JOSÉPHINE OU LE RETOUR DE WAGRAM

OPÉRA EN UN ACTE

REPRÉSENTÉ POUR LA PREMIÈRE FOIS, À PARIS SUR LE THÉÂTRE ROYAL DE L'OPÉRA COMIQUE, LE 2 DÉCEMBRE 1830.

1830

PAROLES DE MM. GABRIEL ET DELABOULLAYE, MUSIQUE DE M. A. ADAM.

À PARIS, J.-N- BARBA, GRANDE COUR, derrière LE THÉÄTRE FRANÇAIS.

Représenté pour la première fois le 2 décembre 1830 à l'Opéra comique.


© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:19.


PERSONNAGES. ACTEURS.

L'EMPEREUR. M. GENOT

JOSÉPHINE. Mme. LEMONNIER

EUGÈNE. M. LEMONNIER.

LE DUC DE VICENCE. M. HENRY.

LA COMTESSE, dame d'honneur de l'Impératrice. Mme SALLARD.

RUSTAN, mamelouk de l'Empereur. M. VICTOR

MARIE, Mme PARDIER.

PREMIER PAGE. Melle MARIETTE.

SECOND PAGE. Mme LESTAGE.

UN CHAMBELLAN.

UN MAÎTRE DE CHANT.

UN MAÎTRE DE BALLETS.

OFFICIER D'ÉTAT-MAJOR.

CHANTEURS.

DANSEURS.

GRENADIERS.

VALET DE PIED.

La scène se passe à la Malmaison en 1809.


Le théâtre représente un salon d'été des plus riches. Trois portes-fenêtres au fond, ouvertes sur des jardins ornés de statues. Deux portraits en pied de l'empereur et de l'Impératrice sont placés entre les fenêtres, vis-à-vis les spectateurs.

SCÈNE PREMIÈRE.

UN MAÎTRE DE CHANT et UN MAÎTRE DE BALLETS sont en tête de deux colonnes de chanteurs et de danseurs. Deux pages de l'Impératrice regardent répéter un divertissement au fond, dans jardin, deux grenadiers en faction.

LE CHOEUR.

INTRODUCTION.

Chantons sa gloire immortelle :

Nous lui devons tous nos succès ;

À la victoire il est fidèle

Chez l'étranger il a signé la paix.

LE MAÎTRE DE CHANT, une baguette à la main.

5   Amis, observez la mesure ;

Regardez-moi tous en chantant.

LE PREMIER PAGE.

C'est fort bien, Monsieur, je vous jure

Recevez-en mon compliment.

LE MAÎTRE DE CHANT.

Cela ne va pas mal je pense,

10   Pour une répétition

Mais ce soir quelle différence

À la représentation!

LE CHOEUR.

Chantons sa gloire immortelle

Nous lui devons tous nos succès

15   À la victoire il est fidèle :

Chez l'étranger il signé la paix.

Pendant cette reprise du choeur, les danseurs font une première entrée milieu de la scène, et exécutent des tableaux gracieux.

LE MAÎTRE DE BALLETS.

Rappelez-vous chaque figure :

Enchaînez vos pas en dansant.

LE DEUXIÈME PAGE.

C'est fort bien, monsieur, je vous jure :

20   Recevez-en mon compliment.

LE MAÎTRE DE BALLETS.

Cela ne Va pas mal, je pense,

Pour une répétition ;

Mais ce soir quelle différence

À la représentation !

CHOEUR pendant le ballet.

25   Chantons sa gloire immortelle :

Nous lui devons tous nos succès ;

À la victoire il est fidèle :

Chez l'étranger il a signé la paix.

SCÈNE II.
Les mêmes, Vincent et Marie.

VINCENT.

Avance donc, ma petite Marie :

30   Ce beau spectacle te plaira.

Tu ne sais donc pas, chère amie,

Qu'a Malmaison nous avons l'opéra ?

LE PREMIER PAGE, à son camarade.

C'est la petite jardinière :

Elle est avec son amoureux ;

35   À tous elle sait plaire

Vois donc ses jolis yeux !

MARIE, aux pages.

Oui, messieurs, c'est moi-même ;

Voilà celui que j'aime :

Nous devions être unis demain ;

40   Mais ça n'aura pas lieu, j'en ai bien du chagrin.

LES PAGES.

Qui peut vous causer du chagrin ?

MARIE, pleurant.

Vous avez notre confiance :

Apprenez donc, messieurs...

LE MAÎTRE DE CHANT.

Silence !

Aux chanteurs et aux danseurs.

Que la gaieté couronne nos tableaux,

45   Si nous voulons obtenir des bravos.

LE CHOEUR.

Chantons sa gloire immortelle, etc.

SCÈNE III.
Les mêmes, La Comtesse.

LA COMTESSE.

C'est très bien, messieurs, l'impératrice reconnaîtra votre zèle. Voilà la répétition terminée, tout m'annonce que le spectacle de ce soir sera digne de la circonstance que nous célébrons.

Les chanteurs et danseurs et sortent par le fond à droite.

Marie et il Vincent.

Approchez, mes amis.

MARIE.

Madame la Comtesse, nous nous sommes levés de bon matin, Vincent et moi, pour exécuter vos ordres.

LA COMTESSE.

Ayez bien soin surtout d'établir dans la grande allée cette double rangée de lauriers.

VINCENT.

Et les grenadiers donc ! Je crois vraiment que l'Empereur aime ceux de la Malmaison autant que ceux de la vieille garde.

