LE VOYAGE DE CHAMBORD

OU LA VEILLE DE LA PREMIÈRE REPRÉSENTATION DU BOURGEOIS GENTILHOMME

COMÉDIE EN UN ACTE, MELÉE DE VAUDEVILLES

PRIX : 1 franc 25 c.

1808.

Par MM. DESFONTAINES ET HENRI DUPIN.

À PARIS, Chez FAGES, Libraire DU THÉATRE DU VAUDEVILLE, au Magasin de Pièces de Théâtre, boulevard Saint-Martin, No. 29, vis-à-vis la rue de Lancry.

Représentée, pour la première fois, à Paris sur le THÉÂTRE DU VAUDEVILLE, le 11 Juillet 1808.


publié par Paul FIEVRE, janvier 2017

© Théâtre classique - Version du texte du 30/11/2022 à 23:12:18.


COUPLET D'ANNONCE.

Air : D'Arlequin Afficheur.

Vous allez voir, pour un moment,

Des gens de votre connaissance :

À Chambord le roi les attend ;

Ils vont s'y rendre en diligence !

Si le sort les verse en chemin,

Partagez leur mésaventure,

Et lestement, d'un coup de

Relevez la voilure.


PERSONNAGES. ACTEURS.

MOLIÈRE. M. CHAPELLE.

BARON. M. VERTPRÉ.

LA THORILLIÈRE. M. HYPOLITE.

DERVAL. M. GUÉNÉE.

LE SIMPLE. M. JOLY.

DUMONT. M. FONTENAY.

BRUNOT. M. CARLE.

MADAME LA THORILLIÈRE. Madame BAUDIN.

MADAME ROBERT. Madame DUCHAUME.

ADÈLE. Mlle. DESMARES.

VALETS.

La Scène se passe dans une auberge de campagne.


Le Théâtre représente une salle d'auberge. Au lever de la toile, Madame Robert est assise devant une table, parcourant la carte des mets qu'elle peut donner, Salmi est debout auprès d'elle.

SCÈNE PREMIÈRE.
Madame ROBERT, Salmi.

MADAME ROBERT.

Hum.... hum... hum.... et coetera, et coetera. Bien, Monsieur Salmi, très bien.

Air du Vaudeville de l'Asthénie.

Oui, j'applaudis à votre choix,

Variété c'est ma devise;

Elle satisfait à la fois,

Et gourmandise et friandise.

5   Consommés pour les jeunes gens,

Pour les vieillards, légers potages,

Pour les abbés, des ortolans,

Et des aloyaux pour les pages.

En se levant.

C'est cela... Rangez cette table, retournez à votre cuisine, et ne perdez pas une minute ; dans quelques heures nous aurons comtes et chevaliers, Barons et Marquis, comédiens et comédiennes, danseurs, danseuses, musiciens. Promptitude, attention, prévenances pour tout le monde. Allez.

SCÈNE II.

MADAME ROBERT.

Il ne manque qu'une chose au voyage de Chambord, c'est d'être plus long... S'il durait seulement une année je ferais ma petite fortune. On vient chez moi de préférence, et voilà ce que c'est que de traiter à des prix modérés. Si je gagne sur chaque objet, de quarante-cinq à cinquante pour cent, c'est tout au plus.

SCÈNE III.
Madame Robert, Adèle.

ADÈLE.

Ma tante, voici les carrés de papier que vous m'avez dit de couper pour écrire la dépense des voyageurs.

MADAME ROBERT.

Je te remercie, ma chère Adèle, et je suis enchantée de ton zèle à me seconder. Je présume que tu ne l'es pas moins de ce que tu vois ici depuis quelques jours.

ADÈLE.

Oh ! Je vous en réponds, ma tante.

MADAME ROBERT.

N'est-ce pas ?

ADÈLE.

Air : J'ai vu le Parnasse des Dames.

Tout ce bruit, tout cet étalage,

10   Je n'aurais pu le concevoir,

Le roi, dans son grand équipage,

Vraiment, c'est magnifique a voir;

Tant d'éclat passe mon attente,

Mais si ça vous était égal,

15   De bonne foi, ma chère tante,

J'aurais mieux aimé voir Derval.

MADAME ROBERT.

Patience. Monsieur le Simple vient ici ce matin, Derval y sera de bonne heure ; ils ne se connaissent pas, je les présenterai l'un à l'autre, et j'espère qu'ils se conviendront.

ADÈLE.

Monsieur le Simple est mon tuteur, il a le droit de refuser.

MADAME ROBERT.

Je suis ta tante, j'ai le droit de parler.

ADÈLE.

S'il vous en donne le temps. Lorsqu'une fois il s'est emparé de la parole, impossible de la lui reprendre.

MADAME ROBERT.

Voilà trente ans qu'il cause, même en dormant ; mais laissez-moi faire, quand je suis en train, je ne vais pas mal. D'ailleurs, avec ses prétentions à l'esprit, à la finesse, il est si crédule, si bonace, ton cher tuteur, que nous finirons par en faire ce que nous voudrons.

ADÈLE.

Il dit que Derval n'est pas plus riche que moi, et çà c'est vrai.

MADAME ROBERT.

Derval fera son chemin.

ADÈLE.

C'est donc un beau talent que d'être peintre en décorations de théâtre ?

MADAME ROBERT.

Si beau que, d'un coup de sifflet, ce talent là vous transporte d'une chaumière dans un palais, d'un palais dans une prison, d'une prison dans le ciel, du Ciel dans l'Enfer...

ADÈLE.

Et tout de suite on se trouve dedans ?

MADAME ROBERT.

Dehors, je t'expliquerai cela.

ADÈLE.

Derval, encor mieux puisqu'il en sait.

MADAME ROBERT.

C'est juste.

ADÈLE.

Air : De la véritable Impériale.

Il vient, et ce matin,

Non, ce matin

Plus de chagrin,

20   L'heureux destin!

Plus de chagrin,

Si j'ai demain

Sa main.

Une égale tendresse.

25   Sans cesse,

Nous presse,

L'hymen suit l'amour,

C'est un beau jour,

Il est loin, je le vois,

30   Pour Derval et pour moi.

ENSEMBLE.

Derval vient ce matin,

Et ce matin,

Plus de chagrin;

L'heureux destin,

35   Plus de chagrin.

MADAME ROBERT.

S'il a demain ta main.

ADÈLE.

Si j'ai demain sa main.

ADÈLE, voyant le Simple.

Mon tuteur !

MADAME ROBERT.

Comme il en va dire !

SCÈNE IV.
Les Mêmes, Le Simple.

LE SIMPLE.

Bonjour, aimable cousine, bonjour chère pupille : voilà longtemps que je ne vous ai vues, la privation a été longue. Je vais m'en dédommager; il est si séduisant, si ravissant, si consolant de revoir ses amis, ses bons amis; les gens d'esprit les comptent, les sots ne les comptent pas, je pense comme eux, je prends le temps comme il vient, les gens comme ils sont, les affaires comme elles vont.

Pendant toute cette scène, Madame Robert et Adèle, veulent prendre la parole, elles n'y parviennent pas.

MADAME ROBERT.

Mais...

LE SIMPLE.

Vous en faites de bonnes, toute la Cour à Chambord, jeunes et vieux, grands et petits, allant et venant, passage continuel, personne à Paris, j'en arrive, j'y vais tous les cinq ou six ans. Peinture, architecture, sculpture, palais, jardins, promenades, rien ne m'échappe, je donne un avis à l'un, une idée à l'autre, s'ils n'en profitent pas, tant pis, ce que je fais, je le sais pour le bien. À l'égard des théâtres, je ne m'y accoutume pas, je ne m'y accoutumerai jamais ; entendre parler des acteurs, et ne pouvoir, n'oser rien dire ! Çà n'est pas supportable...

MADAME ROBERT.

Il faut bien...

LE SIMPLE.

Continuez, je vous écoute. D'ailleurs, je vais rester quelques jours avec vous, de là, je retourne à Troyes, on m'y désire, on m'y attend ; j'y donne le ton, les modes de la capitale ; voici le dernier goût. J'y sais une fête pour la voisine, un mémoire pour le voisin, ma maison ne désemplit pas, c'est la même que j'habitais du vivant de ma femme, et Dieu merci, je n'y suis plus tourmenté par le revenant qui tous les soirs, vers minuit s'établissait au bout de mon jardin, sous le berceau....

