreuse et défigurée
1065 | Pour craindre l'heure du trépas, [ 189 Pour craindre : pour lui faire craindre. (EF)] |
Comme pour ne la craindre pas.
Qui voudra constamment la voir,
S'arme le coeur d'un haut courage :
Et s'apprête à la recevoir
1070 | Comme un bien non comme un outrage. |
Il n'en peut jamais avoir peur
Qui peint son image en son coeur. [ 190 Qui peint : Ce vers devrait être à la place de il dans le vers précédent, pour le sens. (EF) ]
L'homme qui se reconnaît bien
Sait en quelque saison qu'il meure,
1075 | Que de son temps ne se perd rien, |
Mais qu'aux autres l'autre demeure ;
Étant vieil, finit-il son cours
En la fleur de ses plus beaux jours.
Il voit la Parque racler tout
1080 | Sans respect de grandeur ni d'âge, [ 191 Ne d'âge. Ni d'âge. (Ne = ni est archaisme). [L]] |
Voit que de l'un à l'autre bout
Le monde est de son apanage ; [ 192 Apanage : Héritage des fils puinés des Rois de France. [R]]
Et qu'il n'est aucune saison,
Qui ne lui porte sa moisson.
1085 | Il épie le vol du temps |
Qui toutefois n'importe guère
À ceux dont les esprits contents
Ont la fortune si prospère,
Qu'ils ne sauraient rien espérer
1090 | Sinon perdre à plus désirer. [ 193 Sinon perdre à plus désirer : possible, sauf ne plus désirer plus. (Ef)] |
Il regarde grands et petits
Se suivre de peu d'intervalle
Au lieu qui les tient engloutis,
Et que dans sa demeure pâle
1095 | Tout homme est pressé du sommeil |
Jusqu'au grand jour de son réveil.
Il contemple qu'en se plaignant
Pour une belle Créature
Lorsque la mort va l'éteignant,
1100 | Il accuse à tort la Nature, |
Qui reçoit d'un plus grand que soi
La contrainte de cette loi.
Il connaît qu'au branle soudain [ 194 Branle soudain : mouvement soudain. [SP]]
De tant d'inconstances humaines,
1105 | Le trépas demeure certain |
Entre ses façons incertaines,
Mais qu'on ne peut sur son moment
Asseoir aucun vrai jugement.
Celui-là qui médite ainsi
1110 | Et l'attend toujours de pied ferme ; |
Qui n'est point de frayeur transi
Quand il voit avancer son terme,
Mais le croit toujours accompli,
Seul est de sagesse rempli.
ACTE IV
Reine d'Écosse, Choeur des Suivantes de la Reine d'Écosse.
[REINE D'ÉCOSSE].
1115 | Voici l'heure dernière en mes voeux désirée, |
Où je suis de longtemps constamment préparée ;
Je quitte sans regret ce limon vicieux
Où l'esprit se radopte à sa tige éternelle, [ 195 Radopte (se) : s'attache de nouveau. [L]]
Pour luire pure et nette en la clarté des Cieux,
1120 | Afin de refleurir d'une vie immortelle. |
Ouvre-toi, Paradis, pour admettre en ce lieu
Mon esprit tout brûlant du désir de voir Dieu ;
Et vous, Anges tuteurs des bienheureux fidèles,
Déployez dans le vent les cerceaux de vos ailes,
1125 | Pour recevoir mon âme entre vos bras alors |
Qu'elle et ce chef Royal voleront de mon corps,
Qu'au sein d'Abram par vous elle soit transportée [ 196 Abram : Abraham, père de tous les Hébreux. [T]]
Où la gloire de Dieu nous est manifestée.
J'anticipe par foi ce doux contentement,
1130 | Qui d'un espoir certain me remplit tellement, |
Que tout ce que mon âme à mon coeur représente
Me fait vivre là haut quoique j'en sois absente.
Mais que sera-ce au prix si parvenue au Cieux, [ 197 Que sera-ce au prix : que sera ce que j'ai imaginé en comparaison de ce qui sera vraiment. (EF) ]
Je puis voir de l'esprit ce qui n'est vu des yeux ?
1135 | Ce qui n'est point ouï ? Ce qui ne peut en somme, [ 198 En somme : en un mot. [R] ] |
Tomber aucunement sous l'intellect de l'homme,
Si déchargé du corps il n'est fait tout esprit,
Pour comprendre le bien qu'en terre il ne comprit ?
Or afin de jouir du fruit de mon attente,
1140 | Humble et dévotieuse à Dieu je me présente |
Au nom de son cher fils, qui sur la Croix fiché [ 199 Fiché : fixé. [SP]]
Dompta pour moi l'Enfer, la mort et le péché ;
Qui prit d'un serf mortel la sensible figure, [ 200 Serf : esclave, non attaché à la terre, mais à la personne . [SP]]
Pour nous restituer l'immortelle nature ;
1145 | Et qui daigna du Ciel en terre s'abaisser, |
Afin qu'au Ciel la terre il puisse rehausser :
Au nom, dis-je, du Fils, j'adresse à toi, le Père,
Les fidèles accents de mon humble prière ;
Plaise-toi l'accepter en sa seule faveur,
1150 | Puisqu'il s'est par sa mort déclaré mon Sauveur, |
Ramentevant les maux dont je suis criminelle [ 201 Ramentevant : rappelant. [SP]]
Tu me peux adjuger à la mort éternelle, [ 202 Adjuger : condamner. [SP]]
À l'abîme de Souffre où résonnent dedans
Plaintes, cris, et sanglots, et grincement de dents :
1155 | Mais vêtue au manteau de l'entière innocence |
Dont ton enfant unique a couvert notre offense,
Je te prie, ô Seigneur, de donner à ma foi
Ce que peut ta Justice alléguer contre moi.
Père doux et bénin en jugement n'arrive [ 203 Arrive (en jugement n') : ne vient pas prononcer un jugement. (EF)]
1160 | Contre ta créature. Hélas mon Dieu ! N'étrive [ 204 Estrive (n') : ne querelle pas. [T]] |
Contre moi ta servante, et ne me viens prouver [ 205 Prouver : montrer. [L]]
Tous les péchés mortels qu'en moi tu peux trouver.
Tous ont failli, Seigneur, devant ta sainte face :
Si par là nous étions exilés de ta grâce,
1165 | À qui serait enfin ton salut réservé ? |
Qu'aurait servi le bois de tant de sang lavé ?
La terre des vivants demeurerait déserte,
Si l'erreur des humains en apportait la perte.
