AMADIS DE GRÈCE

TRAGÉDIE.

Représentée par l'Académie Royale de Musique, pour la première fois, le 26 Mars 1699.

Musique de M. DESTOUCHES

M. D. CC. LII.

par M. Houdart de La Motte de l'Académie française

Représentée par l'Académie Royale de Musique, pour la première fois, le 26 Mars 1699.


Texte établi par Paul FIEVRE, août 2020

Publié par Paul FIEVRE, septembre 2017

© Théâtre classique - Version du texte du 30/04/2024 à 20:07:20.


AU ROI.

GRAND ROI,

C'est vainement qu'en t'offrant mon ouvrage,

Tout semble, à te louer, exciter mon courage ;

Vainement mon ardeur m'en veut faire une loi,

Ma plume se refuse à ce pénible emploi ;

La langue désormais , pour aider notre zèle,

N'a plus de tour heureux ni de grâce nouvelle.

Mille fameux Auteurs à ta gloire ont écrit ;

Si LOUIS a tout fait, Apollon a tout dit.

De ton Règne naissant il a dit les miracles ;

Ta valeur toujours prête à forcer les obstacles ;

Cent Peuples en courant subjugués à la fois,

Mais aussitôt heureux que soumis à tes lois ;

La rebelle Hérésie à tes pieds terrassée,

D'un chaos ténébreux Themis débarrassée ;

Le duel sans honneur chassé de tes États,

La Noblesse formée à de justes combats ;

Les Arts riches par toi, des beautés souveraines

Qu'ils eurent autrefois dans Rome et dans Athènes ;

Tous tes instants marqués par les vertus d'un Roi ;

Et tes Fils par tes soins rendus dignes de toi.

Que ces heureux Sujets ont illustré de plumes !

Qu'écrire à ta louange après tant de volumes ?

Non qu'encore aujourd'hui tes nouvelles vertus

De nos écrits pour toi n'exigent les tributs.

Cent travaux tous les jours de nouveau t'éternisent.

La matière s'accroît ; mais les forces s'épuisent ;

Et nos vers dépourvus de sel et d'agréments,

N'ont pour tes faits nouveaux que de vieux ornements

L'Art, après tant d'efforts, impuissant pour ta gloire,

Se doit d'un soin si beau reposer sur l'Histoire.

Qu'elle seule te loue , et que de mes écrits

Tes plaisirs désormais soient l'objet et le prix !

HOUDAR DE LA MOTTE.


PERSONNAGES DU PROLOGUE.

ZIRPHÉE, Enchanteresse.

ZIRENE, Enchanteur, ami de Zirphée.

TROUPES DE FEMMES DE LA SUITE DE ZIRPHÉE.

TROUPE DE GÉNIES ; DE STATUES ANIMÉES, ET D'ESPRITS VOLANTS.

ACTEURS DE LA TRAGÉDIE.

AMADIS DE GRÈCE.

LE PRINCE DE THRACE.

NIQUÉE, fille du Soudan de Thèbes.

MÉLISSE, Magicienne.

ZIRPHÉE, Enchanteresse, tante de NIQUÉE.

TROUPES DE BERGERS, DE BERGÈRES ET DE PÂTRES.

UNE BERGÈRE.

TROUPE DE CHEVALIERS ET DE PRINCESSES ENCHANTÉS.

UN CHEVALIER ENCHANTÉ.

UNE PRINCESSE ENCHANTÉE.

TROUPE DE MAGICIENS.

TROUPE DE DÉMONS.

TROUPE DE MATELOTS ET DE MATELOTTES.

UN CONDUCTEUR DE MATELOTS.

UN JEUNE MATELOT.

L'OMBRE DU PRINCE DE THRACE.

TROUPE D'ESPRITS SOUS LA FORME DE GUERRIERS.

AUTRE TROUPE D'ESPRITS SOUS LA FORME DE DIVERS PEUPLES.

AUTRE TROUPE D'ESPRITS SOUS LA FORME DES BEAUTÉS LES PLUS FAMEUSES.


PROLOGUE

Le théâtre représente un Monument magnifique élevé à la gloire d'Amadis de Grèce. Aux côtés d'une allée de lauriers, on voit des statues qui marquent les vertus de ce Héros. Au milieu est un amphithéâtre sur lequel s'élève une pyramide entre quatre colonnes, dont les piédestaux sont ornés de bas-reliefs qui représentent les exploits d'Amadis. La pyramide a de pareils ornements. On y voit de plus le chiffre d'Amadis entre deux Renommées, et en haut l'ardente épée qui était la devise de ce Chevalier.

ZIRPHÉE.

Tout célèbre ici le courage

D'un vainqueur dont le monde admira les travaux.

Ce monument est un hommage

Que mon art voulut rendre au plus grand des Héros.

5   Du fameux Amadis j'y fis tracer l'histoire.

Mais on ne lui doit plus ce titre glorieux,

Ce séjour n'est plus fait pour annoncer sa gloire ;

D'autres exploits vont embellir ces lieux.

Esprits qui me servez, remplissez mon attente,

10   Volez, volez de toutes parts :

Effacez les travaux que ce lieu représente,

Qu'une histoire plus éclatante

Étonne et charme les regards.

Esprits qui me servez, remplissez mon attente,

15   Volez, volez de toutes parts.

Plusieurs Esprits volent à l'ordre de Zirphée, et viennent changer les bas-reliefs qui représentent les travaux du Roi, au lieu de ceux d'Amadis. Deux Esprits enlèvent l'ardente épée du haut de la pyramide, et deux autres y viennent poser un Soleil.

Que tout ici s'anime, et que tout me réponde.

Toutes les Statues s'animent, sortent de leurs attitudes et s'unissent avec Zirphée pour célébrer la gloire du Roi.