ADÈLE.

Le revenant !

LE SIMPLE.

Il chantait, il parlait, il appelait, se fâchait, faisait le diable ; moi qui n'ai peur de rien, un jour je pris le parti d'y aller ; mais je fus à peine sous le maudit berceau, que le revenant tomba sur moi, et me poursuivit à coups de cannes jusqu'à la porte de la maison. Il y a loin, et certes il fit bien de finir, car cela commençait rudement à m'impatienter. Croiriez-vous qu'il n'y eut que ma femme qui sut le mettre à la raison ; elle descendait au jardin, quand il s'avisait d'y paraître, ce qui lui arrivait souvent, et tant qu'elle y était, on n'entendait pas le moindre bruit. Heureusement qu'il n'y est pas revenu depuis qu'elle est morte, car je n'aurais su que devenir... Riez, cousine, riez, vous ne croyez pas aux esprits, et moi je vous assure qu'il y en a en Champagne comme ailleurs.

MADAME ROBERT.

Si je...

LE SIMPLE.

Ah ! Je ne vous ai pas parlé du devin de la rue Quincampoix, qui tire les cartes supérieurement, qui m'a dit ce que j'ai été, ce que je suis, qui a vu dans mes yeux ce que j'ai pensé, ce que je pense, ce que je penserai, qui m'a prédit que je serai le confident, le favori d'un grand souverain. Eh bien ! Vous n'y croyez pas non plus ? Mais laissons cela, un temps passe, l'autre vient, attendons, patientons, voyons, parlons du parti que je vous destine.   [ 1 La Rue Quincampoix est une rue de Paris perpendiculaire et au nord de la Seine.]

MADAME ROBERT et ADÈLE.

Du parti...

LE SIMPLE.

Air du Vaudeville d'Arlequin Musard.

Oui, je vais vous mettre en ménage,

Et digne ami, digne tuteur,

40   Je veux que votre mariage

Vous procure honneur et bonheur ;

Or, étant l'épouse chérie

D'un docteur expérimenté,

À vos ordres, et pour la vie,

45   Vous aurez fraîcheur et santé.

ADÈLE.

Même air.

De bien bon coeur, je remercie

Le docteur expérimenté

Qui voudrait, pour toute la vie,

Me donner fraîcheur et santé.

50   Toutes deux sont un bien suprême,

Mais sur ce point, mon cher tuteur,

Je crois qu'un époux que l'on aime,

En sait plus qu'un savant docteur.

MADAME ROBERT.

Adèle a raison, et songez...

LE SIMPLE.

Je songe que vous avez la fureur de parler, et qu'il n'est pas question d'amour, mais de mariage. Est-ce que ma femme m'aimait quand elle m'épousa ? Vous avez peu, très peu, Derval n'a rien ; quelle différence avec le médecin que je vous propose ! C'est un garçon de cinquante à cinquante huit au plus, et qui, dans les environs de Troyes, s'est fait, en malades, le plus joli petit arrondissement qu'il soit possible d'avoir ; nous en causerons à dîner. En attendant, je vais dire un mot à l'un, un mot à l'autre ; cela délasse ; et vous, Adèle, vous dont je suis l'appui, le tuteur, l'ami...

Air de la Poule.

C'est votre bonheur que je veux faire,

55   Et vos refus seraient superflus;

Vous aimez le peintre, mais j'espère

Que ce soir vous ne l'aimerez plus.

ADÈLE, vite, de peur d'être interrompue par le Simple, qui veut parler.

J'aime sans retour,

Chaque jour,

60   Augmente l'amour

Du seul objet qui peut me plaire.

MADAME ROBERT, de même.

Faveur aux amants,

Bien aimants,

Depuis très longtemps,

65   On voit si peu de coeur constants.

ENSEMBLE.

C'est mon bonheur que vous croyez faire,

Et vos efforts seront superflus,

Pour jamais, Derval a su me plaire,

Ce soir je vais l'aimer encor plus.

MADAME ROBERT.

70   C'est son bonheur que vous croyez faire,

Et vos efforts seront superflus,

Puis en parler d'un ton si sévère,

C'est bien vouloir qu'elle aime encor plus.

LE SIMPLE, s'en allant.

C'est votre bonheur, etc.

ADÈLE.

Eh bien, ma tante, que faire ? Que dire ?

MADAME ROBERT.

Que dire ? Non, toujours non ; je me charge du reste.

ADÈLE.

Et Derval qui ne vient pas !

MADAME ROBERT.

Il viendra, et toi, ma nièce...

SCÈNE V.
Les Mêmes, Brunot.

BRUNOT.

Deux voitures dont il sort des messieurs et des dames.

MADAME ROBERT.

Aux numéros deux et trois.

ADÈLE, s'en allant.

J'y vais.

MADAME ROBERT.

Et qu'on leur monte la carte.

BRUNOT.

Je la tiens.

En s'en allant, il voit Baron.

Un monsieur tout seul.

Madame Robert va au devant de Baron.

SCÈNE VI.
Madame Robert, Baron.

MADAME ROBERT.

Monsieur, j'ai bien l'honneur d'être votre très humble et très obéissante servante...

BARON.

Madame...

MADAME ROBERT.

Parlez, demandez, ordonnez, et vous, vos gens, vos chevaux, vous serez servis à la minute.

BARON.

Je n'ai ici, madame, ni mes gens, ni mes chevaux ; j'ai passé quelques jours dans un château voisin, j'en suis venu en me promenant.

MADAME ROBERT.

Il fait si beau !

BARON.

Et je vous prie seulement de faire avertir Monsieur de la Thorillière, il doit être ici.

MADAME ROBERT.

Monsieur de la Thorillière ?

BARON.

C'est avec lui que je vais à Chambord.

MADAME ROBERT.

Je n'ai pas l'avantage de le connaître, c'est tout simple, mais je cours savoir si j'ai l'honneur de le posséder, et comme sûrement monsieur ne partira pas sans avoir dîné...

BARON.

Je l'espère bien, la course que j'ai faite m'a donné beaucoup d'appétit.

MADAME ROBERT.

J'en suis ravie, et je puis garantir à monsieur qu'il trouvera ici ce que la terre et la mer fournissent de plus délicat.

BARON.

La terre et la mer ! Quelle correspondance !

MADAME ROBERT.

Mais non.

Air : Accompagné de plusieurs autres.

75   Des princes et des grands seigneurs,

Les intendants et pourvoyeurs

Nous font l'honneur d'être les nôtres,

Que de bons morceaux, sur ma foi,

Payés pour la bouche du roi,

80   Arrivent dans celles des autres.

SCÈNE VII.
Les Mêmes, Brunot, Dumont.

BRUNOT.

On demande Madame Robert.

MADAME ROBERT.

J'y suis.

Elle sort.

BRUNOT, à Dumont.

Et vous, Monsieur, voyez si c'est là le monsieur que vous cherchez.

Il sort.

DUMONT.

Justement, c'est Monsieur Baron.

BARON.

Vous ici, mon cher Dumont, qui vous y amène ?

DUMONT.

Une lettre de Monsieur Mondorge.

Il la lui remet.

Il sait que vous dînez ici, et j'ai pris la poste pour venir vous y trouver.

BARON, décachetant.

La poste !... Vous m'inquiétez.

Il lit.

Que vois-je ! Mondorge au moment d'être arrêté pour vingt-cinq louis dont il a répondu !... Je n'en ai que vingt dans ma bourse, la voici... à l'égard des cinq autres...

Il voit la table et y court.

Un instant.

Il écrit.

DUMONT, à part.

Autant d'obligeance que de talent.

BARON, vivement.

Passez chez le caissier de la comédie, et présentez lui le reçu, il vous remettra les cent vingt livres qui vous manquent.

DUMONT.

Ah ! Monsieur Baron qu'il est rare !...

BARON, vivement.

Air: Cet arbre apporté de Provence.

Mondorge est dans l'inquiétude,

Et je partage son chagrin:

Oubliez peine et lassitude,

Partez, mon cher, partez soudain.