Tu nous as relevés de la chute d'Adam,
1170 | Et tiré notre bien de notre propre dam : [ 206 Dam : dommage, damnation. [FC]] |
Puis ouvrant un trésor de grâces libérales,
De toi-même as payé nos dettes déloyales :
Là-même où les péchés avaient plus abondé
Pour tous les abîmer ton sang a débordé. [ 207 Abîmer : détruire. (EF)]
1175 | Comme quand au matin l'air est chargé de nues, |
Le Soleil décochant ses oeillades menues
Fait soudain disparoir les brouillats épandus [ 208 Brouillats (disparoir) : disparaître les brouillards. (EF)]
Entre la terre et lui come un voile tendus ;
Tu dissipes ainsi, clair Soleil de Justice,
1180 | Quand tu lèves sur nous, l'amas de notre vice, |
Qui sans les doux regards qui partent de tes yeux,
Ferait comme un obstacle entre nous et les Cieux.
S'il te plaît tant soit peu jeter sur moi la face,
S'éprendront dans mon coeur les rayons de ta grâce,
1185 | Qui le repurgeront des infâmes péchés |
Dont j'ai l'âme et le corps l'un par l'autre tâchés.
Ô Dieu, fais que mon âme en ses fautes ternie
Reçoive le portrait de ta gloire infinie
Par ta main nettoyée, ainsi que pour s'y voir
1190 | Quand la glace est crasseuse on frotte le miroir. |
Délivre-moi, Seigneur, de ce mortel servage
Dont la chaine éternelle est le plus certain gage,
Et permets que mon âme en dépouillant ce corps
Qui l'a longtemps serrée en ses liens trop forts,
1195 | Par son poix dangereux ne soit point retenue, [ 209 Poix dangereux : poids trop élevé. (EF)] |
Mais que prompte et légère elle fende la nue,
Afin qu'étant admise au séjour éternel,
Elle possède en soi ton amour paternel,
Qui se conçoit plus grand par l'objet de ta face
1200 | En l'esprit dévoilé de sa fangeuse masse. |
Il ne me reste plus au partir de ce lieu,
Que faire à tout le monde un éternel Adieu.
Adieu donc mon Écosse, adieu terre natale,
Mais plutôt terre ingrate à ses Princes fatale,
1205 | Où règnent la discorde et les dissensions, |
Où les coeurs sont partis d'étranges factions, [ 211 Où les coeurs : inversion, où les coeurs, soudains à la guerre, etc., ne sont point maîtres de leurs mouvements. (Pdj)] [ 210 Partis d'étranges factions: des clans, des partisans d'étranges factions. (EF)]
Et soudains à la guerre ainsi qu'à la créance,
Les mouvements premiers n'ont point en leur puissance.
Le Ciel veuille apaiser ces bouillons intestins
1210 | Qu'émeuvent en ton sein les orages mutins |
D'un tas de factieux, qui de guerres civiles
Déchirent la concorde et la paix de tes villes.
Puisse ton jeune Roi mon enfant bien aimé
Te gouverner longtemps, par les siens estimé,
1215 | Bien voulu des voisins, craint des peuples étranges, |
Et connu jusqu'au Ciel par ses propres louanges.
Ô toi l'espoir des Gens, doux souci de mon coeur,
Quoique l'on m'use à tort de fraude et de rigueur [ 212 Use (m') : me traite. (EF)]
Possible en tel sujet partout inusitée,
1220 | Que ton âme pourtant ne s'en tienne irritée ; |
Mais pour le bien public porte patiemment
Ce que tu ne devrais endurer autrement.
En telle occasion se taire de l'outrage
Ce n'est point lâcheté, c'est grandeur de courage.
1225 | Adieu puisqu'en vivant ci-bas régner te faut [ 213 Régner te faut : il est nécessaire que tu règnes, et non régner te manque. (EF)] |
Aussi bien qu'en mourant je vais régner là-haut.
Puisses-tu croissant d'âge accroître tant en grâces,
Qu'après tous autres Rois toi-même tu surpasses.
Adieu France jadis séjour de mon plaisir,
1230 | Où mille et mille fois m'emporta le désir |
Depuis que je quittai ta demeure agréable,
Par toi je fus heureuse, et par toi misérable :
Si toutefois chez toi pouvaient loger mes os,
La mort me tiendrait lieu de grâce et de repos :
1235 | Mais puisque l'Éternel autrement en dispose, |
Sur son juste vouloir mon âme se repose.
Adieu ton grand Henry, Monarque glorieux, [ 214 Henry (grand Henry) : Henri II, fils de François Ier et de Claude de France. (EF)]
Délices de la terre et doux souci des Cieux,
Qui porte aux yeux l'amour, la grandeur au visage,
1240 | L'éloquence en la bouche, et Mars dans le courage. |
Adieu Princes du sang honneur de l'univers,
Adieu braves Lorrains qui de Lauriers couverts,
Faites que votre Race en tous lieux estimée,
Vante encor à bon droit les palmes d'Idumée. [ 215 Idumée : Idumée, pays d'Asie entre la Judée, l'Égypte et l'Arabie Pétrée. [T]]
1245 | Adieu superbe Louvre, enflé de Courtisans ; |
Adieu riches Cités, adieu Châteaux plaisants,
Adieu Peuple courtois, adieu belle Noblesse,
Qui m'avez tant chérie étant votre Princesse,
Lorsqu'un François second, clair Astre des Valois, [ 216 François second : François II, fils de Henri II et de Catherine de Médicis. (EF) ]
1250 | Sur la Gaule exerçait les paternelles lois. |
Adieu finalement chastes et belles Dames,
Le beau désir des coeurs, l'ardeur des belles Âmes,
Qui dedans l'air François brillez plus vivement, [ 217 François (l'air) : l'air français. (EF)]
Que ne font par la nuit les feux du Firmament,
1255 | Et qui passez encor en nombre les Étoiles, |
Quand pour luire en Hiver elles n'ont plus de voiles.
Maintenant de quels mots pourrai-je m'aviser,
Belles et chères soeurs, de quels adieux user
En partant d'avec vous pour aller voir les Anges ?
1260 | Je sens plus que jamais des mouvements étranges, |
Lorsque je vois vos yeux de larmes se baigner,
Pour ne pouvoir au Ciel mes pas accompagner ;
Au son de ces soupirs qui vous ouvrent la bouche,
Un grand trait de douleur si vivement me touche
1265 | Que j'en ai l'âme outrée, et contre mon vouloir, |
Je me contrains moi-même à gémir et douloir. [ 218 Douloir : me plaindre. [T]]
Mais calmons notre esprit, sereinons notre face [ 219 Sereinons : rendons serein. [SP]]
Puisque cette tempête apporte une bonace. [ 220 Bonace : calme qui arrive sur la mer. [R]]
C'est fort peu de mourir pour revivre à jamais
1270 | Au séjour éternel en éternelle paix. |
À ce dernier départ baisez-moi, Damoiselles,
Et priez Dieu pour moi ; vos prières fidèles
Serviront de cerceaux à mon esprit léger,
Pour s'aller d'un plein vol sur les Astres loger.
