DE LA CAMPAGNE

CONVERSATION

I

M DCVIII.

AVEC PRIVILÈGE DU ROI.

PAR RENÉ BARY, Conseiller et Historiographe du Roi.

À PARIS, Chez CHARLES DE SERCY, au Palais, dans le Salle Dauphine, à la Bonne-Foi couronnée.


Texte établi par Paul FIÈVRE, octobre 2023

Publié par Paul FIEVRE, novembre 2023

© Théâtre classique - Version du texte du 31/12/2023 à 14:48:09.


ACTEUR.

POLYMONDE.

DORIMENE.

Texte extrait de "L'esprit de cour, ou Les conversations galantes, divisées en cent dialogues, dédiées au Roi.", René Bary, Paris : de C. de Sercy, 1662. pp 1-11.


DE LA CAMPAGNE

CONVERSATION.

Polymonde qui au retour d'un voyage paSSe chez une veuve très belle et très spirituelle, tâche de l'obliger de retourner à la Cour, et d'abandonner la campagne.

POLYMONDE.

Quoi que votre maison soit agréablement située ; croyez- moi, Madame, quittez la Campagne, la Cour s'aperçoit bien de votre absence.

DORIMENE.

On me blâmerait, si j'allais en un lieu où je ne paraîtrais point, et si je quittais un lieu où je parais ; si j'allais en un lieu où l'on est esclave de la dernière imitation, et si je quittais un lieu où je suis exempte de la dernière propreté.

POLYMONDE.

Je ne sais quelles délices vous prenez à voir des personnes malfaites, et à ouïr des discours mal polis. Il est vrai que des objets contraires il peut naître des effets semblables ; que comme les personnes sérieuses prennent plaisir à observer les délicatesses d'un courtisan, les personnes enjouées peuvent prendre plaisir à considérer les simplicités d'un rustique mais ce que devrait faire votre contentement passager, fait votre récréation continuelle ; et il semble même que la plus fine sottise vous divertisse davantage que la plus belle spiritualité.

DORIMENE.

Quoi que je fasse grand état des gens qui débitent de bonnes choses, je ne les recherche guère le me délasse avec les esprits médiocres, et je me fatigue avec les esprits relevés.

POLYMONDE.

Il n'y a point d'entretien qui soit capable de vous embarrasser ; votre esprit fait face de tous côtés, et comme tout est présent à votre pensée, tout est facile à votre expression.

DORIMENE.

Je ne m'aperçois point d'être l'original de la copie que vous faites.

POLYMONDE.

Si vous n'étiez pas un des plus beaux esprits de votre sexe, pourquoi notre Cour envierait-elle le bonheur de votre village ?

DORIMENE.

Je serais bien crédule, si je croyais que la Cour se ressouvint de moi : mais quand même je serais assurée d'y être attendue, mon voyage souffrirait des remises, et j'aurais de la peine à quitter mon champêtre.

POLYMONDE.

Hors la présence de votre aimable personne, qu'est-ce qu'il y a ici de fort considérable ?

DORIMENE.

Notre air n'est point infecté de la vapeur des boues ; les coteaux qui bornent notre vue, sont d'une raisonnable distance ; les fruits qui sont bons par excellence, courbent nos vergers : les eaux qui entretiennent comme en passant la fraîcheur de nos pâturages, murmurent en mille lieux ; les bêtes fauves qui semblent fo[u]rmiller, fournissent les plus grandes tables. Et comme dans les grandes chaleurs il resterait quelque chose à désirer, si nous n'avions des reposoirs gazonnés, et des parasols feuillus : la forêt qui est presque à nos portes, a des allées si couvertes et si obscures, qu'il n'y a point de jours, quelques brillants qu'ils soient, qui puissent percer leurs ténèbres. Enfin nous ne respirons ici que des odeurs suaves , nous n'entendons que des concerts naturels, nous ne passons que des nuits tranquilles.

POLYMONDE.

La peinture à mon avis est plus belle que la chose peinte.

DORIMENE.