85   Courez, volez à tire d'aile,

Crevez vingt coursiers, s'il le faut;

Près de l'ami qui nous appelle,

On ne peut arriver trop tôt

SCÈNE VIII.

BARON, seul.

Il ne me reste pas un écu ; mais Lathorillière va payer pour moi, à charge de revanche, et ce soir en roule, nous nous amuserons à répéter nos rôles, s'il en a besoin. Pour moi, je peux m'en dispenser. Il est aussi facile d'apprendre les vers et la prose de Molière qu'il est impossible de les oublier.

Air du Vaudeville des Amants sans Amour.

Des acteurs que l'on cite en France,

90   Partout je suis le plus vanté,

Mais j'écris, et sans espérance

D'aller à la postérité.

Que d'épines dans la carrière,

Et que de peines pour glaner

95   Dans le vaste champ où Molière

À pleines mains sait moissonner!

SCÈNE IX.
Baron, Madame Robert.

MADAME ROBERT.

Je viens dire à monsieur que Monsieur Lathorillière n'est pas encore ici.

BARON.

Pas encore ! Qui pour le retenir ?

MADAME ROBERT.

Il faut si peu de chose.

BARON, à part.

La représentation du Bourgeois gentilhomme serait-elle retardée ? La Thorillière ne viendrait-il plus ?

En souriant.

Et je n'ai ni voilure, ni argent, la position est charmante.

MADAME ROBERT.

L'ami de Monsieur aura peut-être eu la fantaisie de déjeuner en chemin, et je conseille à Monsieur de l'attendre à table.

BARON.

Il m'est impossible de manger seul.

MADAME ROBERT.

Quand Monsieur ne prendrait qu'un consommé ?   [ 2 Consommé : Bouillon succulent d'une viande très cuite, contenant une plus grande proportion de substances animales que le bouillon ordinaire, et susceptible de se prendre en gelée par le refroidissement. [L]]

BARON.

Le consommé ne me réussit pas.

Il se retourne et voit La Thorillière.

Ah ! Le voilà.

SCÈNE X.
Les Mêmes, La Thorillière.

Ensemble.

LA THORILLIÈRE.

Oui, mon cher Baron, un peu las, un peu soucieux ; mais je sens que cela se dissipe, je te trouve, et sûrement nous ne tarderons pas à dîner.

À part.

Sans lui, j'en serais loin.

BARON.

On n'arrive pas plus à propos.

MADAME ROBERT.

Et je suis aux ordres de Monsieur le Baron.

LA THORILLIÈRE, à Baron.

Elle te prend pour un homme de qualité.

BARON.

Laisse la faire.

À Madame Robert.

Hors-d'oeuvres à votre choix, suivis de cinq ou six plats bien fins, bien soigner...

LA THORILLIÈRE.

À merveille.

BARON.

Et le meilleur vin possible.

MADAME ROBERT.

Du nectar, ma cave en est pleine.

LA THORILLIÈRE, à Baron.

Du nectar ! Bravo.

BARON, à Lathorillière.

Air : La Loterie est la chance.

Mon ami, je veux te plaire,

Et te sers selon tes goûts.

LA THORILLIÈRE.

En amour, en bonne chère,

100   Tu sais que je les ai tous.

MADAME ROBERT.

Je me charge de la table.

LA THORILLIÈRE.

Nous y passerons le jour.

MADAME ROBERT.

Tendre épouse, femme aimable,

Se chargera de l'amour.

BARON.

Mon ami, je veux te plaire

Et te sers selon tes goûts :

105   En amour, en bonne chère

Je sais que tu les à tous.

LA THORILLIÈRE.

Oui, morbleu, tu sais me plaire,

Tu me sers selon mes goûts.

En amour, en bonne chère,

110   Tu sais que je les ai tous.

MADAME ROBERT.

À l'instant je vais j'espère

Vous servir selon vos goûts :

En bon vin, eu bonne chère,

Commandez, tout est à vous.

BARON, à La Thorillière.

115   Bonne table renouvelle,

Ta charmante hilarité.

LA THORILLIÈRE.

Quelquefois l'ami Chapelle,

Y sourit à ma gaieté.

ENSEMBLE.

MADAME ROBERT.

À l'instant, etc...

LA THORILLIÈRE.

Oui, morbleu, etc.

BARON.

Mon, ami, etc.

SCÈNE XI.
Baron, La Thorillière.

LA THORILLIÈRE.

Parbleu, tu me venges bien de ma femme qui me croit dans le plus grand embarras.

BARON.

Madame de La Thorillière est toujours emportée ?

LA THORILLIÈRE.

Toujours jalouse comme un tigre.

BARON.

Voilà ce que c'est que d'être beau garçon.

LA THORILLIÈRE, en riant.

C'est le mot. Si bien donc que ma femme et moi nous nous sommes querelles, fâchés, brouillés à une lieue d'ici, au point que je l'ai laissée dans la voiture à laquelle, il lui a plu de faire reprendre la route de Paris où elle emporte son humeur et mon argent; car tu sauras que c'est elle qui tient la bourse, mais la tienne est à mon service.

BARON.

La mienne, mon ami! elle court la poste.

LA THORILLIÈRE.

Ta bourse court la poste.

BARON.

À l'adresse d'un créancier qui m'a découvert ici, et je n'ai pas un écu.

LA THORILLIÈRE.

Parbleu, pour un homme d'esprit, ta conduite n'a pas le sens commun ; voyager et donner tout ce que l'on a.

BARON.

Se brouiller en route avec sa femme, et la laisser là !

LA THORILLIÈRE.

Tu n'y aurais pas tenu, mais au fait...

BARON.

Le fait, c'est que nous comptions l'un sur l'autre, et que, ni l'un ni l'autre nous ne possédons un denier.

LA THORILLIÈRE.

C'est charmant.

BARON.

Et voilà Auguste et Cinna s'en allant à la cour, à jeun et à pied.

LA THORILLIÈRE.

Air du Vaudeville du Panorama.

Avec de l'eau, buvons rasade,

120   Célébrons les faveurs du sort,

Chantons la brillante ambassade

Que nous allons faire à Chambord.

Mon cher Baron, c'est grand dommage

Que nous n'ayons pas en chemin,

125   Pour camarades de voyage

Et la Rancune et Ragotin.

BARON.

Tu en ris, c'est le plus sage.

LA THORILLIÈRE.

Le plus sage c'est de commencer par nous mettre à table.

BARON.

Dans une auberge où nous ne sommes pas connus ! Jamais, l'honneur avant tout.

LA THORILLIÈRE.

Surtout après le dîner.

BARON.

Air : Quand la jeune écolière.

De Thalie et de Melpomène,

Méritons les haute faveurs,

Et partout, comme sur la scène,

130   Soyons nous mêmes nos censeurs,

Chez les acteurs qu'elle rassemble,

Et dont l'âme ennoblit l'élan,

Le public aime à voir ensemble

L'homme honnête, et l'homme à talent.

LA THORILLIÈRE.

Ce que tu dis est superbe ; mais en pareil cas on s'exécute... et si j'avais un bijou, je le déposerais ici pour vingt-quatre heures.

BARON, montrant une tabatière d'or à portrait.

Tu veux que je mette le Roi en gage ?

LA THORILLIÈRE.

Non, mais...

BARON, montrant le revers de sa montre.

Ou la dame de mes pensées ?

LA THORILLIÈRE.

Pourquoi pas ?

BARON.

Pourquoi pas !

LA THORILLIÈRE.

Qu'elle te donne à dîner ici, ou chez elle, n'est-ce pas la même chose ?

BARON, sans lui répondre.

Air : Quoi, vous partez sans que rien vous arrête.

135   Partons, mon cher, sans que rien nous arrête.

LA THORILLIÈRE.

Mais encore une fois.

BARON.

Suite de l'Air.

Le temps est beau, etc.

Ils vont pour sortir, Derval arrive.

SCÈNE XII.
Les Mêmes, Derval.

DERVAL, vivement.

J'ai deviné juste ; c'est Monsieur Baron.

BARON.

Moi-même, mon cher Derval.

Ils s'embrassent.

LA THORILLIÈRE, bas à Baron.

Un de tes amis ! Il va nous prêter de l'argent.

