LE CARNAVAL DU BARON DE PAPAVER

SCÈNE PROVERBE EN RIMAILLES

Janvier 1889.

P. G.

PARIS TRESSE, ÉDITEUR 10 ET 11, GALERIE DE CHARTRES (PALAIS-ROYAL)

À PARIS, DES PRESSES DE D. JOUAUST, Imprimeur breveté RUE SAINT-HONORÉ, 338


Texte établi par Paul FIEVRE, Mai 2020

publié par Paul FIEVRE, juin 2020

© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:29.


PERSONNAGES

LE BARON DE PAPAVER.

LE CHEVALIER PIERROT.

TITINE.

LE MAGISTER.

MASQUES.

Extrait de "Entre les paravents, Petites récréations scéniques de salle et de famille", P.G., Janvier 1889, pp. 389-407. Cote BnF [8-YF-410]


LE CARNAVAL DU BARON...

SCÈNE PREMIÈRE.

LE BARON DE PAPAVER, seul, une lettre à la main.

Parbleu, c'est évident, il se moque de moi,

Mon vieil ami, le Marquis de Gaudoi.

Loin d'admirer une sagesse austère

Qui m'a fait délaisser la Cour pour cette terre,

5   Il voit, raillant mon changement de goût,

Non pas un philosophe en moi, mais un grigou.  [ 1 Grigou : Terme populaire. Gueux, misérable ; homme avare et sordide. [L]]

L'âge a passé, Marquis, sur nos folles ripailles

Et je suis revenu des plaisirs de Versailles.

Cette lettre, pourtant, trouble un peu mon repos,

10   Car, on a beau se mettre au-dessus des propos,

On n'aime pas, à juste titre,

Aux yeux des gens d'esprit à passer pour une huître.

Ici, que manque-t-il à mon ambition ?

Rien ; rien, sinon peut-être a ma distraction

15   Quelque variété. Parfois, c'est vrai, ma vie

Me semble bien avoir quelque monotonie.

J'allais hier pêcher et je chasse aujourd'hui

Le lièvre ou le canard, mais pas toujours l'ennui.

Du Baron Papaver faut-il que l'on suppose

20   Que dans l'isolement le cerveau s'ankylose ?

Non, morbleu, non, je veux prouver

Que dans son propre fonds, partout, on peut trouver

Tout ce qu'il faut pour charmer l'existence.

Qu'ai-je besoin de l'assistance

25   D'un tas de fats ? Sans eux, dans ce séjour.

Ne puis-je transporter les plaisirs de la Cour ?

Vraiment, c'est une idée. Il faut que je la mette

En exécution sans plus tarder. - Fanchette ?

SCÈNE II.
Papaver, Fanchette.

PAPAVER.

Ma fille, écoute ici : nous allons, dès ce soir,

30   Transformer, vois-tu bien, ce paisible manoir

En un lieu de splendeurs, de joie et de délices,

Cours chez la mère Epi, rafle les pains d'épices,

Chandelles, ratafia, galette, tout enfin,

Ce que dans sa boutique on trouve de plus fin ;

35   Que Jean monte à cheval pour porter ce message

Au galop, de ma part, à tout le voisinage :

« Château de Papaver, ce soir, grand festival ! »

FANCHETTE.

Mais nous ne sommes pas encore en carnaval.

PAPAVER.

N'importe, j'anticipe, il est de toute urgence

40   Qu'ici l'on rie, on s'amuse et qu'on danse.

Je ne puis t'expliquer tous mes desseins profonds ;

Mais, autrement, je me morfonds.

Un jour de plus et c'est fait de ma tête.

Tu vas aller inviter à la fête,

45   Au bal masqué, magique étourdissant...

FANCHETTE.

Un bal masqué !

PAPAVER.

Ce sera ravissant.

Le grand bailli, mais il faut qu'il se mette

En blanc pierrot ; et puis aussi, Fanchette,

Le magister eh asinus dispos,

50   Et le docteur... tiens, en Parque Atropos.

FANCHETTE.

Après, Dame, il faudra, je vous le dis sans phrase,

Aux petites maisons vous chercher une case.  [ 2 Petites-maisons : Lieu où l'on enferme les aliénés.]

PAPAVER.

Impertinente ! Hélas ! Ton rustique cerveau

Ne saurait démêler le subtil écheveau

55   De ces déductions fines et déliées,

Dans mon esprit orné même assez embrouillées,

Qui m'ont fait adopter ce moyen aujourd'hui

Contre l'humour noire et l'ennui.

FANCHETTE.

Il ne faut pas, car ce serait fâcheux,

60   Tant d'esprit, croyez-moi, Monsieur, pour être heureux.

PAPAVER.