LA COMTESSE.

Mais l'impératrice ne rentre pas, cela m'inquiète elle ne devait être sortie que pour quelques instants, elle est allée chez Pierre, à l'entrée du village.

MARIE.

Ah ! Oui, ce pauvre Pierre qui s'est cassé le bras hier, en plantant un de ces grands ifs qu'on prépare pour l'illumination devant la porte du parc.

VINCENT.

Oh ! Dame ! C'est que notre bonne maîtresse ne laisse jamais un malheureux sans secours, et ce qui est encore mieux, sans consolations.

MARIE.

C'est vrai, Madame la Comtesse, Vincent a bien raison.

COUPLETS.

PREMIER COUPLET.

Jadis au sein de not'village

On comptait bien des malheureux ;

À Malmaison un'fille sage

50   Gémissait loin d'son amoureux ;

Un jour la démence divine,

Prenant en pitié nos douleurs,

Nous donna, pour sécher nos pleurs,

Joséphine.

DEUXIÈME COUPLET.

55   Le vieux Raymond, plié par l'âge,

N'avait plus pour guider ses pas

Qu'un jeune fils plein de courage

La France a réclamé son bras.

Au bon vieillard qui se chagrine

60   Son fils est rendu pour toujours !

Qui console ainsi ses vieux jours ?

Joséphine.

TORISIÈME COUPLET.

Rose naquit dans l'indigence;

Mais elle avait de jolis yeux.

65   Un jeune officier d'ordonnance

En devint un jour amoureux :

Il est d'une illustre origine ;

Il ne peut fléchir ses parents.

Mais qui sait rapprocher les rangs ?

70   Joséphine.

Et Rose est aujourd'hui unie à celui qu'elle aime.

LA COMTESSE.

Eh ! N'êtes-vous pas sur le point de jouir du même bonheur ? Grâce aux bontés de l'impératrice, votre mariage avec Vincent n'est-il pas assuré ?

MARIE.

Il l'était, Madame la Comtesse ; mais maintenant...

LA COMTESSE.

Que voulez-vous dire ? Expliquez-vous.

VINCENT.

Tenez, Madame la Comtesse, c'est moi qui vais vous dire ce qui en est... Vous nous croyez ben gais, n'est-ce pas ?... Eh ! Bien, n'y a rien d'moins solide que c'te gaité-là. Apprenez que la mère de Marie n'veut plus nous unir, parce que mon père... Dame... Voyez-vous, mon père... Je n'sais pas trop comment vous dire ça... Il a la tête un peu vive... Il a quelque fois des querelles avec ma mère, et ça commence a les ennuyer tous les deux ; ils voudraient bien ne plus pouvoir se quereller.

LA COMTESSE.

Cela est très facile.

VINCENT.

Aussi v'là c'qui fait qui parlent de se séparer.

LA COMTESSE.

De se séparer.

MARIE.

Oui, Madame la Comtesse ; et voyez-vous, ma mère qui a toujours fait si bon ménage, ne veut pas entendre parler de mariage avec le fils d'un homme qui se sépare de sa femme ; aussi, Madame la Comtesse, vous nous voyez bien malheureux, bien malheureux.

LA COMTESSE.

Silence ! Voilà l'impératrice.

SCÈNE IV.
Les mêmes, Joséphine.

Joséphine entre suivie d'un valet de pied en grande livrée ; l'Impératrice a une mise très simple, elle est vêtue d'une robe de soie, écharpe bleue et chapeau de satin blanc.

Mode de 1809.

JOSÉPHINE, avec gaieté.

Allons, je vois que tout s'apprête pour la fête de ce soir.

À Marie et à Vincent.

Bonjour, mes amis ; mais qu'avez-vous donc ?... Tu pleures, Marie ?

MARIE, en s'efforçant de cache ses pleurs.

Ah ! Ce n'est rien, Votre Majesté est trop bonne.

JOSÉPHINE.

Mais je veux savoir.

LE COMTESSE.

J'avais entretenu Votre Majesté du mariage de vos deux protégés ; car Vincent et Marie reçoivent tous les jours de nouvelles marques de votre bienveillance.

JOSÉPHINE.

Marie ne me paie-t-elle pas en bouquets ? N'est-ce elle qui pas me présente chaque matin les fleurs les plus nouvelles ?

LA COMTESSE.

Vous avez bien voulu promettre de faire célébrer cette union après le retour de l'Empereur... Mais aujourd'hui tout est changé.

JOSÉPHINE.

Allons une querelle d'amants, je gage !

VINCENT.

Ah ! Si c'était entre nous, elle serait bientôt finie ; mais c'est mon père...

JOSÉPHINE.

Eh bien ?

LA COMTESSE.

Vincent vient de m'apprendre qu'après plusieurs querelles de ménage son père et sa mère voulaient se séparer.

VINCENT.

Ils disent qu'en se séparant ça les mettra d'accord.

JOSÉPHINE.

Allons donc, c'est une menace qui peut échapper dans un moment de colère.

À Vincent.

Ton père et ta mère que j'ai toujours vus si bien unis, que j'aurais cités comme le meilleur des ménages !.. Va les trouver, dis-leur que j'ai besoin de leur parler, que je les attends à l'instant même ; tu les feras entrer dans te petit pavillon des fleurs.

VINCENT, avec joie.

J'y cours... Ah ! Que de reconnaissance nous aurons à Votre Majesté... Viens, Marie.