BARON, bas à Lathorillière.

C'est un peintre.

LA THORILLIÈRE, bas à Baron.

N'en parlons plus.

DERVAL, à Baron.

Je n'ai pas eu le plaisir de vous voir depuis que vous avez donné l'Homme à bonnes Fortunes, et je brûlais de vous en faire mon compliment.

LA THORILLIÈRE.

Il prend bien son temps.

DERVAL.

Air : En deux moitiés, dit-on le sort.

Dans cet ouvrage, plein d'esprit,

Et que l'on ne peut trop connaître,

140   Vous vous montrez, chacun le dit,

Le digne élève du grand maître.

De Momus, Baron comme acteur,

Reçut des faveurs peu communes ;

Toujours, comme acteur comme auteur,

145   Il est l'homme à bonnes fortunes.

LA THORILLIÈRE.

Le fripon s'est pris pour modèle.

BARON.

Ah !... Messieurs.

DERVAL.

Même air.

Sur terre l'Amour pèlerin,

No rencontrait pas de cruelle,

Tout lui cédait, mais un matin,

Voila que Vénus le rappelle.

150   Or, ce dieu ne pouvant, dit-on,

Poursuivre son pèlerinage,

En partant, il chargea Baron

D'achever pour lui le voyage.

LA THORILLIÈRE, à Baron.

Il sera long le voyage, et dans ce moment-ci, tu n'es pas de force à l'entreprendre.

BARON.

Rassure-toi, ce n'est qu'un conte.

DERVAL, à Baron.

Ce qui n'en est pas un, c'est le souvenir que j'ai conservé des leçons que vous avez eu la complaisance de me donner, et j'aurais continué la comédie si j'avais eu une étincelle de votre talent ; j'en étais si loin que je me suis jeté dans la décoration.

BARON.

Avec succès, je le sais.

DERVAL.

J'en suis ravi, mais ce que vous ne savez pas, c'est l'espoir que j'ai conçu lorsque j'ai appris que vous étiez ici avec Monsieur de La Thorillière.

LA THORILLIÈRE et BARON.

Quel espoir ?

DERVAL.

J'aime la nièce de Madame Robert, l'hôtesse de cette auberge, j'en suis aimé. J'accours de Paris pour la voir, j'apprends en arrivant qu'elle est destinée à un autre, et pour peu que vous me secondiez, Adèle est à moi ; vous savez si bien déjouer les tuteurs.

BARON.

Si Molière était ici, j'en répondrais.

DERVAL.

Monsieur Molière ! Il me protège, et moi je l'admire.

LA THORILLIÈRE.

Vous l'admirez, jeune homme, nous vous servirons.

DERVAL, vivement.

Je réussirai.

LA THORILLIÈRE, à Baron.

C'est peut-être un dîner que le ciel nous présente.

Vivement à Derval.

Vous aimez la jeune personne ? Quels sont vos protecteurs auprès d'elle ?

DERVAL.

Son amour et l'amitié de sa tante à qui je viens de dire qui vous êtes, et qui est enchantée de vous avoir.

LA THORILLIÈRE.

Bon.

BARON.

Et vous avez contre vous ?

DERVAL.

Monsieur le Simple.

LA THORILLIÈRE.

Le nom promet.

BARON.

Son pays ?

DERVAL.

Champenois.

LA THORILLIÈRE et BARON.

Champenois !

LA THORILLIÈRE.

De mieux en mieux.

DERVAL.

Causeur éternel qui sait tout, prévoit tout, et croit à tout.

LA THORILLIÈRE, à Derval.

À merveille !

À Baron.

Et tu vois comme la providence nous sert.

À Derval.

L'hôtesse vous protège, vous allez être notre caution auprès d'elle...

DERVAL.

Votre caution ?

LA THORILLIÈRE.

Vous saurez pourquoi.

BARON.

Ton appétit me désarme, et je me rends ; mais comment tromper ce Monsieur qui prévoit tout ?

LA THORILLIÈRE.

Comment ?... Mais...

BARON et DERVAL.

Ensuite ?...

LA THORILLIÈRE, à Derval.

Eh ! Ventrebleu, un instant, vos désirs vont plus vite que mon imagination ; et quand celle de Baron est en défaut, il est tout simple que la mienne se fasse attendre ; mais l'inspiration viendra, d'ailleurs, le mariage est une si belle chose.

BARON.

Qui le sait mieux que toi ?

LA THORILLIÈRE, à Derval.

Air du Vaudeville de Jean-Monnet.

Marier est ma folie,

155   El vous aurez voire tour;

Les fiIletreo qu'on marie,

Servent l'hymen et l'amour.

Courtisans

Complaisants,

160   Quand vous épousez vos belles,

ce sont des roses nouvelles

Qui reviennent aux galants.

DERVAL, malignement à La Thorillière.

Même air.

De l'objet qui vous engage,

Ami tendre, époux chéri,

165   Des douceurs du mariage,

Vous parlez en bon mari;

Courtisans

Complaisants,

Quand, etc.

LA THORILLIÈRE.

Vous êtes malin, Monsieur Derval, et si ma femme écoutait aux portes, je ne répondrais pas de vous ; Madame Honesta n'entend pas raillerie ; mais nous n'avons pas une minute à perdre...

Prélude de l'air suivant.

BARON, LA THORILLIÈRE, DERVAL.

Qu'est-ce ?

SCÈNE XIII.
Les Mêmes, Madame Robert, Adèle, Servantes.

MADAME ROBERT, ADÈLE, Servantes, Valets.

Air : Honneur à monsieur de la Grinaudière.

170   Honneur, honneur cent fois honneur

À Baron, à La Thorillière.

Remerciements de l'un et de l'autre.

ADÈLE.

Un goût sur les éclaire,

Tous les deux nés pour plaire,

De Momus fixent la faveur.

175   Honneur, honneur, cent fois honneur

À Baron, à La Thorillière.

LA THORILLIÈRE.

Je ne connais qu'une manière de remercier Madame Robert, c'est de l'embrasser, si elle y consent.

MADAME ROBERT, allant au devant.

Si j'y consens !

BARON, à Adèle.

Pour vous, Mademoiselle, vous en serez quitte pour une réponse.

ADÈLE.

Laquelle, Monsieur ?

BARON.

On prétend que vous avez fait un choix ?

ADÈLE, regardant Derval.

Ou prétend çà, Monsieur ?

BARON.

On ajoute que vous nous l'avouerez, si nous vous pressons.

ADÈLE.

Si vous me pressez ?... Ce n'est guères la peine.

LA THORILLIÈRE et BARON.

Non ?

ADÈLE.

Air : Il était charmant et bien fait.

On peut bien lire dans mon coeur,

Combien d'aimer je suis contente,

Je viens de dire à mon tuteur,

180   Que je l'avais dit à ma tante.

Derval qui tout bas me sourit.

Derval a du vous en instruire;

Il ne ment pas, et ce qu'il dit,

J'ai du plaisir à le redire.

DERVAL.

Vous l'entendez.

BARON.

Mon ami, cet aveu est franc, très franc, et l'entreprise est digne de nous ; mais encore une fois, que prétends-tu faire ?

LA THORILLIÈRE.

Ce que je prétends faire ?

SCÈNE XIV.
Les Mêmes, Brunot.

BRUNOT.

Madame Robert, la diligence toute pleine de musiciens, sans compter une malle à l'adresse de M. Baron.

À Baron et à La Thorillière.

Vous la trouverez dans la chambre où vous allez dîner.

LA THORILLIÈRE, à Baron.

Ce sont nos costumes, et ceux du ballet indien ; ma femme s'était chargée de les faire partir.

BARON.

Nos costumes ! Parbleu, leur arrivée ici me fait naître une idée...

DERVAL.

Sur notre mariage ?

BARON.

Sans doute ; mais pour que cette idée eût du succès, il faudrait que le tuteur fût d'une crédulité sans exemple.

MADAME ROBERT.

Sans exemple ! Oh ! Je vous garantis que Monsieur le Simple est votre homme : il croit aux sorciers, aux revenants, aux tireurs de cartes ; un de ces fripons-là s'est diverti à lui annoncer qu'un jour il serait un grand personnage à la cour d'un grand monarque.