Mon enfant, ta remarque est juste,

Mais l'esprit délicat et la nature fruste

Ont des besoins différents pour objet.

Fais ce que je t'ai dit.

FANCHETTE.

J'y cours (J'ai mon projet).

SCÈNE III.

PAPAVER, seul.

65   Elle ne manque pas, il faut le reconnaître,

D'un certain sens, cette fille champêtre.

Mais ne sait rien, dans son étroit séjour,

De la ville, ni de la cour.

J'en veux, ce soir, aux bonnes gens candides

70   Montrer les agréments splendides.

Morbleu ! Leur éblouissement

Devra doubler mon divertissement.

SCÈNE IV.
Papaver, Le Magister.

LE MAGISTER.

À Monsieur le baron, mon humble révérence.

PAPAVER.

Ah ! C'est vous, magister, on vous a fait, je pense,  [ 3 Magister : Maître d'école de village. [L]]

75   Mon message.

LE MAGISTER.

  Oserai-je, à ce même propos,

Respectueusement, adresser quelques mots,

Que la philosophie à son vassal inspire ?

PAPAVER.

Que diable voulez-vous donc dire ?

LE MAGISTER.

L'idée à Papaver de donner un grand bal

80   Est un dessein original.

Aristote y consent, mais Platon le condamne,

Épicure l'approuve et Zénon...

PAPAVER.

Est un âne.

Que me chantez-vous là ?

LE MAGISTER.

Sans indiscrétion,

Permettez-moi deux mots de dissertation :

85   Pour passer au concret, sachons d'abord abstraire :

Tout homme veut trouver le bonheur sur la terre,

Mais sachons distinguer, séparons l'objectif

Du pur et simple subjectif.

PAPAVER.

Vous m'assommez, allez donc vous faire laniaire.

LE MAGISTER.

90   Je ne veux pas, Monseigneur, vous déplaire.

PAPAVER.

Eh bien, laissez-moi donc et que votre objectif

Soit de faire au plus tôt votre préparatif

Pour mon grand bal masqué.

LE MAGISTER.

J'ai trop de déférence

Pour commettre envers vous la moindre irrévérence,

95   Mais, si vous vouliez bien m'accorder un instant...

PAPAVER.

Pour me rompre la tête.

LE MAGISTER.

Hélas ! J'aurais pourtant,

Au moyen seulement de quelque syllogisme

À l'école emprunté de l'Aristotélisme...

PAPAVER.

Assez !

LE MAGISTER.

Le voulez-vous soit en baralipton,  [ 4 Baralipton : Mot forgé par les Scolastiques pour rappeler mnémoniquement une forme de syllogisme, et où barali est seul significatif, pton n'étant qu'une finale pour faire le vers. [L]]

100   Barbara, celarent, ou bien en feiapton ?

PAPAVER.

Allez vous promener, ou bien, jour de ma vie !...

LE MAGISTER.

J'y cours. Ô grand succès de la philosophie !

SCÈNE V.
Papaver, puis Titine.

PAPAVER.

Je crois vraiment que ce sot animal

Avait dessein de blâmer mon grand bal.

105   Allons tout préparer pour... Mais voilà Titine,

La petite fermière ; elle parait chagrine.

Qu'as-tu donc, mon enfant, quel air embarrassé ?

Explique-toi, voyons, je suis un peu pressé ;

Vite, dis-moi ce qui t'amène.

TITINE.

110   Ah ! Monsieur le Baron, nous sommes dans la peine.

PAPAVER.

Que vous est-il donc arrivé ?

TITINE.

Ah ! Notre vache est morte et le cochon crevé.

Si vous saviez, notre maître, à cette heure,

Comme chez nous on se désole, on pleure ;

115   Si vous voyiez, couchés sur le côté,

Ces pauvres animaux, ça vous ferait pitié,

Les yeux fermés, la bouche ouverte,

C'est trente beaux écus de perte.

PAPAVER.

Va, je te plains. Pour distraire et chasser

120   Ton ennui, viens ce soir danser.

TITINE.

On n'a guère le coeur, par chez nous, à la joie ;

Ma mère dans les pleurs se noie

Mon père est abattu depuis qu'on a trouvé

La vache morte et le cochon crevé,

125   Si vous voyiez les tristes têtes

Des pauvres gens, des pauvres bêtes.

PAPAVER.

Pourrais-je, en les voyant, leur rendre la santé

À tes parents, aux bestiaux la gaîté ?

Égayer les bestiaux, veux-je dire, au contraire,

130   Et ressusciter... Ah ! Tu m'embrouilles l'affaire.

TITINE.