MARIE.

Si Votre Majesté le permet, nous viendrons la remercier.

À Vincent.

Ah ! Mon ami, quel bonheur pour nous !

JOSÉPHINE.

N'ayez aucune inquiétude, tout cela s'arrangera.

SCÈNE V.
Joséphine, La Comtesse.

JOSÉPHINE, avec feu.

Oui, tout s'arrangera, je l'exigerai ; autrement je ne les conserverai pas à mon service... Se séparer après vingt ans d'union non, cela ne sera pas.

LA COMTESSE.

Si Votre Majesté le permet...

JOSÉPHINE.

Votre Majesté !... Tu sais qu'entre nous je n'aime pas ce titre ; appelle-moi Joséphine.

LA COMTESSE.

Eh bien oui, Joséphine ; mais permettez-moi de vous gronder ; votre absence de ce matin m'avait inquiétée.

JOSÉPHINE.

Est-ce que j'ai été longtemps sortie ? Je ne m'en étais pas aperçue.

LA COMTESSE.

Vous employez si bien votre temps.

JOSÉPHINE.

J'avais quelques visites à faire.

LA COMTESSE.

Dites des bienfaits à répandre, des peines à consoler.

JOSÉPHINE.

Quand on est reine, ma chère Virginie, il en coûte si peu pour se faire aimer, et cela fait tant de bien !...

LA COMTESSE.

C'est un bonheur que Joséphine éprouve tous les jours.

JOSÉPHINE.

Et dont elle espère ne pas perdre l'habitude ; mais vois donc comme ce ciel est pur ! Il semble que la nature entière prenne sa part du plaisir que je goûte aujourd'hui.

LA COMTESSE.

C'est que le beau temps est comme la victoire, il a toujours été fidèle à l'Empereur.

JOSÉPHINE.

Que son entrée dans Paris sera belle demain ! Jamais je n'aurai éte si fière d'être assise à ses côtés, de me voir associée à sa gloire ; et mon Eugène, il sera là aussi !... As-tu remarqué, hier à son arrivée, comme il avait l'air noble et imposant ?

LA COMTESSE.

C'est un des plus beaux cavaliers de l'armée ; et vous, Joséphine, comme la joie brillait sur votre visage ! La jeunesse la plus vive animait tous vos traits en vous voyant auprès du prince, on vous aurait pris pour le frère et la soeur.

JOSÉPHINE.

Je suis heureuse !... Comme Eugène est glorieux de la mission que l'Empereur lui a confiée, de le précéder à Paris et de déposer aux Invalides les drapeaux enlevés a l'ennemi ! Tout à l'heure, en entendant de loin le bruit du canon, je jouissais de son bonheur ; il me semblait que j'étais sur son passage, et que là, dans la foule, j'entendais sortir de toutes les bouches ces mots de la dernière lettre de mon époux : « Il a commandé en général, il s'est battu en soldat. »

Elle tire de son sein une lettre et un médaillon.

La voila cette lettre et ce portrait qu'elle renfermait, il ne me quittèrent jamais.

Elle ouvre le médaillon, et fait voir à la Comtesse le portrait de Napoléon.

LA COMTESSE.

C'est le portrait de l'empereur.

JOSÉPHINE, avec mystère.

Si tu savais ce qu'il m'écrit et quel espoir !... Tiens, écoute.

Elle lit.

« Ma bonne Joséphine ! La campagne est terminée, l'Autriche vient d'accepter mes conditions. Je serai à la Malmaison le vingt-sept avant la nuit, et le lendemain de bonne heure je ferai mon entrée à Paris ; Eugène me précédera de vingt-quatre heures ; il portera aux Invalides les drapeaux que nous avons enlevés à l'ennemi ; cette gloire lui est bien due ; il a commandé en général, et s'est battu en soldat... Maintenant sa réputation militaire est faite ; son sang-froid et les antres qualités que j'ai remarquées en lui le rendent propre à gouverner un État. J'ai mes projets, je t'en ferai part ; tout cela d'ailleurs se lie à un grand acte de famille, que le bonheur et la gloire de la France exigent. Tu sauras tout à mon arrivée. L'EMPEREUR. - Pour toi, toujours BONAPARTE. » Un grand acte de famille ! Ah ! Mon amie, je ne sais si mes pressentiments me trompent, mais le fils de Joséphine...

LA COMTESSE.

Sera bientôt celui de Napoléon.

JOSÉPHINE.

Ainsi je verrais se réaliser en partie l'illusion la plus chère !... Combien de fois j'ai rêvé l'Empereur entouré d'une famille que je lui aurais donnée ! Ah ! Ma chère Virginie, quel spectacle plus noble et plus touchant qu'une reine qui se montre a ses sujets environnée de ses enfants, et qui peut dire avec orgueil : Les voilà ! Ils ont été élevés au milieu de vous, je les ai instruits à vous aimer comme nous vous aimons nous-mêmes !

DUO.

Ah ! Que mon âme sera fière,

Et quels doux transports pour mon coeur

Eugène va trouver un père

Dans le héros qui fait tout mon bonheur.

LA COMTESSE.

75   Que votre âme aujourd'hui soit fière ;

À l'espoir livrez votre coeur ;

Eugène va trouver un père

Dans le héros qui fait votre bonheur.

ENSEMBLE.

JOSÉPHINE.

Ah ! Que mon âme, etc.

LA COMTESSE.

