PASTORALE en UN ACTE
1776
Alexis PIRON
© Théâtre classique - Version du texte du 30/11/2022 à 23:13:40.
PERSONNAGES
LYSIS, berger fidèle.
HYLAS, berger inconstant.
SYLVIE, amante de Lysis.
CHOEUR DE BERGERS et de BERGÈRES.
TIMARETTE, confidente, amie de Sylvie.
La scène est sur le bord du Lignon.
SCÈNE PREMIÈRE.
UN BERGER, derrière le théâtre.
Au loup ! Au loup ! Au loup !
Le monstre en furie
Est dans la prairie
Qui ravage tout.
5 | Au loup ! Au loup ! Au loup ! |
Venez, sortez tous
De la Bergerie,
Et rassemblons-nous !
Que chacun de vous
10 | S'arme, cours et crie : |
Au loup ! Au loup ! Au loup !
Que dira Sylvie ?
Ô funeste coup !
Sa brebis chérie,
15 | A perdu la vie ! |
LE CHOEUR
Au loup ! Au loup ! Au loup !
Le monstre en furie
Est dans la prairie
Qui ravage tout;
20 | Au loup ! Au loup ! Au loup ! |
Hallalis, aboiements, cors, cris, etc.
SCÈNE II.
Hylas, Choeur de bergers.
LE CHOEUR
Triomphe ! Victoire !
Le monstre est blessé ?
Il est renversé :
Un trait l'a percé :
25 | Hylas la gloire |
De l'avoir lancé.
Triomphe ! Gloire !
Hylas a la gloire
D'avoir devancé
30 | Le plus empressé. |
Triomphe ! Victoire !
HYLAS
Évitez la triste Sylvie :
Je le vois en pleurs s'approcher,
Toute prête à nous reprocher
35 | Qu'elle a seule été mal servie. |
SCÈNE III.
Sylvie, Hylas.
HYLAS
À la ville on perdrait une amante, un amant ;
Sans en être un moment
Moins gai ni moins tranquille.
Laissez, Belle Sylvie, un regret inutile.
40 | Quoi ! Pour une brebis, vous pleurs daignent couler ? |
N'en avez-vous pas mille
Pour vous en consoler ?
Pensons aux champs comme à la ville.
On y perd une amante, on y perd un amant,
45 | Sans en être un moment |
Moins gai ni moins tranquille.
SYLVIE
Léger en tout, comme en amours,
Hylas, portez ailleurs vos frivoles maximes, [ 1 Frivole : Inutile, vain ; ce qui n'est d'aucune valeur, qui n'a rien de solide, ni qui mérite qu'on le considère.]
Laissez-moi seule ici donner un libre cours
50 | À mes pleurs légitimes ; |
Ils me soulageront plus que tous vos discours.
HYLAS
Une ariette, une fanfare
Dissiperons cette vapeur
Et la fête qui se prépare
55 | Vous rendra votre belle humeur. |
SCÈNE IV.
SYLVIE
Ô ma chère brebis, je t'ai prise à ma suite,
En venant ce matin, cueillir ici des fleurs ?
Moi-même j'ai causé ta perte et mes douleurs :
C'est moi-même qui t'ai conduite
60 | Dans le lieu fatal où tu meurs ! |
SCÈNE V.
Lysis, Sylvie.
LYSIS
Qu'elle est heureuse, hélas ! De mériter vos larmes !
Et qui n'envierait son destin ?
Mais c'est trop se laisser accabler d'un chagrin
Qui me cause pour vous les plus vives alarmes.
SYLVIE
65 | Je le tenais de votre main. |
LYSIS
Ah ! Que ce peu de mots pour mon coeur a de charmes !
Ai-je bien entendu ? Répétez-les sans fin.
Pourquoi, pourquoi, belle bergère,
Cette brebis vous fut-elle si chère ?
SYLVIE
70 | Je la tenais de votre main. |
LYSIS
Partagez donc l'allégresse
Dont vous remplissez mon coeur !
Et montrez moins de tristesse
Pour un si petit malheur.
75 | En amour est-il une peine, |
Quand l'amour d'ailleurs est content,
Qu'il ne rende légère ou vaine,
Et qui dure plus d'un instant ?
Venez faire choix dans ma plaine
80 | De l'agneau |
Le plus beau
Du troupeau
Que je mène !
Chiens et troupeaux et bergers sont à vous.
85 | Aimez, et tout vous sera doux. |
En amour est-il une peine,
Quand d'ailleurs l'amour est content,
Qu'il ne rende légère et vaine,
Et qui dure plus d'un instant ?
