ZÉLONIDE

PRINCESSE DE SPARTE

TRAGÉDIE.

M. DC. LXXXII.

AVEC PRIVILÈGE DU ROI.

Chez CLAUDE BARBIN, sur le second perron de la Sainte-Chapelle du Palais.


Texte établi par Paul FIEVRE, Mars 2018.

© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:46.


ZÉLONIDE À MADAME LA DUCHESSE DE NEVERS.

Obligée de revoir le jour dans un Pays étranger, où je trouverai peut être de nouveaux ennemis, je viens, MADAME, vous demander un asile. Je me fuis flattée que vous me l'accorderiez aisément, et je remarque entre Vous et les héroïnes de Sparte, une certaine ressemblance qui ne peut manquer de vous intéresser pour moi. S'il faut vous avouer la vérité, j'avais cru jusques ici, que les seuls Lacédémoniens possédaient une Vertu parfaite, inconnue au reste des Hommes. J'avais pensé, quelques estimables que les Femmes fussent ailleurs, quelles ne pouvaient jamais nous être comparées. Mais la Cour de France me tire de cette erreur. J'y vois ce que je ne croyais pas même possible. Un Roi qui sait joindre a plus de grandeur et de magnificence que n'en eurent tous les Monarques de l'Asie ; plus de Valeur, de Sagesse, de modération que n'en ont eu les Rois de Lacédémone. Une Noblesse toujours enflammée d'une généreuse ardeur, qui ne respire que La Guerre et la Gloire. Des Dames (surtout si l'on s'arrête en votre Maison ) qui peuvent disputer avec avantage contre toutes celles que la Grèce a le plus célébrées. Mais, MADAME, comme c'est à vous que mon choix et mon bonheur s'adressent particulièrement, je ne regarde ici que vous. Je suis toute occupée de ces Charmes inexprimables qui ont d'abord surpris mes yeux ; de ces Grâces si vives, si touchantes, si accomplies, sans art, sans affectation, relevées par une noble pudeur qui semble les vouloir cacher. J'admire le merveilleux rapport qu'elles ont avec les qualités de votre âme, avec cette Raison pure, tranquille, toujours attachés à ses Devoirs ; avec cet esprit solide, éclaire, sans effort, sans ostentation, conduit par une modestie, qui semble ne connaître pas tous ces avantages, ou appréhender qu'on les connaisse, et qui par là en redouble encore le mérite et le prix. Non, MADAME, vous ne sauriez empêcher les justes louanges qui vous suivent partout. Elles ont retenti plus d'une fois sur les bords du Tibre, quand l'Illustre Duc a qui vous êtes si tendrement unie, vous a fait voir ces Lieux renommés vivent encore les Triomphes des fameux Romains, dont il a reçu avec la naissance cet esprit si sublime et si rempli de lumières, qui les animait autrefois. On sait assez avec quel éclat vous avez paru dans toutes les Cours d'Italie. Et que leurs plus superbes Beautés humiliées et obscurcies devant vous, ont confessé qu'il n'y avait que la France qui pût produire des Dames si parfaites. Pour moi, MADAME, c'est un aveu que je n'aurai point de peine à faire. Et je crois que nos plus fières Spartaines ne m'en dédiront pas. Elles apprendront que dans vos voyages, vous avez su vous montrer comme elles, au dessus de la faiblesse, et de la timidité trop ordinaires aux Dames : Que la fermeté et le courage qu'on inspirait aux Lacédémoniennes par une pénible éducation, sont en vous un pur présent du Ciel, et de la Nature. Mais ce qui était inconnu à Sparte, et en quoi vous l'emportez sans doute sur elles, c'est d'avoir toute la grandeur et toute l'élévation de leurs sentiments, sans rien perdre de cette charmante douceur, et de cette délicate bienséance qui sont si propres à notre sexe, et qui sont le dernier trait, et l'accomplissement des Grâces et des vertus. Ces femmes magnanimes viendront à l'envi vous demander avec moi un asile qui nous sera aussi glorieux que je j'espère favorable. Je regarderai cette grâce que j'attends de vous, comme la plus belle de mes aventures. Et je tiens que celui qui a entrepris de me faire revivre, et de me faire parler y a trouvé le secret d'ajouter ce qui manquait à la Gloire que tant de siècles m'ont conservée, quand il a mis mon nom sous la protection du vôtre.


PREFACE.

J'ai toujours eu une singulière admiration pour les Lacédémoniens, et parmi les beaux endroits de leur Histoire, celui-ci m'a fort touché. Comme la Valeur des Hommes et le Courage des Femmes y paraissent également, je l'ai trouvé très propre à représenter le Génie de Sparte : Mais en récompense il a de grandes difficultés pour le Théâtre, et je ne présume pas de les avoir toutes surmontées.

Sans vouloir éluder les Objections, je crois devoir rendre raison de ma conduite. On n'a pas condamné les sentiments de cette tragédie, mais quelqu'un a dit qu'elle consiste toute en ces sentiments,et qu'elle n'a point de d'action ; en quoi on veut qu'elle pèche contre la principale Règle. Il m'a semblé cependant que l'Amour d'Acorate et de Zélonide, secondé des voeux de tous les Lacédémoniens qui s'intéressent à leur bonheur, est ce qu'on appelle une action. Que la jalousie et le ressentiment de Cléonime, appuyé par Pyrrhus qui assiège Sparte, en sont le noeud. Et qu'enfin la Mort de Cléonime et le secours du Roi, Aréus en sont le dénouement. Ne trouve-t-on pas là une action avec toutes ses parties, telle que les lois de cet art la demandent ? Et de plus une action importante, générale, où il va de la Couronne et de la vie pour le Prince et pour la Princesse de Sparte, et qui entraîne en même temps la perte ou le salut de tout l'État. Ou si l'on ne veut regarder qu'une partie de l'action, et dire que le noeud n'est pas assez fondé et assez nécessaire, puisque Zélonide et Acorate peuvent se marier malgré les menaces de Cléonime et de Pyrrhus ; je demande si ce mariage précipité aurait empêché la Guerre ? Et de quoi aurait servi à ces amants un bonheur si hors de saison et de si peu de durée ? Les Spectateurs en approuveraient-ils la proposition ? Et ne croiraient-ils pas à Acorate ;

Mala ducis domum, Quam multo repetet grécia militè, Conjurata tuas rumpere Nuptias.

De quel oeil les Lacédémoniens lui auraient-ils vu célébrer cette fête à la veille d'une si cruelle Guerre ? Ne lui auraient-ils pas dit :

Nequicquam thalamo graves Hastas, et calamispicula Gnossii Vitabus.

Il n'y avAit donc point d'autre parti à prendre pour un Prince si brave et si amoureux, que de songer à mettre Zélonide en sûreté, tandis qu'il se préparait à combattre.

On voudra peut-être encore soutenir que l'action est en quelque sorte affaiblie, parce que Cléonime attaquant Sparte au dehors, ne paraît point sur le théâtre. Cela est vrai : et c'est de là que me vint l'idée de lui donner une soeur qui supplée à ce défaut. Elle a presque les mêmes intérêts et les mêmes passions, elle dit une partie de ce qu'il aurait dit, avec plus de jeu remplit peut-être mieux la scène qu'il n'aurait fait lui-même.

Au reste je ne saurais penser que des sentiments de gloire que j'ai répandus presque partout, aient affaibli l'action et j'ai cru ? Qu'ils la rendraient plus vive, et qu'intéressant davantage le spectateur en faveur de mes héros, le péril pressant ou ils se trouvent causerait plus de crainte et de compassion.

Le plus grand mal vient donc des récits, qui a ce qu'on prétend sont en trop grand nombre ; c'est sur cette objection, que l'on insiste le plus. J'avoue qu'il y en a beaucoup, et je n'ai pu les éviter dans un sujet où il s'agit de combats et d'assauts continuels. Je supplie seulement qu'on ne s'arrête pas au simple mot de récits, ils tiennent quelquefois lieu d'actions par l'attente ou l'on est et par les mouvements qu'ils excitent. Je les ai animés et variés autant que j'ai pu. Après tout chacun en doit juger par soi-même ; s'ils ne font pas ici leur effet, j'ai tort, et je confesse que tous mes raisonnements ne serviront de rien.

D'autres ont prétendu disputer à Zélonide le titre de parfaite héroïne. Outre que la perfection absolue n'est pas toujours nécessaire aux héros de la tragédie, j'ai à répondre encore qu'on ne sait pas bien toutes les circonstances de la rupture de Zélonide avec Cléonime, et de son engagement avec Acorate ; mais que toutes les louanges qu'on lui donne à Sparte, et les acclamations que font pour elle tant de Sages vieillards y montrent assez qu'ils la regardaient comme une Princesse héroïque : Et je crois qu'avec le soin que j'ai pris de la représenter dans un état tout à fait conforme à la régularité de nos moeurs, elle sera aussi regardée en France comme une héroïne accomplie.

On me reprocha d'abord que mes personnages n'étaient pas assez connus. Je m'étais promis que les noms de la plus célèbre ville, et d'un des plus fameux Capitaines de l'Antiquité, seraient capables d'attirer quelque attention pour tout le reste, et je puis dire que je ne me suis pas tout à fait trompé.

Il se trouva aussi des censeurs qui m'accusèrent d'avoir altéré les noms. Le plus savant et le plus ancien commentateur de Virgile nous apprend qu'on a le droit d'en retrancher quelque syllabe ou même de les changer absolument, quand ils ne s'accommodent pas bien aux vers, ou qu'ils sont d'une prononciation rude et désagréable. On peut se ressouvenir de ces paroles de Servius :

Quoties Poeta afpera invenit Nomina et in metro non stantia, aut mutat ea, aut de his alequid mutilat. Vida enseigne la même chose en sa Poétique. Nomina dura nimis dictu, atque asperrima cultu,

Illa aliqui, nunc addentes, nune inde putantes

Pauca minutatim, levant, ac molia reddunt.

C'est ainsi que j'en ai usé à l'égard d'Acrotajus et de Chelidonide. Ce qui m'était d'autant plus : permis que ces noms, comme on me le reproche, ne sont pas extrêmement connus.

Pour ce qui est du mot de Spartian et de Spartaine dont je me suis servi, on doit convenir que c'était une nécessité. Les Dames de Sparte ont la plus grande part en ma tragédie, il fallait parler d'elles à tous moments. Spartiates est équivoque : entre les hommes et les femmes. Lacédémoniennes est trop long et ne peut entrer dans les vers. J'ai donc été forcé de dire Spartain et Spartaine. En quoi toutefois je suis autorisé par l'exemple du célébré Amyot, qui parle ainsi en racontant cette même Histoire. Et la nouvelle traduction qui a mieux aimé dire dans la Prose les Lacédémoniennes, a dit en rapportant des vers cités par Plutarque, Nation Spartaine et Vertu Spartaine. Et c'est en effet l'usage le plus commun, et qui est le plus selon le génie de notre langue. De Romanus, nous faisons Romain ; de Thébanus, Thebain : Pourquoi ne pas faire de Spartanus, Spartain, aussi-bien que Spartiate du Grec Spartiates S Le premier est plus court et pour le moins aussi doux, et ce que j'ay fait par nécessité, pourrait être suivi pour la commodité même.

Mais enfin qu'on reprenne tout ce qu'on voudra, pourvu qu'au moins on approuve ma bonne intention. Ce dessein de mettre sur la scène ce qu'il y a eu de plus noble et de plus extraordinaire pour la Morale et pour la Politique parmi les Anciens, n'a point déplu à quantité d'honnêtes Gens. Et bien que ceci soit un Ouvrage de ma jeunesse, j'oserais dire que l'entreprise mériterait quelque louange, si l'exécution y avait mieux répondu.


ACTEURS.

ZÉLONIDE, Princesse de Sparte Amante d'Acorate.

ACORATE, fils d'Areus Roi de Sparte Amant de Zélonide.

DIANASSE, soeur de Cléomine Prince prétendant à la Couronne de Sparte, et autrefois accordé avec Zélonide.

LISIMACUS, envoyé de Pyrrhus Roy d'Épire.

ARCHIDAMIE, Spartaine Amie de Zélonide.

PHÉBIDE, Spartaine Amie de Dianasse.

