LA DISGRÂCE DES DOMESTIQUES

COMÉDIE REPRÉSENTÉE sur le Théâtre Royal du Marais.

M. DC. LXIII.

Par le Sieur CHEVALIER.


Texte établi par Ernest FIEVRE, janvier 2017.

Publié par Paul FIEVRE, février 2017.

© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:41.


BELLE IRIS

C. D. B.

Je sais bien que vous me blâmerez de ce que je vous ai dédié ma petite Comédie de la Disgrâce des Domestiques, et que peut-être je me mets au hasard d'être disgracié d'auprès de vous pour toute ma vie en vous la dédiant, parce que vous l'offrir c'est faire un présent Burlesque à la personne du monde la plus sérieuse, toutefois si vous daignez vous souvenir qu'elle ne vous a pas déplu dans sa représentation : et que même elle a eu assez de bonheur pour vous faire dissiper un peu de chagrin, je m'imagine que vous pardonnerez facilement à la témérité qui m'a poussé à vous la donner, et que malgré ses défauts, vous aurez encor assez de bonté pour la regarder avec quelque sorte d'indulgence, pour peu que vous vouliez considérer que ce n'est que la grandeur de mon zèle qui m'a obligé à vous la présenter, joint que vous êtes trop aimable pour haïr le procédé de celui qui ne cherche autre chose, qu'à vous témoigner par toutes les actions de sa vie qu'il désire être éternellement ;

BELLE IRIS,

Votre très humble, et très obéissant serviteur,

CHEVALIER.


À IRIS.

Divin charme de l'univers

Je vous avais promis des vers,

Mais comment tenir ma promesse,

Vous êtes toute de beauté

Ma muse est toute de faiblesse,

Que faire en cette extrémité.

Si j'entreprends de vous louer

Vous allez m'en désavouer,

Parce que j'en suis incapable

Joint que les termes les plus doux

N'ont rien d'assez considérable,

Alors qu'il faut parler de vous.

Pourtant objet rare et charmant

Ce que l'on peut humainement,

Je m'en vais tâcher de le faire

Et si je n'y réussis pas

Ne me croyez point téméraire,

N'en accusez que vos appas.

Quand on vaut ce que vous valez

Qu'on parle comme vous parlez,

Qu'on est belle comme vous l'êtes

Qu'on a l'air comme vous l'avez

Qu'on fait tout bien comme vous faites,

Ce sont chefs-d'oeuvre achevés.

Ainsi votre divin aspect

Imprime partout le respect,

Voyant cent miracles ensemble

Vos merveilleuses qualités

Font que notre liberté tremble,

Au moindre éclat de vos beautés.

Pardonnez-moi dans mes ardeurs

Si de tous vos adorateurs,

J'ose ici me mettre du nombre

Mes feux sont pour vous si puissants

Que l'amour même n'est que l'ombre

De celui que pour vous je sens.

J'aurais bien voulu le cacher

Mais quoi, je n'ai pu m'empêcher,

Aimable Iris de vous le dire

Quand j'aurais paru plus discret

Je souffrais un si grand martyre,

Qu'on aurait connu mon secret.

Permettez donc que dans ce jour,

Je vous déclare mon amour,

Par mes petits vers pleins de zèle

Et pour vous le bien exprimer

Je suis homme, et vous êtes belle,

Jugez si je vous dois aimer.

Oui, je vous aime belle Iris

Et je veux que dans mes écrits,

On voie éclater votre gloire

Afin cher objet mon vainqueur

Que votre adorable mémoire,

Soit partout comme dans mon coeur.


LES ACTEURS.

POLICARPE, Père d'Angélique.

FABRICE, Commis de Policarpe, et amoureux d'Angélique.

GUILLOT, Valet de Policarpe.

ANGÉLIQUE, Fille de Policarpe, Amante de Fabrice.

MAROTTE, servante d'Angélique.

La Scène est dans la maison de Policarpe.


LA DISGRÂCE DES DOME...

SCÈNE I.
Clidamant, Guillot.

GUILLOT, seul tenant un pot en sa main dans lequel il vient de tirer du vin.

Cependant que le Sieur Fabrice

Fait l'amoureux et le jocrisse,   [ 1 Jocrisse : Valet niais et maladroit. [L]]

Auprès d'Angélique aux yeux doux,

Je vais boire cinq ou six coups,

5   Mais qui diable vois-je paraître

C'est notre vieux marsouin de maître,   [ 2 Marsouin : Grand poisson de mer fort gras, qu'on appelle aussi pourceau de mer. On appelle aussi ironiquement un homme gros et bien chargé de graisse, un marsouin, comme on l'appelle aussi un pourceau. [F]]

Mettons notre pot dans ce coin

Nous le reprendrons au besoin,

Car me trouvant vidant la pinte

10   Il me donnerait quelque atteinte.   [ 3 Atteinte : Action par laquelle on atteint, on frappe et on blesse. [T]]

Il se cache.

SCÈNE II.
Policarpe, Fabrice.

POLICARPE.

Vite sortez d'ici faquin   [ 4 Faquin : Portefaix. Fig. Un homme de néant, mélange de ridicule et de bassesse. ]

Comment vous faites le bouquin,   [ 5 Bouquin : Vieux bouc. On appelle par injure, Vieux Bouquin, Un vieux débauché, qui est adonné aux femmes. [Acad. 1762]]

Le godelureau, l'agréable   [ 6 Godelureau : Jeune fanfaron, glorieux, pimpant et coquet qui se pique de galanterie, de bonne fortune auprès des femmes. [F]]

Le doucereux, le beau, l'affable,

15   Le dolent, l'amoureux transi   [ 7 Dolent : Triste, affligé, plaintif. [Acad. 1762]]

Encor un coup sortez d'ici

Et sans plus mugueter mes filles   [ 8 Muguetter : Faire le galant, le cajolleur, tâcher de se rendre agréable à une Dame. [L]]

Prenez votre sac et vos quilles,   [ 9 Sac : On dit aussi, qu'on a donné à quelqu'un son sac et ses quilles, pour dire, qu'on lui a donné son congé, qu'on l'a chassé.[F]]

Mais dépêchez de détaler

20   Sinon je vais vous étrangler.

FABRICE.

Monsieur quelle faute ai-je faite ?

