TACHMAS

TRAGÉDIE

inédite et inachevée.


Texte conforme au à la transcription établie par Jean-Charles Basson et Dominique Labbé en 2013 d'après le manuscrit conservé dans le fonds Maniban-Campistron aux Archives départementales de la Haute-Garonne à Toulouse.

Publié par Paul FIEVRE, mars 2017

© Théâtre classique - Version du texte du 30/11/2022 à 23:19:58.


ACTEURS

SOLIMAN, souphi de Perse.

TACHMAS, prince de Perse, frère de Soliman.

NÉGARE, princesse de sang royal de Perse.

LYCAN, favori du souphi.

PHÉNICE, confidente de Négare.

ISMAËL, capitaine des gardes de Soliman.

OSMAN, confident de Tachmas.

SUITE DU SOUPHI.

La scène est dans un salon du palais de Soliman.


ACTE I

SCÈNE I.
Négare, Phénice.

NÉGARE.

Je ne le cèle point, ma timide tendresse

Phénice, m'inquiète et m'alarme sans cesse.

Prête de voir l'hymen que j'ai tant souhaité  [ 1 Mot rayé : cet (remplacé par l').]

D'un noir pressentiment, j'ai l'esprit agité  [ 2 Mots rayés : mon coeur est.]

5   Et d'un chagrin secret l'extrême violence  [ 3 Mot rayé : inconnu.]

Ne permet à mon coeur qu'une faible espérance.

Cent présages fâcheux viennent entretenir  [ 5 Mot rayé : vains.]  [ 4 4 Mot rayé : mille.]

Ce chagrin importun que je voudrais bannir.

Malgré tous mes efforts, ma crainte est redoublée,

10   De mortelles frayeurs mon âme est accablée

Et ma faible raison dans cet état présent

N'offre à mes sens troublés qu'un secours impuissant.

PHÉNICE.

De semblables frayeurs, pourquoi vous mettre en peine ?

Madame, bannissez une crainte si vaine.

15   Peignez à votre esprit les sensibles plaisirs

Que l'hymen de Tachmas propose à vos désirs.

Loin de vous fatiguer d'un chagrin inutile,  [ 6 Mots rayés : d'inutiles alarmes.]

Jouissez d'un repos agréable et tranquille,  [ 7 Mots rayés : goûtez de cet hymen les douceurs et les charmes.]

Ne pensez qu'à la joie et goûtez la douceur

20   Que ce noeud glorieux promet à votre coeur.  [ 8 Mots rayés : cet heureux hymen]

NÉGARE.

Non, non ! ma joie encore ne peut être parfaite !

Je ne saurais bannir cette crainte secrète  [ 9 Mots barrés : et j'éprouve toujours une.]

Que le sort à mes voeux si longtemps opposé,  [ 10 Mots rayés : le destin.]

Par mes malheurs passés serait-il apaisé ?

25   Croirai-je que, lassé de m'avoir poursuivie,

Il ne troublera plus le reste de ma vie.

À m'affliger, Phénice, il est trop obstiné.

Il détruira l'espoir que Tachmas m'a donné.

Hélas heureux encore si sa haine implacable

30   N'ajoute à tant de maux une fin déplorable.

PHÉNICE.

D'un amour violent c'est l'ordinaire effet :

Un coeur bien enflammé n'est jamais satisfait

Mais toujours agité d'une crainte bizarre.

Il croit...

NÉGARE.

Tu connais mal la fierté de Négare

35   Chez moi l'amour toujours soumis à la raison

N'a pas lassé mon coeur de son mortel poison  [ 11 Mots rayés : jamais dans mon coeur répandu son poison.]

Et de ces mouvements, souveraine maîtresse,  [ 12 Mots rayés : de nos passions.]

Je n'ai jamais senti de honteuse faiblesse

Et si j'aime aujourd'hui, crois que ma passion

40   Sert de degré, Phenice à mon ambition.

Oui cette ambition qui règne dans mon âme  [ 13 Mots rayés : celle toute enfin.]

