LES DEUX TONNEAUX

OPÉRA COMIQUE EN TROIS ACTES

1734

Voltaire


publié par Paul FIEVRE, juin 2014

© Théâtre classique - Version du texte du 30/11/2022 à 23:12:48.


PERSONNAGES

GLYCÈRE.

PRESTINE, petite soeur de Glycère.

DAPHNIS.

LE PÈRE de DAPHNIS.

LE PÈRE de GLYCÈRE.

GRÉGOIRE, cabaretier-cuisinier, prêtre du temple de Bacchus.

PHÉBÉ, servante du temple.

TROUPE DE JEUNES garçons et de jeunes filles.

La scène est dans un temple consacré à Bacchus.


ACTE I

SCÈNE I.
GRÉGOIRE, troupe de jeunes garçons et de jeunes filles.

Le théâtre représente un temple de feuillage, orné de thyrses, de trompettes, de pampre, de raisins. On voit entre les colonnades de feuillage les statues de Bacchus, d'Ariane, de Silène et de Pan. Un grand buffet tient lieu d'autel : deux fontaines de vin coulent dans le fond. Des garçons et des filles sont empressés à préparer tout pour une fête. Grégoire, l'un des suivants de Bacchus, ordonne la fête. Il est en veste blanche et galante, portant un thyrse à la main, et sur sa tête une couronne de lierre. Ouverture gaie et vive ; reprise douloureuse et terrible.

GRÉGOIRE, chante.

Allons, enfants, à qui mieux mieux ;

Jeunes garçons, jeunes fillettes,

Parez cet autel glorieux ;

Trémoussez-vous, paresseux que vous êtes :

5   Mettez-moi cela

Là,

Rendez ce buffet

Net ;

Songez bien à ce que vous faites.

10   Allons, enfants, à qui mieux mieux ;

Trémoussez-vous, paresseux que vous êtes :

Songez que vous serrez les belles et les dieux.

     

UNE SUIVANTE.

Elle parle.

Eh ! doucement, monsieur Grégoire,

Nous sommes comme vous du temple de Bacchus ;

15   Comme vous nous lui rendons gloire :

Nous sommes tous très assidus

A servir Bacchus et Vénus.

Le grand-prêtre du temple est sans doute allé boire.

Elle chante.

Il reviendra : faites moins l'important.

20   Alors que le maître est absent,

Maître valet s'en fait accroire.

GRÉGOIRE.

Pardon, j'ai du chagrin.

LA SUIVANTE.

On n'en a point ici.

Vous vous moquez de nous.

GRÉGOIRE.

Va, j'ai bien du souci.

Nous attendons la noce, et mon maître m'ordonne

25   De représenter sa personne,

Et d'unir les amants qui seront envoyés

De tous les lieux voisins pour être mariés.

Ah ! j'enrage.

LA SUIVANTE.

Comment ! c'est la meilleure aubaine

Que jamais tu pourras trouver :

30   Toujours ces fêtes-là nous valent quelque étrenne :

Rien de mieux ne peut t'arriver.

J'ai vu plus d'un hymen. L'une et l'autre partie

S'est assez souvent repentie

Des marchés qu'ici l'on a faits ;

35   Mais le monsieur qui les marie,

Quand il a leur argent, ne s'en repent jamais.

C'est l'aimable Daphnis et la belle Glycère

Qui viennent se donner la main.

Que Daphnis est charmant !

GRÉGOIRE, en colère.

Non, il est fort vilain.

LA SUIVANTE.

40   À toutes nos beautés que Daphnis a su plaire !

GRÉGOIRE.

Il me déplaît beaucoup.

LA SUIVANTE.

Qu'il est beau !

GRÉGOIRE.

Qu'il est laid !

LA SUIVANTE.

Très honnête garçon, libéral.

GRÉGOIRE.

Non.

LA SUIVANTE.

Si fait.

Que Grégoire est méchant ! Me dira-t-il encore

Que la future est sans beauté ?

GRÉGOIRE.

45   La future ?

LA SUIVANTE.

  Oui, Glycère ; on la fête, on l'adore ;

Dans toute l'Arcadie on en est enchanté.

GRÉGOIRE.

Oui... la future... passe... elle est assez jolie ;

Mais c'est un mauvais coeur, tout plein de perfidie,

D'ingratitude, de fierté.

LA SUIVANTE.

50   Glycère, un mauvais coeur ! hélas ! c'est la bonté,

C'est la vertu modeste, et pleine d'indulgence ;

C'est la douceur, la patience ;

Et de ses moeurs la pureté

Fait taire encor la médisance.

55   Vous me paraissez dépité :

N'auriez-vous point été tenté

D'empaumer le coeur de la belle ?

Quand du succès on est flatté,

Quand la dame n'est point cruelle,

60   Vous la traitez de nymphe et de divinité ;

Si vous en êtes rebuté,

Vous faites des chansons contre elle.

Allons, maître Grégoire, un peu moins de courroux :

Recevons bien ces deux époux ;

65   Que le festin soit magnifique.

On boit ici son vin sans eau ;

Mais n'allez pas gâter notre fête bacchique

En perçant du mauvais tonneau.

