LE MARQUIS ERNEST

SAYNÈTE

1882. Tous droits réservés.

par M. DEPRET

PARIS, PAUL OLLENDORFF, ÉDITEUR, 28 bis, RUE DE RICHELIEU.

F. AUREAU - Imprimerie Lagny.


Texte établi par Paul FIEVRE, mars 2023.

Publié par Paul FIEVRE, mai 2024.

© Théâtre classique - Version du texte du 30/04/2024 à 20:06:12.


PERSONNAGES

LE MARQUIS ERNEST, 23 ans.

HECTOR, son valet de chammbre (même âge).

Tiré de "Théâtre de Campagne. Huitième série". 1882. pp 159-176.


LE MARQUIS ERNEST

Le théâtre représente l'antichambre d'un riche appartement. Au lever du rideau, Hector assis sur une banquette de velours, près de la porte de l'appartement, observe avec une irritation croissante la sonnette qui tinte presque sans discontinuiter.

SCÈNE I.

HECTOR, seul.

Quand cela finira-t-il ?... C'est insensé !... Et voilà la musique à laquelle je suis condamné depuis une heure. moi... moi... qui raffole des maîtres nouveaux, et qui ai la tête encore toute vibrante de fraîches mélodies :

Il chante.

Hé ! Bonjour, monsieur le mari...

Qu'avez-vous fait de votre femme ?...

Il esquisse la reste de l'air.

En dépit des cabales, le monsieur qui a fait cette chose-là, a vraiment une lyre... comme disait ce reporter qui m'a été présenté l'autre jour au bal des gens de maison.

On sonne.

Ernest est fou, et pas d'aujourd'hui, exemple...

On sonne lentement et longuement.

Je continue, exemple : lorsqu'on voit, réunis sous ses yeux, sur une table ronde en chêne sculpté... à soi, tous les éléments d'un dîner respectable, sans parler de l'île Bourbon, des Brevas, du Kumel, mes seuls amis à moi.

Un seul coup de pied impérieux et sec.

Ah ! Mais... Ah ! Mais ! Je continue : quand on a toutes ces choses à portée de la main, c'est l'usage des vrais gens du monde de se livrer alors aux enlacements du bien-être, et d'envisager l'oeuvre du créateur à travers toutes, sortes de couleurs ravissantes. Est-ce le cas d'Ernest ? - Ah bien oui ! Mais j'oublie... que j'ai oublié de camper mon bonhomme, comme disait ce sculpteur qui m'a été présenté l'autre jour à notre bal. Qu'est-ce qu'Ernest ? Eh bien, il y en a qui diraient qu'Ernest est mon maître. Va pour mon maître, puisque c'est ainsi que cela se prononce. Et pourquoi, mon maître, s'il vous plaît ? Tout uniment, parce que lorsqu'il est là, je dois l'appeler monsieur. Mais ne vois-tu donc pas, vieille folle de société, qu'il s'agit ici d'une simple convention commerciale ? Ernest, mon semblable... moins la tournure, moins je le ne sais quoi, est un homme qui se trouve avoir trop d'argent de poche. De cet argent de poche, il me cède une partie, afin que je l'appelle monsieur. Je suis l'offre, il est la consommation. Lorsqu'il ne consomme pas, j'arrête son compte, il redevient Ernest, plus de consommation. Je ne vois pas du tout pourquoi je lui ferais des cadeaux... surtout en son absence. Nous disions donc qu'Ernest n'a pas d'estomac, il la fait à l'eau de Vals, il mange ridiculement, sans esprit, sans distinction, sans soupçonner qu'un autre homme, son égal, a affirmé du génie dans ce salmis de bécasses.

Poétiquement.

Naguères, ces mêmes bécasses, ce n'était qu'un objet désagréable à l'oeil que le plomb du chasseur venait d'abattre sanglant... sur la grève.

Tintement traînant de la sonnette.

