NOUVEAU CATÉCHISME POISSARD

RECUEIL DE TIRADES ET DIALOGUES À L'USAGE DES AMUSEMENTS DU CARNAVAL

IMPRIMERIE D'ISID. DELEUZE, RUE SAINT-DOMINIQUE, 15.


Texte établi par Paul FIEVRE, février 2022

publié par Paul FIEVRE, mars 2022

© Théâtre classique - Version du texte du 31/07/2023 à 19:59:40.


ACTEURS

LE MALIN.

LE COCHER.

LA POISSARDE.

LE FORT.

L'HOMME DE LOI.

LA BERGÈRE.

POLICHINELLE.

LA CUISINIÈRE.

LA FRUITIÈRE.

UN LOCUTEUR.

La scène est dans une place de ville.


NOUVEAU DES AMUSEMEN...

RENCONTRE DE DEUX VOITURES DE MASQUES.

UN MALIN.

Où vas-tu donc comme ça, cocher de hasard, avec un équipage de pacotille.

LE COCHER.

Qui qui lui parle à ce faux malin ; t'en as l'uniforme et, v'là tout ; les hommes font les babils, mais l'habit ne fait pas l'homme ; tu n'es ni gros ni lourd, et si tu ne tais pas ta gueule, tu vas voir avec queu brosse je m'étrille.

LE MALIN.

Toi, cocher de malheur ! Vois-tu ces bras-là, c'est de la bonne acier, et si tu fais l'insolent, tu vas voir comment je mouche.

LE COCHER.

Va donc, malin de carnaval, je vois ben pourquoi tu m'attaques i c'est pour dégueuler ton catéchisme ; eh ben commence et tu verras si j'sommes dans l'cas de t'répondre.

LE MALIN.

M'entreprendre avec toi, cocher de fabrique, va apprendre à manier ton étrille, ruineux de loueux de voitures ; ce serait trop d'honneur à te faire, et comme j'ne ve veux pas perdre mon temps davantage avec un garnement de ton espèce, continue à brouter la faignante compagnie, chacun dans sa circonférence.

UNE POISSARDE.

Ah ça, dis-donc, auras-tu bientôt fini ? D'où vient ton humeur taquine ? Su[r] quelle herbe que t'as marché ce matin ? enfin à qui que t'en as et qu'est-ce qui l'a seriné un peu ?

LE MALIN.

À coup sûr, ce n'est pas toi, créature du petit peuple : j'n'irai pas à si mauvaise école.

LA POISSARDE.

Tiens c'marpeau ! N'dirait-ou pas à l'entendre qu' c'est le fils d'un duc et pair. Apprends, museau d'chien, que ne vient pas à mon école qui veut, et qu' pour être admis dans not' société ; il faut savoir â qui qu' l'on tient.

LE MALIN.

Pardine, v'là-t-il une belle société ! Ah ben : je l'conseille dé la vanter ! Grâce aux p'lures qui vous couvrent, vous trompez queuq's uns ; mais j'vais vous faire connaître à l'estimable public qui m'entoure :

Toi, infernal' gueule à soupape,

Poissarde qui a tant de jappe

Tu t'promène en carrosse, catin,

Tu f'rais mieux d'l'assurer du pain.

5   Voyez c'te puante carogne

Que dévot' la teigne et la rogne.

LA POISSARDE.

Crois-tu, rouchi, que t'as la puissance

De pouvoir m'imposer silence ;

Y faudrait avoir, sur ma foi,

10   Un' bien meilleur' platin' que toi ;

Apprends que la mienne est ferrée,

Et qu'à Maubeuge on l'a trempée.

T'a cru qu'avec tous les médires,

J'allais m'laisser abasourdir.

15   Va, vilain chien, vieux paltoquet.

Va, bats en r'trait' vilain caniche.

LE MALIN.

Reprends donc haleine pour cracher,

Et j' vas un p'tit brin te r'moucher.

Tu vas attraper la pipie,

20   Car tu jacass'là comm' un' pie.

Va-t-en plutôt boire un coup d' cric,

Pour le renforcer l'alambic.

LA POISSARDE.

J't'avons dit à peu près ton fait,

T'es donc pas encore satisfait ?