LE CHOEUR.

Pour chanter ce Vainqueur élevons nos concerts ,

Son nom remplit la terre et l'onde,

Il est l'honneur de l'univers,

20   Son éloge est gravé dans tous les coeurs du monde.

Les Génies applaudissent au dessein de Zirphée ; et les femmes de sa suite dansent avec eux.

ZIRENE, étonné de la nouvelle histoire que le monument représente.

Que d'exploits éclatants s'offrent à mes regards !

Quel Héros sur ses pas enchaîne la victoire ?

Qu'il abat d'ennemis ! Qu'il brise de remparts !

En vain tout l'Univers s'arme contre sa gloire,

25   Il triomphe de toutes parts.

LCHOEUR.

Que d'exploits éclatants s'offrent à nos regards !

Quel Héros sur ses pas enchaîne la victoire ?

Qu'il abat d'ennemis ! Qu'il brise de remparts !

En vain tout l'Univers s'arme contre sa gloire,

30   Il triomphe de toutes parts.

ZIRPHÉE et ZIRENE, alternativement avec le Choeur.

Goûtez, Mortels, une paix salutaire ;

C'est un héros qui s'en rend le soutien.

Il laisse enfin reposer son tonnerre ;

Il bannit la guerre,

35   N'en craignez plus rien :

Il prend le soin du bonheur de la terre,

Et c'est aux Dieux qu'il se remet du sien.

On danse.

ZIRPHÉE et ZIRENE.

Ses soins ont ramené le calme sur la terre ;

Que par ses soins il y règne à jamais.

40   S'il est le héros de la guerre,

Il est encor le héros de la paix.

ZIRPHÉE.

Volez, volez dans son empire,

Plaisirs, prévenez tous ses voeux.

C'est le plus grand Roi qui respire ;

45   Qu'il soit toujours le plus heureux.

LCHOEUR.

Volez, volez dans son empire,

Plaisirs, prévenez tous ses voeux.

C'est le plus grand Roi qui respire ;

Qu'il soit toujours le plus heureux.

ZIRPHÉE.

50   Après avoir servi sa gloire.

Il faut pour ses plaisirs nous unir aujourd'hui :

Qu'un spectacle pompeux lui retrace l'histoire

D'un illustre vainqueur qui ne cède qu'à lui.

ACTE I

Le théâtre représente les Jardins de Mélisse, d'où l'on découvre dans le fonds la tour de Niquée.

La scène se passe sur la fin du jour.

SCÈNE PREMIÈRE.
Amadis, Le Prince de Thrace.

AMADIS.

Bientôt l'obscure nuit va s'emparer des Cieux ;

55   Allons, Prince, marchons où m'attend la victoire ;

Arrachons-nous aux charmes de ces lieux,

Ils n'ont que trop contraint mon amour et ma gloire.

LE PRINCE DE THRACE.

Répondez, Amadis, à de tendres désirs :

Mélisse sent pour vous la flamme la plus belle ;

60   Mille appas sont ici le fruit de ses soupirs ;

Quand son art à vos yeux rassemble les plaisirs,

C'est son amour qui les appelle.

AMADIS.

Ah ! C'est de cet amour que je fais mon tourment.

Quand ce Palais s'offrit à mon passage,

65   J'allais finir l'enchantement

De la Princesse qui m'engage.

Mélisse par ses soins me retint dans sa cour.

Je crus que son accueil naissait de son estime ;

Mais puisqu'il est l'effet de son fatal amour,

70   Prince, je me ferais un crime

De le nourrir par un plus long séjour.

LE PRINCE DE THRACE.

Pour prix d'une flamme si tendre

Vous voulez qu'elle meure, et vous l'abandonnez ?

Quoi ! Sa beauté ne peut-elle vous rendre

75   Tout l'amour que vous lui donnez ?

AMADIS.

Tu sais l'objet à qui je rends les armes,

Et tu peux me vanter de si faibles attraits !

Il lui montre le portrait de Niquée.

Les yeux qui connaissent ses traits,

Peuvent-ils trouver d'autres charmes ?

LE PRINCE DE THRACE, à part.

80   Ah ! Pour mon coeur jaloux que de vives alarmes !

AMADIS.

Ne tardons plus, assurons dès ce jour

Et mes plaisirs, et ma mémoire.

Qu'il est doux d'accroître sa gloire

De ce qu'on fait pour son amour !

LE PRINCE DE THRACE.

85   Je ne m'oppose plus au soin qui vous agite,

Je combattais en vain un si pressant désir.

Demeurez. Attendez, pour cacher notre fuite,

L'instant que nous devons choisir.

Il sort, et va avertir Mélisse.

SCÈNE II.

AMADIS.

Ô Nuit, déploie ici tes voiles les plus sombres ;

90   Sommeil, sous tes pavots assoupi tous les yeux ?

Pour fuir de ces funestes lieux,

Prêtez-moi le secours du silence et des ombres.

Amour, obtiens pour moi qu'ils remplissent mes voeux ;

Mon coeur a droit de le prétendre.

95   Tu n'as jamais servi de si beaux feux,

Ni satisfait d'amant si tendre.

Ô Nuit, déploie ici tes voiles les plus sombres ;

Sommeil, sous tes pavots assoupi tous les yeux.

Pour fuir de ces funestes lieux,

100   Prêtez-moi le secours du silence et des ombres.

La nuit se dissipe, une clarté magnifique éclaire les jardins : il y naît des berceaux, et des fontaines : une troupe champêtre suscitée par Mélisse, viens s'opposer au départ d'Amadis.

Que vois-je ! Quel prodige ! Ô cieux !

À quel Astre la nuit cède-t-elle ces lieux !

D'où vient qu'une beauté nouvelle

Éclate ici de toutes parts !