BARON et LA THORILLIÈRE.

Il le croit ?

MADAME ROBERT.

Au point qu'il ne cesse d'en parler.

BARON, aux deux amants.

Votre hymen est sûr.

MADAME ROBERT, ADÈLE et DERVAL.

Comment !

LA THORILLIÈRE, à Baron.

J'entends. D'avance, nous allons prendre l'esprit des rôles que nous sommes au moment de jouer.

BARON.

Et tâcher de faire aujourd'hui, du tuteur d'Adèle, ce que demain, nous ferons du Jourdain de Molière.

ADÈLE.

Ce que c'est que l'esprit !...

BARON.

Vous, Madame, préparez celui du tuteur, éveillez son amour-propre, dites-lui, répétez-lui qu'il vient de vous arriver deux souverains étrangers qui out des vues sur lui.

MADAME ROBERT.

Deux souverains ?... C'est bon, ensuite ?...

BARON, à Madame Robert.

On a déposé dans cette chambre la malle qui renferme les habits dont nous aurons besoin, nous allons les y prendre, y boire votre nectar...

LA THORILLIÈRE.

C'est cela.

BARON.

En attendant le repas de noce, et dans quelques instants Derval viendra vous instruire de ce que vous aurez à faire.

MADAME ROBERT.

Je le ferai.

DERVAL.

Le repas de noces, dites-vous ? Et le contrat ?

LA THORILLIÈRE.

Soyez tranquille, vous aurez le diplôme.

ADÈLE et DERVAL.

Le diplôme!

BARON.

C'est-à-dire votre contrat de mariage ; vous le ferez signer.

DERVAL.

Je comprends.

ADÈLE.

Et moi, quel sera mon rôle ?

BARON.

Envoyez-nous les musiciens, peut-être en aurons-nous besoin ; du reste, soyez aux aguets, et vous nous entendrez à demi-mot.

LA THORILLIÈRE.

Le temps presse, nous ne pouvons dîner trop tôt...

BARON et DERVAL.

Plus de délai.

LA THORILLIÈRE.

Air : Vaudeville du Méléagre Champenois.

185   Gaiement ensemble, usons de finesse,

L'espoir nous luit, le succès nous attend.

BARON.

Il est permis d'employer l'adresse,

Pour protéger et candeur et talent.

DERVAL.

Ici, Momus à nos désirs propice,

190   Pour nous servir, s'unit avec l'amour,

Et le plaisir, sous leur aimable auspice,

Sera pour nous le saint de chaque jour.

ENSEMBLE.

Gaiement, etc.

LA THORILLIÈRE.

Allons rêver à notre personnage,

195   Le concerter la bouteille à la main:

En pareil cas, et pour être plus sage

Il faut toujours choisir le meilleur vin,

ENSEMBLE.

Gaiement, etc.

MADAME ROBERT, les interrompant.

Plus bas, le cousin ne peut tarder, séparons-nous.

En chantant cet air, à demi-voix, Baron, La Thorillière et Derval entrent dans la chambre où ils doivent dîner. Adèle sort d'un autre côte.

ENSEMBLE.

Gaiement, etc.

Le Simple arrive par la porte du fond, sur la ritournelle qui termine l'air.

SCÈNE XV.
Madame Robert, Le Simple.

LE SIMPLE.

Je suis enchanté, cousine, enchanté, ravi, transporté. J'ai passé une heure sur la grande route; quel mouvement ! Quel empressement ! Le chemin est couvert de chevaux, de courriers, de postillons, de voitures...

MADAME ROBERT.

Un mot...

LE SIMPLE.

Et des amis, des connaissances de Paris... On m'appelait à droite, on m'appelait à gauche. Venez-vous de Chambord ? Allez-vous à Chambord, Monsieur le Simple ? Vous verra-t-on à Chambord ? Eh ! Oui, Messieurs, on me verra à Chambord.

MADAME ROBERT.

Mais, de grace...

LE SIMPLE.

Et des détachemenTs de gardes-suisses, de gardes-françaises ; des chevaux-légers, des mousquetaires gris, des mousquetaires noirs.

MADAME ROBERT.

Finirez-vous ?

LE SIMPLE.

Et le bruit de la trompette ! J'en suis fou... Il inspire la valeur, il mène à la gloire, à la victoire, au Temple de Mémoire.

MADAME ROBERT.

Pour la dernière fois taisez-vous, ou je ne vous dirai pas que vous êtes, au moment de voir accomplir la prédiction que l'on vous a faite.

LE SIMPLE.

La prédiction ! Ah ! Parlez, cousine, parlez. Vous savez que je ne parle que pour ne pas laisser tomber la conversation.

MADAME ROBERT.

Apprenez donc que vous allez être présenté à deux souverains.

LE SIMPLE.

À deux souverains !

MADAME ROBERT.

Ils ont passé par Troyes, ils y ont entendu parler de vous...

LE SIMPLE.

De moi ! Il serait possible ! Deux souverains !... On vous l'a dit ?

MADAME ROBERT.

Mieux que çà, je les ai vus.

LE SIMPLE.

Vus ? Quand?

MADAME ROBERT.

Ils viennent d'arriver incognito.

LE SIMPLE.

Où ?

MADAME ROBERT, mystérieusement.

Ils dînent là.

LE SIMPLE.

Là ?... Dans votre auberge ?... Oh ! Qu'on ne m'endort pas comme çà !

Prélude.

Hein ?

MADAME ROBERT.

Paix !

DERVAL, dans la chambre, avec d'autres voix.

Air : de Monsieur Doche.

En bécarre, en dièse, en bémol,

200   Célébrons l'auguste présence,

Exaltons la haute puissance

Du grand Turc, et du grand Mogol.

LE SIMPLE.

Le grand Turc, et le grand Mogol !

MADAME ROBERT.

Vous l'entendez, leur excellence,

205   Leur éminence,

Le grand Turc, et le grand Mogol.

DERVAL, et autres voix.

Heureux qui peut les voir sans cesse,

Qui naît et meurt dans leurs climats:

Si le bonheur est ici bas,

210   Il n'est qu'auprès de leur hautesse.

ENSEMBLE.

Vous l'entendez, etc.

Oui, je l'entends, etc.

DERVAL, et autres voix.

Célébrons, etc.

SCÈNE XVI.
Les mêmes, Derval.

DERVAL, en grand habit à la française.

Madame Robert, les deux potentats trouvent votre dîner parfait, ils ne mangent pas, ils dévorent, et je vous prie d'en féliciter votre maître d'hôtel.

LE SIMPLE, à part.

Il n'y a plus à en douter.

MADAME ROBERT.

Monsieur le truchement, je suis ravie que d'aussi grands seigneurs daignent avoir de l'appétit chez moi.

DERVAL.

J'ai ordonné qu'on préparât leur café, c'est ici qu'ils vont le prendre, et vous voudrez bien y faire apporter les tapis et les coussins que je vous ai demandés... Pardon de l'embarras que je vous cause.

MADAME ROBERT.

Air : Allez trouver votre jeune fermière.

Ah ! Ne craignez, ni mes soins, ni ma peine,

215   Non, non jamais je n'eus un jour si beau.

À demi voix, à Derval.

Vous le voyez, et j'en étais certaine,

Le cher cousin donne dans le panneau.

DERVAL.

À tout faire,

Pour leur plaire,

220   Je l'espère,

L'on va s'accorder.

MADAME ROBERT.

Leur altesse,

Leur grandesse,

Hors ma nièce,

225   Peut tout demander.

ENSEMBLE.

LE SIMPLE, à part.

Deux potentats qu'ici le sort amène !

Je les verrai, cela doit être beau ;

Mais, mais, pour moi, vraiment, j'en suis en peine,

Que doit-il donc se passer de nouveau ?

DERVAL.

230   Il faut doubler, et de soins et de peine.

Pour tous ici, c'est un moment fort beau.

À madame Robert.

Oui, je le vois, oui la chose est certaine,

Le cher cousin donne dans le panneau.

MADAME ROBERT, s'en allant.

Ah ! Ne craignez, etc.

DERVAL, rappelant Madame Robert.

Madame Robert...

MADAME ROBERT.

Monsieur le truchement...

