LA DÉROUTE DES PRÉCIEUSES

MASCARADE

1659.

À PARIS, Chez ALEXANDRE LESSELIN, rue de la Vieille Draperie proche le Palais, à l'enseigne de l'Imprimerie.


publié par Paul FIEVRE, octobre 2018

publié par Paul FIEVRE, octobre 2016, novembre 2018.

© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:18.


ACTEURS

L'AMOUR.

DEUX COLPORTEURS

LES PRÉCIEUSES

LE POÈTE.

LES GALANTS.

L'HYMEN.


LA DÉROUTE DES PRÉCIEUSES

PREMIÈRE ENTRÉE.

L'AMOUR, voyant que ses lois, qui avaient toujours été fort respectées de tout le monde, n'étaient plus en si grande considération, et que le pouvoir qu'il avait eu jusques ici sur les coeurs commençait à se diminuer, depuis que les Précieuses s'étaient introduites dans les compagnies, d'où elles avaient résolu de le bannir entièrement, entra dans une colère dont on n'eut jamais cru qu'un enfant eut été capable, et jura de se venger d'elles, à quelque prix que ce fut, et voulut même engager ses fidèles sujets en cette occasion, leur ordonnant de se déclarer ouvertement contre ces ennemies communes ; ce qui leur fit chercher un moyen de contenter leur petit Dieu, et crurent ne le pouvoir pas mieux faire qu'en les discréditant parmi le peuple, dépeignant dans un Almanach leurs figures grotesques et leurs belles occupations, ce qui fut aussi tôt fait.

Pour L'AMOUR depité.

J'ai toujours fait sentir aux coeurs les plus rebelles

Ce que peuvent les traits du puissant Dieu d'amour:

Les laides ont appris, aussi bien que les belles,

Qu'il faut que, tôt ou tard, chacun aime à son tour.

     

5   J'aperçois cependant que certaines cruelles,

De dépit de se voir déjà sur le retour,

Sans s'être encor soumis quelques amants fidèles,

Empêchent la plupart de me faire leur cour.

     

Mais, pour bien me venger des fières Précieuses,

10   Qui, pour rendre mes lois en tous lieux odieuses,

M'appellent un enfant, un aveugle, un badin,

     

Je veux que désormais on n'en voie pas une

Qui ne brûle en secret pour quelque beau blondin,

Et que pas un blondin jamais n'en aime aucune.

     

ENTRÉE II.

Les Almanachs ayant été imprimés, deux COLPORTEURS, chargés de plusieurs pièces nouvelles, courent dans les rues avec une précipitation tout à fait grande, et crient à plein gosier : l'Almanach des Précieuses, dont ils font un grand débit.

Pour LE COLPORTEUR, criant les Almanachs.

15   Ma foi, je n'ai point de sujet

De déclamer contre les Précieuses :

Je veux bien que partout on les trouve orgueilleuses ;

Pour moi j'en suis fort satisfait,

Car leur figure peu commune

20   Va faire ma bonne fortune.

Pour LE COLPORTEUR portant des vers contre les Précieuses.

Je cours depuis longtemps et je perds tous mes pas ;

À présent un chacun se rit de la Gazette ;

Mais je vais mettre en montre une pièce secrète

Que tout le monde n'aura pas.

ENTRÉE III.

Dans cet intervalle de temps, trois PRÉCIEUSES viennent à passer, qui, voyant ces Colporteurs entourés de monde, et s'entendant nommer, veulent savoir ce que ces gens regardent et achètent avec tant d'empressement ; mais, quand elles aperçoivent que c'est une pièce que l'on a faite pour se moquer d'elles, le dépit les saisit, et elles entrent en une telle furie qu'elles prennent leurs buscs pour battre ces Colporteurs, qui sont obligés de s'enfuir.

Pour LES PRETIEUSES.

25   Lorsque nous commencions d'établir notre empire,

Qu'on recevait nos lois ainsi que nos beaux mots,

Tout d'un coup, contre nous, on fait une satyre,

Et partout l'on nous donne à dos.