Qui règle tous mes pas.

PHÉNICE.

Que dites-vous Madame ?  [ 14 Vers rayés : Oui j'ai fort mal connu le secret de votre âme et j'ai ouï pour Tachmas jusqu'à ce triste jour.]

Quoi, toujours pour Tachmas, votre coeur sans amour

N'a pas payé ses feux d'un digne retour ?

45   Quoi, quand vous lui jurez une ardeur éternelle,

Tous vos serments sortent d'une bouche infidèle ?

Et ce crédule amant, pour vous trop enflammé,

Après de si grands soins n'est pas encore aimé ?

Hélas que je le plains !

NÉGARE.

Il est si fort à plaindre,

50   Lorsque sûr de ma main, il n'a plus rien à craindre.

Je te dirai bien plus : tant de soins qu'il me rend

Ne laissent pas pour lui mon coeur indifférent.

Je ne suis point ingrate et sa persévérance

A mérité de moi quelque reconnaissance.

55   Ainsi je sens pour lui quelque penchant secret

Et ne le perdrais pas sans peine et sans regret,

Mais la grandeur me touche autant que la personne,

Compensant si par sa main je n'ai point de couronne

Si sa main à mes voeux n'offre point de couronne,

60   Du moins en l'épousant, hors la mère du Roi,

Dans la Perse, il n'est plus de femme devant moi.

Je sais bien : malgré tout l'éclat de ma race,

Entre Tachmas et moi, je vois un grand espace.

Nous sommes séparés par un long intervalle.

65   Du trône à moi, Phénice, il est tant de degrés !  [ 15 Vers rayé : Par ce grand hymen, je m'y joins de si près,]

Et l'hymen de Tachmas m'approche de si près

Qu'il ne faut que la mort d'une seule personne

Pour mettre, entre mes mains, le sceptre et la couronne.

C'est là, c'est là surtout que tendent tous mes voeux.

70   Le désir de régner flatte un coeur généreux

Et c'est d'un esprit mal fait et d'une âme commune  [ 16 Mots rayé : bas.]

Qu'un inutile amour doit borner la fortune.

Mais un coeur magnanime, un [...]  [ 17 Mot illisible.]

Et qui ne trouvant point d'éclat élevé,

75   Recherchant, dans les grandeurs, un bonheur achevé.

Je l'avoue, pour moi, l'ambition m'enflamme.

PHÉNICE.

J'avais fort mal connu le secret de votre âme.

J'ai cru que votre coeur, pour cet illustre amant,

Avait plus de tendresse et plus d'attachement

80   Et que, lorsque pour vous, son amour est extrême,

À ses ardents transports, vous répondiez de même.

Mais il entre, Madame, et je lis dans ses yeux

De son coeur enflammé, le dessein glorieux.

SCÈNE II.
Négare, Phénice, Tachmas, Osman.

TACHMAS.

Enfin, Madame, enfin cet heureux temps s'avance

85   Que l'amour rend si long à mon impatience.

J'espère que, dans peu, je serai votre époux :

L'hymen va nous unir dans ses noeuds les plus doux.

L'aveu de Soliman nous est fort nécessaire

Puisque ces projets, madame, ont le bien de vous plaire.

90   Avant la fin du jour je crois de l'obtenir

Et sans doute, il sera charmé de nous unir.

À Osman.

Faites venir Lycan, je veux ici l'instruire

De tout ce qu'au Souphi, de ma part, il doit dire.2  [ 18 Mon amour l'a choisi.]

C'est lui que j'ai choisi pour lui parler pour moi.

95   Madame, il est lui seul très propre à cet emploi.

Le Souphi le regarde en ministre fidèle,

Et je connais pour moi la faveur de son zèle.

Mais quand tout me répond d'un succès trop heureux,

Madame, de quel oeil regardez-vous mes feux ?

100   Sentez-vous les transports d'une douceur secrète ?

Un regard entre nous peut servir d'interprète,

Un coup d'oeil me suffit pour apprendre mon sort.