Il ne suffit pas de vous avoir parlé du lieu, il est à propos de vous dire quelque chose des habitants. Le mensonge en nos quartiers est un vice dont on ne connaît point l'usage ; personne ne sait ce que c'est que de débusquer son compagnon. Le pauvre n'envie point le bonheur du riche ; chacun est content de sa fortune ; et comme si le Ciel avait réservé notre séjour pour le dernier séjour de l'innocence, l'on y remarque encore la simplicité des premiers siècles .

POLYMONDE.

Quelque supportable que sait votre campagne, elle n'a rien qui approche de l'agrément de votre visage ; Les roses de vos joues valent mieux que toutes les fleurs de vos prairies ; et en quelque endroit que vous puissiez être, votre miroir vous mettra toujours de plus belles choses en vue, que votre espèce de désert ne vous en saurait fournir.

DORIMENE.

Je ne sais plus comment il faut répondre à ces fleurettes.

POLYMONDE.

Mais encore quelle satisfaction y a-t-il dans un lieu où l'on ne voit que des eaux et des forêts, des bêtes et des paysans ; que des hommes sales et indoctes, rudes et stupides ; que des hommes qui n'ont jamais perdu de vue la pointe de leur clocher, qui n'ont jamais passé d'une poste les limites de leur pays, et qui n'étant informez des particularités de notre grande Ville que par des relations niaises et fantastiques, ne parlent du Louvre (comme dit un de nos auteurs ) que comme le vulgaire parle du Palais du Grand Mogor ; ne discourent des Tuileries que comme les casaniers discourent des promenoirs du Roi de Fée ; et ne s'entretiennent de l'air de la Cour, que comme les crédules s'entretiennent des façons de vivre des Rois de la Chine. Le Ciel qui a pris plaisir à vous former, ne vous a-t'il fait admirable , qu'afin que vous soyez rustique ? N'avez-vous de quoi ravir le grand monde que pour être les délices d'un hameau ? Et pour dire tout en peu de mots, n'êtes-vous belle, n'êtes-vous éloquente, que pour gagner des coeurs vils, et que pour charmer des oreilles grossières ? Ha ! Madame, il n'y a pas d'apparence, la nature qui vous a fait de si beaux dons, a de plus belles fins, et vous devez à son exemple avoir de plus nobles résolutions ? Quittez donc le village pour la ville, le ramage pour les concerts, le désert pour le monde, la rusticité pour la politesse, et ressouvenez vous que les paysans n'ont qu'un jargon, que les oiseaux n'ont qu'une note ; et que comme les bois, les eaux, et les rochers ne parlent point, ils ont plus de convenance avecque les bêtes qu'avecque les créatures parlantes.

DORIMENE.

Je hais l'envie, le déguisement, la perfidie, et je ne puis trouver dans ces vices, qui font les vices de la Cour, le repos que je trouve dans l'innocence de ma solitude.

POLYMONDE.

Ce que vous dites de la Cour, ne doit pas vous détourner d'y revenir. L'envie ne peut flétrir votre réputation ; vous avez donné cent illustres marques de votre vertu. Le déguisement ne peut vous en faire accroire : un jugement exquis comme le vôtre, ne sait ce que c'est que de prendre le change : Enfin la perfidie ne peut vous surprendre ; il n'y a point de précautions, quelques délicates qu'elles puissent être, que votre prudence n'envisage Mais pour revenir au pays que vous avez l'agréablement dépeint, j'oserai vous dire que quand son air ferait aussi pur qu'il était à la naissance du monde ; que quand les bois conserveraient perpétuellement leur verdure ; que quand ses prairies feraient toujours riantes , que quand les arbres porteraient en tout temps de fruits, que quand ses jours égaleraient toujours en clarté l'astre qui les ramène et que quand enfin les fontaines feraient des fontaines de Jouvence, la seule grossièreté de ses habitants ferait capable de faire renoncer à tous les avantages, si vous ne renonciez à la Cour, si vous ne renonciez au monde, en un mot si vous ne faisiez de l'enceinte de votre désert l'unique demeure de votre personne.

DORIMENE.

À ce que je vois vous aimez bien le beau langage, et vous haïssez bien le patois.

POLYMONDE.

J'aime ce que vous devez aimer, et je hais ce que vous devez haïr.

DORIMENE.