As-tu fini ! ? Je continue : à présent, c'est joyeux, c'est parfumé... c'est parisien. Eh bien, Ernest n'en fait aucun état, pour parler comme ce normalien qui a demandé à m'être présenté à notre bal. C'est l'homme des oeufs à la coque, de la côtelette, le vieux jeu, quoi ! Mais tout cela ne me dit pas pourquoi cette vie de rat de bibliothèque, ces airs cachés, et depuis trois mois environ cette tenue de bal à l'heure du dîner, et ces aventures mystérieuses ? Mon Dieu, que cet homme a donc de la province en lui ! Je ne lui connais pas de dettes, ce qui n'est pas pour le flatter... mais enfin il y a quelque chose, quelque chose de nouveau, cela est certain, quelque chose qui ne ressemble pas aux vieilles médailles, aux vieilles assiettes qui ont seules jusqu'à présent occupé son coeur. Mais quoi ? ? Hier il dînait en ville, naturellement chez des Pot-au-feu. Ce gaillard-là n'a rien à voir avec le Grand-seize, je vous en réponds... ni même avec le petit.

Il rit avec affectation.

Tenez, voilà de ces mots comme il n'en trouvera jamais, lui. J'ai supposé que l'on chanterait au dessert, et que cela finirait par un joli loto. Aussi, me la suis-je brisée, et à minuit et cinq minutes, je savourais un puros devant la Maison-Dorée, après avoir assisté à la première des Variétés. J'ai retrouvé là tout mon monde ; c'est bon de se sentir les coudes. J'avais au dernier moment trouvé un excellent coin... adossé contre les baignoires de face. Il m'en a même coûté un chapeau, à la suite de circonstances... mais passons. En rentrant, je fus mandé par Ernest, rentré lui-même avant moi. Je pus craindre un instant qu'il serait colère, de mauvais goût, qu'il me dirait de ces mots... je le trouvai au contraire assez agité et l'air malheureux. - Mon cher Hector, me dit-il, demain de grand matin, et peut-être avant, une personne brune viendra carillonner ici.

Mimant la scène.

Moi - Une femme !! - Ernest

Avec embarras.

Une femme... peut-être. - Moi. - Une femme !!! - Ernest. - Tu ne lui ouvriras sous aucune espèce de prétexte.

On sonne.

C'est ça... c'est bien ça... je continue. À cette prière stupide, j'opposai une objection pleine de sens : - Et, si je n'ouvre pas, comment saurais-je que c'est la petite dame brune ? - C'est très juste, mon excellent Hector, comme toujours c'est toi qui es dans le vrai ; Eh bien alors n'ouvre à personne, laisse le monde entier sonner ! »

Sonnerie répétée.

Et le monde entier, comme vous voyez, a l'air de profiter de la permission. Cependant, je languis à sentir de si près l'odeur d'un bon gros secret, sans y pouvoir donner un coup de dent. Et dire que derrière cette porte, derrière cette misérable planche de bois, palpite un être gracieux, sensitif... une femme.

On sonne, il se rapproche de la porte.

Hum ! La fine odeur ! On n'aurait qu'à faire comme cela cric ! crac ! Et l'on serait en face de son idéal.

S'adressant et la sonnette qui recommence.

Tu sais... toi... ne me tente pas.

Collant son oreille à la porte.

Raisonnons ; peut-être je me suis privé jusqu'à présent d'ouvrir, par le fait d'une ridicule condescendance envers Ernest, qui doit être occupé maintenant avec ses gravures, ses cuivres, et ne pense plus à ce qu'il m'a dit hier au soir, car il n'a pas beaucoup de suite dans les idées cet être-là, mais il est si plein d'égards pour moi !

Il va s'assurer du côté des appartements.

Tout est bien par ici, mon coeur tais-toi ! Allons, un bon mouvement ! cric ! crac ! Voilà qui est dit.

Il ouvre la porte et recule terrifié.