GRÉGOIRE.

Comment ? Que dis-tu là ?

LA SUIVANTE.

Je m'entends bien.

GRÉGOIRE.

Petite,

70   Tremble que ce mystère ici soit révélé ;

C'est le secret des dieux, crains qu'on ne le débite :

Aussitôt qu'on en a parlé,

Apprends qu'on meurt de mort subite.

Cesse tes discours familiers,

75   Réprime ta langue maudite,

Et respecte les dieux et les cabaretiers.

Il chante.

Allons, reprenez votre ouvrage ;

Servons bien ces heureux amants...

     

À part.

Le dépit et la rage

80   Déchirent tous mes sens.

Hâtons ces heureux moments ;

Courage, courage :

Cognez, frappez, partez en même temps :

Suspendez ces festons, étendez ce feuillage ;

85   Que les bons vins, les amours,

Nous donnent toujours

Sous ces charmants ombrages

D'heureuses nuits et de beaux jours.

J'enrage,

90   J'enrage.

Je me vengerai ;

Je les punirai :

Ils me paieront cher mon outrage.

Hâtons leurs heureux moments ;

95   Cognez, frappez, partez en même temps.

J'enrage,

J'enrage.

Ah ! j'aperçois de loin cette noce en chemin.

La petite soeur de Glycère

100   Est toujours à tout la première ;

Elle s'y prend de bon matin.

Cette rose est déjà fleurie,

Elle a précipité ses pas.

La voici... ne dirait-on pas

105   Que c'est elle que l'on marie ?

     

SCÈNE II.
Grégoire, Prestine, La Suivante.

PRESTINE, arrivant en hâte.

Eh ! Quoi donc ! Rien n'est prêt au temple de Bacchus ?

Nous restons au filet ! Nos pas sont-ils perdus ?

On ne fait rien ici quand on a tant à faire !

Ma soeur et son amant, mon bonhomme de père,

110   Et celui de Daphnis, femmes, filles, garçons,

Arrivent à la file, en dansant aux chansons.

Ici je ne vois rien paraître.

Réponds donc, Grégoire, réponds ;

Mène-moi voir l'autel et monsieur le grand-prêtre.

GRÉGOIRE.

115   Le grand-prêtre, c'est moi.

PRESTINE.

Tu ris.

GRÉGOIRE.

Moi, dis-je.

PRESTINE.

  Toi ?

Toi, prêtre de Bacchus ?

GRÉGOIRE.

Et fait pour cet emploi.

Quel étonnement est le vôtre ?

PRESTINE.

Eh bien ! soit, j'aime autant que ce soit toi qu'un autre.

GRÉGOIRE.

Je suis vice-gérant dans ce lieu plein d'appas.

120   Je conjoins les amants, et je fais leurs repas.

Ces deux charmants ministères,

Au monde si nécessaires,

Sont sans doute les premiers.

J'espère quelque jour, ma petite Prestine,

125   Dans cette demeure divine

Les exercer pour vous.

PRESTINE.

Hélas ! très volontiers.

GRÉGOIRE ET PRESTINE.

DUO.

En ces beaux lieux c'est à Grégoire,

C'est à lui d'enseigner

Le grand art d'aimer et de boire ;

130   C'est lui qui doit régner.

Du dieu puissant de la liqueur vermeille

Le temple est un cabaret ;

Son autel est un buffet.

L'Amour y veille

135   Avec transport ;

L'Amour y dort,

Dort, dort,

Sous les beaux raisins de la treille,

     

GRÉGOIRE.

Je vois nos gens venir ; je vais prendre à l'instant

140   Mes habits de cérémonie.

Il faut qu'a tous les yeux Grégoire justifie

Le choix qu'on fait de lui dans un jour si brillant.

PRESTINE.

Va vite... Avancez donc, mon père, mon beau-père,

Ma chère soeur, mon cher beau-frère,

145   Ah ! Que vous marchez lentement !

Cet air grave est, dit-on, décent :

Il est noble, il a de la grâce ;

Mais j'irais plus vivement

Si j'étais à votre place,

SCÈNE III.
Le Père de Glycère et de Prestine, Le Père de daphnis, petits vieillards ratatinés, marchant les premiers, la canne à la main ; Daphnis, conduisant Glycère et toute la noce ; Prestine.

GLYCÈRE, à Prestine.

150   Pardonne, chère soeur, à mes sens éblouis

Je me suis arrêtée a regarder Daphnis ;

J'étais hors de moi-même, en extase, en délire ;

Et je n'avais qu'un sentiment.

Va, tout ce que je te puis dire,

155   C'est que je t'en souhaite autant.

LES DEUX PÈRES.

DUO.

Oh ! Qu'il est doux, sur nos vieux ans,

De renaître dans sa famille

Mon fils... ma fille

Raniment mes jours languissants ;

160   Mon hiver brille

Des roses de leur printemps.