25   Eunuque, tu n'rougis de rien ;

Dis-mois z'à quoi qu' t'es bon, vaurien ?

Mais c'est trop longtemps discourir

Avec queuq'z'un qui n'sait quoi que dire ;

J'ai pitié de ton impuissance,

30   Car sans ça tu aurais un' danse !

Adieu, beau valet du grand turc ;

Ailleurs va t'fair' friser la nuque.

UN FORT ET UNE POISSARDE.

LE FORT.

Eh bien ! la rencontre est heureuse ;

Est-c' ben toi que j'vois double gueuse.

35   Eh mon Dieu oui, je n' me tromp' pas,

C'est c'te têt' d' la rue du Haut-Pas.

Diabl', comm' te v'ià ben requinquée !

Comme un' châss' te v'là toute parée.

Où donc qu' tas eu ces biaux habits,

40   Dis-moi donc ça, vilain' toupie ?

LA POISSARDE.

Dis-donc, maquereau est-ce que j'ai des comptes à t'rendre ; faut y pas dire à c' beau morceau qu'est-c' qui l'a fait ; qu'est-c' qui l'a pondu ? C'pendant comm' j'suis bonn' fille, j'veux ben m'abaisser jusqu'à z'entrer en colloque avec un particulier d'ton espèce. Tu sauras donc sac à vin, que si j'ons queuqu'chose ; c'est que j'l'on gagné loyalement ; de tout c'que tu portes, pourrais-tu en dire autant, mangeux d'blanc ; d'puis qu'tu n'es plus sur l'sable, comme tu es insolent et détestable. T'as déjà eu ben des hauts et des bas, et tu n'es pas quittes de l'embarras. Tu crois qu'tout l'monde est comme toi, parc'que de t'voir ben bichonné, tu t' trouv' tout glorifié ; savoir comment ça t'est z'arrivé, j'men vais te l'fiché par le nez. Vous saurez donc, respectable société, que 1' moigneau qui m'a s'apostrophée, est le plus grand grugeur de toutes les poupées, le plus lâche de tous les poissons, et qu'il suffit de lui parler d' front pour lui faire baisser l'ton, il d'vient doux comme u[n] mouton, mais s'il a affaire à un queuq'gonse, faut voir comme il s'annonce et comme y fait contribuer les pauv' petits miches que séduit sa poupée. Laut'jour un gros anglais dans son r'paire entraîné, fut entièrement dévalisé, et v'là pourquoi ce maquereau est aujourd'hui si faraud.

LE FORT.

À mon tour, bell' poissarde

Tu vas voir si ma gueule est camarde ;

Or, je me sens d'humeur gaillarde,

Sans m'amuser à la moutarde,

45   Sachez, honorabl' assistants,

Et frémissez d'étonnement :

La caqu' sent toujours le hareng ;

C'est un dicton du bon vieux temps,

Et c'te goton que vous voyez

50   Nous en donne la vérité.

D'abord, j'veux qu' tout le monde sache

Et sans que personne se fâche,

C'que c'est que c'te Marie Touillon,

Surnommée la boile à bouillon ;

55   Elle est fill' de Marie la Coine

Et son père était Papavoine.

Auparavant l'âge de dix ans,

Elle agaçait tous les passants,

Et tous les jours, rue Frépillon  [ 1 La rue Frépillon est une partie de l'actuelle rue Volta dans le 3ème arrondissement.]

60   On la voyait fair' ses factions.

Un soir, un vieux monsieur, dit-on,

Fut raccroché par c'te souillon ;

Comme elle avait sur la figure

Au moins un' livre de peinture

65   Une fauss' gorge, un faux chignon,

Des dents postich', un polisson,

Il crut voir un objet de r'cette.

Dieu sait si son ardeur fut muette

En voyant tout' c'te contrebande !

70   Un jour, un bon luron ayant la tête grise,

Poussé par trop de nourriture,

Fut entraîné dans c' nid d'ordure.

La gueus' voulut mettre en pratique

Sa déloyale mécanique.

LA POISSARDE.