POLICARPE.

Délogez vite et sans trompette,

Autrement vous verrez sur vous

Tomber une grêle de coups,

25   Vous savez que les coups de gaules   [ 10 Gaule : Grande perche. C'est avec une gaule qu'on abat les noix. Bâton. [L]]

Sont antipodes des épaules,   [ 11 Antipode : Contraire, opposé. [R]]

Songez donc à vous évader

Ou je vais vous antipoder.   [ 12 Antipoder : Antipoder quelqu'un Fig. Faire quelque chose qui est contraire à quelqu'un, qui lui est désagréable. [R]]

FABRICE.

Mais pourquoi faut-il que je sorte ?

POLICARPE.

30   Sans plus jaser gagne la porte,

Promptement vous dis-je, sinon

Je vous vais à coups de bâton

D'une fureur épouvantable

Envoyer la cervelle au Diable.

SCÈNE III.

FABRICE, seul.

35   Hélas ! Quel destin est le mien ?

Faut-il abandonner mon bien,

Faut-il par un malheur extrême

Quitter Angélique que j'aime,

Mais s'il est ordonné du sort

40   Perdant ce bien cherchons la mort,

Oui, oui, mourons...

SCÈNE IV.
Guillot, Fabrice.

GUILLOT.

Fabrice arrête

Il ne faut pas être si bête,

Mais à propos ne craignons rien

Ce sont tours de Comédien,

45   Loin de mourir sur ma parole

Il boira tantôt comme un drôle,

La peste qu'il n'est pas si sot.

FABRICE.

Est-ce toi cher ami Guillot,

Sais-tu le malheur qui m'accable

50   Dit...

GUILLOT, s'étonnant.

  Non, ou je me donne au Diable,

Si tu ne me le fais savoir.

FABRICE.

Guillot je suis au désespoir

Mon Maître m'a mis à la porte.

GUILLOT, s'étonnant toujours.

Notre maître veut que tu sortes,

55   Au moins ne t'a-t-il pas chargé.   [ 13 Charger ; Charger quelqu'un de coups, d'injures, de malédictions, l'en accabler. [L]]

FABRICE.

Non, mais il m'a donné congé,

Juge par là de ma disgrâce.

GUILLOT, s'étonnant toujours.

Quoi donc notre Maître te chasse.

FABRICE.

Oui.

GUILLOT, s'étonnant toujours.

Tu n'es plus dans la maison,

60   Et l'on ne te veut plus voir.

FABRICE.

  Non,

Et je n'ai plus nulle espérance.

GUILLOT, s'étonnant toujours, et faisant semblant d'en être fâché.

Il t'a banni de sa présence.

FABRICE.

Oui, vois quel malheur est le mien.

GUILLOT, témoignant beaucoup de joie.

Il a fait en homme de bien,

65   Et si m'en avait voulu croire

Il t'aurait brisé la mâchoire,

Il eut bien eu le diable au corps,

S'il ne t'avait pas mis dehors,

Va va bien loin qu'il m'en déplaise,

70   Je jure que j'en suis fort aise,

Étant chez nous il prit le train   [ 14 Train : Habitude, manière d'être. [L]]

De me faire enrager de faim,

Le traître employa son ménage

Jusques à rogner mon potage,   [ 15 Rogner : Diminuer le tour, ou la longueur, ou la largeur de quelque chose. [F]]

75   Et mon écuelle au bout d'un mois

Fut plus petite de trois doigts,

L'on ne voyait jamais en troupe   [ 16 Troupe : Troupe pour multitude, ne se dit que des personnes. Ce n'est que dans les Provinces méridionales que l'on dit : j'ai une troupe d'affaires ; il y a une troupe de nouvelles ; elle a une troupe de robes. [FC]]

Rien qu'une misérable soupe,

Étendue tout de son long

80   Dans un malencontreux bouillon,

Encor pour avoir cette soupe

Il me fallait le vent en poupe,   [ 17 Avoir le vent en poupe : Fig. être favorisé par les circonstances [L]]

Et pour l'attraper au plutôt

Me jeter en nage pataud,   [ 18 Pataud : Il se dit proprement d'un jeune chien qui a de grosses pattes. On dit, À nage pataud, à un barbet qu'on jette à l'eau, qu'on fait aller à l'eau. On dit proverbialement et figurément d'Un homme qui est dans l'abondance. [Acad. 1762]]

85   Jugez si ce bel économe

Que la fièvre quartaine assomme,   [ 19 Quartaine : Usité seulement dans cette locution : fièvre quartaine, fièvre quarte. [L]]

Que ce lutin puisse manger

Sur ce point me fit enrager,

Mais je suis sûr que si j'enrage

90   Qu'il enrage encor davantage,

Et qu'étant hors de la maison

Le voilà plus sot qu'un oison.   [ 20 Oison : On dit par injure à un homme, que c'est un oison, qu'il se laisse mener comme un oison, pour dire, que c'est un sot, qui ne sait pas se conduire, qu'il n'agit que par l'organe d'autrui. [F] ]

FABRICE.

Ah ! Guillot sois plus raisonnable

N'insulte point un misérable,

95   Je suis tellement abattu.

GUILLOT.

Tu n'es rien qu'un gueux revêtu,

Et je veux que chacun t'appelle

Grandissime rogneur d'écuelle,

Car tu mérites bien ce nom

100   Pour une si sotte action,

Mon Maître devait je te jure

Battre sur ton dos la mesure,

Pour son bien et pour mon repos

Jusques à te briser les os,

105   Et pour te faire chère entière   [ 21 Chère entière : Grand repas suivi de plusieurs divertissements. [L]]

Te jeter dedans la rivière,

Ma foi j'en eusse été ravi.

FABRICE.

Mais quoi n'ai-je pas bien servi,

Monsieur Policarpe mon maître

110   Et n'ai-je pas bien fait paraître,

Le zèle d'un bon serviteur.

GUILLOT.