Les jeunes gens qui veulent rire

Traitent un vieillard

De rêveur, de babillard :

165   Ils ont grand tort ;

Chacun aspire

À notre sort ;

Chacun demande à la nature

De ne mourir qu'en cheveux blancs ;

170   Et, dès qu'on parvient à cent ans,

On a place dans le Mercure.

     

PRESTINE.

Il s'agit bien de fredonner ;

Ah ! Vous avez, je pense, assez d'autres affaires.

Savez-vous à quel homme on a voulu donner

175   Le soin de célébrer vos amoureux mystères ?

À Grégoire.

GLYCÈRE, effrayée.

À Grégoire !

DAPHNIS.

Eh ! Qu'importe, grands dieux !

Tout m'est bon, tout m'est précieux ;

Tout est égal ici quand mon bonheur approche.

Si Glycère est à moi, le reste est étranger.

180   Qu'importe qui sonne la cloche,

Quand j'entends l'heure du berger ?

Rien ne peut me déplaire, et rien ne m'intéresse :

Je ne vois point ces jeux, ce festin solennel,

Ces prêtres de l'hymen, ce temple, cet autel ;

185   Je ne vois rien que la déesse.

LE PÈRE DE GLYCÈRE, LE PÈRE DE DAPHNIS, DAPHNIS, GLYCÈRE.

QUATUOR.

Ma fille !... Mon cher fils !... Glycère !... Tendre époux !

Aimons-nous tous quatre, aimons-nous.

De la félicité, naissez, brillante aurore ;

Naissez, faites éclore

190   Un jour encor plus doux.

Tendre amour, c'est toi que j'implore ;

En tout temps tu règnes sur nous :

Tendre amour, c'est toi que j'implore ;

Aimons-nous tous quatre, aimons-nous.

     

PRESTINE.

195   Ils aiment à chanter, et c'est là leur folie.

Ne parviendrai-je point à faire ma partie ?

Ces gens-là sur un mot vous font vite un concert ;

Et ce qu'en eux surtout je révère et j'admire,

C'est qu'ils chantent parfois sans avoir rien à dire :

200   Ils nous ont sur-le-champ donné d'un quatuor.

À mon oreille il plaisait fort ;

Et, s'ils avaient voulu, j'aurais fait la cinquième.

Mais on me laisse là ; chacun pense à soi-même.

Elle chante.

Le premier mari que j'aurai,

205   Ah ! Grands dieux, que je chanterai !

On néglige ma personne,

On m'abandonne.

Le premier mari que j'aurai,

Ah ! Grands dieux, que je chanterai !

     

SCÈNE IV.
Les précédents, Phébé.

PHÉBÉ.

210   Entrez, mes beaux messieurs, entrez, ma belle dame.

À Glycère, à part.

Ma belle dame, au moins prenez bien garde à vous.

DAPHNIS.

Allez, j'en aurai soin ; ne crains rien, bonne femme.

Il lui met une bourse dans la main.

PHÉBÉ.

Que voilà deux charmants époux !

Prenez bien garde à vous, madame.

GLYCÈRE.

215   Que veut-elle me dire ?

Elle me fait trembler.

L'amour est trop timide, et mon coeur est trop tendre.

PRESTINE.

Auprès de votre amant qui peut donc vous troubler ?

Nulle crainte en tel cas ne pourrait me surprendre.

Elle chante.

220   Le premier mari que j'aurai,

Ah ! Bon dieu, que je chanterai !

On néglige ma personne,

On m'abandonne.

Le premier mari que j'aurai,

225   Ah ! Grands dieux, que je chanterai !

     

ACTE II

SCÈNE I.
Daphnis, conduit par son père, Glycère par le sien, Prestine par personne, et courant partout ; garçons de la noce.

LE PÈRE DE DAPHNIS.

Mes enfants, croyez-moi, nous savons les rubriques ;

Faisons comme faisaient nos très prudents aïeux :

Tout allait alors beaucoup mieux.

C'était là le bon temps ; et les siècles antiques,

230   Étant plus vieux que nous, auront toujours raison.

Je vous dis que c'est là... que sera le garçon ;

Ici... la fille ; ici... moi, du garçon le père.

À Glycère.

Là... vous ; et puis Prestine à côté de sa soeur,

Pour apprendre son rôle, et le savoir bien faire.

235   Mais j'aperçois déjà le sacrificateur.

Qu'il a l'air noble et grand ! Une majesté sainte

Sur son front auguste est empreinte ;

Il ressemble à son dieu, dont il a la rougeur.

LE PÈRE DE GLYCÈRE.

Oui, l'on voit qu'il le sert avec grande ferveur.

240   Silence, écoutons bien.

SCÈNE II.
Les Précédents, Grégoire, suivi des Ministres de Bacchus.

Les deux amants mettent la main sur le buffet qui sert d'autel.

GRÉGOIRE, au milieu, vêtu en grand sacrificateur.

  Futur, et vous, future,

Qui venez allumer à l'autel de Bacchus

La flamme la plus belle et l'ardeur la plus pure,

Soyez ici très bien venus.

D'abord, avant que chacun jure

245   D'observer les rites reçus,

Avant que de former l'union conjugale,

Je vais vous présenter la coupe nuptiale.