As-tu dégoisé assez d' menteries, vilain habitant d' Barbarie ; Dieu ! C'que c'est qu'la jalousie ! Voyez, n'est-il pas comme une harpie. Tu mériterais ben queuq' taloche, si tu valais la peine que j' le les décoche. Sauv'-toi, grand déhanché, vieux manche de gigot, bouquet sans queue, restant de bagne, visage de crocodile. Adieu, tête de veau ; à là première rencont', mon bichon nous boirons un canon.

UN MALIN ET UN HOMME DE LOI.

LE MALIN.

75   V'là z'un avocat de causes perdues ;

Y cherch' des clients dans les rues.

M'est avis qu' c'nest pas un grand clerc :

Il port' des lunett' pour voir clair ;

Il faut l'envoyer à l'école

80   Étudier Cujas et Barthole,

Les Pandect's elle Cod' civil,

Ça l'rendra tant soit peù subtil.

Son bonnet, sa large perruque,

Qui couvr' ses oreill' et sa nuque,

85   N'suffisent' pas pour être au Palais

Un docteur, un aigle, un profès !

Un plaideur qui jug' sur la robe,

Je l'savons, trop souvent la gobe,

Et qui s'laiss' prend' à cet appât

90   N'trouv' qu'un ân' revêtu d'un bât.

L'HOMME DE LOI.

Monsieur croit dire des merveilles !

À le juger par ses oreilles ;

On voit qu'il est de ces grisons

Qui se nourrissent de chardons.

95   Comme il est là bouche béante !

Ici quelque chose le tente ;

Eh ! Chez le grainetier voisin

Payons-lui donc un picotin.  [ 2 Picotin : Mesure pour donner de l'avoine aux chevaux. [L]]

Celle promesse doit lui plaire

100   Et nous allons l'entendre braire.

D'Arcadi' c'est un rossignol,

Il va chanter en si-bémol...

En si beau chemin tu t'arrêtes !

Un effort, maître Aliboron !

105   Soutiens ta réputation

Et ne perds ainsi là tête.

LE MALIN.

Petit robin, tu veux rallier,

Eh bien ! Nous allons chamailler.

Embryon de l'art oratoire,

110   Méchant soldat de l'écritoire,

Tu veux faire le Cicéron.

Va, tu n'est qu'un triste avorton.

Tu crois briller lorsque tu brailles,

Et quand tu plaides, chacun bâille ;

115   Le moindre petit clerc d'huissier,

Pourrait t'apprendre ton métier.

Tu pens', nigaud, à l'audience

Qu'c'est pour loi qu'on fait du silence ?

C'est que tout l'auditoire dort,

120   Et sur ce chacun est d'accord.

On voit réduits à la misère

Ceux que par malheur tu défends ;

Père et mère : et tous les enfants.

Je le répète, sur la terre,

125   La peste fait bien moins de mal.

L'HOMME DE LOI.

Parbleu ! C'est un sot animal

Qu'un bavard qui, de l'éloquence,

Se rend l'arbitre effrontément ;

Mais on pardonne à l'ignorance,

130   Et c'est le propre du talent.

Apprends, butor, que Démosthènes,

Qui faisait la gloire d'Athènes,

Quand il commença son état,

N'était qu'un très mince avocat ;

135   Que, pour se délier la langue

Dans sa bouche il mit des cailloux.

LE MALIN.

Je connais queuqu'chose d'plus doux ;

Quand tu débites une harangue,

Dans la tienne mets donc du bran,

140   Et de ton ennuyeux quanquan,

Que tu crois de belles merveilles,

Tu n'nous rompras plus les oreilles.

L'HOMME DE LOI.

De monsieur, ménagez l'tympan ;

Il est aussi fier qu'Artaban !

145   Qu'il a bon air, quelle tournure !

Faut l'envoyer à Martinet,

Pour faire une caricature,

Le modèl' me semble parfait.

Ce serait ma foi bien dommage.

150   De ne pas conserver l'image

D'un aussi joli Cupidon.

Dans l'vinaig, comme un cornichon,

On t'gardera, magot d'ta Chine

C'est ta vraie place, j'imagine.

155   Ah ! Ah ! pour l'apprendre à gouailler,

Si tu crève' j'te ferons empailler

Ni plus ni moins qu'un' vieill' momie ;

Afin d'garder ton effigie.