80   Que votre âme aujourd'hui, etc.

LA COMTESSE.

Quel avenir, et quel plus beau présage !

JOSÉPHINE.

Quel avenir, et quel plus beau présage !

Napoléon va le nommer son fils !

LA COMTESSE.

Est-il plus brillant héritage ?

JOSÉPHINE.

85   Peut-il régner sur un plus beau pays ?

ENSEMBLE.

JOSÉPHINE.

Ah ! Que mon âme sera fière,

Et quels doux transports pour mon coeur !

Eugène va trouver un père

Dans le héros qui fait tout mon bonheur.

LA COMTESSE.

90   Que votre âme aujourd'hui soit fière :

À l'espoir livrez votre coeur ;

Eugène va trouver un père

Dans le héros qui fait votre bonheur.

À la fin du duo la musique se lie avec le choeur suivant

SCÈNE VI.
Les mêmes, Eugène, il est accompagné de plusieurs lieutenants-généraux et d'un brillant état-major ; un chambellan le précède.

LE CHABELLAN, annonçant.

Le prince Eugène !

Eugène se jette dans les bras de Joséphine.

LE CHOEUR.

Noble guerrier, reine chérie,

95   Votre triomphe est mérite.

Fêtons au nom de la patrie

Et le courage et la bonté.

À la fin du choeur les pages avancent un riche fauteuil ; l'Impératrice vient s'y placer.

EUGÈNE.

Mes amis, quel beau jour ! Quelle cérémonie !

De notre souverain la puissance infinie

100   Ne rencontre en tous lieux que des admirateurs.

AIR.

J'entends encor cette marche guerrière

C'est celle des triomphateurs.

Que la france doit être fière !

Ses enfants reviennent vainqueurs.

     

105   Des favoris de la victoire

L'asile s'ouvre à notre aspect ;

Ces nobles débris de la gloire

Nous inspirent un saint respect.

Aux voûtes de leur temple

110   Déjà notre oeil contemple

Quatre rangs d'étendards...

C'est le palais des fées :

Jamais plus beaux trophées

N'ont frappé nos regards !

     

115   Notre vieille garde s'efface

En passant sous chaque drapeau,

Et Wagram réclame sa place

Entre Austerlitz et Marengo !

J'entends encor cette marche guerrière :

120   C'est celle des triomphateurs.

Que la France doit être fière

Ses enfants reviennent vainqueurs.

     

L'Impératrie se lève ; tous les généraux la saluent et sortent par la droite.

JOSÉPHINE, avec exaltation.

Non, jamais souverain ne fut plus grand ; jamais peuple n'eut des destinées plus glorieuses ! Qu'on est fier, mon ami, d'appartenir à un si grand homme !

EUGÈNE.

Qui fut plus digne que vous de goûter autant de bonheur !

JOSÉPHINE.

Et toi aussi, mon Eugène, tu lui appartiens ; n'a-t-il pas pour toi tout l'amour d'un bon père ?

EUGÈNE.

Et moi pour lui tout rattachement d'un fils ?

JOSÉPHINE, le prenant à part avec mystère.

Il te destine même de nouvelles preuves de sa tendresse. J'ai là une lettre que nous lirons ensemble tantôt seuls, dans mon appartement.

Haut.

Nous allons nous occuper des préparatifs de la fête de ce soir. C'est une surprise ; nous aurons spectacle, la représentation d'une pièce nouvelle. une musique délicieuse... J'ai fait venir tout l'Opéra de Paris.

LA COMTESSE.

L'empereur aime tant son petit théâtre de Malmaison !

SCÈNE VII.
Les précédens, Un page.

LE PAGE, après un salut.

Monsieur le Duc de Vicence demande s'il peut avoir l'honneur d'être admis auprès de Votre Majesté ?

JOSÉPHINE, avec étonnement.

Le duc de Vicence ! Je le croyais a son ambassade de Russie.

EUGÈNE.

Il était depuis huit jours à Vienne, l'empereur l'avait rappelé près de lui pour terminer les traités avec la cour d'Autriche.

JOSÉPHINE, avec contrainte.

Je n'ai jamais pu me rendre compte de ce que j'éprouvais en voyant cet homme.

UN DEUXIEME PAGE, entrant.

Les deux villageois que Votre Majesté a donné l'ordre d'introduire au château sont arrivés on les a fait entrer au pavillon des Fleurs.

JOSÉPHINE, à Eugène.

Ils ne pouvaient venir plus à propos. Mon ami, tu recevras le duc pour moi ; j'ai une audience très pressée a donner. C'est un traité aussi que j'ai à négocier, un traité d'alliance. Une réconciliation... Je te conterai cela.

EUGÈNE.

Je devine d'avance... Je reconnais ma mère... Ne faisant aucune distinction des rangs, et n'accordant de préférence qu'aux infortunés.

JOSÉPHINE, avec bonté.

Mon ami, c'est que ceux-là n'ont pas le temps d'attendre.

Elle sort suivie de son page et de la Comtesse.

EUGÈNE, au premier page.

Qu'on introduise Monsieur le Duc.

SCÈNE VIII.
Eugène, Le Duc en costume de grand officier de la couronne.

Le duc est introduit par le deuxième page qui se retire aussitôt.

EUGÈNE.

Vous ici, Monsieur le Duc ? Vous que j'ai laissé à Vienne, occupé des plus hautes négociations !

LE DUC.