105   Quel spectacle ! Qui vous appelle ?

Et quel enchantement vous offre à mes regards ?

SCÈNE III.
Amadis, Troupe de bergers, de Bergères, et de Pâtres.

LE CHOEUR.

Cédez à nos chansons, cédez à nos musettes.

Jouissez en ces lieux des charmes les plus doux ;

Les oiseaux, les échos de ces belles retraites,

110   Pour vous y retenir s'unissent avec nous.

UN BERGER.

L'Amour est pour le bel âge :

Le plus tendre est le plus sages.

L'Amour est pour le bel âge ;

Livrons-nous à ses langueurs.

LE CHOEUR.

115   L'Amour est pour le bel âge ;

Le plus tendre est le plus sage.

L'Amour est pour le bel âge.

Livrons-nous à ses langueurs.

LA BERGÈRE.

Il se plaît dans nos bocages ;

120   Pour blesser les coeurs sauvages,

Il se cache sous les fleurs.

L'Amour est pour le bel âge ;

Le plus tendre est le plus sage.

L'Amour est pour le bel âge ;

125   Livrons-nous à ses langueurs.

LE CHOEUR.

L'Amour est pour le bel âge ;

Le plus tendre est le plus sage.

L'Amour est pour le bel âge ;

Livrons-nous à ses langueurs.

130   Trop heureux ceux qu'il engage !

L'Amour est un esclavage ;

Mais ses fers ont des douceurs.

UNE BERGÈRE.

Soins des amants,

Transports charmants,

135   Amour, enchante nos âmes :

De tes douces flammes

Viens remplir tous nos moments

Sans soupirs,

Sans désirs

140   N'attendons pas de vrais plaisirs.

On danse.

AMADIS.

Cessez cette importune fête :

C'est vainement qu'en ces lieux on m'arrête.

SCÈNE IV.
Amadis, Mélisse, Le Prince de Thrace.

MÉLISSE.

Quoi ! Barbare , tu pars, tu braves ma douleur ?

Je n'ai pour t'arrêter que d'inutiles charmes ;

145   Ingrat, mets-tu ta gloire à mépriser mes larmes !

Ton bonheur dépend-il de me percer le coeur ?

Ah ! Plus je m'attendris, moins je te vois sensible ;

Tu détournes les yeux, et déjà tu me fuis.

Tu te fais un supplice horrible

150   D'être encore aux lieux où je suis.

AMADIS.

Mélisse, je ne puis obéir à la gloire...

MÉLISSE.

Non, non, ne poursuis pas ce langage odieux.

Je sais trop ce que je dois croire ;

L'Amour, le seul Amour t'arrache de ces lieux.

155   L'image de Niquée a porté dans ton âme

Des feux dont tu fais ton bonheur....

Son nom même, son nom vient d'émouvoir ton coeur,

Et tes yeux trahissent ta flamme.

AMADIS.

Pourquoi voulez-vous m'engager

160   Quand je suis sous les lois d'une autre ?

Un coeur capable de changer

Ne serait pas digne du vôtre.

MÉLISSE.

Quoi ! Cruel, c'est donc peu de le voir dans tes yeux !

Tu m'oses faire encore un aveu si funeste !

165   Je ne t'ai donc offert qu'un amour odieux

Et qu'un coeur que le tien déteste ?

En vain j'ai rassemblé les plaisirs et les jeux,

En vain j'ai de mon art épuisé la puissance ;

Pour toi tout devenait affreux,

170   Par mes soupirs et ma présence

C'en est trop, le dépit succède à mon transport.

Je ne te retiens plus, tu peux partir... Barbare,

Va braver les périls que le sort te prépare.

Cours, vole à ta Princesse, ou plutôt à la mort.

175   À la mort ! Quoi ! Ton coeur la préfère à Mélisse !

Tu me quittes pour la chercher !

Mon désespoir, mes pleurs n'ont rien qui t'attendrisse !

AMADIS.

Il ne m'est pas permis de m'en laisser toucher.

MÉLISSE.

Suis-donc, cruel, une gloire fatale,

180   Va périr pour d'autres appas.

Que des monstres sur toi la rage se signale,

Que cent géants affreux te livrent cent combats ;

Et qu'un gouffre de flamme achevant ton trépas,

Te vomisse expirant aux pieds de ma rivale.

AMADIS.

185   Ô Ciel ? Peut-on former des voeux si pleins d'horreur !

Ah ! Fuyons, ma présence irrite sa fureur.

SCÈNE V.

MÉLISSE.

Le cruel m'abandonne, il fuit, il me déteste ;

Dieux ! Quel supplice il me fait éprouver !

Je lui parais un objet plus funeste

190   Que les monstres qu'il va braver.

Hé bien, Ingrat, cède au feu qui t'entraîne

Poursuis tes amoureux projets ;

Mais en vain ta valeur te répond du succès.

Tu t'es flatté d'une espérance vaine,

195   Les monstres, les géants peuvent être défaits

Mais tu ne peux vaincre ma haine.

ACTE II

Le Théâtre représente le Perron enflammé qui défendait la Gloire de Niquée.

SCÈNE PREMIÈRE.
Amadis, Le Prince de Thrace.

AMADIS.

Les feux redoublent mon courage.

C'est le dernier péril qu'il me reste à tenter,

Cent monstres vainement m'ont opposé leur rage,

200   Tu me les a vus surmonter ;

Et je me suis fait un passage

Teint du sang des géants qui voulaient m'arrêter.

Mais qu'annoncent ces mots ! Il faut nous en instruire,

Ils lisent ces mots, qui sont écrits sur le perron.

Un seul peut passer dans ces feux,

205   Un seul doit y trouver une gloire immortelle ;

C'est l'amant le plus généreux,

Et le Héros le plus fidèle.