OFFICIER, Spartain.

SPARTAINS.

ÉPIROTES.

La Scène est dans une Salle du Palais-Royal de Sparte.


ACTE I

SCÈNE I.
Dianasse, Argesime, Phébide.

DIANASSE.

Ô frère trop cruel ! Ô funeste entreprise !

À de barbares Lois Sparte sera soumise !

ARGESIME.

Ne demandiez-vous pas qu'il la vint assiéger ?

Après m'avoir paru si prompte à le venger,

5   Votre coeur tout-à-coup se trouble et s'intimide !

Au superbe Acorate arrachons Zélonide,

Disiez-vous, Perdons tout par un noble attentat,

Appelons des vengeurs et renvuersons l'État.

DIANASSE.

De mon frère irrité je suivais la surie

10   Et n'envisageais pas les maux de ma Patrie.

Il nous faut donc détruire, ou mettre dans les fers

Cette Lacédémone, honneur de l'Univers,

Aux armes de Pyrrhus sans défense livrée,

Sa honte est infaillible, ou sa perte assurée,

ARGESIME.

15   Sur les malheurs publics pourquoi s'inquiéter,

Quand nôtre intérêt propre a lieu de nous flatter ?

Le Prince Cléonime armant le Roi d'Épire,

Obtient par son secours Zélonide et l'Empire.

Il punit les Spartains, dont les injustes voeux

20   Donnent cette Princesse à son Rival heureux.

Appuyez-donc, Madame, un frère qui vous aime,

Poursuivez, partagez l'autorité suprême.

Vous m'avez engagé dans vos desseins secrets,

Mon intérêt me lie à tous vos intérêts ;

25   Je hais Mandricidas, dont la faveur m'offense,

Seul du Prince Acorate il a la confiance,

Je sentais tous les jours mon pouvoir s'affaiblir ;

Mais en changeant de Roi je vais me rétablir.

J'attache ma fortune au Prince Cléonime,

30   J'ai sécondé pour lui l'ardeur qui vous anime,

J'ai dans votre parti fait entrer mes amis,

Ils vous sont dévoués, ils vous ont tout promis,

Pyrrhus, montre au dehors ses armes redoutables ;

Madame, employons bien ces moments favorables.

35   En un si grand dessein vous avez dû penser

Qu'il faut achever tout, ou ne rien commencer.

DIANASSE.

Mon Frère a seulement publié dans la Grèce.

Qu'il vient à son Rival arracher la Princesse,

Que le choix des Spartains n'en a plÎ disposer

40   Qu'elle lui fut promise, et qu'il doit l'épouser.

L'Envoyé de Pyrrhus dans ce Palais arrive ;

Faites que l'on l'écoute, et que la Paix le suive,

Qu'on rende Zélonide à son premier amant,

Qu'un accord...

ARGESIME.

Cet espoir a peu de fondement.

45   Vous ne l'ignorez pas, la fière Zélonide

Dans le sein d'une femme affecte un coeur d'Alcide.

Ses hautaines vertus, ses superbes beautés

Enchantent les Spartains, règlent leurs volontés.

Elle s'est déclarée en faveur d'Acorate.

50   On adore ce Prince, en ce choix tout la flatte

On croit qu'il doit un jour, surpassant tous nos Rois,

De son aïeul Hercule égaler les exploits.

Cléonime accusé d'un orgueil tyrannique

Est chargé dès longtemps de la haine publique ;

55   De l'Hymen qu'il prétend Sparte a rompu les noeuds ;

Et par la seule force il peut se rendre heureux.

DIANASSE.

Employons la douceur avant la violence ;

De la Justice au moins conservons l'apparence.

ARGESIME.

Sur les mêmes projets entre nous concertés,

60   Le Roi d'Epire approche, à l'ombre des traités.

Amusant nos Spartains par des promesses feintes,

Il tâchait d'endormir leurs soupçons et leurs craintes,

Et par son envoyé qu'on reçoit en ces lieux,

Il prend d'arbitre encor le titre spécieux.

65   Mais, Madame, que Sparte ou résiste, ou fléchisse,

Acorate partout rencontre un précipice ;

Cléonime veut perdre un rival trop aimé.

DIANASSE.

Hé quoi, le craindrait-il s'il était désarmé ?

Non, non, sans se montrer ni cruel, ni perfide,

70   Mon frère est trop vengé s'il obtient Zélonide.

Faisons pour cette Paix agir notre parti,

Que d'un péril si grand l'État soit garanti.

ARGESIME.

Contre Acorate seul nos efforts se préparent,

Nos Amis hautement pour la Paix se déclarent ;

75   Moi-même malgré lui je veux la proposer.

Au gré de vos souhaits je vais tout disposer.

N'appréhendez plus rien.

SCÈNE II.
DIANASSE, PHEBiDE.

PHEBIDE.

Où nait ce trouble extrême ?

Il étonne Argesime, et me surprend de même.

Vous avez refusé les douceurs du sommeil,

80   A peine attendez-vous le lever du soleil

Pour courir ce palais, inquiète, tremblante.

DIANASSE.

Oui, je cherche Acorate, et son sort m'épouvante.

Le verrai-je périr ce Prince si parfait.

Par mes propres conseils ! Phebide qu'ai-je fait ?

PHEBIDE.

85   Par l'intérêt d'un frère à le perdre engagée,

Quel soudain changement...

DIANASSE.

Je ne suis point changée.

PHEBIDE.

Vôtre haine l'épargne, et se laisse éblouir...

DIANASSE.

On ne haït pas toujours ce qu'on semble haïr.

PHEBIDE.

Vous, de qui la fierté m'a toujours fait entendre

90   Que l'amour sur vos voeux n'avait rien à prétendre,

Croirai-je qu'à la fin vous ressentiez lès traits ?

Et pouviez-vous pour moi réserver des secrets ?

DIANASSE.

Il est trop vrai. L'orgueil dont je semblais armée

N'était qu'un vain dépit d'aimer sans être aimée.

95   Phébide, que ne puis je encore te tromper.

Un secret si honteux devait-il m'échapper !

PHEBIDE.

Lorsqu'avec tant d'ardeur il aime Zélonide

Vous aimez Acorate !

DIANASSE.

Écoute-moi, Phébide.

Unie à ces amants par le sang glorieux,

100   Qui nous donne des Rois, et qui descend des Dieux

En ce même palais, ou nous prîmes naissance,

Élevée avec eux dés ma première enfance,

Dans une douce erreur j'eus insensiblement

Pour le Prince Acorate un tendre attachement.

105   Depuis lorsqu'à mon frère on promit Zélonide,

Seule après elle ici de la race d'Alcide,

Je crus que si le Prince un jour faisait un choix

Je devais espérer de le voir sous mes lois.

Son jeune coeur alors n'aimait rien que la gloire ;

110   Il nous abandonna pour chercher la victoire ;

De mon esprit hélas ! Pouvais-je le bannir ?

Le bruit de ses exploits m'en faisait souvenir.

On fit à son retour une pompeuse fête.

Et là de Zélonide il devint la conquête,

115   Tandis que mes regards charmés par ce vainqueur

Le rendaient sans combat le maître de mon coeur.

Je ne connus d'abord crainte, ni jalousie,

D'un doux ravissement mon âme était saisie ;

Mais, Ciel ! De jour en jour mon esprit agité

120   Perdit l'heureux espoir qui l'avait trop flatté.

Sous le nom d'amitié mon amour déguisée,

Et du sang qui nous lie encore autorisée

Par mille tendres soins cherchant à s'exprimer,

Invitait chaque jour ce héros à m'aimer

125   Mais lui sans pénétrer le secret de mon âme,

D'une froide amitié répondait à ma flamme,

Et son coeur tout rempli des plus ardents désirs

À ma fière rivale adressait ses soupirs.

Enfin ouvertement il s'expliqua pour elle.

130   Phébide, il te souvient de ma douleur mortelle

Quand je vis les Spartains applaudir à ce choix,

Presser cette union d'une commune voix

Déclarer Cléonime indigne d'y prétendre,

Rompre l'heureux hymen qu'il avait droit d'attendre,

135   Couronner son rival. Hélas ! dans ces malheurs

Un frère n'était pas le sujet de mes pleurs.

On a donc résolu ce fatal hyménée,

Et nous en aurions, vu la funeste journée

Si de ces deux amants le bonheur désiré ,

140   Par l'absence du Roi n'eut été différé.

Le Prince impatient attend le Roi son père

Qu'occupe loin de Sparte une guerre étrangère,

Et qui depuis longtemps a vu de jour en jour

Des obstacles divers retarder son retour.

145   Mon frère transporté de douleur et de rage.

Se sert d'un temps si propre à venger son outrage :

Il va chercher Pyrrhus, en implorer l'appui

J'y consens, je le porte à traiter avec lui,

Il réussit. Pyrrhus amène son armée.

150   Toute la Grèce en tremble, et j'en suis alarmée.

D'un funeste projet trop déplorable fruit !

Phébide, je verrai notre Empire détruit ;

Et mon frère cruel pour achever son crime,

Se baigner dans le sang d'un rival magnanime !

155   Ah ! Si pour l'arrêter mes pleurs ne peuvent rien,

Que le Barbare encor se baigne dans le mien.

PHEBIDE.

Les Éphores peut-être apaiseront l'orage,

Madame, ce Conseil si puissant et si sage,

Nous sauvant par la paix de ce péril affreux,

160   Vaincra l'emportement d'Acorate amoureux.

Si le Prince est forcé de quitter Zélonide,

Il ne reste que vous de la race d'Alcide.

Vous allez devenir le gage de la Paix,

Et par un double hymen...

DIANASSE.

Inutiles souhaits !

165   Ce héros doit haïr la soeur de Cléonime.

PHEBIDE.

Il fait toujours pour vous paraître son estime,

Il vous parle, il vous voit d'un air toujours égal,

Et ne hait point en vous la soeur de son rival.

Sparte, qui pour ce frère a conçu tant de haine,

170   Vous aime, vous respecte.

DIANASSE.

  Et c'est ce qui me gêne.

Je reproche sans cesse à mon coeur abattu

Que l'on n'estime en moi qu'une fausse vertu.

Quoi, d'exemples fameux partout environnée,

Puis-je ternir ainsi l'éclat où je fuis née.

175   Nos Spartaines toujours dans leur noble fierté

Ont brûlé pour la gloire et pour la liberté ;

C'est le premier amour dont leur âme est remplie,

Auprès de ces objets tout s'efface et s'oublie.

J'en vois l'une immoler par des coups rigoureux

180   Son fils réchappé seul d'un combat malheureux

L'autre expirer de joie, apprenant la nouvelle

Que son fils était mort en Guerrier digne d'elle.

Sitôt que la Patrie a dû les émouvoir

Rien, ne peut balancer ce généreux devoir.

185   Ses fidèles ardeurs sans cesse les inspirent.

Ce n'est que pour l'État enfin qu'elles respirent.

Moi malheureuse, hélas ! Quelle indigne langueur,

Et quel funeste amour s'empare de mon coeur !

Pour perdre mon pays sa lâche violence...

190   Mais la Paix me pourrait rendre mon innocence :

Tout dépend d'Acorate; il doit venir ici.

J'attends pour lui parler, et je veux... Le voici.

SCÈNE III.
Acorate, Dianasse, Phebide.

DIANASSE.

J'atteste tous les Dieux, et le Ciel qui m'éclaire,

Que mon coeur prend parti pour vous contre mon frère.

195   Cette amitié parfaite, et telle qu'autrefois

À vous parler sans feinte autorise ma voix. r

Vous venez en ce lieu donner une audience,

Dont votre esprit, Seigneur, doit peser l'importance.

Mon Frère transporte d'un amour furieux,

200   Emprunte de Pyrrhus le secours odieux,

Du plus grand des forfaits il s'est rendu coupable ;

Mais enfin comme lui vous serez condamnable,

Si par la même erreur un aveugle courroux

Vous fait exposer Sparte à ses funestes coups.

205   Que dis-je on connaît trop votre coeur invincible,

Des faiblesses d'amour il n'est point susceptible.

Sans vous abandonner à ce transport fatal,

Vous saurez noblement désarmer un rival.

