LE DIVORCE

Prix : 50 centimes

HUITIÈME ÉDITION

1884

ÉVARISTE CARRANCE

AGEN, LIBRAIRIE DU COMITÉ POÉTIQUE ET DE LA REVUE FRANÇAISE, 6, rue du saumon, 8

AGEN, V. LENTHERIC, Imprimeur du Comité Poétique


© Théâtre classique - Version du texte du 31/07/2023 à 19:57:12.


À M. ÉVARISTE CARRANCE

Lettre de M. Alfred Naquet, Sénateur de Vaucluse

Paris, juin

Monsieur

Vous me demandez quelques lignes pour les publier en tête de la brochure que vous allez faire paraître sur le divorce.

Que puis-je vous dire ? Que je vous remercie au nom de la vérité, dont il faut assurer le complet triomphe, dès que vous faites pour achever de déraciner ce qui reste de l'absurde préjugé sur lequel et vécu le régime de 1816.

Croyez, Monsieur, à mes meilleurs sentiments.

A. NAQUET.


PERSONNAGES.

LE MARI ASSASSIN

Texte extrait de "Le divorce, la prostituée : monologues en vers, précédés d'une lettre de M. Alfred Naquet".- Agen : Librairie du comité poétique et de la revue française. pp 3-5.


LE DIVORCE

Messieurs les grands faiseurs de lois, ce n'est qu'à vous

Que j'adresse ce cri de mon être en courroux.

Voici bientôt vingt ans que, broyé de misère,

Je marche en ignorant où je vais sur la terre,

5   Courbé par la souffrance et l'implacable sort,

En demandant l'oubli qui jaillit de la mort !

     

Ô vous les grands faiseurs de lois, vous pouvez croire

Tout ce que je dirai dans ma sinistre histoire,

Et vous pouvez penser que notre humanité

10   Souffre les mêmes maux, sous sa folle gaîté.

     

Messieurs les vrais soutiens d'une saine morale,

Depuis vingt ans, je vois la larve sociale.

Je suis une victime et je suis un bourreau

Que ThéMis sur mon front promène son flambeau ?

15   Voyez comme je suis ridé, sombre et livide ;

Mon coeur est maintenant comme une lande aride

Le remords seul y croît !

     

Messieurs, dans le passé,

J'étais aussi brillant que je parais lassé.

J'avais auprès de moi, pour marcher dans la vie,

20   Une femme, éclairant ma jeunesse ravie,

Une de ces beautés dominant la raison,

Et qui font resplendir la plus pauvre maison.

J'étais heureux ! Je crus, dans ma suave ivresse,

Que rien ne ternirait ma sublime tendresse

25   Je tenais le plaisir et ne comprenais pas

Que la sombre douleur me suivait pas à pas.

Quelquefois, dans un ciel tout d'azur, un orage

Retentit brusquement se déchaîne avec rage,

Et le ciel radieux se fait lugubre et noir !

     

30   Messieurs, en un instant je perdis tout espoir,

Et mon bonheur partit ainsi que la fumée.

Celle que j'adorais, la femme bien-aimée

À qui j'avais donne mon âme et mon amour.

Celle qui m'apportait l'extase chaque jour,

35   Cette chaste beauté qui portait l'auréole.

Ah ! Messieurs ! Elle avait oublié sa parole,

Elle m'avait trompé ! Trahi ! Déshonoré !

J'ai toujours devant moi ce spectacle abhorré,

Je devins fou. Je vis s'échapper la lumière.

40   Ma main prit un poignard et frappa l'adultère !

     

Et lorsque j'eus frappé dix fois, qu'un sang brûlant

De dix trous à la fois sortit en bouillonnant,

Le poignard s'échappa de ma main criminelle.

La morte m'apparut plus sublime et plus belle

45   Et je m'agenouillai dans le sang pour la voir.

Sentant monter en moi l'atroce désespoir

Je pleurai ! Je criai ! Pardon ! Oh ! Fais-moi grâce !

Je t'aimai trop hélas ! En ce monde où tout passe,

Ton amour a subi cette commune loi !...

50   Oh ! Le plus malheureux ce sera toujours moi.

La justice m'attend le remords me torture ;

Il n'est plus un abri pour moi dans la nature.

     

Messieurs les grands faiseurs de lois, au nom de Dieu,

Écoutez mon histoire, encore un petit peu.

55   J'ai bientôt terminé, d'ailleurs. Je dois vous dire

Qu'on me mit en prison, que j'étais en délire,

Et que le Tribunal, déclaré compétent,

M'acquitta.

     

Moi, Messieurs, n'étant pas innocent,

Je ne m'acquittai pas, et je courbai la tête,

60   Sachant que ce pardon cachait une tempête,

Et que j'allais rester tout seul, comme un maudit,

Moi, le mari-bourreau, tuant comme un bandit.

Encore quelques mots. - Vous oublierez ensuite,

Messieurs, c'est le devoir qui dicte ma conduite ;

65   Je ne vous dirai point tout ce que j'ai souffert.

J'ai vécu ces vingt ans dans un gouffre entrouvert.

De ce gouffre est sorti mon corps si misérable

Pour se représenter comme le vrai coupable !

Oui, Messieurs, nul mortel n'a le droit effrayant

70   De plonger dans la mort un seul être vivant.

Tous les codes humains peuvent lui faire grâce ;

Au foyer fraternel il a perdu sa place.

Il traîne son remords comme on traîne un boulet,

Et l'oubli ne viendra jamais large et complet.

75   Il a tué !

     

  Messieurs, le mari qu'on outrage

Ne doit point devenir assassin ; le courage

Consiste à repousser froidement, pour toujours,

L'être perdu qui vient d'empoisonner nos jours.

Ô vous ! Les grands faiseurs de lois, dont la morale

80   En discours très pompeux de temps en temps s'étale,

Ne vous semble-t-il pas qu'il faudrait par hasard,

À l'époux outragé défendre le poignard ?

Eh bien pour que le droit puisse arrêter la force

Il ne faut qu'une loi !

Laquelle ?

LE DIVORCE !

     

 



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