AMADIS.

Ah ! Je connais ici ma flamme et ma valeur,

Le sort va remplir sa promesse.

210   Non, je n'en doute plus, je touche à mon bonheur,

Je suis prêt de voir ma Princesse ;

Mille secrets plaisirs l'annoncent à mon coeur.

Au Prince de Thrace.

Cher Prince, sois heureux autant que je vais l'être,

Puisse le Ciel combler tous tes désirs ;

215   Ce n'est plus que par tes plaisirs

Que les miens pourront croître.

Il s'avance pour traverser les flammes.

LE PRINCE DE THRACE.

Arrête, et connais-moi.

AMADIS.

Qu'entends-je ? Je frémis.

LE PRINCE DE THRACE.

J'oppose encor ce bras à ton audace.

Combats dans le Prince de Thrace

220   Ton rival et ton ennemi.

AMADIS.

Ciel !

LE PRINCE DE THRACE.

Plus charmé que toi des traits de ta Princesse,

Et réduit par son choix à n'en espérer rien,

Je voulais troubler ta tendresse ;

Tout mon bonheur était de traverser le tien.

225   Pour te retenir chez Mélisse,

De ton départ j'ai couru l'avertir :

Mes soins ont été vains, tu trouves tout propice,

Moi seul à ton bonheur je ne puis consentir.

C'est pour moi le dernier supplice :

230   Ton trépas ou le mien saura m'en garantir.

AMADIS.

Traître, perfide Ami, quelle rage te guide ?

LE PRINCE DE THRACE.

Ah ! Ne m'accable point de ces noms rigoureux.

Nos vertus dépendaient du succès de nos voeux ;

Et tu serais l'ami perfide,

235   Si tu n'étais l'amant heureux.

AMADIS.

En vain tu prodigues ta vie,

Ton sang me fut trop cher pour y tremper mes mains ;

Je veux punir ta perfidie

En te forçant de voir le bonheur que tu crains.

Il traverse les flammes.

SCÈNE II.

LE PRINCE DE THRACE.

240   Il m'échappe, il brave ma rage ;

Allons, il faut le suivre au milieu de ces feux.

Mais quel pouvoir secret m'en défend le passage ?

Tout se brise... Ô destin, faut-il le voir heureux.

Mélisse, c'est à toi de venger mon outrage.

Il sort et va implorer le secours de Mélisse. Le perron enflammé se brise au bruit du tonnerre, et laisse voir la Gloire de Niquée, où elle paraît sous un pavillon magnifique, au milieu des chevaliers et des princesses, enchantés avec elle.

SCÈNE III.
Amadis, Niquée, troupe de Chevaliers et de Princesses enchantés.

NIQUÉE descend de son trône.

245   Qu'entends-je ? De quel bruit ont retenti ces lieux ?

Ciel ! Est-ce mon Héros qui paraît à mes yeux ?

AMADIS.

Oui, Princesse, c'est moi, c'est moi qui vous adore.

De mon amour douterez-vous encore ?

Un prix trop éclatant couronne mes exploits ?

250   Je vous vois, je vous aime, et je puis vous le dire.

Non, à tous les transports que je sens à la fois

Tout mon coeur ne saurait suffire.

NIQUÉE.

Qu'il m'est doux d'enflammer d'une si vive ardeur

Un favori de la victoire... !

255   Mais, n'est-ce point un songe ? Êtes vous ce vainqueur ?

Vois-je cet Amadis si chéri de la gloire ?

Mes v[o]eux, faut-il vous croire !

Ah, vous n'êtes que trop d'accord avec mon coeur !

Qu'ai-je dit ? Où m'emporte un excès de tendresse ?

AMADIS.

260   Craignez-vous de me faire un aveu si charmant ?

NIQUÉE.

Non, vous savez trop ma faiblesse,

Je la cacherais vainement.

Mais pourquoi mon amour craindrait-il de paraître ?

Dois-je rougir des traits dont je me sens blesser ?

265   La gloire, hélas ! Peut-elle s'offenser

D'une flamme qu'elle a fait naître.

AMADIS.

Ah ! J'éprouve en cet instant même

Le moment le plus doux de mon plus heureux jour.

Vous m'aimez, ma gloire est extrême,

270   Et mon bonheur égale mon amour.

NIQUÉE.

L'éclat de vos vertus et celui de vos armes

Engageaient le Ciel même à couronner vos voeux :

Que ne redouble-t-il mes charmes,

Pour vous rendre encor plus heureux !

NIQUÉE et AMADIS.

275   Cédons-nous l'un à l'autre une douce victoire,

Unissons à jamais nos coeurs et nos désirs.

Votre amour fait toute ma gloire,

Il fait lui seul tous mes plaisirs.

NIQUÉE.

Témoins d'une si belle flamme,

280   Vous qu'avec moi Zirphée enchanta dans ces lieux,

Par les chants, par les sons les plus harmonieux

Célébrez l'ardeur de notre âme.

Les Chevaliers et les Princesses de diverses Nations, qui étaient enchantés avec Niquée, célèbrent son bonheur et la gloire d'Amadis.

UN CHEVALIER ENCHANTÉ.

Chantons une beauté qui charme tous les coeurs,

Offrons à ses désirs la plus galante fête ;

285   Ses attraits ont fait la conquête

Du vainqueur des vainqueurs.

CHOEUR.

Chantons sa victoire,

Célébrons sa gloire.

UNE PRINCESSE ENCHANTÉE.

Célébrons Amadis et ranimons nos voix.

290   Son bras et ses vertus forcent tout à se rendre ;

Les charmes les plus doux et le coeur le plus tendre,

Sont l'heureux prix de ses exploits.

CHOEUR.

Chantons sa victoire

Célébrons sa gloire.