J'te verrons un jour sur ma foi,

160   Figurer au Jardin du Roi.

Eh bien ! T'as donc la langue gelée,

Tu restes-là le bec en l'air

Comme un' huitr' qu'attend la marée ;

Tu n'as plus l'maintien aussi fier.

165   R'tourne, fiston, dans ton village,

Je vois bien qu'tu mang' du fromage.

Pour te frotter à nous, c'est sûr

Tu n'as pas le croc assez dur.

UN FORT ET UNE BERGÈRE.

LE FORT.

Hé ! Dis-donc, gentille bergère, ousque tu dirige donc tes pas ? Si tu vas à Cythère et que lu sois seule pour faire le voyage, j'me propose pour l'accompagner.

LA BERGÈRE.

Quand je ferai ce voyage , je ne prendrai pas pour compagnon un bambocheur, un coureur comme toi, un trompeur de femmes, entends-tu, vilain monstre ?

LE FORT.

Quien ! Dous que tu m'connais, toi, dis donc, Estele moderne, reine de mon coeur.

LA BERGÈRE.

Ah ben, j'aurais un beau royaume ! Je n'risquerai rien avant d'en prendre possession que d'mettre en réquisition tous les médecins et les pharmaciens pour le purifier.

LE FORT.

Ah çà, dis donc, la petite, t'es ben libre de m'accepter ou d'me refuser ; mais la parole ne te donne pas l'droit d'insolence, et si tu m'dis des compliments en manière d'injures, j'm'en va t'en dégoiser pus que tes oreilles n'en voudront entendre ; rions, badinons, mais.... N'insultons personne, ou morgué, tu verras qu't'as pas affaire à un efféminé, et si je m'livre à mon incohérence d'humeur ; t'auras pas beau jeu.

LA BERGÈRE.

Oh ! Je n'crains rien, et les menaces sont pour mon chat, entends-tu, amoureux des onze mille vierges, adonisse de la halle.

LE FORT.

Ah ! Tu commences ! T'en veux donc ? Eh ben ! Tu vas en avoir !

Ôtez-lui tout son fard,

170   Vous verrez son teint blafard.

Les taches qu'elle a sur la figure

Sont autant d'égratignures

Que fit l'autre jour son amant

Qu'elle avait mordu jusqu'au sang.

175   N'croirait-on pas voir l'innocence

Avec tout son aimable engeance ;

Désabusez-vous : sous c'maintien

Il n'y a qu'une rusée catin

Sortie depuis hier matin,

180   De l'h'ospice des Capucins.

On pourrait bien à c'te femelle

Qui fait la sage demoiselle,

Donner l'bon Dieu sans confession,

Et pardessus l'absolution ;

185   Mais ce serait un sacrilège

Que d'tomber dans un pareil piège.

De répondre ell' n'est pas tentée,

Ell'sait que j'dis la vérité,

Et que j'pourrais ben sur son dos

190   Parler jusqu'à Quasimodo.

Mais comme la vérité zoffense,

C'est pour ça qu'elle n'a pas de défense

Et qu'ell' prend sag'mént son parti

De n'pas répondre à tout c'que j'dis.

LA BERGÈRE.

195   Ah ! Tu crois ça, Monsieur d'la force,

Elle ne vaut rien ton amorce !

Tu voudrais ben que je me tusse ;

De joie t'en saut'ràis comme un'pucc.

Sans t'interrompre' j'ai écouté,

200   Ainsi ne viens pas m'embêter;

En queuque mots, vilain paillasson

J'men vais te faire changer d'ton ;

Quoiqu' d'engueuler j'n'ons pas coutume

Et qu'j'ai pour l'heure un très grand rhume,

205   Il faut c'pendant qu'à tous les yeux

J'montr' que tu n'es qu'un mauvais gueux,

Un escroc, un chien, un pendard,

Un vrai filou, un franc gueusard.

Et que c'est Ion humeur jalouse

210   Qui fit périr ta pauvre épouse

Parce qu'elle avait, j'avoue son tort,

Cédé, z'aux passions d'un beau fort.