Elles sont terminées, prince ; Votre Altesse sait qu'avec l'Empereur le succès d'une conférence politique ne se fait pas plus attendre que le gain d'une bataille ; et les cabinets de l'Europe aiment souvent mieux en finir de cette façon que de l'autre.

EUGÈNE.

Il est vrai qu'ils ont eu plus d'une fois à se repentir d'avoir tenté le contraire.

LE DUC.

Enfin, la plus glorieuse campagne s'est terminée par le traité le plus honorable pour la France. L'Autriche, après avoir vu nos drapeaux flotter sur les tours de Vienne, vient d'accepter toutes nos conditions.

EUGÈNE.

Est-il plus beau triomphe !

LE DUC.

C'est à la fois le vainqueur et le pacificateur du monde que Paris va revoir demain dans ses murs ; aussi quel enthousiasme dans toute la capitale ! Je n'ai fait que la traverser, partout j'ai entendu l'expression de la joie, et de l'admiration publique... La cérémonie à laquelle vous avez présidé ce matin a électrisé les esprits ; votre nom, prince, est dans toutes tes bouches ; partout on associe, votre renommée à celle du chef de l'État.

EUGÈNE.

C'est trop honorer de faibles services soldat, j'ai fait mon devoir ; fils dévoué et reconnaissant, j'ai veillé sur les jours de l'époux de ma mère, de mon bienfaiteur.

LE DUC.

L'Empereur sait apprécier le prince Eugène ; je l'ai toujours entendu vanter votre bravoure, votre sang-froid. Dans son dernier ordre du jour à la Grande Armée, il vous a proclamé l'un de ses meiileurs capitaines, en déclarant qu'il n'hésiterait pas a vous confier le sort de toute une expédition.

EUGÈNE.

Tant de confiance.

LE DUC, vivement.

Est due à Votre Altesse, et l'Empereur, qui n'attendait que l'occasion de vous en donner une nouvelle preuve, va bientôt accomplir un projet bien cher à son coeur.

EUGÈNE.

Que voulez-vous dire ?

LE DUC.

Cette Italie que nos armes ont conquise, doit, sous les lois du grand Napoléon, recouvrer son antique splendeur. Il veut que cette terre classique des beaux-arts devienne l'un des royaumes les plus florissants de l'Europe.

EUGÈNE.

Quelle gloire pour celui qui le secondera dans cette entreprise !

LE DUC.

Ajoutez pour celui qui régnera en son nom sur ce beau pays !

Après une pause.

Eh bien ! Prince, cette gloire est celle qui vous est réservée.

EUGÈNE, avec chaleur.

Que dites-vous ? Je serais...

LE DUC.

Vous êtes vice-roi d'Italie !...

Mouvement d'Eugène.

Notre souverain maître l'a déclaré officiellement au conseil qui a suivi votre départ de Vienne, et bientôt des courriers vont être expédiés à toutes les puissances pour leur faire connaître cette importante résolution.

EUGÈNE, avec enthousiasme.

Et ma mère ! Quelle satisfaction pour elle lorsqu'elle apprendra cette nouvelle de la bouche de son époux !

LE DUC.

L'empereur sait aussi combien l'impératrice vous aime, et le vif attachement qu'il a pour elle ajoute encore à la satisfaction qu'il éprouve en réalisant ce projet. Pourquoi faut-il que dans un moment qu'il voudrait consacrer au bonheur, le besoin d'assurer l'avenir de la France réclame de lui d'autres soins, un cruel sacrifice !...

EUGÈNE.

Je ne vous comprends pas.

LE DUC, avec adresse et précaution.

Prince, depuis quelques années une pensée affligeait votre bienfaiteur, elle le suivait partout, elle empoisonnait ses plus beaux triomphes cette pensée, c'était le chagrin de n'avoir point d'héritier. Combien de fois l'idée de voir périr son nom tout entier avec lui, la crainte que la France ne fût, après sa mort, livrée a de nouveaux déchirements, n'ont-elles pas brisé son âme ! Dans de telles circonstances, l'Empereur a dû...

EUGÈNE, avec agitation.

Eh bien ?

LE DUC, vivement.

Oh ! Je suis témoin combien il lui en a coûté ; ce sera un sacrifice pénible, une détermination douloureuse pour son coeur ; mais...

EUGÈNE, hors de lui.

Achever Monsieur le Duc.

LE DUC.

Il a du se résigner à la nécessité et prendre une résolution bien pénible.

EUGÈNE, le pressant davantage.

Laquelle ?

LE DUC.

En conservant à votre mère son titre et ses apanages d'Impératrice, il pourra contracter une autre union...

EUGÈNE.

Vous ai-je bien entendu ! Abandonner ma mère, en épouser une autre ! Ah ! Joséphine, quel coup pour toi !

Il tombe sur un fauteuil dans le plus violent désespoir.

DUO.

LE DUC.

Prince, calmez votre souffrance ;

Que la paix rentre en votre coeur

125   Il s'agit du sort de la France

Immolez-vous pour son bonheur.

EUGÈNE.

Que lui d!rai-je, ô ciel ! Non, jamais à ma mère

Ma bouche ne pourra révéler son destin.

LE DUC.

Vous la consolerez j'espère :

130   Un fils aimé ne parle pas en vain.

EUGÈNE, il se lève.

Tant de bonheur, tant d'espérance

Seraient détruits en un seul jour

Et l'abandon serait la récompense

De ses vertus, de son amour.