UNE PRINCESSE ENCHANTÉE.

295   Suivons un doux penchant, formons d'aimables noeuds.

Pourquoi passer nos jours à nous contraindre ?

Quand l'Amour dans nos coeurs vient allumer ses feux,

Rien ne doit les éteindre.

Les maux qu'on en peut craindre

300   Sont doux à souffrir :

Loin de nous en plaindre,

Craignons d'en guérir.

Un nuage qui avance sur le théâtre, s'ouvre et fait voir Mélisse sur un dragon.

SCÈNE IV.
Amadis, Niquée, Mélisse.

MÉLISSE.

Tremble, Amadis , tu vois ce qui m'amène,

Ma présence t'annonce un supplice fatal.

305   Démons, venez servir ma haine,

Transportez son amante où l'attend son rival.

Des Démons enlèvent Niquée.

AMADIS.

Ô Ciel !

MÉLISSE.

Que la fureur, que la rage inhumaine

Détruisent ce Palais si cher à tes désirs.

Va, porte en d'autres lieux tes cris et tes soupirs.

310   Que ton heureux rival jouisse de ta peine,

Et que ton désespoir croisse par ses plaisirs.

AMADIS, à Mélisse qui part.

Arrête, implacable Furie.

Ô Dieux, me livrez-vous à cette barbarie ?

ACTE III

Le théâtre représente une plaine, coupée de quelques ruisseaux : l'on voit au milieu la Fontaine de la Vérité d'Amour, ornée de colonnes et de statues.

SCÈNE PREMIÈRE.

AMADIS.

Que deviens-je ! Où m'emporte un désespoir affreux !

315   Je traverse au hasard les forêts et les plaines,

Je fais tout retentir de mes cris douloureux

Et partout mes plaintes sont vaines.

Il s'appuie sur un arbre, et le murmure des ruisseaux le tire de son abattement.

Vous, dont le bruit se mêle à mes tristes accents,

Coulez, charmants ruisseaux, répondez-moi sans cesse,

320   Murmurez avec moi des maux que je ressens.

Hélas ! On m'a ravi l'objet de ma tendresse ;

D'inutiles soupirs, des regrets impuissants

Sont l'unique bien qu'on me laisse.

Vous dont le bruit se mêle à mes tristes accents,

325   Coulez, charmants ruisseaux, répondez-moi sans cesse,

Murmurez avec moi des maux que je ressens.

Mais je connais cette grotte enchantée,

Ses eaux de leur destin instruisent les amants.

Il faut que mon âme agitée

330   Y trouve du secours, ou de nouveaux tourments.

Il regarde dans la fontaine.

Que vois-je ! Ô coup mortel ! Puis-je en douter encore ?

Mon rival aux genoux de l'objet que j'adore !

Tous deux semblent contents. Est-il possible, ô cieux !

Ah ! La parjure ! Ah ! L'infidèle !

335   Hélas ! Il est trop vrai... Je le vois à ses yeux :

La perfide lui jure une ardeur éternelle.

Ô sort, je puis enfin défier ton courroux ;

Voilà le dernier de tes coups.

Il tombe évanoui sur un gazon.

SCÈNE II.
Amadis, Mélisse.

MÉLISSE, s'approche d'Amadis.

Hé bien, es-tu contente, inhumaine Mélisse ?

340   Son coeur d'assez de maux se sent-il déchirer ?

Cruelle, assouvis toi de son dernier supplice,

Et jouis du plaisir de le voir expirer.

Quoi ! je puis vouloir qu'il expire !

Non, non, le même coup me ravirait le jour.

345   Hélas ! Plus je le vois et plus mon coeur soupire :

Ciel ! Tout mourant qu'il est, qu'il m'inspire d'amour !

Qu'il vive. Opposons-nous à sa langueur mortelle.

Amadis, Amadis : Vivez. C'est trop souffrir.

Reconnaissez la voix qui vous appelle,

350   Cher Prince.

AMADIS, entr'ouvrant les yeux.

  Ah ! Laissez-moi mourir.

MÉLISSE.

Pour un indigne coeur, faut-il tant s'attendrir.

Votre Princesse est infidèle.

Vivez !

AMADIS.

Non, laissez-moi mourir.

MÉLISSE.

Quoi ! Vous ne perdez point cette cruelle envie ?

355   Vous verrez sans pitié mes soupirs et mes pleurs !

Hélas, si vous mourez, je meurs ;

Voulez-vous m'arracher la vie ?

AMADIS se lève, sans penser à Mélisse.

Malheureux, n'est-ce point quelque charme trompeur ?

Mes yeux l'ont-ils bien vu... ? Quelle faiblesse extrême !

360   Lâche, pour tromper ma douleur,

Je cherche à m'abuser moi-même.

Quoi ! Cet objet de mon amour,

Pour qui je fus rebelle à tous les autres charmes

Lui, pour qui Mélisse en ce jour

365   M'a vu braver sa fureur et ses larmes...

MÉLISSE.

Le cruel ! Il m'outrage, et sait que je l'entends.

AMADIS continue , sans penser à elle.

Ce coeur dont j'attendais le bonheur de ma vie,

Me livre aux plus cruels tourments.

Le même jour, témoin de ses serments,

370   L'est aussi de sa perfidie.

Et je vis ; ma douleur n'a pas tranché mes jours

Il faut donc de ce fer emprunter le secours.

Il tire son épée pour s'en frapper, Mélisse s'en saisit.

MÉLISSE.

Arrêtez, Amadis.

AMADIS.

Ah ! Barbare Mélisse,

N'est-ce donc pas assez de maux que j'ai soufferts ?

375   Mes tourments vous sont-ils si chers

Pour ne pouvoir souffrir que la mort les finisse ?