GLYCÈRE.

Ces rites sont d'aimer ; quel besoin d'un serment

Pour remplir un devoir si cher et si durable ?

250   Ce serment dans mon coeur constant, inaltérable,

Est écrit par le sentiment

En caractère ineffaçable.

Hélas ! Si vous voulez, ma bouche en fera cent ;

Je les répéterai tous les jours de ma vie ;

255   Et n'allez pas penser que le nombre m'ennuie :

Ils seront tous pour mon amant.

GRÉGOIRE, à part.

Que ces deux gens heureux redoublent ma colère !

Dieux ! Qu'ils seront punis... Buvez, belle Glycère,

Et buvez l'amour à longs traits.

260   Buvez, tendres époux, vous jurerez après :

Vous recevrez des dieux des faveurs infinies.

Il va prendre les deux coupes préparées au fond du buffet.

LE PÈRE DE DAPHNIS.

Oui, nos pères buvaient dans leurs cérémonies,

Aussi valaient-ils mieux qu'on ne vaut aujourd'hui :

Depuis qu'on ne boit plus, l'esprit avec l'ennui

265   Font bâiller noblement les bonnes compagnies.

Les chansons en refrain des soupers sont bannies :

Je riais autrefois, j'étais toujours joyeux :

Et je ne ris plus tant depuis que je suis vieux :

J'en cherche la raison, d'où vient cela, compère ?

LE PÈRE DE GLYCÈRE.

270   Mais... cela vient... du temps. Je suis tout sérieux,

Bien souvent, malgré moi, sans en savoir la cause.

Il s'est fait parmi nous quelque métamorphose.

Mais il reste, après tout, quelques plaisirs touchants :

Dans le bonheur d'autrui l'âme à l'aise respire ;

275   Et quand nous marions nos aimables enfants,

Je vois qu'on est heureux sans rire.

Grégoire présente une petite coupe à Daphnis, et une autre à Glycère.

GRÉGOIRE, après qu'ils ont bu.

Rendez-moi cette coupe. Eh quoi ! Vous frémissez !

Çà, jurez à présent ; vous, Daphnis, commencez.

DAPHNIS, chante en récitatif mesuré, noble, et tendre.

Je jure par les dieux, et surtout par Glycère,

280   De l'aimer à jamais comme j'aime en ce jour.

Toutes les flammes de l'amour

Ont coulé dans ce vin quand j'ai vidé mon verre.

Ô toi qui d'Ariane as mérité le coeur,

Divin Bacchus, charmant vainqueur,

285   Tu règnes aux festins, aux amours, à la guerre.

Divin Bacchus, charmant vainqueur,

Je t'invoque après ma Glycère.

     

Symphonie.

DAPHNIS, continue.

Descends, Bacchus, en ces beaux lieux ;

Des Amours amène la mère ;

290   Amène avec toi tous les dieux ;

Ils pourront brûler pour Glycère.

Je ne serai point jaloux d'eux ;

Son coeur me préfère,

Me préfère, me préfère aux dieux.

GRÉGOIRE.

295   C'est à vous de jurer, Glycère, à votre tour,

Devant Bacchus lui-même, au grand dieu de l'amour.

GLYCÈRE, chante.

Je jure une haine implacable  [ 1 Magot : Gros singe sans queue du genre des macaques. Fig. et familièrement. Un magot, un homme fort laid. [L]]

À ce vilain magot,

À ce fat, à ce sot ;

300   Il m'est insupportable.

Je jure une haine implacable.

À ce fat, à ce sot.

Oui, mon père, oui, mon père,

J'aimerais mieux en enfer

305   Épouser Lucifer.

Qu'on n'irrite point ma colère ;

Oui, je verrais plutôt le peu que j'ai d'appas

Dans la gueule du chien Cerbère,

Qu'entre les bras

310   Du vilain qui croit me plaire.

     

DAPHNIS.

Qu'ai-je entendu ! Grands dieux !

LES DEUX PÈRES, ensemble.

Ah ! Ma fille !

PRESTINE.

Ah ! Ma soeur !

DAPHNIS.

Est-ce vous qui parlez, ma Glycère ?

GLYCÈRE, reculant.

Ah ! L'horreur !

Ôte-toi de mes yeux ; ton seul aspect m'afflige.

DAPHNIS.

Quoi ! C'est donc tout de bon ?

GLYCÈRE.

Retire-toi, te dis-je ;

315   Tu me donnerais des vapeurs.

DAPHNIS.

Eh ! Qu'est-il arrivé ? Dieux puissants, dieux vengeurs,

En étiez-vous jaloux ? M'ôtez-vous ce que j'aime ?

Ma charmante maîtresse, idole de mes sens,

Reprends les tiens, rentre en toi-même ;

320   Vois Daphnis à tes pieds, les yeux chargés de pleurs.

GLYCÈRE.

Je ne puis te souffrir : je te l'ai dit, je pense,

Assez net, assez clairement.

Va-t-en, ou je m'en vais.

LE PÈRE DE DAPHNIS.

Ciel ! quelle extravagance !

DAPHNIS.