Fallait-il, susceplibl' sans bornes,

Pour t'avoir fait porter des cornes,

215   Châtier d'un' manier' si cruelle

C'te pauvre épouse encor d'moiselle ;

C'est c'qui d'vrait arriver toujours

Aux maris qui n'ont pas d'amour,

Sans pour cela que leurs moitiés

220   Par ces gueux pussent être assommées,

Alors y aurait d'Ia justice

Et d'ia sorte pas tant d'c'vices.

Ah ! si jamais les femm's r'font le code,

Il n'y aura rien dedans qui gode,  [ 3 Goder : En parlant d'une étoffe, faire un pli un peu en rond là où l'étoffe doit être à droit fil. [L]]

225   Et on n'verrait pas si souvent

Not' sexe battu impunément :

Car n'est ce pas un'chose affreuse

D'voir' encore c'te figure hideuse,

Qui du bourreau devrait avoir

230   D'puis long-temps reçu son pourboire.

Mais avec Thémis on n'perd rien,

Et tôt ou tard on r'çoit son gain.

Seul'ement, je crains pour mon pays,

Que le trépas de ce maudit

235   Empoisonne la terre, et l'onde

Et amène la fin du monde,

Car le corps.de c'te pourriture

Empestera toute la nature.

POLICHINELLE ET UNE POISSARDE.

LA POISSARDE.

Dis-moi donc ? Eh ! Polichinelle ;

240   Où va donc toute c'te séquelle ?

POLICHINELLE.

Que nous veut c'te vieille stockfiche.  [ 4 Stockfiche : Toute sorte de poisson salé et séché, et, plus particulièrement, une espèce de morue séchée à l'air. [L]]

Qu'a le poil frisé comme une caniche.

LA POISSARDE.

Voyez l'donc là cet argousin,  [ 5 Argousin : Bas officier des bagnes, chargé de la garde des forçats. [L]]

Y s'croit un empereur romain,

245   Auprès de ce méchant cocher d'fiacre ;

Va, t'as beau faire vilain polacre,

Avec ton grand chapeau pointu

De mauvais clinquant tout cousu,

Ton habit tout barriolé

250   Ta perruque mal alignée,

Ton grand nez qui fait carillon

Avec ton recourbé menton ;

Mais ce qui porte à la riance  [ 6 Qui porte à la riance : probablement "qui porte à rire".]

C'est de voir tes deux éminences.

255   J'sais ben qu'ell's ont l'double agrément

De tenir chaud derrière et d'vant ;

Mais ça te donne un air tout drôle,

Avec ton cou dans les épaules ;

J'y vois c'pendant un avantage,

260   Ça t'sert de balancier, je gage

Et tu n'peux pas tomber, je crois,

Puisque ça fait un contre-poids ;

Enfin l'as l'air double Mayeux

D'vouloir t'enfler gros comm' les boeufs ;

265   N'oublie pas surtout tes guiboles

Car ell' me paraissent un peu molles

Pour soutenir le lourd fardeau

De ta carcasse à double dos,

Et pour traîner tes longu's galoches,  [ 7 Galoche : Familièrement. Menton de galoche, menton long et recourbé. [L]]

270   Que tu n'peux pas mettr' dans tes poches,

À moins d'risquer d'être engueulé

Et d'être traité de va-nu-pieds.

POLICHINELLE.

Dis-donc,figur d'épouvantail,

Comme aujourd'hui t'as la gueul' forte ;

275   Faut qu'taies mangé un cent d'bott' d'ail,

Sans ça tu n'jaserais pas d'la sorte.

Viens donc, figur' de hareng-pec

D'mon poing j'te vas caresser l'bec ;

Essuie-le, ma fill', car tu baves ;

280   T'as l'cuir vermeil comme un' bett'rave ;

Ta gueule est l'porlrait d'un égoût !

Qu'ça doit avoir un joli goût !

Auprès d'ton halein' la vidange

Sent, je l'parie, la fleur d'orange.

285   Elle est sèche comm' un vieux coucou ;

J'suis sûr, guenon, qu'dans ton vieux trou ;

Qui est aussi profond qu'un' citerne,

Si l'on mettait un lumignon  [ 8 Lumignon : Bout de la mèche d'une bougie, d'une chandelle ou d'une lampe allumée. [L]]

Ta carcass' servirait d'lanterne.

