DU FESTIN

CONVERSATION

XX.

XCVIII.

AVEC PRIVILÈGE DU ROI.

PAR RENÉ BARY, Conseiller et Historiographe du Roi.

À PARIS, Chez CHARLES DE SERCY, au Palais, dans le salle Dauphine, à la Bonne-Foi couronnée.


© Théâtre classique - Version du texte du 31/01/2024 à 17:22:13.


ACTEUR.

MISSENE.

BRISEIS.

BYSONTE.

Texte extrait de "L'esprit de cour, ou Les conversations galantes, divisées en cent dialogues, dédiées au Roi.", René Bary, Paris : de C. de Sercy, 1662. pp 116-126.


DU FESTIN

Un goinfre représente à ses amis les particularités d'un festin où il s'est trouvé.

MYSSENE.

Je ne m'étonne pas de ce que vous ne soupez presque point ; l'on m'a dit que vous aviez fait un ample dîner.

BRISEIS.

Ceux qui connaissent Origone, savent que quand il se mêle de tabler, les délicatesses de la Nature, et les raffinements de l'Art, sont de la partie.

BYSONTE.

Comment avez-vous été servi ?

BRISEIS.

Pompeusement.

BYSONTE.

Il ne faut pas demander si à l'envi l'un de l'autre, Carbon et Ragoutin ses cuisiniers, ont fait des merveilles.

BRISEIS.

On peut les qualifier du titre dont on honorait autrefois un Empereur ; l'on peut les appeler les délices du genre humain.

BYSONTE.

Qu'on aille tous les jours, si l'on veut, manger chez Origone, l'on ne verra jamais à sa table, ni l'abstinence, ni la sobriété.

BRISEIS.

Qui manquerait d'appétit devant des viandes extrêmement bien apprêtées ?

MYSSENE.

Il ne suffit pas pour nous satisfaire, que nous sachions que vous ayez fait un grand repas ; il est à propos pour nous contenter, que vous nous entreteniez des particularités du festin.

BRISEIS.

Je vois bien ce que c'est, vous voulez que votre imagination entre en part des douceurs que j'ai goûtées. Hé bien, je suis prêt de chatouiller vos oreilles.

BYSONTE.

Écoutons, ne perdons pas un mot ; il n'y a point de diversité plus plaisante que la diversité des plats.

BRISEIS.

Comme les inclinations sont différentes, on nous a servi d'abord divers potages : les quatre qu'on a mis au bout où j'étais, valaient bien ceux qu'on a mis au bout où je n'étais pas. Le premier qu'on appelle à la Royale au bouillon brun, était composé d'ortolans, de cardons, et d?artichauts. Le deuxième qui passe pour une soupe à la Reine, n'était seulement pas rempli de blanc de perdrix, il était encore arrosé de jus d 'éclanche et de citron. Le troisième, que les maîtres de l Art appellent à la Princesse, fournissait de pigeonneaux et de béatilles. Enfin le quatrième, qui a aussi son illustre nom, et qu'on appelle à l Altesse, était de ris de veau, de blanc de Chapon, de Champignons, et de truffes.   [ 2 Éclanche : Épaule de mouton séparée du corps de l'animal. [L]]

MYSSENE.

Si les autres potages approchent des premiers, on peut appeler le premier service un beau début.

BRISEIS.

L'on a vu au bout où je n'étais pas, un potage de Santé ; l'on a vu au même endroit une bisque de pigeons de volière ; l'on a accompagné ces deux soupes d'un potage de poulets farcis : et celui qui a suivi celui-ci, que les Français appellent à l'Italienne était assaisonné de macaron, de formage, Gratate, et Vermiceilly.   [ 3 Vermiceilly : vermicelle.]

BYSONTE.

Il est à croire que ce qui est venu ensuite, a correspondu à ce qui a précédé.

MYSSENE.

Il n'en faut pas douter.

BRISEIS.