LE DUC.

135   Vous vous devez a la patrie ;

Du sort sachez braver les coups.

EUGÈNE.

Joséphine, pour la patrie,

Du sort aurait subi les coups

Mais renoncer à son époux,

140   Ah ! C'est donner plus que sa vie.

LE DUC.

Allez régner sur l'Italie ;

Goûtez le prix de vos travaux.

EUGÈNE.

À la mère la plus chérie

Ma gloire coûte le repos.

LE DUC.

Prince !...

ENSEMBLE.

LE DUC.

145   Vous vous devez a la patrie ;

Du sort sachez braver les coups.

EUGÈNE.

Ah ! C'est donner plus que sa vie

Que renoncer à son époux !

LE DUC.

Croyez, prince, que je prends une part bien vive au chagrin que vous éprouvez. L'empereur, qui sait ce que cette séparation aura de déchirant, m'avait chargé d'y préparer votre mère ; en apprenant qu'en son absence c'est vous qui deviez me recevoir, je me suis félicité de cette circonstance. Je n'ai point balancé à vous révéler la vérité. Allez trouver l'Impératrice, parlez a sa raison et non à son coeur ; dans de pareils moments, n'en doutez pas, la voix d'un fils est la plus puissante.

EUGÈNE, avec un effort pénible.

Eh bien ! Oui, je me résignerai ; jamais l'empereur n'aura reçu de moi une pareille preuve de dévouement ; je serai quitte envers lui. Ciel ! J'entends l'Impératrice. Le plus absolu secret, Monsieur le Duc, un mot de vous la ferait mourir ; donnez-moi te temps de la préparer à son sort.

SCENE IX.
Les Précédents, Joséphine.

JOSÉPHINE, gaiement.

Eh bien ! Messieurs, vous venez de faire de la diplomatie, et moi je viens de faire des heureux, ce qui n'est pas toujours la même chose.

LE DUC.

Si Votre Majesté n'a pas d'ordres à me donner, je me retire.

JOSÉPHINE.

Non, Monsieur le Duc, restez je veux que vous preniez aussi part a ma joie, que vous ayiez connaissance de mon triomphe. Vous verrez que nous autres femmes pour arranger une affaire, nous valons souvent les plus fins diplomates.

LE DUC.

On sait depuis longtemps que rien n'est impossible à Votre Majesté.

JOSÉPHINE.

Oh ! Je n'avais pas du reste a négocier avec de hautes puissances ! Et pourtant le traité n'a pas été signé sans difficultés. C'était dans l'intérieur du château même que je voulais opérer une réconciliation. C'est là que j'exerce mon Empire, monsieur le duc ; et je vous l'avouerai, le bonheur de la dernière des personnes attachées à mon service m'occupe autant que le soin de toutes les prérogatives de ma couronne.

LE DUC.

Touchant usage du pouvoir suprême !

JOSÉPHINE.

Il s'agit d'une jeune villageoise que j'ai prise sous ma protection. Depuis quelques mois son mariage était arrêté avec le fils du vieux Vincent, le concierge, ancien militaire que l'empereur a décoré dans la campagne de Prusse ; j'avais fixé la célébration de cet hymen au retour de mon époux.

EUGÈNE, à part.

Que je souffre.

JOSÉPHINE.

Ne voila-t-il pas que ce matin j'apprends qu'il y a eu une querelle entre le père et la mère de Vincent, qu'ils veulent se séparer, et que l'on a même prononcé le mot divorce... Oui, Monsieur le Duc, le mot divorce.

EUGÈNE, à part.

Quel rapprochement !

JOSÉPHINE, à Eugène sans le regarder.

Tu penses, mon ami, que je n'ai pas voulu qu'il fut question plus longtemps de cette querelle. Un divorce parmi les gens du château ! Qu'aurait dit l'empereur ? J'ai fait venir le père et la mère de Vincent. J'ai cru que quelques mots de moi suffiraient ; point du tout, je les ai trouvés plus résolus que je n'aurais supposé. Que faire me fâcher ? C'eût été, je crois, un mauvais moyen de les réconcilier. « Eh bien leur ai-je dit, puisque vous êtes tout-à-fait décidés, je ne puis m'y opposer ; mais j'exige une chose demain, je marie dix jeunes filles des environs à la chapelle du château ; toute la cour y sera, vous y viendrez aussi, et là, en présence de tout le monde, vous déclarerez que vous renoncez l'un l'autre, que vous ne vous reverrez jamais. » À l'idée de cette répudiation publique, au nom de l'empereur surtout, des larmes ont roulé dans leurs yeux, et quelques instants après tous deux sont tombés a mes pieds en me demandant pardon d'avoir conçu un seul instant la pensée d'une telle infamie.

EUGÈNE, à part.

Mes forces m'abandonnent.

JOSÉPHINE.

Eh bien ! Que dites-vous de mon moyen ?

LE DUC.

Ah ! Madame, vous ne savez faire que des heureux ?

JOSÉPHINE.

Jugez de la joie de mes petits protèges, quand je leur ai dit que le danger était passé et qu'ils pouvaient aller préparer leurs habits de noce.

LE DUC.

Qui ne serait touché de tant de bonté ! Mais mon devoir, des communications importantes que j'ai à faire au grand chancelier, me rappellent à Paris ; si vous le permettez...

JOSÉPHINE.

Partez, Monsieur le Duc ; le service de l'État avant tout.

Le duc sort après un profond salut.