Non, tu n'es qu'un affronteur,   [ 22 Affronteur : Celui qui affronte, celui qui trompe. [L]]

Et quand je te chantai ta gamme   [ 23 Gamme : Fig. et familièrement. Chanter sa gamme à quelqu'un, le réprimander et lui dire des vérités dures. [L]]

Il enthousiasma mon âme,

115   Mon potage étant réformé   [ 24 Réformer : Rectifier, c'est-à-dire rétablir dans l'ancienne forme ou dans une forme meilleure. [L]]

Je voudrais qu'il t'eût assommé,

Alors qu'il était nécessaire

D'aller pour mon Maître en affaire,

Le drôle passait tout le jour

120   À fricasser chez nous l'amour,   [ 25 Fricasser : Prendre autant de soin avec l'amour qu'on le fait avec un mets que l'on fricasse, pour en améliorer le goût. ]

Et ne pouvait quitter nos filles

Tant elles lui semblaient gentilles,

Parfois faisant semblant de rien

J'écoutais tout leur entretien,

125   Il disait poussant des fleurettes

Ah ! Que vous me semblez bien faites,

Et comment voir des yeux si doux

Sans se rendre aussitôt à vous,

Il leur composait une phrase

130   Qui les ravissait en extase,

Enfin Monsieur le cajoleur

Leur donnait tout de son meilleur,

Sa maudite et chienne de patte

Rajustait toujours leur cravate,

135   L'épingle de votre mouchoir

Malheureusement vient de choir,

Disait-il, si cela vous fâche

Souffrez que je vous la rattache,

Tout cela c'était des façons

140   Pour leur manier les tétons,

Si bien que tu n'es qu'une bête

Et par les pieds et par la tête,

Et pour avoir fait tout ce mal

Je te condamne à l'Hôpital.

FABRICE.

145   Quoi me traiter de ces manières.

GUILLOT.

Tu mérites les étrivières,   [ 26 Etrivière : Courroie de cuir, par laquelle les étriers sont suspendus. Donner les étrivières, c'est châtier des valets de livrée, les fouetter avec les étrivières. [F]]

Mais tiens-toi gaillard sur ce point   [ 27 Gaillard : Enjoué, gai, qui ne demande qu'à rire, ou à faire rire. [T]]

Tu les auras n'en fut-il point,

Bonsoir.

Guillot fait semblant de s'en aller.

FABRICE, le retenant.

Écoute deux paroles

150   Guillot tu me dois six pistoles,

Que tu sais que je te prêtai

Lorsque dans le logis j'entrai,

L'argent prêté qu'il faut qu'on rende

Enfin jamais ne se demande.

GUILLOT.

155   Pourquoi donc le demandes-tu

Tu pourrais bien être battu,

Cela ne se devant pas faire

D'où vient que tu fais le contraire.

Je te trouve bien insolent.

FABRICE.

160   Je prétends avoir mon argent.

GUILLOT.

Sais-tu ce que tu peux prendre,

C'est qu'un jour tu te feras pendre,

Lorsqu'on veut avoir de l'argent

Ce n'est pas là comme on s'y prend,

165   Sache qu'il faut qu'on s'humilie

Pour approcher ma Seigneurie,

Et pour avoir tes dix Louis

Qu'il me faut traiter de Marquis,

De Vicomte de duc d'Altesse.

FABRICE.

170   Quoi faut-il donc que je m'abaisse,

Jusques à souffrir qu'un maraud.   [ 28 Maraud : Terme injurieux qui se dit des gueux, des coquins qui n'ont ni bien ni honneur, qui sont capables de faire toutes sortes de lâchetés. [F] ]

GUILLOT.

Diable que tu le portes haut,

Quand on souhaite quelque grâce

On ne montre point tant d'audace,

175   Prends donc un style différent

Traite-moi d'Illustre, de grand,

Si de ces titres tu me traites

Va parbiou ta fortune est faite.   [ 29 Parbiou : Parbiou, ParBieu, Parbleu sont trois mots équivalents : Par Dieu. Sorte de serment burlesque. [T]]

FABRICE, à part.

Bien faisons donc ce qu'il voudra

180   Monseigneur quand il vous plaira,

Par votre premier gentilhomme

De me faire donner ma somme,

Pour m'en aller en mon pays

Monseigneur, mon Duc, mon Marquis,

185   Mon Comte.

GUILLOT.

  Comte, conte conte, ****

Parbleu l'humilité me dompte,

Ce faquin me gagne le coeur

En me traitant de grand Seigneur,

Et par ma foi ma Seigneurie

190   Même en généalogie,

N'avait jamais eu le bonheur

De recevoir si grand honneur,

Ce fat me touche jusqu'à l'âme

Et son discours d'aise me pâme,

195   Ce n'est pas avoir peu de sens

Que savoir l'art de plaire aux grands.

FABRICE.

S'il plaît à votre courtoisie.

GUILLOT.

Dieu me damne tu m'extasies,

J'aime les hommes de vertu

200   Et bien que me demandes-tu.

FABRICE.

Je prie humblement votre Altesse

Qu'elle me tienne sa promesse,

En me donnant les six Louis

Que tantôt elle m'a promis.

GUILLOT.

205   Enfin doncques tu me demandes.

FABRICE.

Une somme qui n'est pas grande,

Dont pourtant je serai ravi.

GUILLOT.

Va Dieu t'assiste mon ami.

SCÈNE V.

FABRICE, seul.

Vit-on jamais telle disgrâce

210   Un Maître d'avec lui me chasse,

Un coquin se moque de moi

Je suis sans argent sans emploi,

Mais quoi ma plainte est inutile

Il faut mieux chercher dans la ville,

215   Quelqu'un qui puisse me donner

De quoi m'en pouvoir retourner,

Oui c'est là ma dernière épreuve.

Fabrice sort.

SCÈNE VI.
Policarpe, Angélique, Marotte.

POLICARPE.

Promptement faisons Maison neuve,

Cependant que je suis en train

220   Je prétends faire un nouveau train,

J'ai déjà mis dehors Fabrice.

ANGÉLIQUE.

Mais mon père quelle injustice,

De chasser de votre maison

Cet incomparable garçon,

225   Que vous deviez avoir sans cesse

Pour votre bâton de vieillesse,

Ah ! Mon petit Papa mignon

Retenez votre fabrisson.  [ 30 Fabrisson : Mot fabriqué par Angélique pour désigner son Amoureux Fabrice. ]

POLICARPE.