Rendez lui Zélonide, et montrez à la Grèce

210   Que la gloire est toujours votre seule maîtresse.

ACORATE.

Je sais de votre coeur la sincère bonté,

Madame ; mais ici s'est-il bien consulté ?

Me conseillerez-vous si Pyrrhus nous menace,

Que j'accepte ses lois et lui demande grâce ?

215   Quand Zélonide et moi pourrions nous démentir,

Penseriez-vous que Sparte y voulût consentir ?

DIANASSE.

Attiré vers Argos, le fameux Roi d'Épire

Veut la Paix avec nous, Seigneur, il la désire.

C'est pour la proposer que vient Lisimacus.

220   Il tient le premier rang à la Cour de Pyrrhus.

Songez en lui parlant au pouvoir de son maître,

Songez qu'un camp nombreux dans nos champs paraître

Que Sparte aux ennemis s'ouvre de toutes parts,

Vide des habitants qui sont ses seuls remparts.

225   Nos guerriers occupés au rivage de Crète,

Des Tyrans de cette île achèvent la défaite.

En vain le Roi vainqueur voudrait vous secourir,

Sans le pouvoir attendre il vous faudra périr.

Privé de tout espoir ; si Sparte vous est chère

230   Vous ne tenterez point un effort téméraire,

Et vous préférerez, Seigneur, en ce grand jour,

Les lois de la Prudence aux conseils de l'Amour.

ACORATE.

Laissons, laissons l'amour, Madame, j'en veux croire

Le fidèle devoir, la véritable gloire.

235   Que l'envoyé s'explique, et je saurai régler...

DIANASSE.

On vient, je me retire.

ACORATE.

Écoutons-le parler.

SCÈNE IV.
Lisimacus, Acorate, Mandricidas, Spartains, Épirotes.

LISIMACUS.

Pyrrhus connaît, Seigneur, cette Lacédémone,

Où les grandes vertus ont élevé leur trône ;

Cet État tout formé de guerriers, de héros,

240   Qui sans celle ennemis d'un indigne repos

Pour leur unique bien reconnaissent la gloire,

Et pour leurs seuls plaisirs la guerre et la victoire.

Si la conformité des désirs généreux

Attache les grands coeurs par de sincères noeuds ;

245   Le premier des guerriers, Pyrrhus, à qui tout cède,

Doit estimer en vous les vertus qu'il possède,

Et du degré sublime où ses exploits l'ont mis

Vous appeler, Seigneur, au rang de ses amis.

Aussi ne pensez pas, quoiqu'il ait pris les armes ;

250   Qu'il veuille tout plonger dans le sang et les larmes.

Son secours favorable a dû se déclarer

Pour un Prince opprimé, qui le vient implorer.

Mais vous verrez Pyrrhus, arbitre magnanime,

Vous écouter, Seigneur, ainsi que Cléonime.

255   Votre Rival au trône a des droits comme vous

De Zélonide même il fut nommé l'époux.

Pyrrhus n'offense pas cette grande Princesse,

Qui fait par ses vertus l'ornement de la Grèce.

S'il tache d'arrêter les funestes combats

260   Qu'entre deux grands Rivaux excitent ses appas ;

Et Sparte devra tout à l'entremise utile

Qu'il vous offre aujourd'hui pour la rendre tranquille.

Je ne vous dirai point que vous seriez forcé

D'obéir à l'arrêt qui sera prononcé.

265   Mon Maître s'est promis que vetre déférence

Ne lui permettra pas d'user de sa puissance,

Et se flatte, Seigneur, qu'en vous donnant la paix

Vos États et vos coeurs s'uniront à jamais.

ACORATE.

Seigneur, je veux ici taire ce qui me touche ;

270   C'est Sparte seulement qui répond par ma bouche ;

Pour montrer si je suis digne d'y commander,

C'est son interest seul que je veux regarder.

Les traités commencés sont d'assez claires marques

Qu'estimant votre maître entre tous les Monarques

275   Nous n'avons jamais eu dessein de refuser

Cette heureuse union qu'il a fait proposer.

Mais Sparte est peu soumise, et ne sait à quel titre

Ce Prince officieux veut être notre arbitre

S'avance à main armée, et vient dans nos États

280   Prononcer un arrêt qu'on ne demande pas.

Il faudrait pour la Paix des démarches moins fières ;

Que Pyrrhus, s'il la veut, repasse nos frontières,

Et nos Ambassadeurs iront avec les siens

Dans une ville libre en former les liens.

LISIMACUS.

285   Quelque soit le motif de cette vaine audace,

Apprenez que mon Roi vous a déjà fait grâce.

Sparte cette nuit même avec tout son orgueil

De tous ses habitants eût été le cercueil,

Si trompant du soldat la fureur enflammée

290   Il n'eût pour vous sauver arrêté son armée ;

Mais il marche, et ce jour va l'offrir à vos yeux

Comme arbitre équitable, ou vainqueur glorieux.

ACORATE.

Quel droit dans nos États peut lui donner entrée ?

Fait-il la guerre ainsi sans l'avoir déclarée ?

LISIMACUS.

295   Est-ce que le secret ne vous est pas permis,

Quand vous voulez marcher contre vos ennemis ?

Par avance allez-vous dire à toute la Terre

En quels votre bras prétend porter la guerre ?

ACORATE.

De nos armes, Seigneur, a-t-on vu menacé

300   Des Peuples qui jamais ne nous ont offensés ?

LISIMACUS.

Pyrrhus, je vous l'ai dit, protège Cléonime

Il ramène en ces lieux un Prince qu'on opprime ;

Son honneur le demande enfin, et c'est à vous

À chercher les moyens d'éviter son courroux.

305   Mais une occasion de si grande importance

Doit de votre conseil exercer la prudence.

Aux Éphores Pyrrhus m'ordonne de parler ;

Pour prendre leurs avis on peut les assembler.

Souffrez que devant vous leur sagesse prononce.

310   Vous n'avez plus qu'une heure à me rendre réponse.

Je vous donne ce temps pour en délibérer,

Et voudrais que les Dieux pussent vous inspirer.

Pensez-y bien, Seigneur.

SCÈNE V.
Acorate, Mandricidas.

ACORATE.

Quoi dois-je m'attendre ?

Parlez, Mandricidas, pouvons-nous nous défendre ?

MANDRICIDAS.

315   Le peu que nous avons, Seigneur, de vrais Spartains,

Soutiendront avec vous nos glorieux destins ;

Mais un grand nombre aussi s'épouvante, chancelle,

Et semble souhaiter cette paix criminelle.

Les offres de Pyrrhus pourront les éblouir.

ACORATE.

320   La vertu des Spartains jusques-là se trahir !

Que Sparte se démente, et qu'elle m'abandonne ;

Moi seul j'entreprendrai ce que l'honneur m'ordonne :

On me verra toujours d'une constante ardeur,

Malgré le sort jaloux soutenir sa grandeur.

MANDRICIDAS.

325   Zélonide avec vous doit être couronnée ;

Nous avons demandé cet heureux hyménée ;

C'est aux Spartains, Seigneur, à maintenir leur choix,

Et conserver leur gloire en conservant vos droits.

En sera-t-il quelqu'un si lâche, ou si perfide,

330   Dont le coeur ne se change en voyant Zélonide.

Cette grande Princesse en ce même moment

Leur montre qu'il faut vaincre ou périr noblement.

Elle leur parle à tous d'un air fier et tranquille,

Son exemple, ta voix...

ACORATE.

Qu'elle cherche un asile.

335   Il lui faut de la guerre épargner les horreurs,

Il la faut dérober à de lâches fureurs ;

Sparte dans son péril est trop intéressée !

Et puisque vôtre avis s'accorde à ma pensée

Achevons ce dessein. Ordonnez tout. Allez.

340   Voyez qui sont les coeurs timides et troublés.

Relevez leur espoir. Je vais par ma présence

De nos braves guerriers soutenir l'assurance.

Cependant pour répondre au superbe Pyrrhus,

Appelions au Conseil Argesime et Phillus.

345   Faisons leur embrasser le parti qu'il faut prendre.

Hâtons nous. Et gardons de nous laisser surprendre.

J'espère en ce grand jour répondre hautement

Aux devoirs d'un guerrier, d'un Prince, et d'un amant.

ACTE II

SCÈNE I.
Acorate, Mandricidas, Argesime, Mandricidas.

ACORATE, après s'être assis et les avoir fait asseoir.

Vous de qui la vertu justement renommée,

350   Dans les plus grands Emplois s'est toujours confirmée ;

Magnanimes Spartains, dont le Ciel a fait choix

Pour soutenir le trône, et conseiller les Rois.

Vous le voyez ; Pyrrhus cesse de se contraindre ;

Vous savez ce qu'il est, et ce qu'on en doit craindre.

355   En d'immenses projets laissant flotter son coeur

Il ne s'arrête point, ni vaincu, ni vainqueur ;

Avide, entreprenant, sans règle, sans justice,

Il compte le repos pour son plus grand supplice.

Dans ses heureux succès, sans jamais en jouir,

360   À de nouveaux desseins il se laisse éblouir,

Et jamais rebuté par les succès contraires,

La honte enflamme encor ses désirs téméraires.

Toujours son vaste espoir dévore l'Univers.

Après avoir en vain traversé tant de mers,

365   Vaincu parles Romains, repoussé dans l'Épire,

D'Antigonus surpris il envahit l'Empire ;

Et dans la Macédoine encor mal affermi

Il la quitte, et vers nous marche comme ennemi.

D'un prétexte frivole armant son insolence,

370   Pour asservir les Grecs c'est par nous qu'il commence.

Il croit que notre hommage et nos soumissions

Vont disposer au joug les autres nations.

Que deviendrait donc Sparte en tous lieux célébrée ?

Où serait sa vertu des peuples adorée ?

375   Ah ! Si le fier Pyrrhus ose nous outrager,

Ne délibérons point, et courons nous venger ;

Sans prévoir le succès, et sans compter les hommes,

Il s'agît seulement de montrer qui nous sommes,

Il s'agit de donner, en rejetant des fers,

380   L'exemple que nos coeurs doivent à l'Univers.

ARGESIME.

Grand Prince, ce discours est un témoin fidèle

Que Sparte élève en vous un héros digne d'elle.

Mais cette jeune ardeur qui vous porte aux combats,

Seigneur, aurait besoin d'armes et de soldats.

385   Malgré ces hauts désirs notre ville déserte

Sans pouvoir se défendre à Pyrrhus est ouverte.

Il n'est ici, ni fort, ni murailles, ni tours.

Et la Paix qu'on nous offre est nôtre seul recours.

Quel exemple donner ? Qu'oserez-vous prétendre ?

390   Pyrrhus peut nous détruire, il peut tout entreprendre ;

Et quand son bras, Seigneur, nous aura terrassé,

Ôterons nous le joug aux peuples oppressés ?

Ce roi qui d'escadrons vient inonder nos plaines

A vaincu par deux fois les légions Romaines.

395   Il eut du Capitole arraché les lauriers,

Si Rome eût pu jamais s'épuiser de guerriers,

Si ce Peuple nombreux qu'enferment ses Murailles

N'eût réparé soudain la perte des batailles.

Que Ferez-vous tout seul contre un Roi si puissant ?

400   D'ailleurs voit on ici quelque intérêt pressant ?

Nous veut-il imposer l'affreuse servitude ?

L'alliance qu'il offre, a-t-elle rien de rude ?

Si comme juste arbitre il vient se présenter,

Ménageons son esprit au lieu de l'irriter.

405   Peut-être croyez vous (c'est ce qui vous anime)

Qu'il rendra Zélonide au Prince Cléonime ?

Avez-vous les moyens de vous en garantir ;

Et ne devez-vous pas, Seigneur, y consentir ?

De Sparte tant de fois vous avez vu le zèle ;

410   Elle a tout fait pour vous, ferez vous moins pour elle ?

Nous rompions cet hymen pour flatter vos souhaits,

Laillez-le renouer pour nous rendre la paix.

Peut-on vous excuser si cette ardeur fatale

Attire, en vous perdant, la perte générale ?