NÉGARE.

Ma bouche et mes regards seront toujours d'accord,

Seigneur, pour vous marquer une tendresse extrême.

105   Mais pouvez-vous encor douter que je vous aime ?

Vous à qui tant d'aveux sincères et pressants

Ont si bien expliqué tout l'amour que je sens.

Vous balancez encor ? Croyez-vous que mon âme,

Libre encore, est toujours déguisée ?  [ 19 Mot rayé : vois.]

TACHMAS.

Ah madame !

110   Je ne soupçonne point votre sincérité :

Votre coeur est trop grand pour tant de lâcheté.

Mais c'est pour moi, madame, une douceur extrême

D'apprendre tous les jours que ma princesse m'aime.

Et je voudrais ouïr, de moment en moment,

115   De votre belle bouche, un aveu si charmant.

Toutefois je m'alarme et je rougis sans cesse

De ne pouvoir offrir un trône à ma princesse.

Hélas, si vous saviez la secrète douleur

Dont ce chagrin cruel assassine mon coeur.

120   Je m'alarme en secret et je me hais moi-même

De priver votre front, d'un pompeux diadème,

Car votre âme héroïque et votre coeur si fier

Devraient donner des lois à l'univers entier.

Ce souvenir mortel accable mon courage.

125   Je voudrais...

NÉGARE.

  Finissez un discours qui m'outrage.

Dois-je considérer si vous n'êtes pas Roi,

Seigneur, quand vous voulez descendre jusqu'à moi ?

Je vous l'ai dit cent fois. Faut-il vous le redire ?

Votre seule vertu vaut le plus grand empire

130   Et si j'avais, seigneur, dix sceptres à donner,

Ma main, en se donnant, voudrait vous couronner.

Seigneur, connaissez mieux le grand coeur de Négare.

TACHMAS.

Ah ! destin rigoureux ! Ah fortune barbare !

Pourquoi refusez-vous, à mon coeur amoureux,

135   Un trône pour payer cet amour si généreux ?

Je n'en dois point attendre, enfin je sais madame,

D'autre empire à donner que celui de mon âme.

Mais si des soins toujours soumis et complaisants,

De sincères devoirs et des transports puissants,

140   Les plus forts sentiments, qu'un tendre amour inspire,

Ont droit de balancer le défaut d'un empire.

Ah, madame, croyez que jusqu'à mon trépas,

Vous régnerez si bien sur le coeur de Tachmas

Que, toujours occupé du seul soin de vous plaire,

145   Il ne connaîtra plus de puissance étrangère.

Oui madame, toujours j'adorerai vos yeux

J'en jure par Allah, j'en atteste les cieux,

J'atteste du Souphi la puissance suprême,  [ 20 Mot barré : Roy.]

Et plus que tout encore, j'en jure par vous-même.

NÉGARE.

150   Je connais assez bien vos nobles sentiments.  [ 21 Vers illisible : Pour me ... et quels sont .]

Vous n'avez nul besoin du secours des serments.  [ 22 Trois vers rayés.]

Un si parfait amour nous unit l'un à l'autre

Que les soins de mon coeur valent ceux du vôtre.

Quand nous offrons nos coeurs, nous voudrions, tous deux,

155   Pouvoir offrir encore cent trônes avec eux.

Seigneur de votre amour, je suis trop satisfait.

TACHMAS.

Ah pour rendre ma joie encore plus parfaite,

Madame en ce moment, que ne puis-je à vos yeux,

Faire paraître au moins la grandeur de mes feux,

160   Que ne puis-je montrer l'excès de ma tendresse ?

Quel déplaisir pour moi ! Car enfin, ma princesse,

Tout ce que mille amants ont, jusqu'à ce jour,

Ressenti de tendresse, et d'estime, et d'amour,

Tout ce qu'on dépeint, et de zèle et de flamme,

165   N'est qu'un faible crayon de ce que sent mon âme.

Je le jure madame, et vous le savez bien :

Un coeur ne fut jamais si touché que le mien.