1275 | Mais je vous supplierai (c'est le dernier office |
Que je requiers de vous pour comble de service)
Que les mains du bourreau ne profanent mon corps ;
Le cher soin de l'honneur doit survivre les morts.
Fermez donc de vos doigts mon obscure paupière,
1280 | Ensevelissez-moi, couchez-moi dans la bière : |
Si mes membres gelés n'en ont nul sentiment,
Mon âme en goûtera quelque contentement.
CHOEUR [DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE].
L'homme avant qu'il soit mort heureux ne se doit croire ;
Car la félicité n'habite en ces bas lieux ;
1285 | Elle vit loin du monde et nul ne voit sa gloire, |
Si se laissant soi-même il ne retourne aux Cieux.
Que l'esprit est content qui connaît cette Belle
Et peut à plein souhait la chérir et baiser ;
Que l'âme est satisfaite en la gloire immortelle
1290 | D'user de ses plaisirs qui ne peuvent s'user. |
Quels doux ravissements de goûter l'Ambroisie [ 221 Ambroisie : mets des divinités de l'Olympe. [L]]
Que sa main délicate offre à ses courtisans,
Et boire son nectar qui de la fantaisie [ 222 Nectar : la boisson des Dieux. [R]]
Écarte la tristesse et les soucis cuisants.
1295 | Celui qu'elle reçoit à l'honneur de sa table, |
Au banc des immortels elle le fait asseoir,
Pour mener dans le Ciel une vie agréable,
Et commencer un jour qui n'aura point de soir.
Sa tête est par sa main de gloire couronnée,
1300 | Son corps est revêtu de l'immortalité ; |
Il célèbre en ce point le céleste Hyménée,
Qui pour jamais l'allie avec l'éternité.
Les Anges assistants au sacré mariage
Font le chant nuptial retentir dans les Cieux,
1305 | Un extrême plaisir chatouille leur courage, |
Pour l'extrême plaisir des Amants glorieux.
Possesseurs éternels des grâces éternelles,
Vivez paisiblement en la maison de paix :
Le temps rendra toujours vos liesses nouvelles ;
1310 | La fleur de vos plaisirs ne flétrira jamais. |
Vous habitez un port d'où n'approche l'orage
Qui le calme du monde à l'instant peut troubler :
Là l'esprit s'est sauvé le corps faisant naufrage,
Et les flots courroucés ne le font plus trembler.
1315 | Vous ne redoutez plus les aguets d'un Corsaire, |
Qui la mer épouvante et périt le Nocher : [ 223 Périt le Nocher : fait périr le Nocher. Périr actif est un gasconisme. [FC]]
Vous n'avez plus la peur d'un brigand sanguinaire,
Qui court le fer au poing le pas vous empêcher.
Plus l'avare usurier qui les vivants dévore,
1320 | N'envoye à notre porte un Sergent rigoureux : |
L'homme vous méprisait, Dieu même vous honore,
Et par votre malheur vous êtes bienheureux.
Un Prince ambitieux ne vous fait plus d'outrage,
Pour ranger tout un peuple à sa discrétion ;
1325 | Et vous ne craignez plus d'un Tyran le visage, |
Prenant pour tout conseil sa seule passion.
La trompette en sursaut vos âmes ne réveille ;
Vous ne voyez nos champs de bataillons couverts ;
La musique des Cieux contente votre oreille,
1330 | Et pour en voir le bal vos beaux yeux sont ouverts. |
Rien ne peut désormais du repos vous distraire,
Vos coeurs sont maintenant saoulés de tous plaisirs ;
Ce qui plus nous déplaît ne vous saurait déplaire,
Et vos contentements surmontent vos désirs.
1335 | Bref, vous possédez tant de grâces nonpareilles, |
Que l'oyant et voyant on ne s'en croirait pas,
Mais on tiendrait suspects les yeux et les oreilles,
Comparant vos plaisirs à ceux-là d'ici-bas.
ACTE V
Maître d'Hôtel, [Messager, Choeur des Suivantes dela Reine d'Écosse].
MAÎTRE D'HÔTEL.
Ô trois et quatre fois serviteur misérable !
1340 | Tu vis encor, et vois ce malheur déplorable, |
Ains ne le voyant pas, et par trop de regret,
En ta discrétion demeurant indiscret.
Reine unique ornement des Dames de notre âge,
Que ton malheureux sort afflige mon courage !
1345 | Beau corps, de qui la mort travaille tant d'esprits |
Dont le plus grand bonheur en tes yeux fut compris, [ 224 Compris (en tes yeux fut) : en tes yeux fut contenu, fut renfermé. [R]]
Je n'ai pu ni n'ai dû te faire cet office,
Quoique je fusse né pour te rendre service.
Après t'avoir servie en un degré si haut,
1350 | Que je t'eusse conduite au honteux échafaud ? |
Ce n'eût pas été rendre un certain témoignage
Combien j'abominais un si cruel outrage.
J'avais vu ci-devant ton auguste grandeur
Surpasser le Soleil en sa vive splendeur,
1355 | Et croyais que la nue à l'entour amassée, |
Serait par ton bonheur quelque jour déchassée ; [ 225 Déchassée : Chassée. [SP]]
Mais j'en suis si trompé qu'au lieu de te revoir
Sur un trône Royal exercer ton pouvoir ;
Hélas ! Je suis contraint te regarder de l'âme [ 226 Regarder de l'âme : regarder en imagination, non par les yeux du corps. (Pdj)]
1360 | Exposée au bourreau sur un théâtre infâme. |
Certes je fusse mort au milieu de mes pas, [ 227 Certes je fusse mort : assurément je serais mort. (EF)]
Si je t'eusse guidée à ce honteux trépas,
Honteux non pas à toi mais à cette Barbare,
Que le visage seul de ses Ourses sépare.
1365 | C'est être bien vraiment la même cruauté |
De laisser manier cette unique Beauté, [ 228 Manier : maltraiter. [SP] ]
Qui des Rois seulement mérite être touchée,
À la main d'un bourreau de carnage entachée,
Pour en elle meurtrir sans vergongne et sans peur [ 229 Vergongne : vergogne, honte. [SP]]
1370 | La grâce de la grâce et l'honneur de l'honneur. |
Ô toi qui le consens, peuple fier et sauvage,
Puisse ton propre sang humecter ton rivage ;
Toujours par tes Cités se promène la Mort, [ 230 Promène (se) : se promène, dans ce vers et dans suivants, le verbe est au subjonctif. (Pdj)]
Conduisant devant soi la haine et le discord ;
1375 | Toujours le Ciel brouillé d'orage et de tempête |
Mille foudres aigus délâche sur ta tête. [ 231 Délâche : lâche, fait tomber. [SP]]
Toujours la mer enflée en ses bruyants dehors
Coure sur ton rivage et sans bride et sans mors.