     

Mes chères, pourrons-nous après cela paraître,

30   Sans qu'on nous montre au doigt et qu'on courre après nous ?

Il nous faut épouser un cloître,

N'ayant pu rencontrer d'époux.

     

ENTRÉE IV.

Il se rencontre là, par hasard, un POÈTE qu'elles reconnaissent, et à qui elles font toutes les amitiés possibles pour l'obliger à se déclarer de leur parti, et lui promettent merveille s'il veut s'engager de faire des vers contre cet Almanach ; mais, au lieu de se laisser aller à leurs prières, il se met à chanter la Chanson que l'on a faite contre elles, et à se réjouir du désordre où il les voit.

[LE POÈTE].

CHANSON.

Précieuses, vos maximes

Renversent tous nos plaisirs ;

35   Vous faites passer pour crimes

Nos plus innocents désirs :

Votre erreur est sans égale,

Quoi ! Ne verra-t-on jamais

L'Amour et votre cabale

40   Faire un bon traité de paix ?

     

Vous faites tant les cruelles

Que l'on peut bien vous nommer

Des Jansénistes nouvelles,

Qui veulent tout reformer.

45   Vous gâtez tout le mystère,

Mais j'espère, quelque jour,

Que nous verrons dans Cythère

Une Sorbonne d'Amour.

     

Pour LE POÈTE.

Dieux ! Qu'une Précieuse est un sot animal !

50   Que les auteurs ont eu du mal,

Tandis que ces vieilles pucelles

Ont régenté dans les ruelles !  [ 1 Ruelle : se dit aussi de l'espace qu'on laisse entre le lit et la muraille. Se dit aussi des alcôves, et en général les lieux parés où les dames reçoivent leurs visites, soit dans leurs lits, soit sur des sièges. [F]]

Pour moi, je n'osais mettre au jour

Ni stance, ni rondeau sur le sujet d'amour,

55   Et je crois que, si ces critiques

Eussent eu vogue plus longtemps,

Je perdais toutes mes pratiques

Et restais sans avoir à mettre sous les dents.

ENTRÉE V.

LES GALANS n'ont pas plus tôt appris la consternation où se trouvent les PRÉCIEUSES, qu'ils font paraître le conten[t]ement que leur donne cette heureuse nouvelle, dans l'espérance qu'ils ont de rétablir bientôt leur commerce avec les Coquettes, sans crainte que ces Critiques, qui trouvaient toujours à redire à leur façon d'agir, osent dorénavant les censurer.

Pour LES GALANTS.

Bannissons la mélancolie,

60   Et formons de nouveaux désirs :

Ces Critiques et leur folie

N'empêcheront plus nos plaisirs;

On n'entendra plus que fleurettes,

Et chacun criera tour à tour :

65   Vive l'Amour et les Coquettes !

Tous les Galants sont de retour.

ENTRÉE VI.

Ensuite, L'HYMEN, voyant que l'on avait banni les Prudes, qui, n'étant plus en état de donner dans le mariage, pour mieux dissimuler leur dépit, conseillaient à tout le monde de ne se mettre jamais en cet engagement, ne peut se tenir de sauter de joie, voyant que ses autels vont être en leur première vénération, et que ses sacrifices ne seront plus interrompus par les impertinents censeurs de ces ridicules reformations.

Pour L'HYMEN.

Ce n'est pas sans sujet que je parais content :

Je m'en vais désormais rétablir mon empire.

Les belles, qui m'en voulaient tant

70   Et qui prétendaient me détruire,

Sont à présent en fuite et ne paraissent plus.

Mais, puisque, comme moi, l'Amour a le dessus,

Il faut tous deux nous joindre ensemble,

Pour unir mille amants avec mille beautés,

75   Qui, par nos doux liens se voyant arrêté

Béniront à jamais le noeud qui les assemble,

Et chanteront, de tous côtés,

Dedans cette heureuse journée :

« Vive le Dieu d'Amour et celui d'Hyménée ! »

 



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Notes

[1] Ruelle : se dit aussi de l'espace qu'on laisse entre le lit et la muraille. Se dit aussi des alcôves, et en général les lieux parés où les dames reçoivent leurs visites, soit dans leurs lits, soit sur des sièges. [F]

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