Prétends-tu m'éprouver par ces affreux ennuis ?

325   As-tu voulu jouir de ma douleur profonde ?

GLYCÈRE.

Tu ne t'en vas point ; je m'enfuis :

Pour être loin de toi j'irais au bout du monde.

Elle sort.

QUATUOR.

LES DEUX PÈRES, PRESTINE, DAPHNIS.

Je suis tout confondu... Je frémis... Je me meurs !

     

Tous ensemble.

Quel changement ! quelles alarmes !

330   Est-ce là cet hymen si doux, si plein de charmes ?

     

PRESTINE.

Non, je ne rirai plus ; coulez, coulez, mes pleurs.

TOUS ENSEMBLE.

Dieu puissant, rends-nous tes faveurs.

GRÉGOIRE, chante.

Quand je vois quatre personnes

Ainsi pleurer en chantant,

335   Mon coeur se fend.

Bacchus, tu les abandonnes :

Il faut en faire autant.

     

Il s'en va.

SCÈNE III.
Le Père de Daphnis, Le Père de Glycère, Daphnis, Prestine.

LE PÈRE DE DAPHNIS, à celui de Glycère.

Écoutez ; j'ai du sens, car j'ai vu bien des choses,

Des esprits, des sorciers, et des métempsycoses.

340   Le dieu que je révère, et qui règne en ces lieux,

Me semble, après l'Amour, le plus malin des dieux.

Je l'ai vu dans mon temps troubler bien des cervelles ;

Il produisait souvent d'assez vives querelles :

Mais cela s'éteignait après une heure ou deux.

345   Peut-être que la coupe était d'un vin fumeux,

Ou dur, ou pétillant, et qui porte à la tête.

Ma fille en a trop bu ; de là vient la tempête

Qui de nos jours heureux a noirci le plus beau.

La coupe nuptiale a troublé son cerveau :

350   Elle est folle, il est vrai ; mais, dieu merci, tout passe :

Je n'ai vu ni d'amour ni de haine sans fin...

Elle te r'aimera ; tu rentreras en grâce

Dès qu'elle aura cuvé son vin.

PRESTINE.

Mon père, vous avez beaucoup d'expérience,

355   Vous raisonnez on ne peut mieux :

Je n'ai ni raison ni science,

Mais j'ai des oreilles, des yeux.

De ce temple sacré j'ai vu la balayeuse

Qui d'une voix mystérieuse

360   A dit à ma grand'soeur, avec un ton fort doux :

Quand on vous mariera, prenez bien garde à vous.

J'avais fait peu de cas d'une telle parole ;

Je ne pouvais me défier

Que cela put signifier

365   Que ma grand'soeur deviendrait folle.

Et puis je me suis dit (toujours en raisonnant) :

Ma soeur est folle cependant.

Grégoire est bien malin : il pourchassa Glycère,

Il n'en eut qu'un refus : il doit être en colère.

370   Il est devenu grand seigneur :

On aime quelquefois à venger son injure.

Moi, je me vengerais si l'on m'ôtait un coeur.

Voyez s'il est quelque valeur

Dans ma petite conjecture.

DAPHNIS.

375   Oui, Prestine a raison.

LE PÈRE DE GLYCÈRE.

  Cette fille ira loin.

LE PÈRE DE DAPHNIS.

Ce sera quelque jour une maîtresse femme.

DAPHNIS.

Allez tous, laissez-moi le soin

De punir ici cet infâme ;

A ce monstre ennemi je veux arracher l'âme.

380   Laissez-moi.

LE PÈRE DE GLYCÈRE.

  Qui l'eût cru qu'un jour si fortuné

A tant de maux fût destiné ?

LE PÈRE DE DAPHNIS.

Hélas ! J'en ai tant vu dans le cours de ma vie !

De tous les temps passés l'histoire en est remplie.

LE PÈRE DE DAPHNIS, à celui de Glycère.

Écoutez ; j'ai du sens, car j'ai vu bien des choses,

385   Des esprits, des sorciers, et des métempsycoses.

Le dieu que je révère, et qui règne en ces lieux,

Me semble, après l'Amour, le plus malin des dieux.

Je l'ai vu dans mon temps troubler bien des cervelles ;

Il produisait souvent d'assez vives querelles :

390   Mais cela s'éteignait après une heure ou deux.

Peut-être que la coupe était d'un vin fumeux,

Ou dur, ou pétillant, et qui porte à la tête.

Ma fille en a trop bu ; de là vient la tempête

Qui de nos jours heureux a noirci le plus beau.

395   La coupe nuptiale a troublé son cerveau :

Elle est folle, il est vrai ; mais, dieu merci, tout passe :

Je n'ai vu ni d'amour ni de haine sans fin...

Elle te r'aimera ; tu rentreras en grâce

Dès qu'elle aura cuvé son vin.

PRESTINE.

400   Mon père, vous avez beaucoup d'expérience,

Vous raisonnez on ne peut mieux :

Je n'ai ni raison ni science,

Mais j'ai des oreilles, des yeux.