Et cependant, hélas, voyez mon infortune :

Je n'ai pour l'exprimer qu'une plainte commune

170   Dont mille autres, soumis à l'amoureuse loi,

Pour expliquer leurs feux, ont usé comme moi.

NÉGARE.

Ne vous fatiguez plus d'un chagrin inutile.

Je sais, pour le détruire, une voie facile.

Tout ce que vous sentez et de fort et de doux,

175   Vos craintes, vos transports, je me les dis pour vous,

Je me les peins moi-même, et mon âme charmée

Connaît, par ce portrait, combien je suis aimée.

Rassurez votre coeur, car le trouble du mien

Seigneur, m'apprend assez quel doit être le sien.

180   Mais quelqu'un entre ici. C'est Lycan qui s'avance.

Vous n'avez pas, seigneur, besoin de ma présence.

Je sors, puisse le ciel vous donner les moyens

De contenter bientôt vos désirs et les miens.

SCÈNE III.
Tachmas, Lycan, Osman.

TACHMAS.

Venez mon cher Lycan, vous m'êtes nécessaire.

185   Je vais vous conter une importante affaire.

LYCAN.

Eh, que puis-je, Seigneur, pour le prince Tachmas ?

Faut-il, pour vous servir, mon épée, mon bras,

Ma vie ? Commandez et pour votre service,

J'aurai...

TACHMAS.

190   Je ne veux point de sanglant sacrifice.

Je suis aimé du peuple et j'ose me flatter

Que je n'ai, dans la cour, personne à redouter.

LYCAN.

Et pour vos intérêts que faudra-t-il donc faire ?

Je suis tout prêt, Seigneur...

TACHMAS.

Parlez au Roi, mon frère.

195   Je sais qu'il vous écoute.

LYCAN.

  Ah ! près de lui, Seigneur,

Vous n'avez pas besoin d'aucun médiateur

Et tout ce que je puis sur l'esprit de mon maître,

Ce ne sera rien, si vous voulez paraître.

Soliman, à vos voeux, voudra tout accorder.

TACHMAS.

200   Quand vous saurez, Lycan, ce qu'il faut demander,

Ce que je veux du Roi, vous louerez ma prudence.

Je vous fais, de mon coeur, entière confidence.

J'aime, Lycan. Jamais dans un coeur amoureux,

Le plus ardent amour n'alluma plus de feux.

205   Ne vous étonnez point de cette ardeur sincère.

Je le fais sans rougir et j'ai droit de le faire :

J'ai tant fait pour l'honneur, Lycan, jusqu'à ce jour,

Que je puis bien donner quelque temps à l'amour

Et mon choix est si noble, et ma flamme si belle,

210   Que mes plus grands exploits sont moins glorieux qu'elle.

Outre que, dans mon coeur, malgré tout son pouvoir,

L'amour sera toujours soumis à mon devoir.

LYCAN.

Quelle est la beauté dont l'aimable victoire,

De ce triomphe illustre, a mérité la gloire ?

215   Quelle est celle, Seigneur, dont les appas

Ont éprouvé votre coeur et captivé Tachmas ?

Quelle, de vos bontés, aurait osé prétendre ?

TACHMAS.

Ah, ce secret n'est pas difficile à comprendre,

Lycan. Je me rendis dès la première fois,

220   Et ne balançais pas si longtemps sur le choix.

La princesse Négare est l'objet de ma flamme.

LYCAN.

Elle est digne, Seigneur, d'assujettir votre âme.

TACHMAS.

Trop injuste Lycan ! Avec quelle froideur,

Vous louez la beauté qui règne dans mon coeur.

225   D'un éloge si froid, ma tendresse s'irrite.

Ah ! quand pour la louer autant qu'elle mérite,

Votre bouche emploierait des mots les plus pressants,

A lui rendre justice, ils seraient impuissants.

Ah ! que j'éprouvais bien la force de ses charmes.