415   Non, non, de la prudence écoutez mieux la voix ;

Le salut de l'État est la régie des Rois

Aux destins opposés céder sans violence,

D'un esprit héroïque est la grande science ;

Il fléchit sous leurs coups sans en être abattu,

420   Prince ; et le désespoir ne fut jamais vertu.

Voilà ce qu'en mon coeur dicte un devoir sincère ;

Seigneur, faisons la Paix, puisqu'elle est nécessaire,

N'attirons point sur nous un vainqueur furieux,

Et laissons l'avenir dans le secret des Dieux.

MANDRICIDAS.

425   Argesime, est-ce assez ? Votre noble éloquence

Veut-elle plus longtemps nous contraindre au silence

Est-ce un Spartain qui parle, et puis-je l'écouter

Quel que soit l'ennemi, nous devons-résister

Prince ; et ceux d'entre nous à qui l'honneur sait plaire

430   Vont trouver sur vos pas de quoi le satisfaire.

Avec le fier Pyrrhus rien n'est à ménager ;

Sparte connaît la gloire, et non pas le danger.

De ses braves guerriers les coeurs inébranlables

Furent toujours ses murs et ses forts imprenables :

435   Et si par leur absence elle perd leur appui,

Il faut que son nom seul la défende aujourd'hui.

Mais ce projet n'est pas tout-à-fait téméraire,

Nous attendons l'armée et le Roi votre père.

Par une belle audace on peut se soutenir,

440   Et lui donner enfin le temps de revenir.

PHILLUS.

Oui, dût fondre sur nous toute la Terre armée,

C'est à nous de répondre à notre renommée.

Conservons, Argesime, un généreux espoir,

Et sans plus balancer faisons notre devoir.

ARGESIME.

445   Y songez-vous Phillus ? La résistance est vaine.

Dès le premier assaut notre perte est certaine.

MANDRICIDAS.

Qu'entends je ! Sans combattre on veut que les Spartains

Aux chaînes de Pyrrhus aillent tendre les mains.

En vain par tant de soins nos âmes cultivées.

450   Aux plus hautes vertus dès l'enfance élevées,

Ont appris à braver les menaces du sort,

Le travail, les périls, la douleur, et la mort.

Ciel ! Ces divines lois dans nos esprits tracées

Par un honteux oubli sont-elles effacées ?

455   L'Univers pourra-t-il croire ce que je vois

Que le coeur d'un Spartain soit capable d'effroi !

ARGESIME.

Ces lois, Mandricidas, ont eu leur origine

Pour le bonheur de Sparte, et non pour sa ruine.

C'est une fausse gloire enfin qui fait courir.

460   Aux dangers où l'on voit qu'on est sûr de périr.

MANDRICIDAS.

Donc ces trois cents guerriers, dont les regards tranquilles

Affrontèrent la mort au pas des Thermopyles,

Qui nobles compagnons du Roi Léonidas

Soutinrent les assauts d'un million de bras,

465   Et qui comblés d'honneur par leurs faits magnanimes

Furent de tous les Grecs volontaires victimes,

Ces Spartains, dont l'exemple à nos yeux vient s'offrir,

Si l'on croit Argesime, eurent tort de mourir.

ARGESIME.

Ce grand Roi, ces Guerriers, dont la valeur si rare

470   Soutint l'horrible choc de tout le Camp barbare,

À bon droit sont loués de ce noble transport.

Ils servaient tous les Grecs en courant à la mort,

Aux troupes des Persans ils fermaient le passage.

Et sauvaient leur pays d'un funeste rivage ;

475   Mais ici la fureur qui vient vous agiter,

Attire nos malheurs, loin de les arrêter.

Vous aiguisez le fer, vous allumez les flammes,

Qui vont faire périr nos enfants et nos femmes.

Vous traînez à la mort ces illustres vieillards,

480   Dont jadis la vertu brava tant de hasards.

Vous...

ACORATE.

Non, ne craignez rien. Conservez vos familles.

Éloignez de ces bords vos femmes et vos filles.

Choisissez un asile à ces jeunes enfants,

À ces vieillards courbés sous le fardeau des ans.

485   Qu'il ne reste en ces lieux que ceux dont la présence

Pourra contribuer à notre résistance.

Et ne voyant plus rien qui nous puisse attendrir

Sans trouble et sans regret mourons, s'il faut mourir.

Heureux qui peut trouver de belles Destinées,

490   Qui d'un coup glorieux voit trancher ses années !

Et malheureux celui qui traînant de longs jours,

Attend qu'un sort vulgaire en termine le cours !

D'une éclatante mort faisant notre espérance

Avant que de mourir prenons notre vengeance,

495   Entraînons l'ennemi sous nos sanglants débris,

Et qu'il ne cherche plus de victoire à ce prix.

ARGESIME.

Je ne saurais. Seigneur, m'empêcher de redire

Qu'en un trop grand péril vous jetez cet Empire.

Si le Roi votre père a mis en votre main

500   Jusques à son retour le pouvoir souverain,

À cet emportement il n'a pas dû s'attendre.

Eh ! Quel retour pour lui de voir son trône en cendre,

Tout détruit...

ACORATE.

Quand Pyrrhus nous ferait succomber.

Tout l'État avec nous n'est pas prêt à tomber.

505   Mon père et nos guerriers qu'à suivis la victoire,

Reviendront venger Sparte, et rétablir sa gloire,

Ou se feront enfin un trône et des remparts,

Partout où s'étendra la pointe de leurs dards.

PHILLUS.

Que nos enfants si chers, nos illustres Spartaines

510   Évitent promptement et la mort et les chaînes.

MANDRICIDAS.

Déjà pour ce départ j'ai fait tout préparer.

SCÈNE II.
Officier Spartain, Acorate, Mandricidas, Phillus, Argesime.

OFFICIER.

Seigneur, l'Ambassadeur...

ACORATE.

Hé bien. Il peut entrer.

MANDRICIDAS.

Prince, l'amour de Sparte et sa chère espérance,

C'est de vous seulement qu'elle attend sa défense.

515   Décidez. Répondez à ses fiers Ennemis ;

Son destin tout entier en vos mains est remis.

SCENE III.
Lisimacus, Acorate, Mandricidas, Argesime, Phillus, Spartains, Épirotes.

LISIMACUS.

Auprès du Roi mon maître il est temps de me rendre ;

Sur ses intentions qu'il vous a fait entendre,

Vous délivrerez trop. Et qui pouvait penser,

520   Seigneur, qu'à s'y soumettre on dut tant balancer ?

ACORATE.

Dites à votre Roy que son attente est vaine ;

Que Sparte toujours libre, et toujours souveraine,

Pour son arbitre ici ne veut point l'accepter,

Et pour son ennemi ne peut le redouter.

LISIMACUS.

525   Vous quitterez bientôt cet orgueil téméraire,

Quand vous verrez sur vous éclater la colère

D'un Roi que sa clémence a voulu retenir,

Et tel qu'un Dieu vengeur forcé de vous punir.

ACORATE.

Si Pyrrhus est un Dieu, sa puissance équitable

530   N'a point de châtiment pour qui n'est point coupable ;

Et si ce n'est qu'un homme, il va voir aujourd'hui

Qu'il en est parmi nous qui valent mieux que lui.

LISIMACUS.

Si ses exploits chez vous trouvent peu de créance,

Vous en serez instruits par votre expérience.

ACORATE.

535   C'est trop de vains di{cours, allez nous l'attendrons

Et peut être, Seigneur, que nous le préviendrons.

SCÈNE IV.
Acorate, Mandricidas, Argesime, Phillus.

ACORATE.

Le sort en est jeté. Combattons. Argesime,

Rien ne saurait pour vous affaiblir mon estime ;

Mais embrassés enfin un dessein glorieux.

540   Allons. Tous les moments deviennent précieux.

Que la Princesse parte, et cherche un sûr asile.

MANDRICIDAS.

Vers la Crète, Seigneur, le passage est facile,

Avant que l'ennemi qui s'avance à grands pas

Ait couvert d'escadrons les bords de l'Eurotas.

545   Le fleuve est libre encor, Seigneur, venez vous-même

Ordonner ce départ.

ACORATE.

Éloigner ce que j'aime !

Si j'ose m'exposer à revoir tant d'attraits,

Pourrai-je me résoudre à ne les voir jamais ?

Quels regrets ! Quel adieu ! Quels combats je vais rendre !

550   Allons. Dieux, la voici !

SCÈNE V.
Zélonide, Archidamis, Acorate, Mandricidas, Argesime, Phillus.

ZELONIDE.

  Que m'a-t-on fait entendre ?

Quelle indigne pitié, quels soins injurieux

Prétendent malgré nous nous bannir de ces lieux ?

On dit, et je n'ai pu retenir ma colère

Que de notre départ le Conseil délibère.

555   Ah ! Si ce bruit est vrai, je viens vous avertir

Qu'à ce honteux exil je ne puis consentir,

Nos Spartaines, Seigneur, qu'on en a menacées,

Sont toutes comme moi, vivement offensées.

ACORATE.

Sparte de ce péril a voulu vous sauver

560   Comme l'unique bien qu'elle ait à conserver

Le Conseil a jugé qu'ici votre présence

Peut ralentir l'ardeur de notre résistance.

Votre sexe charmant avec ces doux appas

N'est point né pour le trouble et l'horreur des combats.

565   Chacun de nos Guerriers craignant pour ce qu'il aime

Oublierait son devoir en ce désordre extrême ;

Mais nos coeurs affermis par votre éloignement

N'auront....

ZELONIDE.

Jugez de nous plus favorablement.

Si les Femmes ailleurs et faibles et craintives,

570   Dans le sein du repos languissamment oisives,

Ont borné leur esprit à des amusements,

Ont mis toute leur gloire en de vains ornements ;

Seigneur, d'un autre esprit nous sommes animées,

À de plus beaux desseins Sparte nous a formées.

575   Loin de vous retenir par des charmes trompeurs,

Sans cesse aux grands exploits nous enflammons vos coeurs.

Nous voulons que l'amour les embrase et les guide

Pour prendre vers la gloire un essor plus rapide.

Quelle outrageuse erreur vous fait donc présumer

580   Qu'ici nous vous nuirons, loin de vous animer ?

Aider à soutenir un trône qui chancelle ;

Sauver notre Patrie, ou nous perdre avec elle ;

Étonner l'Univers par notre fermeté ;

Voilà notre devoir et notre volonté.

585   De l'État avec vous embrassant la défense,

Compagnes et témoins de votre résistance,

Nous vous disputerons par un commun effort,

Ou l'honneur du triomphe, ou l'honneur de la mort,

Rien ne peut s'opposer à cette noble envie.

590   Si Sparte doit périr nous haïssons la vie ;

Dans notre éloignement le bruit de son malheur

Nous ferait mille fois expirer de douleur.

ACORATE, aux Ephores.

Laissez-moi, je veux seul parler à la Princesse.

Qu'on s'arme cependant. Allez, le temps nous presse.

595   Et toi qui vois l'excès de mon trouble amoureux,

Ciel, laisse-moi fléchir ce coeur trop généreux.

SCÈNE VI.
Zelonide, Acorate, Archidamie.

ZELONIDE.

Plus le péril est grand, j'en juge par moi-même,

Plus un coeur généreux s'attache à ce qu'il aime ;

J'aurais crû que l'effort qui l'en veut séparer

600   Loin de rompre ces noeuds n'eut fait que les ferrer.

Cependant vous cédez, et votre âme alarmée....

ACORATE.

Jamais plus ardemment vous ne fûtes aimée,

Et jamais un départ avec tant de rigueur

D'un véritable Amant n'a déchiré le coeur ;

605   Mais vous voyant l'objet des fureurs d'un barbare,

Incertain du succès que le sort nous prépare ;

Dans un funeste choix je trouve encor plus doux

De vous voir éloigner que de craindre pour vous.

Ma Princesse, partez.

ZELONIDE.

Moi, Spartaine et Princesse,

610   Moi, j'irai mendier la pitié de la Grèce,

Déplorer mon pays sur des bords étrangers,

Attendre sa ruine a l'abri des dangers !

Ah ! Seigneur, croyez-vous que ma gloire y consente ?

Croyez-vous que du sort la fureur menaçante

615   À cette indignité me fasse recourir ?

Et doutez-vous enfin que je sache mourir ?

