FARCE NOUVELLE FORT JOYEUSE DU PONT AUX ÂNES
À quatre personnages,c'est à savoir
Texte établi par Paul FIEVRE juin 2016,, corrigé novembre 2016.
Publié par Paul FIEVRE, novembre 2016.
© Théâtre classique - Version du texte du 31/07/2023 à 20:01:02.
ACTEURS
LE MARI.
SA FEMME.
MESSIRE DOMINE DE.
LE BÛCHERON.
Tiré de "Ancien théâtre français ou Collection des ouvrages dramatiques les plus remarquables depuis les mystères jusqu'à Corneille" par M. VIOLLET LE DUC, Paris, 1854, Tome II. pp 35-49.
SCÈNE I.
Le Mari, La Femme.
LE MARI, commence.
Où êtes-vous, haï, dame Niche ?
Si vous fussiez gente et faictice,
Il fut bien temps que je dînisse.
LA FEMME.
Votre ménage est si très misse
5 | Qu'il n'y a céans pain ni miche, |
Et de quoi faire soupe grasse.
LE MARI.
Saint Jean, si a, c'est votre grâce.
Devant que a ma journée allasse,
J'ai trouvé des pois là-dedans.
LA FEMME.
10 | Mais des fèves. |
LE MARI.
Tant d'incidents |
Ma femme, vous m'êtes trop fine.
LA FEMME.
N'en parlons plus, je vous entends ;
Ils sont tous prêts à la cuisine.
LE MARI.
Et à quoi tient-il qu'on ne dîne ?
LA FEMME.
15 | Allez faire bouillir le pot. |
LE MARI.
Dia, c'est office de machine.
LA FEMME.
Dia, c'est office de varlet. [ 1 Varlet : Il s'est dit, dans les temps de l'ancienne chevalerie, à peu près comme se dit page aujourd'hui. [L]]
LE MARI.
Si servirez-vous.
LA FEMME.
Si me plaît.
LE MARI.
Veuillez ou non, vous servirez.
LA FEMME.
20 | Ce sera donc un vif esplaict, |
Que je serve et vous vous servez.
LE MARI.
C'est la raison, tant que vivrez,
Que de nous vous portez la peine.
Aussi en ce point le ferez,
25 | Ou bien battue vous serez. |
LA FEMME.
Je ferai, ta fièvre quartaine. [ 2 Fièvre quartaine : Fièvre quarte ; Fièvre qui ne vient ue le quatrième jour, et qui laisse deux jours de repos. [F]]
LE MARI.
Femmes doivent couvrir la table,
Mettre dessus linge honorable
Aux gens de bien, s'on les amène,
30 | Montrer un semblant aimable |
Et faire chère convenable.
LA FEMME.
Et ils font, ta fièvre quartaine.
LE MARI.
Femmes doivent pour leur honneur
Tenir leurs barons en douceur,
35 | Et faire loyauté certaine |
Et, si leur font quelque rigueur,
Ils prennent le diable à seigneur.
LA FEMME.
Et ils font, ta fièvre quartaine.
Méchant, malheureux, tel est-il.
LE MARI.
40 | Aussi vrai comme l'Évangille, |
Et qu'alouettes sont grenouilles,
Il est, au livre des quenouilles,
Recité en catholicon... [ 3 Catholicon : Terme de pharmacie. Électuaire de séné et de rhubarbe qu'on croyait propre à toutes sortes de maladies. [Mais aussi] Verbiage, salmigondis. [L]]
LA FEMME.
Et quoi ?
LE MARI.
Qu'il faut que nous vainquons
45 | Et que les hommes soient les maîtres. |
LA FEMME.
La croix bieu, si je tiens les lettres,
Ils seront en aussi mal an
Entrez que le cul quoniam [ 4 Quaniam : sexe féminin. (Dic. Moyen Français)]
Qu'on reforma derrainement. [ 5 Derrainement : dernièrement.]
50 | Somme, dessus l'appointement, |
Je mets une opposition.
LE MARI.
C'est un arrêt de parlement ;
Il va sans appellation.
Il faut que nous seigneurions.
55 | Droit le veut et force l'emporte. |
LA FEMME.
Et est-ce ton opinion ?
Me veux-tu punir de tel sorte ?
Ce sera quand je serai morte
Doncques que je t'obéirai
60 | Car tant que l'âme du corps me parte, |
Un pas pour toi ne passerai.
LE MARI.
Si obéiras-tu.
LA FEMME.
Non ferai.
LE MARI.
Si feras.
LA FEMME.
Je fais voeu à Dieu ;
J'aurais plus cher te voir du feu
65 | Brûler au marché de la ville. |
LE MARI.