Derval lui parle bas en montrant le Simple.

DERVAL.

Ne serait-ce pas là ?...

Madame Robert lui fait entendre que c'est le Simple dont elle a l'air de faire un grand éloge.

LE SIMPLE, à part, pendant cet entretien muet.

Truchement !... Oui je m'en souviens, le truchement est un savant qui vous explique dans la langue que vous connaissez ce qu'un étranger vous dit dans la langue que vous ne connaissez pas, de manière qu'un truchement parle pour lui et pour les autres, c'est une jolie place.

SCÈNE XVII.
Derval, Le Simple.

DERVAL, saluant le Simple.

Monsieur, je rends grâce au hasard qui me procure l'avantage de faire connaissance avec Monsieur le Simple.

LE SIMPLE.

Oui, Monsieur, c'est moi qui le suis, et je ne reviens pas de la surprise que Madame Robert m'a causée, en m'apprenant que son auberge est honorée de la présence du grand Turc et du grand Mogol.

DERVAL.

Eux-mêmes.

LE SIMPLE.

Ces puissants monarques, dont l'un possède du côté de l'Orient vers l'Occident...

DERVAL.

Ils vont à Chambord passer quelques jours avec Louis XIV, et sans faste, sans suite.

LE SIMPLE.

En voisins.

DERVAL.

C'est le mot, et voyez comme le hasard vous sert.

LE SIMPLE.

Le hasard ? Il est incroyable, et à propos de lui, de ses caprices, de ses bizarreries, vous saurez qu'un jour... Il y a tout au plus six mois...

DERVAL.

Permettez.

LE SIMPLE, à part.

Quel causeur!

DERVAL.

Le hasard nous conduit à Troyes...

LE SIMPLE.

Ma ville natale, que j'aime, que j'habite, rue Caquet, à gauche, en arrivant par...

DERVAL, l'interrompant.

Le hasard nous y fait loger dans une auberge, où l'on vante votre mérite.

LE SIMPLE.

Je gage que c'est aux trois aveugles, à moins que ce ne soit...

DERVAL, l'interrompant.

Un autre hasard nous amène chez madame Robert, mêmes éloges de votre esprit, de votre instruction, de votre amabilité : j'en parle aux souverains dont j'ai l'honneur d'être l'interprète, chacun d'eux veut avoir un secrétaire français, et demain, ce soir peut-être, vous serez ce favori, ce confident, ce dépositaire unique des moindres pensées de l'un, ou de l'autre.

LE SIMPLE.

Moi ! Dites-vous ? Moi ! Je serais ? Je deviendrais !... Oh ! Oui, je l'ai vu dans les cartes ; j'étais en carreau, le prince en coeur...

DERVAL, l'interrompant.

Air : J'ai vu partout dans mes voyages.

235   Oh ! La belle place que celle

De confident d'un prince Indien!

De jour en jour, faveur nouvelle,

Accroît, et son rang et son bien,

Par les lois mêmes de l'Empire;

240   À tel point il est honoré,

Que lorsque sa hautesse expire,

Avec elle il est enterré.

LE SIMPLE.

Badinez-vous ? Comment ? Quand le grand Mogol meurt, on enterre son secrétaire avec lui ?

DERVAL.

Toujours, et dans une grotte magnifique.

LE SIMPLE.

Je ne veux ni de la place, ni de la grotte.

DERVAL.

Vous avez tort, c'est un honneur...

LE SIMPLE.

Au diable cet honneur là. Et le secrétaire du grand Turc, de quelle manière est-il traité ?

DERVAL.

Très richement, et des appointemenTs considérables le dédommagent des sacrifices qu'il est obligé de faire.

LE SIMPLE.

Des sac...

DERVAL.

Air : Du partage de la richesse.

Dans ce pays il est d'usage,

Que l'honorable confident,

245   Ne contracte de mariage,

Qu'après la mort du grand Sultan.

Alors, il redevient son maître,

Et dégagé de tout travail,

Il choisit d'épouser ou d'être,

250   Premier eunuque du sérail.

LE SIMPLE.

Eunuque ! Moi ! Je ne m'en soucie pas, j'épouserai ; mais la langue turque...

DERVAL.

Vous n'en aurez pas besoin, et je vous communiquerai les volontés du grand seigneur. Tâchez de l'habituer à vous voir, et j'espère qu'il m'ordonnera de vous faire signer votre diplôme.

LE SIMPLE.

Mon dip...

DERVAL.

C'est-à-dire votre brevet au bas duquel vous mettrez votre signature, si vous êtes admis ; du reste, aucun des des deux souverains ne sait votre langue.

LE SIMPLE.

Du tout ?

DERVAL.

Ils ne connaissent et ne prononcent en français que les noms des vins et des liqueurs que l'on boit en France...

LE SIMPLE.

Ils les aiment ?

DERVAL.

Infiniment ; ainsi, vous n'avez qu'un moyen de leur donner une idée de votre esprit et de votre gaieté, c'est d'aller, de venir, de parler.

LE SIMPLE.

Laissez-moi faire.

DERVAL.

Ils ne vous comprendront pas, jasez, à tort et à travers...

LE SIMPLE.

Vous serez content.

DERVAL.

Air : De la Izidore.

Le bonheur vous appelle,

Il faut en profiter,

Ce soir, par votre zèle,

Sachez le mériter.

LE SIMPLE.

Oui, le bonheur, etc.

DERVAL.

Le bonheur, etc.

Pendant cette reprise, Brunot et trois valets apportent des tapis et des coussins.

SCÈNE XVIII.
Les Mêmes, Brunot, valets.

DERVAL, aux valets.

255   Vite, que l'on s'empresse,

L'Indien et le Sultan

Viendront dans un instant,

Le café les attend.

LE SIMPLE.

De l'ardeur qui vous presse.

260   Des seigneurs si puissants,

Si grands, si bienfaisants,

Seront reconnaissants.

ENSEMBLE.

DERVAL.

Le bonheur, etc.

LE SIMPLE.

Oui, le bonheur, etc.

VALETS.

265   Leur grandeur nous appelle,

Il faut la contenter.

Quand on a même zèle

On sait se concerter.

Prélude de l'air suivant.

DERVAL, aux valets.

Les voici. Eh! vîte, vîte, allez au devant d'eux.

Ils y vont.

Vous, Monsieur le Simple, vous commencerez par saluer le grand Mogol.

LE SIMPLE.

Le grand Mogol ? Je crains de lui plaire.

DERVAL.

N'ayez pas peur.

>Sur l'air que l'on reprend, Baron et La Thorillière arrivent les mains appuyées sur les épaules de deux valets, et prennent place sur les tapis. Baron est en grand turc, La Thorillière en grand Mogol.

SCÈNE XIX.
Les Mêmes, Baron, La Thorillière.

DERVAL, à le Simple, après l'air.

Allez.

Le Simple met un genou en terre, et s'incline devant le grand Mogol.

Plus bas... Encore.

La Thorilliere prend le Simple par le menton, et le regarde longtemps.

LA THORILLIÈRE.

Ossa, carigar, soter.

LE SIMPLE, à Derval.

Que dit sa hautesse ?

DERVAL, à le Simple.

Qu'elle vous trouve charmant.

LE SIMPLE.

Tant pis.

À l'instant même, Madame Robert et Adèle apportent le café qu'elles déposent sur une petite table que l'on place entre le Turc et le Mogol.

DERVAL, à le Simple.

Le café, le café.

LE SIMPLE.

Vitesse, adresse, prêtesse.

Madame Robert et Adèle remplissent les tasses.

Dépêchons, dépêchons, présentons.

Le Simple donne une tasse au Grand Turc, et Derval sert le grand Mogol.

LE SIMPLE.

Air : On dit par tout le monde.

Son goût est balsamique,

270   Son parfum est divin:

C'est de la Martinique,

Le Moka le plus fin.

ADÈLE.

Combien je suis contente,

De voir votre grandeur!

275   Pour la nièce et la tante,

Ah ! Quel excès d'honneur.

ENSEMBLE.

Son goût, etc...

LE SIMPLE.

Laissez-moi faire, je vais chanter, amuser le grand turc.

DERVAL.

Bon.