90 | Mais quoi, vous soupirez encore ? |
SYLVIE
Votre coeur est tranquille, et le mien ne l'est pas.
LYSIS
Eh ! Quel autre soin le dévore ?
SYLVIE
Comment aimer, sans craindre les ingrats ?
LYSIS
Pensez-vous en avoir un, en moi qui les abhorre ?
95 | Moi, qui vous aimerai par-delà le trépas ? |
SYLVIE
Je vous en croirais... mais hélas !
LYSIS
Avez-vous des sujets de soupçon que j'ignore ?
SYLVIE
Non, mais si vous m'aimez...
LYSIS
Aimer ! Je vous adore.
SYLVIE
Eh bien, si vous m'aimez, rompez avec Hylas.
100 | Ce berger malin, sans cesse |
Rit de la fidélité,
Chante la légèreté,
Plaisante sur la tendresse ;
J'ai vu qu'avec plaisir souvent vous l'écoutiez.
105 | Lorsque près de lui je vous laisse, |
Je vous avouerai ma faiblesse,
Je crains de vous revoir autre que vous n'étiez.
LYSIS
Votre tranquillité fait celle de ma vie :
Je le fuirai, belle Sylvie.
110 | La fête qu'il donne aujourd'hui, |
Pour ce jour seulement l'un à l'autre nous lie :
Demain vous serez obéie ;
Demain, pour jamais je le fuis.
Ensemble.
Loin de nous tout volage
115 | Qui nomme esclavage |
Les noeuds les plus doux ?
Ramenons le bel usage
Des amours du premier âge :
Qu'on prenne exemple sur nous.
120 | Loin d'ici tout volage |
Qui nomme esclavage
Les noeuds les plus doux.
Sylvie sort brusquement voyant venir Hylas.
SCÈNE VI.
Hylas, Lysis.
HYLAS
Tête-à-tête avec ta Sylvie,
Tu n'as que les regards, les soupirs et la voix :
125 | Et je n'interromps pas, je crois, |
Des plaisirs bien dignes d'envie.
LYSIS
Est-il entre amants,
De plus doux moments
Que ceux où l'on se donne une foi mutuelle ?
130 | Sylvie, avec plaisir, écoutait mes serments. |
Nous nous jurions une amour éternelle.
Est-il entre amants,
De plus doux moments
Que ceux où l'on se donne une foi mutuelle ?
HYLAS
135 | La bergère aime la constance, |
Mais ce n'est que dans le berger :
Elle en parle souvent au moment qu'elle pense
Elle-même en changer.
LYSIS
Il est des bergères
140 | Légères, |
Je le sais, Hylas :
Mais je fais de même,
Que celle que j'aime
Ne l'est pas.
HYLAS
145 | Tu n'as dans la tête |
Que ton fol amour :
Songeons à la fête
Qui doit être prête
Pour la fin du jour.
LYSIS
150 | J'y fais un mauvais personnage, |
Et je l'y fais bien malgré moi.
Le rôle d'un amant volage
Devait n'être donné qu'à toi.
HYLAS
On fait ce qu'on veut de foi ;
155 | Tranche moins de lamant fidèle, |
Et me prends pour ton modèle.
Parlons-en de bonne foi :
Tu n'as des yeux que pour ta belle ;
Qu'une autre le soit plus qu'elle,
160 | Tu passeras sous sa loi. |
LYSIS
Trêve à ta morale offensante :
Donne-moi seulement et l'esprit et le ton
Des vers que tu veux que je chante.
Ici on entend un choeur de bergères qui chante.
Il n'est d'amours contents
165 | Que les amours constants. |
HYLAS
Dérobons-nous à la foule bruyante
Des bergères de ce canton ;
Et qui, sourdes à ma leçon,
De ta morale extravagante
170 | Font retenir tout le vallon; |
Ils sortent
SCÈNE VII.
Entrée de bergères.
LE CHOEUR répète.
Il n'est d'amours contents,
Que les amours constants.
TIMARETTE
Aimons comme Sylvie,
Son bonheur y convie.
175 | Il n'est d'amours contents, |
Que les amours constants.
LE CHOEUR
Il n'est d'amours contents,
Que les amours constants.
TIMARETTE
La folle hirondelle
180 | N'aime qu'à changer ; |
Et chez l'étranger
Volez à tire d'aile.
Sans voir le danger
Qui vole autour d'elle
185 | Cependant en paix, la sage tourterelle, |
Près de son tourtereau fidèle,
Jouit, à l'abri des vents,
Et dans tous les temps,
Des plus doux plaisirs du printemps.
TIMARETTE et le CHOEUR
190 | Il n'est d'amours contents, |
Que les amours constants.