Le premier service, comme vous pouvez penser, a été relevé de huit entrées. Il a été relevé d'une longe de veau farcie de petits pigeons, de ris de veau, de champignons, et de câpres ; d'une multitude de poulets aux huîtres et aux anchois, d'un poulet d'inde, d'une éclanche à la Royale, d'une tourte de pigeons et de béatilles, d'un filet de cerf à la sauce douce, d'une poitrine de veau en ragoût, et d'une compote de pigeons garnie de marinade.

BYSONTE.

Ces sortes d'entrées méritent bien d'être mises en lignes de compte.

BRISEIS.

Comme vous êtes des goinfres, je n'ai pas voulu vous entretenir de toutes délicatesses qui les ont accompagnées ; vous vous imaginez bien de quels ingrédients elles ont été garnies,

MYSSENE.

Partons au troisième service ; ce que vous avez omis est assez ordinaire.

BRISEIS.

Après les potages et les entrées, ont paru vingt-quatre faisandeaux, quarante-huit perdreaux, vingt-quatre poulets de grain, quarante-huit ramereaux, soixante cailleteaux, trente-six pigeonneaux de volière, dix-huit lapereaux, et soixante tourterelles.

MYSSENE.

La justesse a été exactement observée dans ces pyramides.

BRISEIS.

Il ne s'est rien vu de plus égal ; chaque bassin a été proportionnément rempli.

BYSONTE.

Vous a-t-on donné de fins entremets ?

BRISEIS.

L'on n'a rien oublié.

MYSSENE.

Ils ont dû vous régaler d'un plat de ris de veau, d'un ragout de champignons et de truffes, d'un service de pieds de porc, d'une tourte de frangipane, et de quelques omelettes au jambon.

BRISEIS.

Ils ont ajouté à cela un mélange de petites langues de porc et de boeuf parfumés, fumées, d'une gelée ambrée, et d'une herbelade.

BYSONTE.

Vraiment si le dessert a été de cet air, vous pouvez vous vanter d'avoir vu un festin bien ordonné.

BRISEIS.

L'on ne s'est pas contenté de couvrir la table d'oranges confites, de poires de bon chrétien, de massepain à la Royale de poires de double fleur, de chair de citron et d'orangeades, de biscuits de Savoie, de poires de bergamottes, et de poires de Dezichery ; l'on a servi encore des abricots liquides, entouré de quelques autres abricots, des prunes de Perdrigon liquides environnés aussi de quelques autres prunes, des cerises liquides garnies à oreilles, des biscuits de citron parfumé, des framboises liquides accompagnées de framboises séchés, des zestes d 'oranges, des conserves d 'abricots et de pistaches, et des amandes à la praline.   [ 5 Perdrigon : Nom d'une espèce de prune, noire, violette ou blanche. [L]]

MYSSENE.

De quelles sortes de vins avez-vous fait rubis sur l'ongle ?

BRISEIS.

Nous avons bu d'abord du Celestin de Mante, des Vins d 'Aïs et de Chablis, de Coindrieux et d'Avenette, et de quelques autres endroits renommés ; et à peine avons-nous été aux assiettes volantes, que nous avons eu du doux et piquant de Piémont, du Ruiezalt et du Rossoly, de la Verdée et de la Malvoisie de la Ciouta et de Lacryma-Chrifti.

MYSSENE.

Les liqueurs dont vous avez si heureusement conservé la mémoire, ont de grandes vertus, elles font bien faire des choses.

BRISEIS.

Elles en font bien dire aussi.

MYSSENE.

C'est ce qui me persuade que les bons mots ont été dits, et que les bons contes ont été faits.

BRISEIS.

Arondile et Mezingue ont été un second régal, ils se font entrepris, ils se sont entre-raillés ; et à n'en point mentir, je n'ai jamais rien entendu de si divertissant.

BYSONTE.

Il est assez ordinaire aux grands festins, d'avoir leurs rieux.

BRISEIS.

Ceux dont je vous parle conservent toujours leur feu ; ce sont de ces Goinfres qui mêlent en quelque façon la modération avecque la débauche, la retenue avecque la licence, et qui sachant de longue main de quels excès ils sont capables, sont toujours en état de payer de leur personne.

MYSSENE.