CHOEUR [DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE].
Nous vivons en un siècle auquel la modestie,
1380 | La honte et la vergoigne est du mode partie ; [ 232 Vergoigne (la honte et la) : les deux mots ont la même signification, vergoigne est plus ancien. (EF)] |
Nous sommes en un temps où tout est confondu,
Où l'injuste supplice au bon droit est rendu,
Où le vouloir des grands est estimé loisible, [ 233 Loisible : permis. [R]]
Où toute la raison se mesure au possible.
1385 | On fait si peu de cas du sacré sang Royal |
Que la hache s'en trempe et le bras déloyal
L'épand ne plus ne moins que le sang mercenaire ; [ 234 Ne plus ne moins : ni plus ni moins. Ne = ni est archaisme. [L]]
On donne aux majestés le supplice vulgaire,
Et ce qui de tous temps restait d'inviolé
1390 | Se voit pour l'avenir profanement souillé. |
D'autant plus que de près tel supplice on contemple,
On le juge exécrable et de mauvais exemple :
Car jamais le Soleil dans le Ciel tournoyant
N'aperçut ici-bas de son oeil flamboyant
1395 | Une si détestable et si perfide injure ; |
Ô Dieu, tu le connais et ton foudre l'endure ! [ 235 Foudre l'endure (ton) : Tu n'envoies pas ta foudre pour l'empêcher. (EF)]
Mais voici pas quelqu'un qui s'en vient devers nous ?
Marchons vite au-devant, mes soeurs, avancez-vous.
MESSAGER.
Vous venez à propos, dolentes Damoiselles, [ 236 Dolentes : affligées. ]
1400 | Pour entendre par moi de piteuses nouvelles. |
CHOEUR [DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE].
Nous les attendons bien ; mais parle, Messager,
Aussi bien nos esprits cherchent à s'affliger.
MESSAGER.
Cette Dame Royale et d'âme et de courage,
En qui le plus haut Ciel admirait son ouvrage,
1405 | Est morte maintenant ; son sang fumeux et chaud |
Ondoie à gros bouillons sur le noir échafaud.
CHOEUR [DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE].
Forfait inusité ! Supplice abominable !
Cruauté barbaresque ! Attentat exécrable !
D'un visage si beau les roses et les lis
1410 | Par les doigts de la mort ont donc été cueillis ? |
Cette bouche tantôt si pleine d'éloquence
Est close pour jamais d'un éternel silence ?
Et cet esprit divin hôte d'un corps humain
En est chassé dehors d'une bourrelle main. [ 237 Bourelle main : de la main du bourreau. Bourreau, en adjectif, au féminin. [T]]
MESSAGER.
1415 | Seules vous ne plaignez le sort de cette Dame, |
Mais écoutez sa fin pour consoler votre âme.
Une constante mort dite à l'esprit discret,
Mêle quelque plaisir avecques son regret.
Une grand'salle était funèbrement parée,
1420 | Et de flambeaux ardents haut et bas éclairée, |
D'une noire couleur éclatait le pavé,
L'échafaud paraissait hautement élevé.
Là des peuples voisins se fait une assemblée,
Qui de tel accident était beaucoup troublée,
1425 | Et la Reine qui porte un visage constant, |
Arrive tôt après où le Bourreau l'attend.
Paulet son garde-corps lui servait de conduite,
Et ses femmes en pleurs cheminaient à sa suite.
Elle qui lentement à la mort se hâtait,
1430 | Leur douleur par ses mots doucement confortait : |
Je vous pri' que ma mort ne soit point poursuivie
De larmes et de sanglots ; me portez-vous envie,
Si pour perdre le corps je m'acquiers un tel bien,
Que tout le monde entier auprès de lui n'est rien ?
1435 | Puisqu'il faut tous mourir suis-je pas bienheureuse |
D'aller revivre au Ciel par cette mort honteuse ?
Si la fleur de mes jours se flétrit en ce temps,
Elle va refleurir à l'éternel Printemps,
Et la grâce de Dieu comme une alme rosée, [ 238 Alme rosée : rosée fertilisante. [SP]]
1440 | Distillera dessus sa faveur plus prisée, |
Pour en faire sortir un air si gracieux,
Qu'elle parfumera le saint pourpris des Cieux. [ 239 Pourpris des Cieux : l'enceinte des Cieux. [T]]
Les esprits bienheureux sont des célestes Roses
Au Soleil de Justice incessamment écloses ;
1445 | Celles-là des jardins durent moins qu'un matin, |
Mais pour ces fleurs du Ciel elles n'ont point de fin.
Quand elle eut dit ces mots à ses tristes servantes,
Pour son cruel départ plus mortes que vivantes,
S'accrurent les soupirs en leurs coeurs soucieux,
1450 | Les plaintes en leur bouche, et les pleurs en leurs yeux. |
Comme elle est parvenue au milieu de la salle,
Sa face paraît belle encor qu'elle soit pâle, [ 240 Encor qu'elle : Bien qu'elle. [ACAD]]
Non de la mort hâtée en sa jeune saison,
Mais de l'ennui souffert en si longue prison.
1455 | Lors tous les assistants attendris de courage, |
Et d'âme tous ravis, regardent son visage, [ 241 Ravis : charmés. (lLit)]
Lisent sur son beau front le mépris de la mort,
Admirent ses beaux yeux, considèrent son port ;
Mais la merveille en eux fait jà place à la crainte,
1460 | Du prochain coup mortel leur âme est plus atteinte, |
Quand s'abstenant de pleurs elle force à pleurer, [ 242 Force à pleurer (elle) : elle contraint les autres à pleurer. [R]]
Quand ne soupirant point elle fait soupirer.
Comme tous demeuraient attachés à sa vue
De mille traits d'amour même en la mort pourvue,
1465 | D'un aussi libre pied que son coeur était haut, |
Elle monte au coupeau du funèbre échafaud, [ 243 Coupeau du funèbre échafaud : sommet du funèbtre échafaud. [SP] ]
Puis souriant un peu de l'oeil et de la bouche :
Je ne pensais mourir en cette belle couche ;
Mais puisqu'il plaît à Dieu user ainsi de moi,
1470 | Je mourrai pour sa gloire en défendant ma foi. |
Je conquête une Palme en ce honteux supplice, [ 244 Conquête (je) : je conquiers, je gagne. [SP]]
Où je fais de ma vie à son nom sacrifice,
Qui sera célébrée en langages divers ;
Une seule couronne en la terre je pers,
1475 | Pour en posséder deux en l'éternel Empire, |
Le couronne de vie, et celle du Martyre.