290   M'entends-tu bien, Marie Graillon ?

J'suis bon peintre ; d'après nature

Tu vois qu'j'trac' ta portraiture.

D'ta gorge j'f'rons un havresac  [ 9 Havre-sac : Anciennement, nom du grand sac de peau que les fantassins portaient sur le dos dans les marches. [L]]

Ou bien des blagu' pour du tabac.

295   Va, j'te mépris' comm' un' veill' chique,

Tu m'purge ainsi qu'un' noix vomique.

LA POISSARDE.

C'est ben heureux, t'as donc fini !

De sottis's tu m'a agoni',

J'm'en moque ainsi que d'un' grimace

300   Ça gliss' sur nous comm' sur d'ia glace.

J'ons d'l'honneur encore plus d'vertu !

On n'nous r'proch'rais pas un fétu.

J'ons, Dieu merci, bonn' renommée,

J'allons partout tête levée ;

305   Et toi, qui fait ici l'fendant,

Tu n'pourrais pas en dire autant ;

Je m'moqu' que tu m'blàm' ou qu'tu m'loue,

On est sali que par la boue.

Entends-tu, chinois d'paravant ;

310   Acroch'ça, toujours en passant.

Tu l'vois ben, figure à taloche,

J'n'avions pas la langu' dans not' poche.

POLICHINELLE.

J' pourrions la placer un peu mieux

Dans un endroit qui est pus meilleux.

315   J'savons que t'aimes la confiture ;

C'est d'ia bonn' qualité j't'assure,

Et j'suis sûr qu'au Fidel' Berger

N'y en a pas d'meilleure à manger :

L'un de ces jours, ma cher' poupée,

320   J't'en enverrai un' pt'tit' potée. ;

LA POISSARDE.

De ton cadeau je n'puis m'fâcher ;

Mais avant, faudra m'la mâcher.

POLICHINELLE.

Pas si bête ! v'là z'un' bonn' réplique,

Je n'dis pas mieux, moi qui m'en pique,

325   Mais facil'ment tu goberas ça,

N'y a pas d'arrêt' dans c'poisson-là.

Pour toi queu jouissanc', queu joie !

Ton gosier prêt' comme un bas d'soie !

Tout' tes ouvertur', la maman,

330   Sont mod'lées sur un four à ban,

Adieu, volaille, adieu, patache ;

Va donc te faire mettre un attache

Chez l'racomodeux d'pot cassé,

On m'a dit que dimanch' passé

335   On fit brèche à ton embrasure.

Adieu, schabraque, adieu, masure ;

Tu vois que pour le Carnaval,

J'te fournis un joli régal.

LA CUISINIÈRE ET LA FRUITIÈRE.

LA CUISINIÈRE.

J'voudrais avoir des champignons,

340   Des épinards, un' bott' d'ognons,

Du persil, de la chicorée,

Qu'elle soit blanche et bien frisée.

LA FRUITIÈRE.

J'allons voir tout d'suit' l'honneur

De vous servir, mon petit coeur,

345   Mais dit' moi donc mamzell' Fanchette,

Chaque jour vous devenez plus drôlette ;

J'vous trouv' comm' ça, en vérité.

LA CUISINIÈRE.

Vous me donneriez d'la vanité,

Mais je me connais. En conséquence,,

350   Vous allez dir' combien j'vous dois ;

J'vous acorde la préférence,

Et d'après cela, je le crois,

Vous allez m'traiter en pratique.

J'achalande votre boutique,

355   Ça s'mont', voyons.

LA FRUITIÈRE.

  À trent' quat' sous.

LA CUISINIÈRE.

Allons, donc, vous moquez-vous d'nous ?

J'n'en donn'rai que vingt.

LA FRUITIÈRE.

Êtes-vous folle ?

Vous vous imaginez que j'vole.

Quand j'vais au marché chaqu' matin.

LA CUISINIÈRE.

360   Je n'vous dis pas ça, mais enfin...

LA FRUITIÈRE.

Enfin comme en gros ; mademoiselle,

J' n'avons pas besoin d'un' chandelle

Pour découvrir qu'à noire honneur

Vous fait' z'un tort...