Si obéiras-tu.
LA FEMME.
Se je file.
LE MARI.
Tu obéiras.
LA FEMME.
Demain, demain,
On obéira à ce vilain,
Qui est plus ivre que un *****braquet.
LE MARI.
70 | Tire du vin. |
LA FEMME.
C'est tout acquêt. [ 6 Acquêt : Terme de jurisprudence. Chose acquise par donation ou testament. ] |
LE MARI.
Saque le pot. [ 7 Saquer : Tirer.]
LA FEMME.
Ils sont tout cuits.
LE MARI.
Dînerai-je point ?
LA FEMME.
À l'autre huis [ 8 Huis : Terme vieilli qui signifie porte. [L]]
Frappe tes varlets par les fesses.
LE MARI.
Sang bieu, se sont droites diablesses
75 | Que femmes qu'ils ont aheurtées. |
Cha, des fèves.
LA FEMME.
Ils sont mangées.
LE MARI.
Cha donc, des pois.
LA FEMME.
Ils sont en cosse.
C'était pour une femme grosse,
De pour qu'elle ne perdit son fruit.
LE MARI.
80 | Et mon Dieu, je suis bien détruit, |
Bien peneux, bien tablativé.
Or dit un proverbe approuvé
Que besoin fait la vieille trotter.
Je n'y vois plus du cul frotter
85 | Car je suis au bout de mon sens. |
Aurai-je des pois ?
LA FEMME.
Ha sont binés. [ 9 vers 86 on lit "baynes" en fin de vers. On préfère le verbe biner.]
Il ne les faut qu'empotager.
LE MARI.
Il me cuide faire enrager.
Par mon serment, si Dieu ne m'aide,
90 | Ha, vraiment, j'y mettrai remède, |
Devant qu'il soit trois jours d'ici.
LA FEMME.
Je ne te crains.
LE MARI.
Ni moi aussi
Non plus qu'un enfant de dix ans.
LA FEMME.
Si tu me veux rien, me voici ;
95 | Je ne te crains. |
LE MARI.
Ni moi aussi. |
Si ne dut-on pas faire ainsi.
LA FEMME.
Somme, pour tous les médisants
Je ne te crains.
LE MARI.
Ni moi aussi,
Non plus qu'un enfant de dix Saintes ans.
100 | Sang bieu, quels mots cuisants, |
Quel double mors, quel tronche-file ;
Elle dévide plus qu'elle ne file
De babil sans comparaison.
Bien, bien, j'en dirai la raison
105 | Se je parviens à mon entente. |
SCÈNE II.
Messire Domine De, Le Mari.
MESSIRE DOMINE DE.
Jo so la persona prudente
Acouchat à notre amante
Fresto jam de tantI quante
In amoriante vallente.
LE MARI.
110 | Je vois, au long de cette sente, [ 10 Sente : sentier, chemin, voie.] |
Un homme très bien appointé.
MESSIRE DOMINE DE.
Jo so la persona prudente
Acouchat à notre amante
Fresto jam de tanti quante
115 | In amoriante vallente. |
LE MARI.
Si Dieu me le devait de rente,
Ou qu'il eut forme de soleil,
Pour me donner quelque conseil
Il me servira à ma guise.
MESSIRE DOMINE DE.
120 | Ve qui a donc malle prisse, |
Que homo per mo je reprisse
Comme lo parfait amante
Debet servir ; en sa devise
Dio lo commande et l'Eglise.
LE MARI.
125 | C'est messire Domine de. |
MESSIRE DOMINE DE.
Si queré juga de mestrisse,
La dosne debet estre prinse
De lui proximi parente,
Et s'elle no sa couta ne misse
130 | Comme servante s'y amisse. |
LE MARI.
C'est messire Domine de.
MESSIRE DOMINE DE.
Per scientia tant esquisse
De longtemps a me contisse
Jo so mestro cognossente ;
135 | De Calabriafina puisse |
Tout y segreite sy de vist.
LE MARI.
C'est messire Domine de.
Ah, Seigneur, le bien abordé,
Le bien venant en cette terre,
140 | Par amour je vous viens requerre |
De conseil, sans aller plus loin.
MESSIRE DOMINE DE.
Emin, te clames-tu ?
LE MARI.
Besoin.
MESSIRE DOMINE DE.
Besoin, a la veritat,
C'est verbo de necessitat.
145 | Ot, fradel, dis qui te mène. |
LE MARI.
Helas, Monsieur, pour votre peine,
Je suis bien content qu'il me coûte
Écu par dessus le coûte,
Puis qu'il faut jouer d'être mie.