C'était monsieur !!!

Le marquis caché derrière la porte, entre furieux.

SCÈNE II.
Hector, Ernest, tenant Hector a coUet.

ERNEST.

Paillasse !

HECTOR, se dégageant.

Monsieur !

À part.

Dame, à présent il paye.

ERNEST.

Va-nu-pieds ! Fainéant ! Mouchard ! Poseur !

HECTOR.

Monsieur le Marquis !

À part.

Je trouve même qu'il court après son argent.

ERNEST.

Ah ! Voilà comme tu me récompenses, drôle, de ne pas t'avoir jeté à la porte hier au soir, pour m'avoir fait attendre moi, ton maître. Eh, bien, à présent, je t'y flanque à la porte... j'en ai assez de toi, je te renvoie, je te chasse... tu vas me tourner les talons... d'ici une heure, il faut que tu sois parti. Hé quoi, faquin ! Tu m'entends dire que j'attache la plus grande importance à ce que cette porte reste close et le premier usage que tu fais de mon secret, c'est de tâcher de le violer. Eh bien, sache-le, misérable, il n'y a pas de secret... C'est une épreuve... C'est un piège que je t'ai tendu, parce que je me méfiais de toi... pas ça de secret, tu m'entends ; mais je voulais être fixé, j'ai pris par la porte de service... et j'ai sonné.

HECTOR.

Comment, tous ces coups-là... c'était monsieur...

ERNEST.

Ça ne te regarde pas !

HECTOR, avec noblesse.

Alors monsieur le marquis pourra témoigner que j'ai lutté.

Il sort.

ERNEST, le poursuivant de ce cri.

Pas de secret ! Pas de secret !

SCÈNE III.

LE MARQUIS ERNEST, accablé, tombe sur la banquette.