LA CUISINIÈRE.

Ah ! Quel malheur !

365   Prenez garde de blesser Madame.

Comme ell' le prend sur un haut ton.

LA FRUITIÈRE.

J' vous 1' dis tout net, mamzell' Fanchon

Dans not'état j'avons de l'âme

Malgré les méchants, les envieux,

370   On n' m' fera pas baisser les yeux.

LA CUISINIÈRE.

Ni moi non plus.

LA FRUITIÈRE.

C'est autre chose.

LA CUISINIÈRE.

Quoiqu' ell' dit donc ?...

LA FRUITIÈRE.

Sur vous on glose.

LA CUISINIÈRE.

Ah ! Vot' chapitre est assez long ;

Mais on sait qu'vous n'manquez pas d'front,

375   Et vot' mari, c'te bonne grosse bête,

En a joliment sur la tête.

LA FRUITIÈRE.

J'vas te rabattre le caquet,

Et l'défiler mon chapelet.

LA CUISINIÈRE.

Tu peux parler, va, je m'en moque,

380   J'te fournirai le réciproque.

LA FRUITIÈRE.

Voyez un peu, mamzell' Souillon,

Qui prend chaqu'jour 1' premier bouillon,

Qui fait son beurr' sur c' quelle achète.

C' n'est pas pour briller en toilette

385   Qu'ell' fait danser l'ans' du panier,

Mais c'est pour un beau guernadier.

Ah ! Le luron fait ses bamboches :

Et Fanchon lui garnit ses poches

Et 1' gousset : enfin son amant

390   Est 1' plus calé du régiment.

Et sans respect pour sa maîtresse,

L' bourgeois l'y fricass' la tendresse.

J' savons ben, soit dit entre nous,

Qu' tu lui fais aussi les yeux doux,

395   Mais c'est pour mieux jouer d' la grippe.

L' meilleur morceau c'est toi qui 1'frippe :

Tu n' diras pas qu' c' sont des cancans.

LA CUISINIÈRE.

J' m'bats l'oeil d'tout les médisants.

Dès qu'on est tant soit peu jolie,

400   On n' manqu' pas qui vous calomnie.

J' plum' la poul' sans la fair' crier,

Au reste, chacun son métier.

Pour toi ; si t'es un' gross' fruitière,

On sait bien de quelle manière

405   Tu t'engraiss', mignonne, à quel jeu.

On connaît milord Pot-au-Feu,

Celui qui vient à la sourdine

S'chauffer le soir dans là cuisine,

Quand ton mari fait des fagots.

410   Y glisse en tapinois queuqu'mots

Et puis tu grimp' dans ta soupente.

Je m'tais parc'qu'je n'suis pas méchante.

D'ailleurs, si j'avons un amant,

C'est permis ; n'y a pas d'sacrement

415   Qui s'oppose à c'q'une fille s'amuse ;

De ce qu'on a faut bien qu'on use ;

Ce plaisir n'est pas défendu,

Mais faut y joindre un peu d'vertu.

Si j'me marie, comme j'l'espère,

420   Va, mes enfants n'auront qu'un père,

Au lieu qu'les tiens, l'fait est certain,

Ressembl' à l'habit d'Arlequin.

LA FRUITIÈRE.

Tu me l'paieras : à ta bourgeoise

J'vais aujourd'hui fair' la leçon.

425   Tu m'baille un' fèv', t'es t'un' sournoise,

De mes pois j'te garde un litron :

Demain tu s'ras mise à la porte.

Je veux que le diable m'emporte

Si je n'te vois pas dans huit jours

430   Avoir en gage tous tes atours,

Et faire chit-chit au coin d'un' borne ;

Allons, sors d'ici, maritorne.

À UN PIERROT.

LE LOCUTEUR.