De ce temple sacré j'ai vu la balayeuse

405   Qui d'une voix mystérieuse

A dit à ma grand'soeur, avec un ton fort doux :

Quand on vous mariera, prenez bien garde à vous.

J'avais fait peu de cas d'une telle parole ;

Je ne pouvais me défier

410   Que cela put signifier

Que ma grand'soeur deviendrait folle.

Et puis je me suis dit (toujours en raisonnant) :

Ma soeur est folle cependant.

Grégoire est bien malin : il pourchassa Glycère,

415   Il n'en eut qu'un refus : il doit être en colère.

Il est devenu grand seigneur :

On aime quelquefois à venger son injure.

Moi, je me vengerais si l'on m'ôtait un coeur.

Voyez s'il est quelque valeur

420   Dans ma petite conjecture.

DAPHNIS.

Oui, Prestine a raison.

LE PÈRE DE GLYCÈRE.

Cette fille ira loin.

LE PÈRE DE DAPHNIS.

Ce sera quelque jour une maîtresse femme.

DAPHNIS.

Allez tous, laissez-moi le soin

De punir ici cet infâme ;

425   À ce monstre ennemi je veux arracher l'âme.

Laissez-moi.

LE PÈRE DE GLYCÈRE.

Qui l'eût cru qu'un jour si fortuné

À tant de maux fût destiné ?

LE PÈRE DE DAPHNIS.

Hélas ! j'en ai tant vu dans le cours de ma vie !

De tous les temps passés l'histoire en est remplie.

SCÈNE IV.
Les précédents ; Grégoire, revenant dans son premier habit.

DAPHNIS.

430   Ô douleur ! Ô transports jaloux !

Holà ! Hé ! Monsieur le grand-prêtre,

Monsieur Grégoire, approchez-vous.

GRÉGOIRE.

Quel profane en ces lieux frappe, et me parle en maître ?

DAPHNIS.

C'est moi ; me connais-tu ?

GRÉGOIRE.

Qui, toi ? mon ami, non,

435   Je ne te connais point à cet étrange ton

Que tu prends avec moi.

DAPHNIS.

Tu vas donc me connaître !

Tu mourras de ma main ; je vais t'assommer, traître !

Je vais t'exterminer, fripon !

GRÉGOIRE.

Tu manques de respect à Grégoire, à ma place !

DAPHNIS.

440   Va, ce fer que tu vois en manquera bien plus !

Il faut punir ta lâche audace :

Indigne suppôt de Bacchus,

Tremble, et rends-moi ma femme.

GRÉGOIRE.

Eh ! mais pour te la rendre

Il faudrait avoir eu le plaisir de la prendre :

445   Tu vois, je ne l'ai point.

DAPHNIS.

  Non, tu ne l'auras pas ;

Mais c'est toi qui me l'as ravie ;

C'est toi qui l'as changée, et presque dans mes bras :

Elle m'aimait plus que sa vie

Avant d'avoir goûté ton vin.

450   On connaît ton esprit malin ;

A peine a-t-elle bu de ta liqueur mêlée,

Sa haine contre moi soudain s'est exhalée ;

Elle me fuit, m'outrage, et m'accable d'horreurs.

C'est toi qui l'as ensorcelée ;

455   Tes pareils dès longtemps sont des empoisonneurs.

GRÉGOIRE.

Quoi ! ta femme te hait !

DAPHNIS.

Oui, perfide ! à la rage.

GRÉGOIRE.

Eh mais ! c'est quelquefois un fruit du mariage ;

Tu peux t'en informer.

DAPHNIS.

Non, toi seul as tout fait :

Tu mets à mon bonheur un invincible obstacle.

GRÉGOIRE.

460   Tu crois donc, mon ami, qu'une femme en effet

Ne peut te haïr sans miracle ?

DAPHNIS.

Je crois que dans l'instant à mon juste dépit,

Lâche, ton sang va satisfaire.

ARIETTE.

GRÉGOIRE.

Il le ferait comme il le dit,

465   Car je n'ai plus mon bel habit

Pour qui le peuple me révère,

Et ma personne est sans crédit

Auprès de cet homme en colère ;

Il le ferait comme il le dit,

470   Car je n'ai plus mon bel habit.

     

Apaise-toi, rengaine... Eh bien ! je te promets

Qu'aujourd'hui ta Glycère, en son sens revenue,

A son époux, à son amour rendue,

Va te chérir plus que jamais.

     

DAPHNIS.

475   Ô ciel ! Est-il bien vrai ? Mon cher ami Grégoire,

Parle ; que faut-il faire ?

GRÉGOIRE.

Il vous faut tous deux boire

Ensemble une seconde fois.

GRÉGOIRE, DAPHNIS.

DUO.

Sur cet autel Grégoire jure

Qu'on t'aimera.

480   Rien ne dure

Dans la nature ;

Rien ne durera,

Tout passera.

On réparera ton injure.

485   On t'en fera ;

On l'oubliera.

Rien ne dure

Dans la nature ;

Rien ne durera,

490   Tout passera.

     

Sur cet autel Grégoire jure

Qu'on m'aimera.

Rien ne dure

Dans la nature ;

495   Rien ne durera,

Tout passera.