TIMARETTE, seule.
Qu'au dieu d'Amour Sylvie a de grâces à rendre !
Elle aime uniquement Lysis ;
Et Lysis, des bergers le plus beau, le plus tendre,
195 | Est d'elle uniquement épris. |
SYLVIE
Des bergers du hameau
Lysis est le plus beau ;
Mais il écoute Hylas ; Hylas est un volage :
Et les bergers aimés sont près d'être inconstants.
200 | Ce Lysis aujourd'hui si fidèle et si sage |
Le sera-t-il longtemps ?
LE CHOEUR
Il n'est d'amours contents,
Que les amours constants.
SYLVIE
Je les ai vus nous fuir : Je les vois reparaître :
205 | Écoutons de ce cabinet ; |
Voyons si je suis en effet
Aimée autant que je le crois être.
Elle va se mettre sous le feuillage.
SCÈNE VIII.
Lysis, Hylas, et les bergères cachées.
HYLAS
Goûte et retiens bien mes leçons,
Qu'un peu de gaîté les seconde.
210 | Tâche d'avoir mon air et mes façons : |
Et je te garantis tout le succès tu monde.
SCÈNE IX.
LYSIS et les bergères cachées.
LYSIS a voix basse, pas si basse pour que les bergères puissent entendre, comme elles ont entendu Hylas.
Il a raison en ce moment :
Prenons son ton, son caractère ;
Laissons-là le sentiment ;
215 | Faisons valoir le talent ; |
Ne songeons enfin qu'à plaire.
Il commence son rôle.
Hélas ! Hélas !
Que le suis las
D'être fidèle !
220 | Est-il temps plus beau, |
Que le renouveau ?
Ni rose plus belle,
Que la plus nouvelle ?
Aimer le même objet ! L'aimer jusqu'au tombeau !
225 | La seule idée en est mortelle. |
Ah ! Le pesant fardeau
Qu'une chaîne éternelle !
Hélas ! Hélas !
Que je suis las
230 | D'être fidèle ! |
Il est mille sortes d'attraits
Qu'une beauté ne peut rassembler seule en elle,
Et dont on ne jouit jamais
Qu'en voltigeant de belle ne belle.
235 | Hélas ! Hélas ! |
Que je suis las
D'être fidèle !
À part de l'autre côté de l'endroit d'où on l'écoutait, mais, assez bas pour qu'il ne puisse être entendu des bergères.
Je me fais à moi-même horreur en m'écoutant.
Ce rôle est abominable.
240 | Je ne m'en sens pas capable : |
Je m'en vais défaire à l'instant.
SCÈNE X.
Sylvie, Timarette.
SYLVIE
Fidèle amour, tu n'as donc plus d'asile !
Je croyais te trouver au fond de ces forêts ;
On te méprise aux champs comme à la ville,
245 | Je les abandonne à jamais. |
Qu'ai-je vu ? Qu'ai-je ouï ? Juste ciel ! Dois-je en croire
Mon oreille et mes yeux ?
Une infidélité si noire
A-t-elle pu fouiller ces lieux ?
250 | Le perfide ! Il me jure |
Qu'il m'aimera par-delà la trépas !
Ses ses serments je me rassure ;
Il me quitte, il rejoint Hylas :
Et le voilà parjure,
255 | Hélas ! |
Fidèle amour, tu n'as donc plus d'asile !
J'ai cru te retrouver au fond de ces forêts ;
On te méprise aux champs comme à la ville,
Je les abandonne à jamais.
Elle brise sa houlette et jette au loin sa pannetière.
TIMARETTE
260 | Ah ! N'abandonnez point une douce retraite |
Où le calme d'un coeur souvent s'est rétabli !
Rappelez, relevez un courage affaibli,
Tous les jours on vous le répète :
L'infidèle berger, par son crime avili,
265 | Fut-il d'ailleurs en tout un berger accompli, |
Est peu digne qu'on le regrette,
Et ne mérite que l'oubli.
SYLVIE
Je ne dois à l'ingrat que mépris et que haine ;
Je l'en accablerai : mon coeur se le promet :
270 | Mais quand on a tant pris de plaisir ou de peine |
À serrer une chaîne,
Qu'on la brise à regret !
SCÈNE XI.
Sylvie, Timarette, Hylas.
HYLAS
Bergères, ma venue est peut-être indiscrète,
J'ai cru trouver ici Lysis.
275 | Lui seul se fait attendre aux lieux où l'on répète |
Le spectacle amusant que je vous ai promis.
SYLVIE
Sors de ma présence,
Berger odieux !