Taisez-vous petite Friquette   [ 31 Friquet : se dit aussi d'un jeune galant fort mince qui n'a que du caquet et de l'affeterie, et rien de solide. [F]]

230   Ne faites plus tant la coquette,

Quand vous m'en priez, sur ma foi

C'est bien plus pour vous que pour moi,

Mais cessez sur cette matière

De me faire aucune prière,

235   Je vous promets qu'il s'en ira.

ANGÉLIQUE.

Moi je dis qu'il demeurera.

POLICARPE.

Ah ! Qu'il faut ici de mystère

Dites-moi voulez-vous vous taire,

Car à la fin votre caquet   [ 32 Caquet : Abondance de paroles inutiles qui n'ont point de solidité. ]

240   Ferait mettre au vent daguenet,   [ 33 Daguenet : Diminutif de dague. [SP] Dans le contexte non compréhensible.]

Ne soyez donc plus mal apprise

Autrement je vous daguenise.   [ 34 Dagueniser : Donner des coups de dague. [SP] ]

ANGÉLIQUE.

Diantre soit du dagueniseur

Du renfrogné du vieux rêveur,

245   Dont la rigueur me désespère.

POLICARPE.

Est-ce ainsi qu'on parle à son père,

Mais j'aperçois venir Guillot

D'où viens-tu donc plaisant falot.   [ 35 Falot : Impertinent, ridicule, plaisant, drôle. [FC] ]

SCÈNE VII.
Guillot, Policarpe, Marotte.

GUILLOT.

Je viens de parler à Fabrice

250   Qui se plaint de votre caprice,

Disant que vous l'avez cassé.

POLICARPE.

Il est vrai que je l'ai chassé,

Et ne pouvais jamais mieux faire

Pour mon honneur et pour me plaire,

255   Que bannir cet esprit coquet.

GUILLOT.

Monsieur que vous avez bien fait,

Vous allez être dans l'Histoire

Pour cette action de mémoire,

Ce faquin faisait l'entendu

260   Il croyait que tout lui fut dû,

Il tranchait chez vous du capable

Il faisait le beau, l'agréable,

Votre fille avait des appas

Qui ne lui désagréaient pas

265   Il lui voulait faire comprendre

Ce qu'était la Carte du Tendre,   [ 36 Carte du Tendre : Carte illustrant le parcours galant. Il y a le lac d'infifférence et les villes comme probité et générosité.]

Mais ce n'est rien qu'un sot tout pur

Avecque son tendre et son dur.

POLICARPE.

Est-il parti ton camarade.

GUILLOT.

270   Jusques à demain il retarde,

Ne le pouvant pas aujourd'hui.

POLICARPE.

Tu n'as qu'à partir avec lui,

Et mon âme sera ravie

Si tu n'en reviens de ta vie,

275   Pars donc vite et sans raisonner

Ou je te vais bien gourdiner.   [ 37 Gourdiner : Donner des coups de gourdin. [L]]

GUILLOT.

Vous vous moquez de votre esclave

Donnez-moi la clef de la cave,

Donnez que j'aille visiter

280   Votre vin qui se va gâter.

POLICARPE.

Tu le bois avec tant de hâte

Que malaisément il se gâte,

Mais je veux être au rang des morts

S'il en entre plus dans ton corps,

285   Ce traître avec sa gargamelle   [ 38 Gargamelle : Terme populaire. Gorge, gosier. [L]]

Donne à mes tonneaux la gravelle,   [ 39 Gravelle : Maladie des reins et de la vessie causée par quelque gravier qui s'y forme, ou qui s'y arrête. [F]]

Et les va si bien caresser

Qu'il les empêcher de pisser,

Je ne veux plus de ton service

290   Prends donc le chemin de Fabrice,

Car après m'avoir outré

Sais-tu bien que je te tuerai.

GUILLOT.

Ah ! Monsieur c'est une imprudence

Que me tuer en ma présence,

295   Vous m'allez voir mourir d'effroi

Si vous me tuez devant moi,

Quand nous ne serons plus ensemble

Vous me tuerez s'il bon vous semble.

MAROTTE.

Quoi vous chassez aussi Guillot

300   Ce pauvre enfant qui ne dit mot,

Qu'il va devenir maigre échiné

S'il s'en va de votre cuisine,

Ah ! Monsieur ne le chassez point

Pour conserver son embonpoint.

POLICARPE.

305   Rentrez au logis idiote

Vous aussi Madame la sotte,

Qui ne faites que contester

Sinon vous vous ferez frotter.   [ 40 Frotter : Battre, maltraiter, rosser. [L]]

SCÈNE VIII.

GUILLOT, seul.

Ah ! Vieux rabbin de synagogue

310   Dont la tête est comme un gogue,   [ 41 Gogue : Vieux terme de cuisine qui se disait d'un ragoût ou farce d'herbes, de lard, d'oeufs, fromage, épices et sang frais de mouton, cuit dans la panse du mouton. [F] Ce mot est féminin.]

Dont l'esprit est tout de travers

La cervelle tout à l'envers,

La mine toute rechignée   [ 42 Rechigné : Qui gronde et qui est de mauvaise humeur. [R]]

L'âme éternellement damnée,

315   Puisses-tu trouver vieux démon

Chez toi mille coups de bâton,

Et qu'après ce misérable homme

Qui souvent les brigands assomme,

Te mène durant quinze jours

320   Visiter tous les carrefours,

Et qu'ensuite ton sort s'achève

Dans le beau milieu de la Grève,   [ 43 Grève : Terrain uni et sablonneux le long de la mer ou d'une grande rivière. La Grève, place de Paris sur le bord de la Seine, à côté de l'hôtel de ville, où se faisaient les exécutions juridiques. [L]]

Voilà la bienheureuse fin

Que je souhaite à ton destin,

325   Va que la foudre te confonde.   [ 44 Confondre : Faire échouer, réduire à l'impuissance. {L]]

SCÈNE IX.
Fabrice, Guillot.

FABRICE.

Je suis le plus content du monde,

Mon bonheur n'eût jamais d'égal

Un ami me prête un cheval

Et pour m'obliger davantage

330   Cent pistoles pour mon voyage ;

Je pars d'ici fort satisfait.

GUILLOT, regardant vers la porte de son Maître.