On réparera mon injure.

On m'en fera ;

On l'oubliera.

500   Rien ne dure

Dans la nature ;

Rien ne durera,

Tout passera.

     

Ensemble.

Le caprice d'une femme

505   Est l'affaire d'un moment ;

La girouette de son âme

Tourne, tourne... au moindre vent.

     

ACTE III

SCÈNE I.
Les Deux Pères, Glycère, Prestine.

LE PÈRE DE GLYCÈRE.

Oui, c'étaient des vapeurs ; c'est une maladie

Où les vieux médecins n'entendent jamais rien :

510   Cela vient tout d'un coup... quand on se porte bien...

Une seconde dose à l'instant l'a guérie.

Oh ! Que cela t'a fait de bien !

LE PÈRE DE DAPHNIS.

Ces espèces de maux s'appellent frénésie.

Feu ma femme autrefois en fut longtemps saisie ;

515   Quand son mal lui prenait, c'était un vrai démon.

LE PÈRE DE GLYCÈRE.

Ma femme aussi.

LE PÈRE DE DAPHNIS.

C'était un torrent d'invectives,

Un tapage, des cris, des querelles si vives...

LE PÈRE DE GLYCÈRE.

Tout de même.

LE PÈRE DE DAPHNIS.

Il fallait déserter la maison.

La bonne me disait : Je te hais, d'un courage,

520   D'un fond de vérité... cela partait du coeur.

Grâce au ciel, tu n'as plus cette mauvaise humeur,

Et rien ne troublera ta tête et ton ménage.

GLYCÈRE, se relevant d'un banc de gazon où elle était penchée.

Qu'est-il donc arrivé ? qu'ai-je fait ? qu'ai-je dit ?

À l'amant que j'adore aurai-je pu déplaire ?

525   Hélas ! j'aurais perdu l'esprit !

L'amour fit mon hymen ; mon coeur s'en applaudit :

Vous le savez, grands dieux ! si ce coeur est sincère.

Mais dès le second coup de vin

Qu'à cet autel on m'a fait boire,

530   Mon amant est parti soudain,

En montrant l'humeur la plus noire ;

Attachée à ses pas j'ai vainement couru.

Où donc est-il allé ? Ne l'avez-vous point vu ?

LE PÈRE DE DAPHNIS.

Il arrive.

SCÈNE II.
Les Précédents, Daphnis.

LE PÈRE DE DAPHNIS.

En effet je vois sur son visage

535   Je ne sais quoi de dur, de sombre, de sauvage.

GLYCÈRE, chante.

Cher amant, vole dans mes bras :

Dieu de mes sens, dieu de mon âme,

Animez, redoublez mon éternelle flamme...

Ah ! ah ! ah ! cher époux, ne te détourne pas ;

540   Tes yeux sont-ils fixés sur mes yeux pleins de larmes ?

Ton coeur répond-il à mon coeur ?

Du feu qui me consume éprouves-tu les charmes ?

Sens-tu l'excès de mon bonheur ?

À cette musique tendre succède une symphonie impérieuse et d'un caractère terrible.

DAPHNIS, au père de Glycère.

Il chante.

Écoute, malheureux beau-père,

545   Tu m'as donné pour femme une Mégère ;

Dès qu'on la voit on s'enfuit ;

Sa laideur la rend plus fière ;

Elle est fausse, elle est tracassière ;

Et, pour mettre le comble à mon destin maudit,

550   Veut avoir de l'esprit.

Je fus assez sot pour la prendre ;

Je viens la rendre :

Ma sottise finit...

Le mariage

555   Est heureux et sage

Quand le divorce le suit.

     

TRIO.

LES DEUX PÈRES, GLYCÈRE.

Ô ciel ! Ô juste ciel, en voilà bien d'un autre.

Ah ! quelle douleur est la nôtre !

DAPHNIS.

Beau-père, pour jamais je renonce à la voir :

560   Je m'en vais voyager loin d'elle... Adieu... Bonsoir.

Il sort.

SCÈNE III.
Les Deux Pères, Glycère.

LE PÈRE DE GLYCÈRE.

Quel démon dans ce jour a troublé ma famille !

Hélas ! ils sont tous fous :

Ce matin c'était ma fille,

Et le soir c'est son époux.

TRIO.

565   D'une plainte commune

Unissons nos soupirs.

Nous trouvons l'infortune

Au temple des plaisirs.

GLYCÈRE.

Ah ! j'en mourrai, mon père.

LES DEUX PÈRES.

570   Ah ! tout me désespère.

TOUS ENSEMBLE.

Inutiles désirs !

D'une plainte commune

Unissons nos soupirs.

Nous trouvons l'infortune

SCÈNE IV.
Les Précédents ; Prestine, arrivant avec précipitation.

PRESTINE.

575   Réjouissez-vous tous.

GLYCÈRE, qui s'est laissée tomber sur un lit de gazon, se retournant.

  Ah ! ma soeur, je suis morte !

Je n'en puis revenir.

PRESTINE.

N'importe,

Je veux que vous dansiez avec mon père et moi.