Fanchette m'a promis votre compassion.

Et m'a dit...

PAPAVER.

Je prends part à votre affliction

Et veux la soulager. Tiens, sans tant de paroles,

Prends, Titine, ces dix pistoles.

TITINE.

135   Merci, merci, notre maître si bon,

Pour papa, pour maman, la vache et le cochon.

Merci, merci.

SCÈNE VI.
Papaver puis Fanchette.

PAPAVER.

Vais-je enfin, à loisir

Pouvoir songer à mon plaisir ?

Te voilà de retour, Fanchette.

140   Bon, ma commission est faite.

FANCHETTE.

Tout sera prêt, Monsieur, j'ai, chez la mère Epi,

Pris tout le pain d'épice et les pommes d'api.

Jean est parti porter votre message ;

Vous aurez tout le voisinage,

145   Si cela peut vous contenter.

PAPAVER.

Je crois que je n'aurai plus rien à souhaiter.

FANCHETTE.

J'ai rencontré, bien triste et désolée,

La fille à vos fermiers du bas de la vallée.

Si vous aviez pu voir ces braves gens...

PAPAVER.

150   Bon, j'irai leur porter des mots encourageants

Un autre jour. Les pleurs de la fillette

M'ont un moment troublé, mais c'est affaire faite.

Le mal est réparé, préparons le plaisir.

Tu feras disposer, sans prendre de loisir,

155   Deux rangs de lampions le long de l'avenue,

Pour éclairer les gens et récréer sa vue,

Et tu me sortiras du coffre ces habits

De beau polichinelle à boutons de rubis.

Donne ensuite un coup d'oeil a tout, à la cuisine.

160   Va, fais vite.

FANCHETTE.

Oui, monsieur.

SCÈNE VII.
Papaver, Titine.

PAPAVER.

  Tiens, revoilà Titine.

TITINE.

Quel malheur !

PAPAVER.

Je sais bien, tu me l'as déjà dit,

La vache, le cochon.

TITINE.

Oh ! Ce n'est pas fini.

PAPAVER.

La volaille, à son tour, aurait-elle, ma mie,

Succombé maintenant à cette épidémie ?

TITINE.

165   Ah ! Monsieur, c'est bien pis, et le malheur chez nous

À présent est entré tout a fait, voyez-vous.

PAPAVER.

Cela tombe bien mal. Allons, conte-moi vite,

Car je suis très pressé, ce que c'est ma petite.

TITINE.

Mon bon grand-père, à tout il préférait

170   Notre vache défunte et le défunt goret.

Il aimait tant et l'une et l'autre bête

Que de leur mort il a perdu la tête.

PAPAVER.

Pauvre bonhomme, on sait qu'il contenait

Peu de chose déjà, je crois, sous son bonnet.

TITINE.

175   Et pour se consoler dans une telle peine,

Il s'est mis à vider trois pots sans prendre haleine.

PAPAVER.

Quel avaloir ! Mais qu'importe cela ?

TITINE.

C'est que, notre maître, voilà,

Qu'après il est tombé, j'en suis toute saisie,

180   On dit que c'est dans la paralysie.

PAPAVER.

Bon, voilà ce que c'est de boire sans raison.

TITINE.

Ah ! Monsieur, le chagrin est dans notre maison,

Ma mère est folle et mon père

Avec elle se désespère.

185   Si vous pouviez d'un bon avis...

PAPAVER.

Quel contre-temps ! Aujourd'hui je ne puis,

Pourtant votre douleur me touche.

Tiens, écoute, il faut qu'on le couche

Et qu'il boive de l'eau, je le verrai demain.

TITINE.

190   Mais il va nous falloir payer le médecin,

Les sinapismes, la bourrache,  [ 6 Bourrache : Plante à feuilles velues ; on l'emploie en tisane, comme diaphorétique et diurétique. [L]]  [ 5 Sinapisme : Terme de médecine. Cataplasme dont la moutarde fait la base, et qu'on applique pour déterminer la rubéfaction de la partie, et produire une excitation générale ou une révulsion. [L]]

Et nous avons perdu le cochon et la vache.

PAPAVER.

Allons ! Prends ce ducat. Et d'ailleurs tout espoir

N'est pas perdu. J'irai demain le voir.

TITINE.

195   Oh merci, Monsieur le Baron,

Pour grand-papa, la vache et le cochon.

SCÈNE VIII.
Papaver, Fanchette.

PAPAVER.

Rien qu'avec deux ou trois vassaux de cette espèce

Il ne resterait pas grand temps pour la paresse.

Comment être insensible aux maux que l'on entend ?