MESSIRE DOMINE DE.
150 | Ot, fradel, favelle mie, |
Et jo te ferai la raison.
LE MARI.
Hélas c'est à notre maison
Un diable, monsieur, un diable ;
Par ma foi, il est véritable
155 | Je suis mort si n'est conjuré. |
[C'est ma femme elle a juré]
L'ennemi, le pape et le roi.
Qu'elle ne fera jamais pour moi
Un pas, quelque petit qui soit,
160 | Et que je serve tort ou droit, |
Et que je batte et que je vanne. [ 11 Battre et vanner sont des activités agricoles.]
MESSIRE DOMINE DE.
Vade, tenez le pont aux ânes.
LE MARI.
Dia, monsieur, il y a bien pis.
Il me faut tirer l'eau au puits,
165 | S'on veut mettre le pot au feu. |
Chacun mot elle désavoue Dieu
Qu'elle ne fera ne lit ni couche,
Et faut qu'en dépit de ma bouche
Que je fasses les fèves baynes.
MESSIRE DOMINE DE.
170 | Vade, tenez le pont aux ânes. |
LE MARI.
Le diable m'emporte, monsieur,
S'elle (ne) me porte nom plus d'honneur
Qu'elle ferait à notre chien.
Mais pourtant je ne vous dis rien
175 | Je vous requiers bouche cousue |
Il n'est chose qui ne soit sue
Elle est plus tristesse que ganes.
MESSIRE DOMINE DE.
Vade, tenez le pont aux ânes.
Et va[de] le mode de faire.
LE MARI.
180 | Ce sont motS maudits ou profanes. |
MESSIRE DOMINE DE.
Vade, tenez le pont aux ânes.
LE MARI.
Voir les faucons voler les canes,
Dessus la rivière de laire.
MESSIRE DOMINE DE.
Vade, tenez le pont aux ânes,
185 | Et vade le monde de faire. |
LE MARI.
Et bien doncq, pour vous complaire,
J'irai voir que ces ânes font,
Et c'on leur fait dessus ce pont.
Et puis je vous dirai, beau sire.
MESSIRE DOMINE DE.
190 | Basta tant qui debet suffire. |
SCÈNE III.
Le Bûcheron, Le Mari.
LE BÛCHERON.
Sus, Nolly, sus, tire avant, tire. [ 13 Nolly a l'air d'être le nim de l'âne.] [ 12 Le nom du personnage est graphié LE BOSCHERON.]
Hury, ho ! Le diable y ait part,
Tant tu me donnes de martyre ;
Sus, Nolly, sus, tire avant, tire.
LE MARI.
195 | Voici ce que mon coeur désire |
Il me faut tirer cette part.
LE BÛCHERON.
Sus, Nolly, [sus] tire avant, tire,
Hury, ho ! Le diable y ait part,
Et da, hai, que de malle hart, [ 14 Hart : Grosse branche.]
200 | Ou des loups soies-tu étranglée ; |
Sus, Nolly, [sus] tire avant, tire.
LE MARI.
Elle ne marchera plus avant.
LE BÛCHERON.
Et sus, Nolly, [tire avant] tire.
LE MARI.
Midieux, son âne est arrêtée.
LE BÛCHERON.
205 | Et da, hai, que la clavelée [ 15 Clevelée : Terme de vétérinaire. Maladie éruptive et contagieuse propre aux bêtes à laine, et qui paraît avoir beaucoup d'analogie avec la petite vérole.] |
Vous puis serrer le musel. [ 16 Musel : museau.]
Agarez, le chemin est bel. [ 17 Agarer : regarder.]
Et si ne marchera jà pas.
LE MARI.
Le bon vieil âne craint les bats,
210 | Tout ainsi que fait notre femme. |
LE BÛCHERON.
Et da, hai, de par Notre Dame,
Sus, Nolly, si te merray paître.
LE MARI.
Elle ne fait non plus pour son maître.
Que ma femme ferait pour moi.
LE BÛCHERON.
Il frappe.
215 | Et hai, de par le diable, hai ! |
Tout aussi bien vous irez.
Puisque j'ai ce bâton de houx,
Je vous frotterai les côtés
Trottez, Nolly, trottez, trottez;
220 | Vous avez trouvé votre maître. |
LE MARI.
Vertu bieu, comme vous frottez.
LE BÛCHERON.
Trottez, Nolly, trottez, trottez.
Gens mariés, notez, notez
Tout s'explique en cette lettre.
225 | Trottez, Nolly, trottez, trottez ; |
Vous avez trouvé votre maître.
LE MARI.
Et ne faut-il que bois de hêtre
Pour frotter les côtés (de) sa femme ?