Va, tu n'as jamais si mal fait,

Qu'alors que tu chassas Fabrice,

Ce garçon parfait et sans vice,

335   L'économe de la Maison

Qui n'a rien en soi que de bon,

Mais pour cette malice étrange

Que bientôt quelque loup te mange,

Et qu'avant de t'avaler

340   Il te puisse bien étrangler,

Que la rage te batte au ventre

Que la terre t'ouvre son centre,

Afin que tu tombes en Enfer

Entre les bras de Lucifer,

345   Et que si fort il t'y retienne

Qu'au grand jamais tu n'en reviennes,

Tu seras bien là sur ma foi.

FABRICE.

Qu'as-tu donc.

GUILLOT.

Je parlais pour toi,

À notre vieux serpent de Maître

350   De ce qu'il t'a paru si traître,

En te mettant dehors ainsi.

FABRICE, dit ces six vers.

Guillot n'en soit point en souci,

Pour bannir ma mélancolie

Je m'en vais jusqu'en Italie,

355   De là je passe en Portugal

J'ai cent Louis un bon cheval,

Et je m'en vais mener bonne vie.

GUILLOT.

Je te veux tenir compagnie,

Pour me divertir avec toi.

FABRICE.

360   Mais Guillot auras-tu de quoi,

Car il en faut pour te conduire.

GUILLOT.

Tes cent Louis pourront suffire,

Ne suffisant pas, bien et beau

Nous irons vendre mon manteau,

365   Fais donc seller ta haridelle   [ 45 Haridelle : Mauvais cheval maigre. [L]]

Puis je mettrai le cul sur selle,

Et par pitié quand je voudrai

La croupe je te prêterai,

J'oblige de belle manière.

FABRICE.

370   C'est me faire la grâce entière,

Mais parlons avecque raison

N'es-tu point hors de la Maison,

Je pense connaître à ta mine

Qu'on t'a banni de la cuisine,

375   Et je jurerais sur ma foi

Qu'on t'en a fait autant qu'à moi.

GUILLOT.

Non pas, mais mon Maître, Fabrice,

M'a bien dit que je te suivisse,

Et qu'il m'étrillerait enfin   [ 46 Etriller : On dit fig. et fam. Étriller quelqu'un, pour dire, Le battre. [Acad 1762]]

380   Si je ne prenais ton chemin,

C'est le discours du galant homme.

FABRICE.

Sais-tu comment cela se nomme,

Justement valet à louer

Et je te veux bien avouer,

385   Que je sens une joie extrême

De ce qu'il t'a traité de même,

Tantôt tu te moquais de moi

Maintenant je me ris de toi,

Ah ! Monsieur de la Guillotière

390   Ton humeur était par trop fière,

Tu voulais des titres exquis

Que l'on te traitât de Marquis,

D'Altesse, de Duc, de Vicomte

Et tout cela rien qu'à ta honte,

395   Car te voilà changé soudain

D'un grand Seigneur en un gredin,

Ah ! Que si j'aimais la vengeance.

GUILLOT.

Voilà comme tourne la chance,

Hier j'étais tout à fait heureux

400   Aujourd'hui je ne suis qu'un gueux,   [ 47 Gueux : Indigent, qui est réduit à mendier. [FC]]

Et la plus grande gueuserie   [ 48 Gueuserie : Condition de gueux, de personne sans bien, sans avoir. [L]]

S'est mise sur ma friperie,   [ 49 Friperie : On le dit aussi proverbialement et figurément, pour dire, Se moquer de quelqu'un, en dire du mal. [Acad. 1762]]

Ah ! Que mon destin est cruel

Me voilà capon éternel,   [ 50 Capon : Terme populaire et pris des Écoliers. Joueur rusé, fin, et un peu fripon. [FC]]

405   Quiconque verra ma figure

Il verra la pauvreté pure,

Tantôt je faisais du cancan   [ 51 Cancan : Bruit, scandale fait mal à propos. [L]]

Et je ne suis plus qu'un croquant,   [ 52 Croquant : Gueux, misérable qui n'a aucuns biens, qui en temps de guerre n'a pour toutes armes qu'un croc. [F]]

Mais qui faire c'est la fortune

410   Qui m'en a voulu bailler d'une,

Et quand même je m'en tuerai

Elle n'en fera qu'à son gré,

J'aime donc mieux la laisser faire.

FABRICE.

Mais conte-moi, tout le mystère,

415   Notre maître t'a-t-il chassé.

GUILLOT.

Oui, Fabrice et fort menacé,

Et si bien fait le Diable à quatre

Que je croyais qu'il m'allait battre,

Et me mettre au rang des occis.

FABRICE.

420   Quoi tu n'es plus dans le logis,

Il t'aurait fait cette incartade.

GUILLOT.

Je m'en suis sevré mon camarade,

Il m'a mis dehors comme un chien.

FABRICE.

Il a fait en homme de bien,

425   Et devait faire tintamarre

Sur ton dos à grand coup de barre,

Et te donnant du pied au cul

Te mettre à la porte tout nu,

C'eût été te rendre Justice.

GUILLOT.

430   Cesse de me railler Fabrice,

Et songeons plutôt à partir.

FABRICE.

Guillot je n'y puis consentir,

Et plus à partir je m'applique

Moins je puis quitter Angélique,

435   Comment abandonner ces lieux

Après avoir vu ces beaux yeux.

GUILLOT.

Fabrice quand je m'imagine

Qu'il faut quitter cette cuisine,

Où je buvais comme un bacchus

440   Où je chantais gaudeamus,   [ 53 Gaudeamus : Chant de réjouissance. [L]]

Où je me délectais sans cesse.

FABRICE.

Ah ! Quand je songe à ma Maîtresse

À son mérite à sa beauté.

GUILLOT.

Ah ! Quand je songe à ce pâté,

445   De quoi je coupais une tranche.

FABRICE.

Ah ! Quand je pense à sa main blanche,

De quoi si délicatement

Elle touchait un instrument,

Qu'elle me ravissait l'oreille.

GUILLOT.

450   Quand je pense à cette bouteille,

Dont le ventre a six pieds de tour

Que je vidais trois fois par jour.

FABRICE.

Que j'aime à contempler sa grâce.

GUILLOT.

Que j'aime une bonne bécasse.

FABRICE.

455   Et que je chéris ses appas.

GUILLOT.

Que je chéris un grand repas.