Ces mots sur des soupirs elle envoyait aux Cieux,
Qui semblaient s'attrister des larmes de ses yeux ;
Mais soudain se peignant d'allégresse plus grande, [ 245 Peignant d'allégresse (se) : manifestant une allégresse. (EF)]
1480 | Un Père confesseur tout haut elle demande ; |
L'un s'avance à l'instant qui veut la consoler.
Elle qui reconnaît à l'air de son parler
Qu'il n'est tel qu'elle veut, demeure un peu confuse.
Si peu donc de faveur, dit-elle, on me refuse ?
1485 | C'est trop de cruauté de ne permettre pas |
Qu'un prêtre catholique assiste à mon trépas :
Mais quoi que vous fassiez je mourrai de la sorte,
Que mon instruction et ma croyance porte. [ 246 Porte : comporte. (Pdj)]
Ce dit sur l'échafaud ployant les deux genoux,
1490 | Se confesse elle-même, et refrappe trois coups |
Sa poitrine dolente et baigne ses lumières [ 247 Dolente (sa poitrine) : sa poitrine qui se plaint. [ACAD]]
De pleurs dévotieux qui suivent ses prières,
Et tient tous ses esprits dans le Ciel attachés
Pour avoir le pardon promis à nos péchés.
1495 | Son oraison finie elle éclaircit sa face, |
Par l'air doux et serein d'une riante grâce,
Elle montra ses yeux plus doux qu'auparavant,
Et son front s'aplanit comme l'onde sans vent ;
Puis encor derechef forma cette parole :
1500 | Je meurs pour toi, Seigneur, c'est ce qui me console. |
À ta sainte faveur, mon Sauveur et mon Dieu,
Je recommande l'âme au partir de ce lieu. [ 248 Partir (au) : au départ. [T]]
Puis tournant au Bourreau sa face glorieuse :
Arme quand tu voudras ta main injurieuse,
1505 | Frappe le coup mortel, et d'un bras furieux |
Fais tomber le chef bas et voler l'âme aux Cieux.
Il court oyant ces mots se servir de la hache ;
Un, deux, trois, quatre coups sur son col il délâche ; [ 249 Délâche (il) : il assène. [SP]]
Car le fer acéré moins cruel que son bras
1510 | Voulait d'un si beau corps différer le trépas. |
Le tronc tombe à la fin, et sa mourante face
Par trois ou quatre fois bondit dessus la place.
CHOEUR [DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE].
Ô quel froid marrisson nous suffoque le coeur ! [ 250 Marrisson (froid) : Froid chagrin. [L] ]
Afin que notre sort connaisse sa rigueur :
1515 | Transformez-vous, nos yeux, en sources éternelles, |
À force de pleurer aveuglez vos prunelles ;
Et vous, coeur désolé, lâchez tant de sanglots,
Qu'ils bruyent aussi haut que l'orage des flots. [ 251 Bruyent (qu'ils) : qu'ils retentissent. (EF)]
MESSAGER.
Laissez, laissez à part ces plaintes misérables.
CHOEUR [DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE].
1520 | Qui peut assez pleurer des maux si déplorables ? |
MESSAGER.
On doit tant seulement lamenter pour les morts [ 253 Lamenter : se lamenter. [R]] [ 252 Tant seulement : seulement. [R]]
Dont toute l'espérance est morte avec le corps
Ignorants l'autre vie, et ne croyant que l'homme
Est mis dans le tombeau pour dormir un court somme, [ 254 Somme (un court) : un court sommeil. [SP]]
1525 | Et qu'à la voix de l'Ange il ressuscitera. |
La mort n'est point un mal ; et quand le bon mourra,
Cette injure ne peut jusqu'à ce point s'étendre
De changer son État et malheureux le rendre :
Car bien que même fin fût à l'homme innocent,
1530 | Qu'à l'homme vicieux qui coupable ses sent, |
Celui-là dont la vie a toujours été bonne,
Meurt toujours assez bien quelque mort qu'on lui donne.
Si le genre de mort nous faisait malheureux,
Le Ciel serait aux bons trop âpre et vigoureux :
1535 | Car il aurait redu chétifs et misérables |
Tant de sacrés Martyrs, de Pères vénérables,
Et de saints Confesseurs qui constants en la foi,
Sont morts honteusement à l'honneur de leur Roi.
CHOEUR [DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE].
Votre conseil est bon. Ne lamentons pour elle [ 255 Lamentons (ne) : ne nous lamentons. [R]]
1540 | Qui maintenant jouit de la gloire éternelle, |
Mais plaignons notre perte, et pleurons seulement
Pour chercher à nos maux quelque soulagement.
L'amertume des pleurs adoucit la tristesse.
Écoute ces regrets, bienheureuse Princesse.
1545 | Princesse unique objet des Princes et des Rois, |
Par qui l'amour faisait reconnaître ses lois,
En toi seule acquérant dessus tous la victoire,
La beauté respirait quand tu vivais ici,
Mais lorsque tu mourus elle mourut aussi,
1550 | Et le regret sans plus en reste à la mémoire. |
Si ta main possédait un sceptre glorieux,
Tu le viens d'échanger au Royaume des cieux :
Mais on nous aveugla nous cachant ta lumière ;
Car bien que le Soleil rayonne sur notre oeil,
1555 | Notre âme en te perdant a perdu son Soleil, |
Dont la seule clarté nous ouvrait la paupière.
Beauté qui commandais absolument aux coeurs,
Et qui trempais d'attraits les traits de tes rigueurs,
Par lesquels on mourait de douleur ou d'envie ;
1560 | S'il te fallait mourir, naître il ne fallait pas |
Ou si rien ne peut vivre immortel ici-bas,
Tu devais toute vive au Ciel être ravie.
Immortel ornement des mortelles beautés
Dont tous les yeux humains languissaient enchantés,
1565 | Amour étant lui-même amoureux de ta grâce, |
Toujours la Chasteté sur ton front reluisait,
La douceur en tes yeux sa retraite faisait,
Et la pudeur semait ses roses en ta face.
Beau corps qui la vertu dedans toi renfermais,
1570 | Comme le seul esprit duquel tu t'animais, |
Pour être aux yeux de tous plus parfaite rendue ;
Quand l'on te fît aller de la vie au trépas,
Avec toi dans les Cieux elle alla d'ici-bas,
Comme des Cieux en toi elle était descendue.