Il n'est plus là, je puis parler... Eh bien, si, il y a un secret, un vilain secret, et comme on dit, une méchante affaire. Dans ce temps-là, le marquis Ernest (c'est moi !) venait de s'éveiller comme à l'ordinaire, c'est-à-dire sur les neuf heures, et en regardant sur son journal le quantième du mois, il avait poussé un cri de surprise et presque d'horreur. Comment, lui, l'homme précis et ordonné entre tous, (oh oui! je suis précis et ordonné) avait-il pu commettre une aussi forte méprise ? Sachez donc, que par suite d'une faute de calcul très pardonnable quand on aime, ce n'était pas dix-huit jours, ainsi qu'il aimait à le croire, mais vingt qui le séparaient encore de son mariage avec sa cousine Yolande dont il était chéri, et qu'il adorait. Oh ! Oui, je l'aime bien, mon Yolande ! C'est à ta découverte funeste de ce vingtième jour que remonte le vilain secret, la fâcheuse affaire en question. Le marquis Ernest n'est pas un type. - Non, je ne suis pas un type. - Mais il est dans son espèce un homme assez rare, ayant la passion, la manie de l'ordre. Je suis le rangement, le classement, la méthode en personne. Mon bonheur, c'est que toute chose soit en sa place, que toute heure ait son emploi invariable. Depuis l'âge de dix-sept ans, je raffole des exemplaires rares, des Sèvres, des Saxe, des gravures, des vieux grès. Je passe ma vie à ranger, à déranger, à épousseter ces trésors. Je rumine comme une grosse affaire des chassé-croisé pour le lendemain : ces livres à la place de ces faïences, cette commode au lieu de ce bureau, voilà les événements de la vie du marquis Ernest. Oui voilà quels sont... hélas ! Quels étaient les événements de ma vie. D'ici vous voyez comme un pareil caractère est mal placé pour goûter l'abracadabrante fantaisie des Cora, des Blanche, des Bébé. Aussi demeure-t-il froid à ces noms illustres, j'allais dire à ces dates patriotiques. Il avait arrêté dose marier à vingt-huit ans... Oui, j'avais arrêté cela. Donc, à vingt-sept ans et neuf mois, je demandai et j'obtins la main de ma cousine au troisième degré, Yolande qui me chérit et que j'adore. Oh oui, j'adore mon Yolande! Le marquis Ernest, entra dès lors officiellement dans sa seconde manière. Sans négliger pour cela ses cuivres et ses porcelaines, il entra dans la phase des bouquets, des bijoux, des vers, des dîners chez les parents de la fiancée, lesquels habitent près de Chantilly ; de la sorte, mon intérieur n'est dérangé par aucune allée et venue, et mon valet de chambre lui-même ne sait rien de mes projets. Je gagnai ainsi deux mois et douze jours, du moins, je le croyais, et mon programme restait encore tracé pour dix-huit jours... pas une seconde pour l'imprévu formalités légales, visites, invitations, achats divers en vue d'un voyage... en Italie bien entendu... total dix-huit jours sec ! Tout allait si bien... trop bien ! Mais quel réveil, lorsque le marquis découvrit, se dressant de toute la hauteur de leurs quarante-huit bêtes d'heures, deux grands jours dont l'emploi non prévu restait en blanc. Soudain son désarroi fut traversé comme par un éclair. Il n'était pas de ces gens à qui, dans le malheur, il revient des airs de musique. Non, il était homme, vous le devinez, à recourir plutôt aux proverbes. Juste au moment où il allait saisir le proverbe consolateur, reçut la visite d'un sien parent, le comte Pierre, boulevardier à tous crins, un brave qui trouve qu'avec un bon cheval et un bon dîner, la vie est belle, et qui connaît... toutes les cocottes. Le comte Pierre que je n'avais pas vu depuis un an, vint à moi la main tendue : « Hé bien, l'on se marie, me dit-il... sans prévenir personne, et moi, ton cousin, je n'en saurais rien, si je n'étais aussi un peu cousin de la mariée, qui m'a prévenu, elle. Sans rancune, mes compliments. Et cela t'a pris tout de suite, comme cela, mon cher bric-à-brac, ma vieille potiche ! As-tu un peu vécu au moins ? Qu'est-ce que tu as fait de ta jeunesse, avant de l'enterrer pour toujours ? Raconte-moi cela, car tu sais, mon petit magot, mon précieux craquelé, je te le dis aussi sérieusement que la sagesse des nations cité-même il