Quel personnage jouerai-je à la Cour ? Une Veuve aurait-elle bonne grâce d'y souffrir les galants ?

POLYMONDE.

Vous feriez votre cour, et on vous la ferait ; et je me persuade qu'on ne trouverait pas étrange qu'une jeune veuve fit encore la jeune fille.

DORIMENE.

Quoi que j'aie été nourrie parmi les Grands, je ne puis plus m'accommoder à leur servitude. L'on me fait la Cour et je ne la fais à personne ; je chasse ceux qui me choquent : je vois ceux qui me plaisent, et pour vous dire tout en abrégé la contrainte ne loge point où je loge.

POLYMONDE.

Je vois bien que la campagne l'emportera sur la ville.

DORIMENE.

Il y a grande apparence.

POLYMONDE.

Si la Ville l'eut emporté sur le village, vous eussiez fait d'abord et des ravis et des chagrines, des adorateurs et des jalouses.

 


PRIVILÈGE DU ROI.

Louis par le Grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre : À nos âmés et Féaux conseillers les gens tenant nos cours de Parlement, requêtes de notre Hôtel et du Palais, Baillifs, sénéchaux, leurs lieutenants, et tous autres nos officiers et justiciers qu'il appartiendra, Salut. Notre cher et bine aimé le Sieur RENÉ BARY, nous a fait exposé qu'il a fait un livre intitulé, L'ESprit de Cour, ou les belles conversations, lequel il désirerait faire imprimer, s'il nous plaisait lui accorder nos lettres sur ce nécessaires. À CES CAUSES, Nous lui avons permis et permettons par ces présentes, de faire imprimer, vendre et débiter en tous les lieux de notre Royaume, le susdit livre en tout ou en partie, en tels volumes, marges et caractères que bon lui semble, pendant sept années, à commencer du jours que chaque volume sera achevé d'imprimer pour le première fois, et à condition qu'il en sera mis deux exemplaires dans notre Bibliothèque publique, un ne celle de notre château du Louvre, vulgairement appelé le Cabinet des Livres, et un en celle de notre très cher et féal le Sieur Séguier Chancelier de France, avant de les exposer en vente ; et à faute de rapporter ès mains de notre âmé et féal Conseiller en nos conseils, Grand Audiencier de France, en quartier, un récépissé de notre Bibliothèque, et du Sieur Cramoisy, commis par nous du chargement de la délivrance actuelle desdits exemplaires, Nous avons dès à présent déclaré ladite permission d'imprimer nulle, et avons enjoint au Syndic de faire saisir tous les exemplaires qui auront été imprimés sans avoir satisfait les clauses portées par ces présentes. Défendons très expressément à toutes personnes, de quelque condition et qualité qu'elles soient, d'imprimer, faire imprimer, vendre ni débiter le susdit livre en aucun lieu de notre désobéissance durant ledit temps, sous quelque prétexte que ce soit, sans le consentement de l'exposant, à peine de confiscation de ces exemplaires, de quinze cent livres d'amende, et de touts dépends, dommages et intérêts. Voulons qu'aux copies des présentes collationnées par l'un de nos âmés et féaux conseillers et secrétaires du Roi, foi soit ajoutée comme à l'original. Commandons au premier notre Huissier ou Sergent sur ce requis, de faire pour l'exécution des présentes tous exploits nécessaires, sans demander autre permission ; Car tel est notre bon plaisir ; nonobstant oppositions ou appellations quelconques, Clameur de Haro, Charte Normande, et autres lettres à ce contraires. Donné à Paris le quinzième jour de décembre, l'an de grâce mille six cent soixante et un, et de Notre règne le dix-neuvième. Signé, par le Roi en son conseil, MOUSTIER, et scellé du grand sceau de cire jaune.

Registré sur le livre de la Communauté le 10 , mars 1662, suivant l'arrêt de la Cour de Parlement du 8 avril 1653. Signé DEBRAY, Syndic.

Ledit Sieur BARY a cédé et transporté son droit de privilège à Charles de Sercy Marchand Libraire à Paris, pour en jouir suivant l'accord fait entre eux.

Achevé d'imprimer pour la première foi le 24 jour de mars 1662. Les exemplaires ont été fournis


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