Pendant le morceau suivant, le Grand Turc et le Grand Mogol prennent, de suite, plusieurs tasses de café qui leur sont servies par Madame Robert et par Adèle. Derval a l'air d'expliquer au grand turc ce que le Simple lui chante, et de temps en temps, le grand turc fait des signes d'approbation.

LE SIMPLE.

Air : Dans quel canton est l'Huronie.

Où mène-t-on,

Joyeuse vie ?

Est-ce en Syrie,

280   En Illyrie ?

Hé non, non, non, non, non, non, non.

Est-ce au Japon,

Est ce à Canton,

Chez le Huron,

285   Chez le Lapon,

Le Lestrigon,

Le Mirmidon,

Le Bourguignon,

Le Matagon ?

290   Non, non, non, non, non, non, non, non, non, non, non, non.

Mais où donc la trouve-t-on,

Cette terre que j'envie,

Cette heureuse région,

Du ciel à jamais chérie ?

295   Quel est le nom,

De ce canton,

Si beau, si bon ?

Vous le verrez,

Vous le saurez,

300   Vous y croirez,

Quand vous serez,

Dans la Turquie,

Oui, la Turquie :

C'est là le nom,

305   Le joli nom

De ce canton

Si beau, si bon...

Vous vous taisez, c'est à regret.

Je vais vous mettre à l'alphabet.

310   Oui, je suis fort sur la grammaire,

Or, en français, pour mieux vous plaire,

En français, je veux ma foi,

Je veux vous faire

Babiller avec moi.

315   Seigneur, seigneur, je veux vous faire,

Babiller avec moi.

Bis.

DERVAL, à le Simple.

Des signes, des regards, tout me répond de votre succès.

LA THORILLIÈRE, rendant sa tasse.

Ambrosia.

BARON, rendant la sienne.

Ambrosia.

DERVAL, à le Simple.

Liqueurs, liqueurs.

LE SIMPLE, à Derval.

Air : Courons de la blonde à la brune.

Oui, vraiment je vous devine,

Au turc et au Mogol.

Vous allez être obéis,

Aux valets.

Liqueur fraîche, liqueur fine,

320   Liqueur de tous les pays.

Deux valets s'approchent, portant une petite table garnie de bouteilles et de verres.

Je suis leste,

Vite et preste,

Que mes ordres soient remplis.

Gaieté franche, vive allégresse,

325   Sont au fond des flacons :

Versons, flattons,

Délectons,

Enchantons,

Contentons,

330   Les parois satisfaits,

Du palais

Royal de leur hautesse.

CHOEUR, excepté Baron et Lathorillière.

GaiEté franche, vive allégresse,

Sont au fond, etc.

Pendant ce choeur, le Simple, un flacon à la main, verse de la liqueur à Baron qui le remercie par signes.

DERVAL, à Baron.

Le diplôme.

BARON, à Derval.

Le voici.

DERVAL, à Adèle.

Encre et plume.

ADÈLE.

J'y cours.

BARON, haut.

Diploma, franco, diploma.

DERVAL, à le Simple.

Vous êtes nommé.

LE SIMPLE.

Je suis nommé !... Ah ! Monseigneur !... Mes amis.... Mes bons amis...

CHOEUR.

335   Gaieté franche, etc.

DERVAL, à Adèle qui accourt.

Eh venez donc ?

ADÈLE, sans lui répondre.

Ma tante, ma tante... Une dame bien en colère, et qui fait un tapage terrible.

MADAME ROBERT.

Oui dà, voyons ce que c'est.

DERVAL.

Et le contrat qui n'est pas signé !

LE SIMPLE.

Oui, voyons, et ne souffrons pas qu'elle vienne déranger leurs hautesses.

LA THORILLIÈRE.

Je gage que c'est ma femme.

BARON.

Ta femme !

DERVAL.

Que faire ?

LA THORILLIÈRE, vivement.

Ne pas la reconnaître.

BARON et DERVAL.

C'est dit.

Madame La Thorillière arrive repoussant tout le monde.

SCÈNE XX.
Les mêmes ; Madame La Thorillière.

MADAME LA THORILLIÈRE.

Vous m'ennuyez, vous m'impatientez, vous m'excédez...

MADAME ROBERT.

Mais, Madame...

MADAME LA THORILLIÈRE.

Paix, ma mie. Grands et petits appartements, salles et salons, chambres et cabinets, je veux tout voir; je suis sûre d'y découvrir le mauvais sujet que je cherche.

LE SIMPLE.

Silence, encore une fois, Madame, silence, et sachez qu'il y a ici deux puissances qui trouveront fort mauvais que vous leur étourdissiez la tête.

MADAME LA THORILLIÈRE.

Deux puissances !

LE SIMPLE.

Le grand Turc, et le grand Mogol.

MADAME LA THORILLIÈRE.

Dans cette auberge ! Quel est l'imbécile qui croit me le persuader ?

LE SIMPLE.

Moi.

Madame La Thorillière jette les yeux sur Baron et sur La Thorillière.

MADAME LA THORILLIÈRE.

Eh ! Mais, ce sont les habits...

Elle s'approche de Baron qu'elle regarde.

BARON.

Och, abousalem, diamantine, amor sagitta.

MADAME LA THORILLIÈRE.

Hein ?

DERVAL.

Cela signifie, que vos yeux sont deux escarboucles qui lancent tous les feux de l'amour.   [ 3 Escarboucle : Nom que les anciens donnaient aux rubis. [L]]

MADAME LA THORILLIÈRE, riant ironiquement.

Bon... et d'un.

Elle passe à La Thorillière devant qui elle s'incline.

Air : de Monsieur Doche.

Tant l'honneur passe mon attente,

Comment soutenir votre aspect!

Agréez de votre servante

Le dévoûment et le respect.

340   Salamalec à sa grandess...

Salamalec à l'illustre hautesse...

Gloire à mon fripon de mari.

LE SIMPLE.

Quoi ! Son mari !

MADAME LA THORILLIÈRE.

Oui, oui, oui, oui,

345   Gloire à mon fripon de mari,

LA THORILLIÈRE.

Alla, Balla, Marabala.

MADAME LA THORILLIÈRE.

Balla, Maraba !...

DERVAL.

Cela veut dire que vous êtes folle.

MADAME LA THORILLIÈRE.

Folle !

DERVAL.

Et que sa hautesse ne vous connaît pas.

MADAME LA THORILLIÈRE.

Ah ! Mon mari ne me connaît pas !

À Madame Robert.

Madame...

À Adèle.

Et vous, Mademoiselle.

Elle la prend par le bras, et la mène à son mari.

ADÈLE.

Vous me cassez le bras.

MADAME LA THORILLIÈRE.

Taisez-vous.

À Lathorillière.

Le voilà ; oui, sans doute, la voilà cette altesse pour qui ta seigneurie m'a laissée en route, cette innocente, si elle l'est encore !

MADAME ROBERT et DERVAL.

Si elle l'est ?

MADAME LA THORILLIÈRE, à Madame Robert.

Vous vous êtes prêtée à ce beau manège ; mais vous n'y êtes pas...

MADAME LA THORILLIÈRE.

Ni vous, madame, et je saurai pour qui vous prenez ma maison.

MADAME LA THORILLIÈRE.

Pour ce qu'elle est.

MADAME ROBERT, LE SIMPLE et DERVAL.

Air : De Monsieur Doche.

Oh ! Quelle femme,

Eh ! Mais, madame,

350   Modérez vous,

Écoutez nous.

MADAME LA THORILLIÈRE.

Jour de dieu ! Que je vous écoute,

Oh ! Non sans doute.

MADAME ROBERT, LE SIMPLE et DERVAL.

Modérez vous,

355   Écoutez nous.

MADAME LA THORILLIÈRE.

Eh ! Non, non, non, que l'on redoute...

BARON.

Alla, Alla.

MADAME LA THORILLIÈRE.

Que l'on redoute ma colère.

LA THORILLIÈRE.

Perfide, téméraire,

360   Par tes Alla

Tes Marabala,

Cesse, cesse,

De m'impatienter,

Ou l'altesse,

365   La hautesse,

La servante, la maîtresse,

Je vais, je vais tout souffleter.

Elle se met en devoir de le faire, on s'en défend.

ENSEMBLE.