TIMARETTE
Tu blesses nos yeux ;
280 | Laisse-là ta danse, |
Tes chants et tes jeux.
Par eux l'inconstance
Infecte ces lieux ;
Avant leur licence
285 | Nous vivions heureux |
Et dans l'innocence.
Berger dangereux,
Tu blesses nos yeux.
Ensemble
Sors de ma présence ;
290 | Berger odieux. |
HYLAS
J'espérais de mes soins tout un autre salaire.
SCÈNE XII.
Sylvie, Timaretten Lysis, Hylas.
LYSIS, à Hylas.
Voilà ton rôle, Hylas ;
Quelque autre le peut faire :
Je ne m'en charge pas.
HYLAS
295 | Autre boutade, et nouvel embarras ! |
LYSIS
C'est vous que je cherchais, trop heureuse Sylvie ;
Vous ne vous plaindrez plus des destins ennemis,
On a retrouvé la brebis
Que le loup vous avait ravie.
SYLVIE
300 | Eh ! Je n'y songeais plus, Lysis. |
LYSIS
C'est que vous la croyiez blessée ?
La dent ne l'a point offensée ;
Elle est comme elle était lorsque je vous l'offris.
SYLVIE
Telle qu'il plaît au sort de nous la rendre ;
305 | N'étant plus pour moi d'aucun prix, |
La prenne qui la voudra prendre.
LYSIS
J'ignore si je suis,
Et si j'entends Sylvie.
Que dites-vous ?
SYLVIE
Ce que je dis,
310 | Je le dirai toute ma vie. |
LYSIS
Quoi ! Cette brebis si chérie,
Que vous orniez de fleurs, que vous avez nourrie,
Qu'aujourd'hui vous pleuriez, enfin,
Par la seule raison, si j'ose vous en croire;
315 | Et le répéter à ma gloire, |
Que vous la teniez de ma main !
SYLVIE
Oui, je suis si peu constante,
Que cette même raisonnement
Me la rend indifférente.
LYSIS
320 | Expliquez-moi cette énigme effrayante ? |
SYLVIE
Les éclaircissements ne sont plus de raison.
LYSIS, à Timarette.
Ô vous, sa chère confidente !
Au nom de votre intime et tendre liaison,
De grâce, dites-moi ce qu'on veut que j'ignore !
TIMARETTE, à Sylvie.
325 | Confondez-le d'un mot ! |
SYLVIE
Eh ! Que lui dire encore ? |
Ignore-t-il sa trahison ?
LYSIS
Moi qui même ne puis la souffrir dans un autre !
Et quelle bouche a put m'en accuser ?
SYLVIE
La vôtre.
LYSIS
La mienne.
SYLVIE
Rougissez !
TIMARETTE
Berger une autre fois,
330 | Quand vous vous croirez seul, élevez moins la voix. |
Observez-vous avec un soin extrême.
Si vous n'êtes fidèle, au moins soyez prudent.
Pensez bas ; et que l'écho même
Ne soit pas votre confident.
LYSIS
335 | Ah ! Voici déjà qui m'éclaire ! |
TIMARETTE
Tantôt, quand vous avez, à ce lieu solitaire,
De votre coeur léger confié les secrets,
De ces secrets Sylvie était dépositaire ;
Et dessous ce feuillage épais,
340 | J'ai moi-même entendu comme elle, |
Cette chanson toute nouvelle :
Hélas ! Hélas !
Que je suis las
D'être fidèle !
LYSIS
345 | Enfin voilà tout le mystère ! |
Gloire, gloire aux tendres amours,
À Sylvie.
Je triomphe, belle bergère !
Car si je fus aimé, je le serai toujours.
SYLVIE, à Timarette.
Où tend ce discours ?
350 | Qu'est ce qu'il espère ? |
De quoi rit Hylas ?
HYLAS
De votre colère ;
De tout ce fracas,
Pour une chimère.
SYLVIE
355 | Que me voulez-vous faire entendre ? |
HYLAS
Le berger répétait ce rôle injurieux
Que, malgré lui, je lui fis prendre,
Et que tout à l'heure à vos yeux,
Il vient, malgré moi, de me rendre.
LYSIS
360 | Avez-vous pu me croire infidèle un moment ? |
Et comment le pourrais-je être,
Moi qui n'ai pu seulement
Me résoudre à le paraître !
L'étonnement vous arrache un souris.
365 | Que votre bouche ajoute à ce sourire aimable, |
Un mot, un seul mot favorable !
SYLVIE
Venez me rendre ma brebis.
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Notes
[1] Frivole : Inutile, vain ; ce qui n'est d'aucune valeur, qui n'a rien de solide, ni qui mérite qu'on le considère.