Ha, par le saint jour Dieu, no dame,
230 | Vous vous sentirez de la fête. |
Par mon serment, je suis bien bête
Voilà le propre enseignement,
Et j'ai bien pou d'entendement,
Dont le sage homme me parla,
235 | Ho, saint Jourd'hui, est-ce cela? |
J'en aurai tantôt la raison.
Ça, ça, qui est en ma maison?
Que je soie servi à souper.
SCÈNE IV.
La Femme, Le Mari.
LA FEMME.
Et qui vous a fait tant truper ; [ 18 Truper : mot inconnu. Supposé traîner.]
240 | Méchant, les fèves étaient baynes. |
LE MARI.
Dia, j'ai été aux pont aux ânes,
Où j'ai appris un tour de maître.
Sus, tôt, qu'on vous voie entremettre
De me servir à l'oeil et au doigt.
245 | Dépêchez-vous. |
LA FEMME.
Pour qui ? Pour toi, |
Méchant vilain ? Le dos, le dos.
LE MARI.
Qu'on ne m'use plus de tels mots
Si hardi.
LA FEMME.
Pour qui, notre maître ?
LE MARI.
Sus, sus, au vin ; rincez les pots
250 | Mettez la table sur le traître. |
LA FEMME.
Par le vrai Dieu qui me fit naître,
Je mourrais plus tôt. Quel propos ?
LE MARI.
Qu'on ne me use plus de tels mots
Si hardi.
LA FEMME.
Pour qui, notre maître ?
LE MARI.
255 | Et pour ce gros bâton de hêtre |
Dont je vous casserai les os.
LA FEMME.
Hélas hélas ! Les reins, le dos
Au meurtre sur ce traître Ganes
LE MARI.
Dia, j'ai été au pont aux ânes;
260 | Je sais comme il faut les conduire. |
LA FEMME.
Hélas je suis morte, Johannes.
LE MARI.
Dia, j'ai été au pont aux ânes.
Ferez-vous point les fèves baines ?
Hen, quoi, ferez-vous le pot cuire ?
265 | Dia, j'ai été au pont aux ânes. |
Je sais comme il les faut conduire.
LA FEMME.
Hélas ! Besoin, je les vois frire,
Et si (je) vois allumer le feu.
Pardonnez-moi, au nom de Dieu,
270 | Et je ferai vos volontés. |
LE MARI.
Trottez, vieille, trottez, trottez,
Et servez quand il est besoin.
LA FEMME.
Hélas ! Épargnez mes côtés.
LE MARI.
Trottez, vieille, trottez, trottez.
LA FEMME.
275 | Vos chausses seront décrottés |
Et si vous chaufferai le bain.
LE MARI.
Trottez, vieille, trottez,
Et trottez, servez quant il est besoin.
LA FEMME.
Nobles dames qui avez soin,
280 | Vous pouvez par ceci noter, |
Le pont aux ânes est témoin :
Besoin fait la vieille trotter.
LE MARI.
Adieu, Seigneurs, et près et loin,
Qu'il vous a pieu nous écouter.
285 | Le pont aux ânes est témoin : |
Besoin fait la vieille trotter.
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Notes
[1] Varlet : Il s'est dit, dans les temps de l'ancienne chevalerie, à peu près comme se dit page aujourd'hui. [L]
[2] Fièvre quartaine : Fièvre quarte ; Fièvre qui ne vient ue le quatrième jour, et qui laisse deux jours de repos. [F]
[3] Catholicon : Terme de pharmacie. Électuaire de séné et de rhubarbe qu'on croyait propre à toutes sortes de maladies. [Mais aussi] Verbiage, salmigondis. [L]
[4] Quaniam : sexe féminin. (Dic. Moyen Français)
[5] Derrainement : dernièrement.
[6] Acquêt : Terme de jurisprudence. Chose acquise par donation ou testament.
[7] Saquer : Tirer.
[8] Huis : Terme vieilli qui signifie porte. [L]
[9] vers 86 on lit "baynes" en fin de vers. On préfère le verbe biner.
[10] Sente : sentier, chemin, voie.
[11] Battre et vanner sont des activités agricoles.
[12] Le nom du personnage est graphié LE BOSCHERON.
[13] Nolly a l'air d'être le nim de l'âne.
[14] Hart : Grosse branche.
[15] Clevelée : Terme de vétérinaire. Maladie éruptive et contagieuse propre aux bêtes à laine, et qui paraît avoir beaucoup d'analogie avec la petite vérole.
[16] Musel : museau.
[17] Agarer : regarder.
[18] Truper : mot inconnu. Supposé traîner.