Hé, Pierrot les grosboutons, pitre de tireur de cartes, amasseur de badauds, faiseur de dupes à la journée ; qui donc que ton maître a dévalisé pour te fournir de quoi rouler en sapin. Je gage qu'c'est encore un tour de ton métier ; c'est pour attraper le public et pour faciliter les moyens d'travailler à tes escrocs associés ; car si comme eux tu ne changes pas d'déguisements, c'est que t'as aux poignets les marques de certains bracelets qui t'force' à porter des manches aussi longues. Avec ta mine pâle et blême, t'as l'air d'un oiseau de carême : tu t'mets du blanc d'Espagne sur la figure pour te rendre méconnaissable à ceux qui t'ont vu sur le théâtre de la Cité. Mais l'as beau faire, tu n'échapperas pas au sort qui t'attend, mauvais chenapan, et tu finiras ta chienne de vie autre part que dans ton ch'nil.

À UN ARLEQUIN.

LE LOCUTEUR.

Dis donc ; valet d'tout' les couleurs,

Que fais-tu avec ces engueuleurs,

435   Toi qui toujours as la gueul' morte,

Qu'es toujours prêt à prendre la porte,

Et qui, à tout ce qu'on te dit,

N'répond que par sangodémi ;

Chevalier de la triste figure,

440   Tu as là une drôle d'armure,

Car d'après ce que j'aperçois,

Tu as Une latte de pliant bois.

Je crois que pour mieux te coiffer,

T'as pris un' machine à filtrer,

445   Ton habit qui n'est pas nouveau

N'est que de pièces et de morceaux ;

Pavoisé comm' navire en rade,

Tu n'es là que pour la parade.

À UNE MÈRE ANGOT.

LE LOCUTEUR.

Tenez ; r'gardez donc c'te mère Angot, c'est comme une vache avec ses veaux, en tourée de maquereaux et de poupées, d'ordure c'est un vrai trophée, de tous les enfants qu'elle a pondus, eh ben ! Pas un n'a atteint son but, et après avoir fait les cent coups, elle vole maintenant les hommes saouls. Jadis elle fut assez gentille, aujourd'hui ce n'est qu'une guenille, et malgré les habits antiques qui couvrent c'te vieille bique, je gagerions qu'un chiffonnier ne voudrait pas d'elle dans son panier.

À UN SAVOYARD.

LE LOCUTEUR.

Parle donc, hai ! Savoyard, ces jours-ci sont-ils faits pour se promener ? Queu métier qu'tu fais donc maint'nant, on n'te voit plus sous les piliers ; tu quittes l'éventaire pour prendre le râcloir, et de marchande sans honneur tu l'as fait ramoneur. Sous ce déguisement, t'as pt'êt' plus de chalands. Comme les cordonniers de campagne tu chausses les hommes et les femmes ; des boxons d'la Cité tu ramones toutes les cheminées, et d'la suie qui en provient tu l'avales tous les matins. C'est-y cette, ample recette qui le rend joliette, ou ben tout' c'te peinture que tu as sur la figure. Aussi pour fair' tomber c'biau teint, il ne faut pas et ben malin, car c'te beauté n'a pas de bail, et, au moyen d'une gousse d'ail on verra ta vilaine face, et chacun f'ra la grimace ; alors tout l'monde reconnaîtra c'te donneuse de nouvell' à la main, qui a tué plus d'hommes pendant l'hiver, que tout' les g'lées n'ont détruit de ver. Va t'cacher, commode à tout usage, amusement d'enfants de tout âge, pilier de Paul Niquet, vas-t'en pie sans caquet.

 



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Notes

[1] La rue Frépillon est une partie de l'actuelle rue Volta dans le 3ème arrondissement.

[2] Picotin : Mesure pour donner de l'avoine aux chevaux. [L]

[3] Goder : En parlant d'une étoffe, faire un pli un peu en rond là où l'étoffe doit être à droit fil. [L]

[4] Stockfiche : Toute sorte de poisson salé et séché, et, plus particulièrement, une espèce de morue séchée à l'air. [L]

[5] Argousin : Bas officier des bagnes, chargé de la garde des forçats. [L]

[6] Qui porte à la riance : probablement "qui porte à rire".

[7] Galoche : Familièrement. Menton de galoche, menton long et recourbé. [L]

[8] Lumignon : Bout de la mèche d'une bougie, d'une chandelle ou d'une lampe allumée. [L]

[9] Havre-sac : Anciennement, nom du grand sac de peau que les fantassins portaient sur le dos dans les marches. [L]

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