200   Avec quelques écus tout s'arrange pourtant.

Allons, à la gaîté ; voyons, si pour ma fête,

Selon mes ordres, tout s'apprête.

FANCHETTE, apportant le costume de polichinelle.

Votre costume...

PAPAVER.

As-tu repassé le jabot,

Brossé le juste-au-corps, ciré chaque sabot ?

FANCHETTE.

205   J'ai tout mis en état. Mais, auprès de la grille,

J'ai rencontré Titine, pauvre fille !

PAPAVER.

C'est bon, elle est venue encore me trouver.

FANCHETTE.

Ah ! Vous savez alors ce qui vient d'arriver.

PAPAVER.

Eh ! oui, te dis-je. - As-tu pris soin qu'on illumine ?

FANCHETTE.

210   Les lampions sont posés. - Cette pauvre Titine !...

Son grand-père...

PAPAVER.

Je sais, je sais. - La mère Epi

A-t-elle, dis-moi, tout fourni ?

FANCHETTE.

Tout est disposé dans l'office.

Hélas ! Ces malheureux, à votre bon service

215   Depuis un si long temps, qu'ils sont donc éprouvés.

PAPAVER.

Je sais les accidents qui leur sont arrivés.

J'y compatis. - Et Jean a-t-il fini ses courses ?

FANCHETTE.

Vos invités viendront. - Les voilà sans ressources,

Ils auraient bien besoin de consolation.

PAPAVER.

220   Ah ça ! Vas-tu finir ta lamentation ?

Ils auront une vache, un cochon, le bonhomme

Sera soigné, grâce à la somme

Que j'ai fournie ; il n'est plus rien d'argent.

FANCHETTE.

Êtes-vous sûr, Monsieur, qu'avec un peu d'argent

225   On satisfasse à tout ?

PAPAVER.

  Eh ! Laisse-moi tranquille,

Le temps me manque, il ne m'est pas facile

De faire plus pour le moment ;

Mais il est temps pour tout.

FANCHETTE.

Vous dites bien, vraiment.

PAPAVER.

Tu vas voir, tout à l'heure, ici, nous allons rire,

230   Pour dissiper l'ennui rien ne vaut et n'inspire

Comme le bal masqué. Dans chaque masque on voit

Se révéler plus qu'on ne croit

Les penchants et le caractère.

Tel croit faire un contraste et dévoile au contraire

235   Le fonds de sa nature. En pierrot s'étant mis,

Crois-tu que le bailli figure une Thémis

Différente de celle à qui nous voyons presque

Rendre plus d'un arrêt fol et carnavalesque ?

Crois-tu que le docteur sera mal à propos

240   Muni des grands ciseaux de la parque Atropos ?

Et quant au Magister, sa figure de cuistre

Sans masque est bien assez comiquement sinistre.

FANCHETTE.

Oui, ce sera très drôle ; à force de railler,

Nous n'aurons plus le temps peut-être de bailler.

PAPAVER.

245   J'y compte bien ; allons faire notre toilette ;

L'heure du bal approche, allons, Fanchette.

SCÈNE IX.
Papaver, Fanchette, Titine.

TITINE.

Au secours, au secours !

PAPAVER.

Comment, encor, toujours !

C'est trop fort.

TITINE.

Ah ! Monsieur, la ferme anéantie,

250   Et mon pauvre papa noyé dans l'incendie,

Ma mère brûlant dans le puits.

Au secours !

PAPAVER.

Qu'est-ce que tu dis ?

Elle est folle.

TITINE.

Au secours, au secours !

PAPAVER.

Elle est folle !

FANCHETTE.

L'affreuse catastrophe embrouille sa parole.

255   On comprend qu'à la ferme un feu vient d'éclater.

TITINE.

Au secours !

FANCHETTE.

Du secours, vite, il faut lui porter.

PAPAVER.

Il nous manquait cela. Quelle diable d'affaire !

Mais sa narration n'est pourtant pas bien claire.

Voyons, remets-toi donc, qu'on te comprenne enfin.

TITINE.

260   Comme je revenais, au bout de mon chemin,

J'aperçois tout à coup la flamme

Qui dévorait la ferme. Alors, la mort dans l'âme,

J'accours et l'on m'apprend, qu'en y puisant de l'eau ;

Mon père est tombé dans le puits avec son seau ;

265   Que ma mère, en voulant sauver quelques affaires,

S'est brûlée, et mes petits frères,

On craint, on tremble pour leurs jours.

FANCHETTE.

Affreux événement !

TITINE.

Au secours, au secours !

PAPAVER.

Courons jeter de l'eau.

TITINE.