ACORATE.

Ah ! Je vous connais trop. Oui Princesse inhumaine,

Ce coeur si fier, si grand cause toute ma peine.

Sera-t-il insensible à mes vives douleurs ?

620   Voulez-vous m'arrêter à répandre des pleurs ?

Quand l'ennemi s'approche, et que l'on prend les armes

Dois-je encor de l'amour éprouver les alarmes ;

Ces moments que je perds...

ZELONIDE.

Dans l'ardeur des combats

Vous serez satisfait en ne me voyant pas.

625   Mais moi si je vous laisse, errante, fugitive,

Sans gloire, sans vous voir pensez-vous que je vive ?

Et ce cruel destin irrité contre nous

Me sera-t-il jamais aussi cruel que vous !

ACORATE.

Épargnez mes frayeurs. Mon coeur vous en conjure

630   Par son ardente amour si parfaite et si pure,

Par tous ces Dieux auteurs du sang dont vous sortez.

Choisissez un asile, éloignez-vous, partez.

ZELONIDE.

Lorsqu'à vous accabler l'injuste sort s'apprête

Vous voulez que je fuie, et c'est ce qui m'arrête.

635   Me résoudrais-je encore, en perdant tout espoir,

De perdre un seul moment qui me reste à vous voir ?

Au nom de tous ces Dieux, au nom de notre flamme

À ce funeste exil ne forcés point mon âme.

Je ne fuirai jamais, l'honneur le veut ainsi ;

640   Et s'il faut l'avouer, l'amour le veut aussi.

ACORATE.

Hélas ! Vous me trompez. Vous vous trompez vous-même.

Princesse, votre coeur ne sait point comme on aime ;

Et sans être touché de mes tristes soupirs

D'une gloire barbare il fait tous les d"sirs !

ZELONIDE.

645   Il ne faut point ici disputer davantage.

C'est trop. Reviens à toi. Rappelle ton courage.

Acorate, je t'aime, et j'ai crû que mon cceur

Était l'unique prix digne de ta valeur.

Redoublons aujourd'hui nos ardeurs immortelles.

650   Et comme vrais Spartains, et comme amants fidèles.

Sans laisser ces devoirs l'un par l'autre affaiblis,

Et sans les distinguer, qu'ils soient tous deux remplis.

Que l'Amour nous unifie, et que l'Honneur nous guide ;

Faisons voir à l'envi quel est le sang d'Alcide.

655   Meurs, je te le permets, pour la Gloire et pour moi,

Et laisse-moi mourir, et pour elle et pour toi.

ACORATE.

Vous, ma Princesse, vous mourir en ma présence ?

ZELONIDE.

Sur les Dieux et sur nous fondons notre espérance.

Que ta valeur....

ACORATE.

Mon coeur se serait tout promis

660   Si vous n'attendiez pas nos cruels ennemis.

Mais tremblant des périls où je vois ma Princesse...

ZELONIDE.

Change en Un beau courroux la douleur qui te presse.

De quels affreux dangers crois-tu me retirer ?

Est-il un plus grand mal que de nous séparer ?

665   Mais je vais retrouver ces généreuses femmes

Dont un conseil indigne a pu troubler les âmes :

Je vais les affermir. Puis je suivrai tes pas.

Je veux t'accompagner au plus fort des combats,

Te montrer qu'à tes jours ma vie est enchaînée,

670   Que les Cieux n'ont pour nous fait qu'une destinée,

Couronner de ma main ton front victorieux,

Ou mourir avec toi d'un trépas glorieux.

SCÈNE VII.

ACORATE, seul.

Ah ! Princesse... Elle fuit. Quelle fierté ! Quels charmes !

Que je sens à la fois de plaisirs et d'alarmes !

675   On m'aime, je le vois, je n'en saurais douter ;

Par quels fameux exploits faut-il le mériter.

ACTE III

SCÈNE I.
Zelonide, Archidamie.

ZELONIDE.

Oui, notre sexe ici remporte une victoire

D'où Sparte va tirer sa plus brillante gloire.

On n'en a pu résoudre aucune à s'éloigner ;

680   Au seul nom de retraite on les voit s'indigner ;

On les voit rejeter d'une noble colère

Les plaintes d'un époux, d'un amant, ou d'un père.

Ô qu'à jamais pour nous ce jour sera fameux !

Toutes m'environnant dans un ordre pompeux

685   Comme au jour solennel d'une agréable fête

De couronnes de fleurs avaient paré leur tête.

Vois quel heureux espoir éclate en leurs regards

Qui fait à nos guerriers ignorer les hasards

Et comme leur beauté brillant parmi les armes

690   Pour animer les coeurs a redoublé ses charmes.

ARCHIDAMIE.

Si Sparte des destins peut braver le courroux

Sa gloire et son salut ne seront dus qu'à vous.

ZELONIDE.

À ce noble dessein comme moi résolue

Ne te dérobe point la part qui t'en est dûe,

695   Quoi que le ciel enfin de nous veuille ordonner

Sparte d'un double honneur se verra couronner,

Et l'on admirera, même sous ses ruines,

Parmi ses grands Héros ses fières héroïnes.

Satisfaite aujourd'hui de ce sort éclatant,

700   Si mon coeur n'aimait pas il ferait trop content.

Mais hélas ! Je ne puis surmonter ma tendresse,

Je crains tout pour le Prince, il m'alarme sans cesse.

Tu l'as vu depuis moi, tu viens de lui parler.

Pourquoi dans ce palais me fait-il rappeler ?

705   Je veux le voir. Vient-il ? Dis-moi, dois-je l'attendre ?

ARCHIDAMIE.

En ce lieu sur mes pas le Prince va se rendre

Il l'a promis.

ZELONIDE.

Peut-être il ne s'en souvient plus,

Et court avec audace au devant de Pyrrhus.

ARCHIDAMIE.

Non, il a pour vous voir la même impatience.

710   Mais il faut qu'en cent lieux il porte sa présence.

Il peut malaisément accorder en ce jour

Tous les soins de la guerre avec ceux de l'amour.

Que d'embarras ! Il sait qu'outre la force ouverte

Des traîtres déguisés conspirent notre perte.

715   Tous les coeurs à ses lois ne sont pas bien soumis ;

Son mérite trop grand même a des ennemis.

Dianasse peut-elle oublier Cléonime ?

Bien qu'elle ait témoigné de l'horreur pour son crime,

Peut-être qu'en secret elle aura consenti

720   D'entrer dans ses complots, d'appuyer son parti,

Elle craint de paraître, et ne s'est point mêlée

Au généreux dessein qu'a pris notre assemblée.

Quoi-qu'il en soit le Prince ici vous fait venir.

Je crois qu'en ce Palais il veut vous retenir,

725   Pour votre sûreté...

ZELONIDE.

  Le seul bien qui me flatte

C'est d'aller partager les périls d'Acorate.

Je ne veux point attendre, et vais faire éclater

Cette ardeur.... Dianasse ici vient m'arrêter.

Sans croire qu'elle trempe au crime de son frère

730   Sa vue en ce moment ne peut que me déplaire.

SCÈNE II.
Dianasse, Zelonide, Phebide, Archidamie.

DIANASSE.

Je ne puis différer les applaudissements

Qu'ont mérité de nous vos nobles sentiments.

Madame, on vous doit tout. Votre seule présence

Laisse encore à l'État une heureuse espérance.

735   Par votre éloignement Sparte allait se priver

De l'unique secours qui puisse la sauver.

Dieux ! En vous bannissant qu'elle était sa pensée ?

Elle augmentait les maux dont elle est menacée.

Car enfin son espoir n'est plus qu'en vos beautés,

740   Qui peuvent déformer ses vainqueurs irrités ;

D'un mot vous l'arrachez à sa perte visible.

ZELONIDE.

Elle est libre. Et mon coeur comme elle est invincible.

DIANASSE.

Tant de Guerriers tout prêts à s'immoler pour vous

Offrent à ce grand coeur un hommage bien doux ;

745   Par là de vos attraits on connaît la puissance.

Mais enfin cette épreuve a trop de violence.

Songez-vous qu'allumant ces combats furieux

De tout le sang versé vous rendrez compte aux Dieux !

ZELONIDE.

Si Cléonime suit les transports de sa rage,

750   Moi, j'en dois rendre compte à ces Dieux qu'il outrage ?

DIANASSE.

Ces fureurs malgré lui le viennent embraser ;

Et c'est vous, ou l'amour qu'il en faut accuser.

ZELONIDE.

Du véritable amour l'impression divine

Si nos coeurs sont bienfaits tient de son origine,

755   Et ces doux sentiments qui nous viennent des cieux

Ne produisent en nous rien que de glorieux.

Mais une âme mal née en corrompt la nature,

Change en ardeur funeste une flamme si pure,

Et voulant excuser ses transports criminels

760   Ose imputer aux Dieux la faute des mortels.

Quand il porte le fer au sein de sa patrie

Peut-il nommer amour cette noire furie ?

Eh ! Plut aux justes Dieux qu'il m'aimât ardemment,

Puisque bientôt ma mort serait son châtiment.

DIANASSE.

765   SoufFrira t-il en paix que vous soyez changée ?

Un autre obtient la foi qui lui fut engagée.

Et qu'a fait après tout ce Prince malheureux

Qui lui doive attirer vos mépris rigoureux ?

Nommé pour votre époux, sorti du sang d'Alcide...

ZELONIDE.

770   Mais lâche, mais induite, inhumain, et perfide.

Peut-il d'un si beau sang se vanter d'être issu,

En imitant si mal ceux dont il l'a reçu ?

Cet invincible Hercule auteur de notre race

Sur l'Olympe autrefois eut-il trouvé sa place

775   Parce qu'on le disait fils du maître des Dieux,

S'il ne l'avait prouvé par ses faits glorieux ?

Que Célonime songe à ceux qui l'ont fait naître

Pour voir ce qu'ils étaient et ce qu'il devrait être.

Sa naissance, son rang, ses titres si vantés

780   Vont rendre ses forfaits encor plus détestés ;

Plus il porte un grand nom plus il se déshonore.

Oui j'ai dû le haïr comme Sparte l'abhorre,

Et c'est l'État enfin qui choisissant pour moi

Au fameux Acorate a destiné ma foi.

DIANASSE.

785   On croit avoir raison, Madame, quand on aime.

Acorate est charmant, je l'avouerai moi-même,

Il a mille vertus, puisqu'il a tant d'appas ;

Mon frère est criminel, puisqu'il ne vous plait pas.

Mais enfin pour agir en Princesse, en Spartaine

790   Ne consultez ici ni l'amour ni la haine ;

Et vous laissant toucher d'une juste terreur

Du puissant Roi d'Épire arreêtez la fureur.

Déjà d'un bruit affreux nos vallons retentissent,

Sous les pas des Guerriers nos campagnes gémissent,

795   On voit ces bataillons de cent peuples mêlés

Se répandre à grands flots dans nos champs désolés ;

Les éléphants armés dont la plaine est couverte

D'un long mugissement annoncent notre perte

Le fer étincelant fait pâlir le soleil,

800   Et de l'assaut prochain l'effroyable appareil...

ZELONIDE.

Tout cela n'est pour nous qu'un appareil de gloire.

Point de fers, point de paix. La mort, ou la victoire.

Adieu.

SCÈNE III.
Dianasse, Phebide.

DIANASSE, regardant sortir Zélonide.

Superbe objet de mes transports jaloux,

Va, tu dois redouter ma haine et mon courroux.

805   Tu m'as donné, Phebide, une fausse nouvelle ;

Le Prince, disais-tu, devait être avec elle.

Mon coeur d'un vain regret cherche à se consumer

En suivant un ingrat qui ne saurait m'aimer.

Hélas j'ai beau montrer une ardeur empressée,

810   Il ne sait pas encor si mon âme est blessée,

Il ne regarde pas si mes yeux languissants...

Mais voudrais je qu'il sut les peines que je sens,

Et que de ma tendresse, et que de mon supplice

À ma fière rivale il fit un sacrifice ?

815   Plutôt mourir cent fois. Mais ce Prince charmant

Touche déjà peut-être à son dernier moment.

Veux-je donc réserver mes plaintes à sa cendre ?