230   Depuis six ans entiers, nourris dans les alarmes,

Je venais triomphant, par mille exploits heureux,

La seule gloire alors occupait tous mes voeux.

Comblé de tant de succès, du gain de six batailles.

[SCÈNE IV.
]

LYCAN, seul.

Il se trompe s'il croit cette injure effacée,  [ 24 Début d'une nouvelle scène.]  [ 23 Un ou plusieurs feuillets manquants ?]

235   Dans mon coeur, la mémoire en est trop bien tracée

Et mon ressentiment ne saurait négliger

Le moyen que le ciel m'offre pour me venger.

Perdant un ennemi, dont le hardi courage,

A mes prétentions, peut donner quelque ombrage.

240   Je me revois en butte à ses honteux dédains,

Toujours fier, et toujours jaloux de mes desseins,

Il a trop soutenu les droits de sa naissance.

Son mérite à la cour braverait ma puissance.

Qu'il périsse ! Mais quoi je médite.

245   Dans le temps qu'il me fait l'arbitre de son sort

Dans le même moment que ce prince crédule

Veut devoir à mes soins son repos, quel scrupule

Vient si mal à propos traverser un dessein

Que depuis si longtemps j'ai formé dans mon sein ?

250   Un grand coeur n'est jamais épouvanté d'un crime.

Pour s'avancer en cour, tout devient légitime.

Tachmas seul aujourd'hui s'oppose à ma grandeur,

Il sentira les traits de ma juste fureur.

ACTE II

SCÈNE PREMIÈRE.
Soliman, Lycan, Tachmas, suite.

SOLIMAN.

Tachmas aime Négare et songe à lui-même.

255   Ce jeune conquérant borna sa destinée,

Lui qui a vu toujours dans l'horreur des charniers,

Cherche dans les périls, de superbes lauriers,

Dont quelquefois de la guerre aimait les charmes,

Éprouve de l'amour les flatteuses alarmes.

260   Je l'avouerai, Lycan, ce retour me surprend.

LYCAN.

Oui, sans doute, Seigneur, ce changement est grand,

Mais l'extrême beauté de la jeune Négare

Peut sans peine adoucir l'âme la plus barbare,

Et, quand elle veut plaire et s'emparer d'un coeur,

265   De son abord charmant, la flatteuse douceur,

De son regard perçant, l'impérieuse amorce,

Dans le sein le plus froid, vont l'enlever de force.

Enfin, tout ce qu'on voit de princes en ces lieux,

Seigneur, ont éprouvé le pouvoir de ses yeux.

270   Et vous seul, sans recours, refusez de lui rendre

Un tribut que, de vous, elle aurait lieu d'attendre.

Vous que le moindre mot, vous dont le premier pas

Auraient rendu, Seigneur, maître de tant d'appas.

SOLIMAN.

Occupé jusqu'ici de l'amour de Lijare,

275   À peine avais-je encore examiné Négare.

Mais, libre depuis peu, de ce joug odieux,

J'ai pris trop de plaisir à regarder ses yeux.

Ils m'ont donné, Lycan, une nouvelle atteinte.

Mais, pour ne pas porter Tachmas à quelque plainte,

280   Pour ne pas affliger un frère généreux,

Avant qu'ils soient plus forts, j'étouffais mes feux.

LYCAN.

Qu'importe que Tachmas ou se fâche ou se plaigne ?

Et faut-il que, pour lui, Soliman se contraigne ?

Pourquoi vous affliger de l'injuste douleur

285   Dont cet effet cruel troublera votre coeur ?

Abandonnez-vous ainsi, sans quelque jalousie,

La plus rare beauté qu'on ait vue dans l'Asie ?

Sans songer à Tachmas, contentez vos souhaits.

SOLIMAN.

Mais le moyen de voir mes désirs satisfaits ?

290   Négare dès longtemps, par mon frère charmée,

De mes premiers discours sera toute alarmée,

Me haïra sans doute et verra mon ardeur

Comme un cruel obstacle au repos de son coeur.