Ce n'est plus nécessaire,

270   Tout est fini, détruit.

PAPAVER.

  Alors, que faire ?

Pourquoi crier tout le temps : au secours !

Puisqu'il n'est plus maintenant de recours ?

FANCHETTE.

Ah ! Monsieur le Baron, il faut que l'on procure

À ces gens un abri, qu'on panse la brûlure

275   De la femme, qu'on cherche et soigne tes petits.

Qu'on retire l'homme du puits.

PAPAVER.

C'est juste, allons, que l'on amène vite

Au château tous ces gens sans gîte.

Fais-y pour eux préparer logements,

280   Nourriture et médicaments.

Je vais aussi m'en occuper moi-même

Et voir ce qu'il en est de ce désastre extrême.

TITINE.

Merci de vos bontés. Au secours, au secours !

PAPAVER.

Eh bien ! Ne vois-tu pas, Titine, que j'y cours ?

FANCHETTE.

285   Puis, on fera reconstruire la ferme.

PAPAVER.

Ah ! Nous voilà du travail à long terme,

Je n'aurai plus le temps de m'ennuyer.

FANCHETTE.

Sans carnaval.

PAPAVER.

Bon, j'allais oublier

Ma soirée, au milieu d'une alerte si vive,

290   Mes invités ; j'entends déjà que l'on arrive.

Comment faire ? À quoi diable aussi fus-je songer ?

En employant son temps, son coeur et sa richesse,

À consoler, à soulager,

Autour de soi, le malheur, la tristesse,

295   On ne connaît, je le vois aujourd'hui,

Jamais le vide, ni l'ennui.

SCÈNE X.
Papaver, Fanchette, Titine, Le Magister, Masques.

LE MAGISTER.

C'est, Monsieur, ce que, tout à l'heure,

Du syllogisme dont j'ai posé la majeure...

PAPAVER.

Assez, venez plutôt nous aider tous au val.

FANCHETTE.

300   Non, Monsieur, vous pouvez à votre carnaval

Vous livrer pour ce soir.

PAPAVER.

Comment, quand l'incendie...

FANCHETTE.

Je dois vous l'avouer, n'est qu'une comédie.

Le grand-papa, la vache, le cochon,

Comme le feu dans la maison,

305   Tout cela n'était qu'une feinte.

Me pardonnez-vous ?

PAPAVER.

Sois sans crainte,

Tu m'as rendu service et les yeux m'as ouvert

Va, c'est le dernier bal masqué de Papaver.

FANCHETTE.

Au moins qu'il soit joyeux, puisqu'ici l'on confesse

310   Qu'il est un temps pour tout, même pour l'allégresse.

TOUS.

Air des Bossus.

Contenons-en, chaque chose à son temps

Et chaque temps aussi ses agréments.

Ne mêlons pas l'automne et le printemps,

Sachons, suivant tes différents moments,

315   Prendre ce qui contient à chaque temps.

PAPAVER.

À la jeunesse, il faut les ornements,

Plaisirs légers et divertissements ;

Mais l'âge mûr plus sérieusement

Doit réfléchir et ne peut follement

320   Trouver jamais parfait contentement.

FANCHETTE.

À la cour on divertit brillamment,

Quelquefois a la ville méchamment.

À la campagne on sait parfaitement

Se récréer, s'amuser autrement,

325   Innocemment même et naïvement.

TITINE.

Un faux bonheur nous attire, inconstants,

Si vanité remplit mal nos instants,

Mais, a tout âge, en tous lieux, en tous temps,

La charité, pour nous rendre contents,

330   Seule, vraiment, a des charmes constants.

LE MAGISTER, au public.

Souffrez, Messieurs, qu'a ce dernier moment,

Je place enfin un petit argument :

Si la majeure en a quelque agrément,

La mineure est un divertissement,

335   La conséquence est-elle au baillement ?

 



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Notes

[1] Grigou : Terme populaire. Gueux, misérable ; homme avare et sordide. [L]

[2] Petites-maisons : Lieu où l'on enferme les aliénés.

[3] Magister : Maître d'école de village. [L]

[4] Baralipton : Mot forgé par les Scolastiques pour rappeler mnémoniquement une forme de syllogisme, et où barali est seul significatif, pton n'étant qu'une finale pour faire le vers. [L]

[5] Sinapisme : Terme de médecine. Cataplasme dont la moutarde fait la base, et qu'on applique pour déterminer la rubéfaction de la partie, et produire une excitation générale ou une révulsion. [L]

[6] Bourrache : Plante à feuilles velues ; on l'emploie en tisane, comme diaphorétique et diurétique. [L]

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