Attendrai-je à parler qu'il ne puisse m'entendre ?

Moi, parler ! À ses pieds verserai-je des pleurs ?

820   Ajouterai-je encor la honte à mes douleurs ?

Gloire de notre sexe, orgueil de ma naissance,

Fierté, raison, vertu, venez à ma défense,

Chassez l'indigne amour dont je me sens brûler

Ou servez moi du moins toujours à le celer.

825   Quand le plus tendre amant à nos genoux soupire

On craint qu'un mot trop doux ne flatte son martyre ;

Et moi de cet ingrat armant les cruautés

Je vais offrir des voeux qui seront rebutez !

Oui oui, c'est trop garder un rigoureux silence,

830   C'est trop de mes tourments cacher la violence.

Et qu'elle honte enfin ai-je à me déclarer

Quand celui qui la cause est tout prêt d'expirer ?

Parlons.

PHEBIDE.

Que je vous plains !

DIANASSE.

Ne me plains point, Phebide.

Laisse-moi me livrer au transport qui me guide,

835   Permets que mon amour s'exprime avec éclat ;

Je n'ai que ce moyen de haïr un ingrat.

Souffrir, toujours pour lui des peines qu'il ignore,

C'est nourrir en secret le feu qui me dévore ;

Mais quand j'aurai parlé, quand l'affreux désespoir

840   Suivra les durs mépris que je vais recevoir,

La honte, le courroux, la haine, la vengeance

Me feront pour jamais détester sa présence ;

Je le perdrai sans peine, et sa mort.... je le vois.

Je sens mon coeur pour lui s'élever contre moi.

845   Que resoudrai je enfin ? Quelle est votre injustice.

Grands Dieux ? Faites qu'il m'aime, ou que je le haïsse.

SCÈNE IV.
Acorate, Dianasse, Phebide.

DIANASSE.

Prince, vous détournez et vos pas et vos yeux.

Vous aviez crû trouver Zelonide en ces lieux ?

ACORATE.

De grâce pardonnez à l'ardeur qui me presse.

850   Oui, Madame, il est vrai ic cherche la Princesse ;

Je viens la conjurer, par un dernier effort,

D'attendre en ce palais l'arrêt de notre sort.

DIANASSE.

Quoi lorsque dans nos champs les ennemis paraissent ?

Vous profitez si mal d'un moment qu'ils vous laissent ?

855   Pyrrhus prêt à l'assaut, semble le différer

Pour voir votre esprit pourra se modérer ;

Et bien loin d'employer ces instants salutaires

À prendre des conseils prudents et nécessaires,

Dans la funeste erreur où vous vous obstinez

860   À de frivoles soins vous vous abandonnez !

ACORATE.

Madame...

DIANASSE.

Non, Seigneur, s'il faut que je m'explique,

Je ne vois plus en vous ce courage héroïque,

Instruit par les vertus, fidèle à son devoir,

En qui Sparte avait mis ses voeux et son espoir.

865   Ce n'est plus sa grandeur qui règne sur votre âme ;

Un vil motif d'amour, l'intérêt d'une femme,

Vous vont faire périr, nous faire périr tous,

Et perdre tant d'exploits qu'on attendait de vous.

Quel changement honteux ! Quelle fureur extrême !

870   Qu'êtes-vous devenu ?

ACORATE.

  Je suis toujours le même.

Mais plutôt votre coeur pour moi s'est démenti ;

De Cléonime enfin il a pris le parti ;

Vous ne me voyez plus que d'un oeil de colère,

Et vous êtes pour moi telle qu'est votre frère.

DIANASSE.

875   Lui, Seigneur, qui vous hait, qui jure votre mort ?

Ah ! Son coeur et le mien n'ont guère de rapport.

Et le trouble cruel qui fait ici ma peine.

Part d'une cause, hélas ! bien contraire à la haine !

Je suis... je crains... je sens... que veux-je dire ? Ah Dieux.

880   Tour lire dans mon coeur n'avez-vous pas des yeux ?

ACORATE.

C'est trop. Je vois toujours, généreuse Princesse,

Que la même bonté pour moi vous intéressr.

DIANASSE.

Croyez-moi donc. Voyez qu'à ces mortels assauts

Vous courez en amant, et non pas en héros.

885   Qu'on va vous accuser....

ACORATE.

  Hé bien laissez tout croire,

Je veux de mon amour tirer toute ma gloire.

DIANASSE.

Cruel ! Ne pouviez-vous aimer innocemment ?

Votre Princesse avait un autre engagement.

Pourquoi l'aller choisir, et l'oser à mon frère ?

890   Peut-elle seule ici mériter de vous plaire ?

Sait-elle seule aimer ? Ah ! Je répondrais bien

Qu'il est pour vous des coeurs plus tendres que le sien.

Seigneur, un autre choix à Sparte favorable

Tarirait de nos maux la source déplorable,

895   Et ce qu'un juste amour eut jamais de plus doux

Sans trouble et sans péril viendrait s'offrir à vous.

ACORATE.

Ces conseils sont donnés par un coeur plein de zèle.

Mais pourrais-je brûler d'une flamme nouvelle ?

Quand j'en serais capable est-ce un temps pour changer ?

900   À repousser Pyrrhus, Madame, il faut songer

Il faut que le combat de notre sort décide.

Avant que d'y courir je cherchais Zelonide.

Je vous quitte. Excusez les transports d'un amant

Qui pour la voir à peine aura ce seul moment.

SCÈNE V.
Dianasse, Phebide.

DIANASSE.

905   Il s'en va l'inhumain. Il s'en va l'insensible

Sans reconnaître même un trouble si visible ?

N'ai-je donc pas allez expliqué mon tourment ?

Et mes yeux n'ont-ils pas parlé plus clairement ?

Ma rougeur, mes regards, ma parole timide

910   Marquaient trop... mais l'ingrat ne voit que Zelonide.

Et lorsqu'il me parlait, charmé de ses appas,

Il volait aprés elle, et ne me voyait pas.

Phebide, c'en est fait. Je n'aç plus d'espérance

Que l'affreuse douceur d'une pleine vengeance.

915   Allons. Où veux-je aller ? De quel oeil puis-je voir

Ces Armes dont l'horreur cause mon desespoir ?

Pour qui me déclarer ? Et quels voeux puis-je faire ?

L'un et l'autre parti ne m'est-il pas contraire ?

Je vois des deux côtés les malheurs que je crains.

920   Toi, Phebide, va voir ces assauts inhumains,

Et reviens m'informer du destin d'Acorate.

Tout m'accable et me nuit, nul espoir me ne flatte.

Aprés tant de tourments, je vois que c'est mon sort

De pleurer un ingrat, et mourir de sa mort.

ACTE IV

SCÈNE I.
DIANASSE ARGESIME.

DIANASSE.

925   Quoi l'on voit la fortune à Pyrrhus opposée

Lorsqu'il pensait jouir d'une conquête aisée ?

Un jeune audacieux a pu le repousser !

Pyrrhus rentre en son camp. L'assaut vient de cesser !

J'avais des ennemis ouï les cris de joie ;

930   On me disait que Sparte était déjà leur proie.

ARGESIME.

Zelonide, Acorate ont changé les destins ;

Leur courage a rendu la victoire aux Spartains ;

Ils triomphent ensemble heureux et pleins de gloire.

DIANASSE.

Acorate est flatté d'une vaine victoire ; -

935   Il doit périr. Son bras a beau se signaler

Ses malheurs seulement peuvent se reculer.

Oui pour lui désormais ma haine impitoyable...

Mais, Dieux ! Racontez-moi ce succès incroyable ,.

Parlez, n'oubliez rien ; ses exploits les plus beaux.

940   À mes yeux irrités sont des crimes nouveaux.

ARGESIME.

Malgré nos intérêts malgré toute ma haine

Je ne puis qu'admirer, sa valeur plus qu'humaine.

Par les sacrés devoirs le Prince a commencé.

Ses guerriers l'attendaient, l'autel était dressé ;

945   Aux Muses avec pompe il fait les sacrifices

Là chacun à l'envi ; pour les avoir propices,

Pour être célébré par leurs chants immortels

A redoublé l'éclat de ces voeux solennels,

Et leur a demandé qu'une histoire fidèle

950   Rendit d'un si beau jour la mémoire éternelle.

Alors rempli d'espoir, et quitte envers les Dieux

Le Prince fait marcher, et ravit tous les yeux.

Il nous paraît plus fier plus grand que de coutume,

D'une plus vive ardeur son visage s'allume,

955   Sa voix plus éclatante enflamme les esprits,

De l'héroïque feu dont son coeur est épris ;

Dans le péril pressant qui partout l'environne,

Ainsi que dans nos jeux il agit, il ordonne.

Les femmes à grands cris animent les guerriers

960   Et sèment devant eux des fleurs et des lauriers.

D'autre côté Pyrrhus en foudre de la guerre,

Avec ce fier orgueil qui croit dompter la Terre,

Et cet art qui l'élève entre les conquerants

Vient, et fait attaquer deux endroits différent.

965   Acorate se lance où le péril se montre,

Sort du retranchement, bat tout ce qu'il rencontre ;

Poursuit avec ardeur les ennemis chassés.

Mais ailleurs par Pyrrhus nos guerriers sont forcés ;

Il entre avec les siens. Et ce vainqueur rapide

970   Prés du Temple d'airain rencontre Zelonide.

La Princesse accourant où l'appelait le bruit

Soutient ce qui résiste, arrête ce qui fuit,

Rallume le combat, où, tout sexe, tout âge

Sait trouver de la force, et montrer du courage.

975   Là j'entends redoubler les cris tumultueux.

Acorate revient d'un vol impétueux ;

D'une invincible ardeur ce guerrier intrépide

Semble se signaler pour plaire à Zelonide ;

Lui seul est en tous lieux, combat de toutes parts

980   De la main, de la voix, du geste, des regards.

Trois fois Pyrrhus suivi d'un nombre épouvantable ;

En s'ouvrant un chemin par son bras redoutable,

Renverse les Spartains, les pousse, se fait jour ;

Acorate trois fois le repousse à son tour.

985   Et s'attachant à lui d'une force nouvelle,

Le casque de Pyrrhus sous son fer étincelle.

Pyrrhus enfin blessé paraît prêt à tomber ;

Mais les siens au vainqueur savent le dérober ;

Ils l'emportent au camp, leurs troupes se retirent,

990   Et les Spartains lassez pour quelque temps respirent.

DIANASSE.

Magnanime Acorate ! Ah ! Quel est mon malheur,

De gémir de ta gloire, et haïr ta valeur !

ARGESIME.

Sparte oubliant ses maux est pleine d'allégresse.

Ce guerrier en triomphe amenant sa Princesse,

995   Ils emportaient les coeurs. Les Spartains tout autour

Célébraient leur vertu, bénissaient leur Amour.

« Ô vaillant Acotate ! Ô belle Zelonide !

Vivez, s'écriait-on, digne Race d'Alcide,

Vivez, et qu'à jamais votre hymen glorieux

1000   Donne des Rois à Sparte, au Ciel de nouveaux Dieux. »

DIANASSE.

Ah c'est trop endurer !

ARGESIME.

Votre coeur en soupire ?

Prêt à perdre Acorate encor que je l'admire,

Je vous le dis, Madame, il le faut accabler,

Ou peut-être lui-même il nous fera trembler.

1005   Sa valeur, il est vrai, de secours dépourvu

Par ses propres efforts devrait être abattue ;

Le sang que cet assaut vient déjà de coûter

Montre assez qu'au second il ne peut résister.

Mais comme il ne saurait consentir à se rendre,

1010   Après la ville prise il prétend se défendre,

Dans ce même Palais il veut se retirer,

D'un prompt retranchement il le fait entourer.

Et si les vents hâtaient le retour de son père

Pyrrhus étant blessé si l'assaut se diffère,

1015   Si les Grecs assemblés enfin osent venir ;

Acorate pourrait nous perdre et nous punir.

DIANASSE.

Songeons à désarmer sa funeste arrogance

Occupons ce palais sa dernière espérance,

Faites que nos amis viennent s'en emparer,

1020   Et pour perdre Acorate allez tout préparer.

Renversez ses projets ; mais contre sa personne

Gardez-vous d'attenter avant que je l'ordonne.