Je n'estime pas peu ces sortes de gens.

BYSONTE.

Ils disent d'excellentes choses.

BRISEIS.

L'esprit trouve son compte avec eux, il se nourrit comme d'un aliment du suc de leur entretient ; et l'on peut dire à leur avantage, que s'ils reçoivent des repas de bouche, ils donnent des repas d'oreille.

 


PRIVILÈGE DU ROI.

Louis par le Grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre : À nos âmés et Féaux conseillers les gens tenant nos cours de Parlement, requêtes de notre Hôtel et du Palais, Baillifs, sénéchaux, leurs lieutenants, et tous autres nos officiers et justiciers qu'il appartiendra, salut. Notre cher et bine aimé le sieur RENÉ BARY, nous a fait exposé qu'il a fait un livre intitulé, L'Esprit de Cour, ou les belles conversations, lequel il désirerait faire imprimer, s'il nous plaisait lui accorder nos lettres sur ce nécessaires. À ces causes, Nous lui avons permis et permettons par ces présentes, de faire imprimer, vendre et débiter en tous les lieux de notre Royaume, le susdit livre en tout ou en partie, en tels volumes, marges et caractères que bon lui semble, pendant sept années, à commencer du jours que chaque volume sera achevé d'imprimer pour le première fois, et à condition qu'il en sera mis deux exemplaires dans notre Bibliothèque publique, un ne celle de notre château du Louvre, vulgairement appelé le Cabinet des Livres, et un en celle de notre très cher et féal le Sieur Séguier Chancelier de France, avant de les exposer en vente ; et à faute de rapporter ès mains de notre âmé et féal Conseiller en nos conseils, Grand Audiencier de France, en quartier, un récépissé de notre Bibliothèque, et du sieur Cramoisy, commis par nous du chargement de la délivrance actuelle desdits exemplaires, Nous avons dès à présent déclaré ladite permission d'imprimer nulle, et avons enjoint au syndic de faire saisir tous les exemplaires qui auront été imprimés sans avoir satisfait les clauses portées par ces présentes. Défendons très expressément à toutes personnes, de quelque condition et qualité qu'elles soient, d'imprimer, faire imprimer, vendre ni débiter le susdit livre en aucun lieu de notre désobéissance durant ledit temps, sous quelque prétexte que ce soit, sans le consentement de l'exposant, à peine de confiscation de ces exemplaires, de quinze cent livres d'amende, et de touts dépends, dommages et intérêts. Voulons qu'aux copies des présentes collationnées par l'un de nos âmés et féaux conseillers et secrétaires du Roi, foi soit ajoutée comme à l'original. Commandons au premier notre Huissier ou sergent sur ce requis, de faire pour l'exécution des présentes tous exploits nécessaires, sans demander autre permission ; Car tel est notre bon plaisir ; nonobstant oppositions ou appellations quelconques, Clameur de Haro, Charte Normande, et autres lettres à ce contraires. Donné à Paris le quinzième jour de décembre, l'an de grâce mille six cent soixante et un, et de Notre règne le dix-neuvième. signé, par le Roi en son conseil, MOUsTIER, et scellé du grand sceau de cire jaune.

Registré sur le livre de la Communauté le 10 , mars 1662, suivant l'arrêt de la Cour de Parlement du 8 avril 1653. signé DEBRAY, syndic.

Ledit sieur BARY a cédé et transporté son droit de privilège à Charles de Sercy Marchand Libraire à Paris, pour en jouir suivant l'accord fait entre eux.

Achevé d'imprimer pour la première foi le 24 jour de mars 1662. Les exemplaires ont été fournis


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Notes

[1] Béatilles : Les menues viandes délicates, crêtes de coq, riz de veau, etc. dont on garnit les pâtés. [L]

[2] Éclanche : Épaule de mouton séparée du corps de l'animal. [L]

[3] Vermiceilly : vermicelle.

[4] Massepain : Pâtisserie d'amandes pilées et de sucre. {L]

[5] Perdrigon : Nom d'une espèce de prune, noire, violette ou blanche. [L]

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