Je la verrai tremblante, et bien loin de lui plaire

295   Pour fruit de mon amour, j'obtiendrai sa colère.

Non, non, faisons seulement naître de ces attraits.

LYCAN.

De Négare, je sais les sentiments secrets.

Cette princesse est fière, et son coeur hautain,

Seigneur, soupire après la grandeur souveraine.

300   Vous croyez que Tachmas a su gagner son coeur,

Mais elle n'aime en lui que la seule grandeur,

Et si vous paraissez...

SOLIMAN.

Eh, que pourrais-je faire ?

Comment gagner Négare et que dire à mon frère ?

LYCAN.

De tant d'égards, Seigneur, vous n'avez pas besoin.

305   Je m'en charge pour vous et laissez-moi ce soin.

Quand Négare saura que vous brûlez pour elle,

Doutez-vous de sa part, d'une ardeur mutuelle ?

N'en doutez point, Seigneur, sans soupirer longtemps,

Vous verrez tous vos voeux et vos désirs contents.

310   Un monarque, en aimant, suit une heureuse route,

La plus fière beauté, dès le premier jour, l'écoute

Et ce qu'un autre amant ne peut que demander,

Un monarque absolu semble le commander.

Vous direz à Tachmas qu'une illustre couronne

315   Doit relever en lui l'éclat de sa personne,

Que sa haute naissance et ses fameux exploits

Ont acquis, à ses voeux, les filles de vingt rois.

Mais pour rompre le cours de leur intelligence,

Le plus sûr des moyens est une longue absence.

320   Attendant que Tachmas puisse quitter ces lieux,

Appelé par les soins d'un emploi glorieux,

Défendez-lui, Seigneur, de plus voir la princesse.

J'appuierai vos projets de toute mon adresse,

Et vous verrez bientôt, par mes soins assidus,

325   Votre flamme contente et leurs soupirs perdus.

SOLIMAN.

[...] C'en est fait.

Que ne demanderai-je point, cher Lycan, à ton zèle ?

De tous mes courtisans, tu m'es le plus fidèle.

Va dire à Tachmas qu'il faut, par de nouveaux combats,

330   De ce superbe sultan trop fier, alarmer les Etats.

Dis-lui que je destine, à son lit, une reine tartare,

Mais, surtout, apprends-lui mon amour pour Négare.

Dis-lui que je l'adore, apprends-lui mes projets,

Défends-lui de ma part de la revoir jamais.

SCÈNE II.
Soliman, Ismaël.

SOLIMAN.

335   Ismaël, que dis-tu de ma flamme nouvelle ?

ISMAËL.

Que dirai-je, Seigneur ? Elle est noble et elle est belle.

Votre choix est si beau qu'il doit être loué

Et par les plus grands coeurs, pourrait être avoué.

Mais, Seigneur, voulez-vous désespérer un frère,

340   Si cher à tout l'Etat, si digne de vous plaire,

Un frère qui, toujours fut si soumis à vos lois,

Demande votre avis pour approuver son choix,

Un frère dont le bras heureux, vaillant, fidèle,

Apporte à votre règne une gloire éternelle,

345   Par qui tant d'ennemis, ou vaincus ou lassés,

Sont venus en tremblant, vous demander la paix.

Pour fruit de ses travaux, il veut une maîtresse.

Votre amour cependant l'arrache à sa tendresse.

Ah, Seigneur, si j'osais vous dire en peu de mots...

SOLIMAN.

350   Mais dois-je, de mon coeur, ruiner le repos,

Et bravant les assauts de ma nouvelle flamme,

Dont la brûlante ardeur fait soupirer mon âme,

Dois-je me condamner à d'éternels tourments ?

ISMAËL.

Ah, c'était là, Seigneur, vos premiers sentiments.

355   Si l'injuste Lycan, par sa funeste adresse,

De votre coeur blessé, sut flatter la faiblesse.