MÉLISSE.

Ne peux-tu sans mourir, terminer ton supplice ?

Consens à de nouveaux soupirs :

N'aime plus qui te hait, et ne hais plus qui t'aime.

380   Mes soins préviendront tes désirs,

J'en ferai mon bonheur suprême ;

Mon amour sur tes pas conduira les plaisirs,

C'est assez qu'avec eux tu me souffres moi-même.

Non, non, vos voeux offerts, et les miens méprisés

385   Ne me rendront point infidèle.

Gardez ces vains plaisirs que vous me proposez,

Je ne veux rien de vous, Cruelle,

Que le trépas que vous me refusez.

MÉLISSE.

Quoi ! toujours charmé d'une ingrate,

390   Ne saurais-tu calmer tes injustes rigueurs ?

AMADIS.

En vain sa perfidie éclate,

Je l'aime encor pour comble de malheurs.

Vous me l'avez ravi cet objet que j'adore ;

Vous avez servi mon rival ;

395   Sans vous, sans ce secours fatal,

L'ingrate m'aimerait encore.

Je ne puis trop vous détester,

Tous mes malheurs sont votre ouvrage.

Inhumaine, achevez... Qui peut vous arrêter,

400   N'osez-vous dans mon sang consommer votre rage ?

Je voudrais pour vous irriter,

Pouvoir vous faire encor quelque nouvel outrage :

Frappez, vous devez vous hâter

Je sens qu'à chaque instant je vous hais davantage.

MÉLISSE.

405   Je cède enfin, c'est trop souffrir,

Mon coeur à sa rage se livre ;

Mais, n'espère pas de mourir,

Cruel, dans les tourments je veux te faire vivre.

Que l'horreur règne en ces déserts,

410   Qu'ils deviennent pour lui l'image des enfers.

Des Démons volants brisent les ornements de la fontaine, ils déracinent les arbres, et renversent les rochers, l'Amour effrayé s'envole, et le théâtre se change en un enfer.

Et vous de mes fureurs, Ministres redoutables,

Accourez, accourez ; venez servir mes voeux.

Des magiciens viennent à la voix de Mélisse et se préparent à servir sa fureur.

Faites naître en ces lieux des monstres effroyables,

Qu'on n'y respire que des feux.

Il sort des monstres du sein de la terre, il tombe une pluie de feu.

415   Qu'on ne puisse inventer des horreurs comparables.

LE CHOEUR.

Nous sommes prêts à servir ta fureur.

Exerçons à ses yeux un funeste ravage,

Que le barbare apprenne à redouter ta rage,

Jetons dans ses esprits l'épouvante et l'horreur.

Les Monstres et les Démons s'unissent pour le supplice d'Amadis.

CHOEUR DE MAGICIENS.

420   Tremble, Amadis, crains la mort, crains les fers :

Cet embrasement, ce ravage,

Les rochers renversés, les abîmes ouverts,

Sont les essais de notre rage.

AMADIS.

À quoi par ces horreurs pensez-vous me contraindre ?

425   Amadis peut mourir, mais il ne saurait craindre.

LE CHOEUR.

Tremble, Amadis, crains la mort, crains les fers :

Cet embrasement, ce ravage,

Les rochers renversés, les abîmes ouverts,

Sont les essais de notre rage.

ACTE IV

Le Théâtre représente un endroit du Palais de Mélisse, borné de la mer.

SCÈNE PREMIÈRE.
Mélisse, Le Prince de Thrace.

LE PRINCE DE THRACE.

430   Je parais Amadis, aux yeux de la Princesse,

Elle me jure une fidèle ardeur.

Mais c'est à mon rival que son serment s'adresse,

Et vous trompez ses yeux sans séduire son coeur.

Que me sert ce secours ? Elle est toujours la même :

435   Rien ne brise le noeud que son coeur a formé.

Plus elle assure qu'elle m'aime,

Plus je connais qu'Amadis est aimé.

MÉLISSE.

Demeurez en ces lieux, attendez la Princesse :

Je veux rendre Amadis témoin de vos discours,

440   Pour voir l'ingrat sensible à ma tendresse,

Il faut de son dépit emprunter le secours.

LE PRINCE DE THRACE.

Quoi ! Devant la Princesse Amadis va paraître ?

MÉLISSE.

Ne craignez rien ; ses yeux doivent le méconnaître.

SCÈNE II.

LE PRINCE DE THRACE.

Hélas ! Rien n'adoucit l'excès de mon malheur.

445   Vous, flots impétueux qui battez ce rivage,

Non, jamais les vents en fureur

N'ont excité sur vous un plus affreux orage

Que celui qui trouble mon coeur.

Je me sens pénétré d'une secrète horreur,

450   Tout l'accroît, rien ne la soulage.

Je trahis mon ami sans servir mon ardeur ;

Mon innocence et mon bonheur

Ont fait ensemble un funeste naufrage.

Vous, flots impétueux qui battez ce rivage,

455   Non, jamais les vents en fureur

N'ont excité sur vous, un plus affreux orage

Que celui qui trouble mon coeur.

On vient, la Princesse s'avance,

Contraignons-nous en sa présence.

SCÈNE III.
Le Prince de Thrace, Niquée.

Niquée prend le Prince de Thrace pour Amadis.

NIQUÉE.

460   Amadis, tout nous rit en ce charmant séjour :

Mélisse cède à notre amour ;

En faveur de nos feux elle a vaincu sa haine.

Une nouvelle Fête en ces lieux, dans ce jour,

Va par son ordre encor célébrer notre chaîne.

465   Bientôt un doux hymen comblera nos désirs...

Mais cet air interdit m'apprend que je m'abuse ;

Quoi ! Tout conspire à nos plaisirs,

Et votre coeur seul s'y refuse !