FABRICE.

Quel plaisir de voir ce bel Ange.

GUILLOT.

Quel plaisir quand on boit et mange.

FABRICE.

Qu'on aime un ouvrage si beau.

GUILLOT.

460   Que j'aime une longe de veau.

FABRICE.

Ah ! Que je ne vois son visage.

GUILLOT.

Ah ! Que ne vois-je un grand potage.

FABRICE.

Auprès duquel tout autre est laid.

GUILLOT.

Que n'ai-je un gros cochon de lait,

465   Ah ! Que je ferais bien ripaille.

FABRICE.

Quand je pense à sa belle taille,

À son port, son esprit divin.

GUILLOT.

Quand je pense à ce broc de vin,

Qui me dégoutait dans le ventre

470   Ah ! Que j'étais bien dans mon centre.

FABRICE.

Faut-il quitter ces yeux si beaux.

GUILLOT.

Faut-il quitter ces Aloyaux,

Ces Dindons, ces bonnes viandes

Si délicates, si friandes,

475   Chapons et Gigots de Mouton

Dont je m'engraissais le menton,

Et faisais ma plus grande gloire

De m'en donner par la mâchoire.

FABRICE.

Mais, mes regrets sont superflus

480   Puisque je ne la verrai plus,

Guillot je suis inconsolable.

GUILLOT.

Que je regrette cette table.

FABRICE.

Tu ne songes qu'à manger.

GUILLOT.

Toi rien qu'à me faire enrager,

485   Laisse là cette amour avide

Et comme moi songe au solide.

FABRICE.

Je ne songe qu'à mon chagrin.

GUILLOT.

Moi qu'à rassasier ma faim,

Et si j'avais bien de quoi frire

490   Je verrais finir mon martyre.

FABRICE.

Mais sans faire tant de regrets

Recherchons plutôt les secrets,

De nous mettre bien en grâce

Auprès du Maître qui nous chasse,

495   Regarde donc par quel moyen

Nous pourrons nous y mettre bien,

Cherche en ta tête.

GUILLOT.

Ah ! Quelle bête :

Oui, je m'irai casser la tête,

Pour te trouver l'invention

500   De rentrer dedans la Maison.

FABRICE.

Guillot il n'est pas temps de rire

Comprends mieux ce que je veux dire,

Il faut nous employer tous deux

S'il se peut pour nous rendre heureux,

505   Et nous ne saurions tous deux l'être

Qu'en rentrant avec notre Maître,

Sa fille dont je suis aimé

Et son bon vin qui t'a charmé,

Méritent bien tous deux qu'on fasse

510   Quelque effort pour rentrer en grâce,

Songes-y donc mon cher Guillot.

GUILLOT.

N'a-t-on point escroqué mon pot,

Je veux dans son jus délectable

Trouver un moyen admirable,

515   Cherchons j'ai retrouvé mon vin

Tu n'as qu'à bannir ton chagrin,

Comme le vin fait des miracles

Nous rentrerons sans nuls obstacles,

Prends donc que cette pinte soit

520   Notre vieux Maître qui paraît,

Je vais avec ma rhétorique

M'étendre sur le pathétique,

Et son coeur fût-il de rocher

De ma harangue le toucher,

525   Çà commençons donc la harangue

Mais las, je sens sécher ma langue,

Il faut avant que babiller

Et l'humecter, et la mouiller ;

Il boit.

Or çà maintenant je commence

530   Exprimons notre doléance,

Notre Maître si vous vouliez

Nous voyant tous deux à vos pieds,

Montrer en nous votre clémence,

Il boit.

Un peu de jus de sapience,   [ 54 Sapience : Terme vieilli qui est synonyme de sagesse. [L]]

535   Il commence de s'adoucir

Que nous allons bien réussir,

Recommençons donc à reprendre

Le délicat, le doux, le tendre,

Accordons-nous sur le plaintif,

Il boit.

540   Que le temps est alternatif,

Ma harangue a beaucoup de charme

Et notre Maître se désarme,

De toute sa mauvaise humeur

Ne connais-tu point un tailleur,

545   Il nous serait bien nécessaire.

FABRICE.

Pourquoi Guillot qu'en veux-tu faire.

GUILLOT.

Pour faire un habit à ce pot

Qui montre le cul comme un sot.

FABRICE.

Ah ! Que ta sottise me gêne.

GUILLOT.

550   Sortons ne te mets point en peine,

J'imagine une invention

Qui nous mettra dans la Maison,

Ils rentrent.

SCÈNE X.
Policarpe, Angélique, Marotte.

POLICARPE.

Enfin je suis fort à mon aise

Je n'ai plus rien qui me déplaise,

555   Je suis défait de mes valets

Plus d'ivrogne plus de muguets.

ANGÉLIQUE.

Mon Père que vous êtes rude

Si vous étiez en servitude,

Prendriez-vous fort grand plaisir

560   Que l'on vous fit ainsi souffrir.

POLICARPE.

Quand je fais ce que je désire

Est-ce à vous à me contredire,

Diable voilà bien des façons

Pour avoir chassé deux fripons

ANGÉLIQUE.

565   Ah ! Vous deviez garder Fabrice.

POLICARPE.

Gardez que je ne vous meurtrisse,

De quelque bon coup de tricot.   [ 55 Tricot : Bâton gros et court. [L]]

MAROTTE.

Ah ! Vous deviez garder Guillot.

POLICARPE.

Ah ! Que d'inutiles paroles

570   Pour moi je crois qu'elles sont folles,

Et qu'elles veulent sottement

Me perturber le jugement,

Mais quoi je vois encor Fabrice.

SCÈNE XI.
Fabrice, Policarpe, Angélique.

FABRICE.

Oui qui vous offre son service,

575   Et croirait manquer son devoir.

S'il n'avait l'honneur de vous voir,

Ainsi Monsieur je m'en acquitte

Par cette dernière visite,

En vous suppliant en ce lieu

580   De daigner souffrir mon adieu,

Je sais qu'ayant su vous déplaire

Me montrant je suis téméraire,

Et qu'assurément mon aspect

M'ayant banni vous est suspect,

585   Mais las, qu'elle eût été ma peine

De partir avec votre haine,

Daignez donc n'en avoir jamais

Et vous quittant je vous promets,

Que je n'aurai plus d'autre étude

590   Qu'à vivre dans la solitude,

Qu'à regretter avec mes pleurs

Au fond d'un bois tous mes malheurs,

Car je ne dois jamais paraître

Ayant perdu un si bon Maître.