faut que jeunesse se passe ! - C'est cela ! C'est cela, même ! m'écriai-je en sautant au cou de mon ami Pierre. C'est cela même, tu as raison, j'ai trouvé. Eurêka, le proverbe est clair : il faut que jeunesse se passe, c'est la sagesse des nations qui l'affirme. Eh quoi, Monsieur le Marquis, les nations se sont cotisées pour être sages à votre profit... et vous n'en profiteriez pas ! » En effet, ne pas voir dans cette coïncidence des deux jours supplémentaires et du proverbe négligé, une invitation d'en haut, c'eût été par trop d'aveuglement. La volonté des puissances mystérieuses, me rappelait clairement un devoir presque sacré. Restait à définir les conditions dans lesquelles s'accomplirait ce devoir. Le comte Pierre qui devant l'explosion de ma joie m'avait cru un peu touché, entra bientôt dans mes vues et me fut du plus grand secours. Le comte Pierre, je l'ai dit est très lancé. Il me recommanda une divine personne, sympathique au club... pas un mot de plus. « Admirablement élevée par une tante idolâtre, la divine personne pouvait prétendre à tout, me dit le comte Pierre, lorsqu'elle fut lâchement... lâchée par un prince de la maison russe des Ober... off. » Ainsi me parla le comte Pierre, mon cousin. J'eus l'air, par politesse, de gober le prince Ober... off... mais dans le fond, comme je ne suis que méthodique, et pas imbécile, je trouvai cette arabesque oiseuse. Sur-le-champ, le comte Pierre me présenta. Une jeunesse qui a résolu de se passer en quarante-huit heures n'a pas de temps à gaspiller. Nous fûmes très vite d'accord avec la victime du prince Ober... off... Le comte Pierre, grand maître des cérémonies, décida que le jeune couple dÎnerait chez Bignon, et assisterait dans une baignoire, à la première des Variétés. Dans l'intervalle, le marquis Ernest, qui depuis son enfance n'avait pas connu une minute de vide à frotter ses médailles, à cataloguer ses dessins, s'ennuya monstrueusement auprès de la jolie brune dont les mille petites extravagances le révoltaient. Il se faisait à lui-même l'effet d'un civilisé jeté parmi les sauvages. Ce que c'est pourtant que l'idée, car il n'est rien de moins sauvage au monde que la divine personne. Ses prévenances les plus délicieuses tourmentaient le marquis. Il attendait, comme un supplicié, la fin de l'épreuve. Enfin sonna l'heure du dîner, puis celle du théâtre. Je trouvai bien que quarante louis pour des huîtres d'Ostende, des ortolans brûlés, des truffes gelées, une bouteille de Moët, et cette baignoire asphyxiante comme une étuve... C'était déjà assez joli... le prix d'un Delft doré ! Mais avec quelle joie il eût ajouté à sa mise quarante autres louis pour que sa compagne voulût bien se retirer doucement avant la sortie... au commencement du dernier acte par exemple. Quels voeux ardents. J'adressais au ciel, de me voir rendu à mes collections, à mon Yolande, guéri à jamais de ma foi aux proverbes... et des personnes sympathiques au club. À cette sueur froide qui me perle sur le front, je sens revivre toute la réalité du petit drame... Et ce n'est peut-être que le prologue ! Écoutez ! Écoutez ! L'ancien parterre, transformé en stalles d 'orchestre, apportait comme une houle de têtes dites humaines, jusqu'au bord de ces sombres nids qui seraient d'intolérables cachots, si l'entrée n'en coûtait à certains jours le prix d'un cheval anglais. Toutes ces cages sont bondées, excepté une seule, qui n'enferme que deux prisonniers. Le devant est occupé par une gentille dame pas trop ébouriffée, et au sourire inexplicable. Dans le fond de la baignoire, dont nul visiteur ne vient troubler le profond silence, est assis un jeune homme qui pourrait servir de modèle à un portrait définitif de celui qui voudrait bien s'en aller. Tapi au coin le plus obscur de sa geôle, il ne perd pas des yeux sa compagne. Cependant l'attitude de celle-ci n'offrait rien que de rassurant à l'oeil du plus inquiet. Elle s'occupait rêveusement à vider une boite d'oranges glacées. Voilà où en étaient les préoccupations du marquis attentif, et qui tout en se félicitant de trouver sa compagne si, raisonnable, s'étonnait de son air rêveur.