SCÈNE X.
Joséphine, Eugène.

JOSÉPHINE.

Je ne sais, mais le duc a quelque chose d'embarrassé dans son maintien... Quel était donc l'objet de sa visite ?

EUGÈNE, avec contrainte.

Ma mère !

JOSÉPHINE.

Entrons dans mon appartement ; aussi bien, j'éprouve le besoin de me trouver quelques instants seule avec toi. Je veux te donner connaissance de cette lettre dont je t'ai parlé ce matin. Mais tu parais agité ; ô ciel ! Aurions-nous quelque malheur à redouter ?... Serait-it arrivé quelque chose à l'Empereur ?

EUGÈNE, se remettant un peu.

Non, il n'est rien arrivé de fâcheux et l'Empereur, et bientôt, sans doute, sera près de vous.

JOSÉPHINE.

Le ciel en soit loué ! Chaque jour me rend mon époux encore plus cher !

Musique.

Tiens, je te prévoyais bien, voilà des importuns, viens mon ami.

EUGÈNE, à part.

Aurai-je le courage de lui dire la vérité !

Joséphine lui donne le bras, ils entrent dans l'appartement à droite.

SCÈNE XI.
Vincent, Marie, en habits de noce.

DUO.

Plus de tristesse, plus d'alarmes :

150   Pour nous quel moment enchanteur !

Joséphine a séché nos larmes ;

Elle assure notre bonheur.

MARIE.

Prions pour notre bienfaitrice :

Le ciel doit combler tous ses voeux.

VINCENT.

155   Où trouver une impératrice :

Qui fass' comme elle des heureux ?

Ma p'tit'Marie...

MARIE.

Mon p'tit Vincent...

ENSEMBLE.

Plus de tristesse, plus d'alarmes ;

160   Pour nous quel moment enchanteur !

Joséphine a séché nos larmes ;

Elle assure notre bonheur.

MARIE.

Déjà tout le monde s'apprête

À sauter, danser à la fête.

VINCENT.

165   Il me semble qu'j'y suis déjà.

MARIE.

Pour nous fair' danser en mesure,

Nous aurons, à ce qu'on assure,

Les ménétriers d'l'Opéra.

VINCENT.

Ensuite on dit, ma p'tit'Marie,

170   Qu'on dresse pour nos paysans

Une table fort bien servie,

Avec beaucoup d'rafraichiss'mens ;

Et, sans craindre aucun préjudice

Pour nos arbres, nos espaliers,

175   On fera partir l'artifice

Qu'on attache aux grands marronniers.

Il cherche à imiter le bruit de l'artifice.

Pan, pan, pan, pan !

Ça sera charmant.

ENSEMBLE.

Pan, pan, pan, pan!

180   Ça sera charmant.

Plus de tristesse, plus d'alarmes ;

Pour nous quel moment, etc.

MARIE.

As-tu remarqué comme notre bonne maîtresse était contente en nous annonçant la réconciLiation de tes parents ?

VINCENT.

On aurait dit qu'il s'agissait de son bonheur.

MARIE.

Ah ! Mon Dieu, Vincent ! N'entends-tu pas ?...

VINCENT.

Quoi donc ?

MARIE.

On fait du bruit chez l'Impératrice.

VINCENT, allant voir.

Justement la voilà qui vient de ce côté... Comme elle a l'air triste !... Est-ce qu'il lui serait arrivé quelque chose ?

MARIE.

Retirons nous, mon ami, ce n'est pas le moment de nous montrer.

Ils s'éloignent doucement. Josephine sort de son appartement, ta pâleur sur le visage ses traits sont avères, son coeur bat avec force, elle a les yeux baignés de larmes. Vincent et Marie se retirent et fermant les portes du fond.

SCENE XM.

JOSÉPHINE, seule.

Après un silence.

Je sais tout... Mon fils m'a tout appris. Malheureuse épouse !

Nouveau silence.

L'ai-je bien entendu ?... Dix ans de bonheur n'auraient été qu'une illusion... Je serais condamnée à vivre loin de lui... Je me verrais abandonnée... Non cela n'est pas possible...

Elle tombe dans un fauteuil.

Le voilà donc ce grand acte de famille que le bonheur et la gloire de la France exigent !... Aurais-je pu croire, en lisant sa lettre, qu'il me faudrait quitter ce trône où j'espérais que mon Eugène... Ah ! Puisse-t-il ne regretter jamais de m'en avoir fait descendre.

Elle se lève.

RÉCITATIF.

Affreuse destinée ! À peine je respire ;

Mon coeur est accablé de douleur et d'effroi ;

185   Je perds tout en un jour, gloire, bonheur, Empire,

Et te repos a fui pour toujours loin de moi !

AIR.

Ô toi pour qui je donnerais ma vie,

Toi que mes voeux appelaient chaque jour,

C'est pour briser le serment qui nous lie

190   Que tu m'annonces ton retour.

     

Quand tu conduisis la victoire

Et qu'elle admirait tes progrès,

Mon coeur était tout entier à ta gloire,

Et je comptais mes jours par tes succès.

     

195   Pour récompenser ma tendresse,

Si je voyais un riant avenir,

Je t'ai perdu mon époux me délaisse,

Ah ! Plutôt mille fois mourir !...

     

Ô toi pour qui je donnerais ma vie,

200   Toi que mes voeux appellent chaque jour,

C'est pour briser le serment qui nous lie

Que tu m'annonces ton retour.