POLICARPE.

595   Ce garçon me touche le coeur

Et j'ai pitié de sa douleur,

Mais encor quelle est votre envie.

FABRICE.

De ne plus servir de ma vie,

Et du monde me retirer.

POLICARPE.

600   Je vous ferais redemeurer,

Si vous bannissiez ces fleurettes

Ces douceurs et ces amourettes,

Mais alors qu'on a de l'amour

On ne le perd pas en un jour.

FABRICE.

605   Moi Monsieur, ni fille ni femme

N'ont jamais régné sur mon âme,

Et loin d'être ma passion

Ce sexe est mon aversion.

POLICARPE.

C'était donc une médisance.

FABRICE.

610   Toute pure et sans apparence,

Et si chez vous je demeurais,

Monsieur je vous conjurerais,

Avecque toute ma puissance

De ne voir plus en ma présence,

615   Ce sexe qui me fait horreur.

POLICARPE.

Voyez quelle était mon erreur,

Sans sujet de chasser Fabrice

Allez rentrez en mon service,

Je vous commande absolument

620   D'y rester éternellement.

ANGÉLIQUE.

Mon père chassez cet infâme

Qui n'aime ni fille ni femme,

Que ferons-nous de ce cagot.   [ 56 Cagot : Faux dévot, et hypocrite, qui affecte de montrer des apparences de dévotion pour tromper, et pour parvenir à ses fins. [F]]

POLICARPE.

Taisez-vous, mais je vois Guillot,

625   Te voilà donc bonne pécore   [ 57 Pécore : Bête, stupide qui a du mal à concevoir quelque chose. [F]]

Comment je te revois encore.

SCÈNE XII.
Guillot, Policarpe, Angélique, Fabrice.

GUILLOT.

Monsieur je n'osais détaler

Ni partir avant m'en aller,

Vous quittant j'ai le coeur si tendre

630   Qu'il se va par la moitié fendre,

Et suis tellement éperdu

Que je le crois déjà fendu,

Mais qu'il se fende, ou qu'il se fonde

Que l'on m'envoie en l'autre monde,

635   Me chassant comme un animal

Tout cela me doit être égal,

Ah ! Monsieur c'est être barbare

Que de souffrir qu'on nous sépare,

Et notre séparation

640   Est une cruelle action,

Par exemple daignez m'entendre

Et je vous vais faire comprendre,

Ce qu'est le Maître, et le valet

C'est un assemblage complet,

645   Le Maître représente une âme

Exempte de vice et de blâme,

Et dont le valet est le corps

Tous deux joints par de doux accords,

Or ces deux choses assorties

650   Par d'admirables sympathies,

Alors qu'il les faut séparer

Il faut étrangement tirer,

De sorte qu'à force qu'on tire

Bien souvent le tout se déchire,

655   Après quand on a tout cassé

On... Pourquoi m'avez-vous chassé.

POLICARPE.

Que diable est ce qu'il me veut dire

Il me ferait crever de rire,

Avecque ces comparaisons

660   Et bien quelles sont tes raisons.

GUILLOT.

M'ayant chassé comme une bête

Cela me tient fort à la tête,

Et ne me fâche pas pour peu

Mais vous quittant je fais un voeu,

665   Que j'accomplirai je vous jure

À la barbe de la nature.

POLICARPE.

Quel voeu, que veux-tu dire enfin.

GUILLOT.

De ne boire jamais de vin,

Et de m'en sevrer pour ma vie.

POLICARPE.

670   Tu me ravis par cette envie,

Va redemeure avecque moi

Rentre en ton ordinaire emploi.

Pourtant comme l'on dit en France

Que l'objet émeut la puissance,

675   Je crains qu'en voyant mes tonneaux

Tu ne reprennes tes défauts.

GUILLOT.

Monsieur n'ayez point cette crainte

Je fais banqueroute à la pinte,   [ 58 Banqueroute : Cessation de payement de la part d'un négociant devenu insolvable. [L]]

Et la bannis de mes yeux

680   Ainsi qu'un objet odieux.

ANGÉLIQUE.

Vous pouvez bien chasser Fabrice.

POLICARPE.

Ah ! Que vous avez de caprice.

Parlant à Fabrice et à Guillot.

Restez tenez tout proprement

Je reviendrai dans un moment,

685   Je vais jusqu'à ma Métairie.

FABRICE, à Angélique.

Ne vous fâchez point je vous prie,

J'ai pour vous même passion.

GUILLOT.

Et moi j'aime toujours le bon.

POLICARPE, revenant sur ses pas à Fabrice.

Vous n'aimiez tantôt plus les femmes

690   Infâme de tous les infâmes,

Je vous ai bien ouï faquin

Et vous vous n'aimiez plus le vin.

À Guillot.

Vous faisiez voeu de n'en plus boire

Faisons une tragique Histoire,

695   Ziste et zeste vous en aurez,   [ 59 Zest : Familièrement. être entre le zist et le zest, être fort incertain sur le parti qu'on doit prendre. [L] ]

Depuis la tête, jusqu'aux pieds,

Sur le ventre et sur les épaules

Allons dehors à coups de gaules,

Vous pendardes rentrez chez nous

700   Pour avoir aussi mille coups.

 



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Notes

[1] Jocrisse : Valet niais et maladroit. [L]

[2] Marsouin : Grand poisson de mer fort gras, qu'on appelle aussi pourceau de mer. On appelle aussi ironiquement un homme gros et bien chargé de graisse, un marsouin, comme on l'appelle aussi un pourceau. [F]

[3] Atteinte : Action par laquelle on atteint, on frappe et on blesse. [T]

[4] Faquin : Portefaix. Fig. Un homme de néant, mélange de ridicule et de bassesse.