1575 | Tête où les jeux mignards comme oiseaux se nichaient, [ 256 Mignards (jeux) : jeux gracieux. [ACAD]] |
Doux liens où les coeurs des Princes s'attachaient,
Et faisaient tous ravis gloire de leur service,
Las vous n'éclairez plus, ô cheveux bien aimés,
Ou bien c'est dans le Ciel, en astres transformés,
1580 | Comme furent jadis ceux-là de Bérénice. |
Beau front, glace brûlante où les yeux arrêtés
Admiraient chacun jour cent nouvelles beautés,
Siège de majesté tout relevé de gloire ;
Amour ce grand Démon qui sait ranger les Rois,
1585 | Le sceptre dans la main donnait en toi ses lois, |
Assis pompeusement sur un trône d'ivoire.
Beaux yeux de ce beau Ciel en clartés nonpareils,
Beaux Astres, mais plutôt deux rayonnants Soleils,
Aveuglants tout ensemble et brûlants de leurs flames,
1590 | Autrefois vos regards doucement courroucés, |
Furent autant de traits rudement élancés,
Pour faire en leur désir mourir l'espoir des âmes.
Bouche pleine de baume et charmes coulants
Qui les coeurs plus glacés pouvaient rendre brûlants,
1595 | Plus faconde en beaux traits qu'en doux attraits féconde : [ 257 Plus faconde en beaux traits : plus fertile en beaux traits d'éloquence. (EF)] |
Vif oracle d'amour toujours tu ruisselais,
D'un grand flux d'éloquence alors que tu parlais,
Pour ravir de merveille et de crainte le monde.
Hélas vous n'êtes plus, cheveux plus beaux que l'or,
1600 | Ou vous êtes sanglants si vous êtes encor ; |
Front tu n'as plus aussi ta blancheur naturelle ;
Yeux qui tant de lumière épandiez à l'entour,
La mort vous a voilés en dépit de l'amour ;
Le silence te clôt, ô bouche sainte et belle.
1605 | Puisque tant de beautés l'on a vu moissonner, |
Cessez, pauvres mortels, de plus vous étonner
Si vous ne trouvez rien de constant et durable :
De moment en moment on voit tout se changer ;
La vie est comme une ombre ou comme un vent léger,
1610 | Et son cours n'est à rien qu'à un rien comparable. |
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Notes
[1] Superbe : plein de fierté. [R]
[2] Damocle : Damoclès, avait sur la tête une épée suspendue par un crin de cheval. [L]
[3] Appendu : pendu, suspendu. [T]
[4] Pyrrhe : Probablement Pyrrhus , fils d'Achille, tué par Oreste. [T]
[5] Plus beaux : les plus beaux. Emploi du comparatif au sens du superlatif. (Pdj)
[6] Tributaires : Ma Tamise lui payerait comme tribut le droit d'être le seul utiliser ses eaux. [EF]
[7] Doute (moins je me) : moins je le soupçonne. [ACAD]
[8] Brasse la mort (on me ) : on complote ma mort. [SP]
[9] Cours malheureux tendait d'autre côté (son) : son voyage malheureux lui destinait un autre lieu. (EF)
[10] Voirement : vraiment. [SP]
[11] Mauvaise garde : difficile à garder.
[12] Minute ma mort : trame ma mort. [R]
[13] Loyer : récompense. [SP]
[14] Ains : mais. [L]
[15] Cordelle (s'engage à sa) : s'engage dans son parti. [T]
[16] Présence : en présence. (EF)
[17] Forcer : violer. [R]
[18] Giron de leurs mères : espace qui est depuis la ceinture jusqu'aux genoux dans une personne assise. [FC]
[19] Regorger : déborder. [ACAD]
[20] Sein (ayant la mort au) : étant très affligée. [L]
[21] Jà : déjà. [F]
[22] Soi-mêmes : soi-même. (EF)
[23] Tempête (l'orage) : l'orage fait beaucoup de bruit. [L]
[24] Impourvu (à l') : à l'improviste. [T]
[25] Basanés : les Espagnols. (Pdj)
[26] Paître (se) : se nourrir. [L]
[27] Trame (coupé la) : la Parque Atropos coupait la trame de la vie. [R]
[28] À la voix (le désordre) : le désordre a la parole. C'est lui qu'on écoute. A préférable à À. (Pdj)
[29] Et profane et sacré : tout est indifférent le sacré comme le profane. (EF)
[30] Bienfait est sans gré : la bonne action n'apporte pas de plaisir. (EF)
[31] Mal fait est sans peine : la mauvaise action n'est pas punie, c'est le contraitre de bienfait. (EF)
[32] Pri' : prie, l'apostrophe évite les 13 pieds. (EF)
[33] Retenté : tenté de nouveau. [SP]
[34] Ores : maintenant. [L]
[35] Divertis (du devoir) : écartés du devoir. [R]
[36] Fruit rongée (de son) : Les Anciens disent que les petits de la vipère tuent leur mère en naissant. [T]
[37] Bonace (mer) : mer calme après un orage. [L]
[38] Chef : tête. [F]
[39] Alcide : Hercule. [T]
[40] Combien qu' : quoique. [ACAD]
[41] Sans plus (de Dieu tiennent) : ne tiennent que de Dieu. (EF)
[42] Semond : invite. [R]
[43] Croissent leurs adversaires : augmente le nombre de leurs adversaires. Verbe actif seulement en poésie. [R]
[44] Si vaut-il : néanmoins vaut-il. [T]
[45] Élection (du moindre on fait) : on choisit le moindre. (EF)
[46] Tenir (qui vous peut en) : qui peut vous en empêcher. (Pdj)
[47] Paix la paix (À qui la). : à ceux qui nous laisserons la paix, nous accorderons la paix. (Pdj)
[48] Guerre à qui la guerre (la) : à ceux qui nous ferons la guerre, nous apporterons la guerre. (Pdj)
[49] Destre : dextre, main droite. (EF)
[50] Grand (un) : une personne élevée en dignité. [L]
[51] Aye entrepris (qu'elle) : qu'elle ait entrepris. (EF)
[52] Le vaut-il mieux : vaut-il mieux cela, vaut-il mieux ce que vous dites. (EF)
[53] Tant qu'elles soient parvenues : jusqu'à ce qu'elles soient parvenues. [L]
[54] La conserver : conserver la vie. (Pdj)
[55] Envie : impopularité. Au sens latin (invidia). (Pdj)
[56] Coup (un) : une fois. [SP]
[57] Apparaître (il en faut) : il faut le montrer. (EF)
[58] Si ne le faut-il mettre : néanmoins il ne faut pas le mettre. [ACAD]
[59] Couarde : lâche. [L]
[60] Et la facilité des mépris nous ameine : inversion, trop grande rigueur nous amène la facilité des mépris. (EF)
[61] Fors : excepté. [SP]
[62] Los : louange. [L]
[63] Avettes : abeilles. [T]
[64] Si jamais ne pique : néanmoins jamais il ne pique. [ACAD]
[65] Forcent le devoir : manquent gravement à leur devoir. [L]
[66] Entre-deux choisir (un) : choisir une solution moyenne. (EF)
[67] Fourvoie (ne) : ne s'égare. [SP]
[68] Fourrager : piller. [SP]
[69] Incoupable tête : innocente tête. [SP]
[70] S'elle : si elle, évite le hiatus. (EF)
[71] Merci (faisant) : faisant grâce, pardonnant. (EF)
[72] Franc de souffrance : libre de souffrance, sans souffrance. [SP]
[73] heur (l') : le bonheur. [SP]
[74] Franc de peur et de soi : libre, exempt de peur et de soi.[R]
[75] Sommer de promesse (te) : te demander de tenir ta promesse. (Pdj)
[76] Faux de parole : manque de parole. [SP]
[77] Ains : mais. [L]
[78] Aye son libre cours : ait son libre cours. Aye permet d'avoir 12 pieds. (EF)
[79] Là résolus (en sont) : en sont maintenant résolus. Là est fautif, il devrait y avoir jà. (Pdj)
[80] Temps (il n'est) : ce n'est pas le moment. (EF)
[81] Bris (le) : le débris. [SP]
[82] Donques : donc. [L]
[83] Grand' faveur : grande faveur. L'apostrophe évite les 13 pieds. (EF)
[84] Présage : prévoit. [T]
[85] Publique : public. Publique était au Moyen âge la forme usuelle pour public. [SP]
[86] Compris (est) : est renfermé. [R]
[87] Franchise : liberté. [SP]
[88] Faconde en discours : éloquente en discours. [SP]
[89] Courts (deux) : deux Cours. (EF)
[90] Éventée (sa mine est) : au figuré, ses desseins sont découverts.