ARGESIME.

Je vais vous obéir.

SCÈNE II.
Dianasse, Phebide.

DIANASSE.

As tu vu ces amants.

Phebide, es-tu témoin de leurs contentements ?

PHEBIDE.

1025   Leur gloire et leurs plaisirs auront peu de durée.

Une attaque nouvelle est déjà préparée.

Pyrrhus revient. Ces coups dont on l'a cru blessé

Sont tombés sur son casque, et ne l'ont point percé

En reprenant ses sens il reprend sa colère,

1030   Par le fer et la flamme il veut le satisfaire ;

Il vient plus menaçant, plus ardent que jamais.

Zelonide étonnée erre dans ce palais.

Que pour elle Acorate a laissé voir d'alarmes ?

Par combien de soupirs, de prières, de larmes

1035   Secondé des Spartains a-t-il su l'obliger

À ne s'exposer plus au milieu du danger !

Enfin elle les croit ; son grand coeur se réprime.

Par la peur de tomber aux mains de Cléonime.

Elle attend Acorate. Et ce Prince a promis,

1040   S'il ne peut repousser l'effort des ennemis,

De revenir ici lui témoigner son zèle,

Combattre, la défendre, et mourir auprès d'elle.

Dans ce dernier asile il laisse à la garder...

DIANASSE.

C'en est trop, à ma rage il faut enfin céder.

1045   Hâtons-nous de les perdre. Allons, j'y cours Phebide.

Immolons Acorate, immolons Zelonide.

Argelime est tout prêt. Rien ne peut retenir...

Mais leur donner la mort est-ce assez les punir ?

Fière Rivale, crains Dianasse outragée,

1050   Si tu mourais trop tôt je serais peu vengée.

Tu m'as ravi l'amant qui seul plaît à mes yeux,

Je te veux mettre aux fers d'un amant odieux.

Oui oui dans ce Palais je la tiendrai captive,

C'est pour mon frère enfin que je veux qu'elle vive,

1055   Et je veux qu'Acorate à mes pieds enchaîné

Ait le temps d'expier son mépris obstiné.

Elle vient. Montrons lui que le devoir, la gloire,

L'amour, et la pitié... pourra-t-elle me croire ?

Ah ! Quand ce ne serait que pour la tourmenter

1060   Peignons-lui tous les maux qu'elle doit redouter.

SCÈNE III.
Zelonide, Dianasse, Phebide.

DIANASSE.

Sparte, Sparte périt. Sa vaine résistance

N'a fait que du vainqueur, irriter la vengeance :

Pyrrhus a redoublé l'ardeur de son courroux.

Vous n'avez qu'un moment, hélas ! Songez à vous.

1065   Votre fière constance enfin serait un crime.

Sauvez votre pays, cédez à Cléomine ;

Ou si votre Acorate est aimé tendrement

Immolez cet amour au salut de l'amant.

Que pour vous-même encor votre coeur s'en sépare,

1070   Et prévienne les maux que sa mort vous prépare.

Quand vous verrez aux pieds d'un vainqueur insolent

Cet aimable héros blessé, pâle, et sanglant ;

Ô douleur ! Quand ses yeux dont la vive lumière

Sut trouver le chemin de votre âme si fière,

1075   Au lieu de leurs regards si brillants et si doux,

Obscurcis et mourants se tourneront vers vous

Dans quels ennuis mortels serez-vous abîmée ?

Moi, Zelonide, moi qui n'en suis point aimée,

3e les retiens pour vous, je me laisse attendrir.

1080   3e voudrais le sauver ; vous le faites périr

ZELONIDE.

Que faire, hélas ! Je l'aime, et, d'une âme ravie

Je recevrais la mort pour prolonger sa vie ;

Mais s'il me faut trahir ma gloire et mon amour

Je ne puis à ce prix lui conserver le jour.

DIANASSE.

1085   Hé n'entendez vous point la gloire (lui TOUS crie ;

« Fais ton devoir, Princesse, et sauve ta Patrie,

Témoigne une vertu qui réponde à ton rang ;

Arrête tant de maux, épargne tant de sang.

Vois du soldat vainqueur l'insolence et la rage

1090   S'acharner, s'assouvir dans l'horreur du carnage ;

Vois les temples tombants, les autels embrasés ;

Sous les brûlants débris les prêtres écrasés.

Vois ces nobles enfants, ces généreuses femmes

Expirant par le fer, dans les flots, dans les flammes.

1095   La mort règne par toi, tu détruis pour jamais

D'un État si fameux l'espoir et les souhaits.

C'est toy »... Que faisons-nous ? Allons parmi les armes

Venez. Allons montrer nos douleurs et nos larmes,

Arrêtons par nos cris un combat plein d'horreur ;

1100   De ces fiers combattants désarmons la fureur.

Venez.

ZELONIDE.

Pour empêcher que Sparte ne périsse

Que ne puis-je m'offrir moi-même en sacrifice,

Endurer mille morts, mille tourments affreux,

Et moi seule éprouver tout son sort rigoureux.

1105   Mais que j'aille me rendre au traître Cleonime !

Que je sois son esclave et le prix de son crime !

Sparte me le défend, et crie à haute voix

Quelle aime mieux périr que de subir ses lois.

Quel fruit espère-t-il de sa lâche entreprise ?

1110   Pyrrhus qui dans don coeur le hait et le méprise

À pour nous asservir feint de le protéger

Et nous gémirions tous sous un joug étranger.

Non non vous pouvez seuls attendre l'esclavage.

DIANASSE.

Tant de maux ne sauraient fléchir votre courage !

ZELONIDE.

1115   Votre feinte pitié, qui veut me décevoir,

M'immole à votre frère, et non à mon devoir.

DIANASSE.

Hé bien donc. Signalez votre gloire insensée.

Peut-être en ce moment Sparte est déjà forcée.

Je vais de sa disgrâce adoucir les rigueurs,

1120   Si mes cris sont ouïs des superbes vainqueurs.

SCÈNE IV.

ZELONIDE, seule.

Non rigoureux destin, non fortune cruelle

Vous ne sauriez éteindre une flamme si belle,

Redoublez, s'il se peut, vos assauts contre moi,

D'un triomphe nouveau c'est honorer ma foi.

1125   Heureuse en ces malheurs où ma constance éclate

Pour ma chère patrie, et pour mon Acorate ;

Mais Prince que fais-tu parmi tant d'ennemis ?

Ils n'en veulent qu'à toi. Tous leurs coups... je fr"mis ?

Et tu veux que j'attende ! Ô soin trop inutile ?

1130   Au milieu des périls je serais plus tranquille,

De tant de coups mortels qui ne cherchent que toi,

Si quelqu'un me cherchait j'en aurais moins d'effroi ;

Et ne serais-je pas, hélas ! Trop fortunée

Recevant une mort qu'on t'aurait destinée.

1135   Pourquoi n'as-tu pas crû mes justes sentiments ?

Dans ce triste palais je meurs à tous moments.

Mais on vient. Tout périt. Enfin Sparte est perdue.

Dieux !

SCÈNE V.
Archidamie, Zelonide.

ARCHIDAMIE.

Notre destinée est encor suspendue.

Par de là notre espoir nous avons résisté.

1140   De votre illustre amant l'heureuse activité,

L'invincible valeur, l'ardeur infatigable

Soutiennent jusqu'ici cette armée innombrable.

Même en notre faveur il court un bruit confus ;

Nos alliés, dit-on viennent contre Pyrrhus.

1145   On croit voir dans nos champs la poussière élevée

D'un grand secours pour nous annoncer l'arrivée.

Mais s'il manque, où s'il tarde en vain on se défend ;

Nos plus braves guerriers meurent en triomphant.

ZELONIDE.

Ah ne rejetons pas une heureuse espérance.

1150   Les Dieux nos protecteurs feront voir leur puissance.

ARCHIDAMIE.

Un autre bruit encor dit que les ennemis

Dans la forêt prochaine ont arrêté Damis

Qui cherchait pour entrer quelque route secrète,

Et qui nous apportait des nouvelles de Crète.

1155   Pyrrhus de tous côtés redouble ses efforts.

Déjà de ses soldats il détache un grand corps

Qui va rendre des Grecs l'approche difficile ;

Et cependant lui-même il attaque la ville,

En presse les assauts, et prétend la forcer

1160   Avant que le secours ait le temps d'avancer.

ZELONIDE.

Va-t-en voir ce qu'on fait ma chère Archidamie.

Sparte surmonterait la Fortune ennemie

S'il entrait en ces lieux quelque faible secours,

Et si l'on résistait seulement quelques jours.

1165   Nous verrions revenir Areus et l'armée.

Va donc, de notre sort que je sois informée.

Mes voeux vont cependant exciter dans les Cieux

Notre divin Hercule et le maître des Dieux.

N'est-il pas juste enfin que leur faveur éclate ;

1170   Qu'ils conservent leur gloire en sauvant Acorate ?

J'espère. Et je m'en vais au pied de leurs autels

Attendre le secours de leurs bras immortels.

ACTE V

SCÈNE I.

ZELONIDE, seule.

Zelonide, les Dieux ne t'ont pas écoutée.

Dans les derniers malheurs Sparte est précipitée.

1175   Le secours est défait, tout cède aux ennemis,

Et le plus faible espoir ne nous est pas permis.

Que ne vais-je éclaircir ma triste incertitude ;

C'est languir trop longtemps dans un tourment si rude ;

Tandis que je me plains, que j'erre vainement

1180   Peut-être un fer barbare immole mon amant.

Acorate, est-il temps que ma main me délivre ;

Faut-il vivre, ou mourir, ou t'attendre, ou te suivre ?

Qu'Archidamie est lente ! Elle revient. Ah Dieux ?

Tout ce que j'appréhende est écrit dans ses yeux.

SCÈNE II.
Zelonide, Archidamie.

ZELONIDE.

1185   Que devient Acorate ?

ARCHIDAMIE.

  Il fait pour nous défendre

Plus que d'Alcide même on ne pourrait attendre.

Mais tous ces grands efforts enfin sont superflus ;

Accablé d'ennemis...

ZELONIDE.

Ne le verrai-je plus ?

Hélas !

ARCHIDAMIE.

Pour vous revoir méditant sa retraite

1190   Par mille exploits nouveaux il venge sa défaite ;

Demeuré presque seul, forcé de toutes parts,

Vers ce palais, vers vous il tourne ses regards.

Toujours inébranlable en cet état funeste

De ses braves guerriers il rassemble le reste.

1195   Ce héros avec eux vole à votre secours ;

Il vient en ce palais pour défendre vos jours,

Y braver les vainqueurs, arrêter leur furie,

Et soutenir encor sa mourante patrie.

Nous avons vu Pyrrhus charmé de sa valeur

1200   N'oser de ce grand Prince achever le malheur ;

Honorant son courage, et respectant sa gloire,

Il semble en sa faveur retarder la victoire,

Il détourne ses pas d'un combat inégal :

Mais le Prince est pressé par son lâche rival.

1205   Des barbares vainqueurs les troupes répandues

Déjà de ce Palais ferment les avenues.

Cleonime en fureur pousse ces inhumains,

Il échauffe leurs coeurs, il anime leurs mains,

Il veut leur inspirer ses transports et sa rage.

1210   Acorate en cent lieux combat, se fait passage ;

Mais je crains qu'à la fin il ne puisse échapper

Aux nombreux ennemis qui vont l'envelopper.

ZELONIDE.

Hélas contre un rival si fier si redoutable

Des plus noires fureurs Cleonime est capable !

1215   Sa lâche cruauté n'aura point de repos

Qu'il n'ait repu ses yeux du sang de ce héros.

Mais parmi tant d'horreurs ce héros invincible

Aux soins de notre amour est encore sensible ;

De moi par cent combats il tâche à s'approcher ;

1220   Répondons à ses voeux, et courons le chercher.

Il faut malgré le sort nous rendre inséparables,

Qu'en ces derniers moments, encore favorables,

Nos deux coeurs embrasés de semblables désirs

Mêlent en expirant leur sang et leurs soupirs.

1225   Ah ! Le voici. Les Dieux exaucent ma tendresse.

SCÈNE III.
ACORATE, ZELONIDE RACHIDAMIE.