[5] Bouquin : Vieux bouc. On appelle par injure, Vieux Bouquin, Un vieux débauché, qui est adonné aux femmes. [Acad. 1762]

[6] Godelureau : Jeune fanfaron, glorieux, pimpant et coquet qui se pique de galanterie, de bonne fortune auprès des femmes. [F]

[7] Dolent : Triste, affligé, plaintif. [Acad. 1762]

[8] Muguetter : Faire le galant, le cajolleur, tâcher de se rendre agréable à une Dame. [L]

[9] Sac : On dit aussi, qu'on a donné à quelqu'un son sac et ses quilles, pour dire, qu'on lui a donné son congé, qu'on l'a chassé.[F]

[10] Gaule : Grande perche. C'est avec une gaule qu'on abat les noix. Bâton. [L]

[11] Antipode : Contraire, opposé. [R]

[12] Antipoder : Antipoder quelqu'un Fig. Faire quelque chose qui est contraire à quelqu'un, qui lui est désagréable. [R]

[13] Charger ; Charger quelqu'un de coups, d'injures, de malédictions, l'en accabler. [L]

[14] Train : Habitude, manière d'être. [L]

[15] Rogner : Diminuer le tour, ou la longueur, ou la largeur de quelque chose. [F]

[16] Troupe : Troupe pour multitude, ne se dit que des personnes. Ce n'est que dans les Provinces méridionales que l'on dit : j'ai une troupe d'affaires ; il y a une troupe de nouvelles ; elle a une troupe de robes. [FC]

[17] Avoir le vent en poupe : Fig. être favorisé par les circonstances [L]

[18] Pataud : Il se dit proprement d'un jeune chien qui a de grosses pattes. On dit, À nage pataud, à un barbet qu'on jette à l'eau, qu'on fait aller à l'eau. On dit proverbialement et figurément d'Un homme qui est dans l'abondance. [Acad. 1762]

[19] Quartaine : Usité seulement dans cette locution : fièvre quartaine, fièvre quarte. [L]

[20] Oison : On dit par injure à un homme, que c'est un oison, qu'il se laisse mener comme un oison, pour dire, que c'est un sot, qui ne sait pas se conduire, qu'il n'agit que par l'organe d'autrui. [F]

[21] Chère entière : Grand repas suivi de plusieurs divertissements. [L]

[22] Affronteur : Celui qui affronte, celui qui trompe. [L]

[23] Gamme : Fig. et familièrement. Chanter sa gamme à quelqu'un, le réprimander et lui dire des vérités dures. [L]

[24] Réformer : Rectifier, c'est-à-dire rétablir dans l'ancienne forme ou dans une forme meilleure. [L]

[25] Fricasser : Prendre autant de soin avec l'amour qu'on le fait avec un mets que l'on fricasse, pour en améliorer le goût.

[26] Etrivière : Courroie de cuir, par laquelle les étriers sont suspendus. Donner les étrivières, c'est châtier des valets de livrée, les fouetter avec les étrivières. [F]

[27] Gaillard : Enjoué, gai, qui ne demande qu'à rire, ou à faire rire. [T]

[28] Maraud : Terme injurieux qui se dit des gueux, des coquins qui n'ont ni bien ni honneur, qui sont capables de faire toutes sortes de lâchetés. [F]

[29] Parbiou : Parbiou, ParBieu, Parbleu sont trois mots équivalents : Par Dieu. Sorte de serment burlesque. [T]

[30] Fabrisson : Mot fabriqué par Angélique pour désigner son Amoureux Fabrice.

[31] Friquet : se dit aussi d'un jeune galant fort mince qui n'a que du caquet et de l'affeterie, et rien de solide. [F]

[32] Caquet : Abondance de paroles inutiles qui n'ont point de solidité.

[33] Daguenet : Diminutif de dague. [SP] Dans le contexte non compréhensible.

[34] Dagueniser : Donner des coups de dague. [SP]

[35] Falot : Impertinent, ridicule, plaisant, drôle. [FC]

[36] Carte du Tendre : Carte illustrant le parcours galant. Il y a le lac d'infifférence et les villes comme probité et générosité.

[37] Gourdiner : Donner des coups de gourdin. [L]

[38] Gargamelle : Terme populaire. Gorge, gosier. [L]

[39] Gravelle : Maladie des reins et de la vessie causée par quelque gravier qui s'y forme, ou qui s'y arrête. [F]

[40] Frotter : Battre, maltraiter, rosser. [L]

[41] Gogue : Vieux terme de cuisine qui se disait d'un ragoût ou farce d'herbes, de lard, d'oeufs, fromage, épices et sang frais de mouton, cuit dans la panse du mouton. [F] Ce mot est féminin.

[42] Rechigné : Qui gronde et qui est de mauvaise humeur. [R]

[43] Grève : Terrain uni et sablonneux le long de la mer ou d'une grande rivière. La Grève, place de Paris sur le bord de la Seine, à côté de l'hôtel de ville, où se faisaient les exécutions juridiques. [L]

[44] Confondre : Faire échouer, réduire à l'impuissance. {L]

[45] Haridelle : Mauvais cheval maigre. [L]

[46] Etriller : On dit fig. et fam. Étriller quelqu'un, pour dire, Le battre. [Acad 1762]

[47] Gueux : Indigent, qui est réduit à mendier. [FC]

[48] Gueuserie : Condition de gueux, de personne sans bien, sans avoir. [L]

[49] Friperie : On le dit aussi proverbialement et figurément, pour dire, Se moquer de quelqu'un, en dire du mal. [Acad. 1762]

[50] Capon : Terme populaire et pris des Écoliers. Joueur rusé, fin, et un peu fripon. [FC]

[51] Cancan : Bruit, scandale fait mal à propos. [L]

[52] Croquant : Gueux, misérable qui n'a aucuns biens, qui en temps de guerre n'a pour toutes armes qu'un croc. [F]

[53] Gaudeamus : Chant de réjouissance. [L]

[54] Sapience : Terme vieilli qui est synonyme de sagesse. [L]

[55] Tricot : Bâton gros et court. [L]

[56] Cagot : Faux dévot, et hypocrite, qui affecte de montrer des apparences de dévotion pour tromper, et pour parvenir à ses fins. [F]

[57] Pécore : Bête, stupide qui a du mal à concevoir quelque chose. [F]

[58] Banqueroute : Cessation de payement de la part d'un négociant devenu insolvable. [L]

[59] Zest : Familièrement. être entre le zist et le zest, être fort incertain sur le parti qu'on doit prendre. [L]

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