Voyez, pour vous Seigneur, quel triomphe en ce jour,

D'étouffer en naissant un si fatal amour.

Ce triomphe vaudra la plus belle victoire.

360   Songez, Seigneur, songez quel plaisir, quelle gloire

De pouvoir dire, après cet effort éclatant,

J'ai vaincu ma faiblesse et mon frère est content.

SOLIMAN.

Qu'un si pressant discours vient d'ébranler mon âme.

C'en est fait, Ismaël, j'étoufferai ma flamme.

365   Mon coeur fier s'effarouche et semble y résister.

N'importe, ma tête saura tout lui quitter.

Elle assure à mon nom une gloire immortelle.

Mais quelqu'un entre. Ah, c'est Négare. Qu'elle est belle,

Je me rends, Ismaël, à ses divins appas,

370   Et j'oublie, à ses yeux, et la gloire et Tachmas.

SCÈNE III.
Soliman, Négare, Phénice, Ismaël.

SOLIMAN, à Négare qui s'en va.

Où fuyez-vous, madame, ah, demeurez de grâce !

Est-ce pour m'éviter que vous quittez la place ?

M'enlevez-vous le lieu d'admirer vos beaux yeux,

Madame, et vous serais-je, hélas, à ce point odieux

375   Que, pour ne point me voir vous ayez pris la fuite ?

Quelle raison enfin contre moi vous irrite ?

NÉGARE.

Seigneur c'est le respect dont j'ai suivi cette loi.

Je sais ce que je dois à mon maître, à mon roi

Pour ne pas vous troubler, Seigneur, je me retire.

SOLIMAN.

380   Vous me troublez, Madame. Hélas, qu'osez-vous dire ?

Vous de qui la présence et le si noble entretien

Seront toujours ma joie, et ma gloire, et mon bien,

Vous, hélas ! Car enfin, je ne veux plus vous taire

Un amour dont ma bouche avait fait un mystère.

385   De feux trop violents, mon coeur se sent brûler

Pour pouvoir plus longtemps, vous les dissimuler.

Et quand d'un coup mortel, je sens mon âme atteinte

Il doit m'être permis de pousser quelque plainte.

Je ne vous dirai point que, dès le premier jour,

390   Mon amour égala le plus ardent amour.

Vous ne savez que trop, adorable princesse,

Que vous m'inspirez point de commune tendresse

Et que les traits perçants qui naissent de vos yeux,

Portent des coups mortels ou la mort en tous lieux.

395   Je l'ai bien essayé d'étouffer, cette flamme naissante,

Mais malgré ma raison, malgré tous mes efforts,

Vos yeux et mon amour ont été les plus forts.

Enfin, madame, enfin, tout ce qu'on peut attendre

De l'amour le plus fort, de l'amour le plus tendre,

400   Peut-être, pour Tachmas votre âme prévenue,

De ce que je vous dis ne sera point émue.

Je le sens : le chagrin, l'espoir et la douleur,

La rage, tour à tour, s'emparent de mon coeur.

Madame et vous voyez que ma perte est certaine  [ 26 1 Mots manquants.]  [ 25 1 même ne sera pire qu'à peine,]

405   Si vous n'avez pitié des maux que j'ai soufferts,

Si vous n'adoucissez la rigueur de mes fers

Peut-être votre coeur, trop troublé de mes feux,

Dédaignera, Madame, et mes soins et mes voeux.

Qu'en dois-je croire hélas ! Qu'une crainte cruelle

410   M'afflige en ce moment d'une douleur mortelle.

À mes pressants discours, vous ne répondez rien ?

NÉGARE.

Mon trouble malgré moi vous répond assez bien,

Seigneur, et vous saurez que l'amour... Je m'égare ?

Tous mes sens étonnés...

SOLIMAN.

Ah divine Négare !

415   Expliquez-vous de grâce et ne me cachez plus

Ce trouble violent, ces mouvements confus,

Apprenez-moi enfin le sort de l'amour le plus tendre

Que jamais...

NÉGARE.