     

SCENE XIII.
Joséphine, La comtesse.

LA COMTESSE.

Madame, le mamelouk de l'Empereur entre à l'instant palais ; au il vient d'annoncer l'arrivée de Sa Majesté à votre premier chambellan ; tous vos serviteurs sont dans l'allégresse la plus vive... Mais que vois-je ? Quelle pâleur !... Quelle agitation !...

À part.

Quel est donc ce mystère ?

Haut.

Ah Joséphine ! Ma souveraine ! Ma noble amie !

JOSÉPHINE, avec délire.

Oui, ton amie. ton amie bien malheureuse !...

Elle verse des larmes.

LA COMTESSE.

Que voulez-vous dire ?

JOSÉPHINE.

Pus tard, dans un moment tu sauras tout... Fais venir ce mamelouk... Oui, je veux savoir... J'ai besoin de lui parler...

La comtesse s'éloigne en donnant des marques d'une vive inquiétude ; elle ouvre le porte du fond, Rustan entre, il s'approche de l'Impératrice, sans qu'elle s'aperçoive de son arrivée.

SCENE XIV.
Joséphine, La Comtesse, Rustan.

Le mameluck se place à quelques pas de l'impératrice. Il reste droit, les yeux fixes, regardant le public.

JOSÉPHINE, sortant de son abattement.

C'est vous, Rustan... Et l'Empereur ?

RUSTAN.

Il m'a donné l'ordre de le devancer et d'annoncer au chambellan de Votre Majesté sa prochaine arrivée ; il reçoit en ce moment les félicitations des grands corps de l'Etat qui se sont portés à sa rencontre.

JOSÉPHINE, à part.

Pour la première fois je tremble son approche.

Haut.

Tant de fatigues, cette longue route n'ont point altéré sa santé ?

RUSTAN.

Non, Madame, jamais la santé de mon auguste maître ne fut plus parfaite... Cependant je ne dois rien vous cacher, je ne sais quelles inquiétudes l'assiègent...

JOSÉPHINE, à part.

Parlez...

RUSTAN.

Pendant toute la campagne il avait paru si satisfait.. Jamais un mot d'humeur... Son visage était radieux ! Je le vois encore sur le champ de bataille donnant le bâton de maréchal au brave commandant de l'armée d'Italie, au général MacDonald... Quel beau spectacle quand plus tard, devant les rangs de la vieille garde, il serra dans ses bras le prince Eugène et l'appela son fils... Son digne fils.

JOSÉPHINE, à part.

Son fils ! Son fils !...

RUSTAN.

Mais depuis notre départ de Vienne, quel changement !... Il veut être souvent seul, il se parle à lui-même... Cent fois je l'ai entendu répéter votre nom.

JOSÉPHINE, à part, avec une sorte de délire.

Mon nom ! Il pense encore moi ! Il ne m'a donc pas entièrement bannie de son coeur ; ah ! Je suis moins malheureuse !...

Un sourire semble naître à l'instant sur ses lèvres.

On entend en dehors des vivat multpliés.

Vive l'Empereur !

Musique.

JOSÉPHINE.

C'est lui !... Les forces m'abandonnent !...

Les cris redoublent en dehors, les tambours battent, une foule de généraux et d'officiers d'état major paraissent au fond et se placent vis-à-vis les portes vitrées.

SCÈNE XV.
Les précédents, L'Empereur, paraissant subitement, Le Prince Eugène, quelques instants après lui ; La Comtesse et le Mamelouk restent au fond à gauche.

L'EMPEREUR, s'avançant avec rapidité vers Joséphine.

Joséphine !...

JOSÉPHINE.

Permettez-moi, Sire, de vous feliciter du succès de vos armes, de la paix glorieuse que vous venez d'obtenir, et de l'alliance qui doit à jamais....

L'EMPEREUR, l'arrêtant.

Ah ! Joséphine ! Vous savez...

JOSÉPHINE, avec contrainte.

Oui, je sais tout, je me résigne au plus grand sanriBce que l'on puisse exiger de moi.

Avec des sanglots.

Ah ! Je suis la plus malheureuse de toutes les femmes !

Elle tombe a ses pieds.

L'EMPEREUR, avec une grande affection.

Mon amie, l'épouse de mon choix, relève-toi !... Si tu savais combien un pareil acte coûte a mon coeur, si tu savais que de combats intérieurs j'ai en soutenir... Pourquoi faut-il que le bonheur de la France...

LE CHOEUR, en dehors.

Chantons sa gloire immortelle ;

Nous lui devons tous nos succès ;

205   À la victoire il est fidèle :

Chez l'étranger il a signé la paix !

L'EMPEREUR.

Que ces chants d'allégresse déchirent mon âme !... Je vais me rendre à Paris ; j'ai besoin de vous y voir avec moi.... Joséphine, la cour doit encore ignorer...

JOSÉPHINE.

Je suis prête a tous les sacrifices.

Eugène s'avance avec attendrissement ; La Comtesse se place derrière l'impératrice.

L'EMPEREUR.

Venez, Eugène... Mon fils... Oui, toujours mon fils !

Montrant Joséphine qui tombe une seconde fois à ses pieds.

Quel trésor je vais perdre !

REPRISE DU CHOEUR en dehors.

Chantons sa gloire immortelle

Nous lui devons tous nos succès !

À la victoire il est fidèle ;

210   Chez l'étranger il a signé la paix.

 



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