La petite boite d'oranges glacées m'avait d'abord fait trembler. Je voyais d'ici ma compagne grignotant pendant la musique, et le parterre furieux, de crier à la porte ! Et mon mariage devenu impossible après ce scandale public... Eh bien, rien de tout cela. - C'est incroyable... me disais-je... Elle est calme et même un peu triste... pauvre femme !!! Quel vide !!! Quel ennui parfois sous ces fronts couronnés de roses ! Qu'est-ce qui peut donc l'absorber ainsi ? »

N'y tenant plus, le Marquis émerge de son coin obscur, juste à temps pour jouir du spectacle de sa belle amie posant la dernière pierre, c'est-à-dire le dernier pépin d'orange à un gentil monument dont les assises n'étaient autres que le bord d'un chapeau ; ledit chapeau situé d'aplomb sur la tête d'un personnage gravement assis au parterre, un peu plus bas que la baignoire, et totalement invisible pour nous.

C'était pendant l'entracte. Des rires étouffés des baignoires voisines avaient éveillé en moi de vagues terreurs... mais jamais, jamais plus ridicule catastrophe ne s'était offerte à mon imagination. - Misérable me dis-je ! Voilà ce que me réservait son air songeur ! Dans trois minutes on va frapper le premier coup. Les musiciens rentrent déjà. Cet homme forcé de se découvrir, découvrira tout. Je ne crains pas les épées... mais Yolande perdue... un si bon mariage démoli... mon nom mêlé à cette farce grossière... Voilà ce qu'on appelle passer sa jeunesse !!! Non ! Non ! Foin de la fausse chevalerie ! Fuyons avant tout le tapage ; d'ailleurs je ne dois aucun ménagement à la créature qui m'expose ainsi. Là-dessus, j'ouvris d'un coup sec la porte de la baignoire. - Vous avez si chaud que cela, Marquis ? Oui, je m'en vais pour de bon. Libre à vous de m'imiter, mais tout de suite, ou pas du tout. Est-ce compris ? - Parfaitement ! Beau croisé, à votre aise... Vous voulez filer ; avant l'auteur ! L'auteur !!! De peur de me compromettre. Bon voyage. » Elle n'était pas autrement émue ; étrange créature ! Je sautai dans la première voiture, et je rentrai ici maudissant ma sotte complaisance pour tes proverbes. Et me voilà sous le coup d'une persécution de la dame, ou d'une visite de l'homme au chapeau, qui viendra, son couvre-chef avarié d'une main...

SCÈNE IV.

Sur les dernières paroles du marquis, HECTOR fait son entrée, juste dans l'attitude indiquée, brossant du coude son chapeau, dont il semble vouloir enlever une tache rebelle.

HECTOR.

Monsieur le Marquis pourra témoigner que j'ai lutté... Je lui donne ma parole que ce qui est arrivé, la porte ouverte, cric! crac ! ne serait pas arrivé, si je n'avais eu la tête encore toute pleine des émotions d'une première, une vraie première de Parisiens.

LE MARQUIS, intéressé malgré lui.

Une première... Où ? Quand cela ?...

HECTOR.

Oh ! Monsieur me fait poser... pardon... monsieur veut rire. Monsieur sait mieux que moi, ce que je veux dire avec cette première.

À part.

Je le flatte, je le traite comme un Parisien.

LE MARQUIS, embarrassé.

Ah ! Oui... Hier... Je crois avoir lu cela... dans mon journal... à l'Opéra-Comique ?

HECTOR, à part.

Paysan !

Haut.

Oui, Monsieur, c'est-à-dire pas loin de l'Opéra-Comique... aux Variétés.

LE MARQUIS, très inquiet.

Ah ! Vous allez là... Vous ! Eh ! Comment cela s'est-il passé, rien d'extraordinaire... pas d'accidents ?

HECTOR, à part.

Est-ce qu'il s'imagine que les omnibus circulent dans la salle ?

Haut.

Non, rien d'extraordinaire ; j'ai aperçu au départ... (puisque monsieur le Marquis m'interroge) son ami le comte Pierre qui avait au bras une jolie brune... et ils riaient... ils riaient !!!

LE MARQUIS.

Et voilà tout... Pas de dispute... Pas de bagarre ?

HECTOR, à part.

Ah çà, d'où vient-il ?

Haut.

Monsieur... nous étions là, en excellente compagnie.

LE MARQUIS, soulagé de ses craintes.

La salle était belle ?

HECTOR.

Oui... mais il se glisse de fiers... mal élevés partout. Voyez ce qu'ils ont fait de mon chapeau. Ils ont jeté dessus leurs pépins d'orange. Ah ! Si je savais qui !

LE MARQUIS, lui donnant un louis.

Tenez, allez acheter un autre chapeau, je vous pardonne pour cette fois.

HECTOR, à part.

Provincial, mais homme du monde.

LE MARQUIS, ravi.

Oh oui ! J'aime bien mon Yolande.

 



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