[91] Pifres : joueur de fifre. [SP]
[92] Bers : berceau. [SP]
[93] Suffoquer cet effort : étouffer cet effort. [ACAD]
[94] Réprouve (je n'en) : je n'en approuve. (Pdj)
[95] Démon anglais (le) : le génie de l'Angleterre. (Pdj)
[96] Heur de sa vertu (à l') : au bonheur de sa vertu. [SP]
[97] Veux-je bien le vouloir : dois-je bien le vouloir. (Pdj)
[98] Levé l'échafaud : dressé l'échafaud. [SP]
[99] Étranges (Nations) : Nations étrangères. [FC]
[100] Vergoigne : vergogne, honte. [R]
[101] Blasonnerait (on le) : on le décrirait, on le dépeindrait. [SP]
[102] Cauteleux : rusé. [R]
[103] Controuvreur de songes : qui forge des songes, inventeur de songes. [SP]
[104] Caméléon : comme un caméléon il prend la couleur de ce qu'il approche. [ACAD]
[105] Fors : excepté. [SP]
[106] A mis : a mises. En 1604, on peut faire ou ne pas faire l'accord du participe avec le verbe avoir. (Pdj)
[107] Qui ceint : que ceint. (Pdj)
[108] Hyrcanie : Province de Perse au sud de la mer Caspienne. [T]
[109] Donques : donc. [L]
[110] Ne diffame : me diffame. Je pense qu'il faut lire me et non ne. (Pdj)
[111] Tenant comme ses fers : tout le monde a plaint ses peines, tenant pour ainsi dire ses fers avec elle. (Pdj)
[112] Brouillats : brouillards. (EF)
[113] Et si court à son terme : et, toutefois, elle court à son terme. (Pdj)
[114] Sortie incertaine (la) : le moment de la mort est inconnu. (EF)
[115] Décoller une Déesse humaine : Couper la tête à une humaine belle comme une Déesse. (EF)
[116] Élever le courage (à la grandeur) : Montrer un très grand courage. (EF)
[117] Monument (d'un) : d'un tombeau. (EF)
[118] Pulluleront (Cent chefs) : mille têtes naîtront ; c'est ce que portait le texte de 1601. (Pdj)
[119] Déchassé : expulsé. [SP]
[120] Désserre (se) : lui décoche. [R]
[121] Restivons plus (ne) : ne soyons plus rétif. [SP]
[122] Baste : baste, terme de dédain. [L]
[123] Fidèle exécuteur d'une infidélité : Cette antithèse plaisait au goût du temps. [SP]
[124] Que l'âme a de peine à mal faire ! : Tout ce Choeur manque dans l'édition de 1601. (Pdj)
[125] Pourette sorte : probablement la povrete ; que la pauvrette (la raison) sorte pour laisser la place à la passion. (EF)
[126] Devis : discours. [SP]
[127] Cautèle : ruse. [SP]
[128] Élans : élan. Suppression du s à élans. (EF)
[129] Train déréglé (au) : à l'allure déréglée. [T]
[130] Défaut (la force) : la force manque. [R]
[131] Non que sur une Reine : ni encore moins sur une aucune Reine. (Pdj)
[132] Déploré : désespéré, qui n'apporte plus d'espoir. [SP]
[133] Divisé de courage : peut-être, divisé dans le choix d'entreprendre quelque chose de grand. [L]
[134] Languissants (ses bras) : ses bras pleins d'une langueur amoureuse. [R]
[135] Sourci : sourcil. [R]
[136] Débile Nature : faible nature. (EF)
[137] Malheur (combien peut son) : combien peuvent ses funestes augures. (Pdj)
[138] Pitoyable (ta grâce) : au sens actif, ta grâce qui a pitié. [T]
[139] Dolente (mère) : mère qui souffre et se plaint. [T]
[140] Fît : fit, pas d'apostrophe sur le i. (EF)
[141] Vins : je vins. (EF)
[142] Depuis : ensuite. [SP]
[143] Éclipse : obscurcissement. [T]
[144] Rance hérésie : Hérésie moisie. [SP]
[145] Erreur (un) : une erreur. Ce mot est masculin dans plusieurs auteurs anciens. [SP]
[146] Émeut (il) : il excite. [SP]
[147] Conjure ma honte (il) : Il conspire ma honte. [R]
[148] Brassé la mort (j'eusse) : j'eusse comploter la mort. [SP]
[149] Giron (en son calme) : sur la calme étendue de la mer. (EF)
[150] Ire : Terme vieilli. Courroux, colère. [L]
[151] Entrefendent l'ombrage : font des coupures dans l'ombrage des nuages. (EF)
[152] Bref : adverbe, pour abréger. [T]
[153] Du depuis : depuis. [FC]
[154] Heur (l') de ma liberté : le bonheur de ma liberté. [SP]
[155] Fors : excepté. [SP]
[156] Conte (grand) : grand bavardage, ou peut-être, grand compte, grande importance. (EF)
[157] Déportements (vos) : votre conduite. [R]
[158] Mal talent : mauvais désir. [SP]
[159] Malheuré : malheureux. [SP]
[160] Dextre : droite, main droite. [R]
[161] Merci (sa douce) : sa douce grâce. [R]
[162] Grand' Princesse : grande Princesse, l'apostrophe évite les 13 pieds. (EF)
[163] Du depuis : depuis. [FC]
[164] Entreprendre (fait les Rois) : fait les Rois se révolter. (EF)
[165] Attenté par poison : tenté de commettre un attentat par poison. (EF)
[166] Amortis : presque éteints. (EF)
[167] Loyer : salaire. [SP]
[168] Chef : tête. [F]
[169] Dépourvu que Dieu : dépourvu celui que Dieu. (Pdj)
[170] Combien que : quoique. [ACAD]
[171] Si : Toutefois. [T]
[172] Moleste (entrée) : entrée incommode. [SP]
[173] Combourgeois : concitoyens. [SP]