MADAME ROBERT, LE SIMPLE et DERVAL.

Quoi ! L'altesse,

La hautesse,

370   La servante, la maîtresse,

Quoi vous voulez tout souffleter ?

LA THORILLIÈRE et BARON.

Alla Balla,

Marabala.

MADAME LA THORILLIÈRE.

Oui, l'altesse,

375   La hautesse,

La servante, la maîtresse,

Je vais, je vais tout souffleter.

Molière, arrivé depuis un moment est témoin de la colère de Madame La Thorillière, qui donne un soufflet à le Simple.

LE SIMPLE, la main sur sa joue.

Monsieur le Truchement, expliquez-moi donc cela ?

SCÈNE XXI.
Les Mêmes, Molière.

MOLIÈRE.

Courage, madame.

BARON, LA THORILLIÈRE, DERVAL.

Molière !

MADAME ROBERT et ADÈLE.

Molière !

LE SIMPLE.

Molière ! Qu'est-ce que c'est çà ?

MOLIÈRE, à Madame La Thorilliere.

Toujours la même.

MADAME LA THORILLIÈRE.

Oui, toujours, parce que j'ai toujours raison.

MOLIÈRE, se retournant.

Eh ! Mais, c'est Baron et La Thorillière !

LE SIMPLE.

Baron et Lathorillière ! Je suis joué.

MADAME LA THORILLIÈRE, avec colère.

Dites donc le grand Turc et le grand Mogol !

MOLIÈRE.

Ah ! Ah !

BARON, LA THORILLIÈRE.

Air : De la Baronne.

C'est l'oeil du maître,

On voudrait en vain le tromper :

380   D'un regard il sait tout connaître,

Et rien ne saurait échapper,

À l'oeil du maître.

MOLIÈRE.

Votre camarade, voilà le mot.

MADAME LA THORILLIÈRE.

Finissons.

MOLIÈRE.

Madame... Oui, finissons, et sachons...

MOLIÈRE.

Monsieur... Un moment, s'il vous plaît, tous les deux un moment, et permettez d'abord que je remercie mes amis de l'intérêt qu'ils prennent au succès de ma pièce... Car je suppose que vous répétiez une partie du quatrième acte.

LA THORILLIÈRE.

À peu-près, et voilà notre Jourdain.

LE SIMPLE.

Votre Jourdain ! Quelque fripon comme vous ?

MOLIÈRE.

Quelque fripon, monsieur ? Vous vous trompez, Monsieur Jourdain est un honnête bourgeois, attendu à Chambord, et s'il y réussit, peut-être ne serez-vous pas fâché de le connaître.

BARON.

S'il y réussit ?

LA THORILLIÈRE.

Vous en doutez ?

BARON, à le Simple.

Air : Permettez, je vous en supplie.

Jourdain qui vous met en colère,

Demain à la cour présenté,

385   Aura demain, comme son père,

Le brevet d'immortalité,

Guidé par son puissant génie,

Corneille y conduit ses héros,

Molière inspiré par Thalie,

390   Y mène ses originaux.

LE SIMPLE.

Je n'entends rien à tout ce galimatias, sinon que la tante et la nièce, le grand Turc et le grand Mogol sont les complices du prétendu truchement qui, je le vois, n'est autre chose que Derval, et Derval n'aura pas Adèle.

DERVAL.

Je n'aurai pas Adèle !

Baron et La Thorillière expliquent à Molière le sujet de la querelle.

MADAME LA THORILLIÈRE.

Comment ? Quoi ? Cette jeune personne n'est pas ?...

À son mari.

Je respire.

LA THORILLIÈRE, à sa femme.

Quel délire !

LE SIMPLE, à Derval qui le presse.

Jamais, jamais.

MOLIÈRE, à Baron.

Monsieur le Simple... un mot.

LE SIMPLE.

Non.

MOLIÈRE.

Un seul mot.

LE SIMPLE.

Non, non, et mille fois non.

MOLIÈRE.

Air : Ballets des Pierrots.

En vain vous feriez résistance.

LE SIMPLE.

Sachez que je suis son tuteur.

MOLIÈRE.

Sachez que de toute la France,

Je suis le plus grand marieur:

395   Grands, et petits, âge et fortune,

J'arrange tout.

LE SIMPLE.

Contes en l'air.

MOLIÈRE.

J'ai, naguère, au clair de la lune,

Marié... jusqu'à Jupiter.

LE SIMPLE.

Ah ! Sûrement vous me parlez là de gens riches, et Derval n'a rien.

MOLIÈRE.

Je viens de perdre le peintre-décorateur de mon théâtre, et Derval le remplace.

DERVAL.

Moi !

MADAME ROBERT et ADÈLE.

Derval !

MOLIÈRE.

Avec mille écus d'appointements.

LE SIMPLE.

Mille écus !

ADÈLE et DERVAL.

Monsieur Molière !

LE SIMPLE, à Molière.

Mille écus, c'est un Pérou, un Pactole, et vous avez raison de dire que vous arrangez tout.

À Baron et à La Thorillière.

Oui, oui, ces mille écus là nous raccommodent. Quoique vous m'ayez pris pour un sot, vous n'êtes pas les premiers qui l'avez cru, mais à présent vous voyez ce qui en est... Vous, Adèle...

SCÈNE XXII.
Les Mêmes, Brunot.

BRUNOT, accourant.

Madame, Madame...

LE SIMPLE.

Impossible de rien dire.

BRUNOT.

Quatre voitures qui arrivent ensemble, et qui sont remplies, à ce qu'ils disent, de Luciles, de Dorantes, de Dorimènes, de Nicoles, de Jourdains, enfin d'une foule de personnes dont je ne sais pas la condition.

MOLIÈRE.

C'est toute ma troupe : grand dîner, Madame Robert, grand dîner, sur mon compte, auquel vous ajouterez la dépense des deux souverains, qui seront assez complaisants pour se remettre à table avec nous.

BARON et LA THORILLIÈRE.

Très volontiers.

MOLIÈRE.

Nous allons y célébrer les fiançailles des deux futurs, et demain, en repassant, nous serons leur épithalame, le verre à la main.

LE SIMPLE.

Leur épithalame, Monsieur Molière ? Nous la composerons ensemble ; vous m'avez l'air d'un garçon d'esprit.

VAUDEVILLE.

DERVAL.

Air : de Monsieur Doche.

Oui, vraiment, monsieur l'érudit,

400   Molière que j'honore,

Est plein de finesse et d'esprit,

Mais il a mieux encore;

La raison le suit :

Toujours il séduit,

405   Et toujours il éclaire;

Mais que de Scapins,

Que de Trissotins

Survivront à Molière !

CHOEUR.

Survivront, etc.

MOLIÈRE.

410   Toujours des Agnès enverront

Leurs tuteurs à l'école;

Toujours des Tartuffes sauront

Nous tromper sur parole.

Toujours des Purgons

415   Feront aux Orgons,

Des frais d'Apothicaire,

Et que de Jourdains,

De Georges Dandins,

Survivront à Molière !

CHOEUR.

420   Survivront, etc.

BARON.

Toujours ailleurs, comme à Paris,

De tendres infidèles,

De leurs jeunes ou vieux maris,

Feront des Sganarelles.

425   Toujours des fâcheux,

Et des ennuyeux,

Nous rompront en visière,

Et que d'Harpagons,

Que d'adroits fripons,

430   Survivront à Molière !

CHOEUR.

Survivront, etc.

ADÈLE, au Public.

Un défenseur officieux,

Dont le mérite impose,

Près de vous, au gré de nos voeux,

435   Doit gagner notre cause;

Pareil défenseur,

Contient du censeur,

La mordante colère;

Le plus indiscret,

440   Cache son sifflet,

Au seul nom de Molière.

CHOEUR.

Le plus indiscret,

Cache, etc.

 


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Notes

[1] La Rue Quincampoix est une rue de Paris perpendiculaire et au nord de la Seine.

[2] Consommé : Bouillon succulent d'une viande très cuite, contenant une plus grande proportion de substances animales que le bouillon ordinaire, et susceptible de se prendre en gelée par le refroidissement. [L]

[3] Escarboucle : Nom que les anciens donnaient aux rubis. [L]

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