LE PRINCE DE THRACE.

Ah ! Mon trouble est l'effet de l'excès de mes feux :

470   Si je vous aimais moins, je serais plus heureux.

NIQUÉE.

Ciel ! Que me dites-vous ! Ma surprise est extrême.

Puis-je entendre ces mots d'une bouche que j'aime ?

Est-ce ainsi qu'on doit s'enflammer ?

Un coeur vraiment touché chérit son esclavage

475   Le mien, en vous aimant, autant qu'il peut aimer,

Voudrait encor vous aimer davantage.

LE PRINCE DE THRACE.

Non, votre coeur pour moi n'est pas assez épris.

La gloire seule allume votre flamme :

Vous cédez à l'éclat du grand nom d'Amadis,

480   Plutôt qu'à l'ardeur de mon âme.

NIQUÉE.

Je n'entends rien à ce détour ;

Mais tout m'est cher en vous, et la gloire et l'amour

Promettons-nous cent fois la plus vive tendresse,

Que rien n'en finisse le cours.

485   Le plus doux des plaisirs est de s'aimer sans cesse,

Et de se le dire toujours.

Ce concert nous annonce une fête galante,

Voyons les jeux qu'on nous présente.

SCÈNE IV.
Niquée, Le Prince de Thrace, Mélisse.

Une troupe de Matelots vient, par l'ordre de Mélisse, exécuter les jeux qu'elle a fait préparer.

LE CONDUCTEUR DE LA FÉE.

Goûtez, malgré les vents, la plus charmante paix

490   Ne craignez plus le naufrage.

Vivez heureux, triomphez à jamais

Des écueils et de l'orage.

LE CHOEUR.

Goûtez, malgré les vents, la plus charmante paix.

Ne craignez plus le naufrage.

495   Vivez heureux, triomphez à jamais

Des écueils et de l'orage.

LE MATELOT.

Le vent nous appelle,

La saison est belle,

Il faut s'embarquer.

LE CHOEUR.

500   Le vent nous appelle,

La saison est belle,

Il faut s'embarquer.

LE MATELOT.

Pourquoi se défendre

D'un commerce tendre,

505   C'est perdre, qu'attendre ;

Que pouvons-nous risquer !

Le vent nous appelle,

La saison est belle,

Il faut s'embarquer.

LE CHOEUR.

510   Le vent nous appelle,

La saison est belle,

Il faut s'embarquer.

LE MATELOT.

Sans verser de larmes,

Ni souffrir d'alarmes,

515   Un port plein de charmes

Ne peut nous manquer :

Quand un coeur s'engage

Au temps du bel âge ,

Les vents ni l'orage

520   N'osent l'attaquer.

Le vent nous appelle,

La saison est belle,

Il faut s'embarquer.

LE CHOEUR.

Le vent nous appelle,

525   La saison est belle,

Il faut s'embarquer.

Pendant la fête, le Prince de Thrace aperçoit Amadis, et sort pour le combattre.

NIQUÉE.

Le chercherai-je en vain ? Que faut il que je pense ?

Qui peut me ravir sa présence ?

Cessez, jeux importuns, d'animer nos désirs :

530   Vous ne sauriez calmer l'ennui qui me dévore.

C'est dans les yeux du héros que j'adore

Que mon coeur cherche ses plaisirs.

SCÈNE V.
Mélisse, Niquée.

MÉLISSE.

Qu'ai-je vu, Dieux cruels !

NIQUÉE.

De quoi dois-je vous plaindre !

MÉLISSE.

535   Apprends tout, je ne veux plus feindre...

Sous les traits d'Amadis je t'offrais son rival,

Et mon projet m'est devenu fatal.

NIQUÉE.

Ciel ! Qu'entends-je ?

MÉLISSE.

Amadis a rempli sa vengeance ;

540   Le Prince sous ses coups expire en ce moment.

NIQUÉE.

Pourquoi me trompiez-vous par cette ressemblance ?

MÉLISSE.

Va, ne crains plus d'erreur : tu vas voir ton amant ;

Mais tu ne le verras, que pour voir son tourment.

ACTE V

Le Théâtre représente un antre affreux, destiné aux enchantements de Mélisse.

SCÈNE PREMIÈRE.

MÉLISSE.

Dieux ! Quelle horreur s'empare de mon âme !

545   Cruelle, dans quel sang veux-je éteindre ma flamme !

Mais l'ingrat m'y contraint, rien ne peut l'attendrir ;

Plus je l'adore, et plus il me déteste.

Ah ! Jouissons du moins de la douceur funeste

De m'en venger et de mourir.

550   On m'amène Amadis, et l'objet qui l'engage :

Amour, sors de mon coeur, et laisse agir ma rage.

SCÈNE II.
Mélisse, Amadis enchaîné, Niquée enchaînée.

NIQUÉE.

Ciel ! Sur qui sa fureur va-t-elle s'exercer ?

AMADIS.

Épuisez sur moi seul votre haine implacable.

ENSEMBLE.

Si notre amour a pu vous offenser,

555   Ne frappez que mon coeur, il est le plus coupable.

MÉLISSE, levant le bras sur Amadis.

Barbare, c'est par toi que je vais commencer.

NIQUÉE, s'évanouissant.

Ah, Ciel !

MÉLISSE.

Mais d'où me vient cette pitié soudaine ?

Par quel charme mon bras se sent-il arrêter ?

Ah ! Ma flamme est encor plus forte que ma haine ;

560   Et je sens tous les coups que je te veux porter.

AMADIS.

Hélas ! De quoi vous sert la pitié qui vous presse,

Quand je tremble pour ma Princesse ?

Ah ! Voyez de quels maux elle sent la rigueur.

MÉLISSE.