Est-il bien besoin de vous l'apprendre

Seigneur et votre coeur ne connaît-il pas bien

420   Le secret ascendant qu'il a pris sur le mien ?

Si l'offre de vos voeux ne m'avait point flattée,

L'aurais-je avec plaisir si longtemps écoutée ?

Et le trouble soudain qui paraît dans mes yeux,

En faveur d'un amant peut-il s'expliquer mieux ?

425   Mais que dis-je ? Où m'emporte une aveugle tendresse ?

Oh je rougis, Seigneur, d'avoir tant de faiblesse !

À peine ai-je entendu le bruit de vos soupirs,

À peine m'avez-vous expliqué vos désirs,

Que d'un amour trop prompt la faveur indiscrète,

430   Me fait honteusement avouer ma défaite,

Sans qu'aucun grand effort n'ait prouvé votre foi

Sans savoir, en effet, si vous brûlez pour moi.

Sais-je si vos discours partent d'un coeur sincère

Si vos soins...

SOLIMAN.

Juste ciel, croyez-vous le contraire,

435   Madame, et Soliman est-il si malheureux

Que vous doutiez encor de l'ardeur de ses feux ?

Ah pour vous rassurer, quelque grand sacrifice

Que mon coeur alarmé ! Mais rendez-vous justice

Madame, examinez vos célestes appas

440   Et quand vous l'aurez fait, vous n'en douterez pas.

Moi-même, je m'étonne, et je ne puis comprendre

Comment, de vos attraits, un coeur peut se défendre

Et je veux mal au mien d'avoir, jusqu'à ce jour,

A d'indignes beautés, donné tout mon amour.

445   Oui c'est pour moi, Madame, une douleur mortelle.

NÉGARE.

Mais croirai-je, seigneur, que vous serez fidèle ?

Vous dont l'âme légère a, malgré vos serments,

Brisé les doux liens de tant d'engagements.

Puis-je voir, sans trembler, Lijare abandonnée

450   À d'éternels regrets, aux plaintes condamnée ?

Et dois-je me flatter que vous avez pour moi

Un amour...

SOLIMAN.

Que faut-il pour vous prouver ma foi ?

Faut-il mettre à vos pieds l'empire et la couronne ?

Madame, avec mon coeur je vous les abandonne.

455   Et le sceptre aujourd'hui me semblerait moins doux

Si je n'espérais pas de régner avec vous.

Ne la dédaignez point cette offrande sincère

Que d'un trône aussi beau, l'amour vient de vous faire

Et par un noeud sacré vous joignant avec moi,

460   Assurons-nous, madame, une immortelle foi.

 



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Notes

[1] Mot rayé : cet (remplacé par l').

[2] Mots rayés : mon coeur est.

[3] Mot rayé : inconnu.

[4] 4 Mot rayé : mille.

[5] Mot rayé : vains.

[6] Mots rayés : d'inutiles alarmes.

[7] Mots rayés : goûtez de cet hymen les douceurs et les charmes.

[8] Mots rayés : cet heureux hymen

[9] Mots barrés : et j'éprouve toujours une.

[10] Mots rayés : le destin.

[11] Mots rayés : jamais dans mon coeur répandu son poison.

[12] Mots rayés : de nos passions.

[13] Mots rayés : celle toute enfin.

[14] Vers rayés : Oui j'ai fort mal connu le secret de votre âme et j'ai ouï pour Tachmas jusqu'à ce triste jour.

[15] Vers rayé : Par ce grand hymen, je m'y joins de si près,

[16] Mots rayé : bas.

[17] Mot illisible.

[18] Mon amour l'a choisi.

[19] Mot rayé : vois.

[20] Mot barré : Roy.

[21] Vers illisible : Pour me ... et quels sont .

[22] Trois vers rayés.

[23] Un ou plusieurs feuillets manquants ?

[24] Début d'une nouvelle scène.

[25] 1 même ne sera pire qu'à peine,

[26] 1 Mots manquants.

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