[174] Quitté la barrière (a ) : a commencé sa course. (EF)
[175] Pitoyable : enclin à la pitié. [L]
[176] Discord : discorde. [R]
[177] De par Dieu : de par le commandement de Dieu. [L]
[178] Jaçoit que : bien que. [L]
[179] Détourber : détourner. (EF)
[180] Si : Toutefois. [T]
[181] Somme : Totalité. (EF)
[182] Piéça : Il y a longtemps, il y a quelque temps (terme vieilli). [L]
[183] Puis après : ensuite. [L]
[184] Estomaquerait (s') : se scandaliserait [T]
[185] Foul : fol, fou. (EF)
[186] Résoudra (ne) : ne décidera de différer sa mort. (EF)
[187] Qui craint : ce vers devrait être au vers précédent après homme pour le sens. (EF)
[188] Parque (la) : Déesse qui préside à la vie des hommes. [T]
[189] Pour craindre : pour lui faire craindre. (EF)
[190] Qui peint : Ce vers devrait être à la place de il dans le vers précédent, pour le sens. (EF)
[191] Ne d'âge. Ni d'âge. (Ne = ni est archaisme). [L]
[192] Apanage : Héritage des fils puinés des Rois de France. [R]
[193] Sinon perdre à plus désirer : possible, sauf ne plus désirer plus. (Ef)
[194] Branle soudain : mouvement soudain. [SP]
[195] Radopte (se) : s'attache de nouveau. [L]
[196] Abram : Abraham, père de tous les Hébreux. [T]
[197] Que sera-ce au prix : que sera ce que j'ai imaginé en comparaison de ce qui sera vraiment. (EF)
[198] En somme : en un mot. [R]
[199] Fiché : fixé. [SP]
[200] Serf : esclave, non attaché à la terre, mais à la personne . [SP]
[201] Ramentevant : rappelant. [SP]
[202] Adjuger : condamner. [SP]
[203] Arrive (en jugement n') : ne vient pas prononcer un jugement. (EF)
[204] Estrive (n') : ne querelle pas. [T]
[205] Prouver : montrer. [L]
[206] Dam : dommage, damnation. [FC]
[207] Abîmer : détruire. (EF)
[208] Brouillats (disparoir) : disparaître les brouillards. (EF)
[209] Poix dangereux : poids trop élevé. (EF)
[210] Partis d'étranges factions: des clans, des partisans d'étranges factions. (EF)
[211] Où les coeurs : inversion, où les coeurs, soudains à la guerre, etc., ne sont point maîtres de leurs mouvements. (Pdj)
[212] Use (m') : me traite. (EF)
[213] Régner te faut : il est nécessaire que tu règnes, et non régner te manque. (EF)
[214] Henry (grand Henry) : Henri II, fils de François Ier et de Claude de France. (EF)
[215] Idumée : Idumée, pays d'Asie entre la Judée, l'Égypte et l'Arabie Pétrée. [T]
[216] François second : François II, fils de Henri II et de Catherine de Médicis. (EF)
[217] François (l'air) : l'air français. (EF)
[218] Douloir : me plaindre. [T]
[219] Sereinons : rendons serein. [SP]
[220] Bonace : calme qui arrive sur la mer. [R]
[221] Ambroisie : mets des divinités de l'Olympe. [L]
[222] Nectar : la boisson des Dieux. [R]
[223] Périt le Nocher : fait périr le Nocher. Périr actif est un gasconisme. [FC]
[224] Compris (en tes yeux fut) : en tes yeux fut contenu, fut renfermé. [R]
[225] Déchassée : Chassée. [SP]
[226] Regarder de l'âme : regarder en imagination, non par les yeux du corps. (Pdj)
[227] Certes je fusse mort : assurément je serais mort. (EF)
[228] Manier : maltraiter. [SP]
[229] Vergongne : vergogne, honte. [SP]
[230] Promène (se) : se promène, dans ce vers et dans suivants, le verbe est au subjonctif. (Pdj)
[231] Délâche : lâche, fait tomber. [SP]
[232] Vergoigne (la honte et la) : les deux mots ont la même signification, vergoigne est plus ancien. (EF)
[233] Loisible : permis. [R]
[234] Ne plus ne moins : ni plus ni moins. Ne = ni est archaisme. [L]
[235] Foudre l'endure (ton) : Tu n'envoies pas ta foudre pour l'empêcher. (EF)
[236] Dolentes : affligées.
[237] Bourelle main : de la main du bourreau. Bourreau, en adjectif, au féminin. [T]
[238] Alme rosée : rosée fertilisante. [SP]
[239] Pourpris des Cieux : l'enceinte des Cieux. [T]
[240] Encor qu'elle : Bien qu'elle. [ACAD]
[241] Ravis : charmés. (lLit)
[242] Force à pleurer (elle) : elle contraint les autres à pleurer. [R]
[243] Coupeau du funèbre échafaud : sommet du funèbtre échafaud. [SP]
[244] Conquête (je) : je conquiers, je gagne. [SP]
[245] Peignant d'allégresse (se) : manifestant une allégresse. (EF)
[246] Porte : comporte. (Pdj)
[247] Dolente (sa poitrine) : sa poitrine qui se plaint. [ACAD]
[248] Partir (au) : au départ. [T]
[249] Délâche (il) : il assène. [SP]
[250] Marrisson (froid) : Froid chagrin. [L]
[251] Bruyent (qu'ils) : qu'ils retentissent. (EF)
[252] Tant seulement : seulement. [R]
[253] Lamenter : se lamenter. [R]
[254] Somme (un court) : un court sommeil. [SP]
[255] Lamentons (ne) : ne nous lamentons. [R]
[256] Mignards (jeux) : jeux gracieux. [ACAD]
[257] Plus faconde en beaux traits : plus fertile en beaux traits d'éloquence. (EF)