Quoi ! Peux-tu te flatter que son sort m'attendrisse ?

565   Non, tu la plains, sa mort va faire ton supplice,

Je veux te frapper dans son coeur.

AMADIS.

Juste Ciel !

MÉLISSE.

Mais c'est peu pour venger ma tendresse,

Je te veux avec elle enchanter en ces lieux.

Tu la verras mourir sans cesse ;

570   Et le sang ruisselant du sein de ta Princesse,

Sera l'unique objet qui frappera tes yeux.

AMADIS.

Qu'entends-je ! Ciel, quelle furie !

Dieux, qui voyez ces projets inhumains,

Protégez-vous la barbarie ?

575   Que sert la foudre dans vos mains ?

Ah ! Prévenez la cruelle Mélisse :

N'attendez pas l'effet de son courroux.

Que vos foudres vengeurs l'écrasent sous leurs coups,

Ou que la terre l'engloutisse...

580   Que dis-je, malheureux ! J'anime ses fureurs.

Ah ! Je tombe à vos pieds, rendez-vous à mes pleurs ;

Songez que notre amour a prévenu le vôtre.

Quoi ! Voulez-vous punir nos coeurs

D'avoir été faits l'un pour l'autre ?

MÉLISSE.

585   Tes pleurs et tes soupirs sont vains ;

Cruel, ils m'outragent encore.

AMADIS, en se relevant.

Ô mort ! Arrache-moi de ses barbares mains ;

Ce n'est plus que toi que j'implore.

Il s'abandonne à son désespoir, et s'appuie contre un rocher.

MÉLISSE.

Mânes de son rival, Prince trop malheureux ,

590   Obéis à ma voix, sors du royaume sombre ;

Pour un enchantement affreux,

Mon art attend le secours de ton ombre.

Viens te joindre avec moi pour contraindre le sort

À servir ma fureur extrême ;

595   Hâte-toi, sors des lieux où t'enchaîne la mort,

Et viens m'aider à te venger toi-même.

Mânes de son rival, Prince trop malheureux,

Obéis à ma voix, sors du Royaume sombre ;

Pour un enchantement affreux,

600   Mon art attend le secours de ton ombre.

Une noire vapeur s'élève dans les airs ;

L'Ombre vient seconder ma rage.

SCÈNE III.
L'Ombre du Prince de Thrace, Acteurs de la scène précédente.

L'OMBRE.

Tes cris ont pénétré jusqu'au sombre rivage,

Et je sors malgré moi du séjour des Enfers.

605   Les Dieux vengeurs de l'injustice

Protègent contre toi ces fidèles amants,

Et m'imposent pour mon supplice

Devenir t'annoncer la fin de leurs tourments.

Il disparaît.

SCÈNE IV.
Mélisse, Amadis, Niquée, qui a repris ses esprits.

MÉLISSE.

Ô Ciel ! Injuste ciel ! Barbare violence !

610   Quoi ! Je ne puis punir des mépris odieux !

Est-ce donc pour vous seul, impitoyables Dieux

Que vous réservez la vengeance ?

Non, non, malgré votre secours

Il faut que ma rivale expire...

Elle veut avancer vers Niquée, et se sent arrêter.

615   Mais je le veux en vain... Vous défendez ses jours.

Le Ciel et les Enfers, contre moi tout conspire.

Je vous entends, grands Dieux, il faut finir mon sort,

Et l'arrêt de sa vie est l'arrêt de ma mort.

Elle se frappe.

C'en est fait, Amadis, ta flamme est triomphante ;

620   Ton ennemie expire, ou plutôt ton amante.

Mais toi, ne me hais plus, pardonne à ma fureur

Les maux que je t'ai voulu faire...

Hélas ! Tu t'attendris, tu me vois sans horreur ;

Voilà le seul état où je pouvais te plaire,

625   C'était ton unique désir...

Mais je m'affaiblis, je chancelle,

Un froid mortel vient me saisir,

Trop heureuse en tombant dans la nuit éternelle ;

Si ma mort t'arrache un soupir.

NIQUÉE.

Que je la plains !

AMADIS.

  Que son sort est tragique !

TOUS DEUX.

Mais, quel éclat ! Quels sons harmonieux !

Qui peut changer ces tristes lieux

En un séjour si magnifique ?

L'Antre se change en un Palais éclatant, et Zirphée paraît sur un nuage.

NIQUÉE.

Que vois-je ? Est-ce Zirphée ? En croirai-je mes yeux ?

SCÈNE V.
Zirphée, Amadis, et Niquée.

ZIRPHÉE.

635   Tous vos maux sont finis, cessez de vous en plaindre,

Qu'un tendre hymen vienne les réparer.

Votre amour n'a plus rien à craindre ;

Qu'il n'ait plus rien à désirer.

AMADIS.

Ah ! Pouvais-je espérer une faveur si grande ?

NIQUÉE.

640   Que ne vous dois-je point pour de si doux bienfaits !

ZIRPHÉE.

Aimez-vous à jamais,

C'est tout le prix que j'en demande.

Vous, qui vous empressez pour servir mes désirs,

Par mille jeux nouveaux, célébrez leurs plaisirs.

SCÈNE DERNIÈRE.
Niquée, Amadis, Zirphée.

Des Esprits, sous la forme de Guerriers, portent des drapeaux, où sont représentés les exploits d'Amadis. D'autres, sous la forme de divers Peuples, dont Amadis a soutenu la gloire, portent des couronnes ou des trophées : et d'autres, sous la forme des Beautés les plus fameuses, viennent rendre hommage à la beauté de Niquée.

CHOEUR.

645   Que les ris, que les jeux règnent dans ces retraites :

Formons les plus charmants concerts ;

Que le bruit des tambours, que le son des trompettes,

En fassent retentir les airs.

 



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