LE PÈRE DE DAPHNIS.

C'est bien prendre son temps, ma foi !

Serais-tu folle aussi, Prestine, à ta manière ?

PRESTINE.

580   Je suis gaie et sensée, et je sais votre affaire ;

Soyez tous bien contents.

LE PÈRE DE DAPHNIS.

Ah ! Méchant petit coeur !

Lorsqu'à tant de chagrins tu nous vois tous en proie,

Peux-tu bien dans notre douleur

Avoir la cruauté de montrer de la joie ?

PRESTINE, chante.

585   Avant de parler je veux chanter,

Car j'ai bien des choses à dire.

Ma soeur, je viens vous apporter

De quoi soulager votre martyre.

Avant de parler je veux chanter,

590   Avant de parler je veux rire :

Et quand j'aurai pu tout vous conter,

Tout comme moi vous voudrez chanter,

Comme moi je vous verrai rire.

Au temple des plaisirs.

LE PÈRE DE DAPHNIS, pendant que Glycère est languissante sur le lit de gazon, abîmée dans la douleur.

595   Conte-nous donc, Prestine, et puis nous chanterons,

Si de nous consoler tu donnes des raisons.

PRESTINE.

D'abord, ma pauvre soeur, il faut vous faire entendre

Que vous avez fait fort mal

De ne nous pas apprendre

600   Que de ce beau Daphnis Grégoire était rival.

GLYCÈRE.

Hélas ! quel intérêt mon coeur put-il y prendre ?

L'ai-je pu remarquer ? Je ne voyais plus rien.

PRESTINE.

Je vous l'avais bien dit, Grégoire est un vaurien,

Bien plus dangereux qu'il n'est tendre.

605   Sachez que dans ce temple on a mis deux tonneaux

Pour tous les gens que l'on marie :

L'un est vaste et profond ; la tonne de Cîteaux

N'est qu'une pinte auprès ; mais il est plein de lie ;

Il produit la discorde et les soupçons jaloux,

610   Les lourds ennuis, les froids dégoûts,

Et la secrète antipathie :

C'est celui que l'on donne, hélas ! à tant d'époux,

Et ce tonneau fatal empoisonne la vie.

L'autre tonneau, ma soeur, est celui de l'amour ;

615   Il est petit... petit... on en est fort avare ;

De tous les vins qu'on boit c'est, dit-on, le plus rare.

Je veux en tâter quelque jour.

Sachez que le traître Grégoire

Du mauvais tonneau tour à tour

620   Malignement vous a fait boire.

GLYCÈRE.

Ah ! de celui d'amour je n'avais pas besoin ;

J'idolâtrais sans lui mon amant et mon maître.

Temple affreux ! coupe horrible ! Ah ! Grégoire ! ah ! le traître !

Qu'il a pris un funeste soin !

LE PÈRE DE GLYCÈRE.

625   D'où sais-tu tout cela ?

PRESTINE.

  La servante du temple

Est une babillarde ; elle m'a tout conté.

LE PÈRE DE DAPHNIS.

Oui, de ces deux tonneaux j'ai vu plus d'un exemple ;

La servante a dit vrai. La docte antiquité

A parlé fort au long de cette belle histoire.

630   Jupiter autrefois, comme on me l'a fait croire,

Avait ces deux bondons toujours à ses côtés ;

De là venaient nos biens et nos calamités.

J'ai lu dans un vieux livre...

PRESTINE.

Eh ! Lisez moins, mon père ;

Et laissez-moi parler. Dès que j'ai su le fait,

635   Au bon vin de l'amour j'ai bien vite en secret

Couru tourner le robinet ;

J'en ai fait boire un coup à l'amant de Glycère :

D'amour pour toi, ma soeur, il est tout enivré,

Repentant, honteux, tendre ; il va venir. Il rosse

640   Le méchant Grégoire à son gré.

Et moi, qui suis un peu précoce,

J'ai pris un bon flacon de ce vin si sucré,

Et je le garde pour ma noce.

GLYCÈRE, se relevant.

Ma soeur, ma chère soeur, mon coeur désespéré

645   Se ranime par toi, reprend un nouvel être ;

C'est Daphnis que je vois paraître ;

C'est Daphnis qui me rend au jour.

SCÈNE V.
Les Précédents, Daphnis.

DAPHNIS.

Ah ! Je meurs à tes pieds et de honte et d'amour.

QUINQUE.

Chantons tous cinq, en ce jour d'allégresse,

650   Du bon tonneau les effets merveilleux.

     

PRESTINE, LES DEUX PÈRES, GLYCÈRE, DAPHNIS.

Ma soeur... Mon fils... Mon amant... Ma maîtresse...

Aimons-nous, bénissons les dieux :

Deux amants brouillés s'en aiment mieux.

Que tout nous seconde ;

655   Allons, courons, jetons au fond de l'eau

Ce vilain tonneau ;

Et que tout soit heureux, s'il se peut, dans le monde.

     

 



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Notes

[1] Magot : Gros singe sans queue du genre des macaques. Fig. et familièrement. Un magot, un homme fort laid. [L]

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