ACORATE.

Grâce au Ciel, je retrouve encore ma Princesse !

ZELONIDE.

Cher Prince, vous vivez ! Acorate, c'est vous !

ACORATE.

Nos ennemis enfin ont fait jour à mes coups,

Ils n'ont pu mettre obstacle à mon ardente envie,

1230   Je vous revois. Je viens assurer votre vie.

À mes justes désirs laissez-vous émouvoir,

Retirez-vous, Madame ; il n'est plus d'autre espoir.

Sauvez-vous, fléchissez ce courage invincible ;

Un seul ; moment rendra ce dessein impossible.

1235   Hâtons-nous. Vous allez trouver Mandricidas

Au pied de ce Palais que baigne l'Eurotas ;

Et j'ai laissé Phillus ; pour en garder l'entrée.

Le chemin est ouvert, la retraite assurée

Venez, embarquez-vous, et bientôt loin d'ici...

ZELONIDE.

1240   C'est assez. Avec moi voudras-tu fuir aussi ?

ACORATE.

Je veux suivre vos pas. Oui. Mais sur ce rivage

Je dois en combattant aider votre passage.

Et dégageant après de ces lieux pleins d'effroi

Ces fidèles guerriers qui s'immolent pour moi ;

1245   Faisant gémir Pyrrhus de l'excès de ma gloire,

Lui laisser pour tout fruit d'une triste victoire

Les débris du Palais que je vais embraser.

ZELONIDE.

Sparte de ces malheurs me pourrait accuser ;

J'aurais par mes conseils animé les Spartaines

1250   À braver du Destin les rigueurs inhumaines ;

J'aurais dit tant de fois qu'il faut vaincre ou mourir,

Et je me sauverais quand je vois tout périr !

ACORATE.

Ah ! C'est vous seule aussi que cherche Cleonime.

À ses lâches fureurs dérobés leur victime.

1255   Vous avez pour la gloire assez fait en ce jour ;

Accordez quelque chose à mon ardent amour.

Arrachez à la mort ces charmes que j'adore ;

C'est le prix que j'attends, la grâce que j'implore.

Ma Princesse, vivez.

ZELONIDE.

Que je vive sans toi !

1260   Que tu t'exposes seul ! Que tu meures sans moi !

Non non, si pour ta gloire il faut que tu t'immoles

Mon coeur.... Mais ce n'est point en de vaines paroles,

Que des moments si chers doivent se consumer ;

C'est par mes actions que je veux m'exprimer.

1265   Allons, avec ton nom que le mien se signale ;

Que je sois ton amante ensemble et ta rivale ;

Que ce palais détruit par un dessein si beau

Nous serve de bûcher, nous serve de tombeau.

Loin que ta noble ardeur pour moi soit retardée

1270   Permets que de mes soins elle soit secondée ;

Que la Grèce attentive à nous considérer

Admire notre mort, au lieu de la pleurer ;

Et que notre aventure en tous lieux publiée

Du plus long avenir ne puisse être oubliée.

ACORATE.

1275   Ô confiance ! Ô vertu quoi donc vous demeurez !

Que résoudre ? Ou courir ? Hélas ! Vous périrez !

Que faire ? Il faut aller, c'est m'a seule espérance,

Pour prolonger vos jours prolonger ma défense,

Ah ! Les vainqueurs encor trembleront sous mes coups.

1280   Vous verrez si mon coeur était digne de vous.

Ciel, secondé l'effort ou mon zèle s'apprête.

ZELONIDE.

Ne nous séparons plus. Je veux te suivre.

SCÈNE IV.
DIANASSE, ZELONIDE, ACORATE.
ARCHIDAMIE.

DIANASSE.

Arrête.

Veux-tu te perdre ainsi ? Vois-tu ce que tu fais ?

Mon frère sans effort va s'ouvrir ce palais.

1285   J'ai retenu ses pas pour empêcher ta perte.

Pour un moment encor ta grâce t'est offerte ;

Demeure, écoute, vois que de mon seul secours

Dépendent désormais ta fortune et tes jours,

Que ma seule présence est ici ton asile.

ACORATE.

1290   Ah ne m'accablez point de ce soin inutile.

Le temps est cher, Madame, et c'est trop m'arrêter.

SCÈNE V.
DIANASSE ZELONIDE ÀRCHIDAI^E,

DIANASSE.

Il fuit. Hé bien c'est toi qui me dois écouter.

Je l'aime cet ingrat. Que de secrètes plaintes !

De chagrins dévorants ! De cruelles contraintes !

1295   Que de maux m'a coûté cet amour malheureux,

Dont l'aveu que je fais est le plus rigoureux !

J'ai parlé, c'en est fait ; un seul moment nous reste ;

Je veux sortir enfin de cet état funeste.

Songe à toi, Zelonide ; un amant furieux

1300   Est tout prêt d'égorger Acorate à nos yeux.

Quel horrible spectacle en ce lieu se prépare !

Moi-même je prétends étonner ce barbare

S'il poursuit Acorate, et s'il veut l'immoler,

Le bras levé sur toi, je le ferai trembler.

1305   Je te laisse un instant, consulte, délibère ;

Désarme mes fureurs et celles de mon frère :

Comme j'ai partagé son crime et ses tourments

J'aurai ses cruautés et ses ressentiments.

Oui, ma jalouse rage à la sienne est égale ;

1310   Il perdra son rival, je perdrai ma rivale.

Je vais ici sur toi venger par mille morts

Mes maux, mon désespoir, ma honte, mes remords,

Et je veux en punir dans ma fureur extrême

Sparte, toi, ton amant, et mon frère, et moi-même.

SCÈNE VI.
Selonide, Archidamie.

ARCHIDAMIE.

1315   Quel transport !

ZELONIDE.

  Je méprise un impuissant courroux.

Un héros indompté combat encor pour nous.

Mais toujours loin de lui serai-je retenue ?

Ô Ciel ! Phillus mourant se présente à ma vue.

SCÈNE VII.
Phillus Zelonide, Archidamie.

PHILLUS.

Je cherche en vain le Prince à travers tant d'horreurs.

1320   Il va de son rival éprouver les fureurs.

Les traîtres m'ont surpris. Phebidas, Argesime

S'emparent du Palais au nom de Cleonime.

Ce Barbare est entré. L'on entend les clameurs.

Des guerriers sur mes pas de tous côtés... Je meurs.

SCÈNE VIII.

ZELONIDE.

1325   Ô noire trahison ! Ô sort inexorable !

Voici de nos malheurs le comble épouvantable.

Surpris d'un coup fatal qu'il ne peut éviter

Acorate périt ; il n'en faut plus douter.

Sort injure, rends-moi ce héros que j'adore ;

1330   Meurtri, pâle, expirant que je le voie encore.

Quels bruits de tous côtés entends-je s'élever

Dans ce tumulte affreux où puis-je le trouver ?

Quel Dieu sera propice à l'ardeur qui m'anime

Elle fait quelques pas, puis elle revient.

Irai-je me livrer au traître Cleonime ?

1335   Ô Ciel ! Je reverrai cet objet odieux !

Ses crimes, les fureurs s'offriront à mes yeux !

Je l'entends, je le vois, ce monstre parricide !

Teint du sang d'Acorate, il cherche Zelonide !

Ah ! Mourons : pour combler mon affreux désespoir

1340   Il ne laisserait plus ma mort en mon pouvoir !

Ô toi, fidèle amant, soit qu'au rivage sombre,

Ton Esprit magnanime ait devancé mon ombre,

Ou soit que ta belle âme y descende après moi,

Elle tire un poignard.

Accepte ici mon sang pour gage de ma foi.

1345   J'emporte chez les morts ma flamme et ma tendresse.

Ton perfide rival...

SCÈNE IX.
Mandricidas, Zélonide.

MANDRICIDAS.

Que faites vous, Princesse ?

ZELONIDE.

Où courez-vous ? Vient-il cet amant furieux ?

Ah ! Je veux que mon sang rejaillisse à ses yeux.

MANDRICIDAS.

Non. Cleonime éprouve une juste vengeance.

1350   Sparte va relever sa gloire et sa puissance.

ZELONIDE.

Ô Dieux ! À ce discours peut-on ajouter foi !

Qui peut nous secourir ?

MANDRICIDAS.

Notre armée et le Roi.

ZELONIDE.

Le Roi !

MANDRICIDAS.

Tout nous le rend. Et les vents favorables,

Et ses soins diligents et les Dieux secourables.

1355   Nos alliés défaits nous ôtaient tout espoir ;

Lorsque par un bonheur que nous n'osions prévoir,

Aréus s'avançant, les soutient, les dégage ;

Pousse les ennemis trouvés sur son passage.

Pyrrhus au premier bruit a fait de toutes parts

1360   Rassembler dans nos champs ses escadrons épars.

Surpris par ce retour il s'empresse, il travaille

À mettre promptement son armée en bataille,

Tandis que contre nous il laisse dans ces lieux

Cleonime suivi de traîtres furieux.

1365   De leur noir attentat le plus lâche complice,

Craignant de recevoir un trop juste supplice,

Argesime, du Prince aurait tranché les jours,

Si le Roi prévoyant n'eut hâté le secours.

Lui qui de l'art des Rois a le parfait usage,

1370   Des lieux qu'il connaissait a pris tout l'avantage,

Et voulant conserver, et son fils, et l'État

S'avance sûrement sans livrer de combat.

Il approche, il détache une troupe fidèle ;

Elle accourt au Palais sous un chef plein de zèle.

1375   Le Prince secouru dans ce moment fatal

Fait changer la fortune, et poursuit son rival.

On voit tomber soudain le traître Cleonime.

Nos bras en même-temps punissent Argesime.

Dianasse vers nous s'avance avec transport,

1380   Entend nos cris de joie, et vois son frère mort ;

Elle nomme Acorate ; et d'un fer qu'elle tire

Elle perce son sein, elle tombe, elle expire.

SCÈNE X.
ACORATE, ZELONIDE MANDRICIDAS.

ACORATE.

Princesse, hâtons-nous de rendre grâce aux Dieux.

Le Roi, toute l'Armée arrivent dans ces lieux.

1385   Pyrrhus assez instruit par notre résistance

De nous vaincre à présent a perdu l'espérance ;

On le voit vers Argos déjà se retirer.

À Mantricidus.

Nous l'y suivrons.

MANDRICIDAS.

Seigneur, Sparte doit respirer.

Allons, tout est sauvé. Que notre joie éclate.

ACORATE.

1390   Allons trouver le Roi. Zelonide !

ZELONIDE.

  Acorate !

ACORATE.

Ô ! Quel bonheur les Dieux vont combler en ce jour.

Vos divines vertus et mon ardent amour.

 


EXTRAIT DU PRIVILÈGE DU ROI.

Par grâce et Privilège du Roi, donné à Paris le trentième jour d'Avril de l'an de Grâce mil six cens quatre-vingt-deux : Signé, Par le Roi en son Conteil, DUGONO : et scellé. Il est permis au Sieur .... de faire imprimer, vendre et débiter par tel Imprimeur ou Libraire qu'il voudra choisir une pièce de Théâtre, intitulée Zélonide Princesse de Sparte, pendant le temps de six années consécutives, à commencer du jour qu'elle sera achevée d'imprimer pour la première fois ; Et défenses sont faites à tous Libraires Imprimeurs et autres, d'imprimer, faire imprimer, vendre, et distribuer ladite Tragédie, sans le contentement de l'Exposant ou de ses ayants cause, sous quelque prétexte que ce soit, à peine d'amende, de confiscation des exemplaires contrefaits, dépens, dommages et intérêts, et autres peines portées par ledit Privilège.

Registré sur le Livre de la Communauté des Marchands Libraires et Imprimeurs de Paris, le vingtième Juin l682 suivant l'Arrêt du Parlement du 8 Avril 1653. Et celui du Conseil Privé du Roi du 17 Février 1665. Signé C. ANGOT, Syndic.

Ledit Sieur.... a cédé son droit du présent Privilège au Sieur CLAUDE BARBIN pour en jouir suivant l'accord fait entre eux.

Achevé d'imprimer pour la première fois le quatrième Juillet 1681.


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